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Date : 2020 01 28


Dossier : IMM-206-19

Référence : 2020 CF 151

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

YUNPENG WENG

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Yunpeng Weng, demande le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas [la décision], datée du 9 novembre 2018, rejetant sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs autonomes.

[2]  Le demandeur soutient que le processus de demande de visa a été entaché par des questions d’équité procédurale liées aux services d’interprétation offerts, à la décision de l’agente des visas d’accorder une entrevue et à la conduite de l’agente des visas pendant l’entrevue. Le défendeur soutient que les lacunes en matière d’interprétation sont en grande partie attribuables au demandeur, que celui-ci s’est vu offrir la possibilité de répondre aux préoccupations concernant sa demande et qu’il a été traité équitablement pendant l’entrevue au bureau des visas. Le défendeur soutient également qu’un affidavit à l’appui de la demande de contrôle judiciaire du demandeur ne devrait pas être pris en considération parce qu’il tient plutôt de l’argumentation.

[3]  Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire. En résumé, l’agente des visas a exprimé des préoccupations à l’égard du fait que le demandeur évitait le paiement de taxes avant même de recevoir et d’examiner des renseignements supplémentaires qu’iloffrait d’obtenir, des renseignements qui, selon l’agente des visas, seraient de toute façon frauduleux. La conduite de l’agente des visas a constitué une violation des règles de justice naturelle.

II.  Contexte

[4]  Le 6 octobre 2017, le demandeur a rempli sa demande de résidence permanente. La demande a été reçue le 11 décembre 2017 et une lettre confirmant la réception de la demande a été envoyée au demandeur le 9 avril 2018.

[5]  Le 26 juillet 2018, une lettre a été envoyée au demandeur pour lui demander des documents établissant qu’il a eu une expérience utile au cours de la période quinquennale précédant immédiatement la date de la demande, et qu’il a la capacité d’être travailleur autonome au Canada; deux des exigences prévues au paragraphe 88(1) et à l’article 100 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

[6]  Le 3 septembre 2018, le consultant en immigration retenu par le demandeur [le consultant] a présenté des documents, y compris une clé USB contenant, entre autres, des photos de la dernière exposition du demandeur, des photos de la participation du demandeur à certaines activités culturelles et une copie d’un certificat de musée d’art. Les documents comprenaient également des photos et des données biologiques du demandeur et de sa famille, des certificats de police originaux et des formulaires d’immigration mis à jour.

[7]  Le 4 septembre 2018, la Section de l’immigration d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a demandé des éléments de preuve concernant l’expérience du demandeur en tant que travailleur autonome et sa capacité d’être travailleur autonome au Canada.

[8]  Le 13 septembre 2018, une agente des visas chargée d’examiner la demande a fait part de ses préoccupations concernant la période de travail autonome du demandeur avant la date de la demande, et la capacité du demandeur à trouver des possibilités d’emploi au Canada.

[9]  Dans une lettre datée du 10 octobre 2018, le consulat général du Canada à Hong Kong a convoqué le demandeur à une entrevue. La lettre précisait que l’entrevue [traduction« serait menée en anglais ou en français ». La lettre indiquait également ce qui suit (en caractères gras) : [traduction« Si vous avez besoin d’un interprète pour un autre dialecte ou une autre langue, y compris le mandarin et le cantonais, il vous incombe de faire le nécessaire pour qu’un interprète compétent, professionnel et impartial soit présent à l’entrevue ». La lettre proposait également une liste de trois services d’interprétation dans la région de Hong Kong.

[10]  Le 8 novembre 2018, le demandeur a été interrogé au consulat général du Canada à Hong Kong. Au cours de l’entrevue, un interprète était présent pour aider le demandeur. Après que l’agente des visas eut exprimé des doutes quant à la qualité de l’interprétation, l’entrevue a été suspendue et le demandeur est revenu plus tard ce même jour avec un autre interprète pour terminer l’entrevue.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[11]  Le 9 novembre 2018, une agente des visas du consulat général du Canada à Hong Kong a refusé la demande de visa du demandeur parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences réglementaires d’un travailleur autonome. La décision indiquait, entre autres choses :

[traduction

Je suis convaincue que vous êtes un artiste et que vous travaillez à temps plein à titre de directeur de musée dans la [République populaire de Chine], où vous recevez un salaire depuis 2012. Vous n’êtes cependant pas en mesure de présenter une preuve satisfaisante de la vente de vos œuvres au cours des dernières années. Je ne suis pas convaincue que vous soyez en mesure de démontrer que vous possédez l’expérience utile en tant que travailleur autonome d’une durée d’au moins deux ans au cours de la période commençant cinq ans avant la présentation de votre demande d’immigration jusqu’à maintenant. Vous n’êtes pas non plus en mesure de présenter des preuves satisfaisantes démontrant que vous avez fait suffisamment d’efforts pour en apprendre davantage sur vos possibilités d’emploi et vos perspectives d’emploi au Canada en tant que travailleur autonome. Par conséquent, d’après tous les documents et renseignements disponibles, je ne suis pas non plus convaincue que vous avez l’intention ou la capacité de devenir un travailleur autonome au Canada et de contribuer de manière importante aux activités culturelles.

Après avoir examiné attentivement les renseignements contenus dans votre demande et vos déclarations lors de l’entrevue, je ne suis pas convaincue que vous avez démontré que vous possédez une expérience utile ou que vous avez la capacité et l’intention de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que vous répondez à la définition de travailleur autonome qui figure au paragraphe 88(1) du RIPR.

[Non souligné dans l’original.]

[12]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

IV.  Question préliminaire

[13]  À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a déposé un affidavit signé par le consultant. Le défendeur soutient que cet affidavit contient des arguments et opinions et qu’il ne devrait pas être pris en compte en l’espèce.

[14]  L’affidavit en question contient plusieurs paragraphes qui présentent des opinions et qui conviennent mieux aux observations écrites. L’affidavit en question contient des allégations selon lesquelles le processus de demande de visa est injuste et peu clair. Essentiellement, l’affidavit est une réitération des arguments du demandeur et de l’évaluation que son avocat a faite de la preuve figurant dans le dossier certifié du tribunal. Le consultant n’était pas présent à l’audience devant l’agente des visas à Hong Kong. Ces renseignements ne sont donc pas des renseignements dont le déposant a une connaissance directe.

[15]  En raison de la nature argumentative et critique de l’affidavit, je n’y accorde aucun poids, à l’exception des paragraphes 1 à 6 et des paragraphes 18 à 19.

V.  Questions en litige

[16]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions :

VI.  Norme de contrôle

[17]  Dans les observations supplémentaires présentées à la suite de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], les parties conviennent que la décision de l’agent des visas peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le demandeur soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique parce que les questions en litige découlent de la mauvaise compréhension de la preuve par l’agente des visas. Le défendeur soutient qu’il n’y a aucune raison de s’écarter de la norme de contrôle présumée de la décision raisonnable.

[18]  Je ne suis pas du même avis que les parties. Conformément à la jurisprudence récente de la Cour postérieure à l’arrêt Vavilov, cet arrêt, selon l’interprétation que j’en fais, ne remplace pas la jurisprudence antérieure concernant la norme de contrôle applicable aux types de questions d’équité procédurale soulevées en l’espèce (Vavilov, au par. 23; Ntamag c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 40, au par. 7; Trboljevac c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 26, au par. 29; Adnani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 21, au par. 12).

[19]  Les questions de l’espèce concernent les principes d’équité procédurale et peuvent donc faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Comme la Cour suprême du Canada l’a décidé dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (voir également Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 861, au par. 15; SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au par. 100; Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1129, au par. 13; Bahr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 527, au par 15; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au par. 53; Zingano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1243, au par. 23 [Zingano].

[20]  Le degré d’équité procédurale auquel un demandeur de visa a droit est généralement considéré comme étant plus souple, compte tenu de la nature du processus administratif pour les demandes de visa (Haider c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 686, au par. 12); Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1381, au par. 37; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465, au par. 21 [Zhou].

[21]  Toutefois, la Cour d’appel fédérale a récemment abordé la question de la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale. Dans l’arrêt Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267, dans le contexte de la révocation d’un passeport, la juge Rivoalen a déclaré ce qui suit :

[14] Lorsqu’il est question d’équité procédurale, il convient de consulter la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2018] A.C.J. n382. Notre Cour a rappelé que « [l]a cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » et que le fait de « [t]enter de caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable est [...] un exercice non rentable » (aux paragraphes 54 et 55). Même si nous les qualifions habituellement de contrôles fondés sur la norme de la décision correcte, les questions d’équité procédurale ne sont soumises à aucune norme de contrôle particulière. Il s’agit plutôt d’une question juridique que la Cour doit trancher. En outre, lorsque la Cour évalue une question d’équité procédurale, elle doit être convaincue que celle-ci a été respectée.

VII.  Analyse

(1)  Les questions liées à l’interprétation constituaient-elles un manquement à l’équité procédurale?

[22]  Le demandeur, qui parle principalement le mandarin, est arrivé à l’entrevue le 8 novembre 2018, accompagné d’un interprète anglophone pour l’aider à passer l’entrevue.

[23]  D’après les notes d’entrevue, on constate presque immédiatement au début de l’entrevue que l’agente des visas a relevé un problème concernant la qualité de l’interprétation. L’agente des visas a déclaré qu’elle n’était pas satisfaite de la qualité de l’interprétation et a mis en doute la capacité de la personne à agir à titre d’interprète. Elle a informé le demandeur que l’entrevue serait suspendue et qu’il devrait revenir avec un autre interprète.

[24]  L’interprète a demandé une deuxième chance; l’agente des visas a donné son accord, mais a précisé que la qualité de l’interprétation devait s’améliorer sans quoi l’entrevue serait suspendue.

[25]  La qualité de l’interprétation ne s’est pas améliorée à la satisfaction de l’agente des visas, qui a donc suspendu l’entrevue. L’agente des visas a écrit ce qui suit dans ses notes d’entrevue : [traduction« [j’ai] informé [le demandeur] que s’il n’est pas en mesure de revenir avant 15 h avec un autre interprète, nous devrons reporter son entrevue à une autre date. » Le demandeur est revenu environ 30 minutes plus tard avec un nouvel interprète; l’entrevue s’est poursuivie.

[26]  Le demandeur soutient que l’interprétation de piètre qualité lors de l’entrevue du 8 novembre 2018 a constitué un manquement à l’équité procédurale. Selon le demandeur, l’agente des visas aurait dû mettre fin à l’entrevue immédiatement après le premier signe de difficulté avec l’interprétation et trouver un nouvel interprète, plutôt que d’offrir une deuxième chance au même interprète. Au lieu de cela, le demandeur a répondu aux questions concernant son statut fiscal et d’autres questions importantes après que le problème d’interprétation a été constaté. Le demandeur a également laissé entendre que, puisque le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada fournit une liste d’entreprises qui offrent des services d’interprétation, il incombe en quelque sorte au gouvernement du Canada d’assurer une interprétation de qualité.

[27]  Le défendeur soutient que l’agente des visas a fait preuve de diligence et a agi dès qu’il y a eu des problèmes d’interprétation. Le défendeur soutient en outre que les problèmes d’interprétation allégués étaient en grande partie attribuables au demandeur, étant donné que ce dernier était ultimement responsable de la sélection d’un interprète et qu’il ne s’est pas opposé à l’interprétation inadéquate à la première occasion. Le défendeur souligne également que le demandeur n’a pas relevé d’erreur particulière dans l’interprétation.

[28]  Je suis du même avis que le défendeur. Premièrement, la Cour a toujours soutenu qu’il incombe au demandeur de visa de prendre les dispositions nécessaires pour obtenir des services d’interprétation (Baloul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1151, au par. 21; Kazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 733, aux par. 16-18; Grabowski c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1488, au par. 18).

[29]  La lettre du 10 octobre 2018 indique clairement que le demandeur était responsable d’assurer une interprétation adéquate pour l’entrevue, et le fait que le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada puisse proposer une liste d’entreprises d’interprétation n’indique pas que le ministère assume la responsabilité de la qualité des services de ces entreprises. En l’espèce, c’est le consultant qui a pris les dispositions nécessaires pour l’interprétation, et l’on ne peut pas établir clairement si les services retenus ont été fournis par une entreprise qui figurait sur la liste contenue dans la lettre du 10 octobre 2018 adressée au demandeur, ou sur le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

[30]  Au cours de l’entrevue, l’agente des visas a agi rapidement et de façon responsable une fois que le problème de qualité de l’interprétation a été relevé. À ce stade, la discussion était strictement préliminaire. La décision de l’agente des visas d’offrir une deuxième chance à l’interprète, puis de demander un nouvel interprète, ne libère pas le demandeur du fardeau qui lui incombe d’assurer des services d’interprétation appropriés.

[31]  De plus, aucune copie de la transcription textuelle de l’entrevue n’a été produite, de sorte que je ne peux pas évaluer la qualité de l’interprétation. Ce sont les notes de l’entrevue versées par l’agente des visas dans le Système mondial de gestion des cas qui ont été produites. Le demandeur n’a pas à proprement parler relevé de lacune particulière en matière d’interprétation ou d’erreur d’interprétation qui lui a causé un préjudice.

(2)  L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en ne demandant pas de documents supplémentaires ou en n’abordant pas les préoccupations concernant les documents avant de convoquer le demandeur à une entrevue?

[32]  Je tiens à souligner qu’un agent des visas n’a pas l’obligation d’informer le demandeur des préoccupations relatives à une demande avant l’entrevue. Il incombe au demandeur de présenter des arguments et de fournir des éléments de preuve qui convainquent l’agent des visas que les exigences de la loi ont été respectées (Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542, au par 25; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 855, au par. 32 [Singh (CF) 2012]; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, aux par. 23‑24 [Hassani]; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1083, au par 31; Singh c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 84, au par 29 [Singh (CF) 2018]).

[33]  Lors de l’entrevue du 8 novembre 2018, l’agente des visas a demandé des preuves des ventes d’œuvres d’art et des taxes payées à leur égard.

[34]  En ce qui concerne la preuve des ventes, le demandeur a fourni une compilation des ventes d’œuvres d’art ainsi que des prix correspondants. D’après les échanges qui ressortent des notes d’entrevue de l’agente des visas et une comparaison entre la compilation des ventes d’œuvres d’art dans le dossier certifié du tribunal et celle figurant dans les documents de demande du demandeur, il me semble que la compilation des ventes d’œuvres d’art dont disposait l’agente des visas était incomplète, puisqu’il manquait les trois premières pages, y compris une rubrique explicative. La page où se trouve la rubrique ne semble pas figurer dans le document présenté par le consultant dans le cadre de la demande de visa du demandeur, ce qui a suscité des questions de la part de l’agente des visas.

[35]  Plus important encore, l’agente des visas a demandé la preuve que la taxe de vente avait été payée pour les œuvres d’art vendues. Le demandeur a répondu ce qui suit :

[traduction] 

Je n’ai pas ces données. Les questions concernant la vente de mes œuvres sont gérées par les galeries d’art et par mon assistant.

[36]  Les notes d’entrevue montrent que l’agente des visas a examiné les documents du demandeur avant l’entrevue. Le demandeur soutient par conséquent que l’agente des visas aurait dû demander des précisions et des éléments de preuve supplémentaires concernant le paiement de la taxe de vente sur les œuvres d’art vendues avant de procéder à une entrevue, ce qui aurait permis au demandeur de mieux se préparer à l’entrevue.

[37]  Il me semble que la raison même pour laquelle les demandeurs de visa embauchent des consultants est de prévoir quels documents peuvent être requis et de les préparer en vue de leur entrevue au bureau des visas.

[38]  Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada fournit des lignes directrices opérationnelles pour le traitement des demandes de visa. Le manuel opérationnel OP 8 – Entrepreneurs et travailleurs autonomes [OP 8] concerne le traitement à l’étranger des demandes de visa d’entrepreneurs et de travailleurs autonomes. Ces lignes directrices sont utilisées par les agents des visas pour évaluer les demandes dans le cadre du Programmes d’immigration des gens d’affaires du Canada, qui comprend les travailleurs autonomes. Les lignes directrices OP 8 en particulier ont été acceptées par la Cour comme source d’interprétation des procédures opérationnelles du processus de demande de visa (Ding c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 764, au par. 10; Mohitian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1393, aux par. 19‑22). Je cite les sections pertinentes de l’OP 8 dans l’annexe du présent jugement.

[39]  L’article 5.5 de l’OP 8 décrit le processus d’entrevue. Il ressort clairement de la lecture de cet article que les entrevues personnelles sont la règle, sauf lorsqu’un agent des visas est en mesure de déterminer la recevabilité d’une demande en se fondant uniquement sur les documents fournis. Si l’agent des visas ne peut rendre une décision en se fondant uniquement sur les documents présentés, il me semble qu’une entrevue devrait avoir lieu.

[40]  Le demandeur demande en fait à la Cour de dicter de nouvelles modalités pour un processus réglementaire existant. Le processus de demande de visas n’exige pas que l’agent des visas demande des documents précis ou offre d’autres possibilités de pallier les déficiences au chapitre de la preuve, à moins que, dans certaines circonstances, les documents fournis soient remis en question en raison de leur crédibilité, de leur exactitude ou de leur authenticité.

[41]  Sur ce point, il est important de clarifier les obligations de chaque acteur dans le processus de demande de visa. Il incombe au demandeur de démontrer qu’il a la capacité d’être travailleur autonome et de contribuer de manière importante au Canada (Singh (CF) 2018, au par. 29; Pacheco Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 733, au par. 20). La Cour fédérale a toujours soutenu que l’agent des visas n’est pas tenu d’aviser le demandeur de ses préoccupations si ces préoccupations sont le résultat d’une preuve insuffisante (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465, au par. 28; Bar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 317, au par. 26 [Bar]; Singh (CF) 2012, au par. 32). L’obligation de demander des éclaircissements supplémentaires n’existe pas si le demandeur de visa présente des éléments de preuve inadéquats (Perez Enriquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1091, aux par. 26-27 [Enriquez]).

[42]  En l’espèce, le demandeur a reçu de multiples lettres lui demandant de compléter la demande par des éléments de preuve pertinents de son précédent travail autonome et de ses perspectives d’emploi au Canada. L’agente des visas a accordé au demandeur une entrevue pour répondre aux préoccupations concernant la demande de visa. Bien qu’une obligation d’obtenir des éclaircissements ait peutêtre existé en l’espèce, l’agente des visas s’en est acquittée en posant des questions lors de l’entrevue (Enriquez, au par. 26). Pour ces motifs, je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de l’agente des visas d’accorder au demandeur une entrevue avant de lui demander d’autres documents ou de l’aviser du fait que d’autres renseignements pourraient être demandés lors de l’entrevue.

[43]  Le demandeur a présenté une série de décisions antérieures de la Cour sur l’obligation d’équité procédurale lorsque la crédibilité des documents d’un demandeur est en jeu. Le demandeur cite la décision de la Cour dans Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716 [Madadi], dans laquelle le juge Zinn déclare ce qui suit au paragraphe 6 :

La jurisprudence de la Cour en matière d’équité procédurale dans ce domaine est claire : lorsqu’un demandeur fournit des preuves suffisantes pour établir qu’il satisfait aux exigences de la Loi ou du Règlement, le cas échéant, et que l’agent met en doute « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » et qu’il souhaite rejeter la demande en fonction de ces doutes, l’obligation d’équité est invoquée : Perez Enriquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1091, au paragraphe 26. Voir aussi, entre autres, Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 571; Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264; Farooq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 164; Ghannadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 515.

[Non souligné dans l’original.]

[44]  Je suis du même avis que le juge Zinn; toutefois, dans la décision Madadi, la question n’était pas la suffisance des documents, mais plutôt l’authenticité des documents. Il s’agit en l’espèce d’une question de suffisance. La preuve du paiement de taxes sur la vente des œuvres du demandeur n’a pas été présentée, ce pour quoi l’agente des visas s’est enquise de la question de savoir si le demandeur disposait d’une telle preuve.

[45]  Par conséquent, je ne vois pas en quoi l’agente des visas a manqué à l’équité procédurale en n’avisant pas le demandeur, avant l’entrevue, du fait qu’une demande serait faite afin d’obtenir la preuve que la taxe de vente a été payée sur ses œuvres vendues.

(3)  La conduite de l’agente des visas lors de l’entrevue a-t-elle constitué un manquement à l’équité procédurale?

[46]  Le demandeur soutient que l’agente des visas l’a accusé de fraude fiscale sans motif. Le défendeur soutient qu’il n’y a aucune preuve de partialité de la part de l’agente des visas. L’agente des visas a simplement fait remarquer que le demandeur n’a pas fourni suffisamment de documents et n’a pas fourni de preuves des taxes de vente payées sur ses œuvres. Le défendeur soutient qu’une personne raisonnable ne conclurait pas que ces décisions constituent une preuve de partialité.

[47]  Selon le défendeur, les conclusions de l’agente des visas sont fondées sur l’insuffisance de la preuve fournie par le demandeur, et le défendeur cite Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 982, comme une affaire semblable à celle dont je suis saisie, dans laquelle l’objet de la demande de contrôle judiciaire portait sur la décision d’une agente d’immigration de refuser une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs autonomes.

[48]  Toutefois, dans l’affaire dont je suis saisie, je ne crois pas que la question soit aussi simple. La présente affaire concerne une agente des visas qui a été trop pressée de tirer une conclusion et qui a refusé une occasion de corriger cette conclusion.

[49]  En l’espèce, le demandeur a fourni la compilation montrant les ventes récentes de ses œuvres d’art, ainsi que les prix de vente correspondants. L’agente des visas a ensuite soulevé des préoccupations quant à la question de savoir si le demandeur payait des taxes sur ses œuvres d’art vendues. Selon les notes de l’agente des visas, leur interaction s’est déroulée comme suit :

[TRADUCTION

-  Agente des visas : Êtes-vous artiste?

-  Demandeur : Oui.

-  Agente des visas : Vendez-vous vos œuvres ?

-   Demandeur : Oui.

-  Agente des visas : Pouvez-vous me prouver que vous avez vendu vos œuvres de 2012 à aujourd’hui?

[...]

-  Demandeur : Cette liste a été préparée par mon consultant en immigration et il n’a pas fait du bon travail.

[...]

-   Agente des visas : Les prix de ces œuvres d’art sur votre liste ne sont pas vraiment bon marché. Puis-je voir la preuve des taxes de vente payées sur la vente de vos œuvres?

-  Demandeur : Je n’ai pas une telle preuve avec moi. Les questions concernant la vente de mes œuvres sont gérées par les galeries d’art et par mon assistant.

-  Agente des visas : Je crains que vous vous soyez soustrait au paiement de taxes en République populaire de Chine.

-  ([Le demandeur] s’est esclaffé).

-  Agente des visas : Je ne suis pas convaincue que vous avez la capacité d’exploiter adéquatement une entreprise [indépendante] au Canada.

[Transcription, non souligné dans l’original.]

[50]  À ce stade de l’entrevue, l’agente des visas a relevé d’autres problèmes d’interprétation et a suspendu l’entrevue. Lorsque le demandeur est revenu 30 minutes plus tard accompagné d’une autre interprète, l’entrevue s’est poursuivie :

-  Agente des visas : Poursuivons.

-  Agente des visas : L’évasion fiscale au Canada est inadmissible. Vous n’êtes pas en mesure de fournir une preuve satisfaisante des ventes de vos œuvres de 2012 à 2017.

-  Demandeur : Je vends mes œuvres depuis 30 ans par l’entremise d’agents aux États-Unis et à Singapour. J’ai un agent dévoué par l’entremise duquel je vends mes œuvres. Les questions concernent les ventes de mes œuvres d’art sont gérées par mes agents et mon propre assistant.

-  Demandeur : Je peux retourner demander à mes agents de fournir une preuve des ventes de mes œuvres.

-  Agente des visas : Vous êtes censé apporter tous les documents à cette entrevue afin de démontrer votre capacité de répondre à la définition de [travailleur autonome]. Je ne sais pas dans quelle mesure les documents que vous avez fournis sont fiables après coup. Je ne sais pas si les reçus de vente, les contrats de vente et d’autres preuves de ventes seront inventés après cette entrevue en vue d’être soumis au bureau des visas.

-  Demandeur : Je peux fournir des documents juridiques fournis par mes agents aux États-Unis et à Singapour.

[[Transcription, non souligné dans l’original.]

[51]  Je reconnais qu’il est certainement de la compétence d’une agente des visas de demander des preuves de la conformité aux lois fiscales locales dans le contexte d’une demande de visa de ce type. L’orientation des questions posées par l’agente des visas vise à déterminer la rentabilité du travail autonome du demandeur en tant qu’artiste. Les questions concernant la provenance des fonds du demandeur et le paiement des taxes par le demandeur sont légitimes (article 8.19 de l’OP 8).

[52]  Bien qu’il soit approprié pour une agente des visas de soulever auprès d’un demandeur des préoccupations concernant le paiement de taxes et d’avoir cette discussion avec lui, il est déplacé de conclure que tout document que le demandeur peut présenter est susceptible d’être frauduleux, avant même d’avoir examiné ce document. Le demandeur a offert d’obtenir une preuve des ventes auprès de ses agents artistiques aux États-Unis et à Singapour. Sans accepter l’offre ni avoir vu l’un de ces documents, l’agente des visas a laissé entendre que le demandeur se soustrayait au paiement de taxes et a donc mis en doute la crédibilité de tout document du fait qu’il serait produit de manière frauduleuse.

[53]  Si le témoignage précédent du demandeur, ou tout document présenté, avaient donné lieu à des soupçons d’évasion fiscale, il aurait été loisible à l’agente des visas de contester le demandeur sur cette question. Mais en l’espèce, je ne vois rien qui laisse entendre que c’était le cas.

[54]  Je reconnais également qu’une agente des visas peut s’appuyer sur sa propre expérience dans le pays où la demande du demandeur a été déposée pour procéder à son évaluation. Toutefois, préjuger des éléments de preuve comme étant frauduleux sans les avoir examinés, en particulier lorsque ces éléments de preuve proviennent de pays où les lois fiscales sont généralement respectées, me semble être inférieur au niveau d’équité normal dont doit faire preuve une agente des visas.

[55]  Il est une chose d’examiner les documents qui sont présentés et de déterminer qu’ils ont peu de poids ou qu’ils manquent de crédibilité. C’en est une autre de prendre ces décisions à l’avance, sans avoir vu les documents, documents qui pourraient aider à dissiper toute préoccupation de l’agente des visas concernant le paiement nécessaire des taxes par le demandeur.

[56]  Bien que l’obligation d’équité procédurale à l’étape de la demande de visa soit peu stricte, la conduite de l’agente des visas a constitué un manquement à l’équité procédurale. En l’espèce, ce manquement à l’équité procédurale a porté sur des questions fondamentales liées à la demande de visa, à savoir la rentabilité des œuvres du demandeur, la légitimité des activités commerciales du demandeur, la capacité du demandeur à exploiter une entreprise en tant que travailleur autonome au Canada et la crédibilité générale de celui-ci.

[57]  Comme le juge Mosley l’a reconnu dans Hassani, au paragraphe 24, l’équité procédurale exige que les agents des visas examinent les préoccupations qui ne découlent pas « directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe ». Ces préoccupations surviennent habituellement lorsque « l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur » (voir également Zingano, au par. 66); Bar, au par. 29; Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245, aux par. 37-41).

[58]  J’ai également examiné cette affaire en vue de déterminer si la conduite et l’attitude de l’agente des visas avaient été déterminantes ou si elles pouvaient d’une certaine façon découler des lacunes manifestes de la demande du demandeur quant à la suffisance des documents.

[59]  Je conclus qu’elles ne peuvent pas découler de ces lacunes et qu’elles ont donc été déterminantes dans la décision rendue par l’agente des visas. Par conséquent, je conclus que cette déficience est suffisamment importante pour justifier un contrôle judiciaire.

[60]  En outre, bien que la décision elle-même ne mentionne pas expressément le défaut de fournir la preuve du paiement des taxes de vente, elle précise que le demandeur n’a [traduction« pas été en mesure de présenter une preuve satisfaisante des ventes de ses œuvres au cours des dernières années ». Ma lecture des notes d’entrevue et de la décision m’amène à croire que l’agente des visas a confondu l’absence de preuve des ventes avec l’absence de preuve montrant le paiement des taxes de vente. Il y a donc un risque que l’attitude de l’agente des visas ait injustement joué un rôle dans la décision qui a été prise de rejeter la demande de visa du demandeur.

[61]  Pour cette raison, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un autre agent des visas pour que celui-ci rende une nouvelle décision.


JUGEMENT dans le dossier IMM-206-19

LA COUR STATUE que :

« Peter G. Pamel »

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de mars 2020.

Claude Leclerc, traducteur
Annexe

Sections pertinentes de l’OP 8

[...]

2 Objectifs du programme

Le programme d’immigration des gens d’affaires comprend trois catégories de demandeurs :

[...]

[...]

5.4 Obtenir les renseignements pertinents (L11)

Il incombe au demandeur de fournir tous les renseignements pertinents pour appuyer sa demande.

5.5 Entrevues

Les membres de la catégorie des gens d’affaires peuvent ou non être appelés à passer une entrevue; cette disposition les met sur un pied d’égalité avec les autres catégories d’immigrants.

[...]

5.14 L’équité procédurale

Lorsque l’agent s’interroge sur la recevabilité de la demande ou l’admissibilité du demandeur, il doit donner au demandeur la possibilité de corriger ou de contredire ses interrogations. Le demandeur doit avoir la possibilité de réfuter le contenu de toute évaluation provinciale négative qui pourrait influer sur la décision finale. L’agent est tenu de procéder à une évaluation juste et approfondie conformément au libellé et à l’esprit de la législation applicable et selon les exigences de l’équité procédurale.

[...]

6.15 Travailleur autonome R88

Un « travailleur autonome » est un étranger qui a une expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

« Expérience utile »

a) S’agissant d’un travailleur autonome autre qu’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend de l’expérience d’une durée d’au moins deux ans au cours de la période commençant cinq ans avant la date où la demande de visa de résident permanent est faite et prenant fin à la date où il est statué sur celle-ci, composée :

(i) relativement à des activités culturelles :

(A) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités culturelles,

(B) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités culturelles à l’échelle internationale,

(C) soit d’un an d’expérience au titre de la division (A) et d’un an d’expérience au titre de la division (B),

(ii) relativement à des activités sportives :

(A) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités sportives,

(B) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités sportives à l’échelle internationale,

(C) soit d’un an d’expérience au titre de la division (A) et d’un an d’expérience au titre de la division (B),

(iii) relativement à l’achat et à la gestion d’une ferme, de deux périodes d’un an d’expérience dans la gestion d’une ferme;

b) un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend de l’expérience évaluée conformément au droit provincial.

Les « activités économiques déterminées » du travailleur autonome, autre qu’un travailleur autonome sélectionné par une province, désignent des activités culturelles ou sportives, ou l’achat et la gestion d’une ferme. La signification de « travailleur autonome sélectionné par une province » correspond à la définition fournie par le droit de la province en question.

7 Procédures : lignes directrices générales pour l’évaluation de la recevabilité des demandes

Les sections qui suivent font état des procédures que les agents doivent suivre pour évaluer la recevabilité des demandes présentées par des entrepreneurs et des travailleurs autonomes.

Pour plus de renseignements, voir :

[...]

8.19 Documentation et préoccupations concernant la provenance des fonds

Les gens d’affaires immigrants doivent détenir un avoir net et de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise. L’agent a le pouvoir d’exiger des preuves afin d’établir l’admissibilité du demandeur et de rejeter la demande d’une personne qui ne s’acquitte pas de cette obligation.

Le L16(1) impose au demandeur de « répondre véridiquement » et de « donner les renseignements et tous les éléments de preuve pertinents » requis par l’agent. Le L11(1) indique qu’un visa ne pourra être délivré que « sur preuve, à la suite d’un contrôle que [l’étranger] n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi. »

La LIPR fournit des motifs généraux de rejet des demandes. Le L40(1)(a) porte sur le rejet de la demande des personnes qui ont fait de fausses déclarations concernant un fait important, c’est‑à‑dire « directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi. » L41 accorde aux agents le pouvoir de déclarer le demandeur interdit de territoire pour « tout – acte ou omission – commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi... » La LIPR fournit aux agents des outils leur permettant d’exiger du demandeur des preuves pour établir son admissibilité L16(1); de rejeter la demande d’une personne s’ils ne sont pas certains qu’elle n’est pas interdite de territoire L11(1) ou de refuser la demande lorsque le demandeur a fourni de faux documents ayant trait, entre autres, au contrôle et à la propriété de l’entreprise et à son avoir net L40(1)(a). De même, les agents peuvent refuser des demandeurs en vertu de L41 pour tout acte ou omission.

Une des pratiques courantes du crime organisé consiste à exploiter une entreprise tout à fait légitime pour camoufler des activités criminelles. Le Règlement permet à l’agent d’aller au-delà des exigences particulières liées à l’entreprise admissible et à l’avoir net pour examiner leur contexte. L’agent peut par exemple obliger le demandeur à établir la légitimité de son avoir. Il peut donc raisonnablement exiger des preuves afin d’établir la légitimité de l’avoir et peut refuser la demande si la personne ne se plie pas à cette exigence L16(1), ne respecte pas la présomption L11(1); ou fait intentionnellement de fausses déclarations L40(1)(a). On exige que l’avoir net des entrepreneurs et des investisseurs ait été « obtenu licitement. »

Les risques liés au fait d’appliquer mal ou de façon inexacte la disposition « obtenu licitement » peuvent entraîner des décisions et une jurisprudence médiocres. Une utilisation judicieuse fait en sorte que l’agent devra s’acquitter d’une partie importante du fardeau de la preuve. Un rejet viable sur le plan juridique devra également porter sur la définition de « licitement » et « obtenu. » La disposition concernant l’avoir net licitement obtenu fournit un cadre pour l’examen de la provenance des fonds permettant d’appuyer un rejet viable en vertu de L11 et permettre ainsi de respecter les objectifs de la politique.

Imposer l’obligation réglementaire aux gens d’affaires immigrants d’établir la légitimité de leur avoir net :

Documents pertinents comprennent :

Ces documents rendent compte de l’actif et du passif du demandeur et aident l’agent à déterminer si le demandeur a l’expérience requise dans l’exploitation d’une entreprise. Les sections qui suivent abordent ces points.

[...]

8.21 Que doit contenir l’état de l’avoir net personnel

Un exemple d’état de l’avoir net personnel se trouve au formulaire IMM 0008Fann6.

L’état de l’avoir net personnel fait état de l’actif et du passif tant commercial que personnel du demandeur de même que de son époux ou conjoint de fait/partenaire conjugal.

L’agent doit :

  • examiner le document pour s’assurer qu’il est complet et que les valeurs indiquées, la propriété, l’existence et la présentation des différents éléments de l’actif et du passif sont convenablement indiquées;
  • exiger du demandeur qu’il produise des documents justifiant la valeur des biens indiquée sur le document (relevés bancaires, évaluations des biens, etc.);

[...]

8.27 Déclarations de revenus personnels

L’agent peut examiner :

[...]

11.1 Évaluer la recevabilité de la demande : critères de sélection

Pour que sa demande soit étudiée dans la catégorie des travailleurs autonomes, le demandeur doit d’abord respecter la définition réglementaire. La plupart des demandeurs sont sélectionnés ou refusés parce qu’ils répondent, ou non, à la définition.

11.2 Le demandeur respecte-t-il la définition de « travailleur autonome? »

Le travailleur autonome est une personne qui :

  • a de l’expérience pertinente;
  • a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada;
  • entend contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées par le Règlement, c’est-à-dire :

11.3 Déterminer l’expérience, l’intention et la capacité

L’agent doit prendre en considération les éléments suivants au moment d’évaluer l’expérience, l’intention et la capacité du demandeur de créer son propre emploi au Canada :

Selon le recensement de 1996, 98 % des exploitations agricoles sont des entreprises familiales. La FCA indique que « plus que jamais, pour réussir, l’agriculteur canadien doit s’adapter aux exigences diverses de l’exploitation d’une entreprise agricole. Il doit pouvoir déceler si un animal est malade, réparer une moissonneuse-batteuse qui fonctionne mal et terminer la journée en accédant à Internet pour vérifier la situation des marchés mondiaux. »

L’agriculture est devenue une entreprise qui exige, en plus des compétences agricoles traditionnelles, une connaissance pratique des ordinateurs et d’autres appareils de haute technologie. Toujours selon le recensement de 1996, plus de 21 % des ménages agricoles canadiens possèdent un ou plusieurs ordinateurs personnels. On constate également une tendance de la communauté agricole à s’instruire davantage.

Autrement dit, pour réussir, le demandeur doit satisfaire à des exigences rigoureuses, à savoir posséder un capital suffisant, ainsi que l’expérience et les compétences appropriées.

11.4 Contribuer de manière importante à la vie culturelle ou artistique ou à des activités sportives

La catégorie des travailleurs autonomes a été créée afin d’enrichir les scènes culturelle et sportive du Canada. Autrement dit, lorsque les demandeurs répondent aux critères de l’expérience, de l’intention et de la capacité et si on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’ils se créent un emploi dans le domaine culturel ou sportif, le critère de contribution significative devient relatif. Par exemple, un professeur de musique qui va enseigner dans une petite ville peut être considéré comme étant important au niveau local. Par ailleurs, un journaliste à la pige qui contribue à une publication canadienne respectera le critère. Au bout du compte, la définition de « contribution significative » est laissée à la discrétion de l’agent et ne vise pas à refuser l’entrée au Canada des travailleurs autonomes qualifiés qui présentent une demande de bonne foi. Cette disposition est incluse dans la définition afin d’éliminer les demandes frivoles.

Note : Si le demandeur ne respecte pas la définition réglementaire de travailleur autonome, le R100(2) prévoit le rejet de la demande sans autre évaluation.

[...]

11.7 Demander et examiner les documents

Les documents exigés doivent fournir la preuve de la situation financière du demandeur et de ses expériences de travail autonome antérieur. Il doit fournir des preuves permettant d’établir que la demande mérite d’être étudiée dans le cadre du programme.

Les agents peuvent exiger des travailleurs autonomes qu’ils présentent la preuve qu’ils ont étudié le marché de l’emploi canadien et adopté un plan réaliste pouvant raisonnablement mener à un travail autonome.

Toutefois, on ne doit pas encourager le travailleur autonome à présenter un plan d’activité officiel qui entraînerait des dépenses inutiles et un fardeau administratif.



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