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Date : 20200128


Dossier : DES-5-19

Référence : 2020 CF 137

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2020

En présence de monsieur le juge James W. O’Reilly

ENTRE :

IAN CARTER, AMICUS CURIAE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  En 2018, Monsieur Awso Peshdary a cherché à contester un mandat délivré par la Cour en 2012 et autorisant le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service) à utiliser ses pouvoirs de surveillance afin d’exercer une surveillance sur lui. Le Service avait remis à la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) certains renseignements qu’il avait recueillis sur M. Peshadary. La GRC avait ensuite utilisé ces renseignements dans le but d’obtenir d’autres mandats en application du Code criminel pour mener une enquête sur M. Peshdary relativement à des infractions liées au terrorisme. L’enquête de la GRC a donné lieu à deux accusations criminelles contre M. Peshdary, accusations auxquelles il devra répondre devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

[2]  J’ai rejeté la requête présentée par M. Peshdary afin d’obtenir la divulgation de documents supplémentaires en possession du Service, lesquels, selon lui, l’auraient aidé à contester la validité du mandat du Service (2018 CF 850).

[3]  J’ai également rejeté la demande de M. Peshdary visant l’annulation du mandat, même si j’estimais que la demande de mandat comportait d’importantes omissions, et qu’il y avait de nouveaux éléments de preuve qui auraient dû être portés à la connaissance du juge qui avait délivré le mandat (2018 CF 911).

[4]  Monsieur Peshdary a porté les deux décisions en appel devant la Cour d’appel fédérale.

[5]  Un nouvel élément de preuve m’a subséquemment été présenté par l’avocat du Service; cette preuve a également été communiquée à M. Ian Carter, amicus curiae, qui m’assiste dans les affaires ex parte en cours ayant trait à M. Peshdary, à savoir, les demandes fondées sur l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), c C-5.

[6]  Ce nouvel élément de preuve est venu remettre en question mes décisions précédentes, en plus de soulever un dilemme procédural. Devrait-il être fourni à la Cour d’appel fédérale afin d’être pris en compte dans l’appel de mes ordonnances initiales? Ou, devrais-je l’examiner dans le cadre d’une requête en réexamen de ma décision initiale? Dans le second cas, qui devrait déposer la requête?

[7]  Compte tenu des circonstances exceptionnelles en l’espèce, j’ai décidé que le nouvel élément de preuve devait constituer le fondement d’une requête en réexamen introduite d’office. L’avocat du Service et M. Carter sont d’accord.

II.  Le dilemme procédural

[8]  La règle habituelle veut que tout réexamen d’une décision qui fait l’objet d’un appel relève de la cour qui entend l’appel (Etienne c Canada (CAF), 1993 ACF no 1388 [Etienne]). Un certain nombre de décisions ultérieures ont confirmé cette approche générale (Pharmascience Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 333, au paragraphe 14; Grenier c La Reine, 2007 CCI 93, aux paragraphes 15 et 16; Del Zotto c Canada (Ministre du Revenu national) (CF), [2000] 2 CTC 357 [Del Zotto], aux paragraphes 7 à 10.

[9]  Toutefois, cette règle n’est pas absolue. De manière générale, naturellement, il serait inapproprié pour un tribunal de première instance de réexaminer une décision qui fait déjà l’objet d’un appel. Comme le juge Hugessen l’a souligné dans l’affaire Del Zotto, cela « ne ferait que créer de la confusion et serait susceptible de jeter le discrédit sur l’administration de la justice » (au par. 10). Néanmoins, le tribunal de première instance conserve le pouvoir discrétionnaire d’instruire une requête en réexamen, qu’il y ait appel ou non.

[10]  Comme l’explique le juge Michael Phelan dans l’affaire Bande indienne de Musqueam c Canada (Gouverneur en conseil), 2004 CF 931 [Musqueam], la Cour d’appel fédérale, dans le jugement Etienne, n’a pas affirmé que le juge de première instance n’avait pas compétence pour se prononcer sur une requête en réexamen; elle a plutôt conclu qu’il serait inapproprié pour le juge de se prononcer pendant que l’affaire est portée en appel. Selon le juge Phelan, il faut en déduire que le juge conserve le pouvoir discrétionnaire d’examiner une requête en réexamen lorsque cela sert des objectifs d‘efficacité et d’efficience. Ce qui importe, selon le juge Phelan, est que l’article 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), qui traite des requêtes en réexamen, ne soit pas utilisée « comme un moyen détourné de faire appel, ce qui permettrait aux avocats de modifier leur version du déroulement de l’instance surtout lorsque l’ordonnance est définitive » (Musqueam, au par. 24).

[11]  En l’espèce, l’allégation est qu’il existe des renseignements qui n’ont été présentés ni au juge qui a décerné le mandat initial, ni à moi concernant l’ordonnance visant à annuler celui-ci. Ces renseignements pourraient maintenant être présentés soit à la Cour d’appel fédérale, pour être examinés en même temps que les observations des parties dans le cadre de l’appel, soit à moi, dans le cadre d’une requête en réexamen.

[12]  Il semble toutefois que la Cour d’appel fédérale ait conclu que le deuxième scénario est le plus approprié dans les circonstances. En effet, après avoir été informée de la requête en réexamen, la Cour d’appel a rendu une ordonnance reportant indéfiniment une conférence de gestion de l’instance relativement à l’appel, dans l’attente de l’issue de la requête. Par conséquent, je suis dûment saisi du réexamen.

[13]  Selon l’article 399 des Règles, une partie peut demander, sur requête, que soit annulée ou modifiée une ordonnance de la Cour si des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue. Les faits nouveaux en l’espèce sont une preuve qui ne m’avait pas été présentée dans le cadre de la requête de M. Peshdary, non plus qu’au juge ayant délivré le mandat initial. Par conséquent, cette nouvelle preuve satisfait à l’exigence des faits nouveaux survenus après que l’ordonnance a été rendue.

[14]  Par contre, le problème en l’espèce est que, selon l’article 399, la requête doit être présentée par une partie. Les parties devant moi sont le Procureur général du Canada (le PGC) et M. Awso Peshdary. On ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le PGC me demande de réexaminer une ordonnance qui a été accordée en sa faveur; il aurait ainsi à contester sa propre requête. On ne peut non plus s’attendre à ce que M. Awso Peshdary dépose une requête en réexamen qui est fondée sur une preuve à laquelle il n’a pas accès. La preuve est actuellement en la possession du PGC et a été divulguée à M. Carter, mais pas à M. Peshdary.

[15]  Il a été envisagé d’accorder à M. Carter la qualité pour présenter la requête, tel que l’indique l’intitulé en l’espèce. L’avocat du PGC était d’ailleurs initialement en faveur de cette approche, mais il a changé d’avis. Nous avons en fin de compte convenu qu’une telle façon de faire amènerait M. Carter à jouer un rôle qui ne convient pas à un amicus, à savoir l’introduction de procédures devant la Cour, et non seulement l’assistance à la Cour dans le cadre de procédures introduites par d’autres personnes.

[16]  Par conséquent, il restait la possibilité que je prenne l’initiative d’introduire la requête. De manière générale, lorsque les Règles traitent de la Cour agissant sur requête, un juge ne peut introduire lui-même la requête (paragraphe 47(2); Nowoselsky c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 418, par. 7).

[17]  Par ailleurs, dans des circonstances spéciales, la Cour peut modifier une règle ou exempter une partie de son application (article 55; Canada (Revenu national) c Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, par. 36). En outre, elle a le pouvoir d’agir de sa propre initiative (Mazhero c Fox, 2014 CAF 226, par. 9).

[18]  Je souligne qu’il est peu probable qu’il y ait des décisions contradictoires de cette Cour et de la Cour d’appel fédérale en l’espèce. L’appel de mon ordonnance initiale est en suspens, jusqu’à ce que je statue sur la requête en réexamen. Une fois ma décision rendue, elle pourra aussi faire l’objet d’un appel, et la Cour d’appel fédérale disposera alors d’un dossier complet.

[19]  Par conséquent, vu les circonstances, je conclus que la requête en réexamen doit être introduite de ma propre initiative.

III.  Conclusion et dispositif

[20]  Je vais procéder à un nouvel examen de ma décision concernant la requête de M. Peshdary visant l’annulation du mandat de 2012, au motif que des faits nouveaux sont survenus après que mon ordonnance a été rendue. L’intitulé est modifié de manière à supprimer le nom de M. Carter comme demandeur. Le nouvel intitulé devrait être libellé comme suit : « DANS L’AFFAIRE CONCERNANT la requête en réexamen de l’ordonnance de la Cour dans Peshdary c PGC (2018) ».


ORDONNANCE dans le dossier DES-5-19

LA COUR ORDONNE :

  1. Je vais procéder à un nouvel examen de ma décision concernant la requête de M. Peshdary visant l’annulation du mandat de 2012, au motif que des faits nouveaux sont survenus après que mon ordonnance a été rendue.
  2. L’intitulé est modifié et libellé comme suit : « DANS L’AFFAIRE CONCERNANT la requête en réexamen de l’ordonnance de la Cour dans Peshdary c PGC (2018) ».

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de février 2020.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES-2-18

 

INTITULÉ :

IAN CARTER, AMICUS CURIAE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 NOVEMBRE 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 28 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

M. Andre Seguin

M. Marc Edmunds

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

M. Ian Carter

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

Bayne, Sellar, Ertel, Carter

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

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