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Date : 20200128


Dossiers : T-2153-00

T-2155-00

Référence : 2020 CF 129

Dossier : T-2153-00

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

PETER WATSON, SHARON BEAR, CHARLIE BEAR, WINSTON BEAR et SHELDON WATSON, chefs de famille des descendants directs de la bande indienne de Chacachas, en leur nom personnel et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Chacachas

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA, ET LA PREMIÈRE NATION D’OCHAPOWACE

défenderesses

Dossier : T-2155-00

ET ENTRE :

WESLEY BEAR, FREIDA SPARVIER, JANET HENRY, FREDA ALLARY, ROBERT GEORGE, AUDREY ISAAC, SHIRLEY FLAMONT, KELLY MANHAS, MAVIS BEAR et MICHAEL KENNY, en leur nom personnel et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de kakisiwew

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD, ET LA BANDE INDIENNE D’OCHAPOWACE NO 71

défenderesses

MOTIFS DU JUGEMENT

TABLE DES MATIÈRES

SECTIONS :

Nos de PARAGRAPHES

I.  Aperçu

[1]

A.  Introduction

[1] – [2]

B.  Résumé des faits

[3] – [12]

II.  Parties

[13] – [17]

III.  Témoins

[18]

A.  Éléments de preuve fondés sur l’histoire orale

[18] – [21]

1)  Sharon Bear

[22] – [25]

2)  Wesley Bear

[26] – [27]

3)  Sam Isaac

[28] – [29]

4)  Ross Allary

[30] – [32]

5)  Cameron Watson

[33]

B.  Témoins ordinaires

[34]

1)  Témoins des demandeurs

[35] – [38]

2)  Témoins ordinaires de la bande d’Ochapowace

[39] – [43]

3)  Témoins ordinaires du Canada

[44] – [48]

C.  Témoins experts

[49]

1)  M. Kenton Storey

[50] – [52]

2)  M. Robert Nestor

[53] – [55]

3)  M. Bruce Miller

[56] – [58]

4)  M. Derek Whitehouse-Strong

[59] – [61]

(5)  M. Alexander von Gernet

[62] – [66]

IV.  Approche à l’égard des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale

[67] – [78]

V.  Contra Proferentem et présomption de régularité

[79] – [86]

VI.  Éléments de preuve historiques

[87]

A.  Présentation des données historiques

[87] – [102]

B.  Bandes historiques signataires du Traité no 4

[103] – [107]

C.  Création de réserves en 1876

[108] – [117]

D.  Utilisation des réserves créées en 1876

[118] – [127]

E.  Nouvel arpentage et regroupement

[128] – [130]

1)  Résumé du dossier historique sur la réinstallation et le regroupement

[131] – [144]

2)  Conclusions sur la réinstallation de la réserve de Kakisiwew

[145] – [151]

3)  Conclusions sur la réinstallation de la réserve de Chacachas

[152] – [160]

F.  Fusionnement

[161] – [171]

G.  Les bandes après le fusionnement

[172] – [186]

H.  Création du Registre des Indiens en 1951

[187] – [190]

I.  Décret de 1973

[191]

J.  Lois, politiques et pratiques historiques

[192]

1)  Création d’une réserve

[193] – [194]

2)  Cession de réserve et nouvel emplacement

[195] – [198]

3)  Transfert des membres et fusionnement

[199] – [205]

4)  Éléments de preuve généraux des conditions de privation de nourriture et de restriction en matière de mobilité

[206] – [210]

VII.  Époque contemporaine

[211]

A.  Droits fonciers issus des traités et accords de règlement concernant la cession

[211] – [225]

B.  Reconnaissance des bandes historiques

[226] – [234]

C.  Article 17 et Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes

[235] – [239]

D.  Liens des demandeurs avec les bandes de Kakisiwew et de Chacachas

[240] – [249]

VIII.  Historique de la procédure

[250] – [253]

IX.  Questions en litige

[254] – [256]

X.  Analyse

[257]

A.  Les bandes du chef Chacachas et du chef Kakisiwew ont-elles été fusionnées, regroupées ou jointes d’une autre manière?Le cas échéant, était-ce fait d’une manière valable?

[257] – [266]

1)  Création de réserves en 1876

[267] – [277]

2)  Cession des premières réserves et création d’une réserve commune

[278] – [286]

3)  Fusionnement

[287] – [289]

a)  Obligations fiduciaires en matière de fusionnement

[290] – [293]

b)  Obligations issues de traités et honneur de la Couronne

[294] – [311]

B.  La bande de Chacachas et la bande de Kakisiwew peuvent-elles continuer à faire valoir leurs droits et à les exercer en tant que bandes distinctes liées par un traité?

[312] – [313]

1)  Distinction entre une bande au sens de la Loi sur les Indiens et une « bande liée par un traité »

[314] – [321]

2)  Statut des bandes de Chacachas et de Kakisiwew en tant que [traduction] « bandes distinctes liées par un traité »

[322] – [326]

3)  Incidence de la Loi sur les Indiens sur les droits issus de traités

[327] – [330]

C.  Les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ont-elles été empêchées de faire valoir qu’elles sont des bandes distinctes liées par un traité en raison de délais de prescription légal, de délais préjudiciables, de l’acquiescement ou de l’irrecevabilité?

[331]

1)  Irrecevabilité résultant d’une déclaration

[332] – [345]

2)  Délais de prescription légaux

[346] – [348]

a)  Délais de prescription applicables aux affaires de droit autochtone

[349] – [352]

b)  Application des lois sur les délais de prescription de la Saskatchewan

[353] – [364]

c)  Possibilité de découverte des faits

[365] – [373]

d)  Manquement continu

[374] – [375]

e)  Manquement frauduleux aux obligations fiduciaires ou dissimulation frauduleuse

[376] – [381]

3)  Délai préjudiciable et acquiescement

[382] – [390]

D.  Les demandeurs ont-ils qualité pour formuler les présentes demandes?

[391] – [396]

1)  Compétence pour solliciter un jugement déclaratoire

[397]

2)  Appartenance des demandeurs à la bande d’Ochapowace

[398] – [403]

3)  Critères relatifs aux instances par représentation

[404] – [412]

4)  Application du critère aux instances des représentants

[413]

a)  Qualité pour agir des demandeurs Watson

[414] – [436]

b)  Qualité pour agir des demandeurs Bear

[437] – [443]

E.  Si les bandes historiques ont été fusionnées illégalement, quel est le statut juridique des bandes de Chacachas, de Kakisiwew et d’Ochapowace?

[444] – [467]

F.  Jugement déclaratoire

[468] – [478]

1)  Possibilité d’obtenir un jugement déclaratoire

[479] – [485]

2)  Délais de prescription n’excluant pas le jugement déclaratoire

[486] – [504]

3)  Existence d’autres moyens adéquats

[505] – [521]

G.  Résumé

[522] – [524]

XI.  Dépens

[525] – [526]

XII.  Deuxième phase

[527] – [528]

LE JUGE PHELAN

I.  Aperçu

A.  Introduction

[1]  La question centrale en l’espèce est celle de savoir si deux bandes signataires distinctes issues de traités ont fait à tort l’objet d’une fusion par le Canada. La question subsidiaire est de savoir si les événements des 135 dernières années au cours desquelles le Canada a traité les deux bandes comme une seule empêchent ces bandes de demander des réparations à la Cour si la fusion était illégale. Ces actions sont largement menées par ceux qui se présentent comme des membres de la bande de Chacachas et qui cherchent à rétablir cette bande d’une manière quelconque non encore définie.

[2]  Les traités sont souvent définis comme des [traduction] « promesses sacrées ». Sacrées ou profanes, il s’agit de promesses faites qui doivent être respectées. En fusionnant deux bandes signataires du Traité no 4, la bande de Chacachas et la bande de Kakisiwew, sans leur consentement, la Couronne a manqué à ses obligations fiduciaires envers les deux bandes et n’a pas fait honneur aux promesses visées dans le Traité no 4, conformément au principe de l’honneur de la Couronne. En obligeant les deux bandes à partager une réserve, à recevoir des annuités de traité ensemble et à partager une structure de gouvernance de bande, sans leur consentement, la Couronne a empêché les bandes d’exercer leurs droits issus de traités en tant que collectivités détentrices de droits distinctes.

B.  Résumé des faits

[3]  Le chef Chacachas et le chef Kakisiwew ont chacun présenté leur point de vue dans le Traité no 4 conclu entre Sa Majesté la Reine et les tribus indiennes des Cris et des Saulteux à Qu’Appelle et à Fort Ellice : Affaires indiennes et du Nord Canada, 15 septembre 1874, [traité no 4] au nom de leurs bandes respectives et de leurs membres le 15 septembre 1874. Les promesses du traité no 4 comptaient notamment la promesse d’une réserve pour chaque bande ainsi que des outils agricoles et des versements des annuités aux termes du traité.

[4]  Je ferai référence à la bande historique dont le chef Chacachas était à sa tête en tant que bande de Chacachas et à la bande historique dont le chef Kakisiwew, en tant que bande de Kakisiwew (collectivement, les « bandes historiques ») [1] .

[5]  En 1876, des terres distinctes ont été arpentées pour les bandes de Chacachas et de Kakisiwew dans la région de la rivière Qu’Appelle et du lac Crooked dans le sud de la Saskatchewan. La question de savoir si ces terres sont devenues des réserves est une en litige en l’espèce, compte tenu de la consignation limitée de l’utilisation des terres par les bandes historiques entre 1876 et 1881.

[6]  En 1881, une réserve commune a été arpentée pour les bandes de Kakisiwew et de Chacachas. Les terres arpentées en 1876 n’étaient plus considérées par le Canada comme des réserves pour les bandes de Kakisiwew et de Chacachas. Les bandes de Kakisiwew et de Chacachas ont fusionné en 1884, lorsque le chef Ochapowace a été élu chef de la bande fusionnée. Cette bande est ensuite devenue la bande d’Ochapowace.

[7]  Le principal fait historique contesté en l’espèce est la question de savoir si les bandes de Kakisiwew et de Chacachas ont accepté d’intégrer une réserve commune et de devenir une seule bande fusionnée.

[8]  La capacité des bandes de Kakisiwew et de Chacachas à revendiquer des réserves distinctes au titre du traité no 4 est aussi influencée par deux accords de règlement conclus par la bande d’Ochapowace avec le Canada dans les années 1990 : un accord qui a permis de régler la revendication visant à faire valoir un droit foncier issu du Traité no 4 (accord de règlement sur les droits fonciers issus de traités (DFIT)) et un accord de règlement particulier, qui a permis de régler la revendication de la bande d’Ochapowace relative à une prétendue cession irrégulière de terres en 1919 [accord de règlement concernant la cession de 1919].

[9]  Les présents motifs portent sur la phase initiale de l’action réunie intentée par les demandeurs dans T-2153-00 (les demandeurs Watson) et les demandeurs dans T-2155-00 (les demandeurs Bear) pour répondre aux questions suivantes énoncées par le juge Hugessen en 2008 et modifiées en 2011 : [traduction]

  1. Existait-il une bande indienne dirigée par le chef Chacachas en 1874?

  2. Existait-il une bande indienne dirigée par le chef Kakisiwew en 1874?

  3. Les bandes du chef Chacachas et du chef Kakisiwew ont-elles été fusionnées, regroupées ou jointes d’une autre manière? Le cas échéant, était-ce fait d’une manière valable?

  4. Sinon, les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ont-elles le droit d’être reconnues comme des bandes distinctes liées par un traité? Le cas échéant, les bandes de Chacachas et de Kakisiwew étaient-elles percluses ou empêchées d’une autre façon d’affirmer qu’elles sont sur une liste de bandes liées par un traité?

  5. Si les bandes de Chacachas et de Kakisiwew existent en tant que bandes distinctes liées par un traité, quel est leur statut juridique?

  6. Les demandeurs nommés aux dossiers T-2153-00 et T-2155-00 sont-ils membres de la bande de Chacachas ou de la bande de Kakisiwew ou sont-ils membres de la bande indienne d’Ochapowace? Les demandeurs nommés ci-dessus représentent-ils de façon valable les personnes qui sont membres soit de la bande de Chacachas soit de la bande de Kakisiwew?

  7. La bande indienne d’Ochapowace no 71 reconnue par la Couronne continue-t-elle d’exister en tant que bande liée par un traité compte non tenu de la décision sur les réponses aux questions 1 à 6 ci‑dessus?

[10]  J’ai essayé de mettre l’accent sur les questions en litige à aborder en répondant aux sept questions énoncées par le juge Hugessen. Toutefois, aborder ces questions nécessite tout de même un examen des prochaines phases potentielles du procès. Au cours de la phase initiale, la seule mesure de réparation demandée est le jugement déclaratoire et des conclusions pouvant appuyer d’autres phases du procès, mais je suis conscient du fait que dans leurs déclarations, les demandeurs indiquent qu’ils prévoient demander une réparation en raison d’un manquement aux obligations fiduciaires, d’un abus de confiance, de la violation du traité et de la conversion, au cours des prochaines phases du procès.

[11]  Les parties ont bien voulu de répondre aux deux premières questions énoncées par le juge Hugessen, indiquant que 1) il existait une bande indienne dirigée par le chef Chacachas et 2) il existait une bande indienne dirigée par le chef Kakisiwew en 1874, lorsque les deux chefs ont signé le Traité no 4.

[12]  Dans l’ensemble, j’ai conclu que les demandeurs avaient droit à une déclaration selon laquelle les bandes historiques ont été fusionnées illégalement. Toutefois, pour le moment, j’ai refusé de faire une déclaration portant sur le statut juridique des bandes de Chacachas, de Kakisiwew et d’Ochapowace, en raison de l’absence d’un dossier pertinent, comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs. Cette question fera partie de la prochaine étape de la présente procédure contentieuse.

II.  Parties

[13]  Les demandeurs Watson, Peter Watson, Sharon Bear, Charlie Bear, Winston Bear et Sheldon Watson présentent leur revendication en tant que chefs de famille des descendants directs de la bande historique de Chacachas, se représentant eux-mêmes et tous les autres membres de la bande de Chacachas.

[14]  Les demandeurs Bear, Wesley Bear, Freida Sparvier, Janet Henry, Freda Allary, Robert George, Audrey Isaac, Shirley Flamont, Kelly Manhas, Mavis Bear et Michael Kenny présentent leur revendication en leur nom personnel et au nom de tous les autres membres de la bande historique de kakisiwew.

[15]  La bande indienne d’Ochapowace (Ochapowace) est codéfenderesse et demanderesse reconventionnelle. Ochapowace est une bande existante aux termes de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5 (Loi sur les Indiens) reconnue par le Canada comme étant la bande qui a succédé à la bande de Kakisiwew et à la bande de Chacachas. La bande d’Ochapowace a une réserve, la réserve d’Ochapowace no 71 (la réserve d’Ochapowace), au sud de la rivière Qu’Appelle, en Saskatchewan. Tous les demandeurs Watson et Bear nommés sont membres de la bande indienne d’Ochapowace.

[16]  La bande d’Ochapowace allègue qu’elle est dans une position d’administrateur involontaire pour les membres de la bande de Chacachas et de la bande de Kakisiwew, au moyen d’une fiducie constructoire formée à l’issue d’une action unilatérale de la Couronne visant à fusionner les bandes de Chacachas et de Kakisiwew. La demande reconventionnelle de la bande d’Ochapowace contre le Canada vise l’obtention pleine et entière d’une indemnisation des dommages-intérêts et des dépens découlant de la présente action, ainsi que des dommages-intérêts et des dépens liés au fait d’agir à titre d’administrateur et qui découlent de l’accord de règlement sur les DFIT évoqué dans les présents motifs. Ces questions n’ont pas été abordées dans la phase initiale du procès.

[17]  Sa Majesté la reine du chef du Canada (le Canada ou la Couronne), représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, est codéfenderesse et défenderesse reconventionnelle.

III.  Témoins

A.  Éléments de preuve fondés sur l’histoire orale

[18]  Quatre aînés ont fourni des éléments de preuve verbaux concernant l’histoire des bandes de Kakisiwew, de Chacachas et d’Ochapowace après la signature du Traité no 4 en 1874 : Sharon Bear, Wesley Bear, Sam Isaac et Ross Allary. L’examen de la transcription de l’interrogatoire préalable du défunt Cameron Watson datant de 2004 a été déposé en preuve et contient aussi de l’histoire orale.

[19]  Le témoignage de l’histoire orale a été entendu dans la réserve d’Ochapowace au cours de la première semaine du procès.

[20]  Chaque aîné a été présenté par un membre de la communauté qui a décrit comme l’aîné était reconnu dans la communauté. Le Canada a mené un contre-interrogatoire limité relativement au témoignage de l’histoire orale.

[21]  Un livre dans lequel sont consignés les récits des aînés d’Ochapowace, appelé Kehte-ayak, a également été déposé en preuve. Le livre n’a pas été créé en vue d’une procédure contentieuse ni comme un dossier historique. La Cour accorde moins de poids à ces récits du livre lorsqu’elle examine ce qui s’est passé relativement au fusionnement, compte tenu du témoignage de vive voix des aînés qui a permis à la Cour d’évaluer la fiabilité de l’histoire orale. Il est plus difficile d’évaluer la fiabilité de l’histoire orale consignée dans le livre, en particulier lorsque l’histoire orale n’a pas nécessairement été racontée dans le but de créer un dossier historique.

1)  Sharon Bear

[22]  Sharon Bear a fait part de ses connaissances de l’histoire orale en tant qu’aînée de la bande de Chacachas. Elle est également nommée comme demanderesse Watson. Elle a été présentée par Morley Watson qui a décrit les qualités et l’importance des aînés et de l’histoire orale dans la communauté de Chacachas. Sharon Bear a fait part de sa connaissance du rôle des aînés, des protocoles liés à la communication de l’histoire orale et de l’histoire des bandes de Chacachas et de Kakisiwew tirée de récits qui lui ont été transmis par ses aînés. Elle a raconté que son arrière-grand-père paternel était un Kanawashqahum associé à la bande de Kakisiwew. Elle s’est présentée comme membre de la bande de Chacachas, car ses parents se présentaient comme faisant partie de la bande de Chacachas en raison de leur lien avec l’arrière-grand-père maternel de Sharon, Little Assiniboine/Wasimosis [transcription phonétique], qui était dirigeant de la bande de Chacachas au moment de la signature du Traité no 4.

[23]  Elle a décrit la manière dont les aînés lui ont dit que la réserve de Chacachas a été choisie, occupée par le peuple de Chacachas, puis reprise à la bande de Chacachas sans l’avoir consultée. Elle a raconté l’histoire d’une femme appelée Kanipatit qui a été la dernière personne à vivre dans la réserve de Chacachas avec son bébé au moment où la bande de Chacachas est allée s’installer dans la réserve commune. Elle a décrit comment le chef Chacachas a continué à être reconnu en tant que chef après que son titre de chef a été démis par suite de son arrestation et de son incarcération. Elle a décrit le fait que les membres de la communauté avaient envoyé une délégation pour demander l’aide d’un avocat nommé Garnet Neff, à Grenfell, pour récupérer cette terre, mais que M. Neff a cessé de travailler pour la bande après avoir été informé qu’il serait radié pour venir en aide à la délégation de Chacachas.

[24]  Une question a été soulevée plus tard au cours du procès lorsqu’on a constaté que Sharon Bear avait été enregistré alors qu’elle discutait des éléments de preuve qu’elle voulait déposer avec les membres de sa famille et d’autres personnes lors d’une pause, peu avant la fin de son témoignage d’histoire orale. Même si les discussions étaient mal avisées, rien dans les discussions enregistrées n’ont indiqué que la crédibilité de Sharon Bear en tant qu’aînée serait minée.

[25]  Sharon Bear a nommé les aînés qui lui avaient raconté l’histoire de la réserve de Chacachas et de sa réinstallation. Elle a décrit la manière dont elle a appris les histoires orales des aînés en écoutant leurs chansons et leurs récits, souvent lorsque les venaient rendre visite à ses parents. Lorsqu’on leur rendait visite, on leur donnait du tabac, ce qui fait partie du protocole de l’histoire orale, lorsqu’on demande à quelqu’un de faire part de ses connaissances.

2)  Wesley Bear

[26]  Wesley Bear a été appelé à faire part de l’histoire orale en tant qu’aîné de Kakisiwew. Il a été présenté par Audrey Isaac, dirigeante actuelle d’Ochapowace, Audrey Isaac. Il fait également partie des demandeurs Bear nommés.

[27]  Il a expliqué son lien de filiation avec Jacob Bear, qui est devenu membre de la bande de Kakisiwew et a servi de traducteur lors des négociations du Traité no 4. M. Wesley a appris l’existence des bandes de Chacachas et de Kakisiwew par Cameron Watson et le chef Denton George une fois nommé au conseil de bande d’Ochapowace. Son témoignage a principalement confirmé que les aînés lui ont dit que deux réserves avaient été mises de côté pour les bandes de Chacachas et de Kakisiwew.

3)  Sam Isaac

[28]  Sam Isaac a été cité à titre d’aîné de Kakisiwew pour témoigner de l’histoire orale. Sam a expliqué la filiation de la famille de sa mère avec le chef Kakisiwew et que le nom de famille de son père venant de Kahkewistahaw (une Première Nation voisine). Il a expliqué comment quelqu’un devenait aîné et qu’il pensait avoir commencé avoir appris l’histoire orale alors que sa mère était enceinte de lui. Il a expliqué la nature héréditaire des chefs dans la culture des Cris des Plaines.

[29]  Il a aussi expliqué que son oncle lui avait raconté que le chef Chacachas avait quitté la réserve pour inciter le peuple Chacachas à revenir au Canada, mais il est décédé aux États-Unis. Il a raconté que le gouvernement n’avait pas consulté le peuple avant d’installer la bande de Chacachas dans la réserve de Kakisiwew. Il a aussi indiqué avoir appris les difficultés subies par la bande en raison du système de laissez-passer, de la retenue de rations et de la conduite et des mauvais traitements infligés par les agents des Indiens grâce à l’histoire orale.

4)  Ross Allary

[30]  Ross Allary a témoigné en tant qu’aîné d’Ochapowace et a fait part de l’histoire orale que lui ont transmise ses aînés. Il a été présenté par Petra Belanger, actuelle dirigeante d’Ochapowace. Ross Allary a présenté son histoire familiale et s’est présenté en tant que membre des Kakisiwew, bien que certains de ses proches soient des descendants des Chacachas.

[31]  Les aînés lui ont parlé, en particulier Ivan Watson et Arthur George, du Traité no 4 et des premières réserves de Chacachas et de Kakisiwew. Ross Allary a pu marquer sur une carte où l’aîné Ivan Watson l’avait emmené pour lui montrer à quel endroit se situaient les premières réserves de Chacachas et de Kakisiwew. Ross Allary a décrit comment le chef Chacachas avait demandé au chef Kakisiwew de veiller sur son peuple lorsqu’il est parti chercher le reste du peuple de Chacachas qui s’était déplacé, mais le chef Chacachas n’est jamais revenu chez lui. Plus tard, lorsque le peuple d’Ochapowace a demandé ce qui s’était passé dans la réserve de Chacachas, l’instructeur de ferme l’avait expliqué à la bande en plaçant un livre sur un autre pour expliquer comment les réserves de Chacachas et de Kakisiwew ont été fusionnées. Dans le contexte de l’espèce, la Cour comprend qu’il s’agit d’une fusion symbolique.

[32]  Ross Allary a aussi décrit que le gouvernement avait dit à l’avocat, Garnet Neff, embauché par les membres d’Ochapowace, de cesser d’agir au nom des anciens membres de Chacachas, sans quoi il risquait de perdre sa licence. Le travail effectué par M. Neff a eu lieu à une époque où un avocat ne pouvait pas facturer d’honoraires à un Indien sans le consentement du gouvernement fédéral.

5)  Cameron Watson

[33]  Cameron Watson a été interrogé lors d’un interrogatoire préalable les 19 et 20 janvier 2004 et l’intégralité de la transcription de son interrogatoire a été admise comme élément de preuve. Lors de son interrogatoire préalable, il a décrit ce qu’il comprenait de l’histoire des Chacachas, qui a découlé de plusieurs récits d’aînés et de recherches historiques parmi des documents. Dans son récit, le chef Chacachas et le chef Kakisiwew s’étaient chacun vu promettre une réserve distincte aux termes du Traité no 4. La bande de Kakisiwew s’est installée dans une réserve plus au sud, car elle n’avait pas assez de bois. Toutefois, la bande Chacachas n’a jamais accepté de fusion et n’a jamais cessé de reconnaître le chef Chacachas en tant que chef.

B.  Témoins ordinaires

1)  Témoins des demandeurs

[34]  Les demandeurs Watson ont cité trois témoins ordinaires : Morley Watson, Sharon Bear et Sheldon Watson. L’examen de la transcription de l’interrogatoire préalable de Cameron Watson a été déposé en preuve et contenait aussi des renseignements pertinents. Les demandeurs Bear n’ont cité aucun témoin ordinaire, mis à part les témoins susmentionnés ayant présenté des éléments de preuve de tradition orale.

[35]  Morley Watson a décrit ce qu’il comprenait des négociations concernant l’accord de règlement sur les droits fonciers issus de traités qui ont commencé lorsqu’il était chef d’Ochapowace de 1983 à 1987 – en termes généraux, un moyen de compenser les terres prises à tort par les gouvernements fédéraux et provinciaux. Il a aussi précisé ce qu’il comprenait de la manière dont la question des Chacachas et des Kakisiwew a été traitée par le chef et le conseil au cours des dernières années. Morley a été élu porte-parole des Chacachas en 2017 aux fins de la présente procédure contentieuse.

[36]  Sharon Bear a témoigné en tant que témoin ordinaire, en raison de ses propres actions et de ses connaissances séparément de son témoignage concernant l’histoire orale. Elle a parlé de son rôle auprès de Cameron Watson dans les années 1990 pour chercher à faire reconnaître la bande de Chacachas. Elle faisait partie du groupe de Chacachas qui a été mis en place pour défendre la reconnaissance. Elle était administratrice de la fiducie foncière des droits fonciers issus de traités [DFIT] ayant permis l’achat de certaines des premières terres de réserve de Chacachas, grâce aux fonds de l’accord de règlement sur les DFIT d’Ochapowace. Elle a exprimé son point de vue selon lequel l’appartenance à la bande de Chacachas serait fondée sur un ensemble de descendants des membres initiaux des Chacachas et de personnes choisies par les membres.

[37]  Sheldon Watson a témoigné en tant que personne se reconnaissant comme membre de la Première Nation de Chacachas et a été nommé demandeur dans l’action Watson. Il est actuellement un dirigeant élu de la bande de Chacachas. Il a décrit les mesures prises dans les années 1990 pour que les Chacachas soient reconnus par la bande d’Ochapowace et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il a expliqué que la création de la bande de Chacachas aux termes de la Loi sur les Indiens n’était pas souhaitable pour le groupe de Chacachas.

[38]  Lors de son interrogatoire préalable, Cameron Watson a décrit le début du contentieux à la fin des années 1990 et a présenté son point de vue selon lequel l’appartenance à la bande de Chacachas et à la bande de Kakisiwew devrait être fondée sur les liens ancestraux des membres avec les personnes figurant sur les listes initiales de la bande de Chacachas et de la bande de Kakisiwew. Il a également désigné les membres associés aux chefs ou aux conseils de 1912 à 2004 qui faisaient partie de la bande de Chacachas et de la bande de Kakisiwew ou d’un nouveau groupe de membre d’Ochapowace, non liés aux bandes historiques selon lui. Il a reconnu que les faits essentiels sur les deux bandes et leur fusion involontaire étaient connus des membres de la bande au cours du XXe siècle.

2)  Témoins ordinaires de la bande d’Ochapowace

[39]  La bande d’Ochapowace a cité trois témoins ordinaires : Petra Belanger, Ross Allary et la chef Margaret Bear. L’examen de la transcription de l’interrogatoire préalable du défunt chef Denton George a aussi été admis comme élément de preuve.

[40]  Petra Belanger est chargée du portefeuille de l’administration, des finances et de la justice en tant que dirigeant du conseil de la bande d’Ochapowace. Elle a parlé des finances de la bande d’Ochapowace avant et après les accords de règlement, y compris l’utilisation de fonds de règlement pour l’achat de terres. Elle a également parlé de ce qu’elle comprend des accords de règlement et de l’appartenance aux bandes historiques. Elle n’a pas dit estimer être membre de la bande de Chacachas ou de la bande de Kakisiwew, mais a adopté la position selon laquelle elle devrait pouvoir décider ultérieurement de son appartenance à une bande si les bandes historiques se séparaient de la bande d’Ochapowace.

[41]  Ross Allary a témoigné au sujet des événements de sa vie en tant que résident de la réserve d’Ochapowace et à titre de membre du conseil d’Ochapowace à l’époque des négociations relatives aux accords de règlement dans les années 1990. Il a témoigné au sujet du processus de négociation de l’accord-cadre relatif aux DFIT, de l’accord de cession lié aux DFIT et l’accord de règlement concernant la cession de 1919. Il a mentionné que la bande d’Ochapowace ne serait pas divisée selon la politique de division de bande du ministère, car cette politique ne reconnaîtrait pas le fait que les bandes de Kakisiwew et de Chacachas étaient des bandes issues de traités et en raison de la nature [traduction] « sans frais » de la politique. Il n’a pas admis que Cameron Watson détermine l’appartenance à une bande en se fondant sur la descendance. Une partie du témoignage de Ross Allary sur ce qu’il comprend de l’accord de règlement est devenu nébuleux, en particulier lorsqu’il a refusé de dire ce que la bande d’Ochapowace recherchait dans la deuxième phase de la procédure contentieuse.

[42]  La chef Margaret Bear a décrit son expérience de collaboration avec le ministère des Affaires indiennes [le Ministère] [2] , alors qu’elle siégeait au conseil de la bande d’Ochapowace, d’abord comme conseillère, puis comme chef. Elle a décrit comment elle a appris l’existence de la question des bandes historiques liées par un traité. Elle avait une connaissance générale des négociations des accords de règlement dans les années 1990. Elle a indiqué qu’elle pensait que l’appartenance à des bandes historiques et à la bande d’Ochapowace devait être décidée par le choix individuel des membres de la bande, elle se considère membre de la bande de Kakisiwew. Elle a aussi décrit de manière générale ce qu’elle savait des finances et des investissements de la bande d’Ochapowace, bien qu’elle soit restée vague dans ses réponses aux questions sur les finances de la bande et les projets d’avenir de la bande d’Ochapowace, tout comme Ross Allary.

[43]  Le défunt chef Denton George a été soumis à un interrogatoire préalable en 2004. La transcription intégrale de son interrogatoire préalable a été admise comme élément de preuve. Il a principalement été interrogé sur sa connaissance des DFIT et des négociations concernant l’accord de règlement de revendications particulières en tant que chef pendant cette période. Il a pu désigner et expliquer plusieurs lettres qui ont été envoyées entre la bande d’Ochapowace et le Ministère durant la période qui a précédé et suivi les accords de règlement.

3)  Témoins ordinaires du Canada

[44]  Le Canada a cité quatre témoins ordinaires : Graham MacDonald, Alois Gross, Violet Kayseass et Andrew Doraty.

[45]  Graham MacDonald est conseiller principal en matière de politiques au sein de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, qui travaille sur des dossiers du Tribunal des revendications particulières et offre des conseils en matière de politiques relativement à l’application de la politique sur les DFIT de 1998. Il a fourni des renseignements utiles sur les DFIT et les diverses dispositions négociées avec différentes Premières Nations au fil des années. Il n’a fourni aucun élément de preuve précis concernant les répercussions de l’accord de règlement sur les DFIT sur les bandes d’Ochapowace, Chacachas ou de Kakisiwew.

[46]  Alois Gross a pris sa retraite en 1996, mais a travaillé au ministère des Affaires indiennes pendant près de 30 ans. Il a travaillé en tant que négociateur en chef pour le Canada dans le cadre de l’accord-cadre sur les DFIT de la Saskatchewan et l’accord de règlement concernant la cession de 1919. Il a aussi joué un rôle de conseiller lors des négociations de l’accord de règlement sur les DFIT. Il a décrit le processus de négociation de l’accord-cadre sur les DFIT et de l’accord de règlement de la Commission d’établissement des soldats. M. Gross a compris que la question de la fusion des réserves de Kakisiwew et de Chacachas a été écartée pendant les négociations sur les DFIT et l’établissement des soldats.

[47]  Violet Kayseass est une employée de Services aux Autochtones Canada et travaille au sein du Ministère depuis 1995. Elle a témoigné au sujet de la politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes qui permet la création de nouvelles bandes ou la division de bandes au titre de l’article 17 de la Loi sur les Indiens, si certains critères sont respectés.

[48]  Andrew Doraty travaille au Bureau du registraire des Indiens au sein de Services aux Autochtones Canada. Il travaille pour le Ministère depuis 30 ans. Il a fourni des renseignements généraux sur le Bureau du registraire des Indiens. Il a supervisé une recherche dans le Registre des Indiens et a conclu qu’aucune protestation n’a été déposée par les membres d’Ochapowace, de Kakisiwew ou de Chacachas en 1951, lorsque le Registre des Indiens a été créé.

C.  Témoins experts

[49]  En tout, les parties ont cité un total de cinq témoins experts qui ont abordé des aspects du dossier historique et des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale. J’ai résumé leurs qualifications et les thèmes visés par leurs commentaires ici, mais j’aborderai plus en détail les témoignages des experts tout au long de mon analyse du contexte historique de l’espèce.

1)  M. Kenton Storey

[50]  M. Storey a été cité par les demandeurs et par la bande d’Ochapowace, et a été reconnu à titre d’expert en recherche et en analyse de documents historiques, notamment en ce qui concerne les événements ayant eu lieu dans l’Ouest canadien au cours des périodes visées par l’action. Il est titulaire d’un doctorat en histoire et a travaillé en tant que chercheur historique et a enseigné l’histoire canadienne à l’University Brandon, en tant que chargé de cours à temps partiel. Ses recherches universitaires étaient principalement axées sur les titres et traités autochtones en Nouvelle-Zélande et en Colombie-Britannique, mais il a écrit quelques articles sur l’histoire des Prairies. C’est la première fois qu’il écrivait un rapport d’expert et qu’il témoignait en tant qu’expert devant une Cour.

[51]  Il a témoigné que les bandes de Chacachas et de Kakisiwew avaient probablement accepté leurs réserves initiales en 1876. M. Storey a conclu qu’il était probable que les bandes de Kakisiwew et de Chacachas n’aient pas été consultées relativement au nouvel arpentage des réserves, de leur regroupement ou de leur fusion. Il a aussi conclu qu’il était peu probable que la bande de Chacachas aurait accepté un nouvel arpentage ou un regroupement alors que le chef Chacachas et deux dirigeants n’étaient pas présents.

[52]  Bien que dans une partie de son hypothèse, M. Storey ait été trop loin, dans l’ensemble, je trouve qu’il est un témoin crédible dont les conclusions ont été bien expliquées et qui correspond aux autres éléments de preuve.

2)  M. Robert Nestor

[53]  M. Nestor a également été cité en tant qu’historien expert par les demandeurs et la bande d’Ochapowace, et reconnu à titre d’historien expert pour répondre aux questions liées aux protocoles des Cris des Plaines relatifs aux déplacements entre bandes, la reconnaissance des bandes de Chacachas et de Kakisiwew, la politique du gouvernement et la loi concernant la création de réserves, la cession, le fusionnement et le transfert de bandes, ainsi qu’aux questions liées à ce qui s’est passé relativement au nouvel arpentage et à la fusion des bandes de Chacachas et de Kakisiwew. Il est titulaire d’une maîtrise en études sur les plaines canadiennes (Canadian Plains Studies), mais n’a pas obtenu son doctorat. Il a enseigné en tant que chargé de cours à temps partiel pendant 22 ans dans diverses institutions de l’Ouest canadien et a travaillé en tant que chercheur contractuel, y compris pour la bande d’Ochapowace dans d’autres procédures contentieuses.

[54]  M. Nestor a conclu que les bandes historiques n’avaient pas été consultées au sujet de nouveaux arpentages, de regroupement ou de fusionnement. Fait important, il a conclu que la pratique du gouvernement dans les années 1880 était de solliciter le consentement des bandes pour le transfert d’appartenance et le fusionnement. Il a également conclu qu’aucune ordonnance n’était requise pour créer une réserve lors de la période visée.

[55]  Bien qu’une partie du témoignage de M. Nestor sur les politiques et les textes de loi historiques ait été utile, une partie de son témoignage s’apparentait aussi à des conclusions ou des arguments juridiques. Ses conclusions et l’attention qu’il porte aux détails des documents historiques étaient moins approfondies que celles de M. Storey ou de l’expert cité par le Canada, M. Whitehouse-Strong. Par conséquent, j’ai eu tendance à accorder moins de poids à l’opinion de M. Nestor.

3)  M. Bruce Miller

[56]  La bande d’Ochapowace a cité M. Bruce Miller à titre expert en réponse à M. Von Gernet, l’expert cité par le Canada pour donner un avis sur les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale recueillis lors du procès. M. Miller a été reconnu à titre d’expert en ethnographie et en ethnohistoire des peuples autochtones en Amérique du Nord ainsi qu’en histoire orale, en théorie et en méthodes. M. Miller est titulaire d’un doctorat en anthropologie et il est professeur à l’Université de la Colombie-Britannique. Il est l’auteur d’un livre sur l’utilisation de l’histoire orale dans les tribunaux canadiens dans lequel il a critiqué le travail antérieur de M. von Gernet en tant qu’expert. Il a déjà rédigé des rapports d’expert et témoigné en tant qu’expert devant plusieurs tribunaux.

[57]  M. Miller a critiqué le manque d’expérience de travail sur le terrain de M. von Genet et son manque d’appréciation de l’angle culturel sous lequel l’histoire orale devrait être évaluée. Il n’était pas d’accord pour dire que le [traduction] « retour » – l’effet de sources externes sur le récit de l’histoire orale autochtone – a causé un problème important relativement aux histoires orales, car les historiens oraux autochtones peuvent faire la distinction entre les connaissances qu’ils ont acquises au sein de leurs communautés et les connaissances tirées de sources externes. Il a aussi contesté l’idée que les histoires orales sont simplement des exposés de faits qui doivent seulement être évalués selon leur [traduction] « aspect factuel »; il a encouragé une approche plus holistique axée sur le fond des récits pour décider ce qu’il faut tirer des histoires orales.

[58]  Bien que les arguments de M. Miller sur la nécessité d’apprécier le contexte culturel d’une histoire orale aient été utiles, la majeure partie de son témoignage n’a pas été utile à la Cour, car ni lui ni M. von Gernet n’avaient de connaissances précises sur les récits des Cris de la région de Qu’Appelle ou les traditions quant à l’histoire orale. Les témoignages de M. Miller et M. von Gernet ont davantage constitué une manifestation de leur désaccord théorique plutôt que quelque chose d’utile à la Cour dans l’interprétation des histoires orales présentées par les témoins aînés.

4)  M. Derek Whitehouse-Strong

[59]  M. Whitehouse-Strong a été cité par le Canada et a été reconnu à titre d’historien expert et consultant en recherche indépendant possédant une vaste expertise dans les domaines de la recherche historique, des méthodologies de recherche, des Premières Nations, des Métis et de l’histoire canadienne, des relations entre le gouvernement et les autochtones, des traités, du règlement dans les Prairies, ainsi que des revendications et des droits des autochtones dans les Prairies. Il est titulaire d’un doctorat en histoire axé sur les organismes religieux et les peuples autochtones dans l’Ouest canadien. Il a travaillé en tant que chargé de cours à temps partiel et est l’auteur d’articles publiés sur la négociation de Traités numérotés.

[60]  M. Whitehouse-Strong a répondu aux rapports d’expert de M. Storey et de M. Nestor. Il a principalement adopté une interprétation différente du dossier historique relativement à la question de savoir s’il existait 1) une preuve de l’insatisfaction à l’égard des réserves de Chacachas ou de Kakisiwew ou leur rejet en 1876; 2) une preuve de la consultation avec les bandes de Chacachas et de Kakisiwew pendant la réinstallation, le regroupement et le fusionnement.

[61]  J’ai conclu que M. Whitehouse-Strong était un témoin expert crédible, bien que comme M. Storey, j’ai conclu que certaines de ses théories étaient hypothétiques. J’ai abordé chacun de leurs désaccords question par question et j’ai milité en faveur de chacune de leurs opinions dans différentes parties du présent jugement.

5)  M. Alexander von Gernet

[62]  M. von Gernet a été cité par le Canada et a été reconnu à titre d’historien expert dans les domaines de l’anthropologie et de l’ethnohistoire, spécialisé dans l’utilisation de données archéologiques, de documentation écrite et de preuve verbale pour reconstituer les cultures passées des peuples autochtones ainsi que l’histoire des contacts établis entre les peuples autochtones et les nouveaux arrivants européens dans tout le Canada et dans certaines parties des États-Unis. Il est titulaire d’un doctorat en ethnohistoire et archéologie des peuples autochtones en Amérique du Nord, axé sur l’utilisation du tabac. Il a donné des cours sur l’histoire et la culture autochtone à l’Université de Toronto. Il a déjà été reconnu comme témoin expert sur la méthodologie d’approche relativement aux éléments de preuve fondés sur l’histoire orale devant la Cour. Il a surtout écrit des rapports d’expert pour les Couronnes fédérale et provinciale.

[63]  M. von Gernet a présenté l’approche prudente au cas par cas qu’il adopte quant aux éléments de preuve fondés sur l’histoire orale; cette approche porte sur l’évaluation de [traduction] « l’historicité » d’une histoire orale, ou la capacité d’une histoire orale de montrer ce qui s’est réellement passé. Il a mentionné certains risques associés aux éléments de preuve fondés sur l’histoire orale : ils peuvent être un reflet actuel du passé plutôt que le passé même, ils peuvent être le produit de tentatives de reconstitution du passé par des communautés qui tentent de comprendre leur histoire, et il est possible que certains éléments ne constituent pas des sources d’information indépendantes parce qu’ils mettent à profit des sources externes telles que des documents historiques écrits. Selon M. von Gernet, les documents d’archives servent de référence pour évaluer l’historicité des éléments de preuve verbaux. Il a également donné sa propre interprétation limitée des documents historiques écrits. Il a conclu que le dossier historique indiquait que les bandes historiques avaient vraisemblablement été consultées au sujet de la réinstallation de leurs réserves et du fusionnement, contrairement à ce qu’indiquent les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale.

[64]  Dans l’ensemble, je n’ai pas trouvé utiles les éléments de preuve fournis par M. von Gernet. Il n’a pas vraiment expliqué ce que supposait une approche prudente au cas par cas, qui est déjà l’approche suivie par la Cour quant aux éléments de preuve fondés sur l’histoire orale (voir l’arrêt Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, au paragraphe 87, 153 DLR (4th) 193 [Delgamuukw]). Ses préoccupations quant à la possibilité que les récits oraux reflètent des opinions actuelles plutôt que le passé n’étaient rien de plus que des rappels utiles. Je suis toutefois préoccupé par le fait que M. von Gernet considère que les documents d’archives servent de référence pour évaluer l’histoire orale. Cette idée est problématique parce que la Cour doit placer sur un pied d’égalité l’histoire orale et les éléments de preuve documentaire (Delgamuukw, au paragraphe 87). Admettre l’hypothèse selon laquelle un type d’éléments de preuve peut servir de référence pour en évaluer d’autres reviendrait pour la Cour à présumer, sans preuve en l’espèce, que les éléments de preuve de référence sont intrinsèquement meilleurs ou plus fiables. Ses propos à la limite de l’insistance quant aux éléments de preuve documentaire corroborants ne sont ni utilisables ni conformes à la loi.

[65]  Une telle prémisse, en particulier dans un contentieux intéressant les Autochtones, aurait tendance à discréditer l’histoire d’un peuple qui s’appuyait sur la communication orale plutôt que sur les documents écrits. La tâche de la Cour consiste à tenir compte des multiples sources de preuve et de tirer des conclusions en fonction de l’ensemble.

[66]  En outre, l’examen des éléments de preuve historiques effectué par M. von Gernet reposait sur un ensemble restreint de documents qui ne pouvaient pas refléter l’histoire complexe et les contradictions contenues dans le dossier documentaire complet, ce qui a été abordé en détail par MM. Storey et Whitehouse-Strong.

IV.  Approche à l’égard des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale

[67]  Avant de résumer mes conclusions de fait fondées sur la preuve documentaire, la preuve d’expert et les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale, j’expliquerai ma façon d’aborder les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale, en m’appuyant en partie sur les commentaires formulés par MM. Miller et von Gernet, ainsi que sur la jurisprudence.

[68]  Dans la décision Jim Shot Both Sides c Canada, 2019 CF 789, au paragraphe 94 [Shot Both Sides], le juge Zinn, a récemment résumé les difficultés auxquelles fait face une Première Nation qui présente des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale :

Une bande qui présente des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale dans des cas comme celui-ci est confrontée à une difficulté évidente : ceux qui se rappellent de [sic] l’histoire de la bande n’en ont pas été directement témoins; souvent, ils récitent les histoires de troisième ou de quatrième main à propos d’événements qui se sont déroulés il y a plus d’un siècle. La Cour doit déterminer comment évaluer ces éléments de preuve et quel poids leur accorder. Au paragraphe 68 de l’arrêt R c Van Der Peet, [1996] 2 RCS 507, le juge en chef Lamer a reconnu ces difficultés et à [sic] indiqué aux tribunaux qu’elles ne sauraient faire obstacle à l’acceptation et à la prise en compte des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale :

Pour déterminer si un demandeur autochtone a produit une preuve suffisante pour établir que ses activités sont un aspect d’une coutume, pratique ou tradition qui fait partie intégrante d’une culture autochtone distinctive, le tribunal doit appliquer les règles de preuve et interpréter la preuve existante en étant conscient de la nature particulière des revendications des autochtones et des difficultés que soulève la preuve d’un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n’étaient pas consignées par écrit. Les tribunaux doivent se garder d’accorder un poids insuffisant à la preuve présentée par les demandeurs autochtones simplement parce que cette preuve ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple.

[69]  Les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale doivent être placés sur un pied d’égalité avec les éléments de preuve documentaire historiques, ce qui signifie qu’il faut leur accorder une valeur probante indépendante même s’ils ne sont pas corroborés par d’autres sources historiques ou archéologiques : Delgamuukw, aux paragraphes 87 et 98. La Cour ne peut donc pas accepter l’opinion de M. von Gernet voulant que les éléments de preuve documentaire historiques puissent servir de base, comme méthode générale, pour évaluer la capacité de l’histoire orale à décrire le passé.

[70]  Dans l’arrêt Mitchell c M.R.N., 2001 CSC 33, aux paragraphes 30 à 35, [2001] 1 RCS 911, la Cour suprême du Canada a affirmé que les récits oraux sont admissibles s’ils sont utiles et fiables, et si leurs effets préjudiciables ne l’emportent pas sur sa valeur probante. Les récits oraux sont utiles s’ils offrent une preuve de pratiques ancestrales et de leur importance, ou s’ils fournissent le point de vue autochtone sur les droits et les événements historiques. La fiabilité est évaluée en examinant la manière dont un témoin a pris connaissance de l’histoire orale et des traditions, et les a retracées.

[71]  En l’espèce, les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale ont permis de connaître les points de vue des membres de la bande historique au sujet de la réinstallation, du regroupement, du fusionnement et de la période postérieure au fusionnement. En ce qui concerne la fiabilité, tous les aînés ont pu fournir des renseignements sur les personnes auprès desquelles ils ont appris leur histoire. Le fait que des membres de la bande aient présenté les aînés a permis de confirmer que chacun des aînés s’attirait le respect de sa communauté.

[72]  Sharon Bear, Sam Isaac et Ross Allary ont pu nommer les aînées qui leur avaient fait des récits. Bien que la plupart des récits qu’ils ont entendus semblent avoir été faits dans cadre informel, j’estime que leurs témoignages concernant l’histoire orale sont généralement fiables. Leurs récits avaient des thèmes communs, notamment l’absence de consultation quant à la cession des réserves et au fusionnement des bandes, le fait que le chef Chacachas avait, alors qu’il se dirigeait vers le sud à la recherche d’autres membres de la bande de Chacachas, demandé au chef Kakisiwew de s’occuper du reste de son peuple pendant son absence, ou encore le fait que Garnet Neff, un avocat embauché par les descendants des Chacachas dans les années 1930, avait cessé d’agir pour le compte des descendants des Chacachas parce qu’il craignait d’être radié.

[73]  J’accorderais moins d’importance à l’histoire orale obtenue grâce au témoignage de Wesley Bear. Ce faisant, je n’affirme pas que le témoignage de Wesley Bear manque de crédibilité, mais plutôt qu’il a souligné que ce sont Cameron Watson et Denton George, dont les transcriptions ont été déposées en preuve, qui lui avaient parlé des bandes de Chacachas et de Kakisiwew. De plus, il semblait avoir appris la majorité de son histoire orale alors qu’il était conseiller et jouait donc un rôle politique. Cela contraste avec les autres aînés, dont les connaissances ont été obtenues auprès de leurs propres aînés dans le contexte d’un enseignement en vue de devenir gardiens de l’histoire, enseignement qui commençait pendant l’enfance.

[74]  J’accorde également moins d’importance à l’histoire orale relatée dans la transcription de Cameron Watson parce qu’il a reconnu l’avoir apprise à la fois grâce à l’histoire orale et en étudiant des documents d’archives. De plus, la transcription est un format qui rend difficile l’identification des sources de certaines histoires racontées par Cameron Watson.

[75]  J’estime donc que les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale font partie de l’ensemble d’éléments de preuve sur lequel il faut s’appuyer en l’espèce. Le Canada, bien qu’il ait remis en question la véracité de certains éléments de preuve fondés sur l’histoire orale, s’y est également fié en partie dans ses observations, notamment en ce qui concerne les délais de prescription.

[76]  Les commentaires formulés par le juge Zinn, au paragraphe 96 de Shot Both Sides, résument encore une fois de façon constructive une approche générale quant à l’histoire orale, et c’est l’approche que j’ai adoptée en l’espèce même si je note que l’évaluation de l’histoire orale se poursuit au cas par cas :

L’évaluation de la valeur des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale se résume au poids qu’on leur accorde. Je suis guidé par ce qui suit pour évaluer ces éléments de preuve. Lorsque les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale sont confirmés par des documents écrits ou y sont conformes, je leur accorde beaucoup de poids. Lorsque les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale ne sont pas contredits, je leur accorde généralement beaucoup de poids. Lorsque les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale semblent refléter la vérité dans le contexte des événements de l’époque, je leur accorde généralement beaucoup de poids. Lorsque les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale sont logiques, je leur accorde généralement beaucoup de poids.

[77]  En l’espèce, je remarque une cohérence importante entre l’histoire orale et les autres éléments de preuve historiques. J’ajouterais à ces commentaires que lorsque l’histoire orale appuie les éléments de preuve documentaires, ces derniers méritent qu’on leur accorde beaucoup de poids. Lorsque les éléments de preuve documentaires présentent des incohérences internes ou semblent incompatibles avec l’époque, ils n’ont pas la même importance. Lorsqu’ils ne sont pas contredits, ils doivent être évalués comme n’importe quel autre document, en tenant compte du rôle et des intérêts des auteurs – comme nous le verrons plus loin.

[78]  Puisque les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale ne sont pas accompagnés d’une chronologie précise, les récits doivent être considérés dans le contexte de toutes les autres données historiques. Essentiellement, les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale appuient la conclusion selon laquelle la bande de Chacachas n’a pas été consultée en ce qui concerne sa réinstallation, son regroupement ou son fusionnement avec la bande de Kakisiwew.

V.  Contra Proferentem et présomption de régularité

[79]  Tel qu’il est résumé ci-dessous dans la section intitulée Éléments de preuve historiques, certains éléments de preuve documentaire sont ambigus, voire contradictoires. Chacune des parties a proposé que la Cour applique les hypothèses opposées pour interpréter les lacunes du dossier historique : la règle contra proferentem et la présomption de régularité. Même si j’ai appliqué ces hypothèses de façon limitée, j’ai refusé de les adopter aussi largement que les parties le proposaient. Je me suis plutôt concentré sur la signification des documents en m’appuyant sur l’intention vraisemblablement commune des parties et sur le contexte historique, avec l’aide des témoins experts.

[80]  Les demandeurs Watson ont proposé que la Cour applique une norme semblable à la règle contra proferentem, qui s’applique habituellement à l’interprétation des contrats, afin d’interpréter les ambiguïtés que contient le dossier documentaire en faveur des demandeurs autochtones. Toutefois, le but de la règle contra proferentem n’est pas d’interpréter en faveur d’une Première Nation chaque ambiguïté dans chaque document détenu par la Couronne.

[81]  C’est aux traités historiques et aux lois concernant les Autochtones ou les droits issus de traités que s’applique la règle contra proferentem. Dans le contexte des traités historiques, le but de cette règle est de tenir compte du fait que la Couronne jouissait d’un pouvoir de négociation supérieur au moment de la négociation des traités, que les traités ont été rédigés dans une langue non autochtone et qu’ils intégraient des principes juridiques que les signataires autochtones ne connaissaient pas : Mitchell c Bande indienne Peguis, [1990] 2 RCS 85, à la page 117, 110 NR 241; R. c Badger, [1996] 1 RCS 771, au paragraphe 52, 133 DLR (4th) 324 [Badger]. Il faut également interpréter de façon restrictive les dispositions législatives qui pourraient être lues de manière à limiter les droits issus de traités, notamment par la cession de terres, et il faut apporter la preuve que la Couronne avait une intention claire et expresse d’éteindre des droits issus de traité (Badger, au paragraphe 41).

[82]  Lorsqu’elle interprète dans leur ensemble des documents historiques conservés par la Couronne, la Cour doit d’abord se pencher sur le contexte historique et doit tenir compte du fait que les documents écrits étaient principalement conservés par les Européens (voir Ahousaht Indian Band v Canada (Attorney General), 2009 BCSC 1494, au paragraphe 62, 182 ACWS (3d) 501, modifié par 2013 BCCA 300; Shot Both Sides, au paragraphe 57).

[83]  Toutefois, cela ne veut pas dire que les lacunes ou ambiguïtés que contiennent tous les documents d’archives seront interprétées dans un sens favorable au point de vue autochtone. Par exemple, lorsqu’un document du gouvernement dont on s’attend à disposer ne figure pas dans le dossier historique, les tribunaux ont l’habitude de considérer que ce document n’avait probablement jamais existé. Cela peut jouer en faveur du groupe autochtone, comme dans la décision Chippewas of Sarnia Band v Canada (Attorney General), 1999 CarswellOnt 1244, au paragraphe 76, 88 ACWS (3d) 728 (C. sup. j. Ont.), inf. par (2000), 51 OR (3d) 641 (CA), dans laquelle la Cour supérieure de justice de l’Ontario a reconnu qu’un acte de cession n’avait jamais existé parce que le dossier historique ne contenait aucun acte de cession. Toutefois, l’absence de certains documents peut également nuire aux intérêts d’un groupe autochtone, comme cela a été le cas dans l’arrêt Canada c Benoit, 2003 CAF 236, aux paragraphes 40 et 41, 228 DLR (4th) 1, dans lequel la Cour d’appel fédérale a jugé que l’absence de mention d’une prétendue promesse issue d’un traité dans les affidavits historiques pouvait être la preuve qu’aucune promesse n’avait été faite dans le cadre du traité.

[84]  Je juge également que la présomption de régularité ne peut pas, en l’espèce, être appliquée de manière générale pour interpréter les lacunes du dossier. La présomption est fondée sur la prémisse selon laquelle on peut présumer qu’un fonctionnaire public remplit une exigence procédurale prescrite lorsqu’il n’existe pas de preuve du contraire (voir, par exemple, Martselos c Première Nation de Salt River, 2008 CF 8, aux paragraphes 26 à 28, 163 ACWS (3d) 331, citant Irvine c Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 SCR 181, au paragraphe 38, 41 DLR (4th) 429).

[85]  Le Canada semble affirmer que la présomption devrait s’appliquer au moment de déterminer si les bandes historiques ont consenti à la réinstallation de leurs réserves et si elles ont été consultées au sujet du fusionnement.

[86]  Tel qu’il est indiqué ci-dessous, on pourrait soutenir que le dossier historique manque de clarté quant à savoir si les terres mises de côté pour les bandes de Chacachas et de Kakisiwew étaient effectivement des réserves; c’est une position qu’ont parfois adoptée les fonctionnaires. Dans ce contexte, il ne s’ensuit pas que la Cour puisse présumer que les fonctionnaires ont fait ce qu’ils avaient à faire alors que la nature de leurs obligations n’est pas claire. En outre, il n’existait pas de politique ou de pratique claire ou établie à l’égard du fusionnement des bandes dans les années 1880. La Cour ne peut donc pas présumer que les fonctionnaires ont suivi un quelconque processus prescrit à l’égard du fusionnement quand aucun processus n’avait été établi.

VI.  Éléments de preuve historiques

A.  Présentation des données historiques

[87]  En complément du résumé des éléments de preuve historiques, j’ai brièvement présenté quelques-unes des personnes importantes qui ont pris part à la conclusion du Traité no 4, au fusionnement des bandes de Kakisiwew et de Chacachas, ainsi qu’aux affaires de la bande d’Ochapowace au début du XXe siècle.

[88]  Le chef Chacachas, qui était à la tête de la bande de Chacachas, a signé le Traité no 4. Il a quitté ses fonctions de chef en 1882 après avoir été arrêté et incarcéré pour des infractions liées au vol de chevaux. Il est mort aux États-Unis en 1889.

[89]  Le chef Kakisiwew, qui a également signé le Traité no 4, était à la tête de la bande de Kakisiwew, une bande de Cris de la région de Qu’Appelle, jusqu’à son décès en 1884. Il était considéré comme un leader très respecté des Cris des Plaines qui ont participé à la négociation du Traité no 4.

[90]  Le chef Ochapowace était le fils du chef Kakisiwew. Il a été élu chef de la bande des Ochapowace en 1884.

[91]  W.J. Christie (M. Christie), un ancien facteur au sein de la Compagnie de la Baie d’Hudson, a été nommé commissaire aux traités pour le Traité no 4. Après la signature du Traité no 4, M. Christie a été désigné pour superviser la sélection des réserves et le versement des annuités aux termes du Traité no 4.

[92]  M.G. Dickieson (M. Dickieson) était le secrétaire du commissaire aux traités lors de la négociation du Traité no 4. Il a été désigné pour superviser, avec M. Christie, la sélection des réserves et le versement des annuités aux termes du Traité no 4.

[93]  W.M. Graham a été inspecteur des Affaires indiennes de 1904 à 1920, puis commissaire des Indiens de 1920 à 1932.

[94]  A.F. MacKenzie (M. MacKenzie) était secrétaire au ministère des Affaires indiennes en 1932.

[95]  T.R.L. MacInnes (M. MacInnes) était secrétaire par intérim au ministère des Affaires indiennes en 1932.

[96]  Allan McDonald a été l’agent des Indiens pour le Traité no 4 de 1877 à 1897. Il a supervisé la réinstallation, le regroupement et le fusionnement des bandes de Chacachas et de Kakisiwew entre 1881 et 1884. Il a joué un rôle important dans les questions en litige en l’espèce.

[97]  Angus McKay était, en 1876, l’agent des Indiens pour le Traité no 4 qui a participé aux arpentages initiaux des réserves destinées aux Chacachas et aux Kakisiwew.

[98]  Garnet Neff était avocat; il était agent des membres de l’ancienne bande de Chacachas en 1932 et a échangé des lettres avec les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes au sujet de l’existence et de la cession de la réserve de Chacachas. Son rôle dans les interrogatoires du gouvernement a permis de montrer que la bande de Chacachas n’a jamais accepté le fusionnement et a permis de faire ressortir la thèse incohérente, contradictoire et équivoque de la Couronne fédérale. Un aspect qui s’est vérifié tout au long de la période visée.

[99]  John C. Nelson était arpenteur fédéral; il a effectué, en 1881, l’arpentage de la réserve commune des bandes de Chacachas et de Kakisiwew, devenue plus tard la réserve d’Ochapowace.

[100]  J.P.B. Ostrander (M. Ostrander) était l’agent des Indiens de la région du lac Crooked en 1928.

[101]  Lawrence Vankoughnet était surintendant général adjoint au sein du ministère des Affaires indiennes de 1874 à 1893.

[102]  William Wagner était l’arpenteur fédéral qui a effectué l’arpentage des terres en 1876 pour les bandes de Chacachas et de Kakisiwew.

B.  Bandes historiques signataires du Traité no 4

[103]  Le Traité no 4 a été négocié entre le 8 et le 15 septembre 1874 à Fort Qu’Appelle entre la Couronne et les chefs des Cris et des Saulteaux. Il a été négocié et signé alors que les populations de bisons déclinaient, que les premières nations des Plaines risquaient la famine et que leur mode de vie était menacé par l’arrivée de nombreux colons dans la région. Le chef Kakisiwew a joué un rôle de premier plan vis-à-vis des Cris en facilitant la conclusion du traité. Il a été le premier chef à apposer sa marque sur le Traité no 4, le 15 septembre 1874. Le chef Chacachas a été l’antépénultième chef à apposer sa marque sur le Traité no 4. Le Traité no 4 a été sanctionné par le décret C.P. 1332/1874, le 4 novembre 1874.

[104]  Le préambule du Traité no 4 reconnaît que le chef Kakisiwew et le chef Chacachas sont des dirigeants autorisés à mener les négociations et responsables en ce qui concerne les obligations de leurs bandes aux termes du traité :

[traduction]

Et considérant que les Indiens dudit pays, dûment réunis en conseils comme susdit, et étant priés par lesdits commissaires de Sa Majesté de nommer certains chefs et hommes marquants qui seraient autorisés en leur nom à conduire telles négociations et à signer tout traité fondé sur icelles, et à devenir responsables envers Sa Majesté pour l’exécution fidèle par leurs bandes respectives de telles obligations qu’elles contracteraient, lesdits Indiens ont là-dessus nommé les personnes suivantes pour cette fin, savoir : Ka-ki-shi-way, ou « La Voix Haute » (rivière Qu’Appelle), Pis-qua, ou « La Plaine » (lac à la Sangsue), Kea-wez-auce, ou « Le petit Garçon » (lac à la Sangsue), Ka-kee-na-wup, ou « Celui qui s’assied comme un aigle » (Le haut des lacs Qu’Appelle), Kus-kee-tew, Ka-ne-on-us-ka-tew, ou « Celui qui marche sur quatre griffes » (Petites collines de Tondre), Can-ah-ha-cha-pew, ou « Celui qui prépare l’are » Côté sud de la rive sud de la Saskatchewan), Ku-si-can-ah-chunk, ou « Étoile du Jour » (Côté sud de la rive sud de la Saskatchewan), Ka-wa-ca-toose, ou « Le pauvre homme » (lacs Qu’Appelle et Petites collines de Tondre), Ka-ku-wis-ta-haw, ou « Celui qui voltige autour » (vers les collines du Cyprès) Cha-ca-chas (rivière Qu’Appelle), Wah-pii-moose-too-siis, ou « Le Veau Blanc » ou « Pus-coos » (rivière Qu’Appelle), Gabriel Cote ou Mee-May, ou « Le Pigeon » (Fort Pelly);

Et là-dessus en conseil public les diverses bandes ayant présenté les hommes de leur choix aux dits commissaires comme les chefs et hommes marquants dans le but susdit, des bandes respectives d’indiens habitant ledit pays ci-après décrit;

[...]

[Non souligné dans l’original.]

[105]  Conformément au Traité no 4, les bandes signataires ont cédé tous leurs droits, titres et privilèges sur les terres applicables dans ce qui est aujourd’hui le sud de la Saskatchewan, en échange d’un certain nombre de promesses, y compris des réserves pour chaque bande, un versement ponctuel et des versements annuels au chef, aux dirigeants et aux membres, du matériel agricole pour toute bande cultivant la terre, des vêtements tous les trois ans pour chacun des chefs et des dirigeants (quatre par bande), une distribution annuelle de poudre, de plomb, de balles et de ficelle, une école au sein de chaque réserve, une interdiction de vendre de l’alcool au sein des réserves, ainsi que le droit de chasser, de piéger et de pêcher partout dans les terres cédées assujetties à la réglementation imposée par le gouvernement, à l’exception de certaines terres qui pourraient être prises avec la permission de la Couronne.

[106]  Le Traité no 4 prévoit que les réserves peuvent seulement être mises de côté [traduction] « après conférence avec chacune des bandes » et qu’elles ne peuvent être aliénées par le gouvernement que pour l’usage et le profit desdits Indiens [traduction] « avec le consentement préalablement obtenu des Indiens qui y ont droit » :

[traduction]

Et Sa Majesté consent par les présentes, par l’entremise desdits commissaires, à assigner des réserves pour lesdits Indiens, telles réserves devant être choisies par des officiers du gouvernement de Sa Majesté pour le Canada nommés pour cette fin, après conférence avec chacune des bandes d’indiens, la superficie devant suffire après conférence avec chacune des bandes d’indiens, la superficie devant suffire pour fournir un mille carré à chaque famille de cinq, ou dans cette proportion pour les familles plus ou moins nombreuses.

POURVU cependant qu’il soit entendu que si, au temps du choix de toutes réserves comme susdit, il y a des colons dans les limites des terres réservées pour quelque bande, Sa Majesté conserve le droit de s’entendre avec ces colons comme il lui semblera juste, afin de ne pas diminuer l’étendue de terre accordée aux Indiens; et pourvu de plus que les réserves susdites de terre ou aucune partie d’icelles, ou tout intérêt ou droit sur icelles, ou en découlant, puissent être vendus, loués ou aliénés autrement par ledit gouvernement pour l’usage et le profit desdits Indiens, avec le consentement préalablement obtenu des Indiens qui y ont droit; mais lesdits Indiens ou aucun d’eux ne pourront en aucune manière avoir le droit de vendre ou autrement aliéner aucune des terres à eux accordées comme réserves.

[Non souligné dans l’original.]

[107]  L’exigence, concernant la superficie des réserves, d’un mille carré par famille de cinq personnes, équivaut à une exigence de 128 acres de terres de réserve par membre de bande.

C.  Création de réserves en 1876

[108]  Le processus de création des réserves pour le Traité no 4 a été enclenché le 9 juillet 1875 avec l’approbation, par le cabinet, du décret C.P. 1875-0702 qui ratifiait la sélection des réserves pour le Traité no 4 en général et désignait M. Christie et une autre personne pour choisir les réserves, payer les annuités aux termes du Traité, distribuer des vêtements et obtenir l’adhésion d’autres bandes vivant dans le territoire visé par le Traité no 4.

[109]  L’arpenteur en chef John Dennis et le sous-ministre Edmund Meredith ont remis à M. Christie des directives approuvées par le ministre de l’Intérieur, David Laird. Ils ont également nommé M. Dickieson pour aider M. Christie, et désigné M. Wagner pour effectuer l’arpentage des terres de réserve. Dans ses directives, l’arpenteur en chef renseignait MM. Dickieson et Christie sur les emplacements des réserves permettant de satisfaire les intérêts des colons et des représentants du chemin de fer et tout en répondant aux exigences territoriales des bandes. Le sous-ministre y a ajouté deux consignes importantes :

[traduction]

Chaque réserve doit être choisie conformément au Traité, après conférence avec les bandes d’Indiens concernées, et doit bien évidemment se trouver dans la région visée par le Traité.

Le ministre estime que les réserves ne doivent pas être trop nombreuses et qu’il faudrait, dans la mesure du possible et s’ils y consentent, regrouper dans une même réserve le plus grand nombre possible de chefs de bandes parlant la même langue.

[110]  Dans le contexte du Traité no 4, c’est apparemment la première fois que l’on proposait de regrouper plusieurs bandes dans la même réserve. Il n’était indiqué nulle part dans le Traité no 4 que des bandes pourraient être regroupées ou qu’elles pourraient partager des réserves.

[111]  En 1876, les bandes de Chacachas et de Kakisiwew avaient fait connaître les emplacements de leur choix pour établir des réserves. M. McKay, agent des Indiens, et M. Wagner, arpenteur, ont consulté les chefs ayant reçu des annuités aux termes du Traité à Fort Qu’Appelle en août et en septembre 1876. Bien que l’agent McKay n’ait pas déclaré précisément à quel moment il avait rencontré le chef Chacachas et le chef Kakisiwew, MM Storey et Whitehouse-Strong ont convenu que l’agent McKay et l’arpenteur Wagner avaient probablement consulté le chef Chacachas et le chef Kakisiwew étant donné que l’agent McKay avait fait rapport de renseignements obtenus auprès de ces deux chefs, vraisemblablement pendant ces consultations.

[112]  L’agent McKay a indiqué, dans son rapport, que le chef Kakisiwew souhaitait aller dans sa réserve et avait précisé que la bande de Kakisiwew que la réserve soit attenante au côté est de la réserve de Star Blanket et s’étende vers le nord à partir du lac Crooked.

[113]  L’agent McKay a affirmé qu’une partie seulement de la bande de Chacachas avait exprimé le désir de s’installer sur sa réserve. Il a indiqué que la réserve de Chacachas se trouvait sur la rivière Qu’Appelle, entre le 102e méridien et la réserve Kahkewistahaw.

[114]  Dans le courant de novembre 1876, l’arpenteur Wagner a procédé à l’arpentage de la réserve de Kakisiwew et de la réserve de Chacachas. La figure 1 indique l’emplacement de ces réserves conformément à l’arpentage réalisé par M. Wagner en 1876 et recréé dans le rapport de M. Storey :

Figure 1 : Réserves arpentées par William Wagner en 1876. La réserve portant l’indication « Ka-ki-shee-way or Loud Voice Reserve » est la réserve de Kakisiwew. La réserve portant l’indication « Chacatas Reserve » est la réserve de Chacachas.

[115]  La réserve de Kakisiwew se trouvait au nord du lac Round et était adjacente à la réserve de Star Blanket. Sa superficie était de 42 774 acres, dont 40 000 acres propices au peuplement. M. Wagner a indiqué que la réserve de Kakisiwew avait un bon potentiel agricole, mais qu’elle manquait de bois d’œuvre :

[traduction]

Le sol dans cette réserve est assez bon; partout ailleurs, il serait rapidement occupé et cultivé. Les marais à foin, quoique peu nombreux, sont bons et on y trouve de l’eau douce. Le seul inconvénient de cette réserve est l’absence totale de bon bois de construction. Il n’y a aucun bois d’œuvre du côté nord de la rivière Qu’Appelle, à l’exception de petits bosquets qui, s’il n’y a pas d’incendie, donneraient rapidement du bois pouvant servir de combustible et permettre la construction de clôtures.

[116]  La réserve de Chacachas a été arpentée par M. Wagner à l’est de la réserve de Kahkewistahaw (appelée « Ka-west-a-haw Reserve » dans la Figure 1). La superficie de la réserve de Chacachas était de 24 298 acres. M. Wagner a indiqué que la réserve de Chacachas avait un potentiel agricole et qu’il y avait du bois d’œuvre :

[traduction]

Il y a de très bonnes terres dans la partie sud de cette réserve, ainsi que beaucoup de prairies et de bois. La partie septentrionale de la réserve est plus accidentée et se termine de manière abrupte à la rivière Qu’Appelle. La face de leurs collines le long de la vallée du fleuve a une grande abondance de bon bois pour la construction et à d’autres fins.

[117]  Le gouvernement a reconnu les réserves arpentées par M. Wagner comme étant [traduction] « mises de côté ». En 1877, le ministère de l’Intérieur avait publié un Répertoire des réserves indiennes, dans lequel était décrit [traduction] « les diverses réserves mises de côté pour les Indiens au titre de plusieurs traités numéros un (1) à cinq (5) ». Dans le Répertoire figuraient les réserves de Kakisiwew et de Chacachas arpentées par M. Wagner comme « Kaki-shi-way ou Loud Voice » (voix haute) no 43 et « Cha-ca-chas » no 54. En 1880, le bureau l’arpenteur en chef a aussi répertorié [traduction] « no 43 rivière Qu’Appelle et lac Round » (sans doute en référence à la réserve de Kakisiwew) et [traduction] « no 54 bande de Cha-ca-tas Qu’Appelle River » comme des arpentages de réserve achevés.

D.  Utilisation des réserves créées en 1876

[118]  La question de savoir si les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ont réellement utilisé et accepté leurs réserves d’origine arpentées par M. Wagner a été le premier élément important de divergence pour les historiens experts. MM. Storey et Whitehouse-Strong ont convenu qu’il y avait peu d’éléments de preuve documentaires dans lesquels était décrite l’utilisation des réserves de Chacachas ou de Kakisiwew par les membres de la bande avant 1878. Ils ont convenu que la bande de Chacachas ne s’était pas établie dans la réserve de Chacachas au milieu de l’année 1879. Alors que MM. Storey et Whitehouse-Strong semblaient convenir qu’au moins une partie des bandes de Chacachas et de Kakisiwew s’étaient établies dans les réserves et que les bandes avaient commencé à utiliser leurs réserves avant 1881, M. Whitehouse-Strong a indiqué que cela ne signifiait pas que chaque bande avait accepté sa réserve.

[119]  Les deux experts ont reconnu que le gouvernement n’était principalement intéressé que par l’enregistrement les établissements permanents et l’utilisation des terres agricoles à l’époque et qu’il ne tenait donc pas de registre exhaustif des autres utilisations des terres par les bandes. Les déclarations tabulaires tirées des rapports annuels d’Affaires indiennes sont également d’une utilité limitée, car les registres n’existent que pour les bandes du lac Crooked à partir de 1879. M. Storey a démontré que ces déclarations tabulaires étaient incohérentes et ne constituaient pas un registre exact des populations de Chacachas ou de Kakisiwew.

[120]  D’après le dossier agricole, il est plus probable que la bande de Kakisiwew ait utilisé au moins périodiquement sa réserve en 1879, car elle a reçu une distribution modeste d’outils agricoles, de bétail et de semences de pommes de terre en 1878 et en 1879 qui auraient répondu aux besoins en matière de jardinage dans la réserve. Bien que le chef Kakisiwew ait demandé la réinstallation de la réserve à Moose Mountain en 1877, ce qui a été refusé en 1878, le fait que la bande de Kakisiwew a continué de recevoir des outils agricoles dans la réserve après le refus de la demande du chef Kakisiwew montre que la bande avait accepté la réserve de Kakisiwew dans une certaine mesure, puisque ses membres continuaient à y vivre et à recevoir des subventions à cet égard.

[121]  Bien que la bande de Chacachas ne se soit établie dans la réserve qu’au milieu de l’année 1879, il est également plus probable qu’une partie de la bande de Chacachas ait commencé à utiliser la réserve avant 1881.

[122]  Les bandes historiques n’étaient pas tenues de s’établir dans leurs réserves à cette époque, même si le but de la politique du gouvernement était que l’établissement prenne effet le plus tôt possible.

[123]  Il existe peu d’éléments de preuve documentaire dans lesquels est décrite l’utilisation de sa réserve par la bande de Chacachas, en partie parce que les registres étaient axés sur les activités agricoles et la majorité de la bande de Chacachas avait continué à chasser le bison hors de la réserve. Le 21 juillet 1879, l’agent McDonald a signalé que les Chacachas n’étaient pas encore allés dans leur réserve bien que la bande ait reçu des bœufs :

[traduction]

Deux paires de bœufs avaient été achetées pour les Kakwistahaw et les Chakachas, mais ils ne sont pas allés dans leurs réserves et ne montrent, pour l’instant, aucune intention de départ.

[124]  M. McDonald a ensuite indiqué que les bœufs avaient été donnés à d’autres bandes, car ni les Chacachas ni les Kahkewistahaw ne s’étaient établis dans leurs réserves.

[125]  Bien que M. Storey ait mentionné d’autres documents, qu’il a interprétés comme indiquant que la bande de Chacachas s’était établie dans sa réserve avant 1881, je ne suis pas convaincu qu’il existe une preuve documentaire claire indiquant que la bande de Chacachas s’était établie dans la réserve. Cependant, ayant reconnu la faiblesse de ces dossiers documentaires, il est particulièrement important de considérer les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale.

[126]  L’histoire de Kanipatit racontée par Sharon Bear, la dernière femme vivant dans la réserve de Chacachas, confirme qu’au moins certains membres de la bande de Chacachas avaient commencé à résider dans la réserve de Chacachas avant 1881 :

[traduction]

Une dame et son mari ne sont pas venus et ils ont refusé de quitter Chacachas et ils avaient l’intention d’y rester. Le mari a fini par décéder, parti à la chasse, il n’est pas revenu, toutefois, la femme est restée là avec son bébé et a essayé de vivre dans la réserve, ce qu’elle a fait pendant l’hiver.

Elle assurait sa propre subsistance ainsi que celle de son bébé et elle est presque morte de faim et – mais elle a changé son régime constitué de lapin pour préférer d’autres gibiers sauvages, comme les perdrix et les poules-des-prairies, une source de nourriture plus importante pour elle et son bébé. Son nom était Kanipatit (épellation phonétique), ce qui signifie voyageuse nocturne ou femme qui voyage la nuit.

Elle a fini par rester là jusqu’au printemps, elle est venue à Ochapowace, ici à Ochapowace. Elle a dû déménager parce qu’elle connaissait une vie difficile.

[127]  La pleine mesure de l’utilisation des réserves arpentées par M. Wagner reste une question à laquelle il ne sera jamais possible de répondre. Cependant, j’ai conclu qu’une partie de la bande de Chacachas avait utilisé la réserve de Chacachas avant 1881, même si la majorité de la bande avait continué à de chasser le bison hors de la réserve. Cette conclusion cadre avec les conclusions des experts et l’histoire orale.

E.  Nouvel arpentage et regroupement

[128]  En 1881, l’arpenteur Nelson a arpenté une réserve partagée (réserve commune) pour les bandes de Kakisiwew et de Chacachas au sud de la rivière Qu’Appelle. La réserve commune était d’une superficie de 52 864 acres, et était donc beaucoup plus petite que la taille combinée des réserves de Kakisiwew et de Chacachas arpentées en 1876 (67 072 acres).

[129]  Les questions de savoir comment et pourquoi le nouvel arpentage et le regroupement (en fait, une réserve commune) ont eu lieu ont été un point de discorde majeur entre les historiens experts. Il n’y a aucune documentation indiquant que les réserves arpentées par M. Wagner pour les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ont été officiellement cédées conformément aux exigences de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, SC 1880, c 28, art. 37, avant la réinstallation et le regroupement de la réserve.

[130]  Je conclus que la bande de Chacachas n’a probablement pas été consultée au sujet de la réinstallation et du regroupement de sa réserve. La bande de Kakisiwew a peut-être été consultée et a probablement même accepté la réinstallation de sa réserve, mais rien ne prouve qu’elle ait officiellement cédé sa réserve ou accepté d’être regroupée avec la bande de Chacachas.

1)  Résumé du dossier historique sur la réinstallation et le regroupement

[131]  Le processus de réinstallation et de regroupement a commencé lorsque M. McDonald, agent des Indiens, a écrit une lettre datée du 3 janvier 1881 indiquant que les réserves de Chacachas et de Kakisiwew, ainsi que les réserves d’un certain nombre d’autres bandes du lac Crooked [traduction] « n’avaient pas encore été arpentées et n’étaient pas délimitées ». Rien n’indique qu’un fonctionnaire de rang supérieur ait donné des instructions à M. McDonald ou ait approuvé le changement d’emplacement des réserves de Kakisiwew et de Chacachas.

[132]  Dans les rapports de 1882, après la réinstallation et le regroupement, MM. McDonald et Nelson ont chacun fait la lumière sur la justification et le processus de réinstallation et de regroupement des bandes.

[133]  Le rapport de Nelson du 10 janvier 1882 décrit son calendrier, ses instructions et son processus d’arpentage des réserves. Dans ce rapport, il a indiqué qu’il avait effectué l’arpentage des réserves du lac Crooked, y compris la réserve commune, entre le 14 août et le 20 août 1881. M. Nelson a fourni l’explication suivante quant au changement d’emplacement de la réserve des bandes du lac Crooked :

[traduction]

Les Indiens là-bas ayant souhaité un changement dans la position des réserves déjà arpentées, j’ai été chargé d’arpenter des réserves convenables du côté sud de la vallée pour les bandes de Mosquito, d’O’Soup, de Ka-kee-wis-ta-haw, de Ka-kee-she-way et de Cha-ca-chas, et de réduire la longueur de la façade des réserves déjà arpentées pour ces bandes le long de la rivière Qu’Appelle.

[134]  Après avoir décrit l’étendue riveraine des réserves précédentes et son travail de reconnaissance, M. Nelson décrit sa communication avec l’agent McDonald :

[traduction]

[...] J’ai communiqué avec le colonel McDonald, agent des Indiens à Qu’Appelle, certains des chefs indiens étaient là à l’époque.

[135]  Après avoir communiqué avec les arpenteurs des townships pour s’assurer qu’ils n’ont pas effectué d’arpentages des townships dans les nouvelles réserves, M. Nelson a signalé ce qui suit :

[traduction]

J’ai quitté mon groupe pour terminer une ligne entre deux des réserves du lac Round et je suis allé à Fort Qu’Appelle et, comme vous le savez, j’ai reçu d’autres instructions.

Alors que j’étais à Qu’Appelle, j’ai rencontré la plupart des chefs et dirigeants des bandes, dont les réserves n’avaient pas encore été arpentées, et avec eux et l’agent des Indiens nous avons discuté et fixé les emplacements de celles-ci.

[136]  Le 19 janvier 1882, l’agent McDonald a rendu compte de ses activités en lien avec le Traité no 4 au cours de l’année précédente, expliquant ce qui suit :

[traduction]

Il a semblé y avoir, à un certain moment, un peu d’insatisfaction et de jalousie parmi les chefs quant à la sélection des réserves aux lacs Crooked et Round; j’ai pu les aider à s’entendre à amiable. Lorsque M. Nelson, arpenteur de terres fédérales qui avait demandé de situer les réserves, a commencé à travailler, il n’a eu aucune difficulté à satisfaire les bandes quant aux limites de leurs réserves.

J’indiquerai ici qu’en 1877, ces bandes s’étaient vu attribuer des réserves du côté nord de la rivière Qu’Appelle River; puisqu’il fallait du bois pour construire des bâtiments et des clôtures, il a été jugé utile de les déplacer du côté sud.

[137]  D’après ce qu’a écrit l’agent McDonald, le changement d’emplacement des réserves était principalement dû au manque de bois d’œuvre au nord de la rivière. Cela se serait notamment appliqué à la réserve de Kakisiwew, mais pas à la réserve de Chacachas qui se trouvait au sud de la rivière Qu’Appelle et où il y avait du bois d’œuvre. En outre, aucun de ces rapports n’indique pourquoi les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ont été installées sur une réserve conjointe.

[138]  Les listes de bénéficiaires d’annuités aux termes du Traité certifiées par M. McDonald donnent également des détails importants sur les personnes présentes aux moments où MM. Nelson et McDonald auraient consulté les chefs et effectué les arpentages des réserves, en 1881. La liste de bénéficiaires d’annuités aux termes du Traité pour 1881 indique que le chef Kakisiwew, trois dirigeants et 148 autres membres de la bande Kakisiwew ont reçu des annuités aux termes du traité à Fort Qu’Appelle, le 5 août 1881. Dans la bande de Chacachas, seuls deux dirigeants et 41 autres membres ont reçu des annuités aux termes du Traité à Fort Qu’Appelle, ce qui signifie que le chef Chacachas, deux dirigeants et environ deux tiers des membres de la bande étaient absents.

[139]  Chacun des témoins experts (MM. Storey, Nestor, Whitehouse-Strong et von Gernet) a donné son interprétation des documents susmentionnés pour trouver les raisons qui ont poussé au nouvel arpentage et au regroupement des réserves. C’est aux interprétations faites par MM. Storey et Whitehouse-Strong que j’accorde le plus de poids puisqu’elles résultent d’une prise en compte globale du dossier historique. L’examen effectué par M. von Gernet portait sur un nombre insuffisant de documents pour contribuer singulièrement à cette analyse. Les conclusions de M. Nestor étaient très semblables à celles de M. Storey, mais l’analyse était moins détaillée.

[140]  Avant de présenter mes conclusions quant aux raisons et à la consultation concernant les réserves en 1881, j’aborderai un certain nombre de théories avancées par les parties et qui ne m’ont pas semblé très pertinentes pour l’interprétation des documents historiques.

[141]  Premièrement, les demandeurs ont présenté des éléments de preuve de l’implication de l’agent McDonald et de l’arpenteur Nelson dans le groupe foncier Qu’Appelle, une organisation qui semble avoir commencé à se livrer à de la spéculation foncière avant la construction du chemin de fer. Les membres de cette organisation, notamment de hauts fonctionnaires fédéraux de la région, semblaient être conscients que leurs activités ne devaient pas être dévoilées.

[142]  L’agent McDonald et l’arpenteur Nelson semblent certainement avoir fait partie du groupe foncier Qu’Appelle, une organisation douteuse sur le plan moral comme sur le plan juridique, quelque part entre 1881 et 1882; toutefois, aucun élément de preuve ne permet à la Cour d’établir un lien entre le groupe foncier Qu’Appelle et la réinstallation des réserves de Kakisiwew et de Chacachas. Les demandeurs n’ont pas démontré qu’un quelconque membre du groupe foncier Qu’Appelle a tiré profit de la réinstallation de la réserve. J’accorde peu de poids à cet élément de preuve pour l’interprétation du dossier.

[143]  Deuxièmement, j’accorde également peu de poids à l’opinion de M. Whitehouse-Strong, dont l’interprétation du dossier historique l’amène à affirmer que MM. Nelson et McDonald avaient tendance à agir dans l’intérêt des bandes. Les efforts déployés plus tard par M. McDonald pour défendre les intérêts de la bande d’Ochapowace dans la réserve ne sont pas pertinents pour déterminer ce qui est arrivé aux réserves de Kakisiwew et de Chacachas dans les années 1880. J’ai conclu que la conduite de l’agent McDonald lors de la réinstallation de trois autres bandes en 1882, conduite que chaque expert a qualifiée différemment, n’aide guère à interpréter le dossier soumis à la Cour au sujet de la réinstallation des bandes de Chacachas et de Kakisiwew.

[144]  Troisièmement, selon la théorie de M. Storey, l’agent McDonald n’était pas présent lors des versements des annuités en 1881 et il est donc impossible qu’il ait consulté des chefs à Fort Qu’Appelle. Ces propos de M. Storey reposent sur un rapport de l’inspecteur Wadsworth, qui avait parlé à l’agent McDonald à l’automne 1881 et avait déclaré que ce dernier n’était pas à Fort Qu’Appelle lors des versements des annuités. Cependant, tous les autres éléments de preuve indiquent que l’agent McDonald se trouvait à Fort Qu’Appelle à l’époque des versements des annuités; c’est ce qui ressort, entre autres, du récit de M. Nelson quant à la consultation entre M. McDonald et les chefs à Fort Qu’Appelle et à la certification par M. McDonald des versements des annuités. M. Storey a convenu que les éléments de preuve montraient que M. McDonald était présent à un moment donné avant les versements des annuités, fin juillet ou début août; selon lui, M. McDonald n’était pas présent précisément le 5 août, jour où les annuités ont été versées. J’estime que l’agent McDonald était vraisemblablement présent à Fort Qu’Appelle lorsque les annuités aux termes du Traité ont été versées en 1881, et que l’inspecteur Wadsworth s’est probablement trompé dans son rapport.

2)  Conclusions sur la réinstallation de la réserve de Kakisiwew

[145]  J’ai conclu que la réinstallation de la réserve de Kakisiwew était probablement due, au moins en partie, au fait que la réserve de Kakisiwew de 1876 manquait de bois d’œuvre et que la bande n’était pas satisfaite de la réserve. La bande de Kakisiwew a vraisemblablement été consultée quant à la réinstallation de la réserve, mais probablement pas en ce qui concerne le regroupement avec la bande de Chacachas.

[146]  Les déclarations de M. McDonald au sujet de la jalousie et de l’insatisfaction des chefs ne visent que les bandes ayant des réserves au nord de la rivière Qu’Appelle et celles dont les dirigeants, satisfaits quant aux frontières de leurs nouvelles réserves, auraient été présents à Fort Qu’Appelle. D’après ce que les historiens experts nous ont dit du contexte historique, le chef Kakisiwew et sa bande auraient probablement été consultés puisqu’ils répondaient à ces deux critères.

[147]  Les documents d’archives indiquent que la réserve de Kakisiwew manquait de bois d’œuvre. L’arpenteur Wagner l’a indiqué lors de son arpentage de 1876. Il est logique que M. McDonald ait indiqué que la bande de Kakisiwew était l’une de celles qui semblaient insatisfaites de leur réserve étant donné qu’elle aurait été une des bandes ayant une réserve située du côté nord de la rivière Qu’Appelle et manquant de bois d’œuvre.

[148]  De plus, la bande de Kakisiwew était vraisemblablement une des bandes que M. McDonald a consultées lorsqu’il se trouvait à Fort Qu’Appelle. La majorité des dirigeants de la bande Kakisiwew étaient présents à Fort Qu’Appelle lorsque les annuités ont été versées, à l’époque où M. Nelson a indiqué que M. McDonald se trouvait à Fort Qu’Appelle avec certains chefs.

[149]  J’accorde peu d’importance à la preuve selon laquelle le chef Kakisiwew avait demandé, en 1877, que sa réserve soit déplacée à Moose Mountain. Cette demande a clairement été rejetée par les fonctionnaires en 1878. Le fait qu’il ait demandé un déplacement dans une autre zone, pour une autre raison et à un autre moment ne permet pas de savoir si le chef Kakisiwew a demandé en 1881 que sa réserve soit déplacée du côté sud de la rivière Qu’Appelle en raison du manque de bois d’œuvre.

[150]  La valeur des éléments de preuve m’amène à conclure que la bande de Kakisiwew a vraisemblablement été consultée quant à la réinstallation de sa réserve en 1881. Même si rien ne prouve que les membres de la bande de Kakisiwew aient protesté contre le changement d’emplacement de la réserve, une consultation n’équivaut pas à un consentement éclairé. On ne saurait faire abstraction du déséquilibre des forces dans les relations entre le chef et les fonctionnaires responsables.

[151]  Cependant, rien ne prouve que la réserve de Kakisiwew ait été officiellement cédée au moyen d’un vote de la majorité des membres de la bande adultes de sexe masculin, et la certification sous serment du vote en présence d’un juge ou d’un magistrat, qui était nécessaire, n’a pas eu lieu.

3)  Conclusions sur la réinstallation de la réserve de Chacachas

[152]  Le dossier historique n’offre aucune explication quant à la réinstallation de la réserve de Chacachas ni aucun élément de preuve indiquant que la bande de Chacachas pourrait avoir été raisonnablement consultée quant au changement d’emplacement de la réserve, et encore moins qu’elle y a consenti.

[153]  Lorsqu’il a évoqué l’insatisfaction et la jalousie des chefs du lac Crooked, M. McDonald n’a fait aucune mention de la bande de Chacachas.

[154]  Le dossier historique ne comporte aucune explication quant au déplacement de la réserve de Chacachas, sauf si l’on présume que le chef Chacachas était l’un des chefs ayant manifesté [traduction] « de l’insatisfaction et de la jalousie ». Contrairement à la réserve de Kakisiwew, la réserve de Chacachas ne manquait pas de bois d’œuvre. M. McDonald a mentionné que les bandes du côté nord de la rivière n’étaient pas satisfaites de leurs réserves, mais cela ne pouvait pas s’appliquer à la bande de Chacachas, dont la réserve était située du côté sud.

[155]  La bande de Chacachas n’a vraisemblablement pas été consultée quant à la réinstallation de la réserve. Le chef Chacachas, deux dirigeants et deux tiers de la bande de Chacachas étaient absents lors des versements des annuités aux termes du Traité en 1881 et il est impossible qu’ils aient été consultés avec les autres chefs à ces occasions. Cette rencontre pour le versement des annuités en 1881 sert de fondement aux éléments de preuve historiques voulant que la bande de Kakisiwew ait au moins été consultée, ce qui ne s’applique pas en revanche à la bande de Chacachas.

[156]  Bien qu’il soit possible que les deux autres dirigeants de Chacachas aient été consultés lors des versements des annuités aux termes du Traité, rien ne porte à croire que leur bande les ait autorisés à participer aux consultations au nom de la bande ou à accepter la réinstallation de la réserve. Même si M. Whitehouse-Strong a présenté des éléments de preuve selon lesquels un dirigeant dans le cadre du Traité no 6, Moosomin, avait agi indépendamment du chef pour amener sa bande à adhérer au traité et à s’installer dans la réserve, il n’y a aucune preuve que des événements semblables se sont produits au sein de la bande de Chacachas. De plus, par la suite, Moosomin est devenu chef de sa propre bande. En revanche, rien n’indique que l’un des deux dirigeants de Chacachas présents lors des versements d’annuités en 1881 ait eu l’intention de contester l’autorité du chef Chacachas.

[157]  Dans leurs récits, MM. McDonald et Nelson insistent sur l’importance du statut de décideur clé des chefs, puisqu’il est indiqué que ces derniers ont soulevé les questions de l’insatisfaction et de la jalousie au sein des bandes, et qu’ils ont rencontré M. McDonald à l’époque des versements des annuités aux termes du Traité. Bien que M. Nelson ait rencontré certains chefs et dirigeants après avoir effectué les arpentages pour les bandes du lac Crooked, MM. Storey et Whitehouse-Strong ont convenu que M. Nelson ne faisait vraisemblablement pas référence aux chefs ou aux dirigeants des bandes du lac Crooked.

[158]  Enfin, d’après le rapport annuel de 1883 rédigé par M. McDonald, les [traduction« nouveaux » Chacachas qui sont revenus dans la vallée de la Qu’Appelle à un moment donné entre 1882 et juillet 1883 ont exigé d’avoir leur propre réserve et leur propre chef. Voilà qui renforce la conclusion selon laquelle la bande de Chacachas n’a pas été consultée quant à la réinstallation de sa réserve et au regroupement avec la bande de Kakisiwew.

[159]  Il n’existe, en outre, aucune trace de la cession officielle de la réserve de Chacachas. Étant donné que le chef Chacachas et la majorité de la bande ne se trouvaient pas dans la réserve en 1881, il est impossible qu’un vote majoritaire approuvant la cession ait eu lieu ou que le chef Chacachas ait approuvé la cession seul. En outre, aucun document n’indique que les membres de la bande de Chacachas qui vivaient dans la réserve en 1881 avaient leur mot à dire quant à la réinstallation de la réserve et au regroupement.

[160]  Les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale viennent étayer davantage l’absence de consultation avec la bande de Chacachas. Tous les aînés ont notamment souligné que la perte de la réserve de Chacachas était plus grave que la perte de la réserve d’origine, soit la réserve de Kakisiwew située du côté nord de la rivière.

F.  Fusionnement

[161]  Selon MM. Storey et Whitehouse-Strong, le processus de fusionnement des bandes historiques pour constituer la bande d’Ochapowace a commencé par le regroupement des bandes dans la réserve commune en 1881 et a pris fin avec l’élection du chef Ochapowace en 1884. La preuve documentaire concernant le fusionnement est limitée et rien n’indique qu’il ait été demandé par l’une ou l’autre des bandes.

[162]  Les principaux éléments de preuve documentaires concernant le fusionnement sont les listes de bénéficiaires d’annuités pour les années 1882, 1883 et 1884, le rapport de l’agent McDonald daté du 6 juillet 1883, sa lettre du 12 septembre 1884 et son rapport du 16 septembre 1884. M. McDonald a rédigé un autre rapport potentiellement important sur les bandes du lac Crooked le 12 juillet 1882, mais ce rapport est absent du dossier historique.

[163]  Voici ce que révèlent les éléments de preuve disponibles susmentionnés :

  • Le chef Chacachas a démissionné de son poste de chef de la bande de Chacachas à un moment donné en 1882. Il a été arrêté pour avoir fait entrer au Canada des chevaux volés et a été emprisonné de mai à octobre 1882.

  • M. McDonald a indiqué que les quelques membres de la bande de Chacachas qui étaient présents à Fort Qu’Appelle ont rejoint la bande de Kakisiwew en 1882. Ils ont reçu des annuités aux termes du Traité conformément à la liste de bande de Kakisiwew.

  • La majorité des membres de la bande de Chacachas revenus à un moment donné entre le versement des annuités en 1882 et 1883 se sont opposés au fusionnement et ont revendiqué leur droit d’avoir leur propre réserve et leur propre chef. Les membres des bandes de Chacachas et de Kakisiwew ont reçu leurs annuités aux termes du Traité séparément, en 1883.

  • Après le décès du chef Kakisiwew en 1884, le chef Ochapowace a été élu à la tête de la bande fusionnée le 29 juillet 1884, à la suite de [traduction] « nombreuses querelles » après que M. McDonald eut ordonné aux deux bandes d’élire un seul chef. La bande fusionnée était autorisée, au départ, à avoir sept dirigeants au lieu des quatre habituellement prévus aux termes du Traité no 4. Les membres de la bande n’ont reçu des annuités qu’après l’élection et conformément à la liste de bande de Kakisiwew.

  • La bande fusionnée a d’abord été appelée [traduction] « bande d’Ochapowace » dans la liste de paiement des annuités de 1885.

[164]  D’après ces éléments de preuve documentaires, le contexte fourni par M. Storey et M. Whitehouse-Strong, ainsi que les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale, je conclus que les bandes historiques n’étaient pas d’accord avec le fusionnement. La bande de Chacachas semble s’être opposée au fusionnement en 1883, et a ensuite été forcée d’élire un seul chef avec la bande de Kakisiwew en 1884.

[165]  Même si on ne sait pas ce qui a causé les [traduction] « nombreuses querelles » lors de l’élection du chef Ochapowace, la résistance des membres de la bande de Chacachas face au fusionnement en 1883 et après l’élection montre qu’ils n’acceptaient probablement pas le fusionnement.

[166]  Selon les éléments de preuve, après le retour de la majorité des membres de la bande de Chacachas en 1883 des États-Unis, la bande a continué à fonctionner commun groupe distinct, même après l’élection du chef Ochapowace. Par exemple, lors du décès du chef Kakisiwew en 1884, les membres de la bande de Kakisiwew ont quitté la réserve commune en deuil, tandis que les membres de la bande de Chacachas sont restés fidèles au chef Chacachas (même après sa démission) et n’ont pas quitté la réserve.

[167]   Après l’élection du chef Ochapowace, le chef Chacachas (même si le Canada ne le reconnaissait plus en tant que chef) et un certain nombre de membres de la bande de Chacachas ont quitté la réserve jusqu’en 1886, année où ils ont été contraints de revenir. Après leur retour, ils ont cultivé la terre, mais pas avec les membres de la bande de Kakisiwew, et il a fallu les obliger à accepter les annuités associées à la réserve commune. Ils ont quitté la réserve une nouvelle fois le 11 avril 1887. Le chef Chacachas n’y est jamais retourné puisqu’il est mort aux États-Unis en 1889.

[168]  Je note en passant que MM. Storey et Nestor ont soutenu que la démission du chef Chacachas en 1882 devrait être considérée comme suspecte parce que M. McDonald et le chef Chacachas entretenaient de mauvais rapports et parce que la démission d’un chef ne faisait pas partie des coutumes cries. Comme nous l’avons vu pour ce qui est de la participation de MM. McDonald et Nelson au sein du groupe foncier Qu’Appelle, le caractère suspect de la démission n’est pas un motif suffisant pour conclure que le chef Chacachas n’a pas volontairement démissionné de son poste de chef. Bien que le chef Chacachas ait vraisemblablement démissionné de son plein gré, il n’a pas pour autant cessé de s’engager dans les affaires de la bande.

[169]  J’estime que le chef Chacachas a continué de jouer un rôle de dirigeant pour une partie au moins des anciens membres de la bande de Chacachas, étant donné que ces derniers ont continué à le suivre, et ce, lorsqu’il a quitté la réserve, y est revenu et l’a quittée une nouvelle fois.

[170]  La Cour a également entendu les témoignages d’historiens experts et d’aînés au sujet des coutumes des Cris des Plaines quant aux chefs héréditaires et à l’appartenance à une bande à l’époque du Traité no 4. Ces témoignages visaient à inciter la Cour à déduire qu’il était plus ou moins probable que le fusionnement des bandes soit volontaire. J’estime cependant que ces témoignages n’avaient pas grand-chose à voir avec la situation et ne répondaient pas à la principale question, qui est la mesure dans laquelle les bandes ont consenti ou adhéré au regroupement et au fusionnement. Compte tenu du bouleversement causé par l’effondrement des populations de bisons à l’époque, de la sédentarisation des bandes, de l’arrivée des colons, de la construction du chemin de fer et d’autres facteurs du même genre, les modes de vie traditionnels exigeants étaient remis en question.

[171]  Je ne peux pas conclure que le fusionnement était consensuel. Quoi que la bande de Kakisiwew ait accepté, la bande de Chacachas n’a pour sa part consenti ni au regroupement ni au fusionnement. En réalité, la bande de Chacachas se considérait comme distincte de la bande de Kakisiwew, et c’est un point de vue que l’on retrouve encore chez certains membres à l’heure actuelle.

G.  Les bandes après le fusionnement

[172]  Le 17 mai 1889, le Conseil privé a approuvé le décret général C.P. 1889-1151, qui dressait la liste des réserves situées au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest, et donnait des détails à leur sujet. Le décret mentionnait la réserve commune sous la dénomination [traduction] « réserve indienne d’Ochapowace no 71 »; il y était indiqué que le chef Ochapowace était à la tête de la réserve, mais qu’elle avait auparavant été dirigée par les chefs Kakisiwew et Chacachas.

[173]  Après la mort du chef Ochapowace en 1891, la bande d’Ochapowace a passé de longues périodes sans chef en raison des actions (ou de l’inaction) du gouvernement. La bande d’Ochapowace est restée sans chef pendant environ 20 ans, jusqu’à l’élection de Walter Ochapowace en 1912. Après la chute de ce dernier en 1917, la bande d’Ochapowace est encore une fois restée sans chef de 1917 à 1933. Les demandes en vue d’avoir un chef faites en 1911 et en 1922 ont été rejetées par le ministère des Affaires indiennes.

[174]  Après le fusionnement, la bande d’Ochapowace a bien voulu accueillir certains membres d’autres bandes. Parmi eux, Jacob Bear a rejoint la bande en 1892; c’est l’ancêtre d’un certain nombre des demandeurs nommés, comme Sharon Bear et Wesley Bear.

[175]  On relève, entre 1904 et 1907, quatre exemples de cas où les fonctionnaires ont continué d’utiliser les noms Kakisiwew et Chacachas pour désigner la bande d’Ochapowace.

[176]  En 1911, un membre de la délégation des bandes du lac Crooked a demandé publiquement de quelle façon les bandes de Kakisiwew et de Chacachas avaient été fusionnées. Le gouvernement lui a répondu que les bandes de Kakisiwew et de Chacachas détenaient ensemble la réserve.

[177]  Il est clair que le fusionnement et la façon dont il s’est déroulé étaient des problèmes récurrents pour ceux qui s’identifiaient à la bande de Chacachas.

[178]  Entre 1928 et 1932, d’anciens membres de la bande de Chacachas ont une nouvelle fois soulevé des questions au sujet de l’ancienne réserve de Chacachas et du fait qu’aucune cession en bonne et due forme n’avait eu lieu.

[179]  En 1928, l’agent des Indiens Ostrander a écrit au secrétaire MacKenzie pour l’informer que certains membres de la bande d’Ochapowace affirmaient ne jamais avoir cédé une réserve mise de côté pour le chef Chacachas et ses partisans. Le secrétaire MacKenzie lui a répondu que la bande avait été réinstallée et avait reçu tout ce qui lui était dû en 1881.

[180]  En 1931, le commissaire des Indiens Graham a écrit au secrétaire Mackenzie deux fois au sujet de questions posées par les membres de la bande d’Ochapowace au sujet d’une réserve mise de côté pour eux. Le secrétaire MacKenzie a répondu que les terres de 1876 n’avaient jamais appartenu aux Indiens et que la réserve de 1881 avait fait l’objet d’un arpentage parce que les Indiens souhaitaient une modification.

[181]  C’est ce qui a continuellement changé dans les explications du gouvernement sur ce qui s’est passé.

[182]  En 1932, certains anciens membres de la bande de Chacachas ont engagé un avocat, Garnet Neff. M. Neff a établi une correspondance avec le secrétaire par intérim de l’époque, M MacInnes entre mai et septembre 1932. De ces lettres, qui incluent les points de vue des membres de Chacachas retenus par M. Neff, je tire les conclusions suivantes :

  • M. Neff pensait que le principal problème était l’absence de cession légale appropriée de la réserve de Chacachas. Il a d’abord dit que le problème de la cession était le manque de réparation, mais il a ensuite déclaré qu’il n’y avait eu ni cession ni consultation concernant la cession.

  • Les clients Chacachas de M. Neff lui ont dit qu’il y avait eu une [traduction] « réunion avec les membres de la tribu » au moment de la cession où ils ont compris qu’ils seraient payés pour la terre. La lettre ne dit pas si la [traduction] « réunion avec les membres de la tribu » comprenait une consultation ou un consentement à la cession.

  • La réponse aux représentants du gouvernement sur ce qui est arrivé à la réserve n’était pas claire. Le secrétaire MacKenzie a d’abord répondu que la réserve avait été cédée parce qu’elle ne convenait pas et que la bande avait fait l’objet d’une indemnisation foncière. Environ dix jours plus tard, M. MacKenzie s’est dédit et a déclaré que la réserve de Chacachas n’avait jamais été dûment mise de côté et qu’une cession officielle des terres n’était pas nécessaire.

[183]  La correspondance de M. Neff s’est terminée par une demande de documents attestant du consentement de la bande à la cession de la réserve, à laquelle M. MacInnes a répondu qu’aucun document ne serait fourni parce que les terres n’ont jamais été constituées comme réserve.

[184]  J’accorde peu de poids ou de crédit à ces lettres concernant les détails du processus de cession et de fusionnement. Cela montre généralement que les membres de Chacachas ont continué de soulever des questions concernant la perte de leurs terres de réserve et qu’ils ont été en mesure de consulter un avocat en 1932. M. Storey a souligné que M. Neff communiquait au nom des membres de Chacachas avec le gouvernement et a donc probablement associé ce qu’il comprenait des obligations de la Couronne dans les années 1930 concernant les cessions avec ce que les membres de Chacachas lui disaient. La description faite par M. Neff de la [traduction] « réunion avec les membres de la tribu » au sujet de la cession des terres ne cadre pas avec les dires du gouvernement selon lesquels aucune cession n’avait été nécessaire, et elle n’est également pas étayée par l’histoire orale. Étant donné que les observations de M. Neff au sujet de la cession changeaient d’une lettre à l’autre, la Cour ne peut pas vraiment se fier à ceux-ci.

[185]  Selon les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale de Ross Allary et de Sharon Bear, M. Neff a cessé de représenter la bande parce que l’on craignait que cette représentation fût illégale aux termes de l’article 141 de la Loi sur les Indiens, LRC 1927, c 98, selon lequel il était interdit à un avocat d’accepter les fonds d’une bande pour déposer un recours au nom de la bande. Les bandes ont été de nouveau autorisées à retenir les services d’avocats en 1951, date à laquelle l’article 141 a été abrogé (Loi sur les Indiens, LC 1950-51 (3e sess.), c 29, art. 123 [Lois sur les Indiens, 1951]).

[186]  Il a été consigné que la bande d’Ochapowace avait toujours deux [traduction] « groupes » en 1947 et deux [traduction] « factions » en 1962. Compte tenu de la continuité de la division, la Cour déduit que cette division était entre les membres qui s’identifiaient en tant que Chacachas et ceux qui s’identifiaient en tant que Kakisiwew. Elle cadre d’ailleurs avec le refus d’accepter le regroupement et le fusionnement, en principe comme dans les faits.

H.  Création du Registre des Indiens en 1951

[187]  La Loi sur les Indiens, 1951 a donné lieu à la création du Registre des Indiens, qui avait pour but de dresser une liste de toutes les personnes ayant le droit d’être inscrites en tant qu’Indiens aux termes de la Loi sur les Indiens. Le Registre comportait deux types de liste : les listes de bandes, qui comportaient tous les membres d’une bande en particulier, et les listes générales, où figuraient toutes les personnes qui avaient le droit d’être inscrites en tant qu’Indiens, mais qui n’étaient pas membres d’une bande.

[188]  Dans le cadre du processus de création du Registre des Indiens, les listes de bandes devaient être affichées afin de permettre aux personnes ou aux bandes de protester contre l’inclusion ou l’exclusion de membres sur la liste.

[189]  Il a été consigné que la liste de bande d’Ochapowace avait été affichée au bureau de l’agence indienne ainsi qu’au bureau de l’aide de l’agence indienne le 1er septembre 1951. Il n’y a aucune raison de douter que cette liste ait été affichée; il s’agit d’une circonstance ou s’applique la présomption de régularité, étant donné qu’il y avait une procédure établie s’apparentant au principe de la tenue normale de dossiers commerciaux. Le bureau de l’aide de l’agence indienne était probablement la maison de l’instructeur de ferme, dans la réserve d’Ochapowace.

[190]  Selon M. Andy Doraty, qui a examiné les dossiers du ministère, aucune protestation de la part des membres de la bande d’Ochapowace n’a été consignée en lien avec cette liste. Aucune liste n’a été affichée pour les Kakisiwew ou les Chacachas, et aucune personne cherchant à être incluse dans une liste de bande pour les Kakisiwew ou les Chacachas n’a protesté. La liste d’Ochapowace aurait été fondée sur la plus récente liste de paiement du traité pour la bande d’Ochapowace en 1951.

I.  Décret de 1973

[191]  Le 12 novembre 1973, le gouverneur en conseil a rendu le décret C.P. 1973-3571, dans lequel il a présenté une liste des bandes reconnues comme étant une « bande » au sens de l’alinéa 2(1)c) de la Loi sur les Indiens. Cette liste comprenait la bande d’Ochapowace, mais pas les bandes de Chacachas ou de Kakisiwew. Il ne s’agissait pas d’une liste de bande exhaustive, étant donné que des bandes pouvaient également exister sans avoir été déclarées si elles avaient des terres de réserve dévolues à la Couronne ou des fonds détenus par la Couronne à l’usage ou au profit communs de la bande, selon la définition du terme « bande » dans la Loi sur les Indiens. Le Canada invoque ce décret pour faire valoir que les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ne peuvent pas affirmer qu’elles sont des bandes. Étant donné que rien ne prouve que la liste de bandes soit exclusive, l’absence de ces bandes sur cette liste ne permet pas de conclure à leur fusion légitime.

J.  Lois, politiques et pratiques historiques

[192]  Les parties ont fourni des éléments de preuve sur les lois, politiques et pratiques historiques du Canada concernant la création d’une réserve, les cessations, le transfert de bande et la fusion, de même qu’au sujet des [traduction] « politiques de privation de nourriture » et des restrictions en matière de mobilité qui ont eu des répercussions sur les bandes.

1)  Création d’une réserve

[193]  Le Traité no 4 a promis des réserves à chacune des bandes signataires selon un minimum de 128 acres par habitant, mais n’a établi aucun processus à suivre pour la création d’une réserve. Les consultations tenues avec les bandes ont été mises en relief dans le traité ainsi que dans la correspondance transmise à M. Wagner en 1876. La sélection d’une réserve ne pouvait avoir lieu qu’après la consultation de la bande en question.

[194]  Un décret n’était pas nécessaire pour mettre une réserve de côté. À la suite de l’entrée en vigueur de la Loi sur les Indiens, 1876, M. Lash, sous-ministre de la Justice par intérim, a conclu qu’un décret était souhaitable, mais non requis pour mettre une réserve de côté. Une réserve pouvait être mise de côté si les [traduction] « Indiens eux-mêmes et le gouvernement étaient satisfaits de la délimitation de la réserve et qu’ils considéraient la réserve comme ayant convenablement été délimitée et mise de côté aux termes des dispositions du traité [...] ».

2)  Cession de réserve et nouvel emplacement

[195]  Aux termes du Traité no 4, la cession d’une réserve nécessitait l’obtention du consentement de la bande. L’article 37 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, LC (1880), c 28, disposait également qu’un vote majoritaire de membres de la bande de sexe masculin et d’âge adulte habitant dans la réserve était nécessaire. Le vote devait être attesté sous serment devant un juge ou un magistrat par un fonctionnaire et un chef ou un dirigeant présent au vote.

[196]  Entre 1875 et 1881, des exemples d’autres réinstallations de réserves dans les aires couvertes par le Traité no 4 et le Traité no 2 indiquaient que les changements apportés à l’emplacement des réserves étaient pris au sérieux par le ministère et nécessitaient l’accord de la bande et l’approbation de hauts fonctionnaires du ministère. Ce fait est attesté par le refus par l’arpenteur général d’acquiescer à la demande du chef Kakisiwew, qui souhaitait faire changer l’emplacement de sa réserve en 1878.

[197]  À la fin des années 1880 jusqu’aux années 1890, les cessions pour les réserves routières sur les réserves du lac Crooked exigeaient de la même façon des cessions officielles par les bandes conformément aux directives émises par le commissaire des Indiens.

[198]  Aucune des procédures n’a été suivie en ce qui concerne le regroupement de la bande de Chacachas avec la bande de Kakisiwew. Plus précisément, bien que la bande de Kakisiwew ait peut-être été consultée, ce n’était pas le cas pour la bande de Chacachas. Aucune étape officielle n’a été prise au sein des bandes.

3)  Transfert des membres et fusionnement

[199]  Même s’il était d’usage de consulter les bandes et de chercher à obtenir leur consentement avant de procéder à une fusion, il n’y avait aucune politique ou loi officielle en place relativement au fusionnement entre 1881 et 1884.

[200]  Les experts des demandeurs ont affirmé que la pratique et la politique du ministère pendant les années 1880 nécessitaient l’accord des bandes pour effectuer un transfert de bande, ce qui, par analogie, signifiait qu’un fusionnement nécessitait également l’accord des bandes puisque cette démarche était essentiellement un transfert de l’ensemble des membres d’une bande.

[201]  En pratique, dans certains cas où le ministère cherchait à obtenir l’accord des bandes avant le fusionnement, notamment en ce qui concerne la fusion des bandes de Long Lodge et de The Man Who Took The Coat en 1885, la fusion de Manitowahpah en 1898, et les bandes de James Smith et de Cumberland No 100A en 1902.

[202]  Le ministère a également rectifié une fusion entre les bandes de Sakimay et de Little Bone en sollicitant un vote officiel pour une cession et un fusionnement de nombreuses années après la fusion initiale de la bande. Semble-t-il que les bandes de Sakimay et de Little Bone auraient été fusionnées en 1888 sans processus de fusionnement officiel. En 1907, la bande de Little Bone a officiellement cédé sa réserve et a été fusionnée avec la bande de Sakimay à la suite d’un vote et d’un accord entre les bandes.

[203]  Cependant, il n’y avait aucune loi ou politique officielle en place pour le transfert ou le fusionnement de bandes avant la fusion des bandes Chacachas et Kakisiwew, en 1884. En 1889, le ministère des Affaires indiennes a mis en place des lignes directrices concernant le transfert de bande, lesquelles indiquaient que le consentement des deux bandes était nécessaire pour que des membres puissent passer d’une bande à l’autre. À la suite de l’émission de ces lignes directrices, les membres qui passaient à la bande d’Ochapowace étaient approuvés par la majorité des membres de la bande lors d’une réunion en présence d’un agent des Indiens. Cette exigence a été ajoutée en 1895 à la Loi sur les Indiens (LC 1895, c 35, art. 8).

[204]  La législation ne faisait pas mention du fusionnement des bandes avant la Loi sur les Indiens, 1951, lorsque la Loi sur les Indiens a été modifiée de façon à accorder expressément au ministre la discrétion de fusionner des bandes lorsque la majorité des électeurs demande le fusionnement. Avant 1951, le ministre de la Justice avait conclu en 1947 que les fusions de bandes devraient être traitées comme des transferts de bande, c’est-à-dire qu’elles devraient aussi nécessiter un vote majoritaire.

[205]  Contrairement aux cas susmentionnés, aucune des deux bandes n’avait donné son accord ou son consentement, antérieurement ou subséquemment, à l’égard du fusionnement.

4)  Éléments de preuve généraux des conditions de privation de nourriture et de restriction en matière de mobilité

[206]  Les demandeurs et la bande d’Ochapowace ont également déposé une preuve concernant la « politique de privation de nourriture » et le système de laissez-passer qui étaient en place pendant les années 1880. Une telle preuve est pertinente étant donné qu’elle illustre l’inégalité de pouvoir et la dépendance des bandes, ce qui vient teinter toute hypothèse d’acceptation ou d’acquiescement.

[207]  Tel que l’ont décrit M. Whitehouse-Strong et M. Storey, la politique de privation de nourriture comportait de nombreux éléments : 1) le programme de travail en échange de rations (Work for Rations Program); 2) la restriction des rations en vue d’inciter des bandes à quitter certaines régions (comme dans le cas de Fort Walsh); et 3) des rations inférieures aux normes. Toutes ces pratiques semblent avoir pris naissance à la même période dans les Prairies, à la suite de l’effondrement de la chasse au bison.

[208]  D’après les éléments de preuve reçus lors du procès, la politique de travail en échange de rations semble avoir été mise en place aux alentours de 1878, au moment de la mise en œuvre du programme des exploitations agricoles familiales (Home Farm Program), qui offrait des rations limitées en échange de travaux effectués dans une exploitation agricole familiale. D’ordre général, la politique est apparue après l’effondrement de la chasse au bison, qui s’est produit entre 1878 et 1879. Une lettre du surintendant général adjoint VanKoughnet en 1882 indiquait que le premier ministre John A. Macdonald avait affirmé qu’il considérait comme une mauvaise politique de bien nourrir les bandes, étant en faveur de la prestation continue d’allocations au titre de la politique de privation de nourriture. L’agent des Indiens McDonald avait expressément reçu comme instructions de fournir le moins de rations possible aux Indiens physiquement aptes qui refusaient de travailler ou qui ne travaillaient pas dans la région du lac Crooked en 1882. M. Storey a fourni une preuve des rations limitées fournies dans le cadre du programme de travail en échange de rations entre 1882 et 1885, y compris un registre des rations limitées qui avaient été offertes aux membres de la bande d’Ochapowace en 1885.

[209]  Une autre politique, celle du système du laissez-passer, avait pour but de la mobilité des Premières nations dans les Prairies après 1885. En 1886, à la suite de la Rébellion du Nord-Ouest, le système de laissez-passer a été mis en place à l’échelle des Prairies. Dans le cadre de ce programme, les Indiens étaient tenus d’obtenir l’autorisation de l’agent des Indiens local pour quitter leur réserve pour quelque raison que ce soit. M. Vankoughnet a recommandé la mise en œuvre du système de laissez-passer à l’échelle des Prairies. La politique non officielle semble avoir eu une incidence sur le chef Chacachas, qui a été capturé et ramené à la réserve commune en 1886. Peu d’éléments de preuve ont été présentés pendant le procès quant au moment où le système de laissez-passer a pris fin dans la réserve d’Ochapowace, même s’il a peut-être pris fin avant les années 1930 (voir Laurie Barron, The Indian Pass System in the Canadian West, 1882-1935, Prairie Forum 13:1 (Printemps 1988), aux pages 38 et 39).

[210]  La preuve de ces politiques offre un contexte à la Cour concernant les conditions dans les réserves pendant la période visée de réinstallation, de regroupement et de fusionnement. Le système de laissez-passer permet d’expliquer pourquoi il était difficile pour les membres de la bande de quitter la réserve pour aller chasser ou protester contre le fusionnement.

VII.  Époque contemporaine

A.  Droits fonciers issus des traités et accords de règlement concernant la cession

[211]  Dans les années 1990, la bande d’Ochapowace et le Canada ont réglé les revendications de la bande d’Ochapowace concernant des droits fonciers issus de traités insuffisants et une cession des terres en 1919 présumée irrégulière.

[212]  Le processus de règlement des DFIT a commencé en Saskatchewan à la fin des années 1970 par la négociation et l’accord entre la Saskatchewan, le Canada et la Federation of Saskatchewan Indian (FSI) concernant ce qui était appelé la [traduction] « Formule relative à la Saskatchewan ».

[213]  La bande d’Ochapowace a reçu un financement pour poursuivre sa revendication concernant les DFIT au titre de la Formule relative à la Saskatchewan à la fin des années 1970 ou au début des années 1980. La FSI a mené des recherches au cours de ces premières phases du processus du DFIT, y compris la production de deux rapports qui résument l’histoire de la réserve d’Ochapowace en 1974 et en 1978. Dans ces rapports, il a été conclu que les bandes historiques ne s’étaient pas établies dans les réserves de 1876 et que les bandes historiques avaient voulu que leurs réserves soient réinstallées. Cependant, la résistance des Chacachas au fusionnement est consignée dans le rapport de 1978 où il est indiqué qu’aucun élément de preuve n’explique pourquoi les deux bandes ont été placées dans la même réserve en 1881.

[214]  Ochapowace a présenté une demande avec trois autres bandes dans les années 1980, appelée la demande « MOPS », lorsque le Canada s’est retiré de la Formule relative à la Saskatchewan. Cela a finalement abouti à la négociation et à la mise au point de l’accord-cadre de règlement sur les DFIT avec un certain nombre de bandes de la Saskatchewan, y compris la bande d’Ochapowace, en 1992.

[215]  En 1993, Ochapowace a conclu et ratifié un accord-cadre de règlement sur les DFIT propre à une bande, qui a versé environ 16 millions de dollars en règlement intégral de la demande d’Ochapowace relative à des terres visées par un traité. La bande d’Ochapowace était représentée par un avocat à partir des années 1980, et jusqu’au terme du processus de règlement.

[216]  Le Canada a convenu que les délais de prescription avaient été suspendus entre le 11 septembre 1985 et le 16 mars 1995, pendant les négociations en vue d’un règlement.

[217]  L’existence des deux bandes a été évoquée à plusieurs reprises lors de la négociation de l’accord sur les DFIT.

[218]  En 1984, selon la correspondance entre le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et le chef Morley Watson, tel était alors son titre, au sujet d’un règlement sur les DFIT au titre de la Formule relative à la Saskatchewan, le ministre n’était pas disposé à considérer les terres arpentées en 1876 pour les bandes de Chacachas et de Kakisiwew comme des réserves mises de côté pour la bande d’Ochapowace. Le ministre a proposé que la bande renonce à tout intérêt revendiqué dans la réserve de 1876 pour [traduction] « clore le dossier » dans le cadre du règlement sur les DFIT.

[219]  Entre 1991 et 1992, alors que les négociations relatives aux DFIT étaient en cours, Cameron Watson et d’autres personnes ont soulevé le rétablissement des bandes de Chacachas et de Kakisiwew en tant que problème relatif aux DFIT auprès le conseil de la bande d’Ochapowace, le Bureau du commissaire aux traités et le ministère des Affaires indiennes.

[220]  L’existence et le fusionnement des deux bandes ont été examinés lors de la négociation de l’accord de règlement sur les DFIT aux termes du cadre de 1992. Les parties ont négocié la date du premier relevé visant à déterminer la population sur laquelle les DFIT seraient fondés et se sont arrêtés sur l’année 1879. En choisissant l’année 1879, la date du premier relevé de population a été fondée sur le nombre total de personnes inscrites sur les listes de bénéficiaires de versements des bandes de Chacachas et de Kakisiwew en 1879.

[221]  Il est important de noter que le Canada a confirmé lors des négociations que la disposition sur la libération dans l’accord de règlement sur les DFIT n’aurait aucun effet sur les descendants pour la bande de Chacachas et pour la bande de Kakisiwew qui n’ont pas été pris en compte lors de l’accord de règlement sur les DFIT. L’accord de règlement sur les DFIT aura donc un effet sur les descendants de la bande de Chacachas et de la bande de Kakisiwew qui ont été pris en compte lors de l’accord à la date du premier relevé de population pour le règlement sur les DFIT.

[222]  M. Alois Gross, négociateur en chef du Canada de l’accord-cadre et de l’accord de règlement concernant la cession de 1919, a déclaré qu’il croyait que le fusionnement des bandes historiques demeurait une question sérieuse qui n’a pas été résolue dans les accords de règlement. Il pensait que la question serait traitée comme une question de division de bande ou une question de bande interne relativement aux biens issus de l’accord de règlement sur les DFIT.

[223]  Le Comité des revendications territoriales d’Ochapowace, qui a guidé les recherches et les négociations relatives aux accords de règlement pour la bande d’Ochapowace, était composé de plusieurs personnes se définissant comme faisant partie des bandes de Chacachas, de Kakisiwew et d’Ochapowace. Cameron Watson (Chacachas), Ross Allary (Ochapowace/Kakisiwew), Wesley George (Kakisiwew) et le chef Denton George (Ochapowace) ont tous siégé au Comité des revendications territoriales.

[224]  Le 22 octobre 1993, la bande d’Ochapowace a conclu l’accord de règlement sur les DFIT avec le Canada après l’approbation et la ratification de la majorité des membres de la bande le 15 octobre 1993. Dans cet accord sur les DFIT, la bande d’Ochapowace, au nom de ses membres, a libéré et indemnisé le Canada de toute revendication et revendication de ses prédécesseurs, au titre du Traité no 4 concernant les droits fonciers issus de traités au titre des articles 15.01 et 15.02 de l’accord de règlement sur les DFIT. Au titre de l’article 15.10, la libération ne s’appliquait pas aux non-membres qui n’avaient pas été pris en compte aux fins de l’accord.

[225]  L’accord de règlement concernant la cession de 1919 a été approuvé et ratifié le 14 mars 1995 et a également libéré et indemnisé le Canada de toute revendication découlant de la cession de 1919.

B.  Reconnaissance des bandes historiques

[226]  Par suite de l’approbation de l’accord de règlement sur les DFIT, des membres se définissant eux-mêmes comme faisant partie du groupe de Chacachas, y compris Cameron Watson et Sharon Bear, ont envoyé une lettre au conseil de bande d’Ochapowace et au ministère des Affaires indiennes dans le but de rétablir la bande et la réserve de Chacachas le 14 décembre 1993.

[227]  Mme Sharon Bear et M. Cameron Watson ont continué à faire des recherches et à discuter avec les aînés pour essayer d’établir une liste de la bande fondée sur les membres d’Ochapowace qui descendaient des membres de Chacachas. Ils ont conseillé et renseigné les membres sur ce qui est arrivé à la bande de Chacachas et à la bande de Kakisiwew.

[228]  Entre 1998 et 1999, le groupe Chacachas a organisé des réunions pour les descendants de la bande de Chacachas et a envoyé des avis de ces réunions à la communauté. Un groupe de personnes ayant assisté à une réunion pendant cette période a élu Cameron Watson, Sharon Bear, Eileen Farkas et Lynda Gattrell pour les représenter en tant que comité intérimaire de Chacachas. Un avis d’une réunion tenue le 16 janvier 1999 a été produit en preuve, mais il n’a pas été précisé comment cet avis avait été distribué. Selon le procès-verbal de cette réunion, les trois familles présentes ont choisi des chefs de famille et ont confirmé Cameron Watson comme chef par consensus. Le procès-verbal a également démontré que le groupe convoqué a discuté et appuyé la présentation d’une demande visant à rétablir la bande et la réserve de Chacachas.

[229]  Un comité représentatif de la famille Kakisiwew [comité de Kakisiwew], qui était aussi appelé le comité représentatif de la famille Ochapowace-Kakisiwew par le déposant de Kakisiwew, Wesley George, a été créé entre 1992 et 1997. Selon Wesley Bear, qui a témoigné au procès, 11 représentants de la famille ont été désignés pour former le comité de Kakisiwew. Les demandeurs Bear n’ont fourni aucun autre renseignement sur la façon dont le comité des Kakisiwew a été créé ou a cherché a recruté des membres.

[230]  Entre 1998 et 2000, le comité intérimaire de Chacachas a écrit à plusieurs reprises au chef Denton George d’alors et au ministère pour obtenir de l’aide dans le rétablissement de la bande de Chacachas. Le chef George, le conseil d’Ochapowace et le comité des Kakisiwew ont appuyé le rétablissement de la bande de Chacachas.

[231]  Le 1er décembre 1998, le comité intérimaire de Chacachas a écrit au Ministère pour indiquer qu’il avait rencontré le Conseil de la bande d’Ochapowace avant les négociations avec le Bureau du commissaire aux traités et a convenu que le rétablissement de la réserve de Chacachas aurait lieu lorsque la bande aurait acquis suffisamment d’acres pour répondre à la demande de la bande de Chacachas.

[232]  En 1999, le groupe de Chacachas s’est déclaré reconstitué et a adopté une résolution autorisant Cameron Watson à être porte-parole de la Fédération des nations autochtones souveraines [FSIN], après que la FSIN a reconnu la bande de Chacachas comme membre participant.

[233]  Le 10 novembre 1999, le conseil d’Ochapowace a adopté une résolution du conseil de bande (RCB) afin de changer le nom d’Ochapowace et s’appeler Kakisiwew, et pour reconnaître la bande de Chacachas comme une bande distincte. Cette RCB n’a pas été approuvée par le Ministère. Tout au long de cette période, le Ministère a informé le chef Denton George que toute séparation ou division de la bande d’Ochapowace se ferait conformément à la Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes et à l’article 17 de l’Acte relatif aux Sauvages.

[234]  Le Conseil d’Ochapowace a utilisé une partie des fonds de l’accord de règlement sur les DFIT pour acheter certaines des terres où se trouvait la réserve initiale de Chacachas, pour que les terres soient administrées par le peuple de Chacachas. Ces terres font maintenant partie des terres de réserve de la bande d’Ochapowace. La preuve fournie au procès ne permettait pas de savoir si les descendants de la bande de Chacachas continuent de gérer et d’administrer ces terres.

C.  Article 17 et Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes

[235]  La Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes est une politique nationale qui est en place dans sa version actuelle depuis 1991, même si une politique était également en vigueur avant 1991. Des versions de la Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes semblent exister depuis au moins 1978. Des lignes directrices pour évaluer les propositions de création de nouvelles bandes ou de fusionner des bandes au titre de l’article 17 de l’Acte relatif aux Sauvages sont présentées dans la Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes, qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de diviser ou de fusionner des bandes à leur demande.

[236]  Comme indiqué ci-dessus, la Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes a été présentée au chef George lorsque le conseil de la bande d’Ochapowace a cherché à rétablir la bande de Chacachas.

[237]  Aux termes de la Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes, lorsqu’un groupe de membres de la bande souhaite se séparer de sa bande parente, le Ministère impose un certain nombre d’exigences avant de formuler une recommandation demandant au ministre de diviser une bande existante. Plus important encore, la nouvelle bande doit avoir une assise territoriale et une entente avec la bande existante pour répartir les ressources existantes de la bande. Les ressources divisées doivent permettre à la bande existante et proposée de fournir des programmes et des services normalisés à ses membres. Une assise territoriale pour une Première Nation du Sud nécessite la cession de terres de réserve de la bande existante sans frais pour le Ministère. Le Ministère examinera également l’incidence de la proposition sur d’autres ministères fédéraux et des tiers.

[238]  La Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes établit également que le ministre approuvera la constitution d’une nouvelle bande pour satisfaire une obligation légale non acquittée, par exemple une ordonnance judiciaire ou des engagements pris aux termes d’un traité ou d’un règlement de revendications.

[239]  La Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes énonce la procédure suivante en ce qui concerne la division de bandes : [traduction]

  1. Le groupe qui cherche à constituer la nouvelle bande doit présenter une demande écrite officielle précisant les raisons de cette division ainsi que les options qui ont été envisagées. Lorsque les ressources en jeu et le nombre de membres de la bande qui proposent une division sont importants, la bande « mère » est tenue de présenter des résolutions du conseil de bande pour indiquer que le conseil de bande consent à la constitution d’une nouvelle bande et au transfert d’éléments d’actif proposé, s’il y a lieu. Il est recommandé que la bande existante et le groupe de bande proposé forment un comité mixte en vue de la négociation des ressources et des biens.

  2. Les employés de district ou les employés régionaux du ministère analysent la proposition et soumettent un rapport ainsi que des recommandations au sous-ministre adjoint, Terres, revenus et fiducie.

  3. Le Comité d’examen des ajouts aux réserves de l’administration centrale examine la proposition et soumet une recommandation au sous-ministre adjoint aux fins d’approbation de principe.

  4. Le sous-ministre adjoint peut alors refuser, approuver en principe, ou approuver en principe avec des conditions qui doivent être remplies avant l’établissement définitif de la nouvelle bande. Cette approbation de principe ne lie aucunement le ministre.

  5. Les membres formant la nouvelle bande doivent être consultés, de même que les membres de la bande existante si un grand nombre de membres ou d’importantes ressources sont transférés à la nouvelle bande. Les consultations peuvent avoir lieu par plébiscite ou selon les coutumes des membres de la bande en question. Les nouveaux membres de la bande doivent remplir des déclarations d’intention pour signifier leur intention de changer de bande afin d’établir la liste des membres et la liste des électeurs.

  6. Une fois que l’approbation de l’électorat touché a été obtenue, qu’une assise territoriale a été définie, et que toutes les conditions associées à l’approbation ont été remplies, un décret ministériel est préparé aux fins de signature par le ministre. Le décret peut également mettre de côté des terres de réserve existantes à l’usage et au profit de la nouvelle bande.

D.  Liens des demandeurs avec les bandes de Kakisiwew et de Chacachas

[240]  Les demandeurs Watson ont le lien de parenté suivant avec les membres d’origine de la bande de Chacachas :

  • L’arrière-arrière-grand-père de Sheldon Watson était Napitapeasew, dirigeant de la bande de Chacachas au moment de la signature du Traité no 4. Le grand-père paternel de Sheldon Watson portait le nom de Peter Watson. La mère de Peter Watson était la fille de Napitapeasew.

  • Peter Watson (qui n’est pas le grand-père de Sheldon Watson du même nom) est le fils de Cameron Watson, qui était le frère de Sheldon Watson. L’arrière-arrière-arrière-grand-père de Peter Watson était donc Napitaseawew.

  • L’arrière-grand-père de Sharon Bear était Little Assiniboine/Wasimosis [transcription phonétique], qui était dirigeant de la bande de Chacachas au moment de la signature du Traité no 4.

  • Charlie Bear (également connu sous le nom de Carey Bear) est le fils de Sharon Bear. Son arrière-arrière-grand-père était donc Little Assiniboine/Wasimosis.

  • L’arrière-arrière-grand-père de Winston Bear était également Little Assiniboine/Wasimosis. Sharon Bear est sa tante.

[241]  Bien que Sharon Bear se définisse comme membre de la bande de Chacachas, elle a également un lien de parenté du côté paternel avec Kanawashqahum, qui était membre de la bande de Kakisiwew. Charlie Bear, en tant que son fils, aurait également eu un lien de parenté avec la bande de Kakisiwew.

[242]  Bien que les membres de la famille Watson se considèrent comme des membres de la bande de Chacachas, un certain nombre d’entre eux ont siégé au conseil de bande d’Ochapowace, y compris en tant que chef.

[243]  En 2007, Cameron Watson a créé une liste de bande prospective pour la bande de Chacachas à partir de la liste électorale de la bande d’Ochapowace. Cette liste était en fait composée de trois listes distinctes. La première comprenait uniquement les membres qui avaient consenti à ce que leur nom soit divulgué comme faisant partie des membres de la Première Nation Chacachas. La deuxième liste comportait les membres de la liste électorale des Ochapowace qui, selon Cameron Watson, étaient admissibles en tant que membres de la Première Nation selon une définition qui avait été fournie au Canada. Malheureusement, la définition fournie au Canada ne semble pas avoir été fournie à la Cour. Sur la troisième liste étaient désignés les membres de la liste électorale des Ochapowace qui, selon Cameron Watson, étaient admissibles en tant que membres de la Première Nation Kakisiwew, appliquant la même définition que celle utilisée pour désigner les membres de la bande de Chacachas. Certains membres de la bande d’Ochapowace étaient désignés comme étant admissibles en tant que membres de la bande de Kakisiwew ou de Chacachas, alors que d’autres membres n’étaient pas admissibles à l’une ou l’autre de ces bandes.

[244]  Selon Sheldon Watson, cette liste n’était pas définitive, et elle n’avait pas été créée ni approuvée par un quelconque comité des aînés. La liste n’a pas été mise à jour depuis 2007.

[245]  Les demandeurs Bear allèguent qu’ils ont le lien de parenté suivant avec les membres de la bande de Kakisiwew :

  • Sam Isaac est l’arrière-petit-fils du chef Kakisiwew. Son grand-père maternel était Walter Ochapowace. Le père de Walter Ochapowace était le chef Ochapowace. Le chef Ochapowace était le fils du chef Kakisiwew. Sam Isaac a témoigné que Walter Ochapowace était le fils du chef Kakisiwew, mais tous les autres éléments de preuve indiquent que Walter Ochapowace était le petit-fils du chef Kakisiwew.

  • Wesley Bear est l’arrière-petit-fils de Jacob Bear. Jacob Bear était interprète lors de la signature du Traité no 4 et est ensuite devenu membre de la bande de Kakisiwew. Il était inclus dans la liste des bénéficiaires de la bande de Kakisiwew en 1876. Selon Cameron Watson, ce n’est qu’en 1890 que Jacob Bear est devenu membre à part entière de la bande d’Ochapowace. Wesley Bear a également un lien de parenté avec Little Assiniboine, dirigeant des Chacachas, étant donné qu’il est le cousin de Sharon Bear.

  • L’arrière-arrière-arrière-grand-père d’Audrey Isaac est le chef Kakisiwew. Elle est la nièce de Sam Isaac, et a un lien de parenté semblable avec le chef Kakisiwew.

  • L’arrière-grand-père de Freda Allary est Thomas Allary/Henry. Cameron Watson a décrit la famille Henry/Allary comme provenant de la Première Nation Cowessess en 1896. Ross Allary a indiqué que son père, Alexander Allary (qui était également désigné comme le grand-père de Freda Allary) était le fils de Louis Henry, et non le fils de Thomas Allary/Henry.

  • L’arrière-grand-père de Freida Sparvier est « Two Voice ». Son grand-père était Peter Watson/Pacatowashyn.

  • L’arrière-grand-père de Mavis Bear était Jacob Bear. Tel qu’il est décrit ci-dessus pour Wesley Bear, on ne peut établir avec certitude la période durant laquelle Jacob Bear faisait partie de la bande de Kakisiwew ou d’Ochapowace.

  • L’arrière-arrière-grand-père de Michael Kenny était Sam Isaac.

  • L’arrière-arrière-arrière-grand-père de Shirley Flamont était le chef Kakisiwew.

[246]  Exception faite de Sam Isaac, de Wesley Bear et d’Audrey Isaac, les autres demandeurs Kakisiwew n’ont présenté aucun élément de preuve au procès concernant leurs liens ancestraux avec la bande de Kakisiwew. Plutôt, les demandeurs Bear ont fourni la preuve de leur descendance au moyen d’un affidavit de Robert George, membre du comité des Kakisiwew, qui était joint à un dossier de requête de 2007 déposé au procès dans un dossier d’instruction supplémentaire. Malheureusement, ce dossier de requête n’explique pas très clairement qui était chacun des ancêtres nommés en lien avec la bande de Kakisiwew.

[247]  Aux fins de l’espèce, je reconnais que Sam Isaac et Audrey Isaac ont démontré qu’ils ont des liens ancestraux avec la bande de Kakisiwew. Wesley Bear a démontré qu’il a des liens ancestraux avec Jacob Bear, dont l’appartenance à la bande de Kakisiwew n’est pas évidente, étant donné qu’il figurait sur la liste de paie des Kakisiwew en 1876, mais la preuve fournie par la bande d’Ochapowace indique que ce n’est qu’en 1892 que Jacob Bear est officiellement passé à la bande d’Ochapowace.

[248]  Wesley George, le déposant des Kakisiwew, et le défunt chef Denton George ont affirmé lors de l’interrogatoire préalable que la bande d’Ochapowace est la même entité que l’historique bande de Kakisiwew. Ross Allary, un témoin pour les Ochapowace, a confirmé qu’il pensait également que la bande d’Ochapowace et la bande de Kakisiwew étaient essentiellement la même entité.

[249]  Les liens entre les trois groupes (Chacachas, Kakisiwew et Ochapowace) et au sein de ceux-ci font en sorte qu’il est difficile d’établir certaines des mesures de réparation. Les mesures de réparation doivent être déterminées de manière pratique, mais sensible, en tenant compte de ces relations complexes.

VIII.  Historique des procédures

[250]  Les demandeurs Watson et Bear ont respectivement intenté leurs actions le 16 novembre 2000. La Couronne a déposé sa première défense le 30 janvier 2001. La bande d’Ochapowace a déposé sa première défense et sa demande reconventionnelle contre la Couronne le 7 mars 2001. Tous les actes de procédures ont subséquemment été modifiés au moins une fois.

[251]  En 2008, le juge Hugessen a établi les questions à trancher dans le cadre de la phase initiale du procès, tel qu’il est décrit au paragraphe 8 (ordonnance de la phase initiale). Ces dernières ont subséquemment été modifiées par une ordonnance en 2011.

[252]  Le juge Fothergill, dans la décision Watson c Canada, 2017 CF 321, 290 ACWS (3d) 452 [Watson], a accueilli en partie les requêtes de la Couronne en jugement sommaire. Il a conclu que les demandeurs avaient été empêchés de présenter des revendications territoriales ou d’autres mesures de réparation en ce qui concerne les questions de faits et de droit qui sont abordées dans l’accord de règlement sur les droits fonciers issus de traités (DFIT) et dans l’accord de règlement concernant la cession de 1919. Il a tranché qu’il existe une question litigieuse en ce qui concerne la question de savoir si les dispositions relatives à la libération des accords de règlement empêchent les demandeurs de poursuivre une action en justice en ce qui concerne les déclarations selon lesquelles la bande de Chacachas et la bande de Kakisiwew continuent d’exister. Le juge Fothergill a également déterminé que les questions de qualité, de délais de prescription et de délais préjudiciables ne sont pas aptes à être tranchées lors d’une requête en jugement sommaire

[253]  Le 8 janvier 2018, le juge Lafrenière a réuni ces deux actions (T-2153-00 et T­2155-00) pour qu’elles soient instruites ensemble afin de déterminer les questions de la phase initiale du procès conformément à l’ordonnance de la phase initiale modifiée.

IX.  Questions en litige

[254]  La Cour a exposé les faits de façon assez détaillée étant donné l’absence d’histoire écrite pour relater les événements marquants dans la vie des bandes historiques. Cette décision ne constitue qu’une partie de l’histoire de ce peuple, maintenant et à l’avenir.

[255]  Les questions à trancher dans la phase initiale du procès sont définies par les questions dans l’ordonnance de la phase initiale. Les réponses aux questions 1 et 2 de l’ordonnance de la phase initiale ont été convenues par les parties – les bandes de Chacachas et de Kakisiwew existaient en tant que bandes indiennes en 1874, année de la signature du Traité no 4. Je me suis penché sur les questions en lien avec l’ordonnance de la phase initiale, mais j’ai combiné, scindé et réorganisé les questions au besoin, pour mon analyse.

[256]  En vue de répondre aux questions énoncées dans l’ordonnance de la phase initiale, les questions à trancher sont les suivantes :

  1. Les bandes du chef Chacachas et du chef Kakisiwew ont-elles été fusionnées, regroupées ou jointes d’une autre manière? Le cas échéant, était-ce fait d’une manière valable?

  2. La bande de Chacachas et la bande de Kakisiwew peuvent-elles continuer à faire valoir leurs droits et à les exercer en tant que bandes distinctes liées par un traité?

  3. Les bandes Chacachas et Kakisiwew ont-elles été empêchées de faire valoir qu’elles sont des bandes distinctes liées par un traité en raison d’une irrecevabilité, de délais de prescription légaux ou de délais préjudiciables et de l’acquiescement.

  4. Les demandeurs nommés ont-ils qualité pour formuler les présentes demandes?

  5. Si les bandes historiques ont été fusionnées illégalement, quel est le statut juridique des bandes de Chacachas, de Kakisiwew et d’Ochapowace?

  6. Est-ce qu’un jugement déclaratoire est possible pour l’une ou l’autre de ces questions si les demandes de mesure de réparation compensatoires sont irrecevables en raison de délais de prescription?

X.  Analyse

A.  Les bandes du chef Chacachas et du chef Kakisiwew ont-elles été fusionnées, regroupées ou jointes d’une autre manière? Le cas échéant, était-ce fait d’une manière valable?

[257]  J’ai déjà présenté mon appréciation du processus factuel historique lié au fusionnement ci-dessus. Aucun doute ne subsiste quant à l’existence d’un prétendu fusionnement, du moins aux yeux de la Couronne. Je me penche maintenant sur la question de savoir si la Couronne s’est acquittée de ses obligations concernant le fusionnement des bandes historiques.

[258]  Les arguments invoqués par les parties soulèvent trois situations qui peuvent engendrer des obligations pour la Couronne : 1) la création de la réserve initiale; 2) la cession de réserves initiales et la création d’une réserve commune; et 3) le fusionnement des bandes. Les demandeurs et la bande d’Ochapowace allèguent un abus de confiance, un manquement aux obligations fiduciaires et une violation du traité en raison du processus de réinstallation, de regroupement et de fusionnement des bandes historiques. Pour les besoins de la présente phase du procès, les obligations de la Couronne à l’égard du fusionnement des bandes sont certes pertinentes, mais il est également utile de se pencher sur les obligations de la Couronne à l’égard de la création et de la cession de réserves.

[259]  J’ai conclu que la Couronne a manqué à ses obligations fiduciaires envers les bandes historiques, de même qu’à ses obligations aux termes du Traité no 4 en ayant omis d’obtenir le consentement des bandes à l’égard du fusionnement.

[260]  Quoique tangentiel à la question de fusionnement, la Cour conclut également que la Couronne a manqué à son obligation fiduciaire envers la bande de Chacachas en ayant omis protéger et de préserver son intérêt à l’égard de la réserve.

[261]  Avant de déterminer les obligations de la Couronne en l’espèce, il est tout d’abord nécessaire de se pencher sur le lien entre la relation fiduciaire plus vaste de la Couronne avec les peuples autochtones, ses obligations fiduciaires précises et l’honneur de la Couronne. Cela permet d’établir un peu plus de contexte en ce qui concerne les questions clés du présent litige.

[262]  La relation entre la Couronne et les peuples autochtones est généralement de nature judiciaire. Cette relation est issue de l’affirmation de la souveraineté de la Couronne, mais les négociations des parties dans une relation fiduciaire ne sont pas nécessairement régies par des obligations fiduciaires (Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, au paragraphe 43, [2018] 1 RCS 83 [Williams Lake]).

[263]  Cette relation fiduciaire générale se conjugue à l’honneur de la Couronne (Williams Lake, au paragraphe 43). Comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Manitoba Metis Federation Inc. c Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, au paragraphe 73, [2013] 1 RCS 623 [Manitoba Metis], l’honneur de la Couronne fait naître les obligations fiduciaires sui generis de la Couronne.

[264]  Une obligation fiduciaire précise prend naissance entre la Couronne et un groupe autochtone de deux différentes façons :

  1. Une obligation sui generis prend naissance s’il existe un intérêt autochtone particulier ou identifiable, un engagement de la Couronne, ou l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard de cet intérêt de la nature d’une obligation de droit privé (Williams Lake, au paragraphe 44; et Guerin c La Reine, [1984] 2 RCS 335, page 385, 13 DLR (4th) 321 [Guerin]).

  2. Une obligation fiduciaire ad hoc de droit privé prend naissance si la Couronne s’est engagée à agir au mieux des intérêts de bénéficiaires définis vulnérables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Couronne et dont les intérêts juridiques ou les intérêts pratiques importants pourraient subir une incidence défavorable (Williams Lake, au paragraphe 44; Manitoba Metis, au paragraphe 50). Ce type d’obligation ne prend naissance que lorsque la Couronne s’est engagée à respecter une obligation de loyauté envers le seul bénéficiaire, ce qui est rare, car la Couronne agit généralement dans l’intérêt public (voir Manitoba Metis, aux paragraphes 61 à 63). En l’espèce, l’obligation peut prendre naissance lorsque la Couronne fait une promesse affirmative par traité et n’a aucun autre devoir de loyauté dans la réalisation de cette promesse (Restoule v Canada (Attorney General), 2018 ONSC 7701, aux paragraphes 520 à 528, 300 ACWS (3d) 226).

[265]  En plus de faire naître des obligations fiduciaires particulières, le principe de l’honneur de la Couronne guide aussi la façon dont la Couronne conclut les traités, les met en œuvre, et la manière dont elle doit agir pour que les traités conclus atteignent leur but (Manitoba Metis, au paragraphe 73). Le principe de l’honneur de la Couronne oblige la Couronne à adopter une approche libérale et téléologique dans l’interprétation de promesses qu’elle a faites par traité et à agir avec diligence pour s’acquitter de ces promesses (Manitoba Metis, au paragraphe 75).

[266]  Le principe de l’honneur de la Couronne n’est pas une cause d’action, mais régit la façon dont la Couronne doit s’acquitter de ses obligations. En l’espèce, le principe de l’honneur de la Couronne guide les droits et les obligations qui découlent du Traité no 4, en plus faire naître ses obligations fiduciaires sui generis. Il s’agit d’un principe constitutionnel dont l’objectif fondamental est la réconciliation des sociétés autochtones préexistantes avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne (Manitoba Metis, au paragraphe 66; Beckman c Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, au paragraphe 42, [2010] 3 RCS 103 [Little Salmon]).

1)  Création de réserves en 1876

[267]  Pour déterminer l’incidence de l’arpentage des terres de réserve en 1876 sur les obligations de la Couronne en l’espèce, il faut d’abord déterminer si les terres arpentées sont devenues légalement des réserves mises de côté aux fins d’usage par les bandes de Chacachas et de Kakisiwew, respectivement, et à leur avantage.

[268]  La question de savoir si une réserve a été créée est une enquête propre au contexte, mais la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54, au paragraphe 67, [2002] 2 RCS 816 [Ross River] a énoncé quatre exigences générales qui s’appliquent à la création de réserves : 1) la Couronne doit avoir eu l’intention de créer une réserve, 2) il faut que ce soit des représentants de la Couronne investis de l’autorité suffisante pour lier celle-ci qui aient eu cette intention, 3) des mesures doivent être prises lorsqu’on veut mettre des terres à part comme terres de réserve à l’intention des Indiens, et 4) la bande visée doit avoir accepté les terres de réserve et avoir commencé à utiliser les terres en question. Même si la Cour suprême du Canada dans Ross River a souligné que la création de réserves au Canada a été variée et incompatible, ce critère à quatre volets a maintenant été admis comme critère général de création de réserves (voir les décisions Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, au paragraphe 13, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum]; Bande de Montana c Canada, 2006 CF 261, aux paragraphes 649 à 650, 148 ACWS (3d) 507 [Montana]).

[269]  Les trois premiers volets du critère sont clairement satisfaits en l’espèce, comme le démontre le fait que les hauts fonctionnaires du gouvernement ont envoyé l’arpenteur Wagner dans le but d’arpenter des réserves aux fins du Traité no 4 et les réserves de Chacachas et de Kakisiwew ont ensuite été inscrites comme des réserves [traduction] « mises de côté » dans un registre des réserves de 1877. MM. Whitehouse-Strong et Storey étaient d’accord pour dire que le gouvernement avait probablement l’intention de mettre de côté les réserves.

[270]  Le principal point de discorde entre les experts est le quatrième volet du critère, à savoir si les réserves en question ont été utilisées et acceptées par les bandes historiques.

[271]  Comme il a été conclu ci-dessus aux paragraphes 118 à 127, au moins certains membres de la bande de Kakisiwew et de la bande de Chacachas ont utilisé leurs réserves dans une certaine mesure avant 1881. La bande de Kakisiwew a mieux étayé sur des documents le fait qu’elle avait commencé à exploiter sa réserve en 1878, mais certains membres de la bande de Chacachas semblent également avoir commencé à utiliser leur réserve entre 1879 et 1881.

[272]  Étant donné que le gouvernement a seulement enregistré l’utilisation agricole des terres de réserve, les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale sont utiles pour fournir des éléments de preuve supplémentaires d’autres utilisations des terres par la bande de Chacachas. Plus précisément, dans l’histoire de Kanipatit racontée par Sharon Bear, au moins certains membres de Chacachas vivaient et chassaient sur la terre de la réserve et l’utilisaient comme la leur jusqu’en 1881.

[273]  Je ne considère pas que le critère [traduction] « d’acceptation » soit le même que l’acceptation en droit des contrats ni que l’acceptation est une renonciation à toute revendication selon laquelle la réserve n’a pas été correctement créée. L’acceptation dans le contexte de l’utilisation implique un degré de permanence et d’attachement à la terre semblable à [traduction] « l’occupation » en conjonction avec l’utilisation. Conclure autrement reviendrait à imposer une définition exagérément étroite et technique.

[274]  Dans ce processus initial de création de réserves, la Couronne accomplissait une fonction de droit public aux termes de la Loi sur les Indiens pour mettre de côté des réserves (Wewaykum, au paragraphe 86). En créant les réserves, la Couronne avait une obligation générale de loyauté, de bonne foi, de communication complète de l’information, et d’exercice de la prudence ordinaire (Wewaykum, au paragraphe 86).

[275]  La Couronne n’avait pas d’obligation fiduciaire relativement à la terre avant la création de la réserve, même lorsqu’un traité comprenait une promesse de terre à la bande, puisque ce sont l’usage et l’occupation qui font naître un intérêt autochtone sur des terres en particulier (Manitoba Metis, au paragraphe 58).

[276]  La Couronne avait l’obligation, aux termes du Traité no 4, de consulter les bandes de Chacachas et de Kakisiwew au sujet de l’emplacement de leurs réserves et de mettre de côté une réserve pour chaque bande conformément à la formule de détermination de la superficie des réserves énoncée dans le Traité no 4. Ces obligations semblent avoir été respectées, car dans l’ensemble, les bandes historiques ont été consultées sur les emplacements initiaux des réserves et les réserves ont été arpentées et mises de côté en conséquence.

[277]  Les éléments de preuve permettent d’établir que les réserves de 1876 ont été créées pour les bandes historiques respectives.

2)  Cession des premières réserves et création d’une réserve commune

[278]  Comme j’ai conclu que les réserves de 1876 ont été créées, les bandes historiques ont dû consentir à la cession de leurs réserves. Le poids de la preuve permet de confirmer que la bande de Chacachas n’a ni consenti à la cession de sa réserve, bien que la bande de Kakisiwew l’ait fait, ni à la réinstallation de sa réserve. Cependant, aucune bande n’a officiellement cédé ses réserves d’origine de 1876.

[279]  Une fois une réserve créée, la Couronne a une obligation fiduciaire de faire montre de la diligence ordinaire requise pour protéger et préserver l’intérêt de la bande dans les terres de réserve contre l’extinction ou l’empiétement par les tiers ou par la Couronne elle-même (Wewaykum, au paragraphe 100). Tant qu’il restera des membres de la bande pour lesquels la réserve a été mise de côté – ce qui était le cas, la Couronne est tenue de préserver et de protéger leur intérêt dans la réserve (Montana Band, au paragraphe 495).

[280]  Aux termes du Traité no 4, la Couronne devait obtenir le consentement d’une bande avant la cession d’une réserve. Selon l’article 37 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, LC 1880, c 28, un vote majoritaire des membres qui résidaient habituellement dans la réserve était nécessaire. Selon l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, un représentant du surintendant général et un chef ou un principal responsable présents lors du vote de la bande devaient certifier ensuite sous serment que la bande avait consenti à l’abandon ou à la cession.

[281]  Une cession qui ne respecte pas strictement les dispositions de l’Acte relatif aux Sauvages ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu manquement à une obligation fiduciaire, à moins que le Canada n’ait agi d’une manière abusive ou déraisonnable incompatible avec l’intérêt des bandes (Papaschase Indian Band No 136 v Canada (Attorney General), 2004 ABQB 655, au paragraphe 83, 365 AR 1 [Papaschase ABQB], infirmé en partie dans la décision Papaschase Indian Band No 136 v Canada (Attorney General), 2006 ABCA 392, 404 AR 349 [Papaschase ABCA], confirmée sur d’autres motifs dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 RCS 372 [Lameman]).

[282]  Cependant, l’absence d’un manquement à l’obligation fiduciaire ne crée pas une cession valide de terres ni ne régularise une inobservation des exigences légales.

[283]  Étant donné que j’ai conclu que les réserves de 1876 étaient dûment mises de côté, rien ne prouve que la bande de Chacachas ait officiellement cédé sa réserve. Rien ne prouve que les membres de Chacachas qui ont continué à résider dans la réserve aient voté en faveur de la cession. De plus, aucune preuve n’indique que les deux dirigeants de Chacachas présents dans la région de Qu’Appelle en 1881 ont ou auraient pu lier toute la bande à l’égard de la cession lorsque le chef, les deux autres dirigeants et les deux tiers des membres n’étaient pas présents. Ceci est également appuyé par les protestations enregistrées des membres de la bande qui sont allés retrouver leur bande regroupée dans une réserve avec la bande de Kakisiwew.

[284]  En tant que fiduciaire, le Canada a agi de façon déraisonnable et incompatible avec les intérêts de la bande de Chacachas en réinstallant sa réserve lorsque les dirigeants et la plupart des membres de la bande étaient loin de la réserve. La Couronne a omis de protéger et de préserver les intérêts des membres de la bande de Chacachas dans la réserve en n’obtenant pas le consentement de la bande ou de ses membres à la cession de leurs terres de réserve.

[285]  En revanche, je conclus que la direction de la bande de Kakisiwew a consulté ses membres au sujet du changement d’emplacement de la réserve. Ce fait, ainsi la raison viable de la réinstallation en raison du manque de bois dans la réserve initiale, indique que la Couronne n’a probablement pas manqué à son obligation fiduciaire en réinstallant la réserve, même s’il n’y a aucune trace d’une cession officielle. La réinstallation de la réserve de Kakisiwew ne semble être ni abusive ni déraisonnable.

[286]  Les demandeurs Bear ont soutenu que cette omission de protéger et de préserver les réserves des bandes historiques constitue un abus de confiance. Bien que ces obligations fiduciaires « constituent une fiducie », la terre de réserve n’est pas détenue en fiducie et aucune relation fiduciaire ne naît lors de la cession d’une réserve, comme l’a expliqué le juge Dickson dans Guerin, aux paragraphes 386 et 387.

3)  Fusionnement

[287]  Tel que cela a été dit dans la section Aperçu, mais qu’il convient de répéter ici, en fusionnant les bandes historiques sans leur consentement, la Couronne a manqué à ses obligations fiduciaires envers les bandes historiques et n’a pas fait honneur aux promesses visées dans le Traité no 4 conformément au principe de l’honneur de la Couronne. En obligeant les bandes historiques à partager une réserve, à recevoir des annuités de traité ensemble et à partager une structure de gouvernance de bande, sans leur consentement, la Couronne a empêché les bandes d’exercer leurs droits issus de traités en tant que collectivités détentrices de droits distinctes.

[288]  Le terme [traduction] « fusionnement » fait référence au moment où les deux bandes, initialement reconnues par la Couronne en tant que bandes distinctes aux termes du Traité no 4 et de la Loi sur les Indiens, sont devenues une seule bande au sens de la Loi sur les Indiens. Il s’agissait d’une mesure administrative prise par la Couronne pour traiter les bandes comme une seule bande. Selon la définition de [traduction] « bande » énoncée au paragraphe 2(1) de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, une bande doit avoir un intérêt dans la réserve ou partager également dans la distribution d’annuités ou de deniers provenant de l’intérêt de fonds dont le gouvernement fédéral est responsable (Montana, aux paragraphes 444 à 446). Dans Montana, au paragraphe 454, la Cour fédérale a confirmé que les annuités de traité étaient incluses dans les distributions de la Couronne que les bandes se partageaient également. Par conséquent, les bandes auraient été considérées comme fusionnées aux termes de l’Acte relatif aux Sauvages, une fois qu’elles n’avaient plus d’intérêts distincts dans la réserve ni de listes de bénéficiaires d’annuités du traité distinctes.

[289]  En l’espèce, les deux bandes historiques partageaient un intérêt dans la réserve dès 1881, mais demeuraient des bandes distinctes aux termes de l’Acte relatif aux Sauvages, jusqu’à ce qu’elles commencent à recevoir systématiquement les annuités du traité ensemble sur une seule liste de bénéficiaires en 1884 (elles ont également reçu les rentes des traités ensemble en 1882, mais les ont ensuite reçus séparément en 1883). De plus, elles ont eu le même conseil de bande à partir de 1884. En 1884, les bandes historiques sont devenues une seule bande au titre de l’Acte relatif aux Sauvages.

a)  Obligations fiduciaires en matière de fusionnement

[290]  Bien que le processus de création de réserves fasse généralement partie des devoirs publics de la Couronne, le fusionnement des bandes historiques a nécessité l’exercice du pouvoir discrétionnaire important de la Couronne sur l’appartenance à la bande, les annuités du traité et les terres de réserve après la mise de côté de la réserve commune. Le processus de fusionnement des bandes ne se limitait pas à la création d’une réserve, car il nécessitait également que la Couronne regroupe les membres des bandes, paye leurs annuités sur une seule liste de bénéficiaires d’annuités du traité et ne reconnaisse qu’un seul gouvernement de bande.

[291]  Étant donné que l’Acte relatif aux Sauvages ne conférait aucun pouvoir légal de fusionner des bandes, le pouvoir de la Couronne de fusionner des bandes découle de son pouvoir discrétionnaire au titre de la prérogative de la Couronne de prendre des décisions conformes à ses obligations envers les peuples autochtones (Papaschase ABQB, au paragraphe 90). En exerçant son pouvoir discrétionnaire concernant l’appartenance à une bande et les terres de réserve pour fusionner les bandes, la Couronne avait l’obligation sui generis d’agir au mieux des intérêts des bandes historiques (Bande indienne de Peepeekisis c Canada (Ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2013 CAF 191, aux paragraphes 40 et 41, 232 ACWS (3d) 1 [Peepeekisis CAF]).

[292]  Étant donné que la fusion de bandes a profondément touché la capacité des bandes historiques à utiliser leurs propres terres de réserve et à en tirer avantage, j’ai déterminé que la Couronne avait le devoir de consulter les bandes historiques avant de regrouper les membres des bandes et de fusionner leurs intérêts dans la réserve au titre de ses obligations fiduciaires envers les bandes. Notre Cour a déjà conclu que la Couronne a l’obligation de consulter dans les affaires concernant des terres qui varie selon les circonstances (voir la décision Fairford First Nation c Canada (Procureur général) (1998), [1999] 2 CF 48, aux paragraphes 197 à 199, 156 FTR 1 (1re inst.)).

[293]  En ne consultant pas la bande de Chacachas en particulier au sujet du fusionnement des bandes, surtout compte tenu des protestations enregistrées des membres de la bande de Chacachas de retour en 1883, la Couronne a manqué à ses obligations fiduciaires envers la bande de Chacachas.

b)  Obligations issues de traités et honneur de la Couronne

[294]  Je conclus aussi que la Couronne a omis de s’acquitter honorablement de ses obligations aux termes du traité en ayant omis d’obtenir le consentement des bandes historiques à l’égard du fusionnement. Étant donné que le principe de l’honneur de Couronne guide la conclusion et la mise en œuvre du traité, il influe sur la façon dont la Couronne pourrait traiter les deux bandes historiques lors de la mise en œuvre des promesses du Traité no 4. Bien que la mise de côté des réserves pour les bandes et la reconnaissance des bandes ayant eu lieu aient été influencées par l’Acte relatif aux sauvages, les actes de mise de côté des réserves et de paiement des annuités de traité au profit des bandes de Chacachas et de Kakisiwew étaient fondés sur les promesses du Traité no 4. Par conséquent, les mesures administratives prises aux termes de la Loi sur les Indiens en l’espèce ont eu une incidence sur la réalisation des promesses faites par traité.

[295]  Pour déterminer ce que le Traité no 4 et le principe de l’honneur de la Couronne nécessitaient pour fusionner légalement les bandes, il faut se référer aux termes du Traité no 4 pour évaluer la nature des promesses faites et ensuite déterminer si les actes de la Couronne étaient honorables dans la mise en œuvre et la réalisation des fins prévues du Traité no 4.

[296]  Les demandeurs Watson ont fait valoir qu’une promesse sous-jacente du Traité no 4 est [traduction] « de reconnaître l’existence des bandes avec lesquelles elle a signé le traité ». Comme j’interprète l’essentiel de l’argument du point de vue des demandeurs, la promesse est inhérente au processus de traité lui-même par l’acceptation de la signature des bandes historiques et la prise d’engagements à leur égard, la reconnaissance et la préservation sont une condition essentielle du Traité. Malheureusement, les demandeurs n’ont pas expliqué clairement comment interpréter le Traité pour trouver cette promesse.

[297]  J’ai donc appliqué les règles d’interprétation des traités suivantes, résumées par la juge McLachlin (tel était alors son titre) dans sa dissidence dans l’arrêt R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, au paragraphe 78, 177 DLR (4th) 513 [Marshall 1] :

1.  Les traités conclus avec les Autochtones constituent un type d’accord unique, qui demandent l’application de principes d’interprétation spéciaux.

2.  Les traités doivent recevoir une interprétation libérale, et toute ambiguïté doit profiter aux signataires autochtones.

3.  L’interprétation des traités a pour objet de choisir, parmi les interprétations possibles de l’intention commune, celle qui concilie le mieux les intérêts des deux parties à l’époque de la signature.

4.  Dans la recherche de l’intention commune des parties, l’intégrité et l’honneur de la Couronne sont présumés.

5.  Dans l’appréciation de la compréhension et de l’intention respectives des signataires, le tribunal doit être attentif aux différences particulières d’ordre culturel et linguistique qui existaient entre les parties.

6.  Il faut donner au texte du traité le sens que lui auraient naturellement donné les parties à l’époque.

7.  Il faut éviter de donner aux traités une interprétation formaliste ou inspirée du droit contractuel.

8.  Tout en donnant une interprétation généreuse du texte du traité, les tribunaux ne peuvent en modifier les conditions en allant au-delà de ce qui est réaliste ou de ce que « le langage utilisé [...] permet ».

9.  Les droits issus de traités des peuples autochtones ne doivent pas être interprétés de façon statique ou rigide. Ils ne sont pas figés à la date de la signature. Les tribunaux doivent les interpréter de manière à permettre leur exercice dans le monde moderne. Il faut pour cela déterminer quelles sont les pratiques modernes qui sont raisonnablement accessoires à l’exercice du droit fondamental issu de traité dans son contexte moderne.

[Renvois omis.]

[298]  Lors de l’interprétation des traités, la Cour peut tenir pour avérée l’existence d’une condition à la lumière de l’intention présumée des parties lorsque cela est nécessaire pour donner plein effet au traité (Marshall 1, au paragraphe 43).

[299]  Aux termes du Traité no 4, les bandes représentées par leurs chefs signataires étaient les unités par lesquelles transitaient de nombreux avantages découlant du Traité. Les avantages découlant du Traité pour les bandes comprenaient des réserves, des paiements aux chefs de bande, une école et du matériel agricole. Ces droits sont collectivement détenus par la bande signataire ou son successeur. L’existence continue du groupe en tant qu’entité capable d’exercer ses droits collectifs est implicite et nécessairement accessoire à chacune de ces promesses. Adoptant la même analyse que celle faite dans Marshall 1, au paragraphe 43, si un observateur objectif des négociations du Traité avait demandé [traduction] « la Couronne est-elle autorisée à fusionner unilatéralement les bandes signataires? », la réponse concernant le principe de l’honneur de la Couronne aurait été [traduction] « bien sûr que non », car la continuité des bandes était fondamentale pour leur capacité à obtenir les promesses du traité qui avaient été faites à chaque bande en particulier.

[300]  En outre, le Traité no 4 a souligné l’exigence de consulter chaque bande avant la création de la réserve et d’obtenir le consentement de la bande avant la cession de la réserve. Si la Couronne était en mesure de fusionner unilatéralement des bandes sans leur consentement, cela nuirait à la capacité des bandes d’être consultées sur la création de réserves ou de consentir à toute cession de réserves, car les opinions de leurs membres seraient nuancées par les membres de l’autre bande avec laquelle ils ont été fusionnés.

[301]  Les instructions du sous-ministre à l’arpenteur Wagner en 1875, moins d’un an après la conclusion du Traité no 4, indiquent également que le regroupement des bandes dans une réserve nécessitait leur consentement :

[traduction]
Le ministre estime que les réserves ne doivent pas être trop nombreuses et qu’il faudrait, dans la mesure du possible et, s’ils y consentent, regrouper dans une même réserve le plus grand nombre possible de chefs de bandes parlant la même langue. [Non souligné dans l’original.]

[302]   Ces instructions appuient la conclusion selon laquelle les parties au Traité no 4 avaient l’intention commune de garantir que chacune des bandes resterait séparée les unes des autres, à moins qu’elles ne consentent au fusionnement. La Couronne ne peut revenir sur l’intention et l’engagement implicite.

[303]  Interpréter le Traité no 4 de manière à permettre à la Couronne de fusionner unilatéralement les bandes signataires laisserait aux bandes « une promesse – issue de traité – vide de contenu » (Marshall 1, au paragraphe 52). Le fusionnement des bandes signifiait que les bandes ne seraient plus gouvernées de façon indépendante et n’auraient plus leurs propres terres de réserve.

[304]  La conclusion de la Cour selon laquelle la Couronne n’avait pas le pouvoir unilatéral de fusionner ces bandes ne traite pas, et ne devrait pas traiter, à ce stade, de la question de la gouvernance ou de la composition respective des bandes.

[305]  Le Canada a soutenu que la Couronne n’avait pas l’obligation d’organiser une réunion ou un vote ni de s’assurer de l’accord des bandes en vue d’une fusion, citant Papaschase ABQB, au paragraphe 92. Dans Papaschase ABQB, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a conclu qu’il n’y avait pas d’obligations légales de fusionner les bandes dans les années 1880. La prérogative de la Couronne lui permettait de prendre des décisions conformes à ses obligations envers les peuples autochtones, même si elle n’avait aucun pouvoir légal particulier selon l’Acte relatif aux Sauvages (Papaschase ABQB, au paragraphe 90).

[306]  La question dont la Cour est saisie n’est pas résolue dans Papaschase ABQB. Une conclusion clé de Papaschase ABQB est que la Couronne devait prendre des décisions conformes à ses obligations envers les peuples autochtones lorsqu’elle exerçait sa prérogative.

[307]  La distinction importante entre Papaschase ABQB et la présente affaire est que les chefs des bandes avaient accepté le fusionnement, bien qu’il n’y ait pas eu d’assemblée générale de la bande ni de vote en faveur du fusionnement. Par conséquent, la question dans Papaschase ABQB consistait principalement à établir si une certaine procédure était requise pour le fusionnement, tandis qu’en l’espèce, la question en litige est de savoir si la Couronne pouvait fusionner deux bandes signataires du traité sans aucune preuve du consentement des dirigeants ou de l’ensemble des membres des bandes, en particulier la bande de Chacachas.

[308]  En omettant de demander l’accord des bandes au fusionnement, malgré les protestations enregistrées des membres de la bande de Chacachas contre leur regroupement et la perte de leur chef, la Couronne n’a pas respecté ses promesses faites par traité et n’a pas respecté le principe de l’honneur de la Couronne en fusionnant les bandes historiques. Les bandes historiques ont donc été fusionnées illégalement depuis le tout début et il s’agit toujours d’une fusion illégale.

[309]  La Couronne a également soutenu que la Cour devrait conclure que la bande de Chacachas était une bande sur déclin qui s’est jointe à la bande de Kakisiwew pour survivre. Le Canada a fait valoir que dans l’histoire orale, selon laquelle le chef Chacachas avait demandé au chef Kakisiwew de s’occuper de son peuple lorsque le chef Chacachas a quitté la réserve, la bande de Chacachas a été fusionnée avec la bande de Kakisiwew.

[310]  Si tel était le cas, mes conclusions sur la nature du fusionnement pourraient être différentes, mais pas nécessairement. Si la Couronne, par d’autres actions ou omissions irrégulières, a créé les circonstances qui obligent à jouer le rôle de « gardien », l’analyse serait différente, mais peut-être pas le résultat.

[311]  Cependant, cette théorie est peu appuyée dans les rapports d’expert ou le dossier documentaire. L’histoire orale n’était pas claire quant à savoir si le chef Chacachas avait demandé au chef Kakisiwew de s’occuper de son peuple avant ou après le regroupement des bandes. De plus, il est difficile de conclure que les histoires orales pourraient soutenir que la bande de Chacachas a consenti à la consultation lorsque le thème récurrent de toute l’histoire orale racontée était qu’aucune bande historique, et en particulier celle de Chacachas, n’a accepté d’être fusionnée de manière permanente.

B.  La bande de Chacachas et la bande de Kakisiwew peuvent-elles continuer à faire valoir leurs droits et à les exercer en tant que bandes distinctes liées par un traité?

[312]  Si les bandes historiques ont été fusionnées illégalement, la question demeure de savoir si les bandes historiques peuvent faire valoir leurs droits issus de traités en tant que [traduction] « bandes liées par un traité » établies de manière continue et si leur statut de [traduction] « bandes liées par un traité » se traduit par un quelconque statut juridique.

[313]  Dans la question énoncée dans l’ordonnance de la phase initiale, cette question est formulée de manière légèrement différente, l’accent étant mis sur la question de savoir si les bandes ont le [traduction] « droit d’être reconnues comme des bandes distinctes liées par les traités ». Comme expliqué ci-dessous, on ne sait vraiment pas ce que signifie être reconnu en tant que bande distincte liée par un traité, étant donné que ce n’est pas la même chose que la reconnaissance aux termes de l’Acte relatif aux Sauvages. J’ai interprété cette question comme s’agissant d’établir si les bandes historiques ont une capacité continue de faire valoir des droits issus de traités en tant que collectifs distincts.

1)  Distinction entre une bande au sens de l’Acte relatif aux Sauvages et une [traduction] « bande liée par un traité »

[314]  Il est important ici de faire la distinction entre les bandes au sens de l’Acte relatif aux Sauvages et ce que l’on a appelé dans le présent litige les [traduction] « bandes liées par un traité ». Le Canada a soutenu qu’il n’y a pas de différence entre une bande liée par un traité et une bande au sens de l’Acte relatif aux Sauvages, car toutes les bandes sont des créations de la loi. Les demandeurs et la bande d’Ochapowace semblent suggérer qu’il existe une distinction, mais qu’une conclusion selon laquelle les bandes historiques sont des bandes signataires de traités devrait signifier qu’elles sont également des bandes au sens de l’Acte relatif aux Sauvages.

[315]  Cette distinction a été mentionnée par la Cour fédérale dans Montana, aux paragraphes 315 à 322, comme étant la différence entre les Bandes avec un « grand B » (bandes aux termes de l’Acte relatif aux Sauvages) et les bandes avec un « petit b » (aussi appelées bandes anthropologiques ou « bandes de fait »). Cependant, la Cour, dans Montana s’est ensuite penchée sur les droits et le statut des bandes aux termes de l’Acte relatif aux Sauvages afin de réserver des terres mises de côté en application de l’Acte relatif aux Sauvages et n’a pas discuté des droits qui pourraient être détenus par les soi-disant bandes avec un « petit b ».

[316]  L’expression [traduction] « bande liée par un traité » n’est définie dans aucune loi. Dans le présent contentieux, elle renvoie à des bandes signataires du Traité no 4 et détenant donc des droits collectifs issus de traités au nom de leurs membres. Une bande liée par un traité, comme toute collectivité autochtone préexistante, n’a pas besoin d’être une [traduction« bande » aux termes de l’Acte relatif aux Sauvages ou d’être reconnue par la Couronne pour exister ou détenir des droits issus de traités (voir, par exemple, les décisions Première nation de Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish c Canada (Procureur général), 2012 CF 517, au paragraphe 91, 217 ACWS (3d) 751; Perron v Canada (Attorney General), [2003] OJ No 1348, au paragraphe 22, 121 ACWS (3d) 588 (C. sup. j. Ont.)).

[317]  C’est envers ces bandes ou envers leurs collectivités successeurs que la Couronne a des obligations issues de traités. Les droits issus de traités détenus par les bandes visaient les droits à une réserve d’une superficie déterminée par la formule par habitant dans le traité, mais n’incluaient pas les droits à des terres de réserve précise si l’emplacement de ces terres n’est pas déterminé dans le traité.

[318]   À l’époque de la signature du Traité no 4 en 1874, les bandes signataires n’étaient pas des bandes aux termes de l’Acte relatif aux Sauvages. L’Acte relatif aux sauvages n’est entré en vigueur qu’en 1876, et a introduit une définition légale d’une « bande ».

[319]  En revanche, une bande aux termes de la Loi sur les Indiens est « créée par une loi » qui est réglementée par la Loi sur les Indiens et exerce ses pouvoirs conformément à celle-ci (Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Affaires indiennes et Nord canadien), 2001 CAF 67, au paragraphe 14, [2001] 4 CF 451 [Rivière Blueberry CAF]). Une bande selon la Loi sur les Indiens est donc un statut légal spécial pour une communauté préexistante, comme une bande signataire d’un traité.

[320]  Le statut de bande selon la Loi sur les Indiens s’accompagne de droits supplémentaires énoncés dans la loi, comme des droits à l’égard d’une réserve particulière mise de côté à l’usage et au profit de la bande (Rivière Blueberry CAF, aux paragraphes 15, 27). Les droits qui découlent de la mise de côté d’une réserve et de la cession d’une réserve sont détenus par une bande au sens de la Loi sur les Indiens.

[321]  Par conséquent, la relation entre une bande aux termes de la Loi sur les Indiens et une bande liée par un traité est complexe. La Loi sur les Indiens était un moyen administratif utilisé par la Couronne pour mettre en œuvre les obligations découlant des traités en facilitant la mise de côté et la cession des terres de réserve qui avaient été promises par les traités. Une bande liée par un traité détenait le statut de bande au sens de la Loi sur les Indiens lorsqu’une réserve avait été mise de côté pour la bande ou lorsque les membres de la bande recevaient des rentes du traité.

2)  Statut des bandes de Chacachas et de Kakisiwew en tant que [traduction] « bandes distinctes liées par un traité »

[322]  Étant donné que l’expression [traduction] « bande distincte liée par un traité » n’a pas de sens juridique, les bandes historiques ne peuvent pas avoir le droit d’avoir ce statut. D’après ce que je comprends, ce qui est vraiment recherché avec ce statut de [traduction] « bande distincte liée par un traité » est une conclusion selon laquelle les bandes de Chacachas et de Kakisiwew, telles qu’elles existent actuellement, ont droit aux avantages du traité qui leur sont dus par la Couronne en tant que signataires distincts du Traité no 4, car ceux-ci seraient les droits qui leur étaient dus en tant que [traduction] « bandes liées par un traité ».

[323]  Pour faire valoir un droit issu d’un traité, un groupe doit établir que les termes du traité promettent ce droit, que le groupe faisant valoir le droit est le successeur légal du signataire du traité et que ce droit n’est pas éteint (Badger; Marshall 1; R c Marshall, [1999] 3 RCS 533, au paragraphe 17, 179 DLR (4th) 193 [Marshall 2]).

[324]  J’ai conclu ci-dessus que les bandes de Chacachas et de Kakisiwew étaient toutes deux signataires du Traité no 4 et avaient donc des droits collectifs issus de traités qui sont dévolus à la collectivité successeur de chaque bande. Les bandes historiques avaient le droit issu d’un traité de ne pas être fusionnées sans leur consentement, ou à l’inverse, elles avaient le droit d’exercer leurs droits issus de traités en tant que deux entités distinctes. La Couronne a omis d’agir de manière honorable dans la mise en œuvre du Traité no 4, en considérant les bandes historiques comme une seule bande aux termes de la Loi sur les Indiens.

[325]  J’ai également examiné ci-dessous la question de savoir si les demandeurs sont les successeurs légaux des signataires du traité dans la section relative à la qualité pour agir (voir les paragraphes 414 à 443). J’ai conclu que les demandeurs Watson ont assuré une continuité suffisante avec la bande historique de Chacachas pour faire valoir les droits collectifs issus de traités. Cependant, les demandeurs Bear n’ont pas démontré qu’ils avaient assuré une continuité suffisante avec la bande historique de Kakisiwew pour faire valoir leurs droits collectifs issus de traités séparément de la bande d’Ochapowace. La bande d’Ochapowace semble être la successeur de la bande de Kakisiwew.

[326]  Par conséquent, la dernière question concernant la capacité des bandes à exercer des droits continus issus de traités est de savoir si le droit des bandes historiques d’exister en tant que bandes distinctes au titre du Traité no 4 a été éteint par une action de la Couronne avant 1982.

3)  Incidence de la Loi sur les Indiens sur les droits issus de traités

[327]  La réglementation des bandes par la Loi sur les Indiens n’a pas éteint les droits issus de traités des bandes de Chacachas ou de Kakisiwew. L’extinction des droits avant 1982 ne peut se produire que si la Couronne présente une preuve stricte d’extinction et une preuve de l’intention claire et manifeste du gouvernement d’éteindre les droits issus de traités (Badger, au paragraphe 41).

[328]  Bien que le Canada n’ait pas explicitement soutenu l’extinction, c’est ce qui est sous-entendu par l’argument du Canada selon lequel les bandes historiques sont des créations de la loi aux fins de la Loi sur les Indiens et, par conséquent, elles n’ont pas le droit de bénéficier des avantages découlant du traité en tant que signataires distincts du Traité no 4. Bien que le Canada soutienne la thèse selon laquelle les bandes historiques ont convenu de fusionner, le Canada semble également soutenir que l’agent des Indiens et d’autres représentants de la Couronne pourraient dûment fusionner les bandes même sans leur consentement.

[329]  Bien que je convienne que la Couronne, conformément à la Loi sur les Indiens réglemente l’administration et la gestion des bandes, la Loi sur les Indiens, jusqu’en 1951, ne comportait aucune disposition concernant le fusionnement ou la dissolution des bandes. La définition de « bande » à elle seule n’éteint pas clairement le droit d’un signataire du traité de demeurer une bande distincte. Comme il est décrit ci-dessus, cette définition vise à conférer un statut légal à une communauté autochtone, et non à éteindre les droits sous-jacents de cette communauté. Il n’y a aucune intention claire et manifeste dans la Loi sur les Indiens visant à permettre le fusionnement des bandes sans leur consentement.

[330]  Par conséquent, le droit des bandes historiques de bénéficier des avantages découlant du traité en tant que bandes distinctes n’a pas été éteint par la réglementation des bandes par la Loi sur les Indiens.

C.  Les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ont-elles été empêchées de faire valoir qu’elles sont des bandes distinctes liées par un traité en raison de délais de prescription légal, de délais préjudiciables, de l’acquiescement ou de l’irrecevabilité?

[331]  Les demandeurs Watson et les demandeurs Bears ne sont pas empêchés de demander un jugement déclarant qu’ils sont des bandes distinctes liées par un traité en raison de délais de prescription légal, des délais préjudiciables, de l’acquiescement ou de l’irrecevabilité résultant d’une déclaration. Toutefois, ils sont empêchés de demander une réparation personnelle ou de revendiquer les droits à l’égard d’une terre visée par un traité en raison des délais de prescription légaux ou de l’irrecevabilité.

1)  Irrecevabilité résultant d’une déclaration

[332]  Les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ne sont pas empêchées d’affirmer qu’elles sont des bandes distinctes liées par un traité, mais elles ne peuvent demander au Canada des droits fonciers issus de traités supplémentaires en raison de l’accord de règlement sur les DFIT. L’irrecevabilité n’empêche aucune des deux bandes historiques de revendiquer des terres auprès de la bande d’Ochapowace. Bien que les revendications territoriales ne soient pas déterminées au cours de la phase initiale du procès, il est maintenant important de clarifier cette limite à l’égard de la réparation pour déterminer l’effet de tout jugement déclaratoire rendu au cours de la phase du procès.

[333]  Les trois éléments relatifs à l’irrecevabilité résultant d’une déclaration sont énoncés dans l’arrêt Rivière Blueberry CAF, au paragraphe 51, citant la décision de la Chambre des lords dans Greenwood v Martins Bank Limited, [1933] AC 51, au paragraphe 57 : 1) une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d’inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite; 2) une action ou une omission résultant de l’affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l’affirmation est faite; 3) un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

[334]  Le Canada fait valoir que les revendications des demandeurs concernant les terres issues de traités devraient être rejetées pour le motif que les demandeurs sont irrecevables à présenter des demandes relatives aux terres issues de traités à la suite de l’accord de règlement sur les DFIT et de l’accord de règlement concernant la cession de 1919 qui ont été conclus et ratifiés par la bande d’Ochapowace et ses membres.

[335]  Les demandeurs et la bande d’Ochapowace soutiennent que les demandeurs ne sont pas irrecevables en raison des accords de règlement puisque les accords ne contiennent pas d’exonération des bandes de Chacachas ou de Kakisiwew. Les demandeurs Watson ont indiqué que, tout au plus, l’irrecevabilité pourrait limiter la réparation disponible dans la prochaine phase du procès.

[336]  L’irrecevabilité a des effets différents entre le droit de la bande de Chacachas et de la bande de Kakisiwew de demander la reconnaissance en tant que bandes distinctes liées par un traité – le premier droit – et leur droit de demander au Canada des terres supplémentaires visées par un traité – le deuxième droit. Le premier droit est le seul que la Cour doit aborder dans la présente phase de l’instruction. Le deuxième droit doit faire l’objet de débat dans une phase ultérieure. Cependant, étant donné que la Cour a entendu de nombreux éléments de preuve concernant la négociation et la ratification de l’accord de règlement sur les DFIT et de l’accord de règlement concernant la cession de 1919, j’ai examiné l’effet de l’irrecevabilité sur les deux droits maintenant afin d’être en mesure d’évaluer le bien-fondé de tout jugement déclaratoire qui pourrait être rendu au cours de la présente phase.

[337]  Les dirigeants et les membres de la bande d’Ochapowace ont déclaré à la Couronne que la bande d’Ochapowace était la partie pertinente pour régler les revendications de DFIT, ainsi que les revendications concernant la cession de 1919. Aux termes de l’article 15.01 de l’accord de règlement sur les DFIT, la bande d’Ochapowace a libéré le Canada au nom de chaque membre de la bande d’Ochapowace de toute revendication, et tout droit, titre et intérêt de la bande concernant les revendications liées aux DFIT, ou de ses prédécesseurs en titre. À l’article 15.02, la bande d’Ochapowace a également convenu d’indemniser le Canada de toute revendication des membres de la bande d’Ochapowace découlant de droits fonciers issus de traités. Les demandeurs Watson et Bear ne peuvent ainsi pas revendiquer de terres visées par un traité auprès du Canada, mais ce n’est nécessairement le cas auprès de la bande d’Ochapowace.

[338]  La bande d’Ochapowace et le Canada avaient l’intention d’inclure les droits fonciers issus de traités des bandes de Chacachas et de Kakisiwew dans l’accord de règlement sur les DFIT. Le Comité des revendications territoriales de la bande d’Ochapowace, qui comprenait des représentants se définissant comme des Chacachas, des Kakisiwew et des Ochapowace, a dirigé les recherches et les négociations relatives à l’accord de règlement sur les DFIT pour la bande d’Ochapowace. Le Comité a convenu de fonder les effectifs de la population aux fins d’établissement des DFIT sur les populations de Chacachas et de Kakisiwew à partir de 1879. Cette population de 1879 est inscrite à l’annexe 1 de l’accord sur les DFIT.

[339]  L’utilisation des effectifs de la population de Chacachas et Kakisiwew de 1879 pour le calcul des DFIT de la bande d’Ochapowace est particulièrement saillante. Ce faisant, la bande d’Ochapowace et ses membres ont déclaré au Canada que la bande d’Ochapowace était la successeur des bandes de Kakisiwew et de Chacachas concernant leurs droits fonciers au titre du Traité no 4. Tous les descendants des membres des bandes de Kakisiwew et de Chacachas pris en compte dans l’accord sur les DFIT sont irrecevables à présenter d’autres demandes liées aux DFIT à l’encontre du Canada au nom des Kakisiwew, des Chacachas ou des Ochapowace. Tous les demandeurs Watson et Bear qui étaient majeurs en 1993 ont voté aux élections de ratification, et aucun d’entre eux n’a contesté la validité de l’accord après sa ratification.

[340]  Le fait que la Couronne soit consciente que le fusionnement a continué de poser problème pendant les négociations du règlement sur les DFIT ne signifie pas que les bandes de Chacachas ou de Kakisiwew, si elles sont rétablies, peuvent demander au Canada plus de droits fonciers issus de traités. Le Canada, tout au long des négociations, a maintenu la thèse selon laquelle les bandes historiques ou Ochapowace ne peuvent revendiquer aucun droit sur les réserves de 1876. Le fait que le ministre compétent avait indiqué que l’accord sur les DFIT incluait une cession des réserves de 1876 en 1984 a été clairement établi dans le contexte où le Canada voulait [traduction] « clore le dossier » et ne reconnaissait pas que les bandes historiques revendiquaient les réserves. De plus, après 1984, les négociations qui ont eu lieu dans les années 1990 ont permis de conclure que la population de la bande d’Ochapowace serait fondée sur la population fusionnée des bandes historiques de 1879. Ces négociations ont prévalu sur toutes les négociations antérieures concernant les réserves de 1876.

[341]  Par conséquent, les demandeurs Watson et Bear sont irrecevables à demander d’autres DFIT au Canada au nom des bandes de Kakisiwew et de Chacachas. Les demandeurs sont tous membres de la bande d’Ochapowace qui a déclaré au Canada qu’il s’agissait de la bande pertinente avec laquelle négocier les DFIT. Le Canada a ainsi été incité à agir, à son détriment, en accordant aux membres de la bande d’Ochapowace un nombre important de terres et une réparation monétaire dans l’accord sur les DFIT. Les demandeurs Watson et Bear ont tous bénéficié de ce règlement.

[342]  De plus, la bande d’Ochapowace a ensuite utilisé une partie des fonds de l’accord de règlement sur les DFIT pour acheter des terres de réserve et les mettre de côté à l’usage des membres de la bande de Chacachas. La bande d’Ochapowace a donc en outre compris que l’accord de règlement sur les DFIT avait réglé la question des droits fonciers issus de traités pour les bandes de Kakisiwew et de Chacachas.

[343]  Cependant, les demandeurs Watson et Bear ne sont pas irrecevables à demander un jugement déclarant que les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ont été indûment fusionnées et ont le droit d’exister en tant que bandes distinctes.

[344]  Lorsqu’elle interprète un contrat, à l’instar de l’accord de règlement sur les DFIT, la Cour doit examiner les termes figurant dans le contrat écrit, à la lumière du fondement factuel avec la préoccupation dominante de déterminer l’intention des parties et la portée de leur entente (Creston Moly Corp v Sattva Capital Corp, 2014 CSC 53, aux paragraphes 46 à 50, [2014] 2 RCS 633).

[345]  Un élément clé de ce fondement factuel était que les deux parties avaient compris que la question du fusionnement inapproprié des bandes de Kakisiwew et de Chacachas avait été mise de côté lors des négociations de l’accord sur les DFIT. Le négociateur en chef du Canada, M. Gross, avait compris que les bandes historiques pouvaient toujours demander la division des bandes au moyen d’une politique ou à titre de question interne au sein de la bande une fois l’accord de règlement sur les DFIT conclu. L’intention commune des parties à l’accord était que l’accord de règlement sur les DFIT ne soit pas le dernier mot au sujet du fusionnement. Étant donné que rien dans le libellé de l’accord de règlement sur les DFIT n’appuie l’affirmation d’autres droits issus de traités en dehors des terres visées par un traité, rien n’empêche les membres de la bande d’Ochapowace, en tant que représentants des groupes de Kakisiwew et de Chacachas, de présenter une demande d’établissement de bandes distinctes.

2)  Délais de prescription légaux

[346]  Les délais de prescription légaux font obstacle aux demandes de dommages-intérêts compensatoires des demandeurs résultant du fusionnement inapproprié des bandes, mais ils ne font pas obstacle à une demande de jugement déclaratoire qui relève de l’exception limitée concernant des déclarations constitutionnelles décrite dans Manitoba Metis, aux paragraphes 133 à 140. J’ai abordé l’application des délais de prescription aux demandes des demandeurs de manière générale dans cette section et j’ai abordé l’application des délais de prescription à une déclaration autonome à partir du paragraphe 486.

[347]  Les demandeurs ont présenté des demandes en dédommagement fondées sur l’abus de confiance, le manquement à l’obligation fiduciaire, le manquement au traité, et la conversion des terres de réserve de 1876. Les principales causes d’action pertinentes pour la présente phase du procès sont les demandes d’indemnisation pour abus de confiance, manquement à l’obligation fiduciaire et manquement au traité. Bien que les demandeurs n’aient pas clairement décrit leur demande de conversion de l’intérêt de réserve comme une cause d’action, j’ai dû examiner comment cette demande serait influencée par les délais de prescription afin de traiter entièrement les questions des délais de prescription.

[348]  Avant de prononcer l’un des jugements déclaratoires demandés à ce stade du procès, la Cour doit s’assurer qu’un jugement déclaratoire n’est pas simplement une « solution de contournement » pour les demandes qui sont irrecevables en raison des délais de prescription légaux (Lazar Sarna, The Law of Declaratory Judgments, 4e éd. (Toronto: Thomson Reuters, 2016), au paragraphe 8 [M. Sarna sur les jugements déclaratoires]).

a)  Délais de prescription applicables aux affaires de droit autochtone

[349]  Il ne fait aucun doute que des délais de prescription légaux peuvent s’appliquer aux affaires portant sur les droits ancestraux et issus de traités (voir les arrêts Wewaykum, au paragraphe 121; et Lameman, au paragraphe 13).

[350]  Les demandeurs Watson ont soulevé la question de savoir si la Cour devrait considérer le paragraphe 8(2) de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, A.G. Res. 61/295, UN GAOR, 61e sess, Supp No 49 Vol III, UN Doc A/61/49 (2007) (DNUDPA) et l’adoption récente par le Canada des « Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones » (les Principes) lors de l’application de moyens de défense techniques tels que les délais de prescription et les délais préjudiciables.

[351]  Bien que la ratification de la DNUDPA et des Principes par le Canada puisse être perçue comme une étape positive de la politique publique vers la réconciliation, ni la DNUDPA ni les Principes ne peuvent permettre de modifier ou d’annuler les délais de prescription prévus par la loi. À l’heure actuelle, la DNUDPA est une résolution non exécutoire des Nations-Unies soutenue par le Canada en tant qu’engagement politique. Les Principes ne lient pas juridiquement la Couronne. Bien que la DNUDPA et les Principes puissent aider à interpréter le droit national canadien, les demandeurs Watson n’ont indiqué aucun domaine des lois sur les délais de prescription où la DNUDPA ou les Principes serait une aide à l’interprétation pertinente (Nunatukavut Community Council Inc. c Canada (Procureur général), 2015 CF 981, aux paragraphes 103 à 106, 260 ACWS (3d) 651).

[352]  Bien que la Cour suprême du Canada dans Manitoba Metis, au paragraphe 141, ait indiqué que la réconciliation doit « peser lourd dans la balance », dans l’application des délais de prescription, elle n’a fait qu’une exception limitée aux délais de prescription pour les déclarations constitutionnelles. La Cour suprême n’a pas indiqué que la Cour pouvait faire fi des délais de prescription légaux généralement applicables afin de favoriser la réconciliation.

b)  Application des lois sur les délais de prescription de la Saskatchewan

[353]  Les lois sur les délais de prescription de la Saskatchewan en vigueur au moment de la présentation des demandes le 16 novembre 2000 s’appliquent. Le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 et l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, RSC 1985, c C-50, intègrent effectivement la législation provinciale en matière de prescription dans les actions intentées contre la Couronne devant la Cour fédérale (Wewaykum, au paragraphe 114; et décision Tacan c Canada, 2005 CF 385, au paragraphe 25, 261 FTR 161 [Tacan]).

[354]  Par conséquent, la Limitation of Actions Act, de la Saskatchewan, maintenant abrogée, RSS 1978, c L-15 [LAA] et la Public Officers’ Protection Act, RSS 1978, c P-40 [POPA] entrée en vigueur le 16 novembre 2000 s’appliquent.

[355]  Bien que les demandeurs Bear aient déclaré que la Limitations Act, de la Saskatchewan, SS 2004, L-16.1 (en vigueur le 1er mai 2005) s’applique, les lois sur la prescription pertinentes sont celles qui fixent les délais de prescription avant ou au début de la procédure. La nouvelle loi est entrée en vigueur après la présentation de la demande. De plus, l’alinéa 3(2)c) de la loi en vigueur prévoit que des lois sur les délais de prescription antérieurement en vigueur s’appliquent aux questions relatives aux droits ancestraux et issus de traités, ce qui confirme en outre que la LAA et la POPA s’appliquent pas à la présente affaire.

[356]  Pour déterminer si la POPA ou la LAA exclut toute revendication découlant d’une conclusion selon laquelle les bandes ont été indûment fusionnées, il est important de déterminer exactement ce que les demandeurs revendiquent. La division du procès en plusieurs phases complique cette tâche. J’ai donc envisagé d’appliquer des délais de prescription à toutes les causes d’action soulevées dans la déclaration.

[357]  Il n’est pas extrêmement important de déterminer si la POPA s’applique en l’espèce. Bien que j’aie constaté que les délais de prescription légaux généraux de la LAA s’appliquent plutôt que ceux de la POPA, j’ai quand même conclu que toutes les demandes en dédommagement des demandeurs sont frappées de prescription. La LAA était la loi de la Saskatchewan établissant le régime général de prescription, alors que la POPA prévoyait un délai de prescription plus court pour les actions contre une personne agissant dans l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir d’ordre public. Si elle s’applique, la POPA l’emporterait sur la LAA, car il s’agit d’une loi plus précise (McGillivray v Popowich , 2001 SKCA 103, au paragraphe 3, 213 Sask R 282).

[358]  L’alinéa 2(1)a) de la POPA établit un délai de prescription de 12 mois pour les actions contre une personne agissant dans l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir d’ordre public. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de prolonger ce délai de prescription selon l’alinéa 2(1)b) lorsque les demandeurs ont une preuve prima facie, une explication raisonnable du retard et lorsqu’il n’y a aucun préjudice pour les défendeurs.

[359]  La POPA ne s’applique que lorsque la personne est une autorité publique agissant conformément à une fonction d’ordre public (Des Champs c Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott-Russell, [1999] 3 RCS 281, au paragraphe 50, 245 NR 201). La Cour d’appel fédérale dans Peepeekisis CAF, au paragraphe 37 la gestion des terres de réserve et d’autres biens d’une bande, comme la cession des terres de réserve ou l’exercice du pouvoir discrétionnaire sur ces terres, sont des obligations sui generis quasi-propriétales de la Couronne qui ne peut être considérées comme des fonctions à caractère public. Lorsqu’une demande est fondée sur l’exercice d’un contrôle discrétionnaire exceptionnel à la fois sur l’admission de membres au sein de la bande et sur l’attribution des terres de la réserve, il s’agirait également d’une demande fondée sur une obligation qui s’apparente davantage à une obligation de droit privé (Peepeekisis CAF, au paragraphe 42). En revanche, la POPA s’applique aux revendications découlant de la création de réserves par la Couronne, car cette dernière s’acquitte d’une obligation de droit public en créant des réserves.

[360]  Les demandes des demandeurs sont fondées sur les obligations sui generis de la Couronne, qui s’apparentent davantage à des obligations de droit privé qu’à des obligations de droit public, comme dans Peepeekisis CAF. Les demandes relatives aux manquements à l’obligation fiduciaire ne sont donc pas visées par la POPA. Les obligations fiduciaires et issues de traités de la Couronne concernant le fusionnement des bandes n’étaient pas des obligations de droit public. Le fusionnement des bandes par la Couronne ne découlait d’aucune obligation légale et les acteurs de la Couronne n’étaient pas tenus de concilier leurs obligations avec d’autres obligations de droit public. Le fusionnement était plutôt fondé sur la prérogative de la Couronne et son pouvoir discrétionnaire d’agir au mieux des intérêts de la bande (Papaschase ABQB, au paragraphe 90). Cela s’apparenterait davantage à une obligation de droit privé qu’à une obligation de droit public. Par conséquent, la POPA ne ferait pas obstacle à ces demandes.

[361]  Je note que si la POPA s’applique, je ne conclurais pas que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’alinéa 2(1)b) pour prolonger le délai de prescription. Compte tenu de la négociation de l’accord de règlement sur DFIT, il n’y a aucune explication raisonnable du retard dans la présentation d’une demande d’indemnisation concernant les terres de réserve et le Canada a agi à son détriment en versant des fonds du règlement à la bande d’Ochapowace.

[362]  L’article 3 de la LAA établit des délais de prescription généraux, y compris des délais de prescription de six (6) ans pour les actions fondées sur l’intrusion ou la conversion (al. 3(1)e)), des motifs de recours reconnus en equity (al. 3(1)h)) et toutes les autres actions qui ne sont pas expressément prévues dans la loi (al. 3(1)j)). Une action fondée sur un motif de recours reconnu en equity inclut les demandes pour manquement à une obligation fiduciaire (Manitoba Metis, au paragraphe 138).

[363]  Bien que j’aie conclu que les demandeurs ne peuvent pas alléguer un abus de confiance à la suite de la perte des terres de réserve ou du fusionnement, il est confirmé dans les articles 40 à 42 de la LAA que le délai de prescription général de 6 ans s’appliquera également aux demandes relatives à un abus de confiance, sauf si la demande est fondée sur un manquement frauduleux aux obligations fiduciaires ou si la demande vise à recouvrer un bien en fiducie encore conservé ou utilisé par l’administrateur (voir l’analyse des dispositions équivalentes des lois de l’Alberta provisions dans Papaschase ABQB, au paragraphe 126; et dans la décision Samson First Nation c Canada, 2015 CF 836, au paragraphe 28, 255 ACWS (3d) 1037 [Samson First Nation]).

[364]  Le délai de prescription maximal est de dix (10) ans selon l’article 12 de la LAA pour une demande visant à recouvrer tout loyer ou legs. Bien que le Canada ait indiqué que cela pourrait s’appliquer, personne n’a avancé d’argument convaincant pour expliquer pourquoi ce délai de prescription de dix ans s’appliquerait. Il ne s’applique à aucune demande découlant d’un jugement déclarant que les bandes ont été illégalement fusionnées. La Cour d’appel fédérale dans Peepeekisis CAF, au paragraphe 46, a conclu que le délai de prescription de six ans s’appliquait à une revendication pour manquement à une obligation fiduciaire et perte d’usage des terres de réserve, plutôt que ce délai de prescription de dix ans. Le délai de prescription applicable est donc de six ans, sous réserve de la discussion suivante.

c)  Possibilité de découverte des faits

[365]  Les délais de prescription ne commencent à courir que lorsque les demandeurs connaissaient ou auraient dû connaître les faits importants des causes de l’action. Pour les demandes fondées sur le manquement à une obligation fiduciaire, comme les demandes basées sur un motif de recours reconnu en Équité aux termes de l’alinéa 3(1)h) de la LAA, le délai de prescription de six ans ne commence à courir que lorsque les demandeurs ont effectivement découvert les faits importants (Lameman, au paragraphe 16).

[366]  Étant donné que ces événements se sont produits il y a plus de 135 ans, il incombe alors au demandeur de démontrer la découverte tardive de la revendication (Papaschase ABQB, au paragraphe 144). Sinon, tout délai de prescription s’est écoulé depuis longtemps.

[367]  Dans les mois écoulés entre le procès et la rédaction de ce jugement, le juge Zinn, dans Shot Both Sides, aux paragraphes 500 à 505 a traité de l’application des délais de prescription aux demandes résultant d’un manquement à un traité. Il a conclu que le délai de prescription à l’égard d’une demande fondée sur le manquement au traité ne pouvait pas courir avant le 17 avril 1982, lorsque la cause d’action pour violation de droits issus de traités a pris naissance avec l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [Loi constitutionnelle de 1982]. L’adoption du raisonnement de cette affaire signifierait que les délais de prescription des demandes fondées sur le manquement au traité ne commenceraient à courir de la même manière qu’en 1982.

[368]  Compte tenu de la suspension du délai de prescription entre le 11 septembre 1985 et le 16 mars 1995 en l’espèce, les demandes auraient été introduites trop tard si les demandeurs avaient eu connaissance des faits matériels des causes d’action avant 1984. Par conséquent, Shot Both Sides a peu d’incidence sur l’application des délais de prescription en l’espèce.

[369]  Les membres de la bande de Chacachas et de Kakisiwew auraient eu connaissance de nombreux faits importants de cette demande en 1884. Plus important encore, ils auraient su qu’ils n’avaient pas consenti au regroupement et au fusionnement des bandes dès que ces événements se sont produits. Cependant, il n’est pas nécessaire de remonter aussi loin pour conclure que les demandeurs, ou leurs ancêtres, connaissaient les faits importants pour présenter les demandes au nom des bandes de Kakisiwew et de Chacachas avant 1984.

[370]  Les tribunaux n’ont généralement pas considéré que les délais de prescription commençaient à courir dans le contexte des revendications historiques des droits ancestraux et issus de traités jusqu’à ce qu’il y ait des éléments de preuve que les membres de la bande au 20e siècle connaissent tous les faits importants et choisissent de ne pas intenter une poursuite à ce moment-là (voir Wewaykum, au paragraphe 123; Lameman, au paragraphe 17). Ce sont les membres de la bande directement touchés par la demande qui doivent être au courant des faits importants; tous les membres de la bande n’ont pas besoin de connaître les faits importants (Peepeekisis CAF, au paragraphe 49).

[371]  Les demandeurs n’ont pas besoin d’avoir une parfaite connaissance de tous les faits, de la loi ou des obligations légales résultant des faits importants pour que les délais de prescription commencent à courir (Samson First Nation, aux paragraphes 168, 175 à 176; Bande et nation indiennes d’Ermineskin c Canada, 2006 CAF 415, au paragraphe 334, [2007] 3 CF 245). Bien que les Premières nations aient pu avoir de la difficulté à intenter une action pour manquement à une obligation fiduciaire avant la jurisprudence Guerin en 1984, les délais de prescription continuent de courir à compter de la découverte des faits importants, et non à partir du moment où un domaine du droit a été clarifié favorablement (Peepeekisis CAF, au paragraphe 50). L’inexistence d’une cause d’action en constituerait une exception, comme il a été conclu dans Shot Both Sides.

[372]  Dans l’ensemble, je conclus que les demandeurs connaissaient tous les faits importants pour présenter les demandes concernant la perte des réserves initiales et le fusionnement injustifié avant 1984. Les faits importants étaient que les bandes de Chacachas et de Kakisiwew étaient des signataires distincts du Traité, à qui l’on avait promis des réserves distinctes au titre du Traité no 4, qui n’ont jamais officiellement cédé leurs réserves initiales, puis ont été installées sur une réserve commune et fusionnées sans leur consentement. Les membres de la bande étaient au courant des faits importants au moins depuis les années 1930, comme en témoignent leurs demandes de renseignements et leur engagement de représentation juridique. Dans les années 1950, la bande d’Ochapowace pouvait légalement embaucher un avocat pour présenter sa revendication. Cameron Watson a confirmé que les descendants de la bande de Chacachas auraient pu présenter leur demande dans les années 1950.

[373]  Dans les années 1970, les rapports commandés par la FSIN en 1974 et 1978 concernant la bande d’Ochapowace fournissaient les renseignements nécessaires aux représentants des bandes historiques pour présenter une demande. Bien que ces rapports aient pu interpréter les documents historiques différemment des demandeurs Watson et Bear, ils ont fourni un soutien supplémentaire à l’histoire orale déjà détenue par les demandeurs qui leur aurait permis de connaître tous les faits importants relatifs à la demande. Le fait que le document historique soit encore peu clair et assujetti à l’interprétation n’empêche pas le délai de prescription de courir. Les demandeurs n’ont pas établi que des faits importants n’ont été connus qu’après 1984.

d)  Manquement continu

[374]  Les demandeurs Watson soutiennent que l’omission permanente du Canada de reconnaître l’existence des bandes historiques constitue un manquement continu aux obligations de la Couronne. Il s’agit d’un argument dénué de fondement.

[375]  La Cour suprême du Canada dans Wewaykum, au paragraphe 135, a déclaré qu’un manquement continu à l’obligation fiduciaire ou aux obligations de la Couronne serait rarement reconnue parce qu’elle contrecarrerait l’objet poursuivi par le législateur en fixant des délais de prescription. Un manquement continu aux obligations fiduciaires nécessite des dommages répétés ou nouveaux qui conduisent à la fois à un manquement continu et à une obligation continue. Une revendication concernant un manquement à des obligations fiduciaires et l’omission d’avoir mis en œuvre des traités de façon honorable renvoie à un manquement précis dans le temps, même si les effets du manquement initial perdurent (voir Tacan, au paragraphe 70; Samson First Nation, aux paragraphes 185 à 187; l’arrêt Peter Ballantyne Cree Nation v Canada (Attorney General), 2016 SKCA 124, au paragraphe 93, 272 ACWS (3d) 83). C’est au moment de la fusion des bandes, en 1884, que la Couronne a manqué à son obligation de mettre en œuvre le traité de façon honorable.

e)  Manquement frauduleux aux obligations fiduciaires ou dissimulation frauduleuse

[376]  Les demandeurs Bear prétendent que le manquement frauduleux aux obligations fiduciaires ou la dissimulation frauduleuse par l’agent des Indiens McDonald a suspendu les délais de prescription légaux jusqu’à ce que la fraude ait d’abord été découverte, en application de l’article 4 et du paragraphe 43(2) de la Limitation of Actions Act. Puisque l’implication de l’agent des Indiens McDonald dans le groupe foncier Qu’Appelle n’était pas connue avant 2015, ils soutiennent que cela doit suspendre les délais de prescription.

[377]  L’argument avancé par les demandeurs Bear voulant que la dissimulation de l’implication de l’agent des Indiens McDonald dans le groupe foncier Qu’Appelle ait suspendu les délais de prescription jusqu’à 2015 est sans fondement. La suspension du délai de prescription jusqu’à ce que les demandeurs aient formulé une demande n’est pas logique – les demandeurs n’auraient pas pu formuler une demande concernant la fusion illégale en 2000 s’ils n’avaient pas eu connaissance des faits substantiels pour étayer cette demande.

[378]  Le critère à trois volets se rapportant à la dissimulation frauduleuse a été établi par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Ambrozic v Burcevski, 2008 ABCA 194, au paragraphe 21, 433 AR 25 [Ambrozic]. Premièrement, le défendeur doit avoir commis une fraude quelconque. Deuxièmement, la fraude doit avoir dissimulé un fait substantiel. Troisièmement, les demandeurs doivent avoir fait preuve de diligence raisonnable en vue de découvrir la fraude.

[379]  Les demandeurs Bear n’ont pas démontré que la première ou la deuxième condition du critère Ambrozic avaient été remplies. Le seul fait qu’ignoraient les demandeurs Bear jusqu’en 2015 était que l’agent des Indiens McDonald faisait partie du groupe foncier Qu’Appelle. Tous les autres faits qui, selon les dires des demandeurs Bear, avaient été dissimulés par l’agent des Indiens McDonald, notamment le traité et les droits prévus par la loi de la bande de Kakisiwew, étaient connus de la bande de Kakisiwew avant 2015 ou étaient à la disposition de celle-ci.

[380]  Il ne fait aucun doute que les circonstances du groupe foncier Qu’Appelle sont choquantes; elles l’étaient hier et elles le sont tout autant aujourd’hui. La participation de hauts fonctionnaires ministériels, de policiers et d’arpenteurs, et le fait que ceux-ci savaient apparemment qu’ils devaient user de leur influence à Ottawa sous le sceau du secret se reflètent de manière négative sur les participants. Cela peut inciter les historiens et les tribunaux à scruter les notes historiques de l’agent des Indiens McDonald à la loupe. Il doit cependant y avoir un lien entre ces motifs malveillants et la fusion des bandes historiques.

[381]  Malgré les circonstances hautes en couleur, les demandeurs Bear n’ont pas démontré que l’implication de l’agent des Indiens McDonald dans le groupe foncier Qu’Appelle avait un lien quelconque avec le regroupement et la fusion des bandes historiques. L’existence du groupe foncier Qu’Appelle sans aucun lien avec les bandes précises ou avec leurs terres de réserve n’établit pas une fraude d’équité ou une conduite abusive envers les bandes. En outre, elle ne révèle aucune cause d’action supplémentaire ni aucun fait substantiel en lien avec les causes précédemment plaidées.

3)  Délai préjudiciable et acquiescement

[382]  La doctrine en equity du délai préjudiciable et de l’acquiescement ne fait pas obstacle aux demandes de jugement déclaratoire des demandeurs concernant la fusion imposée des bandes historiques et l’existence continue des bandes de Chacachas et de Kakisiwew pour la phase initiale du procès. Étant donné que les demandeurs sont irrecevables à revendiquer des droits fonciers issus de traités et qu’ils ne peuvent pas formuler des demandes compensatoires en raison des délais de prescription légaux, il faut uniquement déterminer si un jugement déclaratoire concernant la fusion illégale des bandes historiques peut également être irrecevable en raison de délais préjudiciables.

[383]  Étant donné qu’une déclaration est un recours en equity, elle exige qu’une conduite équitable (Wewaykum, au paragraphe 107). La doctrine des délais préjudiciables reconnue en equity exige que la procédure judiciaire fondée sur l’equity des demandeurs soit engagée sans retard injustifié (Manitoba Metis, au paragraphe 145).

[384]  La doctrine du délai préjudiciable et de l’acquiescement s’applique dans deux circonstances, tel qu’il est résumé par la Cour suprême du Canada dans Wewaykum, au paragraphe 111, citant M. (K.) c M. (H.), [1992] 3 RCS 6, aux pages 76 à 78, 96 DLR (4th) 289 [M. (K.)] :

[...]  (i) « par sa conduite, l’intéressé a fait quelque chose qu’on pourrait justement considérer comme équivalant à une renonciation »; (ii) cette conduite « crée des circonstances qui rendent déraisonnables les poursuites »[renvoi omis].

[385]  La longueur du retard et la nature des actes accomplis par les demandeurs dans l’intervalle sont importantes, puisqu’un simple retard n’établit pas un délai préjudiciable et un acquiescement (M. (K.), aux pages 76 à 78).

[386]  En outre, au paragraphe 147 de Manitoba Metis, la Cour suprême du Canada a souligné que « [l]’acquiescement repose sur la connaissance, la capacité et la liberté ». Par conséquent, la Cour peut également tenir compte des injustices historiques subies par le groupe de demandeurs autochtones, du déséquilibre des pouvoirs entre les groupes autochtones et la Couronne après l’affirmation de souveraineté de la Couronne, des autres conséquences négatives découlant des actions de la Couronne, et de la nature rapidement évolutive du droit en ce qui a trait aux droits ancestraux et aux droits issus de traités. De façon générale, la Cour, dans Manitoba Metis, a conclu qu’une demande de jugement déclaratoire affirmant que la Couronne ne s’était pas acquittée de ses obligations constitutionnelles en conformité avec le principe de l’honneur de la Couronne ne serait probablement pas irrecevable par application de la doctrine des délais préjudiciables.

[387]  Le Canada soutient que la doctrine des délais préjudiciables et de l’acquiescement fait en sorte que les demandes des demandeurs sont irrecevables en raison de la négociation et de l’exécution de l’accord de règlement sur les droits fonciers issus de traités et de l’accord de règlement concernant la cession de 1919 par la bande d’Ochapowace et ses membres. Le Canada prétend que la conduite des demandeurs lors de la négociation et de l’exécution de l’accord de règlement sur les droits fonciers issus de traités et de l’accord de règlement concernant la cession de 1919 respecte les deux volets de la doctrine des délais préjudiciables et de l’acquiescement. Tout d’abord, les demandeurs ont admis l’assertion de la bande d’Ochapowace selon laquelle la bande était le successeur légal des bandes de Chacachas et de Kakisiwew et qu’elle a omis de faire valoir leurs droits au moment de la négociation et de la ratification des accords de règlement. Ensuite, la poursuite de cette demande serait injuste parce que le Canada a agi à son détriment en payant la bande d’Ochapowace et ses membres pour régler les demandes concernant des terres issues de traités.

[388]  Tout comme dans le cas de l’argument visant à invoquer l’irrecevabilité résultant d’une déclaration, je conviens que les demandeurs ont admis l’assertion de la bande d’Ochapowace et de ses membres selon lequel la bande d’Ochapowace était en mesure de faire valoir les droits des bandes historiques à l’égard des terres aux termes du Traité no 4. Le Canada a agi à son détriment en se fiant à cette assertion et, par conséquent, les demandeurs ne peuvent pas formuler de demandes pour des droits fonciers supplémentaires issus de traités auprès du Canada, que ce soit au nom de la bande d’Ochapowace ou des bandes historiques.

[389]  Cependant, les délais préjudiciables ne font pas obstacle à une demande de jugement déclaratoire concernant la fusion illégale et l’existence continue des deux bandes historiques en tant que deux bandes distinctes liées par un traité. Tel qu’il a été susmentionné, les négociateurs des DFIT des deux côtés étaient au courant que la question du fusionnement avait été [traduction] « mise de côté » en vue d’être traitée à une date ultérieure. L’assertion à l’intention du Canada dans l’accord de règlement sur les droits fonciers issus de traités était que la bande d’Ochapowace acceptait les DFIT au nom des descendants des bandes de Chacachas et de Kakisiwew, mais cela ne signifiait pas pour autant que les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ne pouvaient pas demander réparation pour la fusion.

[390]  Mises à part les répercussions de l’accord de règlement sur les droits fonciers issus de traités, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de faire obstacle à la demande en raison de délais préjudiciables pour ce qui est des déclarations selon lesquelles la fusion était illégale et du droit continu des bandes historiques de solliciter un rétablissement. L’interférence de la Couronne avec la gouvernance de la bande a commencé par la fusion des bandes, et s’est poursuivie tout au long de la première moitié du XXe siècle. Cette interférence, en plus des répercussions sur la bande d’Ochapowace en raison d’autres actions négatives de la Couronne, ferait en sorte qu’il serait injuste de faire obstacle à une demande de jugement déclaratoire concernant le caractère constitutionnel de la conduite de la Couronne au motif de la doctrine des délais préjudiciables et de l’acquiescement.

D.  Les demandeurs ont-ils qualité pour formuler les présentes demandes?

[391]  La prémisse fondamentale utilisée pour déterminer si les demandeurs Bear ou Watson ont qualité pour formuler les présentes demandes au nom des bandes historiques repose sur le fait qu’une personne doit être en mesure d’appliquer les droits collectifs issus de traités au nom de collectivités autochtones non reconnues (Campbell v British Columbia (Minister of Forests and Range), 2011 BCSC 448, au paragraphe 106, 201 ACWS (3d) 316 [Campbell]). Si une bande a perdu sa réserve de façon illégitime et qu’elle a été fusionnée à une autre bande, le groupe d’individus représentant cette bande historique doit avoir qualité pour formuler une demande visant à faire valoir les droits collectifs de la communauté.

[392]  Par conséquent, le critère de la qualité pour agir concernant les collectivités autochtones non reconnues ne doit pas être circulaire à un point tel qu’il empêche une collectivité de demander la réparation d’un tort lorsque le tort historique invoqué est à la base des difficultés liées à la qualité à agir. La question liée à ce type d’argument se rapportant à la circularité été soulignée par la Cour d’appel de l’Alberta dans Papaschase ABCA, au paragraphe 132, et a été réitérée dans la décision de jugement sommaire pour ce dossier dans Watson, au paragraphe 37.

[393]  On cherche à déterminer la qualité pour agir afin de veiller à ce que les parties aient le droit de formuler une demande ou de demander l’application judiciaire d’une demande (Soldier v Canada (Attorney General), 2009 MBCA 12, au paragraphe 29, 174 ACWS (3d) 946 [Soldier]). Cela a pour but de maintenir à l’écart les usurpateurs et ceux qui n’ont aucun intérêt légitime dans le dossier.

[394]  Bien que la qualité pour agir soit distincte du bien-fondé d’une affaire, la question de la qualité pour agir, tout particulièrement dans les dossiers impliquant le droit autochtone, est souvent difficile à distinguer des questions de fond (Soldier, au paragraphe 29). Par exemple, en l’espèce, la question visant à déterminer si les demandeurs représentent des collectivités modernes en mesure d’invoquer les droits collectifs issus de traités de bandes historiques est non seulement une question de qualité pour agir, mais aussi une question qui a une incidence considérable sur l’existence des droits continus issus de traités.

[395]  Les droits de se prévaloir des avantages découlant de traités en tant que bandes distinctes sont détenus par les bandes historiques de Chacachas et de Kakisiwew en tant que droits collectifs issus de traités. Ces droits n’ont pas pu être transférés à la bande d’Ochapowace et n’ont pu être mis en application par la bande d’Ochapowace, étant donné que les bandes historiques n’ont pas été fusionnées de façon légitime. Par conséquent, les demandes doivent être formulées au nom des membres des bandes de Chacachas et de Kakisiwew, en tant qu’actions dérivées des représentants des groupes Chacachas et Kakisiwew modernes.

[396]  Les demandeurs Watson ont démontré qu’ils ont qualité pour présenter une revendication au nom de la bande de Chacachas afin d’invoquer ses droits collectifs. Je conclus que les demandeurs Bear n’ont pas démontré qu’ils avaient qualité pour engager une instance par représentation uniquement au nom de la bande de Kakisiwew.

1)  Compétence pour solliciter un jugement déclaratoire

[397]  Les demandeurs n’ont demandé qu’un jugement déclaratoire pendant la phase initiale. Bien que le critère relatif à la qualité pour demander un jugement déclaratoire soit un peu plus souple que ceux relatifs à d’autres formes de réparation, le Cour doit tout de même déterminer si les demandeurs ont satisfait au critère de la qualité pour agir afin d’introduire une instance par représentation lorsque la déclaration sollicitée concerne les droits détenus collectivement. Étant donné que les jugements déclaratoires ne seront rendus que s’ils ont une utilité ou un effet concret, il doit être démontré à la Cour que la demande est présentée par des demandeurs capables et autorisés à revendiquer ces droits collectifs. Ce sont des droits qui ne peuvent être revendiqués par un particulier (M. Sarna sur les jugements déclaratoires, à la page 35).

2)  Appartenance des demandeurs à la bande d’Ochapowace

[398]  Je rejette les arguments du Canada selon lesquels les demandeurs n’ont pas qualité pour agir parce qu’ils revendiquent des droits collectifs dévolus à la bande d’Ochapowace ou que l’appartenance des demandeurs à la bande d’Ochapowace les empêche d’avoir qualité pour demander la reconnaissance des bandes historiques.

[399]  L’omission de la Couronne d’obtenir le consentement des bandes historiques au fusionnement signifiait que les groupes de Chacachas et de Kakisiwew continuaient de détenir les droits issus de traités au sein de la bande d’Ochapowace. Le fait que la bande d’Ochapowace est la seule bande reconnue à des fins administratives par la Couronne ne signifie pas que les groupes de Chacachas et de Kakisiwew ne peuvent pas revendiquer les droits détenus par ces groupes.

[400]  Le Canada a soutenu que les demandeurs Watson et Bear ne peuvent pas être membres des bandes historiques parce qu’ils sont tous membres de la bande d’Ochapowace. La Cour fédérale a déjà conclu qu’une personne ne peut être membre que d’une seule bande au sens de la Loi sur les Indiens (Montana, aux paragraphes 515 et 516). De plus, les demandeurs ne peuvent pas représenter des bandes qui se reconnaissent comme telles, parce que les groupes ne peuvent pas se définissent comme des bandes aux termes de la Loi sur les Indiens (voir Papaschase ABQB, au paragraphe 191).

[401]  Ces arguments ne peuvent pas être retenus puisque lorsque les demandeurs sollicitent la reconnaissance des bandes de Chacachas et de Kakisiwew en tant que bandes distinctes liées par un traité (non souligné dans l’original), ils revendiquent les droits issus de traités qui sont détenus par des groupes à titre de successeurs aux signataires du traité. La revendication de droits issus de traités à titre de signataire distinct d’un traité n’est pas une revendication qui découle du statut d’une bande aux termes de la Loi sur les Indiens, mais en tant que détenteur de droits collectifs issus de traités. Si les bandes de Chacachas et de Kakisiwew avaient consenti au fusionnement, alors tous leurs droits issus de traités seraient exercés par la bande d’Ochapowace en tant que collectivité successeur et les bandes historiques auraient cessé d’exister – mais cela ne s’est pas produit.

[402]  Je conclurais en disant que l’appartenance des demandeurs à la bande d’Ochapowace les empêche de revendiquer les droits collectifs des bandes de Chacachas et de Kakisiwew en tant que bandes aux termes de la Loi sur les Indiens. Cela signifierait que les demandeurs, en tant que groupes distincts, n’ont pas qualité pour faire valoir des revendications découlant de la perte des terres de réserve initiales mises de côté en 1876. Bien que les demandeurs ne soient pas initialement devenus membres de la bande d’Ochapowace lors du premier fusionnement des bandes historiques, le fait qu’aucun des membres n’a protesté contre leur inclusion sur la liste de bande d’Ochapowace en 1951 empêche les demandeurs d’affirmer qu’ils ne sont pas membres d’Ochapowace en tant bande aux termes de la Loi sur les Indiens (Kingfisher c Canada, 2001 CFPI 858, aux paragraphes 98 à 100, 107 ACWS (3d) 540 [Kingfisher CF], conf. par 2002 CAF 221). Les demandeurs ont en outre démontré leur appartenance à la bande d’Ochapowace lorsqu’ils ont participé aux votes de ratification de l’accord de règlement sur les DFIT et de l’accord de règlement concernant la cession de 1919.

[403]  Toutefois, leur appartenance à la bande d’Ochapowace aux termes de la Loi sur les Indiens ne les empêche pas d’avoir qualité pour agir en tant que représentants des bandes de Chacachas et de Kakisiwew dans le but de revendiquer des droits collectifs issus de traités.

3)  Critères relatifs aux instances par représentation

[404]  Afin de revendiquer les droits collectifs des bandes historiques, les demandeurs ont intenté une action au nom des membres de la bande historique, à titre de revendication représentative. Bien qu’elles n’aient pas précisément désigné l’instance comme une « Instance par représentation » dans leurs actes de procédures, comme l’exige le paragraphe 114(5) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, toutes les parties ont démontré par leurs arguments qu’elles comprennent que les demandes sont présentées sur une base représentative.

[405]  L’article 114 des Règles des Cours fédérales régit les instances par représentation devant la Cour. Une version de l’article 114 des Règles autorisant les actions par représentation était en vigueur lorsque la présente instance a débuté, puis a été abrogée en 2002. Cet article a été édicté de nouveau en 2007 principalement pour mieux permettre un processus de revendication de droits collectifs ancestraux et issus de traités (Enge c Canada (Affaires autochtones et du Nord, 2017 CF 932, aux paragraphes 95 et 96, 284 ACWS (3d) 480) :

114 (1) Malgré la règle 302, une instance — autre qu’une instance visée aux articles 27 ou 28 de la Loi — peut être introduite par ou contre une personne agissant à titre de représentant d’une ou plusieurs autres personnes, si les conditions suivantes sont réunies :

114 (1) Despite rule 302, a proceeding, other than a proceeding referred to in section 27 or 28 of the Act, may be brought by or against a person acting as a representative on behalf of one or more other persons on the condition that

a) les points de droit et de fait soulevés, selon le cas :

(a) the issues asserted by or against the representative and the represented persons

(i) sont communs au représentant et aux personnes représentées, sans viser de façon particulière seulement certaines de celles-ci,

(i) are common issues of law and fact and there are no issues affecting only some of those persons, or

(ii) visent l’intérêt collectif de ces personnes;

(ii) relate to a collective interest shared by those persons;

b) le représentant est autorisé à agir au nom des personnes représentées;

(b) the representative is authorized to act on behalf of the represented persons;

c) il peut représenter leurs intérêts de façon équitable et adéquate;

(c) the representative can fairly and adequately represent the interests of the represented persons; and

d) l’instance par représentation constitue la façon juste de procéder, la plus efficace et la moins onéreuse.

(d) the use of a representative proceeding is the just, most efficient and least costly manner of proceeding.

[406]  Aux termes du paragraphe 114(2) des Règles, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si les conditions d’une instance par représentation sont réunies à tout moment, d’exiger qu’un avis soit donné aux personnes représentées et de remplacer le représentant s’il n’est pas en mesure de représenter les personnes représentées de façon équitable et adéquate.

[407]  Les parties n’ont pas fait référence à l’article 114 des Règles dans leurs observations et les demandeurs ont plutôt présenté des observations sur la qualité pour agir dans des actions par représentation fondées sur des décisions rendues par les cours supérieures provinciales, en particulier les cours de la Colombie-Britannique. Il y a peu de jurisprudence propre à l’application de l’article 114 des Règles, de sorte que la jurisprudence de la Colombie-Britannique est convaincante, mais ne lie pas notre Cour et n’est pas fondée sur une règle identique en matière de procédure. La Cour doit principalement évaluer la qualité pour agir relativement à cette instance par représentation en fonction de sa propre règle de procédure.

[408]  Dans Wesley c Canada, 2017 CF 725, aux paragraphes 19 et 20, 282 ACWS (3d) 781, la Cour a tenu compte des facteurs énoncés dans la jurisprudence de la Colombie-Britannique pour déterminer si le demandeur était un représentant approprié du groupe. La Cour a noté que les instances par représentation n’étaient pas appropriées lorsque les membres avaient des intérêts conflictuels ou lorsque le succès pour certains ne le serait pas pour d’autres.

[409]  La Cour suprême de la Colombie-Britannique a énoncé à maintes reprises son critère relatif aux actons par représentation (voir Campbell et l’arrêt Quinn v Bell Pole, 2013 BCSC 892, au paragraphe 19, 228 ACWS (3d) 966). Ce critère a été confirmé récemment par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Première nation de Hwlitsum c Canada (Procureur général), 2018 BCCA 276, au paragraphe 8, 296 ACWS (3d) 737, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 38325 (29 mars 2019) [Hwlitsum] :

[traduction]

1.  si le groupe des détenteurs de droits au nom desquels ils (les demandeurs) prétendent agir peut faire l’objet d’une définition claire;

2.  s’il existe des questions de droit ou de fait communes à tous les membres de la collectivité ainsi définie;

3.  si le succès de la pétition signifie le succès de l’ensemble de la collectivité ainsi définie;

4.  si les représentants proposés représentent adéquatement les intérêts de la collectivité.

[410]  Dans l’ensemble, des exigences similaires à celles énoncées dans la jurisprudence de la Colombie-Britannique sont prévues à l’article 114. Selon l’article 114 des Règles, la collectivité doit aussi correctement être définie afin de pouvoir déterminer si les membres de la collectivité ont des intérêts ou des problèmes communs et si les représentants proposés représentent adéquatement les intérêts de la collectivité.

[411]  Dans la jurisprudence relative aux procédures engagées au nom de collectivités autochtones non reconnues, les tribunaux n’ont pas toujours clairement énoncé le critère que les demandeurs doivent satisfaire, ce qui a pour effet de créer une cible mouvante pour les représentants des demandeurs. Par exemple, dans Kingfisher CF, au paragraphe 59, la Cour s’est principalement concentrée sur la question de savoir si les demandeurs pouvaient établir leur descendance dans la lignée ininterrompue de la communauté historique. Dans Papaschase ABQB, la Cour a conclu que la descendance n’était pas suffisante pour faire valoir les droits d’une collectivité historique et que le groupe devait également continuer d’exister en tant que bande aux termes de la Loi sur les Indiens et en tant que collectivité autochtone pour faire valoir ses droits à une réserve. Dans Campbell, la Cour a confirmé que les collectivités historiques non reconnues devraient pouvoir faire valoir leurs droits collectifs, mais devraient définir l’appartenance à leur collectivité selon des critères objectifs au-delà de la descendance générale de la collectivité historique.

[412]  Par conséquent, je trouve utile de résumer ce qui est nécessaire pour engager une instance par représentation pour une collectivité détentrice de droits non reconnue aux termes de l’article 114 des Règles. Les demandeurs doivent :

  1. définir la collectivité avec suffisamment de clarté pour permettre à la Cour de déterminer si les autres exigences de l’instance par représentation sont remplies;

  2. démontrer que la collectivité a un intérêt collectif ou des questions communes, ce qui inclut le fait de démontrer que les représentants des demandeurs ont un lien avec la collectivité détentrice de droits;

  3. démontrer que les représentants des demandeurs sont autorisés à agir au nom de la collectivité représentée;

  4. démontrer que les représentants des demandeurs sont capables de représenter équitablement et adéquatement la collectivité;

  5. démontrer qu’une instance par représentation est le meilleur moyen de présenter la demande.

4)  Application du critère relatif aux instances par représentation

[413]  Au regard de ces exigences, les demandeurs Watson ont qualité pour faire valoir les droits collectifs de la bande de Chacachas, mais les demandeurs Bear n’ont pas établi de façon adéquate qu’ils ont qualité pour faire valoir les droits collectifs de la bande de Kakisiwew.

a)  Qualité pour agir des demandeurs Watson

[414]  Les demandeurs Watson ont présenté leurs demandes en tant que chefs de famille des descendants directs de la bande historique de Chacachas au nom de tous les membres de la bande de Chacachas. Bien que les demandeurs Watson n’aient pas entièrement défini l’appartenance à la collectivité, les demandeurs Watson ont démontré qu’ils avaient qualité pour présenter une demande de jugement déclaratoire concernant le fusionnement inapproprié des bandes historiques.

[415]  À l’heure actuelle, l’appartenance à la bande de Chacachas n’est pas définie objectivement. Il existe des éléments de preuve selon lesquels la liste des membres de la bande de Cameron Watson de 2007 pourrait être contestée, étant donné que d’autres témoins ont indiqué qu’ils ne pensaient pas que l’appartenance à la bande devrait être fondée sur l’ascendance. De plus, plusieurs membres de la bande de Chacachas ayant les mêmes droits de faire valoir leur appartenance à la bande de Kakisiwew figurent sur la liste. Selon Sharon Bear, cela permettrait aux membres de choisir leur appartenance à une bande.

[416]  Cependant, certains critères pour devenir membre de la bande de Chacachas sont énoncés dans la liste de bande proposée par Cameron Watson : 1) un lien ancestral avec un membre de la bande de Chacachas au moment du Traité no 4, 2) l’appartenance actuelle à la bande d’Ochapowace et 3) la disposition et l’intérêt à se joindre à la bande de Chacachas.

[417]  La Cour n’a pas besoin d’être en mesure de déterminer qui appartient à une collectivité autochtone même, mais elle doit comprendre comment la communauté décide objectivement de l’appartenance, afin d’évaluer s’il y a des conflits dans l’instance par représentation et de s’assurer que les représentants demandeurs nommés sont appropriés (Campbell, au paragraphe 154). Dans Campbell, aux paragraphes 140 à 145 ainsi que dans Hwlitsum, les cours ont refusé de reconnaître la qualité pour agir pour défaut d’appartenance à une bande définie objectivement. Dans Campbell, les demandeurs avaient soutenu que l’appartenance serait déterminée par un vaste lien ancestral, sans décrire le niveau ou le type de lien ancestral requis. Dans Hwlitsum, les demandeurs ne représentaient qu’une partie de la collectivité et ne pouvaient pas représenter l’ensemble de la collectivité.

[418]  De même, les demandeurs Watson n’ont pas décrit de seuil relativement au lien ancestral avec la bande de Chacachas. Les demandeurs Watson ont principalement démontré qu’ils représentent un groupe de membres d’Ochapowace qui ont un lien ancestral avec les membres de la bande de Chacachas et se reconnaissent comme faisant partie de la communauté de Chacachas établie de façon continue. Il s’agit d’une définition inadéquate pour que les demandeurs Watson puissent présenter une demande de division de la bande d’Ochapowace et de ses biens, car les membres peuvent avoir des conflits d’intérêts s’ils ont droit d’appartenir à la bande de Chacachas et à la bande de Kakisiwew, ou à aucune de ces bandes.

[419]  Cependant, j’estime que ce type de définition de la collectivité est suffisant en l’espèce pour présenter une demande au cours de la phase initiale du procès en vue d’obtenir une déclaration selon laquelle le fusionnement était illégal. Les demandeurs Watson représentent de manière adéquate un sous-ensemble de membres de la bande d’Ochapowace ayant continué à chercher une reconnaissance en tant que bande de Chacachas. Toutes les répercussions de la question de la définition peuvent être l’un des sujets de la deuxième phase, mais cette question n’empêche pas de se pencher, à tout le moins, sur la question du fusionnement illégal.

[420]  Contrairement à des affaires comme Campbell, les demandeurs Watson représentent un groupe détenteur de droits qui est actuellement intégré dans la bande d’Ochapowace en raison d’un fusionnement illégal. Les membres de la bande d’Ochapowace font l’objet d’une définition, donc l’appartenance à la bande de Chacachas est assujettie à des restrictions.

[421]  On ne saurait faire abstraction du fait que le fusionnement illégal a entraîné des difficultés à séparer les membres des bandes historiques et d’Ochapowace. Par conséquent, cette latitude pour accorder la qualité pour demander un jugement déclaratoire est nécessaire, sinon le Canada pourrait à tout le moins tirer parti de ses actions illégales, au détriment des membres des bandes historiques.

[422]  Il n’y a pas de conflit d’intérêts au sein de ce groupe relativement à la demande présentée en vue d’obtenir une déclaration selon laquelle les bandes historiques ont été indûment fusionnées. Ce point est étayé par le fait que le conseil élu représentant tous les membres de la bande d’Ochapowace soutient également une déclaration concernant le fusionnement indu des bandes historiques. Le fait que certains membres de la bande de Chacachas puissent également prétendre appartenir à la bande de Kakisiwew n’entraîne pas de conflit d’intérêts pour ce qui est de demander une déclaration concernant un fusionnement indu. Des conflits d’intérêts peuvent survenir entre les membres des bandes d’Ochapowace, de Kakisiwew et de Chacachas dans tout autre jugement déclaratoire reconstituant les bandes historiques ou répartissant les biens et les membres des bandes. Par conséquent, je ne conclus pas que les demandeurs Watson ont qualité pour présenter une autre partie de la présente demande sans autre preuve concernant l’appartenance à la bande de Chacachas.

[423]  Les demandeurs Watson satisfont aux autres exigences du critère pour engager une instance par représentation énoncées au paragraphe 412.

[424]  La collectivité a un intérêt commun dans les droits collectifs de la bande historique de Chacachas. Pour faire valoir les droits collectifs de la communauté historique, les demandeurs Watson doivent représenter une communauté contemporaine qui assure une continuité avec la communauté des détenteurs de droits historiques (Campbell, au paragraphe 120).

[425]  Les demandeurs Watson ont prouvé cette continuité en démontrant que les représentants des demandeurs ont un lien ancestral avec les premiers membres de la bande de Chacachas et en démontrant que les membres qui se définissent comme faisant partie de la bande de Chacachas ont continué de soulever des questions concernant leur fusion dans les années 1880, en 1911 et dans les années 1930. En outre, le fait que Sharon Bear, en tant qu’aînée de la bande de Chacachas, connaissait des histoires propres à la réserve de Chacachas démontre que les descendants de la bande de Chacachas ont aussi connu et raconté des histoires distinctes de celles de la bande d’Ochapowace. Les divisions relatées au sein de la bande dans les années 1940 et 1960 montrent, en outre, que la communauté de Chacachas a continué de fonctionner comme un groupe distinct au sein de la bande d’Ochapowace.

[426]  L’exigence selon laquelle une collectivité détentrice de droits doit faire assurer une certaine continuité avec le signataire du traité d’origine est souple et ne devrait pas viser la perfection. Dans l’arrêt R. c Van der Peet, [1996] 2 CSC 507, au paragraphe 65, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’exigence de la continuité pour revendiquer les droits ancestraux n’impose pas une continuité parfaite. De même, l’affirmation des droits issus de traités nécessite qu’une collectivité ait établi une continuité avec la collectivité d’origine, mais ne devrait pas nécessiter une continuité parfaite.

[427]  Le Canada a soutenu que la Cour devrait considérer qu’il n’y a pas de division claire au sein des bandes, car plusieurs des demandeurs Watson et des membres de leur famille ont été chefs de la bande d’Ochapowace et ont participé à des négociations au nom de la bande d’Ochapowace.

[428]  Je n’estime pas que cela rompt suffisamment la continuité avec la bande historique de Chacachas. Étant donné que la constitution de la bande d’Ochapowace était le résultat d’une fusion indue, il serait injuste de punir les membres de Chacachas pour avoir tenté de prendre part politiquement à la seule bande reconnue par le Canada.

[429]  Les témoins des demandeurs Watson, Bear et de la bande d’Ochapowace semblaient tous convenir que la bande de Chacachas était un groupe distinct, même si les membres de la bande de Chacachas avaient occupé des postes de direction au sein de la bande d’Ochapowace et se sont mariés avec des membres de la bande de Kakisiwew. La reconnaissance de la bande de Chacachas par la bande d’Ochapowace et la FSIN soutient en outre que la bande de Chacachas est un groupe distinct établi de façon continue.

[430]  Je conclus également que les demandeurs Watson ont une autorisation suffisante au nom de la collectivité pour présenter la présente demande.

[431]  Les demandeurs Watson ont présenté des éléments de preuve concernant la sélection du comité intérimaire de Chacachas, ce qui a conduit à l’ouverture de la présente procédure contentieuse et à la sélection des représentants des demandeurs. Ils ont fourni des éléments de preuve des procès-verbaux de réunions, des ordres du jour et des avis fournis aux membres de la bande d’Ochapowace. Ils ont entretenu une correspondance avec le Conseil d’Ochapowace et ont reçu son soutien. Bien que davantage d’éléments de preuve sur la question relative à l’avis auraient été utiles, la Cour est convaincue que les demandeurs Watson ont démontré qu’ils étaient autorisés à présenter la demande au nom de membres qui se définissent comme des membres de la bande de Chacachas et qui ont un lien ancestral avec un membre de la bande de Chacachas remontant à l’époque du Traité no 4.

[432]  Enfin, j’estime que les demandeurs Watson ont démontré qu’ils peuvent représenter équitablement et adéquatement la collectivité.

[433]  Les demandeurs Watson ont démontré selon la prépondérance des probabilités que les demandeurs nommés ont chacun une descendance ininterrompue de membres de la bande de Chacachas remontant avant le fusionnement, en particulier Napitaseawew [phonétique] et Little Assiniboine. Deux des cinq demandeurs nommés ont témoigné relativement à leur propre généalogie et d’autres éléments de preuve ont permis de soutenir que les autres demandeurs étaient également liés à Napitaseawew et à Little Assiniboine.

[434]  Le Canada demande à la Cour de s’interroger sur le caractère suffisant du lien ancestral d’une personne si celle-ci a également un lien avec la bande de Kakisiwew ou si son lien avec la bande de Chacachas est établi par ses lignées maternelles.

[435]  La Cour ne souscrit pas à cet argument. Le but d’exiger un lien ancestral est de démontrer que les demandeurs ont établi une continuité avec la collectivité historique et qu’ils peuvent faire valoir les droits de la collectivité. Étant donné que les droits collectifs issus de traités ne se transmettent qu’aux collectivités, et non aux particuliers, il est plus important que le groupe ait marqué une continuité avec la bande historique et ait admis les représentants des demandeurs comme membres.

[436]  Le chevauchement entre les membres de la bande de Chacachas et la bande de Kakisiwew n’empêchera pas les demandeurs Watson de présenter une demande de jugement déclaratoire concernant le fusionnement indu des bandes historiques.

b)  Qualité pour agir des demandeurs Bear

[437]  Cependant, malgré la conclusion ci-dessus concernant les demandeurs Watson, je conclurais que les demandeurs Bear n’ont pas démontré qu’ils ont qualité pour présenter la demande relative aux droits collectifs de la bande historique de Kakisiwew.

[438]  Premièrement, les demandeurs Bear n’ont fourni aucune preuve d’une définition de l’appartenance à la collectivité de la bande de Kakisiwew. Ils ont plutôt remis le sujet de l’appartenance à la deuxième phase du procès. Bien que, comme indiqué précédemment, je ne pense pas que cela soit fatal à la demande de jugement déclaratoire dans la phase initiale, les phases ultérieures du procès nécessiteront davantage d’éléments de preuve.

[439]  Plus important encore, deuxièmement, les demandeurs Bear n’ont pas démontré qu’ils représentaient une collectivité qui marqué une continuité avec la bande historique de Kakisiwew. C’est nécessaire pour pouvoir revendiquer les droits collectifs de la bande de Kakisiwew. Contrairement à la bande de Chacachas, il y a peu d’éléments de preuve pour démontrer que la bande de Kakisiwew a fonctionné comme une communauté distincte de la bande d’Ochapowace dans son ensemble. C’est ce qui a été confirmé par Ross Allary et les transcriptions de Wesley George et de Denton George, qui étaient d’accord pour dire que la bande d’Ochapowace et la bande de Kakisiwew étaient une seule et même bande. Le fait que le conseil de bande d’Ochapowace ait adopté une résolution afin de changer son nom pour devenir la bande de Kakisiwew montre en outre que la bande de Kakisiwew était perçue comme étant indissociable de la bande d’Ochapowace.

L’aspect déterminant est qu’il y a peu d’éléments de preuve selon lesquels la bande de Kakisiwew est une collectivité distincte de la bande d’Ochapowace.

[440]  Troisièmement, les demandeurs Bear n’ont pas fourni suffisamment de preuve de l’autorisation d’intenter l’action au nom de la collectivité. Wesley Bear a confirmé qu’un comité représentatif de la famille Kakisiwew avait été formé avec les 11 représentants de la famille choisis. Cependant, aucun autre renseignement sur la façon dont les réunions étaient tenues ou les décisions étaient prises au nom de la communauté n’a été fourni.

[441]  Quatrièmement, les demandeurs Bear ont seulement démontré que trois des huit représentants des demandeurs ont une lignée ancestrale ininterrompue avec les membres d’origine de la bande de Kakisiwew. Même si cela pourrait suffire, à condition que les demandeurs Bear aient satisfait aux autres éléments requis pour une instance par représentation, ce manque d’éléments de preuve renforce également les problèmes relatifs à la qualité pour agir.

[442]  Je conclurais que seuls Sam Isaac, Wesley Bear et Audrey Isaac ont fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’ils descendent d’une ligne suffisamment ininterrompue de la bande de Kakisiwew. Le reste de la preuve sur le lien ancestral des demandeurs Bear provenait d’un affidavit joint à une requête de 2007, qui a été déposé en preuve au procès au moyen d’un dossier d’instruction supplémentaire. Même en tenant compte de ces éléments de preuve, le lien ininterrompu entre les représentants des demandeurs et les membres d’origine de la bande de Kakisiwew n’était pas évident.

[443]  Dans l’ensemble, je conclus que les demandeurs Bear n’ont pas démontré qu’ils avaient qualité pour présenter une demande concernant les droits collectifs de la bande de Kakisiwew, car aucun élément de preuve n’indique qu’ils représentent une communauté continue de membres de la bande de Kakisiwew distincte de la bande d’Ochapowace. La bande d’Ochapowace semble être la collectivité successeur de la bande de Kakisiwew. De plus, les demandeurs Bear n’ont pas établi l’autorité suffisante ni la définition de la collectivité pour présenter la demande.

E.  Si les bandes historiques ont été fusionnées illégalement, quel est le statut juridique des bandes de Chacachas, de Kakisiwew et d’Ochapowace?

[444]  J’ai conclu que les bandes historiques ont été fusionnées illégalement et que la bande de Chacachas a un droit continu d’exercer ses avantages issus du traité en tant que bande distincte d’Ochapowace. Toutefois, les demandeurs sont irrecevables à demander au Canada des droits fonciers issus de traités supplémentaires en raison de l’accord sur les DFIT. En outre, ils sont irrecevables, en raison des délais de prescription, à demander une mesure de réparation compensatoire à la suite de la cession de la réserve et du fusionnement des bandes.

[445]  La prochaine question posée dans l’ordonnance de la phase initiale est celle de savoir quel « statut juridique » les bandes pourraient avoir. Selon moi, la question vise à savoir si les bandes de Chacachas, de Kakisiwew ou d’Ochapowace seraient des bandes aux termes de la Loi sur les Indiens si la Cour conclut que les bandes historiques ont été indûment fusionnées.

[446]  Les demandeurs et la bande d’Ochapowace ont soutenu que la conclusion selon laquelle les bandes historiques étaient indûment fusionnées devrait entraîner un jugement dans lequel il est déclaré que les bandes historiques ainsi que la bande d’Ochapowace sont chacune des bandes distinctes et des bandes aux termes de la Loi sur les Indiens.

[447]  Le Canada déclare que la bande d’Ochapowace est la seule bande au sens de la Loi sur les Indiens et qu’elle exerce les droits collectifs issus de traités en tant que successeur légale de Chacachas et de Kakisiwew. Les bandes de Chacachas et de Kakisiwew n’auraient donc aucun statut juridique en tant que collectivités ou bandes distinctes au titre de la Loi sur les Indiens.

[448]  Avant le fusionnement, les bandes de Chacachas et de Kakisiwew étaient des bandes aux termes de la Loi sur les Indiens ainsi que des bandes liées par un traité. Après le fusionnement, seule la bande d’Ochapowace était une bande aux termes de la Loi sur les Indiens puisqu’elle était la seule entité qui répondait à la définition légale d’une bande. Le fusionnement a empêché les bandes de Kakisiwew et de Chacachas d’être des bandes selon la définition de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, car elles ne détenaient plus de réserves distinctes ou ne recevaient plus d’annuités issues de traité distinctes. Selon moi, la Cour ne peut pas déclarer que les bandes de Kakisiwew et de Chacachas sont des bandes aux termes de la Loi sur les Indiens, même si leur fusion était illégale.

[449]  Contrairement aux communautés des Premières nations préexistantes, les bandes aux termes de la Loi sur les Indiens en tant qu’entités légales peuvent cesser d’exister lorsqu’elles ne répondent plus à la définition légale d’une bande. Comme l’a déclaré le juge Hugessen dans Montana, au paragraphe 456 :

Malgré le fait qu’aucune disposition de l’Acte des Sauvages ne traitait explicitement de la dissolution d’une bande pendant la période en cause, il ressort de la jurisprudence qu’à l’époque, les bandes pouvaient, par choix ou à cause des circonstances, cesser d’exister au sens défini dans la loi [...]

[450]  Dès qu’une bande n’avait plus un groupe de membres identifiables ni des terres dévolues à la Couronne ni des annuités administrées par la Couronne au nom de la bande, elle n’est plus une bande de fait ou de droit au sens de l’Acte des Sauvages (Montana, au paragraphe 456; et Papaschase ABQB, au paragraphe 168).

[451]  J’ai conclu la bande de Chacachas avait une réserve mise de côté en 1876 à son usage et à son profit communs et avait des annuités de traités détenues pour la bande en commun. Cependant, après 1881, la bande de Chacachas n’avait plus sa propre réserve et, après 1884, les membres recevaient des annuités de traité en tant que membres de la bande d’Ochapowace. À l’heure actuelle, la bande de Chacachas ne remplit pas les conditions requises pour être une bande aux termes de la Loi sur les Indiens, bien qu’elle continue d’être un groupe quelque peu identifiable.

[452]  De même, la bande de Kakisiwew avait une réserve mise de côté pour son utilisation en 1876 et avait des annuités de traité distribuées à la bande. Elle n’a plus sa propre réserve et ne reçoit plus d’annuités de traité séparément. Elle n’est pas non plus un groupe identifiable distinct des membres de la bande d’Ochapowace.

[453]  De plus, étant donné que les bandes historiques ont cessé de satisfaire aux exigences légales en tant que bandes aux termes de la Loi sur les Indiens, la Cour ne peut déclarer ni ordonner au Canada de déclarer que la bande de Chacachas existe en tant que bande au sens de Loi sur les Indiens au titre du troisième volet de la définition en dehors du contexte du contrôle judiciaire (voir la décision Côté c R, 2016 CF 296, aux paragraphes 15 et 16, 265 ACWS (3d) 277). Bien que la Loi sur les Indiens confère désormais à la Couronne le pouvoir de déclarer qu’un groupe d’Indiens est une bande, la Couronne n’a aucune obligation légale aux termes de la Loi sur les Indiens de le faire. Aucune collectivité n’a le droit, aux termes de la Loi sur les Indiens, d’être reconnue comme bande (Papaschase ABQB, au paragraphe 172).

[454]  À l’heure actuelle, la bande d’Ochapowace est la seule bande au sens de Loi sur les Indiens. La bande d’Ochapowace est la seule bande ayant une réserve mise de côté pour l’usage et le profit de ses membres. La bande d’Ochapowace a obtenu toutes les terres et sommes d’argent dues issues de traités dues à la bande de Kakisiwew et de Chacachas, au titre du Traité no 4.

[455]  Les demandeurs Watson ont affirmé que si la Cour conclut que le fusionnement était illégitime, alors le fusionnement est [traduction] « nul ab initio ». Ils soutiennent que cela signifie que les bandes reviendraient à leur statut antérieur à 1881. Si l’effet du fusionnement [traduction] « nul » était de vraiment revenir à la situation antérieure au fusionnement, alors les bandes de Kakisiwew et de Chacachas seraient des bandes au sens de Loi sur les Indiens, car elles auraient toujours leurs propres réserves de 1876 et recevraient des annuités de traité séparément.

[456]  L’histoire peut difficilement être refaite. Au mieux, les tribunaux peuvent tenter de remédier à des actes illicites. L’affirmation selon laquelle un acte est [traduction] « nul » ne revient pas à refaire l’histoire.

[457]  La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans Papaschase ABQB, aux paragraphes 158 à 163, a discuté de la nature de la conclusion relative à la nullité d’un acte dans le contexte d’une cession illégitime d’une réserve. Le tribunal a décidé que la nullité signifie qu’un acte n’était pas autorisé, mais cela ne signifie pas que l’acte ne s’est pas produit. Cela signifie qu’une fois qu’un délai de prescription court à l’égard de la décision dans laquelle l’acte est déclaré [traduction« nul », il devient valable en pratique.

[458]  En l’espèce, j’ai conclu que les délais de prescription s’étaient écoulés à l’égard des manquements à des obligations fiduciaires et à une violation du traité survenus lorsque les bandes historiques ont perdu leurs réserves initiales et ont été fusionnées sans consultation ni accord. Cela signifie que la cession de la réserve et le fusionnement des bandes aux termes de la Loi sur les Indiens sont devenus valides en pratique. Par conséquent, la [traduction] « nullité » du fusionnement ne signifie pas que les bandes historiques deviendront automatiquement des bandes au sens de Loi sur les Indiens, car cela obligerait la Cour à conclure que les bandes historiques continueront d’avoir des réserves ou des fonds mis de côté pour leur usage et leur profit. Une déclaration selon laquelle les bandes historiques continueraient d’être des bandes au sens de Loi sur les Indiens en raison du fusionnement nul permettrait essentiellement aux bandes de contourner l’irrecevabilité et les délais de prescription qui interdisent les mesures de réparation compensatoires en l’espèce.

[459]  La situation en l’espèce démontre les problèmes rencontrés pour conclure qu’un acte serait nul plus de 135 ans après la décision – quelle qu’en ait été l’illégalité. La conclusion selon laquelle le fusionnement était nul devrait également entraîner la disparition de la bande d’Ochapowace et le partage des terres et des biens entre la bande de Kakisiwew et la bande de Chacachas. Il ne serait pas possible de reconnaître l’incidence d’une telle déclaration sur les membres qui ont été transférés à la bande d’Ochapowace après le fusionnement. Ces « nouveaux » membres ont rejoint une bande qui était une fusion des bandes de Chacachas et de Kakisiwew; ils ne se sont pas joints seulement à la bande de Kakisiwew ou seulement à la bande de Chacachas. Si la création de la bande d’Ochapowace en tant que bande au sens de Loi sur les Indiens était nulle, alors ces « nouveaux » membres n’appartiendraient clairement à aucune des bandes.

[460]  Un membre de bande qui est transféré d’une bande à une autre perd les droits d’une bande et exerce les droits collectifs de la bande à laquelle il se joint, car les droits collectifs se transmettent par l’appartenance et non par l’ascendance (Rivière Blueberry CAF, aux paragraphes 17 et 18). Par conséquent, tous les membres, y compris les « nouveaux » membres, les descendants de la bande de Chacachas et les descendants de la bande de Kakisiwew, ont des droits dans leur ensemble sur les droits collectifs de la bande d’Ochapowace, tels que les droits sur la réserve et les biens actuels de la réserve d’Ochapowace. Ces « nouveaux » membres de la bande d’Ochapowace ont également exercé des droits issus de traités provenant des bandes de Kakisiwew et Chacachas à titre de signataires du traité. Les « nouveaux » membres dont les ancêtres ont été transférés d’autres bandes l’ont fait en tenant pour acquis qu’ils continueraient de jouir des droits issus de traités au sein de la bande d’Ochapowace.

[461]  Lorsque la Cour suprême a prononcé son jugement déclaratoire concernant la constitutionnalité de la conduite de la Couronne dans Manitoba Metis, elle a souligné que ce jugement déclaratoire n’aurait aucun effet sur une tierce partie. Un peu comme un tiers acquéreur, les « nouveaux » membres de la bande d’Ochapowace sont des tiers qui comptent sur l’existence continue de la bande d’Ochapowace en tant que bande au sens de Loi sur les Indiens qui exerce des droits collectifs issus de traités au nom de tous les membres de la bande.

[462]  Étant donné que les demandeurs Watson n’ont pas clairement défini l’appartenance à la bande de Chacachas, la Cour n’est pas en mesure d’aller beaucoup plus loin dans la détermination du statut juridique des bandes de Chacachas, de Kakisiwew et d’Ochapowace. Il existe des conflits d’intérêts potentiels au sein des actions par représentation en fonction de l’appartenance d’un membre à un groupe ou à un autre.

[463]  Pour toutes ces raisons, je ne conclus pas que la bande de Chacachas ni celle de Kakisiwew est une bande aux termes de la Loi sur les Indiens, et la Cour ne peut pas non plus déclarer que l’une ou l’autre est une bande au sens de Loi sur les Indiens.

[464]  Les demandeurs et la bande d’Ochapowace ont également demandé que la bande d’Ochapowace soit traitée comme un [traduction] « administrateur involontaire » des bandes de Chacachas et de Kakisiwew. Malheureusement, ils n’ont pas étayé au moyen de la jurisprudence ce que signifie être administrateur involontaire des bandes historiques pour la bande d’Ochapowace. Il est difficile de savoir ce que seraient les biens en fiducie ou ce que signifie être administrateur « involontaire ». Il appert que les demandeurs et la bande d’Ochapowace font valoir que la bande d’Ochapowace a une obligation fiduciaire envers les membres des bandes de Chacachas et de Kakisiwew, mais que le Canada devrait être financièrement responsable de toute obligation due envers la bande d’Ochapowace. Les demandeurs n’ont pas précisé comment cela serait mis en œuvre, en particulier dans le contexte de l’accord de règlement sur les DFIT dans lequel la bande d’Ochapowace indemnisera le Canada de toute autre revendication présentée par les membres de la bande d’Ochapowace.

[465]  Sans éléments de preuve et arguments supplémentaires, la Cour n’est pas disposée à tirer de nouvelles conclusions sur la question, étant donné que la nature de ces conclusions pourrait avoir une incidence importante sur les biens et les ressources de la bande d’Ochapowace et de ses membres. Cela peut être un problème pour la prochaine phase de l’affaire. À ce stade, une mesure de réparation supplémentaire est prématurée.

[466]  Les demandeurs et en particulier la bande d’Ochapowace ont été réticents à expliquer à la Cour ce qu’ils envisagent comme prochaines étapes après une décision au sujet de la légalité du fusionnement.

[467]  La Cour souhaite et espère que le jugement déclaratoire concernant le fusionnement permettra aux demandeurs et à la bande d’Ochapowace, avec ou sans la coopération du Canada, de se forger une vision de leur avenir en tant que communautés.

F.  Jugement déclaratoire

[468]  Les demandeurs et la bande d’Ochapowace sollicitent des déclarations selon lesquelles les bandes de Chacachas et de Kakisiwew continuent d’exister en tant que [traduction] « bandes liées par un traité » au cours de la phase initiale du procès. Cela ne fait pas strictement partie des sept questions énoncées dans l’ordonnance de la phase initiale. Cependant, c’est une conséquence des conclusions de la phase initiale du procès. Compte tenu de mes conclusions sur les délais de prescription et l’irrecevabilité, le jugement déclaratoire est probablement la seule mesure de redressement possible en l’espèce.

[469]  La possibilité de ce type de jugement déclaratoire dépend principalement de la question de savoir s’il existe une analogie entre le jugement déclaratoire demandé et celui accordé par la Cour suprême du Canada dans Manitoba Metis. Dans Manitoba Metis, au paragraphe 139, la Cour suprême du Canada a conclu que les lois sur la prescription ne pouvaient faire obstacle à une demande de jugement déclarant que la Couronne n’a pas agi honorablement dans la mise en œuvre de l’obligation constitutionnelle imposée par la Loi sur le Manitoba, 1870, LC 1870, c 3, un statut constitutionnel.

[470]  Les demandeurs soutiennent que le jugement déclaratoire sollicité dans la présente phase du procès – selon lequel les bandes historiques continuent d’avoir le droit d’exister en tant que bandes liées par un traité – est analogue au jugement déclaratoire sollicité dans Manitoba Metis. Ils estiment qu’il s’agit d’un jugement déclaratoire fondé sur l’honneur de la Couronne. Par conséquent, les délais de prescription ne devraient pas s’appliquer pour empêcher le prononcé d’un jugement déclaratoire.

[471]  Le Canada fait valoir que le jugement déclaratoire, comme les autres mesures de réparation, est frappé de prescription parce que l’exception énoncée dans Manitoba Metis ne s’applique pas. Premièrement, les demandeurs sollicitent également des dommages-intérêts ou d’autres mesures de réparation pour leurs revendications, contrairement à Manitoba Metis. Deuxièmement, les jugements déclaratoires demandés ne concernent pas simplement les relations juridiques entre les parties, mais sont aussi sollicités en vue d’obtenir des dommages-intérêts dans la deuxième phase du procès. Troisièmement, les jugements déclaratoires sollicités sont fondés sur des droits fiduciaires et issus de traités plutôt que sur une loi constitutionnelle. Quatrièmement, d’autres moyens sont disponibles pour tous les éléments de réparation demandés par les demandeurs, ce qui signifie qu’un jugement déclaratoire n’est pas la seule option pour les demandeurs.

[472]  La Cour conclut que le jugement déclaratoire peut être accordé aux des demandeurs, mais pas formulé de la manière demandée par les demandeurs.

[473]  J’accorderais le jugement déclaratoire suivant :

Que le fusionnement des bandes de Chacachas et de Kakisiwew était illégal en raison de l’omission de la Couronne fédérale de respecter les promesses du Traité no 4, conformément au principe de l’honneur de la Couronne.

[474]  Ce jugement déclaratoire peut être prononcé bien que des délais de prescription se soient écoulés pour les revendications, car il s’agit d’un jugement déclaratoire concernant la constitutionnalité de la conduite de la Couronne et il est suffisamment analogue à Manitoba Metis.

[475]  Le jugement déclaratoire sollicité par les demandeurs concernant l’existence continue des bandes de Chacachas et de Kakisiwew en tant que [traduction] « bandes liées par un traité » manque de la clarté requise d’une déclaration. Tel qu’il est décrit ci-dessus, aucune des bandes n’a fourni suffisamment de renseignements pour permettre à la Cour de déterminer comment les bandes détermineront leur appartenance si elles sont reconstituées ou pour évaluer l’effet d’un jugement déclaratoire rétablissant les bandes sur le statut et les biens des bandes historiques et d’Ochapowace.

[476]  En l’absence de tels éléments de preuve, les demandeurs sollicitent une déclaration sur la prescription, et non de la nature d’une déclaration conforme à Manitoba Metis. La Cour suprême a découragé les jugements déclaratoires relatifs à la prescription, sauf dans des situations exceptionnelles; voir l’arrêt Ewert c Canada, 2018 CSC 30, [2018] 2 RCS 165 [Ewert].

[477]  De plus, bien que j’aie conclu que la bande de Chacachas a des droits collectifs continus issus de traités, il lui est interdit de demander réparation pour des terres en raison de l’irrecevabilité et des délais de prescription. Par conséquent, une conclusion selon laquelle la bande de Chacachas est considérée comme une [traduction] « bande liée par un traité » semblerait également être accessoire à leurs revendications de terres visées par un traité, lesquelles, comme il est indiqué ci-dessus, sont irrecevables et prescrites.

[478]  En revanche, la déclaration énoncée au paragraphe 473 traite des torts historiques et indique que les bandes historiques ont été fusionnées illégalement. Elle n’est pas simplement accessoire à une mesure de réparation compensatoire, car elle n’entraîne pas automatiquement une indemnisation ou des dommages-intérêts. En revanche, elle vise à reconnaître l’acte illégal qui s’est produit il y a plus de 135 ans et fournira, espérons-le, un fondement de négociation pour déterminer comment résoudre le problème au sein de la communauté.

1)  Possibilité d’obtenir un jugement déclaratoire

[479]  Un jugement déclaratoire est une déclaration de la Cour concernant le rapport juridique entre les parties sans une ordonnance d’exécution (M. Sarna sur les jugements déclaratoires, au paragraphe 6).

[480]  Comme il a été mentionné plus tôt, la Cour suprême du Canada dans Ewert a récemment résumé le critère relatif au jugement déclaratoire :

[81]  Un jugement déclaratoire est une réparation d’une portée restreinte, mais il peut être obtenu sans cause d’action et prononcé, peu importe si une mesure de redressement consécutive peut être accordée [...]. Le tribunal peut, à son gré, prononcer un jugement déclaratoire lorsqu’il a compétence pour entendre le litige, lorsque la question en cause est réelle et non pas simplement théorique, lorsque la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue et lorsque l’intimé a intérêt à s’opposer au jugement déclaratoire sollicité [...].

[Renvois omis.]

[481]  Ainsi, le prononcé d’un jugement déclaratoire requiert 1) la compétence de la Cour 2) un véritable litige, 3) un intérêt véritable des demandeurs à ce qu’il soit résolu, et 4) intérêt des défendeurs à s’opposer au jugement déclaratoire sollicité.

[482]  La Cour fédérale a compétence concurrente sur les réclamations concernant le respect par la Couronne fédérale des obligations aux termes du traité lorsque des mesures de redressement, y compris le jugement déclaratoire, sont demandées à l’encontre de la Couronne fédérale conformément les paragraphes 2(1) et 17(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Deux sources de droit fédéral sont en jeu en l’espèce, la Loi sur les Indiens et la relation sui generis entre la Couronne et les peuples autochtones qui engage l’honneur de la Couronne (voir la décision Gottfriedson c Canada (Procureur général), 2013 CF 546, aux paragraphes 26 à 28, 362 DLR (4th) 493).

[483]  Un jugement déclaratoire disposant que les bandes historiques ont été illégalement fusionnées aurait l’utilité concrète de permettre à la Couronne, à la bande d’Ochapowace et aux demandeurs de négocier la façon de résoudre les manquements antérieurs au Traité. Il réglerait la première partie du différend en déclarant que le fusionnement des deux bandes était illégal dans des circonstances où les événements historiques font l’objet d’un contentieux depuis plus d’un siècle.

[484]  En outre, les demandeurs Watson ont véritablement intérêt à ce que le contentieux soit résolu, en tant que descendants de la bande de Chacachas et ayant été reconnus par la bande d’Ochapowace en tant que représentants de l’actuelle collectivité de Chacachas. Bien que cela ne soit peut-être pas suffisant pour établir la qualité pour présenter d’autres demandes d’indemnisation ou pour que la Cour évalue comment la bande d’Ochapowace peut être divisée, les demandeurs ont fourni la preuve d’un véritable intérêt dans le contentieux en représentant un groupe moderne de descendants de la bande de Chacachas qui permet à la Cour de prononcer un jugement déclaratoire concernant le fusionnement illégitime.

[485]  Enfin, le Canada, en tant que défendeur, a intérêt à s’opposer à la demande. En tant que codéfendeur, la bande d’Ochapowace ne s’est pas opposée à un jugement déclaratoire de ce type, même si elle pourrait être touchée si un partage de ses biens entre la bande de Chacachas et d’Ochapowace avait lieu.

2)  Délais de prescription n’excluant pas le jugement déclaratoire

[486]  L’exception énoncée dans Manitoba Metis s’applique en l’espèce pour accorder un jugement déclaratoire d’une portée restreinte concernant l’honneur de la Couronne dans la mise en œuvre des traités dans l’intérêt de la réconciliation entre la Couronne et les descendants des bandes historiques.

[487]  Dans Manitoba Metis, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un jugement déclaratoire pouvait être prononcé concernant la constitutionnalité de la conduite de la Couronne lorsque 1) les demandeurs sollicitaient une déclaration fondée sur une obligation énoncée dans une loi constitutionnelle, 2) l’obligation constitutionnelle n’avait pas été mise en œuvre conformément au principe de l’honneur de la Couronne, un principe constitutionnel, 3) les demandeurs ne sollicitaient pas de réparation personnelle et ne réclamaient pas de dommages‑intérêts, 4) le jugement déclaratoire était sollicité à des fins de réconciliation entre la Couronne et les peuples autochtones, et 5) aucun autre recours adéquat n’était disponible.

[488]  Le Canada fait valoir que tous ces éléments sont essentiels à l’application de l’exception énoncée dans Manitoba Metis et qu’ils manquent en l’espèce.

[489]  J’admets que la présente affaire n’est pas identique à la situation dans Manitoba Metis. Les demandeurs en l’espèce sollicitent aussi une réparation pécuniaire, y compris des dommages-intérêts pour les manquements au principe de l’honneur de la Couronne et aux obligations fiduciaires, le non-respect des droits issus de traités et pour la perte des terres de réserve. Bien que ce ne soit pas la réparation que les demandeurs sollicitent dans la phase initiale du procès, la Cour ne peut faire fi de ce que les demandeurs ont écrit dans leurs déclarations et demanderaient si la présente instruction passait à la prochaine phase du procès. De plus, en l’espèce, les obligations pertinentes de la Couronne découlaient du Traité no 4, plutôt que d’une loi constitutionnelle.

[490]  Cependant, je n’admets pas que Manitoba Metis doive être interprétée de manière aussi restrictive que le dit le Canada. Je n’estime pas qu’une exception est irrecevable simplement parce que les demandeurs sollicitent également des mesures de réparation compensatoires ou parce que les obligations de la Couronne découlent d’un traité plutôt que d’une loi constitutionnelle.

[491]  Dans Manitoba Metis, la Cour suprême a conclu que les demandes de réparations personnelles découlant d’une conduite inconstitutionnelle de la Couronne étaient irrecevables selon les lois sur la prescription, mais que les demandes de déclarations sur la constitutionnalité de la conduite de la Couronne ne seraient pas prescrites :

[134]  Notre Cour a statué que, bien que les délais de prescription s’appliquent aux demandes de réparations personnelles découlant de l’annulation d’une loi inconstitutionnelle, les tribunaux conservent le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité de la loi sous‑jacente [...].

[...]

[137]  En outre, les Métis ne sollicitent pas de réparation personnelle, ne réclament pas de dommages‑intérêts et ne font aucune revendication territoriale. Ils ne demandent pas non plus le rétablissement du titre dont leurs descendants auraient pu hériter si la Couronne avait agi honorablement. Ils demandent plutôt que soit rendu un jugement déclarant qu’une obligation constitutionnelle précise n’a pas été remplie comme l’exigeait l’honneur de la Couronne. Ils sollicitent ce jugement déclaratoire pour faciliter leurs négociations extrajudiciaires avec la Couronne en vue de réaliser l’objectif constitutionnel global de réconciliation inscrit dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[...]

[143]  De plus, la réparation pouvant être accordée suivant cette analyse est limitée. Un jugement déclaratoire est une mesure de redressement d’une portée restreinte. Il peut être obtenu sans cause d’action, et les tribunaux rendent des jugements déclaratoires, peu importe si une mesure de redressement consécutive peut être accordée. Comme l’a fait valoir l’Assemblée des Premières Nations, intervenante, il n’est pas obtenu contre le défendeur au même sens qu’une mesure de redressement coercitive. Dans certains cas, le jugement déclaratoire peut être le seul moyen de donner effet au principe de l’honneur de la Couronne. Dans la présente action, si les Métis avaient sollicité des réparations personnelles, le raisonnement adopté en l’espèce ne pourrait s’appliquer. Toutefois, comme l’a reconnu le Canada, la mesure de redressement sollicitée en l’espèce n’est manifestement pas de nature personnelle. Le principe de la réconciliation commande que ce type de déclaration puisse être accordé.

[Renvois omis.]

[492]  En interprétant cette partie de Manitoba Metis, dans Samson First Nation (Première nation Samson), au paragraphe 126, le juge Russell a conclu que la Cour suprême du Canada a « bien précisé » que l’exception ne profiterait pas à un groupe autochtone qui demande une réparation personnelle. Dans Samson First Nation, les demandeurs ont soutenu que l’exception énoncée dans Manitoba Metis leur permettrait également de présenter une demande de réparation pour abus de confiance ou manquement à l’obligation fiduciaire qui était autrement frappée de prescription parce qu’elle était accompagnée d’une demande de jugement déclaratoire. Dans ce contexte, le juge Russell a conclu qu’une déclaration constitutionnelle ne pouvait pas donner lieu à des réparations personnelles.

[493]  La Cour suprême du Canada a certes précisé que l’exception dans Manitoba Metis ne pouvait pas donner lieu à une réparation qui serait par ailleurs prescrite. Le jugement déclaratoire ne peut être purement accessoire ou utilisé pour contourner les délais de prescription afin de demander une réparation. Cependant, je n’interprète pas Manitoba Metis ou Samson First Nation comme prétendant que le jugement déclaratoire ne peut être rendu simplement parce que les parties présentent également une demande de réparation irrecevable en raison des délais de prescription, même si le jugement déclaratoire peut être prononcé séparément et indépendamment d’une demande de réparation.

[494]  Je les interprète comme signifiant que toute déclaration constitutionnelle au titre de l’exception énoncée dans Manitoba Metis doit pouvoir avoir un effet concret sans exiger une réparation qui serait par ailleurs prescrite. Une telle interprétation réaffirme essentiellement le principe général selon lequel les jugements déclaratoires doivent être rédigés de manière restrictive pour empêcher les plaideurs d’utiliser les jugements déclaratoires afin d’éviter les délais de prescription pour une mesure de réparation consécutive (M. Sarna sur les jugements déclaratoires, au paragraphe 8).

[495]  La Cour doit donc se montrer prudente lorsqu’elle prononce un jugement déclaratoire lorsque la réparation personnelle demandée est prescrite. Cependant, en l’espèce, l’effet d’un jugement déclarant que le fusionnement est illégitime n’est pas simplement accessoire à la demande de dommages-intérêts des demandeurs. Au contraire, le but du jugement déclaratoire est de fournir un fondement aux demandeurs, à la bande d’Ochapowace et au ministre pour négocier ou déterminer comment Chacachas peut se séparer, étant entendu que le groupe de Chacachas a le droit d’exister indépendamment de la bande d’Ochapowace et a été historiquement lésé quand ils ont été fusionnés. Un jugement déclarant que les bandes ont été indûment fusionnées ne signifie pas automatiquement que des dommages-intérêts ou une autre forme de réparation sont disponibles.

[496]  Les formes de réparation qui ne peuvent ou ne doivent pas être accordées peuvent être dissociées de celles que la Cour peut et doit accorder.

[497]  De plus, je n’estime pas que l’exception énoncée dans Manitoba Metis ne peut pas être appliquée à un jugement déclaratoire concernant l’honneur de la Couronne quant au respect et à la mise en œuvre des promesses faites par traité. La Cour d’appel fédérale dans Peepeekisis CAF, au paragraphe 62, indique dans une remarque incidente que ce type de jugement déclaratoire « demeure une question ouverte » concernant un manquement au traité lorsqu’il n’existe aucun autre recours adéquat. Dans Manitoba Metis, la question de savoir si les jugements déclaratoires fondés sur l’honneur de la Couronne se limitent uniquement à la réalisation des promesses faites aux peuples autochtones dans les lois constitutionnelles ou si des jugements déclaratoires peuvent également être prononcés lorsque la constitutionnalité de la conduite de la Couronne est fondée sur la mise en œuvre et le respect des promesses faites par traité n’est absolument pas claire.

[498]  L’exception en matière de jugement déclaratoire dans Manitoba Metis découle de la capacité des tribunaux à statuer sur la constitutionnalité des lois, même lorsque des réparations personnelles peuvent être prescrites. « Par extension, les lois sur la prescription des actions ne peuvent empêcher les tribunaux de rendre un jugement déclaratoire sur la constitutionnalité de la conduite de la Couronne » (Manitoba Metis, au paragraphe 135). La conduite contestée de la Couronne dans Manitoba Metis était son incapacité à mettre en œuvre une disposition d’une loi constitutionnelle conformément au principe de l’honneur de la Couronne, un principe constitutionnel. La Cour a souligné que le jugement déclaratoire demandé était « question d’importance nationale et constitutionnelle » avec « l’objectif de réconciliation et d’harmonie constitutionnelle » reconnu à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui sous-tend la Loi sur le Manitoba.

[499]  Pour conclure que l’exception dans Manitoba Metis exception ne pouvait s’appliquer qu’à la conduite de la Couronne dans l’application des lois constitutionnelles, mais pas les traités, il faudrait interpréter les motifs de la Cour suprême comme mettant en cause la constitutionnalité de la conduite de la Couronne que si un principe constitutionnel est engagé par une loi constitutionnelle. La Cour suprême a plutôt conclu que l’honneur de la Couronne était engagé par l’article 31 de la Loi sur le Manitoba parce qu’il était analogue à une promesse faite par traité :

[71]  Il est possible d’établir une analogie entre une telle obligation constitutionnelle et une promesse faite par traité. Une « intention de créer des obligations » et un « certain élément de solennité » devraient s’attacher autant à l’une qu’à l’autre. Qui plus est, ces deux sortes de promesses sont faites essentiellement dans le but de concilier les intérêts autochtones et la souveraineté de la Couronne. On peut même conclure à l’existence d’obligations constitutionnelles à l’issue d’une consultation s’apparentant à la négociation d’un traité.

[...]

[78]  Deuxièmement, l’honneur de la Couronne commande qu’elle agisse avec diligence dans l’exécution de ses obligations solennelles et la conciliation de ses intérêts avec ceux des Autochtones.

[79]  Cette obligation a surgi principalement dans le contexte des traités, où l’honneur de la Couronne garantit l’exécution diligente de ses promesses. Dans son expression la plus fondamentale, le droit tient pour acquis que la Couronne entend toujours respecter ses promesses solennelles, notamment ses obligations constitutionnelles : [...] Cela vaut, que l’obligation découle d’un traité, comme dans les précédents mentionnés plus tôt, ou de la Constitution, comme en l’espèce.

[80]  Pour s’acquitter de ce devoir, les fonctionnaires de la Couronne doivent veiller à exécuter l’obligation de façon à réaliser l’objet de la promesse. Il ne faut pas laisser au groupe autochtone « une promesse — issue de traité — vide de contenu ».

[Renvois omis.]

[500]  Par conséquent, le jugement déclaratoire dans Manitoba Metis a été prononcé parce que les obligations constitutionnelles énoncées dans la Loi sur le Manitoba étaient semblables aux promesses solennelles faites par traité qui engagent l’honneur de la Couronne. L’honneur de la Couronne, un principe constitutionnel, nécessite que les promesses solennelles faites par traité et les obligations constitutionnelles prévues par la loi soient mises en œuvre à dessein et avec diligence. Les droits issus de traités sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il est difficile de voir comment la conduite de la Couronne serait qualifiée d’inconstitutionnelle si elle ne respectait pas les promesses faites en vertu d’une loi constitutionnelle semblable à un traité, mais pas si elle ne mettait pas en application droits issus de traités protégés par la Constitution conformément au principe de l’honneur de la Couronne.

[501]  J’admets que tout jugement déclaratoire prononcé dans cette affaire diffère de Manitoba Metis sur le plan de la portée, mais cela ne devrait pas empêcher le jugement déclaratoire sollicité. Dans Manitoba Metis, au paragraphe 140, la Cour suprême a conclu que le non-respect d’une promesse faite à tous les Métis du Manitoba a créé un « clivage dans notre tissu national ». Un jugement déclaratoire ne toucherait que les personnes qui se définissent comme faisant partie de la bande de Chacachas, de Kakisiwew et d’Ochapowace. Il n’a donc pas la même portée nationale.

[502]  Cependant, la réconciliation sera approfondie. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Première nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, au paragraphe 1, [2005] 3 RCS 388, les griefs occasionnels de moindre importance ont causé « autant de tort au processus de réconciliation que certaines des controverses les plus importantes et les plus vives ». Chacun des traités négociés avec les peuples autochtones dans l’ensemble du pays faisait partie du processus de réconciliation, et chaque promesse faite et enchâssée à l’article 35 doit avoir un sens.

[503]  Cela ne signifie pas que chaque revendication de manquement à un traité permet une déclaration constitutionnelle concernant l’honneur de la Couronne lorsque la demande de réparation est irrecevable selon les lois sur la prescription. De nombreuses revendications relatives aux traités et aux obligations fiduciaires sont directement liées à la réparation ou aux terres et tout jugement déclaratoire prononcé à l’égard de ces revendications serait accessoire aux mesures de réparation compensatoires et ne serait pas approprié.

[504]  Il s’agit d’une situation extraordinaire où un signataire du traité a été empêché d’exister en tant que bande distincte et n’a pas pu être rétabli pendant des décennies en raison d’actes illégaux de la Couronne il y a plus de 135 ans. La question du fusionnement a été mise de côté par les parties lors des négociations du règlement sur les DFIT et le dossier historique a fait l’objet d’un certain nombre d’interprétations contradictoires. En l’absence d’un jugement déclaratoire de la Cour sur cette question, il semble que cette communauté restera divisée sans aucune conclusion juridique sur laquelle s’appuyer pour aller de l’avant. C’est le bon moment pour mettre fin au débat et permettre aux communautés d’aller de l’avant.

3)  Existence d’autres moyens adéquats

[505]  Comme un jugement déclaratoire constitue une réparation discrétionnaire, le tribunal devrait habituellement refuser de rendre un jugement déclaratoire lorsque « la loi prévoit un autre moyen approprié de régler le litige ou de protéger les droits en question » : Ewert, au paragraphe 83. La Cour d’appel fédérale a refusé de prononcer des jugements déclaratoires concernant la constitutionnalité de la conduite de la Couronne dans les affaires autochtones en raison de l’existence d’autres mécanismes (Peepeekisis CAF, au paragraphe 59). Il n’est pas nécessaire que la solution de rechange soit identique à la réparation disponible devant la Cour, elle doit simplement permettre de trancher le grief (Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, au paragraphe 42, [2015] 2 RCS 713 [Strickland]).

[506]  Selon la Cour suprême du Canada dans Strickland, au paragraphe 42, lorsqu’elle évalue le caractère adéquat d’un autre recours, la Cour peut considérer :

[...] la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur alléguée, la nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation, l’existence d’un recours adéquat et efficace devant le tribunal déjà saisi du litige, la célérité, l’expertise relative de l’autre décideur, l’utilisation économique des ressources judiciaires et les coûts.

[Renvois omis.]

[507]  Même si la Cour évaluait le caractère adéquat des solutions de rechange dans le contexte du contrôle judiciaire, elle disposait du pouvoir discrétionnaire relatif au prononcé des déclarations de droit, qu’elles soient sollicitées au moyen d’une demande de contrôle judiciaire ou d’une action (Strickland, au paragraphe 37).

[508]  Afin d’établir l’existence d’un recours adéquat en l’espèce, l’autre recours devrait être permettre de reconnaître le fusionnement illégal des bandes et leurs droits issus de traités de continuer à exister, et permettre aux bandes de se diviser en conséquence. De plus, la capacité d’entendre et d’évaluer les nombreux de témoignages historiques nécessaires pour conclure que le fusionnement était illégitime serait nécessaire afin de permettre la division des bandes sur le fondement factuel pertinent.

[509]  Le Canada a proposé deux autres recours : 1) les réparations au moyen du processus établi par la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP] et 2) la division des bandes en application de l’article 17 de la Loi sur les Indiens, conformément à la Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes.

[510]  Le Canada soutient que le processus du Tribunal des revendications particulières permettrait à la bande d’Ochapowace de demander des dommages-intérêts pour le fusionnement et la réinstallation de la réserve.

[511]  Les demandeurs soutiennent qu’ils ne pouvaient pas présenter de revendication auprès du Tribunal des revendications particulières parce que ni la bande de Kakisiwew ni celle de Chacachas n’est reconnue comme des « revendicateurs » aux termes de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières parce qu’elles ne sont pas reconnues comme des bandes selon la Loi sur les Indiens. De plus, la bande d’Ochapowace affirme que le Tribunal des revendications particulières se limite à instruire uniquement les demandes de réparation monétaire et ne peut donc pas prononcer de jugements déclaratoires.

[512]  À mon avis, le Tribunal des revendications particulières n’offre pas de mécanisme de rechange adéquat pour résoudre le différend au cours de la phase initiale du procès, car le Tribunal n’a pas compétence pour créer ou reconnaître des bandes comme les bandes historiques en l’espèce. Surtout, le Tribunal ne peut accorder qu’une réparation monétaire en application du paragraphe 15(4) et de l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières (LTRP), ce qui ne réglerait pas adéquatement le présent différend et qui est principalement axé sur le fusionnement illégitime des bandes historiques. Contrairement à Peepeekisis CAF, où la bande a été en mesure de présenter une revendication particulière, les demandeurs, en tant que représentants des bandes historiques, n’auraient pas qualité devant le Tribunal pour présenter une revendication, car ils ne sont pas une Première nation « revendicatrice » au sens de l’article 2 de la LTRP.

[513]  De plus, la bande d’Ochapowace ne pouvait pas présenter de demande particulière au nom des bandes de Chacachas et de Kakisiwew, car il lui est interdit de présenter d’autres demandes relatives aux droits issus de traités en son nom ou au nom de ses successeurs aux termes de l’article 15.01 de l’accord sur les DFIT.

[514]  Le Canada affirme également que l’article 17 de la Loi sur les Indiens et la Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes offrent un autre recours légal adéquat, car cela permettrait aux membres de la bande d’Ochapowace de demander au ministre de reconnaître les bandes de Chacachas ou de Kakisiwew comme des bandes. Tous les droits aux termes du Traité no 4 détenus par la bande d’Ochapowace seraient transmis aux bandes créées après la division. Un refus du ministre en application de l’article 17 pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Le Canada prétend que la seule raison pour laquelle cela n’a pas été fait par les demandeurs est qu’ils demandent une réparation importante, qui ne serait pas envisageable aux termes de l’article 17.

[515]  Les demandeurs et Ochapowace soutiennent que l’article 17 ne prévoit pas de mécanisme législatif adéquat parce qu’il ne permet pas de reconnaître l’existence continue des bandes historiques en tant que Premières nations jouissant de droits issus de traités. De plus, l’article 17 constitue uniquement un recours discrétionnaire. Tout réexamen de la décision du ministre serait évalué selon la norme de la décision raisonnable, ce qui empêche une contestation directe et claire. Enfin, la bande d’Ochapowace soutient que le ministre n’est pas en mesure d’agir en tant qu’arbitre impartial, comme il a été conclu dans la décision Brass c Bande de la Première Nation de Key, 2007 CF 581, au paragraphe 24, 158 ACWS (3d) 171.

[516]  J’estime que l’article 17 n’offre pas une solution de rechange adéquate qui devrait empêcher la Cour de prononcer un jugement déclaratoire concernant le fusionnement illégal des bandes historiques.

[517]  Contrairement aux arguments des demandeurs et de la bande d’Ochapowace, la division des bandes en application de l’article 17 n’empêcherait pas les bandes de Chacachas et de Kakisiwew, en tant que bandes aux termes de la Loi sur les Indiens, de détenir des droits issus de traités. Étant donné que la Couronne reconnaît actuellement la bande d’Ochapowace comme détenant des droits issus de traités, la division de la bande se traduirait simplement par l’existence de deux détenteurs de droits collectifs plutôt qu’un. Si les demandeurs souhaitent avoir les droits accordés à une bande aux termes de la Loi sur les Indiens, ils devraient alors être reconnus comme une bande par le ministre, en application de l’article 17.

[518]  Cependant, dans le contexte de la présente action, je ne pense pas que l’article 17 à lui seul offre une solution de rechange adéquate qui devrait empêcher le prononcé d’un jugement déclaratoire concernant le fusionnement illégitime des bandes historiques. Le pouvoir discrétionnaire du ministre prévu à l’article 17, ainsi que le manque de renseignements sur la façon dont les bandes définiraient l’appartenance, empêche la Cour de prononcer un jugement déclaratoire concernant le statut juridique des bandes de Chacachas ou de Kakisiwew. Cependant, cela n’empêche pas la Cour de prononcer un jugement déclaratoire concernant l’omission de la Couronne d’agir de manière honorable dans la mise en œuvre du Traité no 4 ayant entraîné le fusionnement illégitime des bandes historiques. Les bandes peuvent alors choisir d’utiliser ce jugement déclaratoire pour poursuivre la deuxième phase du contentieux ou pour justifier davantage la division des bandes aux termes de l’article 17 de la Loi sur les Indiens.

[519]  Je conclus que le prononcé d’un jugement déclaratoire concernant le fusionnement illégal des bandes historiques pour créer la bande indienne d’Ochapowace est le seul moyen de mettre en application le principe de l’honneur de la Couronne. Le jugement déclaratoire qui sera prononcé concerne la constitutionnalité de la conduite de la Couronne envers les bandes de Chacachas et de Kakisiwew aux termes du Traité no 4 et favorisera l’objectif de réconciliation entre les peuples autochtones et peuples non autochtones. Il permettra aussi aux parties de passer à la détermination concrète de ce que les membres des bandes souhaitent faire.

[520]  Ce jugement déclaratoire est analogue au jugement déclaratoire prononcé dans Manitoba Metis. Il s’agit d’un grief similaire concernant la conduite de la Couronne conformément à un principe constitutionnel datant de près de 135 ans. Il ne s’agit pas simplement de savoir si la bande d’Ochapowace peut maintenant se diviser en deux bandes, mais il s’agit de reconnaître qu’il y avait deux signataires de traités dont les droits en vertu du Traité no 4 n’ont pas été respectés de manière honorable par la Couronne. La Cour a entendu de longs témoignages sur l’histoire de la réinstallation, du regroupement et du fusionnement des bandes historiques, qui n’auraient pas été entendus dans un processus de division de bande aux termes de l’article 17.

[521]  Enfin, il est précisé dans la Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes que le ministre doit approuver la constitution d’une nouvelle bande pour respecter une obligation légale non acquittée, par exemple une ordonnance judiciaire ou des engagements pris aux termes d’un traité ou d’un règlement de revendications. La Politique sur la constitution de nouvelles bandes et le fusionnement de bandes permet donc d’appuyer une conclusion de la Cour concernant les obligations de la Couronne de reconnaître les bandes historiques. Bien que le ministre ait toujours le pouvoir discrétionnaire de diviser les bandes, la déclaration de notre Cour, après avoir entendu et lu de longs témoignages historiques, fera avancer l’affaire d’une manière qui ne se produirait pas si le processus prévu à l’article 17 était suivi.

G.  Résumé

[522]  Par conséquent, voici le résumé de mes conclusions concernant les questions énoncées dans l’ordonnance de la phase initiale. [traduction]

  1. Existait-il une bande indienne dirigée par le chef Chacachas en 1874?

Oui, le chef Chacachas a apposé sa marque au Traité no 4 au nom de la bande de Chacachas.

  1. Existait-il une bande indienne dirigée par le chef Kakisiwew en 1874?

Oui, le chef Kakisiwew a apposé sa marque au Traité no 4 au nom de la bande de Kakisiwew.

  1. Les bandes du chef Chacachas et du chef Kakisiwew ont-elles été fusionnées, regroupées ou jointes d’une autre manière? Le cas échéant, était-ce fait d’une manière valable?

Les deux bandes ont été fusionnées en une bande aux termes de l’Acte relatif aux Sauvages, en 1884, mais sans le consentement des bandes. En fusionnant les bandes sans consultation ni accord des bandes historiques, la Couronne a manqué à ses obligations fiduciaires envers les bandes historiques et a omis de mettre en œuvre et de remplir ses obligations issues de traités conformément au principe de l’honneur de la Couronne.

  1. a) Sinon, les bandes de Chacachas et de Kakisiwew ont-elles le droit d’être reconnues comme des bandes distinctes liées par un traité?

La bande de Chacachas est demeurée une collectivité distincte détentrice de droits, même si ce n’est pas une bande aux termes de la Loi sur les Indiens. De ce point de vue, la bande de Chacachas demeure une [traduction] « bande distincte liée par un traité » et elle a le droit de revendiquer les droits issus de traités aux termes du Traité n° 4, en tant que collectivité distincte détentrice de droits.

La bande de Kakisiwew n’est pas demeurée une collectivité distincte détentrice de droits. La bande d’Ochapowace est la successeur légale de la bande de Kakisiwew et est la collectivité qui exerce les droits issus de traités de la bande de Kakisiwew.

b) Le cas échéant, les bandes Chacachas et Kakisiwew étaient-elles précluses [sic] ou empêchées d’une autre façon d’affirmer qu’elles sont sur une liste de bandes liées par un traité?

Les bandes de Chacachas et de Kakisiwew sont irrecevables à demander au Canada des droits fonciers issus de traités supplémentaires en raison des accords de règlement conclus entre la bande d’Ochapowace et le Canada. Elles ne sont pas par ailleurs empêchées de demander une déclaration concernant le fusionnement indu des bandes, et ne sont pas empêchées de faire valoir leur droit de se séparer de la bande d’Ochapowace.

Les délais de prescription empêchent toute réparation pouvant découler de la perte des réserves et du fusionnement illégal des bandes. Toutefois, les délais de prescription et les délais préjudiciables ne peuvent empêcher les tribunaux de rendre un jugement déclaratoire sur la constitutionnalité de la conduite de la Couronne.

  1. Si les bandes de Chacachas et de Kakisiwew existent en tant que bandes distinctes liées par un traité, quel est leur statut juridique?

Ni la bande de Chacachas ni la bande de Kakisiwew ne sont des bandes au sens de Loi sur les Indiens. La bande d’Ochapowace est la bande au sens de la Loi sur les Indiens. La Cour ne peut déclarer l’existence de bandes aux termes de la Loi sur les Indiens, car cela relève exclusivement du pouvoir discrétionnaire du ministre selon la Loi sur les Indiens.

  1. Les demandeurs nommés aux dossiers T-2153-00 et T-2155-00 sont-ils membres de la bande de Chacachas ou de la bande de Kakisiwew ou sont-ils membres de la bande indienne d’Ochapowace? Les demandeurs nommés ci-dessus représentent-ils de façon valable les personnes qui sont membres soit de la bande de Chacachas soit de la bande de Kakisiwew?

Les demandeurs nommés sont membres de la bande d’Ochapowace aux termes de la Loi sur les Indiens. Les bandes de Kakisiwew et de Chacachas n’existent pas actuellement en tant que bandes aux termes de la Loi sur les Indiens, et les demandeurs n’ont pas qualité pour faire valoir les droits des bandes de Kakisiwew et de Chacachas qui découlent de la Loi sur les Indiens.

Cependant, les demandeurs Watson ont qualité de représentants des demandeurs pour faire valoir les droits collectifs issus de traités de la bande de Chacachas, en tant que groupe qui a été illégalement fusionné avec la bande d’Ochapowace, contrairement au principe de l’honneur de la Couronne. Les demandeurs Bear n’ont pas démontré qu’ils avaient qualité pour faire valoir les droits collectifs issus de traités de la bande de Kakisiwew séparément de la bande d’Ochapowace.

  1. La bande indienne d’Ochapowace no 71 reconnue par la Couronne continue-t-elle d’exister en tant que bande liée par un traité compte non tenu de la décision sur les réponses aux questions 1 à 6 ci‑dessus?

La bande d’Ochapowace continue d’exister en tant que seule bande au sens de Loi sur les Indiens. Les membres de la bande d’Ochapowace exercent collectivement les droits que leur confère le Traité no 4 en tant que successeurs de la bande de Kakisiwew et en tant que membres transférés dans la bande d’Ochapowace après le fusionnement.

[523]  Ces conclusions ne doivent pas être qualifiées de jugements déclaratoires. Ce sont plutôt des conclusions comme l’exige l’ordonnance de la phase initiale.

[524]  Les demandeurs Watson ont également droit au jugement déclarant :

Que le fusionnement des bandes de Chacachas et de Kakisiwew était illégal en raison de l’omission de la Couronne fédérale de respecter les promesses du Traité no 4, conformément au principe de l’honneur de la Couronne.

XI.  Dépens

[525]  Seuls les demandeurs Watson ont demandé des dépens. Toutefois, la Cour est d’avis que les dépens peuvent être adjugés même lorsqu’ils ne sont pas précisément demandés conformément au principe selon lequel « les dépens suivront l’issue de la cause ».

[526]  Il est admis qu’il faut parfois un certain temps pour que les parties assimilent la décision et étudient son incidence. Par conséquent, les parties doivent communiquer avec la Cour dans les 90 jours suivant le prononcé du présent jugement et des motifs afin d’établir un processus visant à fixer les dépens.

XII.  Deuxième phase

[527]  Les parties doivent communiquer avec la Cour dans le même délai de 90 jours pour définir la prochaine phase de ce procès.

[528]  La Cour demeure saisie de la présente affaire qui reste soumise au processus de gestion des instances.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 28 janvier 2020


Annexe 1

Acte relatif aux Sauvages, 1880, SC 1880, c 28

2. Les expressions qui suivent, employées dans le présent acte, seront censées avoir la signification qui leur est ci-dessous attribuée, à moins qu’elle ne soit inconciliable avec le sujet ou incompatible avec le contexte : --

2. The following terms contained in this Act shall be held to have the meaning hereinafter assigned to them, unless such meaning be repugnant to the subject or inconsistent with the context:

1. L’expression “ bande “ signifie une tribu, une peuplade ou un corps de Sauvages qui possèdent une réserve ou des terres en commun, ou ont un intérêt commun dans une réserve ou terres dont le titre légal est attribuée à la Couronne, ou qui participent également à la distribution d’annuités ou d’intérêts dont le gouvernement du Canada est responsable ; et l’expression “  bande “ signifie la bande à laquelle le contexte se rapporte ; et l’expression “ la bande “ lorsque quelque décision est prise par elle, signifie la bande en conseil.

1.The term “band” means any tribe, band or body of Indians who own, or are interested in a reserve or in Indian lands in common, of which the legal title is vested in the Crown, or who share alike in the distribution of any annuities or interest moneys for which the Government of Canada is responsible; the term “the band” means the band to which the context relates; and the term “band” when action is being taken by the band, as such, mean the band in council.

[...]

...

6. L’expression “ réserve “ signifie toute étendue ou toutes étendues de terres mises à part, par traité ou autrement, pour l’usage ou le profit d’une bande particulière de Sauvages, ou concédées à cette bande et dont le titre légal appartient à la Couronne, mais dont celle-ci n’a pas reçu abandon ; elle comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux ou autres choses de valeur qui se trouvent à la surface or à l’intérieur du sol.

6. The term “reserve” means any tract or traces of land set apart by treaty or otherwise for the use or benefit of or granted to a particular band of Indians, of which legal title is in the Crown, but which is unsurrendered, and includes all the trees, wood, timber, soil, stone, minerals, metals, or other valuables thereon or therein.

[...]

...

37. Nulle cession ou abandon d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou de tout Sauvage individuel ne sera valide ou obligatoire s’il n’est fait aux conditions suivantes :--

37. No release or surrender of a reserve, or portion of a reserve, held for the use of the Indians of any band or of any individual Indian, shall be valid or binding, except on the following conditions: --

1. La cession ou abandon sers ratifié par la majorité des hommes de la bande qui auront atteint l’âge de vingt et un ans révolus, à une assemblée ou conseil convoqué à cette fin conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du Surintendant-Général, ou d’un officier régulièrement autorisé par le Gouverneur en conseil or le Surintendant- général à y assister ; mais nul Sauvage ne pourra voter ou assister à ce conseil s’il ne réside habituellement sur la réserve en question ou près de cette réserve, et s’il n’y a un intérêt :

1.The release or surrender shall be assented to by a majority of the male members of the band of the full age of twenty-one years, at a meeting or council thereof summoned for that purpose according to their rules, and held in the presence of the Superintendent-General, or of an officer duly authorized to attend each council by the Governor in Council or by the Superintendent-General; Provided, that no Indian shall be entitled to vote or be present at such council, unless he habitually resides on or near and is interested in the reserve in question;

2. Le fait que la cession ou abandon a été consenti par la bande à ce conseil or assemblée devra être attesté sous serment devant un juge d’une cour supérieure, cour de comté ou de district, ou devant un magistrat stipendiaire, par le Surintendant-Général or par l’officier autorisé par lui à assister à ce conseil or assemblée, et par l’un des chefs or principaux ayants-droit de vote qui y aura assisté ; et après que le dit fait aura été ainsi certifié, le consentement sera soumis an Gouverneur en conseil, pour qu’il l’accepte ou le refuse.

2.The fact that such release or surrender has been assented to by the band at such council or meeting shall be certified on oath before some judge of a superior, county, or district court, or stipendiary magistrate, by the Superintendent-General or by the officer authorized by him to attend such council or meeting, and by some one of the chiefs or principal men present thereat and entitled to vote, and when certified as aforesaid shall be submitted to the Governor in Council for acceptance or approval;

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

T-2153-00 ET T-2155-00

 

DOSSIER :

T-2153-00

 

INTITULÉ :

PETER WATSON, SHARON BEAR, CHARLIE BEAR, WINSTON BEAR et SHELDON WATSON, chefs de famille des descendants directs de la bande indienne de Chacachas, EN LEUR NOM PERSONNEL ET AU NOM DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE DE CHACACHAS c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, ET LA PREMIÈRE NATION OCHAPOWACE

 

ET DOSSIER :

T-2155-00

 

INTITULÉ :

WESLEY BEAR, FREIDA SPARVIER, JANET HENRY, FREDA ALLARY, ROBERT GEORGE, AUDREY ISAAC, SHIRLEY FLAMONT, KELLY MANHAS, MAVIS BEAR et MICHAEL KENNY, en leur nom personnel et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Kakisiwew c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD, ET LA BANDE INDIENNE No 71

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

RÉSERVE D’OCHAPOWACE ET Regina, Saskatchewan

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 13 au 16, du 19 au 22, et du 26 au 29 novembre 2018, le 3, le 5, du 10 au 13 et le 17 décembre 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

le 28 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Tom Waller

Kelsey Kreklewich

 

Pour les demandeurs

PETER WATSON ET AL.

Norman Boudreau

Earl Stevenson

 

POUR LES DEMANDEURS

WESLEY BEAR ET AL.

Karen Jones

Jenilee Guebert

Lisa Cholosky

Cary Clark

 

Pour les défendeurs,

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA

 

Mervin Phillips

Leane Phillips

Nathan Phillips

 

POUR LES DÉFENDERESSES

LA PREMIÈRE NATION D’OCHAPOWACE

LA BANDE INDIENNE D’OCHAPOWACE NO 71

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Olive Waller Zinkhan & Waller LLP

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

Pour les demandeurs

PETER WATSON ET AL.

Boudreau Law

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

WESLEY BEAR ET AL.

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour les défendeurs,

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA

 

Phillips & Co.

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

LA PREMIÈRE NATION D’OCHAPOWACE

LA BANDE INDIENNE D’OCHAPOWACE NO 71

 



[1] Les noms de ces bandes sont occasionnellement épelées différemment ou de manière inexacte dans certaines parties des documents historiques cités. Les passages sont reproduits textuellement.

[2] Comme ce contentieux dure depuis plus d’un siècle, le nom du ministère fédéral chargé des relations avec les peuples autochtones a beaucoup changé. Le terme « le Ministère » est employé aux fins d’uniformité.

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