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Date : 20200127


Dossier : IMM-979-19

Référence : 2020 CF 131

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

NIXON ANDREUS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  En ce qui concerne l’exclusion consacrée par l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention], le droit est bien fixé : le fardeau de preuve se déplace vers le demandeur d’asile une fois que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre] a établi prima facie que le demandeur détient la qualité de résident permanent dans un pays visé par l’article 1E (Celestin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 97 aux paras 49-50 [Celestin]; Shahpari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7678 (CF) au para 12; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tajdini, 2007 CF 227 aux paras 36, 63; Mai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 192 au para 34 [Mai]; Hussein Ramadan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1093 au para 18).

[2]  Dans une décision datée du 19 décembre 2018, la Section d’appel des réfugiés [SAR] a conclu que le demandeur à cette instance était visé par l’article 1E de la Convention, car il était présumé disposer de la qualité de résident permanent du Brésil, et qu’il n’avait pas produit suffisamment de preuves pour renverser cette présomption prima facie de résidence permanente.

[3]  Le demandeur soutient qu’il a fait état de raisons suffisantes pour renverser cette présomption. En particulier, le demandeur soutient que le facteur déterminant est que la SAR n’a pas établi de façon convaincante que le demandeur ait effectivement obtenue la qualité de résident permanent au Brésil. Voilà le moyen invoqué par le demandeur qui sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[4]  En revanche, le défendeur soutient que le demandeur d’asile doit faire état de plus que de simples conjectures : il doit produire des preuves solides afin de renverser la présomption prima facie. Selon le défendeur, le fait que le demandeur n’a pas réfuté cette présomption ne justifie pas l’intervention de notre Cour.

[5]  Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la SAR a suivi la bonne démarche quant à l’application de l’article 1E et a rendu une décision raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Faits

[6]  Le demandeur est né en Haïti en 1974 et il a résidé en Haïti jusqu’en mars 2013. À cette date, il s’est enfui d’Haïti et s’est installé au Brésil où il vivait et travaillait jusqu’au mois d’août 2016. En décembre 2016, le demandeur est arrivé aux États-Unis et y vécut pendant neuf mois. En août 2017, le demandeur arrive au Canada et réclame le statut de réfugié.

[7]  Dans son formulaire de Fondement de demande d’asile [FDA], le demandeur a allégué des craintes par rapport à sa situation en Haïti. Le demandeur craint pour sa vie suite à un attentat découlant des circonstances liées à la réclamation d’un terrain familiale. Le demandeur a allégué que ses parents ont acheté un terrain après la mort de l’ancien propriétaire du terrain, malgré le désaccord du demandeur.

[8]  Le demandeur n’a pas invoqué de risques par rapport au Brésil dans sa demande d’asile.

[9]  Le 27 octobre 2017, le Ministre a déposé une communication dans le cadre du dossier du demandeur suite à la demande de la SPR. Le Ministre a remarqué que le nom du demandeur figure sur une liste de 43 781 citoyens haïtiens à qui ont été accordée la qualité de résident permanent suite à un arrêté conjoint du ministre du Travail et de la Protection sociale et du ministre de la Justice du Brésil délivré en novembre 2015. Cependant, le Ministre affirme qu’il ne possède aucune information confirmant que le demandeur a entamé les procédures d’inscription détaillées dans cet arrêté ou que la qualité de résident permanent lui a été octroyée par les autorités brésiliennes. Le Ministre a donc invité le demandeur à clarifier son statut d’immigration au Brésil en présentant toute documentation pertinente en sa possession.

[10]  Pourtant, le demandeur a indiqué dans son Formulaire de demande générique qu’il était résident du Brésil. Dans ce Formulaire, le demandeur a répondu aux questions au sujet de son statut en Brésil en indiquant qu’il est un « résident » (pays de résidence antérieurs, pays de résidence actuel, antécédents personnels). Par ailleurs, en réponse à la question 2g) dans son FDA (« Avez-vous déménagé à un autre pays (ailleurs qu’au Canada) pour y chercher refuge? ») le demandeur a notamment inscrit : « [j]’ai obtenu la résidence au Brésil ».

II.  Décision de la SPR

[11]  Dans une décision en date du 18 février 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, concluant qu’il est exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], parce qu’il détient le statut de résident permanent au Brésil et qu’il a tous les droits et obligations qui découlent de la nationalité de ce pays (se référant à l’affaire Shamlou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1537, 103 FTR 241).

[12]  Sur la question de l’exclusion de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention, la SPR conclue qu’il y a une preuve prima facie que le demandeur a complété les démarches relatives à la résidence permanente au Brésil et qu’il l’a obtenue pour les raisons suivantes :

  • le nom du demandeur se trouve sur la liste des 43 781 Haïtiens qui ont bénéficié de l’arrêté ministériel. Selon la preuve documentaire, il y avait quelques formalités à compléter pour concrétiser son statut. La SPR remarque qu’en date de janvier 2017, 71% des 43 781 Haïtiens ont accompli ces démarches et sont donc résidents permanents;

  • le demandeur a témoigné qu’il n’a jamais entamé la démarche; il a décidé de quitter le Brésil en raison de la discrimination subie par les Haïtiens au Brésil; Cependant, dans les formulaires d’immigration complétés dans le cadre de la demande d’asile du demandeur, il a dit à plusieurs endroits que son statut était celui de « résident » au Brésil;

  • dans son formulaire de demande d’asile, le demandeur a répondu à la question 2g) « [j]’ai obtenu la résidence au Brésil »; et

  • la SPR a rejeté les explications du demandeur, que ce n’est pas lui qui a complété les formulaires et quel qu’un qui parle le créole et le français a traduit les questions pour lui et a écrit ses réponses verbales en français sur un brouillon et que le demandeur a retranscrit ses réponses traduites dans le brouillon à son FDA. Le demandeur a signé les formulaires et a fait une déclaration solennelle que les renseignements donnés sont véridiques, complets, et exacts. Cette explication « entache la crédibilité de [son] témoignage ».

[13]  Après avoir établi de façon prima facie sa qualité de résident permanent, la SPR note que le demandeur avait donc le fardeau de démontrer qu’il n’était pas résident permanent au Brésil. Sur ce point, la SPR conclut qu’il ne s’est pas acquitté de son fardeau pour les raisons suivantes :

  • le demandeur a soutenu qu’il était allé au consulat du Brésil à Montréal, mais ces démarches n’étaient pas documentées;

  • considérant que la crédibilité de son témoignage était entachée, il ne pouvait pas établir qu’il n’avait pas la résidence permanente au Brésil;

  • les documents déposés par le demandeur sur la question de son statut au Brésil sont insuffisants parce qu’ils portent sur des faits qui se sont produits avant la parution de la liste; et

  • le statut de résidence permanente au Brésil peut être perdu si le demandeur s’absente du Brésil pour au moins deux ans. Cependant, le demandeur aurait quitté le Brésil en août 2016, donc moins de deux ans se sont écoulés depuis son départ de ce pays.

[14]  Pour ces raisons, la SPR conclut que le demandeur était résident permanent au Brésil.

[15]  De plus, la SPR s’est penchée sur les effets de la discrimination sur la situation du demandeur au Brésil. La SPR a noté les arguments du demandeur à l’effet que les Haïtiens sont victimes de discrimination au Brésil. Toutefois, le FDA du demandeur ne mentionne pas qu’il a été victime de discrimination au Brésil. Selon la SPR, il est raisonnable de s’attendre qu’il aurait mentionné le Brésil s’il craignait un préjudice. Bien que la preuve au Cartable national de documentation [CND] mentionne les difficultés subies par des Haïtiens au Brésil, cela n’est pas suffisant pour démontrer que tous les Haïtiens au Brésil puissent faire face à une possibilité sérieuse de persécution partout dans ce pays.

[16]  La SPR conclut que le demandeur était exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention. Conséquemment, la SPR n’a pas senti le besoin de procéder à l’analyse de son risque ou crainte en Haïti.

III.  Décision de la SAR

[17]  Devant la SAR, le demandeur soutenait qu’il a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’était pas un résident permanent au Brésil. À son avis, la SPR a commis une erreur dans l’analyse de sa crédibilité en exprimant un doute qu’il n’avait jamais reçu la qualité de résident permanent au Brésil parce qu’il n’avait pas complété les démarches nécessaires. D’ailleurs, dans ses formulaires, le demandeur a uniquement mentionné qu’il a été « résident » et non pas « résident permanent » au Brésil.

[18]  Dans une décision en date du 18 décembre 2018, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Essentiellement, la SAR a conclu que le demandeur était exclu de la protection canadienne en raison de sa qualité de résident permanent au Brésil.

[19]  D’abord, la SAR conclut qu’il y a une preuve prima facie portant que le demandeur s’était vu accorder la résidence permanente au Brésil et que c’était donc le demandeur qui avait le fardeau de démontrer qu’il n’avait pas obtenu ce statut. La SAR note que le nom du demandeur figure sur la liste des 43 781 Haïtiens à qui a été accordée la résidence permanente au Brésil. La SAR reconnaît que l’Arrêté ministériel de novembre 2015 prévoit que l’octroi de résidence permanente est assujetti à des exigences : « soit un acte de naissance ou de mariage, deux photos, un extrait de casier judiciaire et une déclaration attestant qu’il n’a pas fait l’objet de poursuites pénales dans son pays d’origine. Il y a aussi un délai pour produire ces documents et des droits afférents à la demande ».

[20]  Tout comme la SPR, la SAR conclut qu’aucune preuve n’avait été produite portant qu’il n’avait pas la qualité de résident permanent au Brésil. La SAR note que le demandeur avait déclaré dans son FDA qu’il avait obtenu la résidence au Brésil. Tout comme la SPR, la SAR a trouvé les explications du demandeur peu convaincantes. Le demandeur avait témoigné devant la SPR que ce n’est pas lui qui avait rempli les formulaires et qu’il n’avait pas pu régulariser son statut. Le demandeur aurait expliqué son histoire aux personnes qui l’ont aidé à remplir son formulaire, et son FDA et son Formulaire de demande générique ont été remplis à des dates différentes et par des personnes différentes. Le demandeur n’a pas donné une explication valable sur la question de savoir comment cette information s’est retrouvée sur ces formulaires et il a signé les formulaires en indiquant que les renseignements donnés étaient véridiques, complets, et exacts.

[21]  La SPR n’a donc pas commis d’erreur en concluant que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur avait la qualité de résident permanent au Brésil.

[22]  La SAR confirme la conclusion de la SPR selon lequel il était toujours résident permanent au Brésil au moment de l’audience devant la SPR parce que moins de deux ans s’étaient écoulés depuis son départ de Brésil. La SAR confirme également la conclusion de la SPR que la qualité de résident permanent du Brésil accorde au demandeur essentiellement les mêmes droits et obligations que les ressortissants brésiliens (accès aux soins, éducation, prévoyance sociale et à la sécurité).

[23]  La SAR a poursuivi en notant que le demandeur n’a pas établi une possibilité sérieuse de persécution au titre de l’un des motifs prévus par la Convention, ni qu’il est probable qu’il soit une personne à protéger dans l’éventualité d’un retour au Brésil. Son témoignage au sujet de l’attitude des Brésiliens envers les Haïtiens n’est pas suffisant pour établir qu’il y avait discrimination assimilable à la persécution et la preuve au dossier ne permet pas à la SAR de conclure que le demandeur a été persécuté au Brésil ou qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté advenant son retour au Brésil.

[24]  Au final, la SAR confirme la décision de la SPR portant que le demandeur est visé par l’article 1E de la Convention parce qu’il possède la qualité de résident permanent au Brésil. D’ailleurs, le demandeur n’a pas démontré une crainte sérieuse d’être persécutée ni que sa vie serait en danger advenant son retour au Brésil.

IV.  Question en litige

[25]  La seule question en litige est la suivante :

Est-ce que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur est exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 98 de la LIPR et de l’article 1E de la Convention?

V.  Norme de contrôle

[26]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême a établi un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions administratives. Sous ce cadre d’analyse, le point de départ est une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov au para 23). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations : lorsqu’il existe un mécanisme d’appel prévu par la loi ou lorsque la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov au para 17). En l’espèce, aucune des situations justifiant de déroger à la forte présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique. Alors, je conclus que la décision de l’agent d’immigration est assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux paras 73-142).

VI.  Discussion

[27]  Le demandeur soutient que la SAR a commis deux erreurs susceptibles de contrôle.

A.  La détermination de résidence permanente

[28]  Premièrement, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il avait le statut de résidant permanent, et qu’il avait les droits et les obligations découlant de la possession de la nationalité brésilienne, parce qu’il n’a jamais suivi le processus d’obtention de la qualité de résident permanent au Brésil.

[29]  Le demandeur n’attaque pas la conclusion de fait portant que son nom figure sur la liste des 43 781 Haïtiens à qui le gouvernement du Brésil a accordé l’autorisation d’entamer les procédures d'obtention de la résidence permanente dans le délai d’un an à compter de la publication de l’arrêté ministériel. D’ailleurs, il reconnaît qu’il y avait donc une preuve prima facie portant qu’il avait la résidence permanente au Brésil.

[30]  Cependant, le demandeur conteste le « poids » accordé par la SAR au fait que son nom se retrouve sur cette liste pour conclure qu’il détient la qualité de résident permanent au Brésil. À son avis, la SAR a commis une erreur en concluant qu’il est bel et bien résident permanent dans ce pays au motif que son nom figure sur cette liste et que, par conséquent, il a complété les démarches nécessaires pour se faire accorder ce statut. D’ailleurs, la SAR a accordé un poids significatif au fait que le demandeur a déclaré dans son FDA qu’il était « résident » au Brésil, mais peu de poids à son témoignage portant qu’il n’avait jamais complété la procédure pour devenir résident permanent au Brésil. Selon le demandeur, il n’a pas pu compléter la procédure d’obtention de la résidence permanente en raison d’erreurs dans l’un des documents requis. À son avis, il faut présumer la véracité de son témoignage et la SAR a commis une erreur en concluant qu’il ne s’était pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’il n’avait pas les droits et les obligations découlant de la possession de la nationalité brésilienne.

[31]  Le demandeur n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de son argument selon lequel il a renversé la présomption en cause.

[32]  Le défendeur soutient d’abord que, vu les motifs de la SAR, le demandeur figurait sur la liste des personnes à qui la résidence permanente a été accordée et non seulement les personnes qui avaient la « possibilité » d’entamer des procédures en vue d’obtenir cette qualité. Le défendeur soutient de façon subsidiaire que même si le demandeur n’avait pas obtenu la résidence permanente au Brésil, la non-finalisation du processus ne n’écartait pas la présomption portant qu’il bénéficiait de la protection brésilienne (citant Tshiendela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 FC 344 aux paras 27-28, 33 [Tshiendela]).

[33]  Pour les raisons qui suivent, je retiens les arguments du défendeur.

[34]  Cependant, je ferai une observation préliminaire. Je rejette la thèse du défendeur portant que la liste contenant le nom du demandeur devant la SAR concernait les personnes qui ont complété le processus d’obtention de la résidence permanente avec succès. À cet égard, je noterais la lettre du Ministre en date du 27 octobre 2017, il n’est pas certain que le demandeur a complété ce processus.

[35]  D’ailleurs, il ressort de l’un des documents au CND que cette liste contient le nom des 43 781 Haïtiens qui pouvaient obtenir la résidence permanente au Brésil si les démarches étaient accomplies (apparemment 71% de ces personnes ont bel et bien accompli ces démarches). Les copies de la liste contenue au dossier certifié du tribunal n’indiquent pas que le demandeur soit parmi le groupe d’Haïtiens auxquels a bel et bien été accordée la qualité de résident permanent.

[36]  Le demandeur affirme que la SAR a erré en concluant qu’il est en effet un résident permanent au Brésil. Je retiens l’idée que le fait que le nom d’une personne figure sur la liste ne confirme pas définitivement qu’elle a complété le processus pour obtenir la qualité de résident permanent, mais seulement qu’elle se soit vu octroyer la possibilité de régulariser son statut.

[37]  D’ailleurs, vu ma lecture de la décision de la SAR, il ne me semble pas qu’elle a tiré la conclusion que le défendeur avait définitivement obtenu la qualité de résident permanent. En effet, la SAR a noté que « l’octroi de la résidence permanente est assujetti à des exigences ». La SAR n’a jamais conclu que le nom du demandeur figure sur la liste de 71% des 43 781 Haïtiens auxquels a bel et bien été accordée la qualité de résident permanent.

[38]  La question est plutôt de savoir si, une fois qu’il est établi d’une façon prima facie que le demandeur a la qualité de résident permanent, le demandeur a produit les preuves suffisantes pour réfuter cette présomption.

[39]  Il faut se rappeler qu’en l’espèce, le demandeur concède, ainsi que l’a conclu la SAR, que la liste sur lequel figure son nom constitue la preuve prima facie qu’il lui a été accordé la qualité de résident permanent au Brésil. Cela signifie qu’il y a une présomption réfutable qu’il a la qualité de résident permanent. Le demandeur avait donc le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’avait pas la qualité de résident permanent au Brésil ou qu’il a perdu cette qualité (Tshiendela au para 35; Obumuneme c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 59 au para 41).

[40]  Il faut donc rechercher si la SAR a commis une erreur en concluant que le demandeur était exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention. Le critère pertinent a été ainsi formulé par la Cour d’appel fédérale par l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118, de la manière suivante :

[28] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[41]  Au moment de la décision de la SPR, le demandeur aurait pu compléter les démarches afin d’obtenir la résidence permanente au Brésil, mais a choisi de ne pas le faire. Selon son témoignage, il a déposé une demande de résidence permanente, selon la procédure prévue par l’arrêté ministériel, avec tous les documents requis, mais il n’a pas finalisé le processus, car il n’a pas payé les frais requis. De plus, semble-t-il qu’il y avait un document qui comportait une erreur qu’il devait redonner aux autorités brésiliennes, mais qu’avant que les démarches se terminent, il a quitté le Brésil.

[42]  L’explication du demandeur portant qu’il n’a pas finalisé le processus en question, et n’a donc pas, au final, obtenu la qualité de résident permanent au Brésil, n’a pas été convaincante aux yeux de la SAR parce que le demandeur a déclaré qu’il avait le statut de « résident » dans ses formulaires et a déclaré « [j]’ai obtenu la résidence au Brésil » dans son FDA.

[43]  Ni la SAR ni la SPR n’a retenu l’explication du demandeur portant que ce n’était pas lui qui avait rempli le formulaire FDA. En effet, selon son FDA, le demandeur a rempli ce formulaire lui-même en français sans l’assistance d’un représentant ou un interprète. D’ailleurs, le demandeur a également écrit qu’il avait le statut de « résident » au Brésil dans ces formulaires d’immigration génériques qui, comme la SAR l’a remarqué, ont été préparés à des dates distinctes.

[44]  Au final, il s’agit de conclusions de fait qui pouvaient légitimement être tirées par la SAR en l’absence d’une preuve crédible tendant à démontrer le contraire selon la prépondérance des probabilités (Mikelaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 902 aux paras 26-27; Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 241 aux paras 22-24). Il faut se rappeler que, selon le témoignage du demandeur devant la SPR, il était allé chez le consulat brésilien à Montréal pour s’informer de son statut au Brésil, mais il n’a pas déposé de la documentation (après la parution de la liste des 43 781 Haïtiens) quant au résultat de sa démarche pour s’acquitter de son fardeau de démontrer qu’il n’est pas exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention.

[45]  La SAR n’a pas commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il n’avait pas la qualité de résident permanent au Brésil. La conclusion de la SAR en ce sens était raisonnable puisqu’elle « est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

[46]  Il faut se rappeler que la philosophie fondamentale de l’article 1E est la prévention de la « recherche du meilleur pays d’asile » (en anglais : « asylum shopping ») : l’asile ne doit pas être accordé à la personne qui jouit d’une protection auxiliaire dans un pays où elle a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants de ce pays (Zeng au para 1; Fleurant c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 754 au para 16; Mai au para 1; Maqbool c Canada (Citizenship and Immigration), 2016 CF 1146 au para 29; Celestin aux paras 42, 91).

[47]  Comme argument subsidiaire, le demandeur a fait valoir devant moi que dans sa décision, la SAR n’a cessé de répéter que le demandeur avait la qualité de résident permanent du Brésil. Le demandeur dit que la SAR n’a tout simplement pas fait l’examen du processus et a simplement conclu qu’il était résident permanent au Brésil.

[48]  Le demandeur cite l’arrêt Zeng, et soutient que le processus suivi par le SPR et le SAR était déraisonnable. D’après le demandeur, la première question était de savoir s’il avait la qualité de résident permanent. Si la réponse est affirmative, la recherche n’allait pas plus loin. Si la réponse était négative, il fallait lui demander pourquoi il n’avait pas poursuivi le processus. Dans ce cas, selon le demandeur, avant même d’avoir tiré une conclusion sur cette question, la SAR a simplement examiné la question de savoir pourquoi le demandeur n’avait pas poursuivi le processus d’obtention du statut de résident permanent au Brésil. La raison semble être qu’il craignait un préjudice au Brésil.

[49]  Je dois avouer que je ne suis pas le raisonnement du demandeur sur cette question. À mon avis, une série de questions peut avoir un double objectif. Il n’y a rien de mal à poser une série de questions et à conclure que ces réponses sont pertinentes à deux fins. Le simple fait de ne pas avoir posé les questions dans un ordre approprié ne les invalides pas, et certainement pas les réponses.

[50]  Cependant, encore une fois, cela n’est peut-être pas pertinent. Le demandeur présuppose dans son analyse qu’il incombe au défendeur d’établir d’abord avec certitude que le demandeur est résident permanent au Brésil, et il soutient que la preuve est insuffisante à cet égard.

[51]  Je rejette cette thèse. Nous devons d’abord commencer l’analyse par l’appréciation des preuves en ce qui concerne la qualité de résident permanent du demandeur d’asile. Il y a en l’occurrence un document émanant du gouvernement du Brésil qui indique que le demandeur a obtenu l’autorisation d’obtenir la qualité de résident permanent et qu’il peut procéder à la finalisation du processus officiel, qui est plus un processus administratif qu’un processus de fond. De plus, le demandeur concède que la preuve prima facie démontre qu’il lui a été accordé la qualité de résident permanent au Brésil. Il n’a tout simplement pas renversé la présomption qui lui incombait portant qu’il n’avait pas la qualité de résident permanent au Brésil ou qu’il a perdu ce statut.

[52]  Considérant les faits de la présente espèce, la SAR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur est bel et bien visé par l’article 1E de la Convention.

B.  L’ordre de l’analyse et l’affaire Romelus

[53]  Deuxièmement, le demandeur soutient que la SAR a fait la même erreur relevée par la Cour à l’occasion de l’affaire Romelus. La SAR a conclu que le demandeur était visé par l’article 1E de la Convention avant de poursuivre son analyse concernant la persécution et le risque au Brésil en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR (citant Romelus aux paras 36-45).

[54]  Cet argument n’a pas été étoffé lors de l’audience.

[55]  D’ailleurs, le défendeur soutient qu’il faut opérer une distinction entre les faites de la présente affaire et ceux de l’affaire Romelus. En l’espèce, ce n’est que pendant son témoignage devant le SPR que le demandeur a allégué une crainte en ce qui concerne le Brésil. D’ailleurs, en ce qui concerne l'affaire Romelus, la décision de la SAR n’était pas intelligible parce qu’elle a conclu que le demandeur était exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention avant de conclure que nul crainte ou risque n'avaient été établis en ce qui concerne le Brésil.

[56]  En l’espèce, la SAR a seulement conclu que le demandeur est exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention dans ses conclusions, après qu’elle eut conclu que : (1) le demandeur avait la qualité de résident permanent au Brésil; (2) qu’il n’avait pas perdu ce statut au moment de l’audience devant la SPR; (3) que le statut détenu par le demandeur lui accordait essentiellement les mêmes droits et obligations que les ressortissants de ce pays; et (4) qu’il n’y avait aucun risque ou crainte pour lui au Brésil.

[57]  Ayant faits ces constats, la SAR a conclu que le demandeur était exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention.

[58]  De toute manière, comme j’ai déjà signalé auparavant, je rejette l’idée que le risque dans le pays de résidence doit nécessairement être apprécié avant de conclure que le demandeur d’asile est exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention (Celestin aux paras 92-103).

[59]  Qu’il ait été procédé à l’analyse de risque en ce qui concerne le Brésil n’était pas déterminant (Vavilov au para 100; Celestin aux paras 130-131). Au final, la SAR a raisonnablement constaté que le demandeur était exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1E de la Convention.

VII.  Conclusion

[60]  Le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision de la SAR est déraisonnable. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT au dossier IMM-979-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-979-19

 

INTITULÉ :

NIXON ANDREUS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 août 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Christian Roa-Riveras

 

Pour le demandeur

Me Mario Blanchard

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Christian Roa-Riveras

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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