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Date : 20050908

Dossier : IMM-6618-04

Référence : 2005 CF 1223

ENTRE :

GERONIMO JOSE MORA CONTRERAS

NALBY COROMOTO VILORIA MOLINA

ISIS MARIA MORA VILORIA

ELDA MARIA CONTRERAS DE MORA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SIMPSON

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision d'un membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 5 juillet 2004, par laquelle la Commission a statué que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention (la décision).

LE CONTEXTE

[2]                Le demandeur principal, âgé de 40 ans, (le demandeur) dépose la présente demande en son nom personnel et en celui de sa mère, de son épouse ainsi que de sa fille âgée de treize ans. Ce sont tous des citoyens du Venezuela dont le dernier lieu de résidence était Civdad Ojeda, dans l'État du Zulia.

[3]                En décembre 2002, le demandeur a pris part, en tant que syndiqué, à une grève visant 18 000 travailleurs de l'industrie pétrolière (la grève). Il craint d'être persécuté par le gouvernement et par les Cercles bolivariens (les CB).

[4]                Le demandeur a subi diverses attaques étalées sur trois jours le mois qui a suivi la grève. Le 8 janvier, lors d'une manifestation, il a été attaqué par la Garde nationale qui a tiré des coups de feu et lancé des bombes à gaz sur la foule. Le 9 janvier 2003, le demandeur a été agressé par les CB et la Garde nationale pendant une réunion à laquelle il assistait. Des coups de feu ont alors également été tirés à cette occasion. Le 10 janvier, il a été arrêté à Tijuana par la Garde nationale et agressé.

[5]                Le demandeur a été congédié de son emploi le 22 février 2003.

[6]                Il n'y a pas eu de nouveaux incidents pendant quelques mois. Puis, le 8 juillet 2003, le demandeur a été témoin de coups de feu tirés dans un secteur de la ville où vivaient des travailleurs de l'industrie pétrolière. Il soutient que cela était le fait du gouvernement, lequel désirait terroriser les gens pour les forcer à quitter leur maison.

[7]                Plus tard en juillet 2003, des assaillants ont lancé des roches sur la voiture du demandeur à un endroit où son voisin avait auparavant été enlevé. Le demandeur croit que ces assaillants comptaient arrêter la voiture et l'agresser. Il a toutefois pu accélérer et éviter l'affrontement.

[8]                Les demandeurs se sont enfuis peu après, soit le 30 juillet 2003. Ils sont arrivés à Buffalo le même jour pour ensuite se rendre au Canada la semaine suivante. Ils ont demandé l'asile le 6 août 2003.

[9]                Le demandeur craint les CB ainsi que le gouvernement. Il a fait le récit d'actes de violence, autres que ceux qu'il a lui-même subis, ayant visé divers syndiqués après la grève. Le demandeur soutient également qu'en raison de la grève, on l'a congédié illégalement, comme son nom figurait sur une liste noire, et il n'a pu ensuite se trouver du travail. Des représentants du gouvernement l'ont photographié et il est identifié en tant que fauteur de trouble sur une page Web. On a dit à des collègues du demandeur, également congédiés, qu'ils n'avaient aucune chance de se faire embaucher. Le demandeur n'a pu, pour sa part, se trouver un emploi lié à sa profession d'ingénieur industriel. Il a déclaré avoir envoyé son curriculum vitae à vingt endroits différents sans obtenir aucune réponse.

DÉCISION

[10]            La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté. Elle a conclu, subsidiairement, qu'il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à l'extérieur de l'État du Zulia.

[11]            Les parties importantes de la décision s'énoncent comme suit :

Le tribunal note que le préjudice le plus grave subi par le demandeur d'asile s'est produit immédiatement après la tenue de la grève nationale en janvier 2003. Le tribunal constate qu'en janvier 2003, une série d'incidents se sont produits et ont mené aux trois agressions. Par la suite, le demandeur d'asile n'a été victime d'aucun préjudice, bien qu'en juillet 2003, peu de temps avant son départ, des pierres ont été lancées sur sa voiture. Le tribunal estime que même si le demandeur d'asile a peut-être subi des préjudices immédiatement après la grève nationale, ces préjudices ont pour ainsi dire cessé en janvier 2003. Le tribunal est d'avis qu'étant donné que ces préjudices se sont étalés sur une brève période et qu'ils n'étaient pas de nature persistante et grave, ils n'équivalent pas à de la persécution selon la définition de réfugié au sens de la Convention.

Le tribunal a ensuite examiné le profit du demandeur d'asile au sein du syndicat. Il n'était pas un dirigeant syndical, mais simplement un syndiqué de la base. Le tribunal estime qu'étant donné que le demandeur d'asile n'était pas un dirigeant syndical, il n'existe pas plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté, s'il retournait au Venezuela, en raison de son appartenance antérieure au syndicat.

[Y]

Le demandeur d'asile a été congédié le 22 février 2003 et a quitté le Venezuela le 30 juillet 2003. Il a allégué que pendant ces cinq mois où il est resté dans son pays, il n'a pas réussi à se trouver d'emploi. Il a envoyé son curriculum vitae à environ 20 endroits différents, sans obtenir aucune réponse. Des collègues du demandeur d'asile qui avaient été congédiés également ont parlé à des employeurs qui leur ont dit qu'ils n'avaient aucune chance de se faire embaucher. Le demandeur d'asile a témoigné qu'il a postulé pour des emplois ayant un lien avec sa profession. Le tribunal a examiné la preuve dont il a été saisi relativement à la question de savoir si la participation du demandeur d'asile à la grève nationale risquait d'entraîner de sérieuses restrictions à son droit de gagner sa vie. Le demandeur d'asile a témoigné qu'il avait cherché des emplois qui avaient uniquement un lien avec sa profession. Il n'est resté au Venezuela que quelques mois seulement après son congédiement. À part le fait qu'il ait envoyé son curriculum vitae, aucune preuve n'indique que le demandeur d'asile s'est mis activement à la recherche d'un autre emploi pendant la période où il est resté au Venezuela. Il possède 16 années de scolarité et de l'expérience en administration et en passation de marchés. Le tribunal estime qu'il n'a pas été établi que le demandeur d'asile ne serait pas en mesure de se trouver un emploi ailleurs que dans l'industrie du pétrole. Bien que le demandeur d'asile ait envoyé environ 20 curriculum vitae et n'ait reçu aucune réponse, le tribunal estime qu'il n'a pas été établi, selon la prépondérance des probabilités, que son droit de gagner sa vie serait restreint de façon importante s'il devait retourner maintenant au Venezuela.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en omettant :

a)       de relever qu'on l'avait filmé sur bande vidéo;

b)       de relever que le demandeur avait été témoin de coups de feu tirés dans la rue en juillet 2003, dans un secteur où habitaient des travailleurs de l'industrie pétrolière;

c)       de mentionner que son nom figurait sur un site Web;

d)       de prendre en compte le meurtre subséquent de deux travailleurs de l'industrie pétrolière et d'un maire;

e)       de dûment prendre en compte les répercussions de sa participation à la grève ainsi que de la publicité faite autour de sa participation sur ses perspectives d'emploi;

f)        de prendre en compte le fait que c'est en direction d'anciens travailleurs de l'industrie pétrolière que des pierres ont été lancées;

g)       de prendre en compte les conséquences que peut avoir sur l'existence d'une PRI viable la présence de la bande vidéo ainsi que son nom sur un site Web.

a)          La bande vidéo

[13]            Le demandeur a été filmé sur bande vidéo lors d'une agression survenue le 10 janvier 2003 sur le terrain de golf du Tia Juana Country Club. Le demandeur a mentionné cet incident dans les modifications apportées le 2 septembre 2003 à son formulaire de renseignements personnels. La Commission décrit l'incident à la page 2 de la décision et, à la même page, elle relève l'allégation du demandeur portant que des militaires l'ont photographié et filmé sur bande vidéo et que son nom figure sur une page Web. La critique à ce sujet, adressée par le demandeur à la Commission, est donc sans fondement.

b)          La violence dans la rue en juillet 2003

[14]            On peut clairement constater à la page deux de la décision que la Commission a pris en compte le témoignage du demandeur selon lequel, le 8 juillet 2003, des coups de feu ont été tirés devant une résidence, dans un secteur (pas le sien) où vivaient des travailleurs de l'industrie pétrolière, afin de forcer les gens à quitter leur maison. Par conséquent, cette critique à l'endroit de la décision de la Commission est également sans fondement.

c)          Le site Web

[15]            Comme on l'a déjà signalé, la Commission était au courant que le nom du demandeur figurait sur un site Web. On mentionne également à la page trois de la décision que le nom de ce dernier a été publié dans un journal.

d)          Les trois meutres

[16]            Il est révélé dans la preuve documentaire que Juan Carlos Zambrano, un travailleur de l'industrie pétrolière, a été torturé et tué en avril 2004 et qu'un ancien travailleur de cette industrie, Jose Manuel Vileas, a été assassiné en mars 2004.

[17]            Selon le demandeur, la Commission était tenue de mentionner et commenter cet élément de preuve puisqu'il se rapportait à des situations semblables à celle qu'il avait vécue.

[18]            On n'a pas réussi à me convaincre du bien-fondé de cette prétention. Le dossier révèle que 18 000 travailleurs de l'industrie pétrolière ont participé à la grève de décembre 2002 et ont été congédiés peu après. Environ un an plus tard, des militaires ont tué deux anciens travailleurs de cette industrie. Rien dans la preuve présentée à la Commission n'indiquait que ces décès étaient liés à la grève ou faisaient partie d'un ensemble de représailles à l'encontre des grévistes. En l'absence de pareille preuve, j'estime que la Commission n'était pas tenue de mentionner ces deux meurtres.

[19]            La preuve révélait également qu'un maire avait été assassiné en janvier 2003. Il s'agissait d'une époque de grande violence ayant suivi immédiatement la grève. Dans son témoignage oral, le demandeur a déclaré que ce maire avait fourni un soutien logistique et moral pendant la grève. La Commission, pour sa part, a fait état du décès du maire dans son récit des faits, mais n'en a pas reparlé lorsqu'elle a procédé à son analyse. La Commission a plutôt déclaré que la violence postérieure à la grève avait cessé peu après celle-ci et n'était pas pertinente aux fins d'apprécier le risque pouvant être couru par le demandeur dans l'avenir. J'estime que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision lorsqu'elle a traité de cette question.

e)          Les perspectives d'emploi

[20]            Dans son analyse, la Commission a mentionné que le demandeur avait allégué que son nom « figurait sur une liste noire » , après avoir été publié dans un journal, par suite de sa participation à la grève. Le tribunal a prêté foi à cette allégation mais a conclu que, comme le demandeur n'avait tenté de trouver un emploi que dans l'industrie pétrolière, on n'avait pas été établi en preuve que le demandeur avait été empêché de gagner sa vie ailleurs que dans cette industrie. Le tribunal a également dit estimer que le demandeur n'aurait pas trop de mal à se trouver un emploi dans d'autres domaines. La critique de la décision par le demandeur relativement à cette question n'est donc pas convaincante.

f)           Les pierres lancées

[21]            Les prétentions du demandeur sur cette question n'avaient pas de fondement probatoire. Il n'y avait aucune preuve quant à un lien pouvant exister entre les pierres lancées et la situation du demandeur en tant que travailleur de l'industrie pétrolière.

g)          La PRI

[22]            Le demandeur a dit craindre le gouvernement de son pays parce qu'on le considère comme un ennemi de la révolution et qu'il pourrait ainsi se faire attaquer par des membres des CB et de la Garde nationale, peu importe où il s'installerait au Venezuela.

[23]            La Commission a examiné ces allégations puis elle les a rejetées parce que, selon la preuve documentaire, les CB ne forment pas un groupe organisé sur le plan national. Elle a également conclu que le profil du demandeur, en tant que participant à la grève, ne lui occasionnerait pas de problèmes au Venezuela. À ce sujet, la Commission a dit :

Le tribunal estime que compte tenu du temps qui s'est écoulé depuis la grève nationale et depuis le départ du demandeur d'asile du Venezuela, le risque que ce dernier y subisse de mauvais traitements est maintenant réduit. Le tribunal estime, compte tenu du fait que le demandeur d'asile n'a pas participé aux activités du syndicat et qu'il n'était qu'un simple syndiqué de la base, qu'il n'existe pas plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté s'il devait retourner au Venezuela aujourd'hui.

[Non souligné dans l'original.]

[24]            Cette conclusion était énoncée avant la partie de la décision traitant de la PRI. Si l'on tient compte de l'ensemble de la décision, toutefois, il est clair que la Commission savait que la participation du demandeur à la grève avait été fortement publicisée et que, malgré cela, elle a tiré cette conclusion.

[25]            Je suis par conséquent convaincue que la Commission n'a pas fait abstraction de cette aspect significatif de la demande d'asile du demandeur.

CONCLUSION

[26]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 8 septembre 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                         IMM-6618-04

INTITULÉ :                                       GERONIMO JOSE MORA CONTRERAS ET AL c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le jeudi 23 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : la juge Simpson

DATE DES MOTIFS :                       Le 8 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Geraldine Macdonald                                                    POUR LES DEMANDEURS

Marcel Larouche                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Geraldine Macdonald                                                    POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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