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Date : 20200122


Dossier : IMM-6570-18

Référence : 2020 CF 93

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

IRFAN ALI

SANA KHAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, conformément au par. 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui vise la décision du 3 décembre 2018 [la décision], par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs à l’encontre du refus de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la même Commission de leur reconnaître la qualité de réfugiés et de personnes à protéger au sens des art. 96 et 97 de la LIPR.

II.  LE CONTEXTE

[2]  Les demandeurs, Irfan Ali et Sana Khan, sont des citoyens pakistanais. Ils se sont mariés en 2013 et ont trois enfants, tous nés au Canada.

[3]  M. Ali est arrivé au Canada en février 2009 à titre de travailleur étranger temporaire. En 2013, il est retourné pendant six mois au Pakistan où il a épousé Mme Khan. Les demandeurs sont revenus au Canada en 2014.

[4]  En octobre 2016, alors qu’ils prévoyaient de rendre visite à leur famille au Pakistan, les demandeurs ont appris qu’ils étaient la cible de menaces proférées par le Tehrik‑i‑Taliban Pakistan [TTP]. En fait, le père de M. Ali a reçu deux appels menaçants d’inconnus l’avertissant qu’ils lui feraient du mal et nuiraient aux demandeurs si ces derniers venaient au Pakistan, à moins que de l’argent ne leur soit versé.

[5]  Une semaine plus tard, au moins une douzaine d’hommes armés se faisant passer pour des membres du TTP se sont présentés pendant la nuit au domicile du père, près de Mardan, et ont menacé de le tuer et de tuer les demandeurs s’ils venaient au Pakistan, à moins qu’ils ne versent 500 000 $. Le TTP est revenu quelques mois plus tard en février 2017 pour proférer les mêmes menaces à l’endroit du père de M. Ali, ce qui l’a amené à réclamer l’assistance du jirga (conseil des aînés) pour régler le conflit. Le jirga n’a pas réussi à convaincre le TTP de soumettre le litige à une médiation.

[6]  Le témoignage de M. Ali laisse entendre que le TTP réprouve les liens entretenus par les demandeurs avec le Canada, un pays qui, aux yeux de ce groupe, a lancé une guerre contre l’Islam. Le TTP considère les demandeurs comme des ennemis, car leurs enfants sont nés au Canada et qu’ils payent des impôts au Canada, ce que le groupe considère comme une contribution directe à la guerre contre l’Islam.

[7]  Les demandeurs ont ensuite annulé leur projet de se rendre au Pakistan et ont déposé des demandes, le 9 janvier 2017, pour obtenir la qualité de réfugié et de personne à protéger.

[8]  À la suite de l’audience du 7 septembre 2017, la SPR a rejeté leurs demandes fondées sur les art. 96 et 97 de la LIPR. Même si elle les a jugés crédibles et qu’elle a accepté leurs allégations, la SPR a estimé qu’il existait une possibilité de refuge intérieur [PRI] au Pakistan, en particulier à Hyderabad, dans la région de Sindh, et a conclu que [traduction] « la preuve était insuffisante […] pour établir que le TTP serait susceptible d’apprendre le retour des demandeurs d’asile au pays, qu’il se mettrait à les rechercher dans d’autres villes ou que leur profil de demandeurs d’asile était celui de personnes risquant d’être traquées dans tout le pays ».

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[9]  Le 3 décembre 2018, la SAR a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs contre la décision de la SPR. Elle a conclu que ces derniers disposaient d’une PRI raisonnable à Hyderabad et qu’ils ne pouvaient donc pas obtenir le statut de réfugiés ni la qualité de personnes à protéger au sens des art. 96 et 97, respectivement, de la LIPR.

[10]  Avant de déterminer s’il existait une PRI viable, la SAR s’est d’abord demandé si les seize nouveaux éléments de preuve soumis par les demandeurs étaient admissibles aux termes du par. 110(4) de la LIPR, et a examiné à cette fin les trois premiers facteurs énoncés dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, à savoir la crédibilité, la pertinence et la nouveauté, lesquels avaient ensuite été endossés dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au par. 64.

[11]  La SAR a estimé que les seize nouveaux éléments de preuve, composés pour la plupart d’articles de presse concernant Hyderabad et le TTP, étaient accessibles avant la décision de la SPR. Elle a néanmoins décidé d’admettre la nouvelle preuve suivant le par. 110(4), car les demandeurs n’auraient pas pu anticiper l’emplacement précis de la PRI avant l’audience de la SPR, et cette question était clairement une composante centrale de l’appel.

[12]  Cependant, la SAR a refusé de tenir une nouvelle audience en application du par. 110(6) de la LIPR sur la base de ces nouveaux éléments de preuve, car selon elle, ils ne soulevaient pas de question sérieuse à l’égard de la crédibilité des demandeurs, et n’étaient pas non plus déterminants au regard de la demande d’asile. Après avoir examiné les articles de presse, la SAR a conclu qu’un très petit nombre d’entre eux étaient pertinents en ce qui touchait la capacité du TTP à retrouver et à cibler les demandeurs à Hyderabad : les articles en question portaient en effet surtout sur des attaques non ciblées et des événements survenus en 2013 et en 2014. La SAR a estimé que les deux articles traitant directement de menaces et d’attaques ciblées lancées par le TTP à Hyderabad n’étaient pas suffisamment convaincants pour appuyer la position des demandeurs, car dans les cas signalés, le TTP avait ciblé des personnes plus en vue, comme un candidat politique et le chef d’une prison où des prisonniers talibans étaient détenus.

[13]  S’agissant du fond de l’appel, la SAR a appliqué le critère en deux volets énoncé dans Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, 140 NR 138 (CAF) [Rasaratnam] pour évaluer la PRI proposée par la SPR. Ayant estimé qu’il était improbable que les demandeurs soient persécutés ou personnellement soumis à un risque substantiel de mort ou de peines cruelles et inusitées à Hyderabad, et qu’il était raisonnable dans les circonstances qu’ils cherchent refuge dans cette ville, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs en concluant qu’Hyderabad offrait une PRI raisonnable.

[14]  S’agissant du premier volet du critère Rasaratnam, la SAR a justifié sa conclusion que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque de persécution ou à un risque personnel à Hyderabad en citant : (1) la capacité et la portée géographique du TTP; (2) le profil des demandeurs; et (3) la taille d’Hyderabad.

[15]  En fait, la SAR a estimé que la preuve n’établissait pas que le TTP était susceptible d’être informé du retour des demandeurs au Pakistan, de leur déménagement à Hyderabad, ou de l’endroit où ils se trouvaient dans cette ville. La SAR a noté que le TTP ne fonctionnait pas comme une organisation intégrée et unifiée et que ses antécédents d’activités à Hyderabad étaient limités, comparativement à la région anciennement désignée comme les Zones tribales sous administration fédérale [FATA], situées près de la ville natale des demandeurs, à près de 1 200 km d’Hyderabad.

[16]  De plus, la SAR a estimé que le TTP ne menait pas souvent des attaques personnellement ciblées à Hyderabad et que lorsqu’elles survenaient, ces attaques visaient des personnes en vue, et non des individus dont le profil ressemble à celui des demandeurs. Comme ces derniers ne sont pas politiquement actifs et compte tenu du nombre limité d’incidents survenus à Hyderabad, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas le profil d’individus ciblés dans le passé par le TTP, si bien qu’il était improbable qu’ils soient exposés, dans cette ville, à un risque personnel à cause du TTP.

[17]  La SAR a également cité de nombreux rapports provenant des gouvernements canadien, britannique et australien ainsi que du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés pour étayer la conclusion selon laquelle Hyderabad est une PRI raisonnable pour les demandeurs. Elle a ainsi noté, le long des motifs mentionnés précédemment, qu’Hyderabad est un « grand centre urbain » qui assurera aux demandeurs un certain « degré d’anonymat ».

[18]  La SAR a également explicitement noté qu’elle s’était demandé si les demandeurs seraient incapables, en raison de leur déménagement à Hyderabad, de contacter les membres de leurs familles au Pakistan par crainte que le TTP apprenne où ils se trouvaient. Elle a toutefois estimé qu’il était « raisonnable de s’attendre à ce que les membres de la famille de l’appelant fassent preuve de discrétion dans toute discussion concernant l’emplacement des appelants », et que M. Ali n’avait pas eu de contact avec le TTP depuis février 2017.

[19]  Pour ce qui est du second volet du critère Rasaratnam, la SAR a fait remarquer qu’aucun obstacle sérieux d’ordre social, économique ou autre ne rendait déraisonnable le déménagement des demandeurs à Hyderabad, selon la prépondérance des probabilités. Elle est parvenue à cette conclusion en appliquant le critère énoncé dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, 163 NR 232, lequel permet de déterminer le caractère raisonnable d’une PRI et, comme elle le fait remarquer, fixe un seuil très strict pour établir qu’une PRI est déraisonnable.

[20]  En particulier, la SAR a conclu que le multilinguisme des demandeurs, leurs années d’étude, leur expérience professionnelle à l’étranger, ainsi que les voyages internationaux de M. Ali et les connaissances qu’avait Mme Khan de la région de Sindh rendaient leur déménagement à Hyderabad raisonnable.

IV.  LES QUESTIONS À TRANCHER

[21]  Les questions à trancher en l’espèce sont uniquement de savoir si la décision de la SAR concernant l’existence d’une PRI viable à Hyderabad était déraisonnable. En particulier :

  1. Était‑il déraisonnable que la SAR conclue que les demandeurs étaient peu susceptibles d’être personnellement ciblés par le TTP à Hyderabad en raison de leur profil?

  2. Était‑il déraisonnable que la SAR conclue que le TTP n’avait ni la capacité ni la portée géographique nécessaires pour retrouver les demandeurs à Hyderabad?

  3. La décision oblige‑t‑elle de manière déraisonnable les demandeurs à entrer dans la clandestinité?

  4. Était‑il déraisonnable que la SAR conclue que les demandeurs pouvaient déménager à Hyderabad?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[22]  La présente affaire a été débattue avant que la Cour suprême du Canada ne rende les arrêts récents Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Le jugement de la Cour a été pris en délibéré. Les observations des parties quant à la norme de contrôle s’inspiraient donc du cadre de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Cependant, compte tenu des circonstances de la présente affaire et des instructions formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au par. 144, notre Cour a estimé qu’il n’était pas nécessaire de réclamer aux parties des observations additionnelles au sujet de la norme de contrôle. J’ai appliqué le cadre Vavilov à mon examen de la demande et cet arrêt n’a pas pour effet de modifier les normes de contrôle applicables ou mes conclusions en l’espèce.

[23]  Aux paragraphes 23 à 32 de l’arrêt Vavilov, la majorité s’est efforcée de simplifier la démarche que doit entreprendre une cour de justice pour sélectionner la norme de contrôle applicable aux questions dont elle est saisie. La majorité a éliminé l’approche contextuelle et catégorielle adoptée dans l’arrêt Dunsmuir à la faveur d’une présomption de contrôle selon la norme du caractère raisonnable. Cependant, la majorité a fait remarquer que cette présomption peut être écartée (1) lorsque le législateur prescrit clairement une autre norme de contrôle (Vavilov, aux par. 33 à 52) et (2) lorsque la règle de droit exige l’application de la norme de la décision correcte, comme à l’égard des questions constitutionnelles, des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et des questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).

[24]  Les parties étaient d’accord pour dire que la norme de contrôle applicable en l’espèce était celle du caractère raisonnable.

[25]  Rien ne permet de réfuter la présomption de contrôle selon la norme du caractère raisonnable en l’espèce, laquelle concorde également avec la jurisprudence de la Cour suprême du Canada antérieure à l’arrêt Vavilov. Voir, par exemple, Tagne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 273 qui résumait l’état du droit sur cette question avant l’arrêt Vavilov et où la Cour faisait remarquer au par. 19 :

[19]  Il est bien établi que l’évaluation d’une PRI par un décideur concerne des questions mixtes de fait et de droit et qu’elle est susceptible de contrôle par la Cour suivant la norme de la décision raisonnable (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 719, aux paragraphes 8 à 10; Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521, au paragraphe 13; Kamburona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1052, au paragraphe 18). Ainsi, l’évaluation par la SAR d’une PRI à Yaoundé pour la demanderesse commande la déférence (Figueroa, au paragraphe 13). Dans l’affaire Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1017, au paragraphe 14, le juge Boswell a expliqué la raison derrière la déférence de la Cour :

[14] […] En outre, comme la Cour l’a noté dans Lebedeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1165 au paragraphe 32, [2011] ACF no 1439, les décisions concernant une PRI « appellent la retenue de la Cour parce qu’elles concernent non seulement l’évaluation des circonstances propres au demandeur, circonstances relatées par son témoignage, mais également une compréhension intime de la situation qui règne dans le pays concerné. »

[26]  Au moment de contrôler une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse consistera à déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). La norme du caractère raisonnable est une norme unique qui varie et « s’adapte au contexte » (Vavilov, au par. 89 citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, au par. 90). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision : « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada énumère deux types de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement; et (2) le caractère indéfendable d’une décision « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur [elle] » (Vavilov, au par. 101).

VI.  LS DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[27]  Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes à l’égard de la présente demande de contrôle judiciaire :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays ;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture ;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

Appeal to Refugee Appeal Division

Fonctionnement

Procedure

110 (3) Sous réserve des paragraphes (3,1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

110 (3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Audience

Hearing

110 (6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

110 (6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause ;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile ;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

VII.  LES ARGUMENTS DES PARTIES

A.  Les demandeurs

[28]  Les demandeurs font valoir que la décision est déraisonnable pour les motifs suivants :

  1. l’analyse de leur profil effectuée par la SAR est conjecturale;

  2. la SAR a omis de considérer des renseignements essentiels concernant la capacité du TTP et sa présence à Hyderabad;

  3. en somme, la décision les oblige à entrer dans la clandestinité;

  4. la SAR a omis d’examiner les obstacles à l’intégration et les risques en matière de sécurité auxquels ils seront confrontés à Hyderabad.

[29]  S’agissant de l’analyse de leur profil, les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte du fait qu’ils ont déjà attiré l’attention du TTP. Ce groupe leur a transmis plusieurs avertissements explicites pour leur faire savoir qu’il leur ferait du mal et nuirait à leur famille s’ils retournaient au Pakistan. La SAR a décidé de manière déraisonnable d’ignorer ce fait et a mené sa propre analyse conjecturale de l’intention du TTP.

[30]  Les demandeurs font remarquer que rien n’indique que le TTP ne souhaite plus les prendre pour cible, qu’il n’a pas l’intention de donner suite à ses menaces ou qu’il ne croit plus que les demandeurs appuient une [traduction] « guerre contre l’Islam ». À ce titre, il est déraisonnable dans les circonstances de conclure que les demandeurs ne seraient probablement pas ciblés par le TTP s’ils retournaient au Pakistan simplement parce que leur profil ne correspond pas parfaitement à celui décrit dans le cartable national de documentation.

[31]  Les demandeurs s’appuient sur la décision Qaddafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 629 [Qaddafi] pour faire valoir que l’analyse de leur profil effectuée par la SAR était déraisonnable. Dans Qaddafi, la Cour a estimé qu’il était déraisonnable que la SAR suppose que le demandeur ne serait plus ciblé parce qu’il avait cessé de travailler pour les Nations Unies. Les menaces qu’il avait reçues étaient claires, et rien ne donnait à penser que l’agent de persécution n’avait pas l’intention d’y donner suite sous prétexte que le demandeur n’avait pas un profil suffisamment visible. En fait, la Cour a noté que « [s]on profil en faisait de toute évidence une cible de menaces » (Qaddafi, au par. 76).

[32]  Les demandeurs citent également Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 715 dans laquelle la Cour résume une ordonnance précédente par laquelle la juge Kane avait conclu que l’évaluation du risque auquel les demandeurs étaient exposés dans la PRI proposée était conjecturale. La Cour a estimé qu’il était déraisonnable que la SPR décide que les demandeurs n’étaient plus des cibles actives alors qu’elle avait reconnu en même temps qu’ils avaient spécifiquement été ciblés par l’agent de persécution. En fait, la Cour cite la conclusion de la juge Kane au par. 7, faisant remarquer que « [l]’hypothèse décrivant la manière dont les Zetas [(l’agent de persécution dans cette affaire)] agiraient à l’endroit des demandeurs est illogique et déraisonnable » compte tenu des menaces explicites qui avaient été proférées contre eux.

[33]  Les demandeurs soutiennent également que la SAR ne s’est pas appuyée sur la preuve la plus récente dont elle disposait lorsqu’elle a déterminé que le TTP n’avait pas « la capacité opérationnelle ou la portée géographique nécessaires » pour les retrouver et les prendre pour cible à Hyderabad. En fait, les demandeurs soutiennent que la SAR a ignoré un article critique publié par le Daily Beast, trois ans après le rapport invoqué, et qui documente l’intention des talibans d’opérer une unification au Pakistan et en Afghanistan. Ils ajoutent que la SAR a également commis une erreur lorsqu’elle a examiné un article concernant l’assassinat par le TTP d’un candidat politique à Hyderabad, et un autre qui décrit en détail les menaces proférées par le TTP contre le superintendant d’une prison à Hyderabad. Les demandeurs ne demandent pas à notre Cour de pondérer à nouveau la preuve; il est bien établi en droit que l’omission par le décideur d’analyser une preuve critique qui contredit ses conclusions est déraisonnable (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, au par. 17, ACF no 1425 [Cepeda‑Gutierrez]).

[34]  De plus, les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable, car elle les oblige en fait à dissimuler à leur propre famille où ils se trouvent pour ne pas alerter le TTP de leur présence au Pakistan. D’après eux, cela est dû au fait que leur famille vit près du TTP et [traduction] « qu’il peut raisonnablement être inféré que [ce groupe] pourrait menacer [leur] famille pour qu’elle leur révèle où ils se trouvent ». Les demandeurs citent à l’appui de leur position la décision Zamora Huerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 586 [Zamora Huerta], dans laquelle la Cour a conclu que le fait de placer des demandeurs dans une situation où ils ne peuvent révéler à leur famille ou à leurs amis l’endroit où ils vivent revient à les obliger à entrer dans la clandestinité, et est donc déraisonnable.

[35]  Enfin, les demandeurs soutiennent qu’il leur serait impossible, en raison de leur accent pachto et de leurs enfants canadiens, qui parlent anglais et ont un accent occidental, de [traduction] « se fondre dans la masse » à Hyderabad, ce qui les rendrait visibles pour le TTP. Toujours d’après eux, la preuve en l’espèce établit clairement que la situation sécuritaire à Hyderabad est instable et que plusieurs attentats suicides et attaques terroristes ont été commis. À ce titre, ils affirment qu’Hyderabad ne constitue pas dans leur cas une PRI raisonnable.

B.  Le défendeur

[36]  Le défendeur soutient que les conclusions de la SAR portant qu’il existe une PRI à Hyderabad appartiennent aux issues acceptables auxquelles il était possible de parvenir après une analyse exhaustive et adéquate du droit et des faits de la présente affaire. En particulier, le défendeur évoque le [traduction] « lourd fardeau » dont doivent s’acquitter les demandeurs d’établir que la PRI proposée est déraisonnable, ajoutant que leur argument [traduction] « revient simplement à inviter la Cour à pondérer de nouveau la preuve ».

[37]  Le défendeur cite les décisions rendues par notre Cour dans Enhodor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1143, au par. 10 et dans Pidhorna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1, aux par. 39 à 42, et laisse entendre que la seconde fournit un excellent aperçu de l’état du droit sur cette question :

[39]  En matière de possibilité de refuge intérieur, le critère est bien établi. Le demandeur a la lourde charge de démontrer que la PRI qu’on lui propose est déraisonnable (Ranganathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2001] 2 CF 164, [2000] ACF no 2118 (CAF)).

[40]  Le critère à deux volets applicable en matière de PRI a été établi par le jugement Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 RCF 589, [1993] ACF no 1172 (QL) (CAF) [Thirunavukkarasu]. Selon ce critère : (1) la Cour doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans le lieu de refuge en question et que (2) compte tenu de toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, la situation y est telle qu’il ne serait pas, pour les demandeurs, déraisonnable d’y chercher refuge.

[41]  Ainsi que le précise l’arrêt Thirunavukkarasu :

[14]  La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l’autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S’il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu’ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu’il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu’ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s’offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S’il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d’être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n’est pas un réfugié.

[42]  Dans Argote et autres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 128, au paragraphe 12, [2009] ACF no 153 (QL), ), la Cour a précisé que c’est au demandeur d’établir, selon des éléments objectifs, qu’il serait déraisonnable d’aller se réfugier dans le lieu proposé :

[…] La question de savoir si un déménagement où il y a une PRI est déraisonnable fait appel à un critère objectif, et il incombe aux demanderesses d’établir par des éléments de preuve objectifs que le déménagement où il y a une PRI est déraisonnable. Il n’appartient pas à la Commission de prouver le caractère raisonnable, comme le laissent entendre les demanderesses.

[38]  En l’espèce, le défendeur soutient qu’après avoir considéré l’ensemble des observations et de la preuve, la SAR est parvenue à une conclusion raisonnable selon laquelle les demandeurs n’ont pas établi que le TTP à Mardan possédait la capacité organisationnelle et la portée géographique nécessaires pour savoir qu’ils déménageraient à Hyderabad et les prendre pour cible dans cette ville.

[39]  De plus, le défendeur conteste que la décision oblige les demandeurs à dissimuler à leur famille où ils vivent. Il établit une distinction entre la présente affaire et Zamora Huerta, attendu que Mme Zamora avait été ciblée et retrouvée par un agent de l’État plutôt que par des acteurs non étatiques, comme c’est le cas des demandeurs.

[40]  Enfin, le défendeur fait valoir que les demandeurs réclament simplement une nouvelle pondération de la preuve par notre Cour. Il souligne que leurs arguments reposent principalement sur l’attribution d’un plus grand poids à certains articles de journaux plutôt qu’au contenu du cartable national de documentation pour le Pakistan. Il ajoute que la SAR jouit du pouvoir discrétionnaire d’évaluer et de pondérer la preuve au dossier avant de parvenir à une décision, et que cette décision ne doit pas être modifiée si elle fait partie des issues acceptables; il cite Petrova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 506, aux par. 55 et 56 à l’appui de ce principe.

VIII.  ANALYSE

[41]  S’agissant du premier volet du critère relatif à la PRI énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Rasaratnam, l’essentiel de la décision de la SAR se trouve dans les paragraphes suivants :

[35]  La SAR conclut que les éléments de preuve confirment le risque pour les personnes, en particulier pour celles qui sont bien en vue, pendant la période visée par les articles. Après avoir examiné tous les éléments de preuve documentaire à sa disposition, la SAR conclut qu’il n’y a aucun élément de preuve convaincant montrant que les talibans ont mené des activités visant à prendre pour cible des personnes ayant un profil semblable à celui des appelants.

[36]  La SAR conclut en outre que ces éléments de preuve n’indiquent pas que les talibans ont visé des personnes en particulier ayant un profil comme celui des appelants, et qu’ils ne confirment pas non plus que les talibans ont la volonté ou la capacité de chercher les appelants à l’extérieur de leur village dans la région de Mardan de la province de Khyber Pakhtunkhwa.

[37]  La SAR a examiné les observations des appelants et les éléments de preuve documentaire à sa disposition et conclut que, même s’il se peut que le père de l’appelant principal ait été pris pour cible par des personnes de son village d’origine qui sont membres du TTP, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que ces personnes ont la capacité opérationnelle ou la portée géographique nécessaire pour savoir que les appelants sont de retour au Pakistan dès leur arrivée à un point d’entrée normal dans le pays, ou pour suivre les déplacements des appelants au Pakistan.

[38]  La SAR a déjà discuté du fait que la preuve documentaire n’appuie pas l’idée que le TTP a cette capacité au Pakistan. La SAR souscrit aux conclusions de la SPR en l’espèce. Par conséquent, la SAR conclut que le problème auquel sont exposés les appelants est limité et de nature locale. La SAR conclut que l’argument des appelants doit être rejeté.

[42]  La SAR s’appuie notamment sur un rapport du Home Office britannique qui précise en particulier que « les Pakistanais ordinaires, y compris les étudiants et ceux qui sont perçus comme s’opposant aux talibans et à d’autres groupes militants ou comme ne respectant pas la charia, ont également été victimes de violence perpétrée par ces groupes » (non souligné dans l’original). La preuve établit donc clairement que ceux qui ont besoin de protection n’ont pas à faire partie d’un groupe de [TRADUCTION] « cibles principales ».

[43]  Les demandeurs ont clairement établi qu’ils ont été pris pour cible et menacés par le TTP. La SAR affirme que le père de M. Ali a été ciblé dans son village natal, mais en fait, ce sont les demandeurs qui constituaient la cible principale et le père n’est rien de plus qu’un intermédiaire pour le moment, quoi qu’il subirait des dommages si le TTP était informé du retour des demandeurs. La preuve établit clairement que les demandeurs ont déjà été pris pour cible et menacés de mort en cas de retour au Pakistan. Le fait qu’ils ne présentent pas un profil de cible principale est dépourvu de pertinence.

[44]  Par conséquent, la question de savoir si la décision doit subsister ou être annulée repose sur la conclusion de la SAR selon laquelle la preuve ne permet pas de confirmer que « les talibans ont la volonté ou la capacité de chercher les appelants à l’extérieur de leur village dans la région de Mardan de la province de Khyber Pakhtunkhwa » et sur sa détermination suivante :

[…] il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que ces personnes ont la capacité opérationnelle ou la portée géographique nécessaire pour savoir que les appelants sont de retour au Pakistan dès leur arrivée à un point d’entrée normal dans le pays, ou pour suivre les déplacements des appelants au Pakistan.

[45]  La question de savoir si le TTP a la « volonté » de rechercher les demandeurs au‑delà de la région de Mardan n’est pas sans rapport avec l’erreur d’appréciation du profil des demandeurs de la SAR. Le TTP a montré qu’il était plus que disposé à menacer les demandeurs au Canada et à les avertir qu’ils risquaient la mort s’ils revenaient n’importe où au Pakistan. La SAR ne remet pas en cause la preuve attestant que le profil des demandeurs comporte à présent un aspect politique et religieux et que le TTP les considère comme des partisans d’une puissance occidentale en guerre contre l’Islam.

[46]  La question n’est pas de savoir si le TTP sera informé du retour des demandeurs au Pakistan « à leur arrivée à un point d’entrée normal […] ». Il s’agit plutôt de déterminer s’il est probable que le TTP soit informé de leur retour au Pakistan et de leur présence à Hyderabad et qu’il ait la volonté ou les ressources de les rechercher dans cette grande ville pour leur faire du mal.

[47]  La SAR résume, sur cette question cruciale, son opinion de la preuve et tire les conclusions suivantes au par. 25 :

  Les éléments de preuve dont disposent la SPR et la SAR établissent que le TTP au Pakistan ne mène pas ses activités comme une organisation unifiée et intégrée au sein d’une seule structure hiérarchique;

  La preuve documentaire qui indique que le TTP est présent à Hyderabad;

  La preuve que les talibans ont perpétré des attaques contre des acteurs étatiques et des membres de minorités religieuses ou d’autres personnes qui, selon eux, s’opposeraient à leurs objectifs, attaques qui ont eu lieu principalement dans la région auparavant connue sous le nom de Zones tribales sous administration fédérale (FATA), près de la maison des appelants dans la région de Peshawar, et dans d’autres régions situées loin des lieux proposés comme PRI;

  L’endroit proposé comme PRI, Hyderabad (une ville comptant plus de trois millions d’habitants), est considéré comme un [traduction] « grand centre urbain » qui assurerait un certain [traduction] « degré d’anonymat », comme l’indique le document du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni;

  Compte tenu de la taille géographique du Pakistan, du grand nombre de points d’entrée dans le pays et de la grande population d’Hyderabad, il faudrait une entité extrêmement bien coordonnée, réseautée et organisée pour s’en prendre aux appelants à Hyderabad. La preuve documentaire n’appuie pas l’idée que le TTP possède cette capacité organisationnelle.

[Renvois omis.]

[48]  Les demandeurs craignent évidemment que le TTP apprenne leur présence à Hyderabad par l’intermédiaire des membres de leur famille. La SAR s’est ainsi penchée sur cette préoccupation au par. 26 :

La SAR a examiné l’argument des appelants selon lequel les appelants seraient incapables de communiquer avec les membres de leur famille s’ils retournaient au Pakistan. La SAR signale que les appelants ont clairement déclaré que, lorsqu’ils prévoyaient à l’origine de retourner dans leur village au Pakistan, le père de l’appelant principal avait informé tout le monde dans le village de leur retour. Le père de l’appelant a dit qu’il [traduction] « a dit à tout le monde qu’il y aura une célébration avec des chants et des fêtes parce que c’est la première fois que mes petits‑enfants viennent, et il y aura des célébrations ». La SAR conclut qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que les membres de la famille de l’appelant fassent preuve de discrétion dans toute discussion concernant l’emplacement des appelants. La SAR souligne en outre que l’appelant principal a déclaré que la dernière communication que son père a eue avec des membres du TTP dans son village remonte à février 2017. Aucun autre élément de preuve n’a été présenté pour indiquer que le TTP local manifeste un intérêt continu à l’égard des appelants.

[49]  La conclusion formulée ici consiste à dire qu’il est peu probable que le père de M. Ali et les autres membres de leur famille révèlent à quiconque que les demandeurs se sont installés à Hyderabad. Cela soulève la question de savoir comment les membres de la famille réagiront si le TTP leur demande directement où se trouvent les demandeurs. À mon avis, il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce que les parents en question mettent leur propre vie en danger en niant savoir où se trouvent les demandeurs ou en induisant délibérément le TTP en erreur. Sur cette question, la SAR affirme principalement qu’« [a]ucun autre élément de preuve n’a été présenté pour indiquer que le TTP local manifeste un intérêt continu à l’égard des appelants ». Il incombe effectivement aux demandeurs de démontrer, selon la prépondérance des probabilités et conformément à l’arrêt Rasaratnam, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés par le TTP à Hyderabad. Cependant, aucun élément de preuve n’établit que le TTP ne s’intéresse plus à eux et qu’il n’a plus l’intention de leur nuire si l’opportunité se présentait. Le TTP a clairement indiqué que les demandeurs seraient assassinés s’ils retournaient au Pakistan.

[50]  Compte tenu des dangers liés à la connaissance de leur lieu de séjour, voire à leur retour au Pakistan, les demandeurs seraient contraints de renoncer à voir leur famille et leurs amis et de cesser toute communication. Cette exigence n’est pas raisonnable et ne peut donc servir de prétexte à écarter le risque au titre du premier volet du critère. Notre Cour faisait remarquer dans Zamora Huerta, au par. 29 :

Devoir dissimuler l’endroit où elle se trouve à sa famille et à ses amis revient à exiger de la demanderesse qu’elle se tienne cachée. Il est également reconnu de manière implicite que, même dans ces grandes villes, la demanderesse n’est pas hors de la portée de son ex‑conjoint de fait. Dans ces circonstances particulières, il ne peut exister une PRI pour la demanderesse. La conclusion de la Commission selon laquelle il existe une PRI n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit dans les circonstances. Ainsi, la décision relative à l’existence d’une PRI est déraisonnable et doit être annulée.

[51]  Il faut également garder à l’esprit que les demandeurs vivent et travaillent au Canada depuis 2009, et qu’ils ont des enfants canadiens qui ne peuvent pas être cachés à Hyderabad. Ils ne peuvent donc pas être qualifiés de Pakistanais ordinaires. Leurs liens avec le Canada sont appelés à être révélés, du moins à l’échelle locale.

[52]  Comme le TTP sait parfaitement que les demandeurs se trouvent au Canada, il n’est pas surprenant qu’il ne soit pas de nouveau allé voir les membres de la famille au Pakistan pour savoir où ils se trouvent depuis 2017. Rien ne permet de conclure que le TTP ne s’intéresse plus à eux ou qu’il est peu susceptible d’approcher de nouveau la famille pour obtenir davantage d’informations sur l’endroit où ils se trouvent. Exiger sur ce point de nouveaux éléments de preuve qui soient postérieurs au séjour de 2017 revient à perdre de vue les raisons des menaces du TTP à l’encontre des demandeurs et le fait que ce groupe sait désormais où ils se trouvent. Le TTP a averti les demandeurs qu’ils ne devaient pas revenir au Pakistan – pas seulement dans leur district natal. La preuve indique clairement que le TTP les considère comme des ennemis parce qu’ils résident au Canada, que leurs enfants sont nés au Canada, et qu’ils payent des impôts au Canada. Le témoignage de M. Ali selon lequel le TTP les considère comme des Canadiens qui soutiennent une guerre contre l’Islam a été accepté. Il est déraisonnable de la part de la SAR de laisser entendre qu’aucune preuve ne confirme que « le TTP local manifeste un intérêt continu à l’égard des appelants ».

[53]  Une fois ces facteurs pris en compte, les autres éléments qui fondent la décision sont qu’« il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que ces personnes ont la capacité opérationnelle ou la portée géographique nécessaires pour savoir que les appelants sont de retour au Pakistan dès leur arrivée à un point d’entrée normal dans le pays, ou pour suivre les déplacements des appelants au Pakistan », et « qu’il y a peu d’éléments de preuve convaincants à l’appui de leur argument selon lequel le TTP (l’agent de persécution) maintient une présence active à Hyderabad ou qu’il a un intérêt ou la capacité de trouver les appelants dans le lieu désigné comme PRI ». Le SPR a tiré la conclusion suivante qui semble avoir été endossée par la SAR :

[traduction]
Dans l’ensemble, le profil des demandeurs d’asile ne les rattache pas aux groupes susceptibles d’être pris pour cible dans tout le pays. Les talibans sont divisés et différents groupes contrôlent différentes régions. Il est peu probable que le groupe qui contrôle Mardan sache que le demandeur d’asile est revenu au Pakistan, suive ses déplacements dans tout le pays, coordonne ses efforts avec d’autres groupes associés aux talibans, ou avec des membres à Hyderabad, ou donne suite à une attaque dans une région telle qu’Hyderabad où il n’exerce aucun contrôle et où la preuve attestant des attaques terroristes et des violences probables est insuffisante. Compte tenu de tout cela, les demandeurs d’asile ne sont exposés à aucune possibilité sérieuse de persécution ni à un risque probable de préjudice à Hyderabad.

[54]  Comme je l’ai déjà fait remarquer, la question est de savoir si le TTP a les ressources nécessaires pour découvrir que les demandeurs vivent à Hyderabad. Si ces derniers retournent dans cette ville, le TTP pourrait découvrir où ils se trouvent de la même manière qu’il a découvert qu’ils vivaient au Canada.

[55]  Les demandeurs sont à présent identifiés par le TTP comme des ennemis de l’Islam qui ont apporté leur assistance à une puissance étrangère. Ils se sont aussi spécifiquement fait dire que s’ils retournaient au Pakistan, ils seraient assassinés. Compte tenu de la précision de cette menace, rien ne confirme la conclusion portant que le TTP est peu susceptible de les prendre pour cible s’ils retournaient au Pakistan. La SAR s’est livrée à des conjectures. Elle ne disposait d’aucune preuve établissant que le TTP ne s’intéressait plus aux demandeurs ou qu’il n’avait pas l’intention de donner suite à ses menaces si ces derniers retournaient au Pakistan. Le profil des demandeurs, décrits par exemple comme des partisans de la guerre contre l’Islam, a plutôt suffi pour que le TTP les prenne pour cible en premier lieu, et cela n’a pas changé.

[56]  Lorsqu’elle a estimé que le TTP n’aurait ni la capacité opérationnelle ni la portée géographique nécessaires pour retrouver ou poursuivre les demandeurs à Hyderabad parce que ce groupe ne fonctionne pas comme une organisation unifiée, intégrée et dotée d’une structure hiérarchique isolée, la SAR n’a pas tenu compte de la preuve qui dément cette conclusion. Voir Cepeda‑Gutierrez, aux par. 14 à 17. Un article paru dans le Daily Beast et intitulé « The Blood‑Drenched Return of Pakistan’s Taliban » [Le retour sanglant des talibans du Pakistan], publié trois ans après la réponse à la demande d’information de 2014 invoquée par la SAR, rapporte ce qui suit :

[traduction
Muhammad Khorasni, un porte‑parole des militants du TTP, a fait savoir par courriel la semaine dernière que tous les groupes talibans scindés étaient en train de se réunir et avaient nommé un nouveau chef adjoint de l’organisation, de manière à fédérer les anciennes factions séparées.

Une autre source proche du TTP a déclaré au Daily Beast que l’organisation avait été mise en déroute après les offensives gouvernementales qui ont commencé en 2014, mais que son idéologie et sa détermination étaient restées intactes et qu’elle avait pu se reconstruire.

« Vos médias occidentaux ont prédit que le régime des talibans en Afghanistan s’effondrerait, mais les talibans se sont regroupés et réorganisés. C’est exactement ce que le TTP fait depuis les opérations menées par l’armée pakistanaise. Le groupe a repris du poil de la bête, s’est réorganisé et prendra sa revanche ».

« Les dirigeants du TTP se sont réunis le 20 janvier près de la frontière Af/Pak », a déclaré cette source. « Tous les groupes se sont mis d’accord sur le principe de combiner les attaques en Afghanistan et au Pakistan ».

[57]  Dans son ensemble, la preuve atteste l’évolution du TTP de 2014 à 2017. La situation de ce groupe en 2014 était clairement différente de celle en 2017. Le rapport invoqué par la SAR décrit explicitement le TTP comme étant indiscipliné, confronté alors à son plus grand schisme et précise qu’il n’était pas une force de combat unifiée. Cependant, l’article du Daily Beast explique aussi que le TTP était en déroute en 2014 (comme l’indique le rapport sur lequel s’appuie la SAR), mais il relate en détail les efforts de reconstruction qu’il a déployés les années suivantes, ses activités croissantes en dehors de sa région traditionnelle, et l’unification de ses factions sous un commandement commun. Cette preuve a été ignorée par la SAR.

[58]  La SAR était au moins tenue de considérer et de mentionner cette preuve et d’expliquer pourquoi elle l’a écartée lorsqu’elle a tiré ses conclusions concernant la portée opérationnelle et la capacité du TTP au Pakistan. De plus, les erreurs de la SAR concernant le profil des demandeurs ne peuvent être séparées de l’enjeu des motivations qui pousseraient le TTP à les poursuivre. Il ne s’agit pas de gens ordinaires qui n’ont pas été pris pour cible et qui sont peu susceptibles de l’être. Ils ont déjà été ciblés d’une manière précise et sont identifiés comme des ennemis de l’Islam qui doivent être assassinés. Cela a nécessairement pour effet de renforcer la motivation du TTP à les poursuivre et à leur nuire. La SAR n’aborde pas ce facteur dans sa décision parce qu’elle conclut erronément que les demandeurs sont dans la même situation que des Pakistanais ordinaires auxquels le TTP ne s’intéresse pas.

[59]  Le défendeur affirme que la SAR n’a pas considéré de rapports antérieurs à l’article du Daily Beast. Cependant, la réponse à la demande d’information particulière contenue dans le cartable national de documentation, invoquée par la SAR pour conclure que le TTP ne fonctionnait pas comme une organisation intégrée et unifiée, a été rédigée en juillet 2014. L’article du Daily Beast aurait dû amener la SAR à se demander si les renseignements concernant le manque d’unification et d’intégration sur lesquels elle s’était appuyée étaient encore valides. Après tout, la sécurité des demandeurs en dépendait. La SAR disposait d’une preuve claire donnant à penser que les conditions avaient changé et que ses conclusions concernant la portée du TTP étaient dépassées et inexactes. Aucune mention n’est faite de l’article du Daily Beast. Cet article n’avait pas à être accepté, mais il devait être abordé et pondéré par rapport aux autres renseignements concernant la portée du TTP au Pakistan. Il ne s’agit pas d’une question de pondération. La SAR semble plutôt avoir ignoré une preuve qui contredit ses propres conclusions. Conformément aux principes énoncés dans Cepeda‑Gutierrez, aux par. 14 à 17, il s’agissait d’une erreur susceptible de contrôle qui nécessite le renvoi de l’affaire pour réexamen.

[60]  Je conclus que la SAR n’a pas raisonnablement traité le premier volet du critère Rasaratnam en l’espèce. Par conséquent, il ne sert à rien d’aborder le second volet. La présente affaire doit être réexaminée par un tribunal de la SAR différemment constitué.

[61]  Les avocats conviennent avec la Cour qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6570-18

LA COUR STATUE que :

  1. Il est fait droit à la demande et la décision est annulée. L’affaire sera renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20ejour de mars 2020.

Semra Denise Omer, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6570-18

 

INTITULÉ :

IRFAN ALI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 octobre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 22 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Camille N. Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

pour le défendeur

 

 

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