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Date : 20050125

Dossier : IMM-5324-04

Référence : 2005 CF 109

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                                        JANICE EILEEN LELLO

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON


[1]                Le Canada n'a pas de plus grande partisane que Janice Lello. Sa grand-mère lui a raconté les expériences vécues par son défunt grand-père dans notre grand pays. Après avoir quitté l'école, elle a travaillé brièvement au Haut-Commissariat du Canada à Londres. Elle est arrivée ici dans les années 60. Elle a épousé un Canadien et sa fille Sandy est née ici. Malheureusement, le mariage n'a pas tenu et elle est retournée en Angleterre. Elle est revenue au pays dans les années 70 accompagnée d'un nouveau mari anglais. Celui-ci n'a toutefois pas aimé le Canada et ils sont retournés en Angleterre. Après la dissolution de ce mariage, elle et Sandy sont revenues au Canada une fois de plus, mais elles sont retournées en Angleterre en 1983 en raison de son sens du devoir envers ses parents qui avaient tous les deux besoins de son aide. Si on ne tient pas compte de quelques visites exceptionnelles, vingt ans se sont écoulés avant qu'elle ne décide de s'installer au Canada. Elle a été influencée par la décision de Sandy de venir ici pour, notamment, reprendre le contact avec la famille de son père et donner la possibilité au jeune fils de Sandy d'étudier au Canada. Ces trois personnes vivent actuellement ensemble.

[2]                Janice Lello croyait qu'elle était toujours résidente permanente. Elle n'a jamais lu les caractères fins. La loi exige d'un résident permanent, à la différence d'un citoyen, de résider physiquement au Canada pendant deux ans, à tous les cinq ans, afin de conserver son statut. Il existe des exceptions qui ne s'appliquent pas en l'espèce.


[3]                La loi permet à un agent des visas d'accorder une dispense quant aux exigences en matière de résidence en faisant valoir des considérations d'ordre humanitaire (CH). L'agent ne l'a pas fait en l'espèce. L'appel interjeté par Mme Lello à la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a été rejeté. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision. L'avocate de Mme Lello a relevé au moins quatorze erreurs de fait et de droit, appuyées par de nombreux renvois au dossier du Tribunal. Pour ne pas être en reste, l'avocat du ministre a affirmé que j'étais invité à procéder à un examen microscopique de la preuve, ce que je ne devrais pas faire. Toutefois, si je devais procéder à un tel examen, pour toutes et chacune des prétendues erreurs mentionnées par Mme Lello, il a attiré mon attention sur d'autres pages du dossier du Tribunal qui, selon lui, montraient que les conclusions de la Commission étaient justifiées compte tenu de la preuve dont elle était saisie. La seule erreur patente qui a été admise et qui, selon moi, n'est pas pertinente, est la question de savoir si la fille était arrivée au Canada un mois avant la mère ou vice versa.

Le droit

[4]         L'article 28 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, impose une obligation de résidence à un résident permanent quant à chaque période de cinq ans. L'obligation est d'être physiquement présent au Canada 730 jours durant cette période. Il y a des équivalents comme le travail à l'extérieur du Canada pour une entreprise canadienne ou l'accompagnement d'un époux canadien à l'extérieur du Canada. Ces équivalents ne trouvent pas application en l'espèce. Néanmoins, l'alinéa 28(2)c) prévoit ce qui suit :

[....]

c) le constat par l'agent que des circonstances d'ordre humanitaire relatives au résident permanent -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- justifient le maintien du statut rend inopposable l'inobservation de l'obligation précédant le contrôle.

....

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

[5]                Il est question de deux enfants en l'espèce : Sandy, la fille de Mme Lello, qui est dans la trentaine et le fils de Sandy qui est âgé de neuf ans. On ne sait pas avec certitude si l'un ou l'autre pourrait être considéré comme un enfant dans le contexte de cet article.

[6]                Il serait inopportun et il n'est pas nécessaire de procéder à un examen minutieux de la preuve.

[7]                Je crois que le juge Martineau a correctement exposé le droit dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 347, [2002] A.C.F. 461, où il a affirmé ce qui suit au paragraphe 18 :

Les conclusions de fait et l'importance que doit attacher la Section d'appel aux éléments de preuve appellent une norme de retenue judiciaire très élevée. À moins d'une preuve contraire, on tient pour acquis que la Section d'appel a pris en compte tous les éléments de preuve dont elle dispose. À cet égard, la décision de la Section d'appel doit être interprétée dans son ensemble et ne devrait pas être soumise à un examen microscopique. Par conséquent, l'instance révisionnelle devrait refuser d'intervenir en présence de décisions fondées sur une appréciation de la crédibilité, dans la mesure où les explications fournies sont rationnelles ou raisonnables, ou encore qu'au vu du dossier il est loisible à la Section d'appel de tirer, selon le cas, une inférence négative quant à la crédibilité d'un demandeur ou d'un témoin.

La décision


[8]         La décision porte en définitive sur les motifs qu'il faut attribuer à Mme Lello pour ne pas être retournée au Canada plus tard. La principale raison était la santé de ses parents. Toutefois, le père est décédé en 2001 et, à la suite de cela, l'humeur de sa mère s'est améliorée. Il y a également eu d'autres facteurs. Sa fille Sandy a corroboré qu'elle s'est occupée de ses parents. Mme Lello a fourni d'autres éléments de preuve corroborants quant aux dernières années. La Commission a affirmé ce qui suit :

Comme le seul motif que l'appelante a invoqué pour expliquer pourquoi elle vit en Angleterre plutôt qu'au Canada depuis 1983 est l'état de santé de ses parents, notamment celui de sa mère, je me serais attendue à ce qu'elle déploie des efforts auparavant pour obtenir les renseignements médicaux qui auraient soutenu sa demande --

À mon avis, la preuve démontre plutôt que l'appelante a consciemment choisi, lorsqu'elle est retournée en Angleterre en 1983, de s'établir et de vivre dans ce pays. Elle y a élevé sa fille, y a gagné sa vie et, dans le cadre de la vie qu'elle y menait, a aidé ses parents au besoin. Selon moi, la preuve n'établit pas que les parents de l'appelante avaient besoin de son aide de façon continue au cours des 20 dernières années.

Selon moi, le regain d'intérêt que l'appelante a manifesté récemment pour le Canada et le maintien de son statut de résidente permanente découle de la décision de sa fille de déménager ici et du fait qu'elle veut être près de sa fille et de son petit-fils. Je reconnais que l'appelante est près de sa fille et de son petit-fils --

[9]                Ces commentaires me laissent perplexe quant à savoir si la membre de la Commission a tiré des conclusions raisonnables du témoignage et pourquoi elle a crû qu'une corroboration supplémentaire par des dossiers médicaux vieux de 20 ans était nécessaire.

[10]            La Commission n'a pas tenu compte que, après la rupture du deuxième mariage de Mme Lello, celle-ci est retournée au Canada en tant que mère célibataire avec sa jeune fille et que les deux ont témoigné qu'elles étaient retournées en Angleterre en 1983 en raison des problèmes de santé de la mère de Mme Lello. Oui, elle a choisi de retourner en Angleterre, mais on n'a presque pas tenu compte de son sens du devoir.

[11]            Toutefois, je n'ai pas à tirer une conclusion finale sur ce point. En ce qui me concerne, la Commission a commis une erreur fatale lorsqu'elle a affirmé ce qui suit :

La fille de l'appelante a déclaré que si sa mère ne peut pas rester au Canada, elle cessera tout simplement de travailler, elle s'en remettra à l'aide sociale, à laquelle elle croit avoir droit en tant que citoyenne canadienne, et laissera l'État subvenir à ses besoins et à ceux de son fils.

Selon moi, l'affirmation de la fille de l'appelante, soit qu'elle démissionnera et s'en remettra à l'aide sociale, a été formulée sous forme de menace pour démontrer que si sa mère ne peut pas rester avec elle au Canada, elle choisira alors d'être un fardeau pour l'État.

La fille de l'appelante souhaitait donner l'impression qu'elle n'aura pas d'autre choix que de demander des prestations d'aide sociale sans le soutien de sa mère au Canada.

[12]            Cette conclusion est manifestement erronée. Voilà ce que sa fille a affirmé :

[Traduction]

Non, sauf que sans le soutien de ma mère, je ne serai pas capable d'exister comme j'existe présentement et mon fils souffrira. Je souffrirai. Nous souffrirons tous les trois parce que nous ne serons pas ensemble. Et je devrai peut-être demander de l'aide sociale, ce qui taxera les ressources du Canada, jusqu'à ce que je trouve un meilleur emploi. Je ne veux pas que cela arrive. C'est une chose que ne je veux vraiment pas qui arrive.

[13]            Dans le même paragraphe où elle a affirmé que la fille souhaitait donner l'impression qu'elle n'aura pas d'autre choix que de demander des prestations d'aide sociale, la membre a affirmé ce qui suit :

Bien que je reconnaisse que des liens forts et beaucoup d'amour unissent l'appelante et sa fille et son petit-fils et qu'une séparation les bouleversera tous, séparation qui pourrait être temporaire puisque la fille de l'appelante peut, si elle le souhaite, parrainer sa mère pour qu'elle vienne la rejoindre au Canada [...]

[14]            J'en conclus que ce que la membre de la Commission affirme est ceci : [traduction] « si vous devez recourir à l'aide sociale, vous ne pourrez jamais parrainer votre mère » . Il ressort de la preuve que, bien que Sandy souhaite améliorer sa situation, elle occupe actuellement un emploi très peu rémunérateur et n'aura peut-être jamais les moyens de parrainer sa mère. La Commission n'est pas une manipulatrice de marionnettes et les personnes qui comparaissent devant elle ne sont pas des marionnettes. La question qui aurait dû être examinée était de savoir si Sandy pouvait parrainer sa mère immédiatement, et, dans la négative, si l'on aurait dû accorder une dérogation quant au défaut de résider au Canada pendant le nombre de jours exigés. La Commission a eu tout à fait la mauvaise attitude. En l'espèce, le parrainage a entravé l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la membre.

[15]            L'avocat du ministre a prétendu que la question du parrainage n'était pas pertinente et qu'elle ne devrait pas être examinée car elle n'a été soulevée qu'au cours des plaidoiries après que Mme Lello eut changé d'avocat. Ce n'est pas tout à fait comme ça que je vois les choses. Le parrainage était lié à la perception de la Commission que l'aide sociale ne constituait qu'une menace, un point qui a été vigoureusement nié du début à la fin.

[16]            L'avocat de Mme Lello a également proposé des questions à certifier. L'examen de ces questions devra être reporté à plus tard car elles ne pouvaient pas être utilisées pour appuyer un appel de la cause par le ministre.


                                        ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'Immigration et du statut de réfugié portant le numéro VA3-01394-E.

LA COUR ORDONNE QUE la demande soit accordée et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

                                                                              _ Sean Harrington _                       

                                                                                                     Juge                                  

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-5234-04

INTITULÉ :                                                                JANICE EILEEN LELLO

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 18 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 25 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Shirish P. Chotalia                                                         POUR LA DEMANDERESSE

W. Brad Hardstaff                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pundit & Chotalia

Edmonton (Alberta)                                                       POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r..

Sous-ministre de la Justice et

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR


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