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Date : 20200129


Dossier : IMM‑684‑19

Référence : 2020 CF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

SAOSAN KHALIL I. ALMOQAIAD,

ASHRAF M. A. GHAREEB,

FUAD ASHRAF MOHAMMED GHAREEB,

MAYA ASHRAF MOHAMMED GHAREEB,

ABDULRHMAN ASHRAF MOHAMMED GHAREE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et visant la décision du 8 janvier 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] portant que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[3]  Je m’appuie sur les faits contextuels tels qu’ils sont présentés dans la décision de la SAR. Ces faits ne sont pas contestés.

[4]  La demanderesse principale, Mme Saosan Khalil I. Almoqaiad, son époux, monsieur Ashraf M.A. Ghareeb, et leurs trois enfants mineurs [les codemandeurs], demandent l’asile au Canada.

[5]  La demanderesse principale est citoyenne de l’Arabie saoudite. Elle affirme que sa famille lui fera du mal si elle retourne dans ce pays parce qu’elle a présenté une demande d’asile au Canada. Elle affirme également avoir été victime dans son pays natal de discrimination fondée sur le sexe. Les codemandeurs sont des Palestiniens apatrides. Ils allèguent tous avoir été victimes de discrimination en matière d’éducation et d’emploi. L’époux codemandeur affirme qu’il sera persécuté, car il a critiqué le gouvernement saoudien.

[6]  La demanderesse principale et les codemandeurs [les demandeurs] sont arrivés au Canada en septembre 2016 et ont présenté une demande d’asile. La SPR a rejeté leur demande : a) en raison d’un manque de crédibilité; b) après avoir conclu que les demandeurs étaient victimes de discrimination, et non de persécution. Le 8 janvier 2019, la SAR a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs à l’égard de la décision de la SPR.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

A.  Questions en litige

[7]  Les demandeurs soulèvent trois questions :

  1. La SAR a‑t‑elle eu tort de conclure que la manière dont la SPR a mené l’audience n’était pas contraire à l’équité procédurale, à la justice naturelle et à l’article 170 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR)?

  2. La SAR a‑t‑elle commis une erreur de fait et de droit lorsqu’elle a estimé que la SPR n’a pas eu tort de conclure que le traitement allégué par les demandeurs n’équivalait pas à de la persécution, mais à une simple discrimination?

  3. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation des conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité?

B.  Norme de contrôle

[8]  Conformément au cadre régissant le droit administratif, tel qu’il a récemment été révisé par la Cour Suprême du Canada, la norme du caractère raisonnable est présumée s’appliquer à l’ensemble de la décision. Je ne vois aucune raison de réfuter cette norme en l’espèce, attendu que le présent appel n’est pas prévu par la Loi et qu’il ne fait pas non plus intervenir une exception justifiant le recours à la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 16, 17, 101 et 102). En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, il a été décidé que celle-ci doit encore être évaluée sans qu’il soit nécessaire de faire preuve de déférence à l’égard de la décision du décideur (Yankson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1608, au par. 14).

IV.  Analyse

A.  Atteinte à la justice naturelle et à l’équité procédurale

[9]  Les demandeurs font valoir en premier lieu que la SAR a eu tort de conclure que la SPR n’a pas contrevenu à l’équité procédurale, à la justice naturelle et à l’article 170 de la LIPR. Ils allèguent à cet égard qu’il y a eu des interruptions et que la SAR a tenu un ton argumentatif ou contradictoire, des éléments dont la SAR n’aurait pas dûment tenu compte.

[10]  Premièrement, les demandeurs soutiennent que la SAR a conclu à tort que le commissaire de la SPR n’a pas privé les demandeurs de leur droit à la justice naturelle.

[11]  Deuxièmement, citant l’alinéa 170e) de la LIPR – aux termes duquel la SPR « donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations » – les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur en limitant de manière déraisonnable la portée de l’article 170, et la SAR a commis une erreur en n’infirmant pas la décision de la SPR et en ne prévoyant pas une nouvelle audience, conformément au paragraphe 111(1) de la LIPR. Les demandeurs lancent, dans le cadre de ces arguments, une accusation de crainte raisonnable de partialité.

[12]  La question que les demandeurs semblent poser est la suivante : la SAR a‑t‑elle correctement évalué la preuve dont elle disposait lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas eu d’atteinte à l’équité procédurale, à la justice naturelle ou à l’alinéa 170e) de la LIPR?

[13]  Les demandeurs invoquent le passage de la décision de la SAR dans lequel la Commission rejette l’argument relatif à la justice naturelle/l’équité procédurale en raison d’un manque de preuve. D’après eux, la SAR était dans l’erreur, car ils ont fourni des affidavits à l’appui de leurs arguments. Dans les renseignements contenus dans ces affidavits, il était fait mention, à titre d’exemple, d’un échange, rapporté dans la transcription non officielle de l’audience, entre le commissaire de la SPR et les codemandeurs, que la SAR a décrit comme une différence d’opinions quant à la preuve objective sur la situation dans le pays.

[14]  La SAR a donc souligné que ces arguments ne renvoyaient à aucun exemple particulier, dans la transcription non officielle (hormis l’échange susmentionné), de l’inconduite alléguée.

[15]  J’estime que l’argument des demandeurs en ce qui touche une crainte raisonnable de partialité doit être rejeté, car ils n’ont pas expliqué par des détails suffisants de quelle manière ce problème s’est manifesté en l’espèce.

[16]  Les demandeurs se contentent de faire valoir un désaccord quant au type de preuve que la SAR aurait dû accepter et ils n’avancent que peu d’arguments juridiques pour étayer leurs positions.

[17]  La situation en l’espèce n’est pas sans rappeler celle dont le juge Mandamin était saisi dans Chelaru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1535 :

[24] La demanderesse soutient que la SPR n’a cessé d’interrompre son témoignage, signalant ainsi qu’elle avait entendu tout ce qu’elle avait besoin d’entendre. La demanderesse affirme qu’elle n’a pas eu l’occasion de présenter l’ensemble de sa preuve en raison des contraintes de temps dont son témoignage a été l’objet. Elle avance en outre que le fait de sacrifier l’équité procédurale sur l’autel de l’efficience administrative n’est pas un compromis acceptable, et que la SPR a donc commis une erreur en ne s’acquittant pas de l’obligation que lui imposait le paragraphe 162(2) de la LIPR de fonctionner, « dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité ».

[25] Cet argument n’est pas fondé. Dans la partie de la transcription invoquée par la demanderesse, la SPR informe les avocats des questions qu’elle estime pertinentes au regard de la demande d’asile. La SPR a avisé les avocats de ne pas perdre de temps avec la question de l’origine rom de la demanderesse puisque, selon le propre témoignage de celle‑ci, son unique crainte visait son ancien conjoint de fait.

[18]  La Cour a conclu que le simple fait d’interrompre un demandeur d’asile lorsque cela était approprié ne donnait lieu à aucune erreur susceptible de contrôle. Dans Svecz c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 3, aux paragraphes 42 à 46, le juge LeBlanc a affirmé le principe énoncé dans la décision Chelaru, précitée, selon lequel un décideur a le droit de restreindre les témoignages répétitifs et qu’il n’enfreint pas le principe de la justice naturelle en n’autorisant pas les témoignages qui ne sont pas essentiels au regard de la demande.

B.  Persécution par rapport à discrimination

[19]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la persécution qu’ils alléguaient équivalait plutôt seulement à de la discrimination. Ils affirment que le raisonnement de la SAR est [TRADUCTION] « simplement erroné et insuffisant ».

[20]  Je ne suis pas convaincu par l’argument des demandeurs à ce sujet. Comme le fait remarquer le défendeur, les demandeurs n’expliquent pas en quoi la SAR s’est trompée lorsqu’elle a tiré cette conclusion; ils sont plutôt simplement en désaccord.

[21]  La SAR a souligné que l’époux codemandeur exploitait une entreprise dont les actifs étaient importants et qu’il pouvait entrer en Arabie saoudite et en sortir sans incident.

[22]  S’agissant de la demanderesse principale, qui avait travaillé comme directrice d’école et exploitait sa propre entreprise, la SAR a estimé qu’aucune preuve digne de foi n’attestait qu’elle souffrait ou qu’elle souffrirait de persécution si elle retournait en Arabie saoudite. S’agissant des risques futurs, la SAR a fait remarquer que la SPR a examiné preuve objective sur la situation dans le pays ainsi que les allégations des demandeurs.

[23]  Par ailleurs, le défendeur souligne que la demanderesse n’a pas contesté les conclusions défavorables en matière de crédibilité – tirées par la SPR ou la SAR. À cet égard, la conclusion de la SAR portant que les demandeurs n’ont pas fourni de documents dignes de foi montrant qu’ils étaient persécutés est raisonnable.

C.  Crédibilité

[24]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a eu tort de confirmer l’évaluation faite par la SPR quant à leur crédibilité, car la SAR n’a pas compris que les atteintes à l’équité procédurale ont sapé toute l’audience, et que les arguments liés à la crédibilité auraient pu être différents si le principe de l’équité procédurale avait été respecté.

[25]  J’estime que cet argument doit également être rejeté dans le cadre du contrôle judiciaire. Comme le fait remarquer le défendeur, la demanderesse principale n’a pas débattu ce point devant la SAR, et les demandeurs n’ont pas non plus fait valoir que celle-ci a commis une erreur en confirmant qu’ils n’étaient pas crédibles; les demandeurs soutiennent plutôt simplement que des vices procéduraux ont entaché les conclusions en matière de crédibilité. La SAR a souligné que les contradictions et les omissions relevées dans les témoignages rendus par écrit et de vive voix par la demanderesse principale et le codemandeur ne concernaient pas des faits mineurs. Les contradictions portaient directement sur leurs allégations principales.

V.  Conclusion

[26]  La décision de la SAR est raisonnable et ses motifs sont intelligibles. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier et aucune question de ce type ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑684‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier et aucune ne se pose. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de février 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑684‑19

INTITULÉ :

SAOSAN KHALIL I. ALMOQAIAD, ASHRAF M. A. GHAREEB, FUAD ASHRAF MOHAMMED GHAREEB, MAYA ASHRAF MOHAMMED GHAREEB, ABDULRHMAN ASHRAF MOHAMMED GHAREEB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 SEPTEMBRE 2019

JUGeMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 29 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Melissa Keogh

POUR LA DEMANDERESSE

 

Hillary Adams

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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