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                                                                                                                                 Date : 19990423

                                                                                                                             Dossier : T-207-91

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

                                                            ASHOK AGRAWAL,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                          - et -

                                  SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                                                                                                                     défenderesse.

                                                                ORDONNANCE

            LA COUR, STATUANT sur la demande qu'elle a instruite le 13 avril 1999 à Ottawa (Ontario) :

            REJETTE l'action et CONDAMNE le demandeur aux dépens entre parties.

                                                                                                             « Allan Lutfy »             

                                                                                                                        J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                                                                                                 Date : 19990423

                                                                                                                             Dossier : T-207-91

ENTRE :

                                                            ASHOK AGRAWAL,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                          - et -

                                  SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                                                                                                                     défenderesse.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]         En février 1988, le demandeur, qui était alors un importateur d'objets d'artisanat oriental, a commis une infraction à la Loi sur les douanes[1]. Par suite de cette infraction, des fonctionnaires des douanes ont saisi à titre de confiscation un certain nombre de bijoux et de montres qui lui appartenaient[2]. Le demandeur a intenté la présente action pour déclaration inexacte faite avec négligence, qui a causé une perte économique, au motif que l'État ne l'a pas informé de la date à laquelle les objets lui appartenant qui étaient visés par la saisie-confiscation ont été vendus aux enchères.

[2]         Le demandeur affirme qu'il avait décidé de racheter les objets à la vente aux enchères parce qu'il croyait qu'il pouvait en redevenir propriétaire à un coût nettement moindre que le montant de l'évaluation. Comme nous le verrons ci-après, la croyance du demandeur s'est révélée fondée.

[3]         L'instruction de l'affaire s'est déroulée par voie d'exposé conjoint des faits et s'est limitée à la détermination de la responsabilité.

LES FAITS

[4]         Le 7 novembre 1989, une lettre a été envoyée au demandeur pour l'aviser de décisions prises par le ministre du Revenu national ou en son nom, à savoir que le demandeur avait enfreint la Loi sur les douanes et que les marchandises saisies à titre de confiscation lui seraient restituées moyennant le paiement de la somme de 88 399,83 $[3].

[5]         Le demandeur n'a pas payé le montant demandé par le ministre. De plus, il n'a pas interjeté appel de la décision du ministre portant qu'une infraction à la Loi avait été commise.

[6]         La confiscation des marchandises saisies est devenue définitive quatre-vingt-dix jours après la réception des décisions ministérielles par le demandeur[4]. Une fois les marchandises confisquées à titre définitif, le ministre était autorisé à les vendre aux enchères. Aucune des dispositions législatives ne prévoit que le demandeur devait être avisé de la date de la vente aux enchères[5].

[7]         Durant les six premiers mois de 1990, il y a eu un échange de lettres entre le demandeur et le ministre du Revenu national et ses fonctionnaires. Pendant toute cette période, le demandeur résidait en Inde. Les parties ont correspondu par la poste.

[8]         Le 20 janvier 1990, le demandeur a envoyé deux lettres au ministre du Revenu national concernant un certain nombre de questions touchant la saisie. Parmi les points soulevés par le demandeur, celui qui était le plus pertinent dans le contexte de la présente espèce était le fait qu'il voulait être avisé de la date à laquelle les objets lui appartenant qui avaient été saisis par l'État seraient vendus aux enchères.

[9]         Le cabinet du ministre a reçu les lettres du demandeur le 6 février 1990. Le 15 février 1990, un fonctionnaire du Ministère a écrit au demandeur qu'il devrait communiquer avec le personnel des douanes à Calgary (Alberta) pour obtenir des précisions sur le lieu et la date de la vente aux enchères.

[10]       Le 15 mars 1990, le demandeur a écrit au gestionnaire du bureau des douanes à Calgary pour lui demander où et quand les marchandises confisquées seraient vendues aux enchères.

[11]       Le 2 avril 1990, le gestionnaire du bureau des douanes à Calgary a avisé le demandeur par lettre que les marchandises seraient vendues aux enchères en avril 1990, mais qu'il n'était pas en mesure de lui préciser la date. Il a cependant donné au demandeur le nom et l'adresse de l'encanteur. Le paragraphe pertinent de la réponse de ce fonctionnaire est le suivant :

[traduction] Les marchandises en question seront vendues aux enchères publiques en avril. L'encan sera mené par Greenview Auction Ltd., 404-40 Avenue N.E., Calgary (Alberta), T2A 2M5. Malheureusement, je suis incapable de vous préciser la date à laquelle l'encan aura lieu.

[12]       Le 15 avril 1990, le demandeur, qui se trouvait toujours en Inde, a écrit au ministre pour lui demander qu'on l'avise de la date de la vente aux enchères des marchandises confisquées. Il a ajouté qu'il demandait ces renseignements en application de l'article 146 de la Loi sur les douanes. Il est utile de citer le principal paragraphe de la lettre du demandeur :

[traduction] Auriez-vous l'obligeance de m'aviser de la date de la vente publique des marchandises dont les numéros de saisie sont mentionnés plus haut. Ces renseignements sont demandés en vertu de l'article 146 de la Loi sur les douanes du Canada. Veuillez m'aviser le plus longtemps possible avant la date de la vente aux enchères pour que je puisse me rendre à l'adresse précitée [sic]. Je tiens à vous informer que l'acheminement PAR AVION du courrier entre l'Inde et le Canada prend de deux à quatre semaines.

Le délai de deux à quatre semaines évoqué par le demandeur pour l'envoi du courrier par avion entre l'Inde et le Canada semble correspondre aux dates auxquelles les lettres qu'il a postées en Inde sont parvenues au Canada.

[13]       Le cabinet du ministre a reçu cette dernière lettre le 8 mai 1990. Le 15 mai 1990, un adjoint ministériel a envoyé au demandeur, au nom du cabinet du ministre du Revenu national, un accusé de réception l'informant que le ministre avait demandé à ses fonctionnaires d'examiner la question. Cet accusé de réception est ainsi rédigé :

[traduction] Au nom du ministre, l'honorable Otto Jelinek, j'accuse par la présente réception de votre lettre en date du 15 avril 1990.

Le ministre a demandé à des fonctionnaires du Ministère d'examiner la question, et il vous fournira une réponse dans les plus brefs délais.

[14]       Le 13 juin 1990, les marchandises en question ont été transférées à l'encanteur Greenview Auction Ltd. Un avis de la vente aux enchères a été publié dans des journaux de Calgary les 16 et 17 juin 1990.

[15]       Le 18 juin 1990, les marchandises ont été vendues pour la somme de 4 617,50 $.

[16]       Le 22 juin 1990, le ministre a signé la lettre par laquelle il répondait au demandeur. Cette lettre informait à tort le demandeur que la vente aux enchères n'avait pas encore eu lieu et précisait qu'il serait avisé dès qu'une date aurait été fixée. La réponse du ministre est ainsi libellée :

[traduction] J'ai bien reçu votre lettre en date du 15 avril 1990 dans laquelle vous demandez quand aura lieu la vente aux enchères des marchandises vous appartenant qui ont été saisies à l'aéroport international de Calgary les 7 et 22 février 1988.

En réponse à votre demande, je dois vous informer que, malheureusement, la date à laquelle les marchandises en question seront vendues aux enchères n'a pas encore été fixée. Néanmoins, j'ai demandé à mes fonctionnaires à Calgary de vous aviser dès que cette date aura effectivement été fixée.

Je comprends l'intérêt que vous portez à cette question et je regrette de ne pas être en mesure de vous fournir l'information demandée à ce moment-ci.

Il ressort de la preuve que des fonctionnaires du Ministère ont discuté des mesures à prendre pour aviser le demandeur de la date de la vente aux enchères après la mise à la poste de l'accusé de réception en date du 15 mai 1990 préparé par l'adjoint ministériel, précité, paragraphe 13.

[17]       Le demandeur affirme qu'il a ignoré que les marchandises avaient été vendues jusqu'à ce qu'on l'en informe par lettre en date du 7 novembre 1990 émanant d'un fonctionnaire du Ministère qui répondait à des demandes d'information de l'avocat du demandeur. Le demandeur affirme en outre qu'il comptait sur le ministre pour l'aviser de la date de la vente aux enchères afin de pouvoir prendre des dispositions en vue de l'achat des marchandises confisquées, et que cette confiance découlait entièrement de l'échange de lettres entre lui-même et le ministre et les fonctionnaires des douanes, en particulier l'accusé de réception en date du 15 mai 1990.

Analyse

[18]       Dans l'arrêt Hercules Managements Ltd. c. Ernst & Young[6], la Cour suprême du Canada a déclaré qu'il existe un « lien spécial » qui impose une « obligation de diligence » au défendeur dans le contexte d'une action fondée sur une déclaration inexacte lorsque a) le défendeur devrait raisonnablement prévoir que le demandeur se fiera à sa déclaration, et b) il serait raisonnable que le demandeur s'y fie dans les circonstances particulières de l'affaire.

[19]       La Loi sur les douanes n'oblige pas le ministre ou des fonctionnaires du Ministère à aviser une personne qui a fait l'objet d'une saisie-confiscation en vertu de la Loi de la date à laquelle les marchandises saisies seront vendues. Toutefois, l'article 146 de la Loi sur les douanes impose l'obligation d'aviser le propriétaire de « marchandises retenues » trente jours avant l'aliénation des marchandises. Les parties reconnaissent que la présente action concerne la saisie-confiscation de marchandises et que la disposition prévue à l'article 146 concernant le préavis applicable aux marchandises retenues ne s'applique pas.

[20]       Le demandeur reconnaît que le bien-fondé de sa cause dépend directement des déclarations qu'on peut raisonnablement inférer de l'accusé de réception en date du 15 mai 1990, qui doit être lu dans le contexte de l'échange de lettres avec le Ministère.

[21]       Plus précisément, le demandeur soutient que les énoncés « [l]e ministre a demandé à des fonctionnaires du Ministère d'examiner la question, et il vous fournira une réponse dans les plus brefs délais » constituent une double déclaration qui lui a été faite, en tant qu'importateur raisonnable, à savoir que : a) la vente aux enchères n'avait pas encore eu lieu, et b) il serait avisé de la date et du lieu de la vente aux enchères avant la réalisation de cet événement.

[22]       Je ne suis pas d'accord. « Il [n'était pas] raisonnable » que le demandeur se fie à cette double déclaration « dans les circonstances particulières de l'affaire » [7].

[23]       Premièrement, la lettre en date du 2 avril 1990 envoyée par le gestionnaire du bureau des douanes à Calgary informait le demandeur que la vente aux enchères aurait lieu « en avril » . Celui-ci a également obtenu le nom et l'adresse de l'encanteur.

[24]       Deuxièmement, il n'existe aucune preuve du contenu d'une communication entre le demandeur et l'encanteur.

[25]       Troisièmement, les parties ont convenu que la lettre en date du 15 mai 1990 qui a été envoyée par l'adjoint ministériel était un accusé de réception qui informait le demandeur que le ministre avait demandé à ses fonctionnaires d'examiner la question. Cette façon de faire est entièrement compatible avec le texte de cette lettre, qui semble vraiment n'être rien de plus qu'un simple accusé de réception. C'est au demandeur qu'il incombe de prouver que cette lettre veut dire autre chose que ce qui est écrit en toutes lettres.

[26]       Quatrièmement, le demandeur savait qu'il faudrait « de deux à quatre semaines » pour que sa lettre en date du 15 avril 1990 parvienne à Ottawa. En fait, le cabinet du ministre a reçu sa lettre le 8 mai 1990, soit trois semaines plus tard. L'envoi d'une réponse signée sept jours plus tard, surtout eu égard aux termes employés par l'adjoint ministériel, ne saurait être considéré comme une réponse élaborée rédigée en connaissance de cause. Je n'accepte pas qu'on pouvait déduire de l'emploi du passé composé ( « a demandé » ) que le ministre était au courant du problème. À mon avis, il était déraisonnable que le demandeur tire cette conclusion. Il savait qu'il écrivait au ministre d'un important ministère à Ottawa concernant une saisie qui avait eu lieu à Calgary.

[27]       Cinquièmement, le demandeur s'est référé à l'article 146 de la Loi sur les douanes dans sa lettre en date du 15 avril 1990. L'article 146 prévoit qu'un préavis de trente jours doit être donné avant l'aliénation de marchandises retenues. Ainsi qu'il vient d'être mentionné, cette disposition ne s'applique pas à la présente espèce. L'article 142, qui régit les marchandises saisies à titre de confiscation, ne prévoit pas l'envoi d'un préavis de la vente aux enchères à qui que ce soit. Le demandeur ne peut pas se fier à un échange de lettres, qu'il a commencé en se référant à la mauvaise disposition législative, pour affirmer qu'il serait avisé de la date de la vente aux enchères quand il n'existe aucune disposition législative semblable.

[28]       En résumé, je conclus que, dans les circonstances particulières de l'espèce, une personne raisonnable ayant une expérience dans le domaine de l'import-export n'aurait pas présumé que la lettre en date du 15 mai 1990 créait autre chose que l'obligation de répondre aux demandes d'information du demandeur en temps voulu. Un importateur raisonnable n'aurait pas présumé que le ministre s'était engagé à aviser le propriétaire de marchandises saisies à titre de confiscation en vertu de la Loi de la date et du lieu de la vente de ces marchandises. S'agissant de la vente des marchandises en question, aucune obligation de diligence ne ressort du libellé de la lettre en date du 15 mai 1990, même quand on la lit dans le contexte des communications antérieures.

[29]       Par conséquent, l'action du demandeur sera rejetée.

[30]       J'ai examiné la question de savoir si les renseignements erronés qui ont été communiqués au demandeur dans la lettre du ministre en date du 22 juin 1990 devraient être un facteur qui entre en ligne de compte dans l'évaluation des dépens. Les renseignements erronés contenus dans cette lettre sont sans rapport avec les questions de fond que soulève la présente action. Il se peut que la lettre du ministre ait amené le demandeur à croire qu'il lui était possible d'intenter la présente action, mais je suis arrivé à la conclusion que ce fait est également sans rapport avec la question des dépens. Par conséquent, le demandeur est condamné aux dépens entre parties.

                                                                                                             « Allan Lutfy »             

                                                                                                                        J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 23 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                             T-207-91

INTITULÉ :                                                      ASHOK AGRAWAL c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                Le 13 avril 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :                                                 23 avril 1999

COMPARUTIONS :

M. Martin Diegel                                                                       POUR LE DEMANDEUR

M. Darrell Kloeze                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Mme Susanne Pereira

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Martin Diegel                                                                       POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada



     [1]L.R.C. (1985), ch. 52.6.

     [2]Ibid., alinéa 110(1)a).

     [3]            Ces deux décisions ont été rendues en application de l'alinéa 131(1)a) et du paragraphe 133(1) de la Loi sur les douanes.

     [4]            Article 123 et paragraphe 135(1) de la Loi sur les douanes.

     [5]            Alinéa 142(1)c) de la Loi sur les douanes. Voir aussi la Loi sur les biens de surplus de la Couronne, L.R.C. (1985), ch. S-27, alinéa 3(1)b), et le Règlement sur la vente des marchandises, DORS/86-1010, article 3.

     [6][1997] 2 R.C.S. 165, au paragraphe 24.

     [7]Supra, paragraphe 18.

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