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Date : 20200127


Dossier : IMM‑2297‑19

Référence : 2020 CF 130

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

SAID AGBORERE HAMMED

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] le 6 mars 2019. La SPR a conclu que le défendeur, M. Hammed, n’était pas exclu du Canada par l’application de l’article 98 de la LIPR parce qu’il est une personne visée par les alinéas Fa) et Fc) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [la Convention]. La SPR a accueilli sa demande d’asile ainsi que celles de quatre (4) autres membres de sa famille en raison de la persécution religieuse qu’ils subiraient s’ils devaient retourner dans leur pays d’origine, le Nigéria. Pour les motifs énoncés ci‑après, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.  Résumé des faits et décision faisant l’objet du contrôle

[2]  M. Hammed, son épouse et leurs trois (3) enfants ont demandé l’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Ils sont tous citoyens du Nigéria. Ils ont fondé leurs demandes d’asile sur des événements qui ont eu lieu entre le 15 novembre 1998 et le 24 janvier 2012, date de l’arrivée de l’épouse et des enfants de M. Hammed au Canada. M. Hammed est arrivé au Canada par la suite, le 30 avril 2012. M. Hammed et son épouse ont déclaré, dans leurs formulaires de renseignements personnels, qu’ils ont été persécutés par des membres de la famille de M. Hammed en raison de sa conversion au christianisme. M. Hammed soutient que, malgré la pression de sa famille, il a refusé de se reconvertir à la foi islamique. En conséquence, une fatwa a été lancée pour qu’il soit tué. Des menaces de violence, qui ne sont pas pertinentes pour la présente demande de contrôle judiciaire, ont aussi été faites contre la fille cadette de M. Hammed.

[3]  Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est intervenu au cours de l’audience de M. Hammed devant la SPR. Le ministre a fait valoir que M. Hammed devrait être exclu en vertu de l’article 98 de la LIPR en raison de ses quelque 15 ans de service dans l’armée nigériane, principalement à titre d’agent des relations publiques. Il a affirmé que M. Hammed a participé à la perpétration de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre ou qu’il en a été complice. Le ministre a présenté un certain nombre de pièces pour appuyer sa position, y compris une transcription de l’entrevue de M. Hammed avec l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. La SPR a estimé que M. Hammed était crédible et a conclu qu’il n’était pas exclu aux termes de l’article 98 de la LIPR parce qu’il est une personne visée par les alinéas Fa) et Fc) de l’article premier de la Convention. La SPR a ensuite examiné la demande d’asile de M. Hammed et de sa famille. Elle a conclu que leurs allégations de crainte étaient crédibles et qu’il existait une crainte de persécution future au Nigéria pour un motif prévu par la Convention. La SPR a conclu qu’il n’y avait ni protection de l’État ni possibilité de refuge intérieur dans ce pays.

[4]  Le ministre demande le contrôle judiciaire de la conclusion de la SPR selon laquelle M. Hammed n’est pas exclu par l’application de l’article 98 de la LIPR. Par conséquent, je résumerai seulement les motifs formulés par la SPR à cet égard.

[5]  La SPR s’est reportée à toutes les observations des parties sur la question de l’exclusion et a déclaré qu’elle avait « pris soin et le temps nécessaire pour prendre connaissance de toutes les représentations et en a tenu compte dans sa décision ». Elle a conclu que la preuve documentaire montrait que l’armée nigériane avait commis de nombreux crimes contre l’humanité durant la période au cours de laquelle M. Hammed en était membre. Cependant, la SPR a conclu que M. Hammed disait la vérité quand il a déclaré qu’il n’a jamais participé directement à ces crimes. La SPR a ensuite examiné la question de savoir si M. Hammed avait été complice des crimes en question, même s’il n’y avait pas directement participé. Dans le cadre de l’évaluation de la complicité de M. Hammed, la SPR a reconnu qu’elle était tenue de suivre les directives jurisprudentielles établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 RCS 678 [Ezokola].

[6]  La SPR a reconnu, en se fondant sur l’arrêt Ezokola, qu’une simple association ne suffit pas pour exclure une personne de la protection offerte aux réfugiés : « il doit donc exister des raisons sérieuses de penser qu’il a volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel ». Elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer une contribution importante de M. Hammed. Premièrement, la SPR a tenu compte de ses tâches en tant que représentant des relations publiques au sein de l’armée nigériane. Elle a conclu que ces tâches ne dénotaient pas une contribution importante aux crimes de l’armée, notamment parce qu’il était toujours sous le commandement d’un officier supérieur et que le contenu de ses communiqués de presse lui était transmis par ses supérieurs. Deuxièmement, la SPR a tenu compte du fait que M. Hammed s’était volontairement enrôlé dans l’armée nigériane et qu’il y est resté pendant 15 ans. Cependant, la SPR a accepté le fait qu’il ne pouvait pas quitter l’armée de façon unilatérale parce qu’il aurait été considéré comme un déserteur et condamné à une peine d’emprisonnement. Troisièmement, la SPR a tenu compte du grade de M. Hammed. Elle a accepté l’assertion du ministre selon laquelle, à titre de major, M. Hammed était un officier supérieur. Même si un major est loin du « sommet de la hiérarchie d’une organisation », la SPR a fait remarquer qu’une telle personne est plus susceptible d’avoir eu connaissance des crimes commis par l’organisation. Cependant, la SPR a conclu que M. Hammed n’exerçait aucun contrôle sur les auteurs des actes criminels et qu’il n’a pas non plus autorisé ou caché des crimes dans le contexte de ses tâches de relations publiques. Par conséquent, la SPR a rejeté l’allégation du ministre selon laquelle M. Hammed était complice de crimes en contravention avec les alinéas Fa) et Fc) de l’article premier de la Convention.

III.  Dispositions pertinentes

[7]  Les dispositions pertinentes sont les articles 96 et 98 de la LIPR, ainsi que les alinéas Fa) et Fc) de l’article premier de la Convention, qui sont reproduits dans l’annexe.

IV.  Positions des parties

[8]  La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la SPR a conclu de façon raisonnable que M. Hammed n’était pas exclu de la protection offerte aux réfugiés en raison de sa complicité alléguée dans des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

[9]  Le ministre fait valoir que la SPR a commis quatre (4) erreurs qui rendent la décision déraisonnable. Premièrement, la SPR a mal interprété les éléments de preuve concernant les interactions de M. Hammed avec les journalistes en sa qualité d’agent des relations publiques. Le ministre soutient que la SPR a commis une erreur quand elle a conclu que M. Hammed n’avait pas le droit de répondre aux questions des journalistes. Le ministre mentionne plusieurs articles de journaux qui citent des déclarations faites par M. Hammed aux médias, y compris des réponses à des questions, et dans lesquels il est identifié en tant que porte‑parole de la force opérationnelle interarmées ou du brigadier‑général. Selon le ministre, la SPR n’a pas tenu compte de ces facteurs dans son analyse. Le ministre souligne aussi qu’à deux (2) reprises au moins durant l’audience, M. Hammed a affirmé qu’il avait rencontré la presse afin d’expliquer des actions militaires et de diriger les représentants de la presse vers son commandant militaire s’ils avaient besoin de plus amples renseignements. Le ministre soutient que la SPR était tenue d’expliquer clairement comment elle avait examiné ces éléments de preuve, étant donné qu’ils contredisent sa conclusion selon laquelle M. Hammed ne parlait pas aux journalistes et que le représentant du ministre a expressément soulevé la question. Selon le ministre, le fait de ne pas aborder les éléments de preuve et les arguments en question démontre un manque de raisonnabilité : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux paragraphes 126 et 127 [Vavilov] et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Adeola, 2018 CF 1222, aux paragraphes 33 et 34).

[10]  Deuxièmement, le ministre fait valoir que la SPR n’a pas dûment tenu compte de sa position selon laquelle M. Hammed avait contribué de façon importante aux crimes contre l’humanité commis par l’armée nigériane. Le ministre a avancé la position selon laquelle M. Hammed avait publié des communiqués de presse et d’autres déclarations favorables à l’armée qui ont minimisé les transgressions de l’armée. Selon le ministre, ces publications ont contribué de façon importante à l’impunité dont a joui l’armée nigériane quand elle a commis ses crimes.

[11]  Troisièmement, le ministre fait valoir que la SPR n’a pas bien examiné la défense de contrainte potentielle. Étant donné que M. Hammed a déclaré qu’il travaillait sous la contrainte ou sous l’autorité d’un supérieur à titre d’agent des relations publiques et qu’il craignait d’être poursuivi s’il quittait l’armée plus tôt, le ministre soutient que la SPR aurait dû analyser les éléments de preuve de façon plus exhaustive.

[12]  Quatrièmement, le ministre fait valoir que la SPR a introduit de façon erronée la notion selon laquelle le défendeur n’« exerçait pas de contrôle » sur les personnes qui ont commis les actes criminels. Le ministre souligne que l’arrêt Ezokola n’exige pas l’élément de « contrôle » pour exclure un demandeur d’asile en raison de crimes contre l’humanité.

[13]  Enfin, le ministre s’oppose aux demandes de dépens de M. Hammed en faisant valoir qu’aucune circonstance particulière ne justifie l’octroi de tels dépens.

[14]  La réponse de M. Hammed aux assertions du ministre est relativement simple. Premièrement, en ce qui a trait aux interactions avec les journalistes, M. Hammed soutient qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’il ne communiquait pas avec eux. Le fait que M. Hammed préparait des communiqués de presse et communiquait la position de l’armée n’était, selon M. Hammed, jamais remis en doute. La SPR s’est plutôt concentrée avec raison sur la source de l’information et sur la question de savoir si M. Hammed avait un contrôle important sur son contenu ou sa diffusion. Il affirme que les éléments de preuve ne sont pas incohérents avec sa position ou avec la conclusion de la SPR selon laquelle il se contentait de transmettre les renseignements qu’il recevait de ses supérieurs. Il soutient que la SPR a raisonnablement accepté ses explications selon lesquelles ses commandants fournissaient l’information contenue dans les communiqués de presse, qu’il n’était pas présent sur le terrain pour vérifier l’information et que, quand les médias locaux le citaient, ils utilisaient en fait l’information contenue dans les communiqués de presse. M. Hammed cite la décision Kallab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 706, au paragraphe 40, pour appuyer sa position selon laquelle les conclusions relatives à la crédibilité peuvent être annulées seulement dans les cas les plus manifestes. Il soutient qu’il ne s’agit pas d’un tel cas en l’espèce.

[15]  Deuxièmement, quant à la question de savoir si sa contribution était importante, M. Hammed fait valoir qu’elle n’aurait pas pu être importante parce que toute information inexacte qu’il a aidé à diffuser n’a pas contré l’image essentiellement négative de l’armée ni induit en erreur le public. Les crimes commis par l’armée nigériane étaient vastement diffusés dans les médias internationaux, et le contenu de ces articles‑là différait de celui fourni par le groupe des relations publiques de l’armée. Il s’ensuit que les communiqués de presse de l’armée publiés par M. Hammed auraient été contredits par de nombreux autres reportages de groupes internationaux. En l’espèce, le commissaire de la SPR a déclaré qu’il a tenu compte de l’ensemble des faits et des observations des parties. Il s’ensuit, selon M. Hammed, que la SPR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en n’abordant pas chacun des points soulevés par le ministre, citant à l’appui l’arrêt Vavilov au paragraphe 91. M. Hammed soutient que la décision de la SPR était cohérente avec les éléments de preuve.

[16]  Troisièmement, en ce qui a trait à la contrainte qu’il a alléguée, M. Hammed affirme qu’il a admis qu’il doutait de l’exactitude de certains des renseignements contenus dans les communiqués de presse. Cependant, son témoignage au sujet de son manque d’influence et de sa crainte de subir des conséquences s’il essayait de parler franchement a été jugé crédible par la SPR. Son témoignage était corroboré par la preuve documentaire concernant l’environnement de peur, d’injustice et de contrainte, et l’absence d’une procédure équitable au sein de l’armée nigériane.

[17]  Quatrièmement, M. Hammed fait valoir qu’il était inapproprié pour la SPR d’examiner la question de savoir s’il exerçait un contrôle sur les personnes qui ont commis les actes criminels. Selon l’arrêt Ezokola, une conclusion relative à la complicité est liée à la question de savoir si une personne a exercé « un contrôle […] sur les auteurs individuels d’un crime ». Contrairement à l’assertion du ministre, le manque de contrôle de M. Hammed à cet égard était, selon lui, un élément pertinent à considérer.

[18]  Enfin, M. Hammed fait valoir qu’il y a des raisons particulières de lui octroyer des dépens pour la somme de 5 000 $. M. Hammed affirme que le ministre aurait dû avoir obtenu l’enregistrement sonore de la SPR avant d’alléguer que la SPR n’a pas examiné tous les arguments et tous les éléments de preuve. Selon M. Hammed, le fait que le ministre n’a pas obtenu l’enregistrement sonore et n’a pas entièrement analysé le bien‑fondé de l’affaire a nui à l’intégrité des procédures de la SPR et a inutilement prolongé l’agonie de sa famille.

V.  Analyse

[19]  Les deux parties ont soutenu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord et je conclus que la norme n’est pas modifiée par l’arrêt Vavilov, et ce, que la question soit formulée étroitement comme une question de crédibilité ou de façon plus large comme une question mixte de fait et de droit. Lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, « la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov, au paragraphe 15).

[20]  La décision de la SPR répond au critère du caractère raisonnable. Même si les éléments de preuve montraient que l’armée nigériane avait commis des violations des droits de la personne, la tâche de la SPR consistait à déterminer si M. Hammed en était complice. Bien que les facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola soient pertinents pour répondre à cette question, il semble que la contrainte et les tâches de M. Hammed au sein de l’organisation étaient les principales considérations. De plus, pour déterminer si M. Hammed était complice, la SPR s’est largement fiée au témoignage de M. Hammed, car il s’agissait de la seule preuve directe de ses responsabilités. À cet égard, il a déclaré dans son témoignage qu’il n’avait aucun contrôle sur le contenu des communiqués de presse qu’il a aidé à préparer. Il était loisible à la SPR de le juger crédible à cet égard. Pour parvenir à sa conclusion sur la crédibilité, la SPR a comparé le témoignage de M. Hammed aux renseignements qu’il a fournis durant l’entrevue avec l’ASFC. Deuxièmement, même si le ministre s’appuie sur des articles de journaux qui citent M. Hammed, ces articles ne constituent pas une preuve montrant qu’il contrôlait les renseignements qu’il diffusait. Le fait qu’il était cité corrobore son témoignage, dans lequel il a indiqué qu’il préparait les communiqués de presse en suivant les instructions qui lui étaient transmises et que son nom apparaissait à titre de signataire. De plus, même si le ministre soutient que la SPR a mal interprété les faits quand elle a convenu que M. Hammed ne parlait pas aux médias malgré les éléments de preuve tirés de nombreux bureaux de presse qui attribuaient des remarques à M. Hammed, je note que l’interprétation des éléments de preuve relève du champ de compétence de la SPR. En l’espèce, il est évident que la SPR a accepté la version de M. Hammed qui a déclaré que sa tâche se limitait à préparer les communiqués de presse à l’aide des renseignements que lui transmettaient ses supérieurs, que sa liberté de répondre aux questions était limitée par ses supérieurs et qu’il ne discutait pas avec les journalistes de son interprétation. La seule interprétation qu’il était autorisé à transmettre était celle de ses supérieurs. Les renseignements qui étaient cités étaient donc ceux fournis par ses supérieurs. Il était loisible à la SPR de conclure que M. Hammed était cité seulement parce que son nom apparaissait à titre de signataire. Selon les éléments de preuve, il était loisible à la SPR de conclure que M. Hammed ne « parlait » pas aux journalistes. Contrairement aux assertions du ministre, les conclusions tirées à partir de la preuve ne sont pas déraisonnables.

[21]  Troisièmement, la preuve documentaire a corroboré l’allégation de M. Hammed selon laquelle les membres de l’armée étaient punis en cas d’insubordination et se voyaient souvent refuser l’accès à des procédures équitables. Le ministre a raison de dire que la SPR n’a pas expressément abordé les positions qu’il avait avancées. Cependant, à la lecture de la décision dans son ensemble, et compte tenu de l’instruction formulée au paragraphe 91 de l’arrêt Vavilov, je suis convaincu qu’il n’est pas nécessaire, en l’espèce, d’aborder expressément chacun des arguments soulevés. Lorsque la SPR déclare qu’elle a tenu compte des éléments de preuve et des observations, on peut considérer qu’elle l’a fait, à moins que le reste de la décision ne montre clairement le contraire. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[22]  De même, je conclus que l’argument du ministre selon lequel la SPR n’a pas bien examiné la question de savoir si M. Hammed avait contribué de façon importante aux crimes contre l’humanité commis par l’armée nigériane est sans fondement. La SPR n’est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve (Vavilov, au paragraphe 91; Jean‑Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 285, au paragraphe 20, citant Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1379, aux paragraphes 31 à 34, 421 FTR 309 (angl.); Quebrada Batero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 988, au paragraphe 13). En l’espèce, le ministre a allégué que la contribution de M. Hammed était importante. Dans ses motifs, la SPR a directement répondu à cet argument en déclarant ce qui suit : « il n’a pas été démontré au tribunal qu’il existait en l’espèce un élément de preuve tendant à démontrer une contribution significative ». La justification de cette conclusion est évidente dans les motifs. La SPR est parvenue à cette conclusion en examinant : 1) le lien entre le comportement de l’accusé et le comportement du groupe en question, et 2) l’explication de M. Hammed selon laquelle c’était son officier supérieur qui contrôlait le contenu des messages de l’armée. Le fait que M. Hammed préparait les communiqués de presse, en suivant les instructions reçues, était insuffisant pour convaincre la SPR qu’il avait contribué de façon importante aux crimes de l’armée nigériane. D’après le dossier, je conclus que la conclusion formulée par la SPR à cet égard est raisonnable.

[23]  La troisième raison pour laquelle le ministre a attaqué la décision, à savoir le fait que la SPR n’a pas bien examiné la défense de contrainte potentielle, est également sans fondement. Le ministre fait valoir que les motifs de la SPR n’abordent aucunement l’assertion de M. Hammed selon laquelle il travaillait constamment sous la contrainte ou sous l’autorité d’un représentant des relations publiques. Cependant, cette assertion est expressément abordée aux paragraphes 37 à 39 des motifs de la SPR, sous la rubrique « Contribution volontaire et contrainte ». La SPR avait précédemment déclaré, au paragraphe 23, qu’elle n’avait aucune raison de ne pas croire le témoignage de M. Hammed, ce qui explique pourquoi elle a accepté, aux paragraphes 37 à 39, son explication selon laquelle il travaillait sous la contrainte ou l’autorité de ses supérieurs. De plus, les paragraphes 40 à 45 abordent les circonstances dans lesquelles M. Hammed s’est joint à l’armée nigériane et la possibilité qu’il avait de la quitter. L’arrêt Ezokola, au paragraphe 86, indique qu’il s’agit là d’exemples des facteurs qui peuvent être soupesés pour évaluer le caractère volontaire d’une contribution. Il est manifestement évident que la SPR a analysé l’allégation de contrainte de M. Hammed.

[24]  En ce qui a trait au quatrième argument du ministre, il a raison de dire qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un contrôle sur les personnes qui commettent des actes criminels pour en arriver à une conclusion d’inadmissibilité. Cependant, M. Hammed a également raison quand il affirme qu’il faut tenir compte de considérations particulières dans l’évaluation du contrôle exercé afin de trancher la question de la complicité (voir Ezokola, aux paragraphes 41 et 82). Selon mon examen du dossier, je ne suis pas convaincu que la SPR a conclu qu’un contrôle était nécessaire pour conclure à l’inadmissibilité. Si elle était parvenue à cette conclusion, elle aurait eu tort. Cependant, je suis convaincu que la SPR a simplement considéré que le « contrôle » était l’un des nombreux facteurs à prendre en compte pour évaluer la question de la complicité.

[25]  Enfin, j’estime qu’il ne convient pas d’adjuger les dépens en l’espèce. M. Hammed soutient que l’octroi de dépens est justifié parce que le ministre aurait dû obtenir l’enregistrement sonore de la SPR avant d’alléguer que la SPR n’avait pas tenu compte de l’ensemble des arguments et des éléments de preuve. Je n’estime pas qu’il convienne d’exiger que le ministre, ou toute autre partie, demande et écoute l’enregistrement sonore avant la réception du dossier certifié du tribunal. Les avis d’appel et les demandes de contrôle judiciaire sont régulièrement transmis avant que les transcriptions ne soient disponibles. Je ne vois rien qui justifie l’imposition par la Cour de l’exigence que les parties écoutent les enregistrements avant de préparer les avis d’appel ou les demandes de contrôle judiciaire.

VI.  Conclusion

[26]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier pour examen par la Cour d’appel fédérale, et les circonstances n’en soulèvent aucune. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

 


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑2297‑19

LA COUR DÉCLARE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge

 


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

  (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

  (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion — Refugee Convention

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

Sections E et F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés

Sections E and F of Article 1 of the United Nations Convention Relating to the Status of Refugees

F Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

  a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

  (a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

  c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

  (c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2297‑19

 

INTITULÉ :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c SAID AGBORERE HAMMED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 OctobRE 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE :

LE 27 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Daniel Latulippe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Arghavan Gerami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Gerami Law Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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