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Date : 20200128


Dossier : IMM‑2784‑19

Référence : 2020 CF 145

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

SHAHID HAMID

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 8 avril 2019 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR], dans laquelle elle a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], ni celle de personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[2]  La SAR a confirmé les conclusions de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], en particulier celle selon laquelle le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à Islamabad (Pakistan), une conclusion que la SAR a qualifiée de déterminante.

[3]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur fait valoir que l’analyse de la SAR quant à l’existence d’une PRI viable était : (i) hypothétique en ce qui concerne la menace constante de persécution; et (ii) incomplète car elle n’a pas apprécié l’ensemble des facteurs suivant le deuxième volet du critère applicable pour une PRI.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR n’était pas déraisonnable. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.  Faits et procédures

[5]  Le demandeur est un citoyen du Pakistan et le propriétaire d’une pharmacie dans le district de Sahiwal. Sahiwal est situé dans la province pakistanaise du Pendjab. Le demandeur est un technicien en pharmacie qualifié et titulaire d’un permis de vente de médicaments et de narcotiques. En plus de ses activités commerciales régulières, le demandeur fournissait gratuitement des contraceptifs à une médecin de la région.

[6]  Le 15 août 2016, une bande d’inconnus est venue à la pharmacie du demandeur à la recherche de médicaments d’ordonnance en grande quantité. Une des personnes a menacé de le tuer, lui et sa famille, après que le demandeur a refusé de leur fournir les médicaments.

[7]  Le 9 septembre 2016, le demandeur a été victime d’un enlèvement. Ce jour‑là, la même bande d’individus (maintenant armés de fusils) a forcé le demandeur à arrêter son véhicule alors qu’il conduisait dans la province du Pendjab. La bande a ensuite forcé le demandeur à sortir de son véhicule et l’a amené dans une zone déserte, où il a été torturé, menacé et battu. Pendant l’enlèvement, la bande a exigé qu’il leur fournisse certains médicaments. Le demandeur a pu échapper à la bande. Il a ensuite signalé l’enlèvement à la police.

[8]  Le 10 septembre 2016, le demandeur a été menacé par un chef religieux et certains membres du mouvement taliban au Pakistan (Tekreek‑i‑Taliban). Ils voulaient qu’il ferme sa pharmacie parce que ses activités commerciales comprenaient la fourniture de contraceptifs aux femmes et, par conséquent, étaient contraires aux principes de l’Islam. Le 15 septembre 2016, le demandeur a de nouveau été menacé par un autre chef religieux local et des personnes associées aux talibans. Durant ces deux incidents, ils ont menacé de le tuer, lui et sa famille proche.

[9]  Après ces menaces, le demandeur a commencé à avoir peur. Le 16 septembre 2016, il a fermé sa pharmacie. Le 18 septembre 2016, le demandeur a communiqué avec la police locale pour lui demander de mener une enquête, mais il semble qu’elle a refusé de le faire.

[10]  Le demandeur s’est installé avec sa famille à Karachi, une ville située sur la côte sud du Pakistan, à quelques milliers de kilomètres du district de Sahiwal. Pendant qu’il résidait à Karachi, le demandeur a reçu des appels téléphoniques menaçants d’un numéro inconnu. À l’époque, le demandeur utilisait toujours le numéro d’entreprise de sa pharmacie. Pour le demandeur, ces appels téléphoniques ont confirmé sa crainte de persécution au Pakistan. Le demandeur a ensuite quitté son pays d’origine pour le Canada le 20 octobre 2016.

[11]  Le demandeur a demandé l’asile le 30 novembre 2016. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], le demandeur a fait le récit des incidents menaçants à Sahiwal et des appels téléphoniques qu’il a reçus à Karachi. Selon un affidavit de l’ami du demandeur, des inconnus sont venus dans le village de Sahiwal le 7 janvier 2017 à la recherche du demandeur.

[12]  Sa demande d’asile a été transférée à la SPR. La SPR a tenu une audience le 15 juin 2017 et a rejeté sa demande le 30 juin 2017.

[13]  Bien que la décision soumise à mon contrôle soit celle de la SAR, j’estime qu’il est important, en l’espèce, d’exposer aussi en détail la décision de la SPR.

[14]  La SPR a conclu que la crédibilité du demandeur était déterminante dans l’affaire; plus particulièrement, la SPR a conclu qu’il y avait des omissions et des contradictions dans le témoignage du demandeur par rapport à son formulaire FDA, que son témoignage était vague et évasif et qu’il a tenté sans succès d’expliquer les incohérences relevées par la SPR.

[15]  En bref, la SPR n’a pas cru que le demandeur était menacé par ceux qu’il prétend avoir été ses agresseurs pour les raisons qu’il a décrites, ni que ces incidents avaient effectivement eu lieu. En conséquence, la SPR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait personnellement exposé à la menace ou au risque prévu au paragraphe 97(1) de la LIPR dans d’autres régions du Pakistan.

[16]  Cela dit, la SPR a ajouté que même si elle avait reconnu que le demandeur avait été agressé et menacé comme il le prétend, il disposait néanmoins d’une PRI viable à Islamabad, la capitale du Pakistan. Le fondement de la décision de la SPR quant à une PRI viable peut être résumé comme suit :

 

  • a) les menaces proférées à l’encontre du demandeur découlaient de son refus de fournir aux agresseurs les médicaments qu’ils demandaient et du fait que le demandeur fournissait des contraceptifs à une médecin de la région afin qu’elle les distribue à ses patients. Cependant, la fermeture de sa pharmacie fait en sorte que l’activité qui l’a mis en danger n’existe plus. Le demandeur n’a pas démontré que ses agresseurs auraient un intérêt à le retrouver et, plus encore, une volonté si forte de le retrouver à Islamabad. (La SPR cite le cartable national de documentation sur le Pakistan);

  • b) rien ne permet de penser que le demandeur aurait de la difficulté à se rendre à Islamabad ou à s’installer dans cette ville de manière raisonnable. C’est un homme d’affaires prospère ayant fait des études universitaires qui, selon son formulaire FDA, s’était rendu à Karachi et avait commencé à y gagner sa vie.

[17]  Le demandeur a ensuite interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[18]  Dans son mémoire d’appel présenté à la SAR, le demandeur a soutenu, entre autres, que la SPR avait commis une erreur dans sa conclusion quant à la crédibilité du demandeur, et qu’elle avait également commis une erreur en concluant à l’existence d’une PRI viable. Le demandeur n’a produit aucun élément de preuve nouveau et n’a pas non plus demandé une audience devant la SAR.

[19]  Je tiens à mentionner que le mémoire que le demandeur a présenté dans le cadre de son appel devant la SAR est assez exhaustif en ce qui concerne les autres questions soulevées en appel. Toutefois, sur la question particulière de la PRI, le demandeur a seulement laissé entendre que la décision portant sur l’existence d’une PRI viable a été rendue dans un vide factuel, ou qu’elle était à tout le moins fondée sur une fausse prémisse, et qu’il avait fourni la preuve que ses agresseurs étaient disposés et en mesure de le retrouver, sans donner plus de détails.

[20]  En rejetant l’appel, la SAR a clairement indiqué que la seule question déterminante était celle de savoir si la SPR avait commis une erreur dans son évaluation de la PRI et qu’il n’était donc pas nécessaire d’analyser les questions relatives à la crédibilité du demandeur. La SAR a conclu que la SPR avait examiné adéquatement cette question et a donc rejeté l’appel.

IV.  Question en litige

[21]  La seule question que le demandeur m’a soumise était celle de savoir si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’Islamabad offre une PRI viable. Le demandeur n’a pas soulevé la question concernant le fait que la SAR n’a pas statué sur la conclusion de la SPR quant à la crédibilité. Le demandeur ne s’est penché que sur la décision de la SAR, qui a clairement démontré que, compte tenu de sa conclusion sur la viabilité de la PRI, il n’était pas nécessaire d’analyser la conclusion de la SPR quant à la crédibilité.

[22]  À cette étape de la procédure, je voudrais faire une simple suggestion de nature administrative : à l’avenir, dans des circonstances semblables, la SAR voudra peut‑être examiner les conclusions de la SPR quant à la crédibilité, afin d’éviter une situation où une analyse de la PRI est jugée déraisonnable par la Cour et nécessairement déterminante uniquement en raison de l’absence d’analyse sur la crédibilité, situation qui pourrait alors exiger le renvoi du dossier à la SAR à la seule fin d’une analyse complète de la crédibilité.

V.  Norme de contrôle

[23]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême a établi un cadre d’analyse révisé servant à déterminer la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. L’analyse a comme point de départ une présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Vavilov, par. 23). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations : (1) celle où le législateur a prescrit une norme de contrôle différente; et (2) celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. C’est le cas pour les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, par. 33 à 64).

[24]  Le demandeur fait valoir que la décision contestée devrait être réexaminée selon la norme de la décision correcte parce que la décision de la SAR viole les principes de justice naturelle et ne se conforme pas au critère approprié pour déterminer s’il existe une PRI viable. Essentiellement, le demandeur fait valoir que la SAR a procédé à une analyse conjecturale et incomplète de ses allégations de persécution concernant Islamabad, laquelle soulève des « questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble », citant Vavilov, par. 53, 58 et 59.

[25]  Je ne suis pas d’accord. Tout d’abord, je conclus que la SAR a déterminé et suivi le critère approprié dans son examen et sa décision en ce qui a trait à l’existence d’une PRI viable. Il s’agit d’éléments qui n’abordent pas des questions d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, puisque la décision porte sur des questions précises qui ont le plus directement touché le demandeur. En outre, je ne suis pas convaincu que la SAR a manqué à l’équité procédurale. À mon avis, les points de désaccord généraux dans cette affaire ont trait à l’examen qu’a fait la SAR quant à l’existence d’une PRI. Ce type de question se pose dans le contexte des pouvoirs confiés à la SAR (Vavilov, par. 30). En conséquence, cette question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, par. 73 à 143).

VI.  Contrôle

[26]  La question de savoir s’il existe une PRI est un élément essentiel du système de protection des réfugiés. Le concept de la PRI découle de la définition de réfugié au sens de la Convention et veille à ce que le droit international relatif aux réfugiés supplée à la protection nationale lorsque cette protection est insuffisante (Dillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 381, par. 8; James C. Hathaway et Michelle Foster, The Law of Refugee Status, 2e éd. (Cambridge (Royaume‑Uni), Cambridge University Press, 2014), p. 332 et 333; HCR, Principes directeurs sur la protection internationale : « La possibilité de fuite ou de réinstallation interne » dans le cadre de l’application de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/03/04, le 23 juillet 2003, par. 6 [les Principes directeurs sur la protection internationale du HCR]; Jamie Chai Yun Liew et Donald Galloway, Immigration Law, 2e éd. (Toronto, Irwin Law, 2015), p. 341 et 342).

[27]  Essentiellement, le concept de la PRI permet de s’assurer que les personnes persécutées s’adressent d’abord à leur pays avant de demander une protection par l’intermédiaire du système international de protection des réfugiés (Canada (Procureur général) c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689, par. 18).

[28]  La SAR a conclu que la sécurité du demandeur serait assurée à Islamabad et qu’il ne serait pas déraisonnable pour lui d’y chercher refuge. Plus particulièrement, la SAR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que les agents de persécution allégués le poursuivraient à Islamabad, et que le demandeur pouvait y gagner sa vie en tant qu’homme d’affaires. Compte tenu de ces facteurs, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur disposait d’une PRI.

[29]  Dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, p. 710 [Rasaratnam], ainsi que dans la décision Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu], la Cour a établi un critère à deux volets à appliquer pour déterminer l’existence d’une PRI. Selon le critère à deux volets servant à déterminer l’existence d’une PRI :

  1. selon la prépondérance des probabilités, la personne ne risque pas sérieusement d’être persécutée dans la partie du pays où il existe une PRI;

  2. la situation dans la PRI proposée doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour la personne, compte tenu de toutes les circonstances, d’y chercher refuge.

(Voir aussi Reci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 833, par. 19; Titcombe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1346, par. 15 [Titcombe]).

[30]  Il doit être satisfait aux deux volets pour qu’il soit possible de conclure à l’existence d’une PRI. Ce critère à deux volets garantit que le Canada se conforme aux normes internationales relatives aux PRI (Principes directeurs sur la protection internationale du HCR, par. 7, 24 à 30).

[31]  Dans la décision Gallo Farias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1035, au paragraphe 34 [Gallo Farias], le juge Kelen a fourni une « liste des critères juridiques » qui clarifie davantage la jurisprudence de la Cour sur l’existence d’une PRI :

1.  Si la PRI est une question litigieuse, la Commission du statut de réfugié doit en aviser le demandeur d’asile avant l’audience (Rasaratnam, précité, par le juge Mahoney au paragraphe 9, Thirunavukkarasu) et identifier des lieux précis comme PRI dans le pays d’origine du demandeur d’asile (Rabbani c. Canada (MCI), [1997] 125 F.T.R. 141 (C.F.), précitée, au paragraphe 16, Camargo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 472 (CanLII), 147 A.C.W.S. (3d) 1047, aux paragraphes 9 et 10);

2.  Il convient d’appliquer un test disjonctif à deux volets afin de déterminer s’il existe une PRI. Voir, p. ex., Rasaratnam, précité; Thirunavukkarasu, précité; Urgel, précitée, au paragraphe 17.

i.  La Commission doit avoir été persuadée par le demandeur d’asile, selon la prépondérance de la preuve, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté dans les lieux qu’elle a proposés comme PRI; ou

ii.  Compte tenu de la situation propre au demandeur, il serait déraisonnable que le demandeur cherche refuge dans les lieux proposés comme PRI;

3.  Le demandeur a la charge de prouver qu’il n’existe pas de PRI ou que cette PRI est déraisonnable dans les circonstances. Voir Mwaura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 748, par la juge Tremblay‑Lamer, au paragraphe 13; Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 130 A.C.W.S. (3d) 1010, 2004 CF 601, par le juge Mosley, au paragraphe 17;

4.  Le critère est élevé pour déterminer ce qui rend une PRI déraisonnable dans la situation du demandeur d’asile : voir Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, par le juge Russell, au paragraphe 41. Selon Mwaura, précitée, au paragraphe 16, et Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 12, il convient d’appliquer un critère souple pour déterminer si une PRI est déraisonnable en tenant compte de la situation particulière au demandeur. C’est un critère objectif;

5.  La PRI doit être réalistement accessible au demandeur, p. ex. le demandeur n’est pas censé s’exposer à un grand danger physique ou subir des épreuves indues lorsqu’il se rend dans un lieu de PRI ou y demeure. Le demandeur ne devrait pas être tenu de se cacher dans une région isolée, par exemple dans une caverne, dans le désert ou dans la jungle. Voir : Thirunavukkarasu, précitée, au paragraphe 14;

6.  Le fait que le demandeur d’asile n’a ni amis ni parents dans le lieu proposé comme PRI ne rend pas cette PRI déraisonnable. Le demandeur d’asile n’a probablement pas d’amis ni de parents au Canada. Le fait que le demandeur d’asile ne soit pas en mesure de se trouver un emploi approprié dans son domaine de profession peut ou non rendre la PRI déraisonnable. Cela vaut également pour le Canada;

[32]  Le demandeur fait valoir que la SAR a commis des erreurs à l’égard des deux volets du critère établi dans RasaratnamThironavukkarasu.

[33]  J’examinerai chacun de ces volets séparément. En premier lieu, le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les agents de persécution ne cherchaient plus à faire du mal au demandeur, et pourtant, elle a également conclu qu’il existait une PRI viable. Selon le demandeur, il y a une incohérence dans l’analyse étant donné que la SAR n’a fait qu’avancer des hypothèses sur l’existence d’une menace continue; le demandeur soutient qu’on ne peut avancer des hypothèses sur l’existence d’un tel risque et conclure ensuite qu’il existe une PRI.

[34]  Je ne souscris pas à l’argument du demandeur. Dès le début, la SAR a clairement analysé la détermination du risque et a conclu qu’aucun risque de persécution ou qu’aucune menace pour la vie ne subsistait dans l’éventualité où le demandeur retournerait au Pakistan.

[35]  Par la suite, et dans le but très limité d’examiner l’option de PRI, la SAR a déclaré : « même si le tribunal avait cru que le demandeur avait été agressé et menacé de la manière alléguée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, il aurait tout de même rejeté la présente demande d’asile puisqu’il aurait estimé que le demandeur disposerait d’une possibilité de refuge intérieur dans son pays, en particulier dans la capitale Islamabad. »

[36]  Par conséquent, la SAR n’a pas avancé d’hypothèses, mais a seulement supposé, afin de déterminer l’existence d’une PRI viable, que le risque subsistait. Je ne vois rien de mal à cette approche, car elle n’a pas entraîné, comme le laisse entendre le demandeur, une incohérence dans l’analyse de la PRI effectuée par la SPR.

(1)  Premier volet – la personne ne risque pas sérieusement d’être persécutée dans la partie du pays où il existe une PRI

[37]  L’essentiel de l’argument du demandeur est que la conclusion selon laquelle Islamabad offrait une PRI n’était qu’une réaction « instinctive », non étayée par une analyse quant à sa viabilité.

[38]  Toutefois, conformément à la décision Gallo Farias (par. 34), le demandeur a eu pleinement l’occasion de contester le choix d’Islamabad comme PRI.

[39]  D’après l’enregistrement audio de l’audience du demandeur devant la SPR, il est clair que la SPR a d’abord désigné Islamabad comme une PRI acceptable, où le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution (Utoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 399, par. 20).

[40]  Au cours de l’entrevue, le commissaire de la SPR a demandé au demandeur pourquoi il s’était rendu à Karachi, et s’il pouvait vivre ailleurs au Pakistan, comme à Islamabad. Le demandeur a répondu qu’il a tenté de se réinstaller à Karachi, mais qu’il craignait que les persécuteurs ne le tuent. Le demandeur n’a pas répondu précisément à la question de savoir s’il pouvait ou non vivre à Islamabad, mais il a affirmé qu’il ne serait en sécurité nulle part au Pakistan en raison du réseau national des agents de persécution.

[41]  En ce qui concerne la viabilité de la PRI, le demandeur fait valoir que les appels téléphoniques menaçants qu’il a reçus alors qu’il vivait à Karachi, ainsi que l’affidavit de son ami confirmant que les agresseurs retournaient encore à l’entreprise du demandeur à Sahiwal, démontrent la nature continue du risque qu’il soit persécuté, même à Islamabad.

[42]  Au cours de l’audience, l’avocat du demandeur a abordé l’existence d’une PRI et a soutenu que des éléments de preuve documentaires laissent entendre que la police pakistanaise est inefficace et corrompue et qu’elle pourrait être complice des groupes persécuteurs. L’avocat a avancé l’hypothèse que certains membres des forces de police pourraient divulguer aux persécuteurs l’endroit où vit le demandeur. Selon l’avocat du demandeur, la possibilité d’une divulgation compromet l’existence d’une PRI.

[43]  Dans ses motifs, la SAR a examiné plusieurs éléments de la crainte de persécution du demandeur à l’égard d’Islamabad. La SAR a déterminé que les agents de persécution n’avaient aucun intérêt à pourchasser le demandeur à Islamabad depuis la fermeture de sa pharmacie et l’arrêt de la vente de contraceptifs. La SAR a également fait remarquer que le demandeur n’avait pas présenté de preuves de la capacité ou des intentions des agresseurs de le retrouver à Islamabad.

[44]  En ce qui concerne l’appel téléphonique menaçant reçu par le demandeur alors qu’il se trouvait à Karachi, la SAR a déterminé que le demandeur pouvait éviter ce type d’appels en n’utilisant plus le numéro de téléphone qu’il utilisait pour sa pharmacie. Quoi qu’il en soit, il n’y avait aucune preuve de l’endroit d’où les agresseurs appelaient, ni du fait qu’ils savaient que le demandeur se trouvait à Karachi au moment de l’appel.

[45]  La SAR a déterminé que le rapport de l’ami indiquant que les agresseurs retournaient à l’ancienne pharmacie du demandeur à sa recherche montre simplement que les agresseurs ignoraient où se trouvait le demandeur. La SAR a également conclu que l’absence de menaces dirigées contre l’épouse et les enfants du demandeur à Karachi ou à l’endroit de son père et de ses frères et sœurs à Sahiwal montre que les agresseurs sont peu intéressés à cibler le demandeur. Le simple fait de soupçonner d’être pourchassé dans son pays d’origine ne suffit pas à exclure une PRI autrement acceptable (Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 30, par. 35).

[46]  En conséquence, et étant donné que le fardeau de la preuve incombait au demandeur, la SAR a jugé que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir que le déménagement dans la PRI proposée l’exposerait à un risque inacceptable (Gallo Farias, par. 23; Thirunavukkarasu, par. 12; Mwaura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 748, par. 13; Whenu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1041, par. 11).

[47]  Selon la SAR, le demandeur n’a pas fourni de preuves suffisantes quant au risque qu’il soit persécuté à Islamabad. Je ne vois rien de déraisonnable dans les conclusions de la SAR sur cette question, et donc aucune raison d’infirmer la décision de la SAR dans le cadre du premier volet du critère établi dans RasaratnamThironavukkarasu.

(2)  Deuxième volet : Était‑il raisonnable pour le demandeur de chercher refuge à Islamabad?

[48]  Devant la Cour, le demandeur fait valoir que l’analyse de la SAR effectuée dans le cadre du deuxième volet du critère établi dans RasaratnamThironavukkarasu était incomplète parce qu’elle n’a pas abordé l’ensemble des questions avant de déterminer, même si le premier volet était rempli, s’il était raisonnable pour le demandeur de chercher refuge à Islamabad.

[49]  Selon le demandeur, la SAR s’est contentée du fait que le demandeur est un homme d’affaires qui pourrait trouver un travail et un logement convenables à Islamabad. Le demandeur fait plutôt valoir que la SAR aurait dû aborder l’ensemble des questions liées à l’emplacement de la PRI, à savoir le transport et les déplacements, la langue, l’éducation, l’hébergement, la religion, le statut autochtone et l’accès aux soins de santé. À l’appui de cet argument, le demandeur cite une décision de la SAR, laquelle ne mentionne aucun fondement juridique pour les facteurs énumérés. Le demandeur estime que la SAR a omis de façon injustifiée d’examiner ces questions.

[50]  Dans sa décision, la SAR a soutenu que le demandeur n’avait pas contesté l’analyse de la SPR dans le cadre du deuxième volet. Pour le demandeur, cette justification interprète mal l’argumentation écrite dans son mémoire d’appel, dans lequel il conteste le manque d’analyse de la SPR quant à la suffisance de la protection de l’État à Islamabad.

[51]  Le défendeur est d’accord avec la SAR et soutient qu’il n’était pas nécessaire d’examiner chaque facteur étant donné que le demandeur n’a pas contesté le deuxième volet du critère. En outre, le défendeur soutient que le demandeur n’a fourni aucune preuve démontrant que le fondement de la décision de la SAR était déraisonnable suivant le deuxième volet du critère.

[52]  Je rejette les arguments du demandeur pour quatre raisons.

[53]  Premièrement, l’argument du demandeur concernant [traduction« l’éventail de questions » du deuxième volet n’a pas été soulevé devant la SAR. Le demandeur n’a pas soulevé de tels arguments dans son mémoire présenté à la SAR, malgré le fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer que la PRI proposée ne serait pas appropriée. En effet, le demandeur conteste simplement l’analyse de la SPR quant au niveau de protection de l’État à Islamabad, une considération qui se rapporte au premier volet du critère établi dans RasaratnamThironavukkarasu (c.‑à‑d. l’analyse relative à la crainte de persécution).

[54]  Le mémoire du demandeur déposé devant la SAR ne mentionne pas les facteurs de transport et de déplacement, de langue, d’éducation, d’hébergement, de religion, de statut autochtone et d’accès aux soins de santé. Par conséquent, le demandeur tente de soulever de nouvelles questions juridiques qui auraient pu être soulevées avant le présent contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, par. 22 à 26; Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), [2015] 4 RCF 75, 2014 CAF 245, par. 42 à 47; Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129, par. 33).

[55]  Deuxièmement, le demandeur interprète mal la nature d’une demande relative à la PRI en exigeant une analyse complète de certains facteurs catégorisés. La norme « raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances » (du deuxième volet du critère établi dans RasaratnamThironavukkarasu) constitue un seuil élevé qui ne peut être défini de manière abstraite. Cette norme exige « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr », ainsi qu’une « preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions » (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, 2000 CanLII 16789 (CAF). par. 15, citant Thirunavukkarasu, p. 597, 599). Les « conditions » pertinentes et les types de « preuve[s] » pertinentes varient d’un cas à l’autre. S’il était accepté, l’argument du demandeur limiterait cette enquête tributaire des faits et transférerait le fardeau de la preuve au tribunal. Ces conséquences compromettraient la nature contextuelle et au cas par cas du critère.

[56]  Troisièmement, le demandeur n’a pas fourni de preuve ni présenté d’argument de fond quant à l’incapacité d’Islamabad d’offrir emploi, abri, transport, éducation, soins de santé et services adaptés à la situation du demandeur (p. ex., langue, religion, statut autochtone). Le demandeur essaie plutôt de reprocher à la SAR de ne pas s’être chargée de cette tâche. Encore une fois, le fardeau de démontrer que l’emplacement de la PRI proposée n’est pas approprié incombe au demandeur, et non à la SAR. Il incombe au demandeur de démontrer comment le déménagement l’exposerait à des difficultés excessives, compte tenu de sa situation particulière et des renseignements objectifs présentés à l’égard de la PRI proposée (p. ex., Okonkwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1330, par. 17).

[57]  Quatrièmement, le demandeur demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dans le cadre de ce deuxième volet; ce n’est pas le rôle de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire (Vavilov, par. 125; Akinfolajimi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 722, par. 27 et 28; Titcombe, par. 22; Khosa, par. 61).

VII.  Conclusion

[58]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2784‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de février 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2784‑19

 

INTITULÉ :

SHAHID HAMID c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

 

Pour le demandeur

Erin Morgan

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Westmount (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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