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Date : 20200130


Dossier : IMM-2723-19

Référence : 2020 CF 170

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

FAIZA IQBAL

ZUHAYR FAIZAN AHMED

AAMIRA ZABABA IQBAL

AAIRAH ZAINA IQBAL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La nature de l’affaire

[1]  Dans une décision datée du 8 avril 2019, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté les demandes d’asile des demandeurs. Devant la Cour, les demandeurs font valoir que la SAR a manqué à l’équité procédurale en soulevant de nouvelles questions en appel et qu’elle a effectué une analyse déraisonnable de la crainte de persécution des demandeurs.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑après, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.  Les faits

[3]  Faiza Iqbal [la demanderesse principale] est citoyenne du Pakistan et s’identifie comme musulmane. Elle est la mère des trois autres demandeurs, qui sont des enfants d’âge mineur [les demandeurs mineurs].

[4]  La demanderesse principale a obtenu un baccalauréat en génie civil en 2001 et a déménagé au Bangladesh en 2002 pour occuper le poste de directrice de l’entreprise de textile de son père. En 2003, elle a épousé un citoyen de ce pays. Les demandeurs mineurs sont issus de cette relation. Comme ils sont tous nés au Bangladesh, ils sont citoyens de ce pays.

[5]  À partir de 2007, l’époux de la demanderesse principale a commencé à la négliger et à avoir des aventures extraconjugales. En 2008, l’époux a commencé à se montrer violent physiquement à l’égard de la demanderesse principale. Cette dernière a décidé de maintenir sa relation avec son époux, malgré les mauvais traitements.

[6]  Le 15 janvier 2013, la demanderesse principale a vu son époux dans un hôtel, en train d’avoir une aventure avec une autre femme. L’époux de la demanderesse principale a vu cette dernière et l’a alors agressée devant son amie. La demanderesse principale a été frappée à la tête et est tombée par terre. Elle a été emmenée dans une clinique de l’endroit afin d’être traitée pour une fracture du côté gauche de sa tête.

[7]  Le 20 janvier 2013, la demanderesse principale a de nouveau été agressée par son époux. Elle a été emmenée à la clinique pour y passer des radiographies et un examen. La demanderesse principale a officiellement porté plainte à la police le 21 janvier 2013. La police n’a pas donné suite à sa plainte.

[8]  À de nombreuses autres occasions, l’époux de la demanderesse principale l’a menacée de mort, l’a menacée d’un couteau, l’a enfermée dans une pièce verrouillée, l’a maltraitée physiquement et l’a insultée.

[9]  Il ne fait aucun doute que la violence familiale est un problème omniprésent au Bangladesh. En février 2013, l’époux de la demanderesse principale l’a séquestrée à leur domicile et l’a agressée. À un moment donné, son époux a brandi un couteau devant elle. La demanderesse principale s’est ensuite enfuie de la maison avec ses enfants et s’est réfugiée chez une amie.

[10]  Le 27 novembre 2016, l’époux de la demanderesse principale a agressé cette dernière lors d’une dispute au sujet de leur dot (mahr). La demanderesse principale a été frappée à la tête et a perdu connaissance. Elle est revenue à elle à l’hôpital. Le certificat de l’hôpital indique que la demanderesse principale a subi des blessures à la tête dans la nuit du 27 au 28 novembre. Elle a déposé une plainte officielle auprès de la police le 29 novembre 2016. La police n’a pas donné suite à sa plainte.

[11]  À la suite de cet incident, la demanderesse principale a décidé qu’elle devait quitter le Bangladesh. Cependant, elle ne pouvait pas quitter le pays sans l’autorisation de son époux, qui a refusé de lui remettre son passeport et ses papiers d’identité personnels.

[12]  La demanderesse principale a par la suite convaincu son époux de se rendre avec toute la famille aux États‑Unis en décembre 2016. Pendant leur séjour là‑bas, la demanderesse principale a obtenu l’autorisation de visiter le Canada avec les enfants. Les demandeurs sont entrés au Canada le 31 décembre 2016. À leur arrivée ici, ils ont coupé toute communication avec l’époux de la demanderesse principale.

[13]  En février 2017, les demandeurs ont présenté une demande d’asile. Des mois auparavant, ils avaient déposé des demandes de visa de résident temporaire canadien, qui avaient été acceptées.

[14]  La demanderesse principale a demandé l’asile en tant que victime de violence familiale par son époux au Bangladesh et au Pakistan. Les demandeurs mineurs n’ont demandé l’asile qu’en ce qui concerne le Bangladesh. Ils ont demandé à se voir accorder l’asile avec leur mère en raison des antécédents de violence familiale de leur père. Les demandes d’asile des demandeurs mineurs ne fournissent pas de détails concernant la demande d’asile de la mère.

[15]  Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], la demanderesse principale a indiqué qu’elle risquait de subir un préjudice grave au Bangladesh et au Pakistan. Elle y a également indiqué que les demandeurs mineurs [traduction] « ne veulent pas vivre avec un père violent ». La demanderesse principale affirme avoir demandé la protection de la police au Bangladesh, mais que cette dernière n’est pas intervenue.

[16]  À l’appui de la demande d’asile, les demandeurs ont présenté un document notarié provenant de l’amie de la demanderesse principale, qui atteste des nombreux incidents de violence.

[17]  Pendant son séjour au Canada, la demanderesse principale s’est adressée à un travailleur social clinique inscrit afin d’obtenir un traitement pour ses symptômes de dépression et d’anxiété.

[18]  Lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR], la demanderesse principale a déclaré que son époux n’avait pas maltraité leurs enfants, mais que les enfants n’approuvaient pas le comportement violent et abusif de leur père.

[19]  Le 19 février 2018, la SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs, étant donné que la demanderesse principale disposait de trois possibilités de refuge intérieur [les PRI] viables au Pakistan, où son époux ne pourrait pas la rejoindre. La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs mineurs au motif que leur père ne les avait pas maltraités personnellement. La SPR a également tiré la conclusion que la demanderesse principale n’avait aucun parent de sexe masculin au Pakistan.

[20]  En appel devant la SAR, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait commis trois erreurs. Premièrement, elle n’a pas examiné s’il était déraisonnable ou trop sévère d’exiger que la demanderesse d’asile cherche refuge aux endroits des PRI proposées. Deuxièmement, elle n’a pas déterminé ni évalué correctement le profil de risque de la demanderesse principale au Pakistan (c.‑à‑d. une femme seule sans réseau de soutien là‑bas). Troisièmement, elle n’a pas compris que le fait de laisser un enfant être témoin de la violence infligée à un parent constituait une forme de violence envers l’enfant.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[21]  Le 8 avril 2019, la SAR a confirmé la décision de la SPR, mais en invoquant des motifs différents. Elle a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse principale ne courrait aucun risque relativement à son époux, dans la mesure où la demanderesse principale n’a pas exprimé clairement une crainte fondée de persécution au Pakistan et a reconnu que son époux ne pouvait pas lui faire du tort là‑bas. La SAR a estimé qu’il était approprié pour la SPR de conclure que le Pakistan offrait une PRI.

[22]  En outre, la SAR a conclu que la demanderesse principale ne courrait aucun risque au Pakistan, étant donné que les actes de persécution ont été commis au Bangladesh. La SAR a estimé qu’elle ne pouvait pas envisager de séparer la demanderesse principale de ses enfants afin de déterminer si cette dernière répondait à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

[23]  La SAR a également conclu que le témoignage de la demanderesse principale concernant la présence d’hommes au Pakistan qui pourraient la protéger manquait de crédibilité. Elle a estimé que le risque auquel la demanderesse serait exposée en retournant au Pakistan, en tant que femme célibataire, professionnelle et instruite de religion musulmane, soulevait « une possibilité » et non « une possibilité sérieuse » de persécution.

[24]  La SAR a également corroboré les conclusions de la SPR concernant les demandeurs mineurs. Elle a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs mineurs n’étaient pas en danger, étant donné qu’ils ne retourneraient probablement pas auprès de leur père, s’ils étaient renvoyés au Bangladesh, et qu’ils n’avaient pas été directement témoins des mauvais traitements ni n’en avaient été victimes.

IV.  Les questions en litige

[25]  La présente affaire soulève deux questions :

V.  La norme de contrôle

[26]  Dans ses observations supplémentaires présentées à la suite de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le défendeur soutient qu’il n’y a aucune raison de s’écarter de la norme de contrôle de la décision raisonnable, qui est présumée s’appliquer.

[27]  Je suis partiellement en désaccord avec le défendeur.

[28]  Conformément à la jurisprudence récente de la Cour postérieure à l’arrêt Vavilov, cet arrêt, selon l’interprétation que j’en fais, ne remplace pas la jurisprudence antérieure concernant la norme de contrôle applicable aux types de questions d’équité procédurale soulevées en l’espèce (Vavilov, au par. 23; Weng c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 151). Par conséquent, la première question en litige est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au par. 43 [Khosa]; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au par. 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121, aux par. 37-56; SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, au par. 100).

[29]  Toutefois, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la deuxième question en litige est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au par. 23). En vertu de cette norme, la « cour de révision n’est [...] appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif – ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu » (Vavilov, au par. 83).

VI.  Analyse

(1)  La SAR a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en soulevant de nouvelles questions en appel, sans en aviser les parties ni leur offrir la possibilité de présenter des observations?

[30]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a manqué à l’équité procédurale en soulevant deux questions qui n’ont pas été examinées par la SPR. La première a trait à la conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse principale n’a pas exprimé clairement une crainte fondée de persécution au Pakistan. La deuxième concerne la conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse principale n’était pas crédible lorsqu’elle a affirmé, dans son témoignage, qu’aucun membre de sa famille ne vivait au Pakistan. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit là de nouvelles questions de crédibilité et que, par conséquent, ils auraient dû en être avisés ou se voir offrir la possibilité de présenter des observations à cet égard (citant Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 [Ching]; Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 639 [Xu]; Ugbekile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1397 [Ugbekile]; Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 243 [Marin]; Bakare c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 267 [Bakare]; Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 380 [Ibrahim]; Isapourkhoramdehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 819).

[31]  Le défendeur soutient que les demandeurs ont déjà présenté des observations sur ces deux questions dans le mémoire des arguments qu’ils ont produit devant la SAR. Le défendeur fait valoir, en outre, que la SAR ne soulève pas une nouvelle question lorsqu’elle examine et évalue simplement de nouveau la preuve. Toutefois, le défendeur reconnaît que la SAR a l’obligation d’agir équitablement lorsqu’elle examine de nouvelles questions de droit.

(a)  Crainte fondée de persécution au Pakistan

[32]  Lorsque l’affaire était devant la SPR, la question déterminante était de savoir si la demanderesse principale disposait d’une PRI viable au Pakistan. Pour trancher cette question, la SPR a appliqué le critère à deux volets relatif à la PRI et a conclu que la demanderesse principale disposait de trois PRI viables au Pakistan.

[33]  La SPR a conclu que la demanderesse principale ne serait pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution au Pakistan, estimant que son époux ne la menacerait pas là‑bas. La SPR a jugé peu probable que l’époux de la demanderesse principale parvienne à la retrouver au Pakistan, compte tenu de la vaste population et de l’étendue géographique du pays et de l’absence de liens de son époux avec le Pakistan. Qui plus est, la demanderesse principale a affirmé que son époux ne pouvait pas lui faire de tort au Pakistan. En outre, la SPR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas réussi à prouver que son époux souhaite la retrouver, dans la mesure où il n’a pas communiqué avec elle depuis qu’elle est arrivée au Canada.

[34]  En appel, les demandeurs ont soutenu que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a déterminé le profil de risque de la demanderesse principale au Pakistan. Plus précisément, ils ont fait valoir que la SPR n’a pas considéré la situation particulière de la demanderesse principale comme un facteur aggravant pertinent en lien avec son profil de victime de violence familiale et de femme célibataire, séparée de son conjoint, qui vit seule avec des enfants, sans la protection d’un parent de sexe masculin au Pakistan. Dans leurs observations, les demandeurs ont accordé beaucoup de poids à la preuve documentaire montrant que les femmes célibataires vivant seules au Pakistan sont confrontées à des difficultés considérables.

[35]  La SAR a d’abord conclu que la SPR a commis une erreur dans son évaluation de la viabilité d’une PRI au Pakistan, affirmant que pour décider qu’il existe une PRI viable, il convient d’établir, en premier lieu, qu’il existe une crainte fondée de persécution dans le pays où se trouve cette PRI. Comme aucune crainte du genre n’a été démontrée en ce qui concerne la présence de la demanderesse principale au Pakistan, une évaluation de la PRI ne s’appliquait pas, eu égard aux faits de l’espèce.

[36]  Toutefois, la SAR a confirmé la décision de la SPR en se fondant sur sa propre conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pas exprimé clairement une crainte fondée de persécution au Pakistan. Comme l’a indiqué la SAR dans sa décision, elle a tiré cette dernière conclusion d’après son propre raisonnement qui repose sur la preuve (c.‑à‑d. l’aveu de la demanderesse principale, l’absence de liens de son époux avec le Pakistan et l’absence de communications entre la demanderesse principale et son époux). La SAR a fait remarquer, en outre, que l’évaluation de la preuve faite par la SPR sur ce point n’a pas été contestée par les demandeurs. Par conséquent, la SAR a conclu que la demanderesse principale « ne serait pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités de la part de son époux si elle retournait au Pakistan ».

[37]  Suivant ma lecture de la décision de la SAR, rien ne me permet de croire que la SAR a examiné une nouvelle question. Dans sa décision, la SAR a simplement réitéré le raisonnement de la SPR concernant le risque de persécution au Pakistan (Marin, au par. 37). Cette question se rapporte au premier volet du critère à deux volets relatif à la PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), à la page 710).

[38]  Comme l’existence d’une PRI était la question déterminante devant la SPR, il était tout à fait normal que la SAR examine cette question. La SPR a conclu qu’il [traduction] « n’y a aucune possibilité sérieuse que [la demanderesse principale] soit persécutée au Pakistan puisque, selon la prépondérance des probabilités, l’agent de persécution, à savoir son époux, ne la retrouvera pas là‑bas [...] ». Comme la SAR l’a souligné, à juste titre, les demandeurs ont eu l’occasion de contester la conclusion de la SPR sur ce point et ont choisi de ne pas le faire. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

(b)  Le témoignage de la demanderesse principale au sujet des membres de sa famille au Pakistan

[39]  La question des membres de la famille de la demanderesse principale au Pakistan n’a été soulevée qu’une seule fois dans la décision de la SPR. Puisque cette question n’était pas déterminante quant à la décision, la SPR a simplement indiqué que la demanderesse principale avait [traduction] « peu de famille » là‑bas. Dans le même paragraphe, la SPR a fait remarquer que d’après la preuve documentaire, les [traduction] « femmes célibataires » sont confrontées à certaines [traduction] « difficultés » au Pakistan et au Bangladesh. En s’appuyant sur ces facteurs et d’autres éléments, la SPR a conclu que la demanderesse principale pouvait raisonnablement se réinstaller aux endroits des PRI. La SPR n’a rendu aucune décision touchant la crédibilité en ce qui concerne la famille de la demanderesse principale au Pakistan.

[40]  Comme le souligne le défendeur, les demandeurs ont contesté l’évaluation faite par la SPR de cette question lors de l’appel devant la SAR. Dans l’aperçu de leur mémoire d’appel, les demandeurs ont soutenu que la SPR n’a pas tenu compte de la question des membres de la famille de la demanderesse principale au Pakistan ni de l’absence de tout parent de sexe masculin dans ce pays :

[traduction]
Le tribunal a procédé à l’évaluation de sa demande d’asile en tant que femme au Pakistan et a examiné certains facteurs atténuants liés à son profil, mais n’a pas évalué sa demande en tant que victime de violence familiale et femme séparée, vivant seule, sans la protection d’un parent de sexe masculin.
La preuve démontre qu’il s’agit là de facteurs de risque importants au Pakistan, et ceux‑ci n’ont pas été pris en compte de façon appropriée.

[41]  Plus loin dans leur mémoire d’appel, les demandeurs ont avancé l’argument suivant :

[traduction]
Le tribunal a omis d’évaluer correctement si l’appelante, compte tenu de son profil de victime de violence familiale et de femme célibataire, séparée de son conjoint, qui vit seule, sans la protection d’un parent de sexe masculin, risquerait d’être persécutée au Pakistan.

[42]  Devant la SAR, les demandeurs ont présenté des éléments de preuve et des cas de jurisprudence (Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 10 [Begum]) à l’appui de cet argument et ont affirmé que le fait de [traduction] « vivre seule en tant que femme célibataire, sans la protection d’un parent de sexe masculin, engendre un risque sérieux de harcèlement ou de préjudice physique équivalant à de la persécution ». En effet, le dossier contient une série de documents montrant qu’il est risqué pour une femme célibataire, sans parent de sexe masculin, de vivre au Pakistan, en particulier dans les régions rurales.

[43]  Je tiens tout d’abord à dire que les femmes célibataires (sans présence masculine protectrice) forment un groupe social reconnu sur lequel une demanderesse peut fonder ses craintes de persécution. La question importante consiste à déterminer s’il y a suffisamment d’éléments de preuve démontrant un lien entre la demanderesse et ce groupe social (Begum; Dezameau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 559, aux par. 18‑41). La nature généralisée de l’allégation de persécution n’empêche pas, en soi, de conclure à l’existence d’une persécution, à condition que le demandeur fournisse suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que sa situation correspond au profil de risque (Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250, 1990 CanLII 7978 (CAF)).

[44]  La SPR a examiné la question et a conclu que [traduction] « le niveau de discrimination dont les femmes sont victimes au Pakistan n’équivaut pas, en général, à de la persécution ». La SPR a également estimé que [traduction] « bien que la preuve documentaire fasse état des difficultés auxquelles sont confrontées les femmes au Pakistan et au Bangladesh, y compris les femmes célibataires », la demanderesse principale [traduction] « a réussi à avoir du succès dans ses études et en affaires dans ces deux pays, malgré les difficultés posées par leur culture patriarcale ».

[45]  La SAR s’est dite d’accord avec la SPR sur cette question et a conclu que le fait que la demanderesse principale « a un niveau de scolarité élevé, possède une expérience de travail, a habité dans une région urbaine et appartient à une classe supérieure rédui[t] la probabilité qu’elle ait de la difficulté à habiter au Pakistan en tant que femme célibataire ou qu’elle se retrouve sans moyen de subsistance [...] Même si la preuve documentaire indique que les jeunes femmes ou les femmes d’âge moyen peuvent trouver qu’il est “difficile” de vivre seule au Pakistan, cette difficulté n’équivaut pas à de la persécution. »

[46]  La SAR a conclu que la demanderesse principale ne serait pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution si elle devait retourner au Pakistan. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion, en particulier dans la mesure où la demanderesse principale a elle‑même affirmé qu’elle ne craignait pas de retourner là‑bas.

[47]  Pour défendre leur argument devant la SAR, les demandeurs ont affirmé que la SPR avait mal évalué le profil de risque de la demanderesse principale au Pakistan, et ils ont invité la SAR à revoir l’analyse faite par la SPR à l’égard du fait que la demanderesse principale n’a aucun parent de sexe masculin dans ce pays et à considérer ce fait comme un facteur aggravant dans le cadre de l’analyse de la PRI.

[48]  En réponse à cette contestation, la SAR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas « établi selon la prépondérance des probabilités qu’elle ne serait pas protégée par un parent de sexe masculin si elle retournait au Pakistan ».

[49]  Suivant son examen du témoignage de la demanderesse principale lors de l’audience devant la SPR, la SAR a conclu que la demanderesse principale n’était pas cohérente pour ce qui est de savoir si elle a des parents de sexe masculin au Pakistan :

Les appelants font valoir que l’appelante principale a déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait aucun parent de sexe masculin dans les villes de Lahore, Karachi et Islamabad, et qu’elle n’a aucun autre parent au Pakistan. Toutefois, après avoir examiné le dossier, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une description adéquate de la preuve. À l’audience de la SPR, cette dernière a demandé à l’appelante principale si elle avait de la famille au Pakistan. L’appelante principale n’a pas répondu directement à la question et a déclaré que ses parents étaient au Bangladesh. La SPR a demandé à l’appelante principale si elle avait d’autres membres de sa famille au Pakistan, ce à quoi elle a répondu [traduction] « non ». Quand la SPR lui a demandé si elle avait des frères, des sœurs, des tantes, des oncles ou des membres de sa famille élargie au Pakistan, l’appelante principale a encore une fois omis de répondre directement à la question et a dit que son frère était en Australie et qu’il a la citoyenneté australienne. Plus tard au cours de l’audience, la SPR lui a demandé pourquoi elle ne pourrait pas retourner au Pakistan, ce à quoi l’appelante principale a répondu que c’était parce que sa famille n’est pas là. Cependant, lorsque la SPR lui a demandé quelles seraient les difficultés qu’elle aurait au Pakistan, l’appelante principale a changé son témoignage et a déclaré qu’elle avait quelques parents au Pakistan qui auraient l’œil sur elle, surveilleraient ses agissements et parleraient d’elle. Quand la SPR lui a demandé quels parents elle avait au Pakistan, l’appelante principale a encore changé son témoignage et a répondu [traduction] « des amis dans le quartier » et [traduction] « des parents éloignés ». Compte tenu du témoignage évasif et incohérent de l’appelante principale sur la question de savoir si elle a des parents au Pakistan, je juge qu’elle n’a pas établi qu’elle n’est pas protégée par un parent de sexe masculin au Pakistan.

[50]  La SAR a examiné l’argument des demandeurs selon lequel la SPR n’a pas tenu compte du risque de persécution auquel est exposée la demanderesse principale, vu l’absence d’un parent de sexe masculin. Pour trancher cette question, la SAR a examiné le témoignage de la demanderesse principale et y a relevé des incohérences intrinsèques. Une conclusion fondée sur de telles incohérences est une forme de décision quant à la crédibilité (Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, au par. 19).

[51]  Bien que les demandeurs aient contesté le poids accordé à la preuve testimoniale, les parties n’ont pas soulevé la question de la crédibilité devant la SAR. Quoi qu’il en soit, la question de savoir si la demanderesse principale a ou non un parent de sexe masculin pouvant assurer sa protection au Pakistan ne m’apparaît pas comme une question déterminante pour établir si le profil de cette dernière correspond à celui d’une femme vulnérable. Tant la SPR que la SAR ont mis l’accent sur les études et les réalisations de la demanderesse principale pour conclure qu’il n’y a aucun risque sérieux qu’elle soit persécutée au Pakistan. Là encore, je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[52]  En tout état de cause, dans son analyse de la preuve testimoniale de la demanderesse principale, la SAR n’a pas soulevé une nouvelle question de droit. Contrairement à ce qui a été observé dans la décision Ching, la SAR n’a pas adopté une nouvelle formulation des questions en litige, mais a plutôt répondu aux propres arguments et préoccupations des demandeurs soulevés dans le cadre de l’appel. Pour reprendre les mots du juge Zinn, « la SAR ne soulevait pas une nouvelle question; au contraire, elle examinait la question soulevée par la demanderesse » (Ibrahim, au par. 30).

[53]  En appel, les demandeurs ont soulevé la question de la famille de la demanderesse principale au Pakistan, et l’analyse de la crédibilité faite par la SAR découle de cette question (Xu, au par. 33). En pareille situation, la SAR n’est pas tenue de demander des observations (Bakare, aux par. 18 et 19; Jadallah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1240, aux par. 51 et 52).

[54]  La présente affaire se distingue de la décision Ugbekile. Dans cette affaire, la juge Elliott a conclu qu’il n’était pas équitable sur le plan de la procédure que la SAR tire des conclusions quant à la crédibilité (ce que la SPR n’avait pas fait), en se fondant sur la pause momentanée marquée par la demanderesse dans son témoignage, sans aviser les demandeurs que la question de la crédibilité était en cause (Ugbekile, aux par. 17 et 25). La juge Elliott a soutenu que contrairement à la SAR, la SPR « a eu l’avantage de voir et d’entendre la femme témoigner, alors que la SAR n’a écouté qu’un enregistrement audio » (Ugbekile, au par. 21). Toutefois, contrairement à la SPR dans la décision Ugbekile, la SPR en l’espèce n’a bénéficié d’aucun avantage réel lors de son évaluation de la cohérence intrinsèque du témoignage de la demanderesse principale.

[55]  En l’espèce, la SAR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur [traduction] « la preuve dont disposait la SPR » (Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, au par. 46 [Kreishan]). La SAR a examiné la preuve en appel et a rendu une décision différente de celle de la SPR. Une telle approche s’inscrit dans le mandat conféré à la SAR qui, en tant que « filet de sécurité », doit s’assurer que la « bonne décision est prise » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157, aux par. 87, 88 et 98; Kreishan, aux par. 41 et 42). En effet, les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la SAR a omis de tenir compte d’éléments de preuve qui étaient autrement à la disposition de la SPR.

[56]  Comme la SAR n’a pas examiné de nouvelles questions, je ne vois aucune raison d’intervenir.

(2)  La SAR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision dans son analyse des demandes d’asile des demandeurs mineurs?

[57]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a fait une évaluation incomplète des risques auxquels sont exposés les demandeurs mineurs. Premièrement, la SAR n’a pas accordé suffisamment de poids à la preuve montrant que les demandeurs ont été victimes de violence en raison des effets sur eux de la violence familiale subie par leur mère. Deuxièmement, la SAR n’a tiré aucune conclusion à l’égard du défaut de l’État de protéger une mère contre la violence familiale. Troisièmement, la conclusion de la SAR selon laquelle les enfants ne vivraient pas avec leur père est déraisonnable, étant donné que la SAR n’a pas suggéré d’autres arrangements possibles pour la garde ou l’hébergement des enfants, si ces derniers sont séparés de leur mère et renvoyés au Bangladesh. À l’appui de cet argument, les demandeurs citent les décisions Modeste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1262 [Modeste]; Amayo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] 1 CF 520 (CAF), [1981] ACF no 136 [Amayo]; Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 149, [2011] 2 RCF 448 [Kim].

[58]  Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des risques auxquels sont exposés les demandeurs mineurs, compte tenu des lacunes en matière de preuve présentes dans les demandes d’asile des demandeurs. Le défendeur attire l’attention sur les faits suivants : aucun rapport psychologique n’a été préparé pour les demandeurs mineurs; le formulaire FDA de la demanderesse principale n’indique pas que les demandeurs mineurs craignent de retourner au Bangladesh; aucun élément de preuve convaincant ne montre que les demandeurs mineurs retourneraient chez leur père au Bangladesh. Le défendeur soutient que ces lacunes mènent à la conclusion que la preuve au dossier ne prouve pas que les demandeurs mineurs ont été témoins d’actes de violence ou que la protection de l’État est insuffisante.

[59]  En appel devant la SAR, les demandeurs ont présenté des arguments semblables pour contester la décision de la SPR. Invoquant les décisions Modeste, Amayo et Kim, les demandeurs ont fait valoir que la SPR n’a pas reconnu le fait que les demandeurs mineurs ont été exposés à de mauvais traitements et que le défaut de l’État de protéger un enfant contre la violence continue infligée à un parent peut équivaloir à de la persécution.

[60]  La décision Modeste appuie l’assertion selon laquelle un enfant qui se retrouve témoin d’actes de violence physique et psychologique dans sa famille est lui‑même victime de violence. La SPR doit alors évaluer ce risque. Dans la décision Modeste, le juge Russell a conclu que la décision de la SPR était déraisonnable, étant donné que « la SPR n’a pas compris que la demanderesse avait déjà été victime de mauvais traitements aux mains de son père, lorsqu’il avait fait d’elle un témoin des terribles sévices qu’il a infligés à [la mère de la demanderesse], et que la demanderesse serait exposée à la continuation de ces mauvais traitements si elle était renvoyée à Sainte‑Lucie » (Modeste, au par. 32).

[61]  La SAR a invoqué trois raisons pour lesquelles la présente affaire se distingue de la décision Modeste. Premièrement, la preuve au dossier était « vague » pour ce qui est de savoir si les demandeurs mineurs ont été témoins d’actes de violence. Deuxièmement, la preuve était insuffisante pour déterminer si les mauvais traitements allégués ont eu une incidence sur les demandeurs mineurs. Troisièmement, il n’y avait aucun élément de preuve convaincant montrant que les demandeurs mineurs vivraient avec leur père s’ils retournaient au Bangladesh.

[62]  Je suis d’accord pour dire que la décision Modeste se distingue de la présente affaire. Dans la décision Modeste, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse mineure en sept phrases et n’a pas expliqué en quoi la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de présentation de la preuve qui lui incombait quant au risque qu’elle soit persécutée (Modeste, au par. 5); elle a rendu cette décision malgré les nombreux éléments de preuve démontrant que la demanderesse mineure « avait été obligée d’être témoin des horribles actes de violence physique et psychologique que son père avait infligés à [sa mère] » (Modeste, au par. 29). En outre, il était « très probable [que la demanderesse mineure] serait de nouveau témoin d’actes de violence que son père infligerait à sa mère » si elle retournait dans son pays d’origine (Modeste, au par. 33). En résumé, comme le juge Russell l’a conclu, la SPR a traité de façon « succinct[e] » la demande d’asile de la demanderesse mineure et ses motifs « ne portent aucunement sur la question fondamentale en l’espèce » (Modeste, au par. 27).

[63]  Contrairement à ce qui a été observé dans la décision Modeste, la SAR était consciente, en l’espèce, des questions en litige et a expliqué ses conclusions relatives à la preuve. La SAR a conclu qu’il n’y avait aucune preuve convaincante que les demandeurs mineurs ont été témoins de la violence familiale dont leur mère a été victime, compte tenu du défaut de la demanderesse principale d’expliquer dans son formulaire FDA que les demandeurs mineurs craignaient de retourner au Bangladesh et du témoignage qu’elle a livré devant la SPR. Dans son témoignage, la demanderesse principale a indiqué que bien que les demandeurs mineurs [traduction] « n’aiment pas leur père », ils n’ont reçu aucune aide psychologique pour ce problème. Après avoir examiné la preuve testimoniale et le dossier, la SAR a conclu que les demandeurs mineurs avaient seulement « entendu parler » des actes de violence.

[64]  En outre, la décision de la SAR sur cette question présente d’autres signes de raisonnabilité. La SAR a clairement indiqué les lacunes associées aux demandes d’asile des demandeurs (p. ex. l’absence d’éléments de preuve concernant les effets psychologiques ou physiques des actes de violence allégués, l’absence d’éléments de preuve quant à la « fréquence de la violence, [à] ses schémas, [à] sa durée et [à] ses répercussions » et le défaut de mentionner la crainte que le Bangladesh inspire aux demandeurs mineurs). La SAR a tenu compte du fait que les demandeurs étaient préoccupés à l’idée que les demandeurs mineurs retournent auprès de leur père et a conclu qu’il s’agissait là d’une proposition « hypothétique ».

[65]  La SAR a également analysé les demandes d’asile des demandeurs mineurs à la lumière des Principes directeurs du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCR], selon lesquels les autorités de l’immigration devraient être sensibles aux diverses formes de violence faite aux enfants, en particulier dans les cas où « un enfant [...] a été témoin de violence à l’encontre de ses parents, ou [...] a vécu la disparition ou le meurtre d’un parent ou d’une autre personne dont il ou elle dépend » (HCR, Principes directeurs sur la protection internationale no 8 : Les demandes d’asile d’enfants dans le cadre de l’article 1A(2) et de l’article 1(F) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/09/08, le 22 décembre 2009; Kim, au par. 58; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909, au par. 41; Vavilov, au par. 114). Ce facteur étaye plus avant le caractère raisonnable de l’approche adoptée par la SAR.

[66]  Bref, la SAR a examiné toutes les questions soulevées par les demandeurs et a rendu une décision qui appartient aux issues raisonnables. Je ne vois aucune raison d’intervenir.

VII.  Conclusion

[67]  Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.




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