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Date : 20200130


Dossier : IMM‑1949‑19

Référence : 2020 CF 172

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Russel

ENTRE :

OSMAN ALI ABDI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SAR], rendue le 1er mars 2019 [la décision], rejetant l’appel du demandeur interjeté à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR], par laquelle celle‑ci a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié et de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.  CONTEXTE

[2]  Le demandeur allègue être citoyen de la Somalie. Il affirme être né à Mogadiscio et avoir grandi à Mugambo, un village de la région du Bas‑Djouba en Somalie. Le demandeur affirme qu’il est musulman sunnite et membre du sous‑clan Sure. Il fonde sa demande d’asile sur sa crainte d’être persécuté et de subir des préjudices aux mains d’Al‑Shabaab.

[3]  Le demandeur soutient qu’en 2007, son enseignant a été remplacé par un membre extrémiste d’Al‑Shabaab qui a commencé à enseigner et à promouvoir le djihad violent. En réaction, le père du demandeur l’a sorti de l’école. Toutefois, le demandeur soutient qu’Al‑Shabaab a par la suite envoyé une lettre à son père menaçant de le tuer ainsi que sa famille si le demandeur et son frère ne retournaient pas à l’école. Le demandeur affirme que la réaction de son père a été de l’envoyer au Kenya pour sa propre sécurité.

[4]  En 2011, le demandeur allègue avoir quitté le Kenya pour l’Afrique du Sud et prétend y avoir obtenu le statut de réfugié. Toutefois, le demandeur soutient qu’il a été forcé de fuir l’Afrique du Sud en raison d’attaques contre son atelier.

[5]  Le demandeur est arrivé aux États‑Unis en janvier 2016, où il a présenté une demande d’asile. Toutefois, en novembre 2016, le demandeur a franchi la frontière pour entrer au Canada et a présenté une demande d’asile. Le demandeur soutient qu’il a choisi d’abandonner sa demande d’asile aux États‑Unis parce qu’il craignait d’être expulsé.

[6]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur le 1er novembre 2017. Essentiellement, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir son identité selon la prépondérance des probabilités. Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]  Le 1er mars 2019, la SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision de la SPR et a conclu, à la suite d’une évaluation indépendante de la preuve dont elle disposait, que le demandeur n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas un réfugié ou une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

A.  Nouveaux éléments de preuve et demande d’audience

[8]  Avant d’évaluer le bien‑fondé de l’appel, la SAR a d’abord examiné si les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur étaient admissibles conformément aux critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR. À la suite de cette analyse, la SAR a évalué s’il convenait de tenir une nouvelle audience, conformément au pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 110(6) de la LIPR.

[9]  La SAR a conclu que l’affidavit de Mme Amiira Yossuf Barre, la demande de parrainage de M. Abdirisak Muse Hassan et une photographie montrant M. Abdirisak Muse Hassan et le demandeur ensemble étaient tous admissibles en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR. En effet, la SAR a jugé ces éléments crédibles, pertinents et nouveaux.

[10]  Toutefois, la SAR a conclu qu’il n’était pas justifié de tenir une audience dans cette affaire. La SAR a fait remarquer que les nouveaux éléments de preuve n’ont pas soulevé de question importante concernant la crédibilité du demandeur, n’étaient pas non plus essentiels à la prise de décision et, à supposer qu’ils soient admis, ne justifieraient pas que la demande d’asile du demandeur soit accordée ou refusée, selon le cas. La SAR a conclu que la demande de parrainage de M. Abdirisak Muse Hassan et les photographies avaient peu de valeur probante pour sa demande d’asile et, par conséquent, ne justifiaient pas la tenue d’une audience. Quant à l’affidavit de Mme Barre, la SAR a estimé que sa valeur probante ne permettrait pas de régler les autres problèmes liés à la demande d’asile du demandeur étant donné : (1) qu’elle a vu le demandeur pour la dernière fois en Somalie en 2007 alors qu’elle avait 14 ans; (2) qu’elle n’avait pas de relation étroite avec lui; (3) que l’affidavit ne contenait aucun autre élément de preuve corroborant son ancienne résidence à Jaamame, en Somalie; (4) qu’aucun document corroborant n’a été fourni pour permettre à la SAR de déterminer s’ils avaient des antécédents de résidence similaires dans le district de Jaamame; et (5) qu’il n’y avait aucune indication quant à savoir si elle était disposée à agir en qualité de témoin.

B.  Bien‑fondé de l’appel

[11]  En ce qui concerne le bien‑fondé de l’appel, la SAR a examiné deux questions principales. Premièrement, la question de savoir si le comportement de la SPR pendant l’audience a entraîné un manquement à la justice naturelle et, deuxièmement, celle de savoir si la SPR a commis une erreur dans ses conclusions quant à l’identité et dans son traitement de la preuve à l’appui.

(1)  Manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle

[12]  La SAR a conclu que le comportement de la SPR n’a pas donné lieu à un manquement à la justice naturelle. Le demandeur a prétendu que le commissaire de la SPR a été agressif, lui a parlé brusquement et a utilisé une voix forte, situation qui a amené le demandeur à se sentir tellement intimidé et nerveux que cela a nui à sa capacité de se concentrer et de répondre pleinement aux questions de la SPR. Toutefois, la SAR a fait remarquer que son propre examen des documents d’audience n’a relevé aucun exemple de mauvais comportement de la part de la SPR. En outre, elle a reproché au demandeur de ne pas avoir trouvé d’exemples précis ni soulevé de questions de justice naturelle ou d’équité procédurale lors de l’audience de la SPR elle‑même, étant donné que les manquements à l’équité procédurale doivent être soulevés le plus tôt possible (McCurvie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 681, aux par. 64‑65).

(2)  Évaluation de l’identité du demandeur

[13]  La SAR était d’accord avec la grande majorité des conclusions de la SPR et a conclu qu’il y avait des raisons valables de douter de la crédibilité du demandeur ainsi que de son identité. La SAR a conclu que l’identité du demandeur n’avait pas été établie et a donc rejeté sa demande pour ce motif.

[14]  Premièrement, la SAR a accepté les conclusions défavorables tirées par la SPR du fait que le demandeur avait d’abord déclaré dans son formulaire Fondement de la demande d’asile que sa demande d’asile aux États‑Unis avait été rejetée, puis l’a modifié pour dire qu’il avait abandonné sa demande lorsque la SPR a demandé un enregistrement audio de la procédure. La SAR a en outre fait remarquer que le témoignage évolutif et contradictoire du demandeur sur cette question appuyait les conclusions défavorables, et que l’explication du demandeur concernant sa crainte d’être expulsé n’était pas logique. Par conséquent, la SAR a conclu que la demande d’asile du demandeur aux États‑Unis avait été refusée, comme il était indiqué au départ, et qu’il avait modifié son formulaire Fondement de la demande d’asile afin de cacher des renseignements sur les procédures qui ont eu lieu aux États‑Unis. La SAR a donc accordé peu de poids à la photocopie du certificat de naissance du demandeur, à ses documents d’asile aux États‑Unis et à la détermination de l’identité favorable qui a été faite à l’entrevue aux États‑Unis visant à déterminer une crainte crédible, qui semblait avoir été fondée sur les déclarations du demandeur et sur d’autres documents non précisés, mais non sur une pièce d’identité délivrée par le gouvernement.

[15]  Deuxièmement, la SAR a tiré une conclusion défavorable concernant l’identité du demandeur en raison des multiples incohérences quant à sa date de naissance. La SAR a conclu que, bien qu’une erreur typographique ne justifierait probablement pas une conclusion défavorable, le demandeur avait inscrit le 1er janvier 1990 comme date de naissance dans plusieurs de ses formulaires de demande d’asile, et même dans ses documents d’asile aux États‑Unis. Cela contredit son témoignage et son certificat de naissance allégué, qui indiquent que sa date de naissance était le 11 janvier 1990.

[16]  Troisièmement, la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à l’identité du demandeur en se fondant sur le fait qu’il n’a pas décrit une lignée clanique qui correspondait à celle contenue dans le cartable national de documentation (CND) sur la Somalie. La SAR a souligné la souplesse de l’établissement de la généalogie dans la culture somalienne à titre de langage du positionnement social et politique des personnes et a reconnu que la compréhension du demandeur de la lignée de son clan ne concorde pas exactement avec la documentation du CND. Toutefois, la SAR n’a pas conclu que cette erreur avait modifié sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité de façon crédible.

[17]  Quatrièmement, la SAR était d’accord avec la décision de la SPR de ne pas accorder de poids à l’affidavit de M. Abdirisak Muse Hassan. L’affidavit indique que lui et le demandeur ont grandi ensemble à Kismayo, dans un village appelé Mugambo. Cette affirmation n’était pas conforme au témoignage du demandeur, qui indiquait que Mugambo était à une ou deux heures de route de Kismayo. Par conséquent, la SAR a conclu que cette incohérence, combinée au fait que M. Abdirisak Muse Hassan n’avait pas pu être contre‑interrogé pour expliquer cette incohérence, justifiait de ne pas accorder de poids à cet affidavit. La SAR a en outre fait remarquer que cette incohérence n’a pu être corrigée par les nouveaux éléments de preuve du demandeur. Plus précisément, la SAR a déclaré que l’affidavit de Mme Barre, qui décrit le village de Mugambo comme étant situé dans les banlieues de Kismayo, ne pouvait pas infirmer le fait que le demandeur a déclaré que les villes de Mugambo et Kismayo sont à une ou deux heures l’une de l’autre, et prétendu avoir vécu dans un district entièrement différent. En ce qui concerne la demande de parrainage et les photos de M. Abdirisak Muse Hassan, la SAR a déclaré que la première n’indiquait pas ses antécédents de résidence, tandis que les secondes n’ont pas établi qu’ils se connaissaient en Somalie.

[18]  Cinquièmement, la SAR a convenu avec la SPR que la lettre notariée de Mme Faiza Abdulkadir devait se voir accorder peu de poids. La SAR a estimé que la lettre ne pouvait pas exposer de manière crédible l’identité du demandeur, car elle n’indiquait pas si le demandeur est citoyen de la Somalie; si elle ou le demandeur ont déjà vécu en Somalie; si les deux se sont déjà rencontrés en Somalie, et ne mentionnait aucun des noms des membres de leur famille respective. En outre, le document original n’a pas été fourni à la SPR et Mme Abdulkadir n’était pas disponible pour témoigner.

[19]  Sixièmement, la SAR a souscrit à la décision de la SPR d’accorder peu de poids à l’affidavit de M. Abdirahaman Omar Hassan, que le demandeur prétend être un Somalien qu’il a rencontré en Afrique du Sud en 2012. La SAR a conclu que le déposant n’était pas en mesure d’évaluer de façon fiable la nationalité du demandeur et que l’affidavit ne dit rien de l’évaluation par le déposant de la connaissance de la géographie, de la culture ou des compétences linguistiques somaliennes du demandeur. En outre, la SAR a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve pour corroborer l’acceptation du demandeur comme réfugié en Afrique du Sud.

[20]  Enfin, la SAR a conclu que les lettres d’appui de Dejinta Beesha et de Midaynta, deux organismes communautaires somaliens au Canada, méritaient peu de poids. Bien que les deux organismes soient parvenus à la conclusion que le demandeur est un ressortissant somalien, la SAR a fait remarquer qu’il y avait peu de détails indiquant que le demandeur est un ressortissant somalien et non pas simplement un ressortissant somalien d’un autre pays d’Afrique de l’Est, comme l’Éthiopie, le Kenya ou Djibouti. La SAR a également fait remarquer que ces organismes ne connaissaient le demandeur qu’au Canada aux fins de sa demande d’asile.

[21]  En conclusion, la SAR a conclu qu’une évaluation globale de la preuve en l’espèce a mené à la conclusion que le demandeur n’avait pas établi son identité. Bien que la SAR ait reconnu que l’affidavit de Mme Barre était la preuve la plus solide présentée par le demandeur, elle a également conclu qu’il n’était pas suffisant pour établir la prépondérance de la preuve en sa faveur, compte tenu des préoccupations soulevées précédemment quant à sa valeur probante. Par conséquent, la SAR a rejeté l’appel du demandeur.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[22]  Les questions à trancher dans la présente demande sont les suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas une audience?
  2. La SAR a‑t‑elle violé le droit du demandeur à l’équité procédurale et à la justice naturelle?
  3. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité et à l’identité?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[23]  La présente demande a été plaidée avant les récentes décisions de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Le jugement de la Cour a été pris en délibéré. Les observations des parties sur la norme de contrôle ont donc été présentées selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Toutefois, compte tenu des circonstances de l’espèce et des directives de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov au paragraphe 144, la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires sur la norme de contrôle. J’ai appliqué le cadre établi dans l’arrêt Vavilov dans mon examen de la demande et il ne change pas les normes de contrôle applicables en l’espèce ni mes conclusions.

[24]  Dans l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 23 à 32, les juges majoritaires ont cherché à simplifier la manière dont un tribunal choisit la norme de contrôle applicable aux questions dont il est saisi. Les juges majoritaires ont exclu l’approche contextuelle et catégorique adoptée dans l’arrêt Dunsmuir au profit de l’instauration d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Toutefois, les juges majoritaires ont fait observer que cette présomption pouvait être réfutée dans deux types de situations : (1) celle où le législateur a prescrit une norme de contrôle différente (Vavilov, aux par. 33‑52); et (2) celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. C’est le cas pour les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53‑64).

[25]  En l’espèce, le demandeur n’a présenté aucune observation concernant la norme de contrôle applicable. Toutefois, le défendeur a soutenu que la norme de la décision correcte s’appliquait aux questions d’équité procédurale, tandis que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à l’examen par la Cour de la question de savoir si la SAR aurait dû tenir une audience ainsi qu’à l’examen des conclusions de la SAR quant à la crédibilité et à l’identité.

[26]  Les tribunaux ont récemment statué que la norme de contrôle applicable relativement à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61) [Khosa]. La décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov ne traite pas de la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale (Vavilov, au par. 23). Toutefois, selon une approche plus judicieuse sur le plan doctrinal, il est préférable de conclure qu’aucune norme de contrôle ne s’applique à la question de l’équité procédurale. Voici comment la Cour suprême du Canada s’est exprimée sur la question de l’équité procédurale dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 :

[L’équité procédurale] n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier (Moreau‑Bérubé, au par. 74).

[27]  En ce qui concerne la norme de contrôle applicable à l’examen par la Cour de la question de savoir si la SAR aurait dû tenir une audience et des conclusions de la SAR sur la crédibilité et l’identité, je conviens avec le défendeur que la norme de la décision raisonnable s’applique. Rien ne réfute la présomption suivant laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. L’application de la norme de la décision raisonnable à ces questions est également conforme à la jurisprudence qui existait avant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. Voir Ikheloa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1161, au paragraphe. 7; Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 580, au paragraphe 6, concernant l’examen par la Cour de la décision d’un décideur d’accorder une audience; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 537, au paragraphe 12; Pretashi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1105, au paragraphe 26, concernant l’examen par la Cour des conclusions d’un décideur relatives à la crédibilité et à l’identité.

[28]  Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse portera sur la question de savoir si elle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). La norme de la décision raisonnable constitue une norme unique qui varie et qui « s’adapte au contexte » (Vavilov, au par. 89, citant Khosa, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, au par. 90). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que lorsque la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada mentionne deux catégories de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur; (2) une décision indéfendable « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, au par. 101).

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[29]  Voici les dispositions de la LIPR applicables à la présente demande de contrôle judiciaire :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

Appeal to Refugee Appeal Division

Fonctionnement

Procedure

110 (3) Sous réserve des paragraphes (3,1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

110 (3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Audience

Hearing

110 (6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

110 (6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

VII.  ARGUMENTS

A.  Demandeur

[30]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur pour avoir : (1) refusé de tenir une audience à la lumière des nouveaux éléments de preuve présentés; (2) violé le droit du demandeur à l’équité procédurale et à la justice naturelle en adoptant une approche incorrecte dans l’évaluation du comportement de la SPR et en ne donnant pas au demandeur la possibilité de répondre aux nouvelles conclusions quant à la crédibilité; (3) évalué de manière déraisonnable les éléments de preuve dans le cadre de ses conclusions sur la crédibilité et l’identité. Par conséquent, le demandeur soutient que le présent contrôle judiciaire devrait être accueilli.

(1)  Audience

[31]  Le demandeur soutient qu’une audience aurait dû être tenue dans cette affaire afin de lui permettre de répondre aux questions de crédibilité soulevées par la SAR concernant les nouveaux éléments de preuve présentés. Il affirme qu’une audience aurait été utile pour dissiper toute confusion et lui permettre de fournir d’autres éléments de preuve. Le demandeur cite la décision de la Cour dans Ajaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 674, aux par. 21‑22 [Ajaj], dans laquelle il est indiqué ce qui suit :

[21]  Cela peut être mis en contraste avec la décision de la Cour dans Husian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684. Dans cette affaire, le juge Hughes a conclu que lorsque la SAR en arrive à de nouvelles conclusions sur la crédibilité, les parties doivent avoir la possibilité de présenter des observations.

[22]  Le mandat d’arrestation et la lettre circulaire soumis par M. Ajaj ont soulevé une nouvelle question de crédibilité qui n’était pas pertinente pour les conclusions relatives à la crédibilité défavorables de la SPR et de la SAR concernant l’authenticité de la conversion de M. Ajaj de l’islam au christianisme. Les nouveaux éléments de preuve jouaient un rôle clé dans la décision concernant sa demande sur place. Si les documents avaient été acceptés comme authentiques par la SAR, ils appuieraient la peur de persécution de M. Ajaj de la part des autorités du Yémen, et sa demande sur place pourrait éventuellement être accueillie. Pour ce motif, les critères du paragraphe 110(6) de la LIPR ont été respectés, et la SAR a commis une erreur en omettant de tenir une audience.

[32]  Le demandeur soutient que son cas est similaire à l’affaire Ajaj puisque la SAR a discrédité l’affidavit de Mme Barre surtout du fait qu’elle n’avait que 14 ans lorsqu’elle a vu le demandeur pour la dernière fois et parce qu’elle n’a pas fourni son propre formulaire Fondement de la demande d’asile. Il soutient qu’il s’agit là d’une nouvelle conclusion quant à la crédibilité et qu’une audience aurait dû être tenue. Le demandeur soutient qu’en ne tenant pas d’audience, la SAR a entravé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 110(6) de la LIPR d’une manière semblable à ce qui était le cas dans l’affaire Tchangoue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 334, au paragraphe 18, dans laquelle la Cour a fait remarquer que « le poids accordé aux nouveaux éléments de preuve n’aurait pas dû être le facteur déterminant motivant la décision de ne pas tenir une audience ».

(2)  Manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle

[33]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu violation de son droit à la justice naturelle et à l’équité procédurale. Il soutient que la SAR a adopté une approche rétrograde pour analyser le comportement de la SPR en ne reconnaissant pas que l’interrogatoire agressif de la SPR a poussé le demandeur à modifier son témoignage en raison de l’anxiété et de l’intimidation.

[34]  Le demandeur soutient également qu’il aurait dû avoir l’occasion de répondre aux nouvelles conclusions de la SAR quant à la crédibilité, notamment en ce qui concerne le fait que la SAR a infirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur avait été accepté comme réfugié en Afrique du Sud.

[35]  Le demandeur affirme en outre que l’avocate n’aurait pas pu connaître l’incidence du comportement de la SPR sur lui pendant l’audience parce que l’avocate ne peut pas lire son esprit. Par conséquent, il est logique que le demandeur et son avocate ne s’opposent pas au comportement de la SPR à l’audience.

(3)  Conclusions quant à la crédibilité et à l’identité

[36]  Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité et à l’identité étaient déraisonnables parce que la SAR a fait preuve d’un excès de zèle dans l’évaluation de la preuve en l’espèce, ce qui est incompatible avec la jurisprudence de la Cour.

[37]  Premièrement, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en accordant moins de poids à l’affidavit de Mme Barre simplement parce qu’il portait sur les événements qui se sont produits alors qu’elle avait 14 ans. Le demandeur affirme que cela va à l’encontre de la présomption de véracité énoncée dans Dirieh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 939, aux paragraphes 23‑30. Le demandeur soutient plutôt que l’affidavit de Mme Barre, ainsi que les autres éléments de preuve, dissipent l’incohérence perçue concernant l’emplacement de Mugambo et ne peut être rejeté simplement en raison de ce qu’il ne dit pas, citant Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 15 FTR 35, au paragraphe 17.

[38]  Deuxièmement, le demandeur soutient que la SAR a déraisonnablement omis de tenir compte de la demande de parrainage de M. Abdirisak Muse Hassan et de ses photographies. En ce qui concerne la demande de parrainage, la SAR a laissé les conclusions défavorables de la SPR teinter son appréciation de cette nouvelle preuve et lui a accordé peu de poids simplement parce qu’elle ne contenait pas les antécédents de résidence de M. Abdirisak Muse Hassan, qui, selon le demandeur, avaient déjà été fournis dans un affidavit. En ce qui concerne les photographies, le demandeur soutient qu’une approche contextuelle à la preuve, comme l’a mandaté la Cour, aurait démontré que les photographies ont été prises en présence du demandeur en Somalie (Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 118, au par. 18).

[39]  Troisièmement, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR concernant le poids accordé à l’affidavit de Mme Abdulkadir et en rejetant les renseignements pertinents concernant l’identité du demandeur, simplement parce qu’ils n’ont pas corrigé les incohérences concernant la demande d’asile du demandeur aux États‑Unis. Le demandeur soutient également que la SAR a commis une erreur en rejetant l’affidavit du simple fait que Mme Abdulkadir n’a pas été appelée à témoigner à l’audience; ce rejet est incompatible avec la jurisprudence de la Cour, citant Shahaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1044, au paragraphe 9.

[40]  Quatrièmement, le demandeur soutient que la SAR a accordé à l’affidavit de M. Abdirahaman Omar Hassan une faible valeur probante simplement parce que le déposant n’avait pas connu le demandeur en Somalie. Le demandeur soutient que le déposant est également somalien et qu’il est particulièrement bien placé pour évaluer l’affirmation liée à l’identité du demandeur puisqu’il peut évaluer ses compétences linguistiques, ses connaissances géographiques et ses connaissances culturelles. Le demandeur affirme que la SAR a adopté une approche trop critique à l’égard des éléments de preuve présentés, selon la mise en garde formulée par la Cour dans l’affaire Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1164, aux paragraphes 9‑10, qui a expressément reconnu qu’il « est de notoriété publique qu’il est pratiquement impossible d’obtenir des documents du gouvernement de la Somalie », et que les demandeurs doivent donc avoir recours à des sources secondaires pour établir l’identité.

[41]  Cinquièmement, le demandeur soutient que la SAR a fait preuve d’un excès de zèle en rejetant ses documents de demande d’asile aux États‑Unis simplement parce qu’il a corrigé son formulaire Fondement de la demande d’asile. La SAR s’est à tort bornée à cette correction mineure apportée à son exposé circonstancié pour justifier son rejet de l’ensemble de la preuve liée à sa demande d’asile aux États‑Unis, y compris l’entrevue visant à déterminer si sa crainte est crédible, qui a confirmé son identité. Le demandeur soutient que cela va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour puisqu’elle se concentre de façon déraisonnable sur un fait qui n’est pas essentiel à sa demande d’asile (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 665, au par. 6) et rejette de façon déraisonnable la preuve, tout en utilisant son contenu pour porter atteinte à la crédibilité du demandeur (Csiklya et al c Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 30 octobre 2012, IMM‑654‑12).

[42]  Sixièmement, le demandeur soutient que la SAR a accordé un poids déraisonnable au fait que le demandeur a erronément indiqué le 1er janvier 1990 comme date de naissance au lieu du 11 janvier 1990. Le demandeur soutient que la Cour a déjà établi clairement qu’une conclusion quant à la crédibilité ne peut être fondée sur une erreur typographique négligeable (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 814, au par. 31, et Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 170, au par. 6).

[43]  Enfin, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en rejetant les lettres d’appui des organismes communautaires somaliens au Canada. Le demandeur affirme que ces lettres confirment qu’il est un ressortissant somalien et qu’elles sont fondées sur des entrevues approfondies menées par des personnes avisées. Elles attestent également de la connaissance qu’a le demandeur de la langue, de l’histoire et de la géographie de la Somalie. Cela est conforme aux facteurs pertinents relevés par la Cour pour établir l’identité d’un demandeur (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 84, au par. 13).

B.  Défendeur

[44]  Le défendeur soutient ce qui suit : (1) la tenue d’une audience n’était pas nécessaire dans cette affaire, car les conclusions de la SAR concernant les nouveaux éléments de preuve portaient sur leur suffisance plutôt que sur leur crédibilité; (2) le demandeur ne fournit aucune preuve à l’appui du prétendu manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle; (3) les conclusions de la SAR quant à la crédibilité et à l’identité étaient raisonnables et le demandeur est simplement en désaccord avec l’appréciation des éléments de preuve. Par conséquent, le défendeur soutient que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

(1)  Audience

[45]  Le défendeur soutient que le paragraphe 110(6) n’exige pas la tenue d’une audience et que la tenue d’une audience n’était pas nécessaire dans cette affaire. La SAR conserve un pouvoir discrétionnaire important de tenir une audience et le demandeur n’a pas droit à une audience simplement parce qu’elle pourrait être avantageuse ou parce qu’il s’agit de la meilleure procédure possible.

[46]  En l’espèce, le défendeur soutient qu’aucune des conclusions de la SAR ne diffère de façon importante des conclusions de la SPR ou des observations du demandeur présentées à la SAR. Bien que le demandeur prétende que la SAR a tiré des conclusions quant à la crédibilité concernant les nouveaux éléments de preuve présentés, le défendeur soutient que le demandeur confond les concepts distincts de crédibilité et de suffisance de la preuve. En effet, le défendeur affirme que la SAR a seulement évalué la qualité et le poids de la preuve présentée et a conclu que les nouveaux éléments de preuve présentés étaient tout simplement insuffisants pour lui permettre d’en venir à une conclusion différente de celle de la SPR.

(2)  Manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle

[47]  Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle dans cette affaire puisque les affirmations du demandeur sont dénuées de fondement et n’ont pas été soulevées en temps opportun.

[48]  Premièrement, le défendeur affirme que le demandeur fait de simples allégations selon lesquelles la SPR a été agressive, brusque et qu’elle a utilisé une voix forte. Bien que le demandeur n’ait cité aucun exemple précis, la SAR a entrepris sa propre analyse de l’audience, mais n’a pu trouver aucun cas de mauvais comportement de la part de la SPR.

[49]  Deuxièmement, le défendeur affirme que le demandeur n’a soulevé aucune préoccupation relative à l’équité procédurale lors de l’audience devant la SPR. Le défendeur souligne que le défaut de soulever la question à la première occasion a été jugé par la Cour comme constituant une renonciation au droit de contester ultérieurement une violation alléguée (Haniff c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 919, au par. 15). Le défendeur ne partage pas l’argument du demandeur selon lequel l’avocate n’a pas pu soulever cette question lors de l’audience de la SPR; il aurait été évident aux yeux de l’avocate que la conduite de la SPR avait été si répréhensible qu’elle a donné lieu à une violation de l’équité procédurale et de la justice naturelle. En outre, l’avocate et le demandeur ont eu l’occasion de discuter de cette question pendant les pauses.

[50]  Enfin, le défendeur souligne que la justice naturelle n’exigeait pas de la SAR qu’elle donne au demandeur une autre occasion de répondre à son observation selon laquelle aucune preuve n’a été présentée pour démontrer qu’il a été accepté comme réfugié en Afrique du Sud.

(3)  Conclusions quant à la crédibilité et à l’identité

[51]  Le défendeur soutient que les conclusions de la SAR concernant la crédibilité et l’identité du demandeur étaient raisonnables et que les arguments du demandeur constituent en grande partie un désaccord avec l’appréciation de la preuve par la SAR.

[52]  Premièrement, le défendeur soutient que le demandeur s’élève tout simplement contre le poids accordé à l’affidavit de Mme Barre. Le défendeur souligne qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que l’affidavit de Mme Barre n’a pas corrigé les incohérences en l’espèce, étant donné sa valeur probante insuffisante pour établir l’identité personnelle et la nationalité du demandeur. Plus précisément, il était raisonnable pour la SAR de conclure que l’affidavit de Mme Barre n’a pas pu corriger l’incohérence, concernant l’emplacement de Mugambo, entre le témoignage du demandeur et l’affidavit de M. Abdirisak Muse Hassan.

[53]  Deuxièmement, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que les photographies ou les formulaires de parrainage de M. Abdirisak Muse Hassan n’avaient qu’une faible valeur probante puisqu’ils n’ont pas établi les antécédents de résidence du déposant ni le fait que lui et le demandeur se connaissaient en Somalie.

[54]  Troisièmement, le défendeur affirme que la lettre de Mme Abdulkadir ne constituait pas un affidavit, comme l’a prétendu le demandeur, et qu’elle n’a pas été rejetée au seul motif que son auteure n’était pas disponible pour le contre‑interrogatoire. En fait, la SAR a expressément examiné la lettre et a fait remarquer que si la lettre devait exposer l’identité du demandeur, « l’auteure s’en tire plutôt mal ». Par conséquent, le défendeur affirme que la SAR a soupesé la lettre de Mme Abdulkadir comme il se doit.

[55]  Quatrièmement, le défendeur soutient que l’évaluation faite par la SAR de l’affidavit de M. Abdirahaman Omar Hassan était raisonnable. La SAR n’a pas douté de l’origine ethnique somalienne du demandeur; toutefois, il était raisonnable pour la SAR de conclure que l’affidavit n’établissait pas expressément que le demandeur est un ressortissant somalien, compte tenu du fait qu’il y a d’importantes populations d’origine ethnique somalienne au Kenya, en Éthiopie, à Djibouti et ailleurs.

[56]  Cinquièmement, le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que les lettres d’appui des organismes communautaires somaliens au Canada étaient insuffisantes pour dissiper les nombreuses préoccupations quant à la crédibilité en l’espèce et pour établir l’identité personnelle du demandeur. Le défendeur considère l’argument du demandeur comme étant un simple désaccord avec l’appréciation de la preuve par la SAR.

[57]  Enfin, le défendeur conteste la description faite par le demandeur des incohérences concernant le statut de sa demande d’asile aux États‑Unis ainsi que des nombreuses incohérences concernant sa date de naissance. Le défendeur soutient que ces conclusions ne sont pas accessoires à la crédibilité et à l’identité du demandeur.

VIII.  ANALYSE

A.  Défaut de tenir une audience

[58]  Le demandeur affirme que la tenue d’une audience était nécessaire dans cette affaire pour les raisons suivantes :

[traduction]

Il aurait été avantageux de dissiper toute confusion et de demander au demandeur de fournir d’autres éléments de preuve sur des questions de crédibilité, ce qui est l’intention de la disposition législative prévoyant la tenue d’une audience.

[59]  Le paragraphe 110(6) de la LIPR est ainsi libellé :

110 (6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

110 (6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[60]  Le demandeur reconnaît que la SAR a le pouvoir discrétionnaire de tenir ou non une audience, mais il affirme que ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon raisonnable et que si de nouvelles conclusions quant à la crédibilité sont tirées, il est déraisonnable de ne pas permettre à un demandeur de présenter des observations.

[61]  Le demandeur affirme que les facteurs énoncés au paragraphe 110(6) ont été respectés en l’espèce et que la SAR a tiré de nouvelles conclusions quant à la crédibilité. Par conséquent, il était déraisonnable de ne pas tenir d’audience afin qu’il puisse avoir l’occasion de répondre à ces préoccupations alléguées quant à la crédibilité. Toutefois, le demandeur affirme simplement que les critères énoncés au paragraphe 110(6) sont respectés en l’espèce sans expliquer de quelle manière.

[62]  Mon examen du dossier et de la décision révèle qu’il y a certainement eu une grande confusion à l’égard de la preuve documentaire et testimoniale du demandeur. Toutefois, cette confusion (qui comprenait des contradictions importantes dans la preuve) ne signifie pas que le demandeur a satisfait aux critères énoncés au paragraphe 110(6) ni qu’il avait droit à une audience pour corriger les erreurs et les lacunes dans ses observations écrites présentées à la SAR. Comme l’a conclu la Cour dans l’affaire Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 737, au paragraphe 7 :

[7]  Une audience ne constitue pas simplement une occasion de confirmer des renseignements ou de fournir les renseignements manquants dans les éléments de preuve présentés. En l’espèce, même si le demandeur a signé personnellement les arguments présentés à l’agent d’ERAR, il est évident qu’il a obtenu l’aide d’un professionnel tel qu’un avocat ou un consultant en immigration pour rédiger les documents. À un certain moment, le demandeur, y compris les personnes qu’il a embauchées, doit assumer une certaine part de responsabilité afin de s’assurer que les documents présentés sont exacts et suffisants. S’ils ne le sont pas, le demandeur ne peut pas se contenter d’espérer qu’une audience soit tenue ou, si une audience n’est pas tenue, de se plaindre à la Cour qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale.

[63]  En outre, ma lecture de la décision confirme que la SAR ne soulève pas, en fait, de « nouvelles » questions sérieuses concernant la crédibilité du demandeur. La majeure partie de la décision est fondée sur l’absence d’éléments de preuve suffisants pour prouver l’identité personnelle du demandeur et sa nationalité.

[64]  La SAR l’a précisé, même en ce qui concerne le témoin le plus utile au demandeur :

[20]  En ce qui concerne le témoignage de Mme Barre, il n’est pas clair si l’appelant souhaite convoquer Mme Barre comme témoin. Le mémoire de l’appelant n’aborde pas précisément cette possibilité, et l’affidavit de Mme Barre ne mentionne rien de sa volonté de témoigner.

[21]  Quoi qu’il en soit, même si la SAR devait contre‑interroger Mme Barre au sujet du contenu de son affidavit, la valeur probante de cet élément de preuve ne l’emporterait pas sur les autres questions. Je remarque que Mme Barre est née le 4 février 1993. Elle prétend avoir rencontré l’appelant en Somalie en 2002, alors qu’elle avait neuf ans. Elle dit avoir vu l’appelant pour la dernière fois en Somalie au début de 2007, alors qu’elle n’aurait eu qu’environ 14 ans. Elle n’avait pas de relation étroite avec l’appelant en Somalie, mais elle a plutôt décrit le fait qu’il jouait au soccer avec son frère quelques fois par mois, et qu’il revenait souvent à la maison avec son frère pour se rafraîchir. L’affidavit de Mme Barre ne contient aucun autre élément de preuve corroborant son ancienne résidence à Jaamame, où elle prétend que l’appelant venait parfois à son domicile. Aucun document ou élément de preuve provenant de sa propre demande d’asile, comme le formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) et les formulaires d’immigration, n’a été fourni qui permettrait au moins à la SAR de déterminer si les deux ont des antécédents de résidence similaires dans le district de Jaamame.

[65]  Étant donné que la décision était fondée sur l’insuffisance des éléments de preuve, le défaut de la SAR de tenir une audience n’a rien de déraisonnable.

B.  Manquement à l’équité procédurale

[66]  Dans ses observations écrites dont je suis saisi, le demandeur soulève les questions suivantes en matière d’équité procédurale :

[traduction]

17.  En ce qui concerne l’audience, le demandeur a indiqué que le tribunal a été agressif, lui a parlé brusquement et a utilisé une voix forte. Il s’est senti tellement intimidé et nerveux que cela a nui à sa capacité de se concentrer et de répondre pleinement aux questions du tribunal. Toutefois, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas eu violation de la justice naturelle ou de l’équité procédurale.

18.  La SAR a déclaré qu’elle avait écouté la bande et a reconnu que l’audience était parfois difficile, mais a attribué cela à ce qu’elle appelait le témoignage changeant du demandeur. Il est avancé que c’est comme mettre la charrue avant les bœufs. Le demandeur a expliqué dans sa déclaration écrite que la manière agressive et le ton brusque l’ont perturbé et ont entraîné ce que le tribunal perçoit comme un témoignage changeant.

19.  En outre, la SAR a conclu que puisque l’avocat de la SPR n’a soulevé aucune objection, le demandeur avait, essentiellement, renoncé à ses droits à la justice naturelle et à l’équité procédurale. Toutefois, l’avocat n’est pas un voyant et n’aurait pas pu connaître les répercussions sur le demandeur pendant l’audience. Tous les demandeurs d’asile sont différents. Certains peuvent supporter un ton agressif et des questions insistantes et garder leur concentration. Certains ne peuvent pas et trouvent cette façon de faire très déstabilisante. Le demandeur faisait partie de ce dernier groupe.

20.  Il est allégué que le déroulement de l’audience a enfreint les principes d’équité procédurale et, par conséquent, de justice naturelle.

[67]  Dans la décision, la SAR a abordé les questions d’équité procédurale comme suit :

[25]  Cet argument pose un certain nombre de difficultés.

[26]  D’abord, l’appelant n’a pas vraiment trouvé d’exemples précis dans le dossier d’audience du prétendu mauvais comportement de la SPR. Après avoir examiné le dossier d’audience, je ne partage pas la description que fait l’appelant du comportement de la SPR. Certains aspects de l’audience étaient certainement difficiles. Plus précisément, une question a été soulevée au cours de l’audience au sujet de l’état d’avancement des procédures de demande d’asile de l’appelant aux États‑Unis. Lorsque la SPR a questionné l’appelant à ce sujet, celui‑ci a livré un témoignage déroutant qui, en fin de compte, ne répondait pas aux questions de la SPR. La SPR a répété et reformulé ses questions pour tenter de clarifier les choses pour l’appelant. Lorsque l’appelant n’a pas répondu aux questions de la SPR, même après de multiples tentatives pour clarifier la question, la SPR a fait une pause. Les questions de la SPR visaient à aider l’appelant à comprendre le problème. Tout au long de l’audience, la SPR a été forcée de confronter les contradictions et les incohérences de l’appelant. Lorsque l’appelant a semblé devenir émotif, la SPR a offert à l’appelant de lui donner du temps pour se calmer. Je n’ai relevé aucun cas d’inconduite de la part de la SPR, surtout compte tenu des événements qui se sont déroulés pendant l’audience.

[27]  Ensuite, il est important de tenir compte du fait que la conseil de l’appelant à la SPR n’a soulevé aucune question de justice naturelle ou d’équité procédurale à l’audience. Il n’y a eu aucune objection à quelque moment que ce soit au cours de l’audience concernant le comportement de la SPR. Ce fait est important, car les manquements à l’équité procédurale doivent être soulevés le plus tôt possible. Si le comportement de la SPR était aussi mauvais que le prétend l’appelant, il n’est pas raisonnable que cette question n’ait été soulevée qu’en appel, après le rejet de la demande d’asile de l’appelant.

[28]  Dans ma propre évaluation du dossier d’audience, je conclus que le comportement de la SPR n’a pas donné lieu à un manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle.

[68]  Le demandeur croit qu’il s’agit là d’une réponse inadéquate et déraisonnable à ses préoccupations en matière d’équité procédurale. Lors de l’audience que j’ai présidée, j’ai demandé à l’avocate du demandeur d’indiquer, dans la transcription, où elle croyait que la SPR s’était montrée agressive. Elle a trouvé un exemple où le demandeur est certainement prié d’expliquer une contradiction flagrante dans son témoignage. Toutefois, mon examen de cet extrait ne donne qu’à penser que la SPR a donné au demandeur l’occasion d’expliquer une contradiction majeure qui nuisait à sa cause. La SPR devait savoir si le demandeur comprenait la contradiction et pourquoi une explication était nécessaire. Il affirme maintenant que son incapacité à expliquer cette contradiction est le résultat des questions répétées et persistantes de la SPR (qu’il qualifie d’agressives). Le problème avec cet argument est que les questions n’étaient nécessaires qu’en raison de la contradiction. En outre, l’avocate du demandeur était présente à l’audience devant la SPR et s’ils estimaient que le demandeur n’avait pas eu l’occasion de répondre aux questions ou que ses réponses nécessitaient des éclaircissements, rien ne les empêchait de s’opposer à toute série de questions ou de passer de nouveau en revue les questions avec le demandeur pour s’assurer qu’il avait donné les meilleures réponses possible. Pourtant, l’avocate n’a rien fait. Cela doit être considéré comme une indication claire qu’au moment pertinent, le demandeur n’avait pas été intimidé et qu’il avait donné les seules réponses qu’il pouvait donner. L’avocate aurait été bien consciente de l’importance de la contradiction et du fait que le demandeur n’a pas résolu la question. En outre, le demandeur n’a déposé aucune plainte concernant la compétence ou la conduite de son avocate lors de l’audience.

[69]  Le demandeur n’a pas établi devant moi que la SAR a commis une erreur en ce qui concerne l’équité procédurale.

C.  Conclusions quant à l’identité et à la crédibilité

[70]  La seule question de fond que le demandeur soulève devant moi dans la présente demande est de savoir si la SAR a commis une erreur déraisonnable en confirmant les conclusions de la SPR quant à l’identité et à la crédibilité.

[71]  Tout d’abord, je crois qu’il convient de mentionner que la SAR n’a pas confirmé toutes les conclusions de la SPR quant à la crédibilité. La SAR a, de façon adéquate, examiné de nouveau les questions soulevées dans les observations écrites du demandeur.

[72]  En ce qui concerne l’importante question de la lignée de clan du demandeur, la SAR a déclaré ce qui suit :

[51]  La SPR a tiré une conclusion défavorable au sujet de l’identité, car l’appelant n’a pas décrit une lignée clanique qui correspondait à celle contenue dans le cartable national de documentation (« CND ») sur la Somalie. Sur cette question en particulier, j’estime que la SPR a commis une erreur.

[…]

[53]  Je conviens avec l’appelant que les différences entre sa description de la lignée de son clan et celle de l’un des documents du CND sur la Somalie n’auraient pas dû justifier une conclusion défavorable quant à son identité. Le document même sur lequel la SPR s’est fondée commence par une préface qui explique que les grandes lignes de la généalogie présentées dans le document ne sont pas censées être un arbre historique exact à un moment précis dans le temps. L’article explique les difficultés de schématisation d’une généalogie précise, en raison des multiples assimilations de groupes aux lignes généalogiques et même de la manipulation des lignées. Le document précise ce qui suit :

[Traduction] « Il est incontestable que, en raison de l’amalgame de l’exposé circonstancié et des faits, l’idée qu’il y aura une généalogie complète incontestée est une chimère : le fondement même de l’établissement de la généalogie dans la culture somalienne est sa souplesse à titre de langage du positionnement social et politique des personnes : dans le respect des grandes lignes des principales familles‑clans, le repérage alternatif, la reclassification et la “manipulation” de la descendance et des lignées sont au cœur même de la vie somalienne ».

[54]  Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec la description de la SPR selon laquelle les tableaux de clans sont [traduction] « exhaustifs ». Il est possible que la compréhension qu’a l’appelant de la lignée de son clan et la compréhension qu’ont les membres de sa propre famille de leur placement dans la généalogie ne concordent pas exactement avec la documentation du CND. Par conséquent, j’estime que la SPR a commis une erreur à cet égard, et je ne me suis pas appuyé sur cette conclusion de la SPR dans ma propre évaluation de l’identité de l’appelant.

[Renvois omis.]

[73]  La lignée clanique est importante, mais elle n’a pas, en soi, et sans plus, établi l’identité personnelle du demandeur, ni établi qu’il est un ressortissant somalien. Il s’agit des principales questions abordées dans la décision.

[74]  Dans la présente demande, le demandeur allègue que la SAR a été déraisonnable dans toutes ses conclusions et demande à la Cour d’examiner chacune d’elles.

(1)  Affidavit d’Amina Yossuf Barre

[75]  Au paragraphe 11 de la décision, la SAR a accepté l’affidavit de Mme Barre et a affirmé qu’il satisfaisait « aux critères de crédibilité, de pertinence et de nouveauté des éléments de preuve ».

[76]  Le demandeur se plaint maintenant que la [traduction] « SAR a commis une erreur en accordant moins de poids à un affidavit simplement parce que la déposante narrait des événements survenus alors qu’elle était âgée de 14 ans ».

[77]  Le demandeur affirme également que la SAR a accordé peu de poids à l’affidavit de Mme Barre parce qu’il [traduction] « ne corrige pas l’incohérence quant à l’emplacement de Mugambo ». Le demandeur affirme qu’il n’y avait pas d’incohérence à corriger.

[78]  Comme la SAR l’a expliqué, l’incohérence était liée au lieu de résidence du demandeur en Somalie, et la propre preuve du demandeur sur cette question différait de celle présentée dans l’affidavit de M. Abdirisak Muse Hassan, présenté par le demandeur devant la SPR. La SAR a expliqué la question de la manière suivante :

[56]  L’appelant avait l’intention de faire témoigner M. Abdirisak Hassan par téléconférence pendant son audience. Malgré de multiples tentatives pour joindre M. Hassan par téléphone, il n’a pas répondu. La SPR n’a donc pas pu contre‑interroger le témoin au sujet du contenu de son affidavit. Dans cette affaire, cela était important, car il y avait une incohérence dans l’affidavit, en ce sens que M. Hassan a indiqué que l’appelant vivait à Kismayo, plutôt que dans le district de Kismayo.

[57]  L’appelant soutient que la SPR a commis une erreur dans son traitement de l’affidavit de M. Hassan, car c’était une erreur de ne pas en tenir compte simplement parce que le témoin n’était pas disponible pour le contre‑interrogatoire. L’appelant soutient également que c’était une erreur de la part de la SPR de rejeter l’affidavit et de s’appuyer simultanément sur celui‑ci pour mettre en doute la crédibilité de l’appelant.

[58]  Je conviens avec l’appelant que la SPR a commis une erreur en n’accordant aucun poids au document et en utilisant son contenu pour contester les antécédents de résidence de l’appelant. Cela dit, toutefois, les motifs invoqués par la SPR pour n’accorder aucun poids à l’affidavit sont entièrement valides. D’après mon propre examen du dossier d’audience, le témoignage de l’appelant est incompatible avec le contenu de l’affidavit de M. Hassan. Questionné au sujet de son lieu de résidence en Somalie, l’appelant a expliqué qu’il vivait à Mugambo, un village situé dans le district de Jamaame. Il a expliqué que son village se trouvait à seulement dix minutes de marche de Jamaame, une grande ville de la région du Bas‑Djouba. En revanche, l’appelant a indiqué que Kismayo était beaucoup plus loin, à environ une ou deux heures de route. Toutefois, l’affidavit de M. Hassan indique que les membres de la famille de l’appelant ont déménagé à Kismayo lorsqu’ils étaient jeunes, qu’ils ont vécu à Kismayo et qu’ils y ont grandi ensemble, dans un village appelé Mugambo.

[59]  Étant donné la description différente de l’emplacement de Mugambo donnée par l’appelant par rapport à l’affidavit de son témoin, la SPR a exprimé des préoccupations. Face à cette contradiction, l’appelant a simplement répondu que Mugambo n’est pas très loin de Kismayo, et pas très loin de Jamaame. Cette incohérence était suffisante pour que la SPR rejette l’affidavit.

[60]  La SPR n’a pas écarté l’affidavit uniquement parce qu’elle n’était pas en mesure de contre‑interroger le déposant. Fait important, elle a relevé une divergence dans la résidence de l’appelant, telle qu’elle est décrite dans l’affidavit, et a conclu qu’elle ne pouvait pas faire part de cette préoccupation au déposant ni lui demander des éclaircissements sur cette question. Dans les circonstances, la SPR n’a pas commis d’erreur en rejetant l’affidavit. La SPR n’aurait pas pu considérer l’affidavit comme digne de foi s’il contredisait le témoignage de l’appelant au sujet de son lieu de résidence.

[Renvois omis.]

[79]  Comme il a été clairement indiqué, la divergence était la description différente de l’emplacement de Mugambo. Dans un affidavit, M. Abdirisak Muse Hassan a déclaré qu’il était un ami de longue date du demandeur puisqu’ils ont grandi ensemble dans un village appelé Mugambo et que le demandeur et sa famille avaient vécu à Kismayo. Le demandeur, d’autre part, a affirmé que Mugambo se trouvait dans le district de Jamaame et qu’il se trouvait à seulement dix minutes à pied de Jamame, tandis que Kismayo se trouvait à environ une à deux heures de route.

[80]  La SPR n’a pas été en mesure de résoudre cette divergence parce que le demandeur a affirmé qu’il appellerait M. Abdirisak Muse Hassan à témoigner par téléconférence pendant l’audience. De multiples tentatives ont été faites pour le joindre par téléphone, mais il n’a pas répondu. Par conséquent, la SPR n’a pas été en mesure de le contre‑interroger au sujet de la divergence et de la raison pour laquelle il a affirmé que le demandeur vivait à Kismayo plutôt que dans le district de Jamaame.

[81]  En l’absence d’une explication de la part de M. Abdirisak Muse Hassan, le demandeur nie maintenant qu’il y avait une divergence et que, de toute façon, l’emplacement de sa résidence en Somalie est confirmé par l’affidavit de Mme Barre, qui constituait une nouvelle preuve dont disposait la SAR. L’affidavit de Mme Barre se lit comme suit :

[traduction]

Je, Amiira Yossuf Barre, de la ville de Winnipeg, dans la province du Manitoba, DÉCLARE SOUS SERMENT CE QUI SUIT :

1.  J’ai été acceptée comme réfugiée au sens de la Convention le 12 mai 2017, mais je n’ai pas encore obtenu ma résidence permanente. Je suis citoyenne de la Somalie. J’ai connu Osman Ali Abdi en Somalie et, à ce titre, j’ai connaissance des affaires ici présentées. Ma pièce d’identité de réfugié et l’avis de décision concernant ma cause de réfugié sont joints à mon affidavit et désignés comme la pièce « A ».

2.  J’ai rencontré pour la première fois Osman Ali Abdi en 2002 à Jamaame, car il était un ami de mon frère, Abdulaziz. Il vivait dans le village de Mugambo, situé dans les banlieues de Kismayo. Il venait à Jamaame pour jouer au soccer avec mon frère environ trois à quatre fois par mois. Il venait souvent chez nous après pour faire un tour et boire des rafraîchissements. Bien que j’aie environ trois ans de moins qu’Osman, il s’arrêtait quand même pour discuter avec moi. Quand j’ai grandi, je leur servais de la nourriture et des boissons. La dernière fois que j’ai vu Osman c’était au début de 2007. Après cela, j’ai entendu dire qu’il avait fui la Somalie.

3.  Osman a gardé contact par téléphone pendant les années où il était au Kenya et en Afrique du Sud. Chaque fois qu’il appelait, il parlait à mon frère et à moi. La dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles, c’était en 2014. Après cela, nous avons perdu le contact.

4.  Mon frère a fui la Somalie en 2014 et est allé en Éthiopie. Je n’ai pas de contact avec lui. J’ai fui la Somalie en 2015 et je suis arrivée au Canada le 14 mars 2017 et j’habite à Winnipeg, au Manitoba.

5.  Le 10 novembre 2017, je suis allé manger à l’unique restaurant somalien de Winnipeg et lorsque je suis entré, j’ai vu Osman Ali Abdi assis à l’une des tables. Nous nous sommes immédiatement reconnus et nous étions tellement contents de nous voir.

6.  Je peux confirmer sans hésitation qu’Osman Ali Abdi est citoyen de Somalie, qu’il est membre du clan Dir et qu’il vivait dans le village de Mugambo, en Somalie, de 2002 à 2007.

[82]  La SAR a réservé à cet affidavit le traitement suivant :

[61]  Dans ma propre évaluation indépendante, j’ai examiné l’affidavit de Mme Barre, mais j’estime que son contenu n’élimine pas l’incohérence de l’affidavit de M. Hassan. Mme Barre décrit le village de Mugambo comme étant dans les [traduction] « banlieues » de Kismayo. Cette déclaration se rapproche un peu du témoignage de l’appelant selon lequel Kismayo était à une ou deux heures de Kismayo, mais ne corrige pas l’incohérence. L’affidavit de M. Hassan indique clairement que l’appelant a déménagé à Kismayo et y a vécu. Même si M. Hassan avait eu l’intention de faire référence au district de Kismayo, celui‑ci demeure un district entièrement différent du district de Jamaame, où l’appelant prétend avoir vécu.

[83]  La SAR a également fait remarquer que l’affidavit de Mme Barre ne pouvait que prouver, tout au plus, que le demandeur était en Somalie à un certain moment. En d’autres termes, il n’était pas suffisant pour établir qu’il est un ressortissant somalien :

[84]  La question qui demeure est de savoir quelle influence a l’affidavit de Mme Barre sur la détermination globale de l’identité de l’appelant. À ce jour, de l’avis de la SAR, il s’agit de l’élément de preuve le plus solide que l’appelant ait présenté au sujet de son identité. S’il est jugé crédible, cet affidavit pourrait permettre, en fait, de situer l’appelant en Somalie pendant une période donnée.

[85]  Le principal problème qui se pose est la suffisance des éléments de preuve. Lorsque, comme dans la présente affaire, la SPR a tiré un certain nombre de conclusions défavorables valides et a correctement accordé peu ou pas de poids aux éléments de preuve de l’identité de l’appelant, un affidavit de Mme Barre ne sera pas suffisant pour établir la prépondérance de la preuve. Comme il a été mentionné précédemment, la fiabilité de ces éléments de preuve est remise en question compte tenu de l’âge de Mme Barre lorsqu’elle a vu l’appelant pour la dernière fois en Somalie, de leur association relativement vague l’un avec l’autre en Somalie et de l’absence d’autres éléments de preuve corroborant le recoupement des antécédents de résidence dans la même région géographique. Le témoignage sous serment d’une personne qui avait seulement 14 ans la dernière fois qu’elle a vu l’appelant en Somalie n’est pas suffisant pour établir l’identité nationale et personnelle de l’appelant.

[84]  Même en tenant compte des difficultés que rencontrent les demandeurs d’asile pour établir leur identité en raison de l’inaccessibilité des documents gouvernementaux ou officiels en Somalie, je ne crois pas que l’on puisse affirmer qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure qu’il y avait une divergence sur cette question dans la propre preuve du demandeur, et que cette divergence particulière n’a pas été résolue par l’affidavit de Mme Barre. En fait, l’affidavit ne démontre en aucun cas qu’il est un ressortissant somalien, bien que je puisse constater que, conjointement avec d’autres éléments de preuve, il pourrait donner une certaine crédibilité aux allégations du demandeur selon lesquelles il est un ressortissant somalien. Toutefois, la décision dans son ensemble indique clairement que la SAR était bien consciente de cela parce qu’elle a procédé à un examen approfondi des autres éléments de preuve du demandeur et les a examinés de façon cumulative pour voir s’ils appuyaient les affirmations liées à l’identité du demandeur. En fin de compte, il s’agit du poids accordé à certains éléments de preuve et de leur importance cumulative. Il y a certainement place pour un désaccord sur ces questions, mais, étant donné que la SAR examine la preuve et donne des motifs convaincants pour justifier ses conclusions, la Cour ne peut intervenir. Voir Vavilov, aux paragraphes 83‑87 et 125‑126, et Gonzalez Zuluaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1105, au paragraphe 10.

(2)  Formulaires de parrainage et photographies

[85]  Le demandeur a présenté des formulaires de parrainage et deux photographies montrant lui et M. Abdirisak Muse Hassan ensemble. Ces éléments de preuve visaient à confirmer les renseignements en matière de résidence du demandeur.

[86]  La SAR a reconnu que les formulaires et les photographies constituaient de nouveaux éléments de preuve, mais elle leur a accordé peu de poids pour dissiper les préoccupations quant à la résidence.

[87]  Le demandeur affirme maintenant que la SAR a agi de façon déraisonnable en ce sens parce qu’elle n’a pas adopté une approche contextuelle et n’a pas tenu compte de la preuve dans son ensemble. Plus particulièrement, le demandeur affirme que la SAR n’a pas tenu compte des photographies et des formulaires en corrélation avec les affidavits de Hassan et Barre, ainsi que du témoignage du demandeur concernant sa résidence en Somalie.

[88]  Bien que je sois d’accord avec le demandeur pour dire qu’il serait déraisonnable d’examiner ce type de preuve isolément, une simple lecture de la décision démontre que cela ne s’est pas produit. Après avoir analysé les contradictions quant à la résidence entre le témoignage du demandeur et celui de M. Abdirisak Muse Hassan, la SAR examine ensuite l’affidavit de Barre, les formulaires de parrainage ainsi que les photographies pour déterminer si ces éléments de preuve, combinés, permettent de résoudre la contradiction quant à la résidence. Les paragraphes 61 à 63 de la décision indiquent ce qui suit :

[61]  Dans ma propre évaluation indépendante, j’ai examiné l’affidavit de Mme Barre, mais j’estime que son contenu n’élimine pas l’incohérence de l’affidavit de M. Hassan. Mme Barre décrit le village de Mugambo comme étant dans les [traduction] « banlieues » de Kismayo. Cette déclaration se rapproche un peu du témoignage de l’appelant selon lequel Kismayo était à une ou deux heures de Kismayo, mais ne corrige pas l’incohérence. L’affidavit de M. Hassan indique clairement que l’appelant a déménagé à Kismayo et y a vécu. Même si M. Hassan avait eu l’intention de faire référence au district de Kismayo, celui‑ci demeure un district entièrement différent du district de Jamaame, où l’appelant prétend avoir vécu.

[62]  J’ai également tenu compte des formulaires de parrainage et des photos de M. Hassan dans mon évaluation du poids à accorder à l’affidavit de M. Hassan. Toutefois, j’estime qu’ils ont très peu de valeur probante. Bien que la SPR ait également écarté l’affidavit en raison de l’absence des formulaires de parrainage en matière d’immigration du déposant, à mon avis, l’absence de ces formulaires est sans importance. La SPR a simplement demandé ces documents pour vérifier si l’appelant et son témoin avaient présenté un récit cohérent de leurs anciens lieux de résidence dans le district de Jamaame. Les formulaires de parrainage présentés en appel ne permettent pas de vérifier ces renseignements. La demande est incomplète. Seuls les formulaires de parrainage ont été soumis, et il manque tous les formulaires du demandeur. Les anciens lieux de résidence de M. Hassan ne sont mentionnés dans aucun formulaire. Bien que l’appelant fasse valoir que cela est attribuable au fait que les formulaires de parrainage sont différents des formulaires de demande d’asile, je ne suis pas du tout convaincu. Il est inconcevable qu’un formulaire de renseignements généraux n’ait pas été présenté par M. Hassan dans sa demande d’immigration, puisqu’il aurait dû faire l’objet d’un contrôle pour déterminer son admissibilité au Canada. Ses antécédents personnels et ses anciens lieux de résidence auraient certainement été inclus dans ce contrôle. Étant donné l’absence des antécédents de résidence dans les formulaires de parrainage, les formulaires n’ont aucune valeur probante pour établir que le déposant et l’appelant résidaient dans le même secteur en Somalie.

[63]  Enfin, l’appelant présente des photos de lui et de M. Hassan, ensemble. Ces photos ont très peu de valeur probante. Contrairement aux arguments de l’appelant, ils n’établissent pas que l’appelant et son témoin se connaissaient en Somalie. Ils ne font que représenter l’appelant et son témoin ensemble. Rien n’indique quand ni où ces photos ont été prises. Il n’y a aucune indication quant au moment ou à l’endroit où ces photographies ont été prises.

[89]  La lecture de ces paragraphes me porte à croire qu’en évaluant le poids qui devrait être accordé aux formulaires de parrainage et aux photographies pour résoudre la contradiction quant à la résidence, la SAR a adopté une approche contextuelle et n’a pas simplement examiné ces éléments de preuve isolément.

(3)  Lettre de Mme Faiza Abdulkadir

[90]  Dans ses observations écrites, le demandeur se plaint de ce qui suit au sujet du traitement que la SAR a réservé à cet élément de preuve :

[traduction]

34.  Le demandeur a présenté un affidavit de Faiza Abdulkadir aux fins de l’établissement de son identité. Pourtant, le tribunal de la SPR n’a accordé aucun poids à l’affidavit parce qu’il a affirmé que l’affidavit n’a pas résolu la question de savoir si la demande d’asile du demandeur aux États‑Unis avait été rejetée ou s’il était parti avant de remplir la demande. La SAR a confirmé cette conclusion. Le demandeur affirme qu’il s’agit d’une erreur. L’affidavit contenait des renseignements détaillés sur l’identité du demandeur. C’est ce qui était en cause. Pourtant, le tribunal a refusé de l’examiner sur ce fondement en raison d’une autre préoccupation. Le demandeur a présenté cet affidavit comme moyen d’établir son identité et non pour déterminer s’il était allé au bout de sa demande d’asile aux États‑Unis.

35.  En outre, le tribunal n’a accordé aucun poids à l’affidavit parce que la témoin n’a pas été appelée à témoigner par téléphone. Compte tenu des soupçons exagérés et non fondés du tribunal, il apparaît que même si la témoin avait été disponible pour témoigner par téléphone, le tribunal n’aurait pas cru que c’était elle au bout du fil.

[91]  Il ne s’agit pas d’une description exacte du traitement réservé à cette preuve. D’abord, cette lettre n’était pas un affidavit (il s’agissait d’une lettre notariée) et elle n’a pas été rejetée simplement parce que l’auteure n’était pas disponible pour un contre‑interrogatoire. En outre, la SAR tient compte de la valeur de cet élément de preuve pour établir l’identité du demandeur. La lettre se lit comme suit :

[traduction]

Le 10 octobre 2017

Madame, Monsieur,

Je m’appelle Faiza Abdulkadir, je suis la cousine d’Osman Ali Abdi, et nos mères sont des cousines germaines. L’an dernier, lorsque mon cousin a été mis en liberté conditionnelle, il a vécu avec moi au 6369, promenade Sain Johns, Eden Prairie Minnesota 55346, États‑Unis. Je l’ai aidé autant que j’ai pu.

Ci‑joint se trouve une copie de mon passeport américain.

[Erreurs dans l’original.]

[92]  La SAR a traité cette lettre de la manière suivante :

[67]  J’estime que la SPR n’a pas commis d’erreur dans le traitement de ce document. La SPR a examiné la lettre pour déterminer si elle pouvait répondre à la question de savoir si la demande d’asile de l’appelant aux États‑Unis avait été refusée ou non. Elle a conclu que la lettre ne répondait pas à cette question, mais qu’elle mentionnait simplement que l’auteure avait accueilli l’appelant chez elle après la mise en liberté de ce dernier. Fait important, la SPR a souligné que la lettre était vague et que l’auteure n’était pas disponible pour témoigner par téléconférence. En effet, l’objet de la lettre n’est pas clair. Si la lettre devait exposer l’identité de l’appelant, l’auteure s’en tire plutôt mal. La lettre indique simplement le nom de l’auteure, le nom de l’appelant et le fait que leurs mères sont cousines germaines. Elle n’indique pas si l’auteure sait si l’appelant est même citoyen de la Somalie, où l’appelant a vécu ou s’il a déjà vécu en Somalie, et si l’auteure et l’appelant se sont déjà rencontrés en Somalie. Par ailleurs, la lettre ne mentionne aucun des noms des membres de leur famille respective.

[68]  De plus, je remarque qu’aucune copie originale de cette lettre notariée n’a même été présentée à la SPR. Au cours de l’audience, la conseil déclare que cette lettre a été envoyée par courriel. Cela n’est pas raisonnable. La règle 42 des Règles de la Section de la protection des réfugiés exige expressément que les demandeurs d’asile fournissent les documents originaux au plus tard au début de leur audience. Aucune explication raisonnable n’a été présentée pour expliquer l’absence de la lettre originale notariée, même si son auteure réside aux États‑Unis.

[69]  La SPR mentionne le fait que l’auteure de la lettre n’a pas été appelée à témoigner par téléconférence, mais ce n’était pas une erreur. Il incombe à l’appelant d’établir son identité. Il n’en demeure pas moins qu’un affidavit détaillé, dont l’auteure est disponible pour contre‑interrogatoire, a beaucoup plus de poids qu’un affidavit qui manque de détails et dont la crédibilité de l’auteure ne peut être mise à l’épreuve. Lorsque, comme dans la présente affaire, la lettre est très peu détaillée, qu’aucun original n’a été fourni et que le contenu de la lettre n’a pu être mis à l’épreuve, ce n’est pas une erreur de la SPR que d’écarter l’élément de preuve. À mon avis, la lettre de la cousine n’a que peu de poids.

[Non souligné dans l’original.]

[93]  Les plaintes du demandeur concernant le traitement réservé à cet élément de preuve ne sont pas fondées. Le fait que le demandeur et Mme Faiza Abdulkadir soient cousins n’appuie pas l’allégation selon laquelle le demandeur est un ressortissant somalien.

(4)  Affidavit de M. Abdirahaman Omar Hassan

[94]  Dans ses observations écrites détaillées, le demandeur se plaint de l’évaluation faite par la SAR de l’affidavit de M. Abdirahaman Omar Hassan en ces termes :

[traduction]


37.  Le tribunal de la SPR a abordé l’affidavit d’Abdirahman Omar Hassan dans un paragraphe et lui a accordé une faible valeur probante parce qu’il ne connaissait pas le demandeur en Somalie. Ils s’étaient rencontrés en Afrique du Sud. La conclusion a été confirmée par la SAR.

38.  Le demandeur affirme qu’il s’agit d’une erreur. L’affidavit a été présenté pour établir l’identité du demandeur. Le témoin confirme qu’il a connu le demandeur en Afrique du Sud et confirme son nom et le fait qu’il est un ressortissant somalien. Il convient de souligner que le déposant est également un Somalien, qu’il a été parrainé pour venir au Canada, qu’il affirme connaître le cousin du demandeur qui a été tué en Afrique du Sud dans des actes de violence xénophobe, et qu’il a même aidé à organiser les funérailles. Nous soutenons que puisque le déposant est aussi somalien, il serait particulièrement bien placé pour juger l’allégation d’un compatriote selon laquelle il est somalien, grâce à une évaluation de ses compétences linguistiques, de ses connaissances géographiques et de ses connaissances culturelles.

39.  En outre, le tribunal de la SPR a reconnu que l’appelant était en Afrique du Sud et qu’on lui avait accordé le statut de réfugié, mais a fait fi du fait que le gouvernement sud‑africain avait reconnu son identité. Cette conclusion est également déraisonnable. Pourtant, le tribunal de la SAR a infirmé cette conclusion de fait et a déclaré qu’il n’avait aucun document démontrant que l’Afrique du Sud avait accepté son identité ou qu’il était réfugié. Compte tenu de cette infirmation, nous soutenons que la justice naturelle aurait exigé de la SAR qu’elle donne au demandeur la possibilité de répondre à ces nouvelles conclusions.

[95]  Outre les questions de justice naturelle, que j’ai abordées précédemment, le demandeur n’est tout simplement pas d’accord avec la SAR au sujet du poids qu’elle aurait dû accorder à cet élément de preuve pour établir son identité. Toutefois, comme le révèle la décision, le demandeur ne traite pas réellement des motifs de la SAR, notamment aux paragraphes 70 à 74 :

[70]  Un autre élément de preuve était un affidavit d’Abdirahaman Omar Hassan, qui prétend avoir rencontré l’appelant en Afrique du Sud en 2012. La SPR a accordé peu de poids à ce document, et je suis d’accord avec cette évaluation.

[71]  L’appelant soutient que la SPR s’est trompée en accordant peu de poids à cet affidavit. Il soutient que, puisque le déposant est aussi somalien, il serait particulièrement bien placé pour juger si l’appelant est somalien, grâce à une évaluation de ses compétences linguistiques, de ses connaissances géographiques et de ses connaissances culturelles. L’appelant soutient également que la SPR n’a pas tenu compte du fait que l’appelant avait été accepté comme réfugié en Afrique du Sud et que le gouvernement sud‑africain avait accepté son identité.

[72]  Je ne souscris pas à l’argument de l’appelant. L’affidavit n’indique pas que le déposant est en mesure d’évaluer de façon fiable la nationalité de l’appelant. De plus, contrairement aux arguments de l’appelant, l’affidavit ne dit rien de l’évaluation par le déposant de la connaissance de la géographie, de la culture ou des compétences linguistiques somaliennes de l’appelant. Néanmoins, il est important de tenir compte du fait qu’il existe des populations importantes d’origine ethnique somalienne dans de nombreuses régions de l’Afrique de l’Est, y compris l’Éthiopie, le Kenya et Djibouti. La connaissance qu’a une personne de la culture et de la langue somaliennes peut être un indicateur fiable de l’origine ethnique, mais pour ce qui est de la nationalité de l’appelant, ces connaissances ne sont pas déterminantes.

[73]  Le déposant affirme que l’appelant est citoyen de la Somalie et qu’il n’est citoyen d’aucun autre pays, mais il est difficile de comprendre comment le déposant pourrait attester de ces faits s’il a rencontré l’appelant en Afrique du Sud seulement en 2012. Il ne peut pas se prononcer à savoir si, quand et où l’appelant a vécu en Somalie. Les motifs invoqués par la SPR pour écarter ces éléments de preuve sont valides. Comme la SPR, j’accorde très peu de poids à cet affidavit.

[74]  Même si l’appelant soutient également que son acceptation comme réfugié en Afrique du Sud devrait compter pour quelque chose, je ne suis pas convaincu par cet argument. Rien ne permet d’établir que le gouvernement sud‑africain ait accepté son identité. Bien qu’il ait théoriquement obtenu le statut de réfugié temporaire en Afrique du Sud, lequel il a dû renouveler régulièrement, l’appelant n’a fourni aucun document de statut de l’Afrique du Sud qui corrobore son allégation selon laquelle il a été accepté en tant que réfugié là‑bas. En l’absence de toute corroboration, la SPR n’était pas tenue d’accepter que l’appelant avait été reconnu comme réfugié en Afrique du Sud. L’argument est sans fondement.

[Italique dans l’original.]

[96]  Le déposant en l’espèce ne dit pas que le demandeur a été accepté comme réfugié en Afrique du Sud. Il dit simplement qu’il était un [traduction] « demandeur d’asile ». Par conséquent, la SAR était tenue de chercher à obtenir une acceptation réelle. Je constate que cet affidavit a une valeur probante dans l’établissement de l’origine ethnique du demandeur, mais, pour les motifs invoqués par la SAR, il n’établit pas la nationalité somalienne du demandeur, qui était la question centrale dont la SAR était saisie.

(5)  Demande d’asile aux États‑Unis

[97]  Le demandeur a présenté une demande d’asile aux États‑Unis avant de venir au Canada. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, il a déclaré que sa demande d’asile aux États‑Unis avait été refusée, mais l’a modifié par la suite pour dire qu’il avait abandonné sa demande d’asile aux États‑Unis. Il convient de souligner qu’il affirme que son identité a été acceptée par les États‑Unis et, pour diverses raisons, il était déraisonnable pour la SAR de ne pas l’accepter. Plus précisément, il soutient ce qui suit :

  • a) La demande d’asile aux États‑Unis n’était pas un événement important qui a donné lieu à la demande d’asile du demandeur au Canada; ce sont plutôt les événements en Somalie qu’il fuit. Le demandeur soutient que les conclusions erronées de la SAR concernant la demande d’asile des États‑Unis sont à l’origine du rejet par la SAR des éléments de preuve qu’il a présentés concernant sa nationalité somalienne.

  • b) Les autorités américaines ont accepté son identité en tant que ressortissant somalien, mais la SAR n’a accordé aucun poids à cette affirmation au motif qu’il n’a pas fourni de preuve de l’abandon de la demande d’asile aux États‑Unis, malgré le fait qu’il n’y a aucun moyen de prouver quelque chose qu’il n’a pas fait.

  • c) La SAR a conclu de façon déraisonnable qu’il mentait lorsqu’il a affirmé avoir abandonné sa demande d’asile aux États‑Unis, et qu’il cachait des renseignements importants dans ses documents de demande d’asile aux États‑Unis.

  • d) Les documents de la demande d’asile aux États‑Unis ont été présentés à la SAR et ils corroborent le récit qu’il a raconté aux autorités américaines concernant la raison de sa fuite de la Somalie. Le demandeur soutient que la SAR n’a pas tenu compte de ces documents.

  • e) En plus de montrer que les autorités américaines ont accepté son identité en tant que ressortissant somalien, les documents montrent aussi que ses [traduction] « données biométriques » ont été prises par Immigration and Customs Enforcement au Panama en novembre 2015, ce qui confirme son séjour aux États‑Unis. Il affirme que la SAR n’a pas tenu compte de ces éléments.

[98]  Essentiellement, le demandeur affirme que la SAR [traduction] « s’est appuyée sur les documents de la demande d’asile des États‑Unis pour mettre en doute la crédibilité du demandeur, mais qu’elle n’a pas tenu compte des parties des documents qui corroboraient le récit, l’itinéraire et l’identité ».

[99]  Comme l’indique clairement la décision, les diverses questions soulevées par la demande d’asile du demandeur aux États‑Unis n’étaient pas accessoires à sa demande d’asile au Canada, et le demandeur ne tient pas compte des nombreuses incohérences dans sa preuve qui ont miné sa crédibilité, la preuve qu’il était un ressortissant somalien de même que les raisons qu’il a données pour avoir fui ce pays. En fait, le demandeur demande à la Cour de fermer les yeux sur ces questions et d’accepter son affirmation selon laquelle sa demande d’asile aux États‑Unis a établi son identité en tant que ressortissant somalien qui a besoin de l’asile au Canada.

[100]  Ce que la SAR avait à dire sur cette question est la meilleure façon de comprendre l’inadéquation de cette allégation de décision déraisonnable :

[33]  L’appelant soutient que sa demande d’asile aux États‑Unis n’a pas été un événement important pour sa demande d’asile au Canada et que, de toute façon, il a corrigé l’information dans son formulaire. Il s’appuie sur la jurisprudence relative aux omissions dans le formulaire FDA pour faire valoir que la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable. L’appelant soutient qu’il n’y a aucun moyen de prouver que sa demande d’asile a été abandonnée ou refusée, puisqu’il a simplement quitté les États‑Unis sans terminer sa demande d’asile. L’appelant soutient également que la SPR a commis une erreur en n’accordant aucun poids au fait que son identité avait été acceptée par les autorités des États‑Unis et en ne tenant pas compte des documents de la demande d’asile des États‑Unis qui fournissent un compte rendu cohérent de l’exposé circonstancié de l’appelant, de son itinéraire de voyage et de son identité.

[34]  Je ne souscris pas aux arguments de l’appelant. La jurisprudence sur laquelle l’appelant s’est appuyé est tout à fait différente, car elle porte sur l’omission de détails explicatifs dans l’exposé circonstancié d’un demandeur d’asile. L’omission de la date du baptême d’un converti au christianisme, par exemple, pourrait ne pas être importante dans certaines circonstances, et il pourrait être difficile pour les demandeurs d’asile de prévoir ce qui pourrait être considéré comme important par la SPR. Toutefois, dans cette affaire, le formulaire FDA demande expressément aux demandeurs d’asile de divulguer s’ils ont déjà présenté une demande d’asile et de divulguer les résultats de ces demandes d’asile.

[35]  En l’occurrence, l’appelant n’a pas simplement omis un détail de ses formulaires, mais il a fourni de faux renseignements. Je suis d’accord avec la SPR pour dire qu’il ne s’agissait pas d’une erreur innocente, compte tenu de la répétition de l’erreur, du moment où elle a été corrigée et du témoignage évolutif de l’appelant sur la question au cours de l’audience.

[36]  L’appelant a rempli son formulaire FDA avec l’aide d’un avocat spécialisé en droit des réfugiés et d’un interprète somalien. L’appelant a signé le formulaire, en déclarant qu’il était complet, vrai et exact, et en déclarant que tout le contenu lui avait été interprété. L’interprète somalien a lui aussi signé une déclaration indiquant qu’il avait bien interprété le formulaire au complet et les documents joints pour l’appelant, et que l’appelant lui avait assuré qu’il comprenait tout le contenu tel qu’il était interprété. Malgré cela, la question 4 du formulaire FDA indique que la demande d’asile de l’appelant aux États‑Unis a été refusée. L’appelant déclare également ceci dans son exposé circonstancié écrit :

[Traduction] J’ai pu trouver un agent pour m’aider à me rendre aux États‑Unis. J’y ai présenté une demande d’asile après être arrivé le 6 janvier 2016. Ma demande d’asile a été refusée et j’ai ensuite traversé la frontière canadienne à pied et présenté une demande d’asile au Manitoba.

[37]  De plus, il est précisé ce qui suit dans le formulaire de l’annexe A de l’appelant :

[Traduction] J’ai déjà présenté une demande d’asile aux États‑Unis. J’ai fait l’objet d’une mesure d’expulsion vers la Somalie.

[38]  Le formulaire de l’annexe 12 indique que le formulaire de l’annexe A de l’appelant a été rempli avec l’aide d’un bénévole de Winnipeg. Le formulaire de l’annexe A a été signé par l’appelant le 21 novembre 2016, où il a déclaré que le contenu était véridique, complet et exact.

[39]  Malgré l’erreur présumée dans ces formulaires, l’appelant n’a pas présenté de modification au formulaire FDA avant le 16 octobre 2017, de nombreux mois après que les formulaires ont été remplis, et seulement après que la SPR a demandé un enregistrement audio de la décision du tribunal de l’immigration des États‑Unis.

[40]  En outre, après avoir examiné le dossier d’audience de la SPR, je conviens que l’appelant a présenté un témoignage évolutif et contradictoire sur cette question. Au départ, l’appelant a déclaré qu’il n’avait pas eu d’audience aux États‑Unis et qu’il est parti après avoir appris de son avocat américain qu’il devait obtenir un passeport somalien pour faciliter son départ en cas de résultat défavorable. Lorsque la SPR l’a confronté avec les renseignements contenus dans son premier formulaire FDA au sujet du refus du statut de réfugié aux États‑Unis, l’appelant a nié avoir écrit ces renseignements. Il a même nié avoir obtenu l’interprétation de son formulaire FDA, ne modifiant son témoignage qu’après que la déclaration de l’interprète lui a été présentée. Il a ensuite imputé la divergence dans le formulaire FDA aux erreurs possibles dans ses documents américains de mise en liberté. Il a ensuite contredit son témoignage précédent en disant qu’il avait effectivement fait l’objet d’une mesure d’expulsion aux États‑Unis. Lorsque cette contradiction a été présentée à l’appelant, il est revenu sur sa réponse. Il a finalement expliqué qu’il n’avait pas modifié son formulaire FDA plus tôt parce qu’il avait subi une blessure au genou.

[41]  À cette confusion s’ajoute l’explication de l’appelant pour avoir supposément abandonné sa demande d’asile aux États‑Unis. Selon son témoignage, l’appelant a décidé d’abandonner sa demande d’asile aux États‑Unis parce que son avocat lui a demandé d’obtenir un passeport, ce qui faciliterait son départ en Somalie en cas de décision défavorable. Bien qu’il ait clarifié cette question avec son avocat — qu’il ne pouvait être expulsé qu’en cas de décision défavorable — l’appelant craignait de se faire prendre à n’importe quel moment et d’être renvoyé en Somalie. La SPR s’est montrée sceptique à l’égard de cette explication et l’a rejetée, car elle a conclu que la crainte d’expulsion de l’appelant n’était pas appuyée de façon objective. La SPR a tenu compte du fait que les États‑Unis ont un régime de demandes d’asile intérieur fonctionnel et que rien n’indique que les demandeurs d’asile sont expulsés des États‑Unis avant qu’une décision soit rendue concernant leur demande d’asile. Je conviens avec la SPR que cette explication est difficile à comprendre. L’appelant a quitté l’Afrique du Sud avec l’intention de présenter une demande d’asile aux États‑Unis. Il était représenté par un avocat des États‑Unis, qui ne lui a jamais dit qu’il pouvait être expulsé avant qu’une décision soit rendue au sujet de sa demande d’asile. Il avait déjà présenté une demande d’asile et sa seule pièce d’identité délivrée par le gouvernement, son certificat de naissance, était en possession des autorités américaines chargées de traiter les demandes d’asile. J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi l’appelant aurait renoncé à ses projets aux États‑Unis en vue de se soumettre à un processus d’octroi d’asile non familier au Canada en raison de craintes non justifiées, en laissant derrière lui son seul document d’identité officiel, surtout lorsque ses craintes n’étaient pas du tout confirmées par les conseils juridiques de son propre avocat.

[42]  J’ai tenu compte des facteurs susmentionnés, à savoir les renseignements incohérents dans les formulaires de l’appelant, le moment de la modification du formulaire FDA, le témoignage évolutif de l’appelant et l’explication absurde de sa décision d’abandonner, supposément, sa demande d’asile. Je conviens avec la SPR que la déclaration initiale de l’appelant — selon laquelle sa demande d’asile a été rejetée — est le scénario le plus probable. Je conclus également que l’appelant a simplement changé ces renseignements dans le but de cacher des renseignements sur les procédures qui ont eu lieu aux États‑Unis. La rétention de cette information a fait en sorte que la SPR n’a pas accordé de poids à la photocopie du certificat de naissance de l’appelant. Je suis d’accord avec le poids attribué à ce document, d’autant plus que la SPR n’a pas eu l’occasion d’examiner l’original et que l’appelant n’a pas démontré d’efforts pour tenter de reprendre possession du document.

[43]  En ce qui concerne les documents d’asile des États‑Unis et leur poids, je ne suis pas d’accord avec l’argument de l’appelant.

[44]  Aux États‑Unis, l’appelant s’est soumis à une entrevue visant à déterminer si sa crainte est crédible. Ses allégations étaient les mêmes que celles de la présente affaire. Il semble qu’un agent préposé aux demandes d’asile aux États‑Unis ait conclu, dans le cadre de l’entrevue visant à déterminer une crainte crédible, que l’identité de l’appelant avait été établie avec un degré raisonnable de certitude. Toutefois, pour que ce soit clair, la décision indique que l’appelant n’avait pas de pièce d’identité délivrée par le gouvernement et que la décision a été rendue en se fondant sur les déclarations de l’appelant et d’autres documents non précisés. Il est précisé que l’appelant a parlé de la délivrance de certains documents en Afrique du Sud contenant certains de ses renseignements personnels, mais il n’est pas dit clairement quels étaient ces documents et s’ils ont été présentés aux autorités américaines chargées de traiter les demandes d’asile.

[45]  Peu importe si la SPR a eu tort de ne pas mentionner ces renseignements, lorsque, comme en l’occurrence, il y a si peu de renseignements et d’éléments de preuve à l’appui de la détermination de l’identité aux États‑Unis, et lorsque l’appelant a omis de divulguer des renseignements au sujet de sa demande d’asile aux États‑Unis, je n’accorderais pas beaucoup de poids à la détermination de l’identité qui a été faite à l’entrevue visant à déterminer une crainte crédible.

[Italique dans l’original, renvois omis.]

[101]  Dans la présente demande, le demandeur n’a même pas tenté de contester les véritables motifs qui sous‑tendent le traitement que la SAR a réservé à sa demande d’asile aux États‑Unis.

(6)  Erreur dans la date de naissance

[102]  Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable pour la SAR de lui avoir reproché ce qui n’était en réalité qu’une erreur typographique mineure dans la date de naissance indiquée dans divers formulaires.

[103]  Lorsqu’examinée hors contexte, la différence entre le 11 janvier 1990 et le 1er janvier 1990 semble certainement être une erreur typographique, mais le demandeur ne tient pas compte des raisons pour lesquelles la SAR n’a pas été en mesure de l’accepter comme telle :

[48]  La différence entre les dates est relativement faible et j’aurais pu accepter la différence comme une erreur typographique innocente, n’eût été le fait qu’elle est répétée dans de nombreux formulaires de l’appelant et même dans les formulaires de demande d’asile de l’appelant aux États‑Unis. Le formulaire FDA de l’appelant, son formulaire de demande générique, son formulaire de l’annexe A et son formulaire de l’annexe 12 indiquent tous que la date de naissance de l’appelant est le 1er janvier 1990.

[49]  Cela, malgré le fait que la photocopie du certificat de naissance de l’appelant indique qu’il est né le 11 janvier 1990 et malgré le fait que l’appelant aurait commis la même erreur aux États‑Unis. Aux États‑Unis, l’appelant a d’abord inscrit sa date de naissance comme étant le 1er janvier 1990, puis il l’a modifiée pour indiquer le 11 janvier 1990, conformément à son certificat de naissance. Le formulaire américain indique que la date de naissance a été modifiée après que l’appelant a expliqué que l’erreur était attribuable à une mauvaise interprétation.

[50]  Lorsque l’appelant a déjà commis cette erreur par le passé et qu’il a dû modifier sa date de naissance dans le cadre de ses procédures aux États‑Unis, j’ai moi aussi de la difficulté à accepter que l’appelant se soit tout simplement retrouvé à fournir encore une fois la mauvaise date de naissance dans ses formulaires canadiens en raison d’erreurs typographiques. Je conviens avec la SPR que cela jette un doute sur la véritable date de naissance de l’appelant.

[Renvois omis.]

[104]  Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il a commis la même erreur à nouveau. Quoi qu’il en soit, à mon avis, cet élément n’a eu qu’une incidence très faible sur la décision globale, qui porte sur l’identité du demandeur. Il s’agit simplement d’un autre mystère que le demandeur n’a pas pu expliquer de façon satisfaisante.

(7)  Lettres d’organismes communautaires somaliens au Canada

[105]  Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de refuser de reconnaître l’opinion de deux organismes communautaires somaliens respectés au Canada (Dejinta Beesha et Midaynta), qui sont fréquemment chargés d’évaluer l’identité somalienne et qui, indépendamment l’une de l’autre et à la suite d’entrevues approfondies, ont confirmé son identité personnelle, son clan et sa nationalité.

[106]  Essentiellement, la SAR a conclu que ces lettres n’étaient pas suffisantes pour dissiper ses nombreuses autres préoccupations en matière de crédibilité, ni pour établir la nationalité somalienne et l’identité personnelle du demandeur :

[78]  À mon avis, il ne fait aucun doute que l’appelant est d’origine ethnique somalienne. Il parle couramment la langue somalienne, a une certaine connaissance de la lignée de son clan et semble avoir convaincu d’autres Somaliens qu’il connaît la culture et les traditions somaliennes. Toutefois, l’origine ethnique n’est pas un élément déterminant de la nationalité. Comme on l’a expliqué, il y a d’importantes populations de personnes d’origine ethnique somalienne dans d’autres pays qui ne sont pas des ressortissants somaliens. Il ne serait pas inhabituel pour des personnes d’origine ethnique somalienne d’avoir une bonne connaissance de la langue somalienne, de la culture et de l’histoire somaliennes et de la lignée de leur clan, et même d’avoir une certaine connaissance géographique de la Somalie.

[79]  Dans ce contexte, il serait important de voir quelles questions précises ont été posées à l’appelant, afin de déterminer la valeur des questions pour aider à déterminer la nationalité de l’appelant, plutôt que simplement son origine ethnique. Dans la lettre de Dejinta Beesha, il est vaguement mentionné que l’évaluation de la vérification communautaire comporte des questions sur les antécédents, l’histoire, le patrimoine, la géographie, la « sociopolitique », le lignage clanique et la culture, toutes posées dans la langue somalienne. Sans plus de détails, il est difficile de déterminer la profondeur des connaissances de l’appelant et la pertinence de ces questions pour déterminer sa nationalité.

[80]  La lettre de Midaynta est un peu plus détaillée. Elle énonce les déclarations de l’appelant au sujet de sa résidence en Somalie. L’appelant a déclaré qu’il a grandi à Mugambo, une ville du Bas‑Djouba, qu’il a décrite comme une région rurale. Il a correctement désigné la rivière Juba comme point d’intérêt. Toutefois, cette description très élémentaire ne justifie pas qu’il soit accordé à cette évaluation plus que peu de poids.

[81]  Enfin, je considère également que ces organismes ne connaissaient l’appelant au Canada qu’aux fins de sa demande d’asile. Ils ne peuvent fournir aucun élément de preuve probant concernant l’identité personnelle de l’appelant, comme son nom, sa date de naissance ou des renseignements sur sa famille.

[82]  Je conviens donc que les lettres des organismes communautaires ont peu de poids pour établir la nationalité et l’identité personnelle de l’appelant.

[Renvois omis.]

[107]  En fin de compte, le demandeur affirme simplement que ces lettres auraient dû se voir accorder plus de poids dans la conclusion quant à son identité personnelle et sa nationalité somalienne. Son origine ethnique somalienne n’est pas contestée.

[108]  La SAR a donné toutes les raisons pour lesquelles, à la lumière de l’ensemble de la preuve, il était impossible d’accorder à ces lettres le poids qu’elles auraient dû se voir accorder selon le demandeur. Les motifs de la SAR sont intelligibles et ne peuvent pas être considérés comme déraisonnables dans le contexte global de la présente demande. Même si j’étais en désaccord avec l’évaluation de la SAR, je ne peux pas intervenir quant à ses conclusions.

IX.  CONCLUSIONS

[109]  Je constate qu’il y a certainement des facteurs en jeu dans la demande d’asile et la décision qui appuient la cause du demandeur. Après tout, il est d’origine somalienne et même la SAR a reconnu que les éléments de preuve qu’il a présentés ne sont pas tous défavorables. Par exemple, en ce qui concerne l’affidavit de Mme Barre, la SAR a reconnu ce qui suit :

[84]  La question qui demeure est de savoir quelle influence a l’affidavit de Mme Barre sur la détermination globale de l’identité de l’appelant. À ce jour, de l’avis de la SAR, il s’agit de l’élément de preuve le plus solide que l’appelant ait présenté au sujet de son identité. S’il est jugé crédible, cet affidavit pourrait permettre, en fait, de situer l’appelant en Somalie pendant une période donnée.

[110]  Néanmoins, comme l’a clairement indiqué la SAR, le problème essentiel était la suffisance et la fiabilité de l’ensemble de la preuve.

[111]  Dans ses propres observations dont je suis saisi, le demandeur souligne que chaque élément de preuve ne peut être analysé isolément et, citant le juge Harrington dans l’affaire Andreoli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1111, au paragraphe 16, qu’il est nécessaire d’opter pour une approche contextuelle.

[112]  Toutefois, il s’agit précisément de l’approche adoptée par la SAR, c’est pourquoi les éléments de preuve qui auraient pu aider le demandeur à établir son identité personnelle et nationale ne pouvaient être considérés isolément et devaient être évalués conjointement avec d’autres éléments de preuve qui n’ont pas aidé le demandeur.

[113]  La décision est détaillée et méticuleuse. Il est possible de ne pas souscrire à certaines des conclusions de la SAR quant au poids accordé, mais il ne s’agit pas d’un motif d’une erreur susceptible de révision. Dans l’ensemble, la décision est raisonnable et la Cour ne peut intervenir.

X.  CERTIFICATION

[114]  Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1949‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de mars 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1949‑19

 

INTITULÉ :

OSMAN ALI ABDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 novembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Russell

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 30 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Lina Anani

 

Pour le demandeur

 

Amina Riaz

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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