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Date : 2020 02 04


Dossier : IMM‑2143‑19

Référence : 2020 CF 196

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 février 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

DEENA ABDELSALAM

LOAY SAMEH BADR AHMED MOHAMED

HAMZA SAMEH BADR AHMED MOHAMED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’égard de la décision datée du 28 février 2019 [la décision faisant l’objet du contrôle] par laquelle un agent d’immigration principal a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] des demandeurs.

II.  LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

[2]  Les demandeurs, Mme Abdelsalam et ses deux fils, Loay et Hamza, sont des citoyens d’Égypte. Ils résident actuellement à Windsor (Ontario), près de l’endroit où habitent le frère de Mme Abdelsalam et les trois enfants de celui‑ci. L’époux de Mme Abdelsalam vit au Caire, en Égypte.

[3]  Mme Abdelsalam est entrée au Canada le 21 mai 2016 et était alors munie d’un visa valide. Ses fils, Loay et Hamza, sont venus la rejoindre au Canada par la suite, le 23 juin 2016. Les demandeurs ont déposé leur demande d’asile deux mois plus tard, le 17 août 2016. Une mesure d’interdiction de séjour a été prise le même jour.

[4]  Les demandeurs ont soutenu qu’ils avaient qualité de réfugié et de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR, parce qu’ils seraient exposés à un risque sérieux de persécution ou à un risque de préjudice s’ils retournaient en Égypte. Les demandeurs ont fait valoir principalement qu’ils étaient exposés à un risque de préjudice de la part des Frères musulmans, en raison surtout de leur interprétation libérale de l’islam, de leur opposition aux Frères et du fait que Mme Abdelsalam a conservé des documents incriminants visant des membres et des partisans des Frères en 2014.

[5]  Le 16 janvier 2017, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SPR] a rejeté les demandes d’asile que les demandeurs avaient présentées au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à présenter d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi établissant qu’ils faisaient l’objet de menaces de la part de membres des Frères musulmans et qu’ils ne pouvaient pas obtenir la protection de l’État en Égypte. Essentiellement, la SPR a jugé que les allégations des demandeurs n’étaient pas crédibles. Cette conclusion reposait sur le fait que les demandeurs avaient longuement tardé à partir de l’Égypte et sur les nombreuses incohérences et invraisemblances décelées dans le témoignage de Mme Abdelsalam. De plus, après avoir pris connaissance du cartable national de documentation concernant l’Égypte, la SPR n’était pas convaincue que les demandeurs ne pourraient pas obtenir une protection adéquate de l’État s’ils faisaient l’objet de menaces de la part des Frères musulmans à leur retour.

[6]  Les demandeurs ont porté la décision de la SPR en appel devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Cependant, le 31 juillet 2017, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs. Elle a convenu avec la SPR que les demandes d’asile des demandeurs n’étaient pas crédibles, en grande partie pour les mêmes raisons. Elle a également conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État en Égypte. Les demandeurs n’ont pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SAR devant la Cour fédérale.

[7]  Cependant, les demandeurs ont présenté le 14 novembre 2017 une demande de statut de résident permanent au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, ainsi qu’une demande d’ERAR le 5 janvier 2019.

[8]  Dans le contexte de leur demande d’ERAR, les demandeurs ont fourni des observations écrites ainsi que des éléments de preuve documentaire, y compris des éléments de preuve postérieurs à l’instance portée devant la SPR et la SAR. Dans leurs observations, les demandeurs ont affirmé ce qui suit :

  1. Ils sont exposés à un risque de préjudice en Égypte de la part de membres et de partisans des Frères musulmans;

  2. Mme Abdelsalam est exposée à un risque de préjudice en Égypte en raison de son sexe;

  3. Ils sont exposés à un risque de préjudice parce qu’ils ont des amis chrétiens en Égypte;

  4. Leur santé mentale se détériorerait et ils seraient incapables d’obtenir les soins de santé mentale dont ils ont besoin en Égypte;

  5. Loay et Hamza sont exposés à un risque de préjudice en Égypte en raison de la possibilité qu’ils soient enlevés, qu’ils soient blessés par leurs enseignants ou qu’ils soient contraints de faire leur service militaire, qui est obligatoire en Égypte.

[9]  Le 28 février 2019, l’agent a rejeté la demande d’ERAR des demandeurs. Un addenda à la décision concernant l’ERAR a été fourni le 5 mars 2019, à la lumière des éléments de preuve qui accompagnaient la demande de statut de résident permanent des demandeurs fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[10]  Le 8 mars 2019, le même agent a refusé les demandes de statut de résident permanent fondées sur des motifs d’ordre humanitaire des demandeurs. Une convocation pour renvoi fixant la date de départ au 27 avril 2019 a été signifiée aux demandeurs, mais le juge Brown a ordonné un sursis à la mesure de renvoi le 26 avril 2019.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[11]  Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs contestent la décision portant rejet de leur demande d’ERAR.

[12]  Essentiellement, l’agent a conclu, après avoir pris connaissance des documents des demandeurs, que ceux‑ci ne seraient pas exposés à plus qu’une simple possibilité de risque en Égypte au sens de l’article 96 de la LIPR, ni ne seraient exposés à un risque de torture, à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités en Égypte au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. L’agent a fondé sa décision sur le fait que les demandeurs n’avaient pas présenté suffisamment de nouveaux éléments de preuve crédibles démontrant (1) qu’ils étaient personnellement exposés à un risque prospectif en Égypte et (2) qu’ils n’avaient pas accès à une protection adéquate de l’État en Égypte.

[13]  D’abord, en ce qui concerne les allégations des demandeurs au sujet du risque de préjudice de la part des Frères musulmans, l’agent a conclu que les nouveaux éléments de preuve fournis par les demandeurs, soit un rapport de police de 2018 concernant une introduction par effraction dans l’appartement de l’époux de la demanderesse, ainsi que des rapports de recherche portant sur la situation générale en Égypte, ne démontraient pas que les demandeurs seraient personnellement exposés à un risque de préjudice de la part des Frères musulmans. Il en est ainsi parce que le rapport de police n’indiquait pas l’identité de la personne qui s’était introduite par effraction dans l’appartement de l’époux de Mme Abdelsalam, ni ne permettait de savoir si les personnes en question étaient associées aux Frères musulmans. Les rapports de recherche relatifs à la période pertinente ne décrivent qu’un risque général auquel seraient exposées toutes les personnes se trouvant en Égypte et non un risque propre aux demandeurs.

[14]  En deuxième lieu, l’agent a conclu que les éléments de preuve fournis par les demandeurs au sujet de l’allégation selon laquelle Mme Abdelsalam était exposée à un risque de préjudice en Égypte en raison de son sexe n’établissent qu’un risque généralisé et non un risque prospectif personnalisé. Plus précisément, bien que les articles et les rapports de recherche fournis par les demandeurs démontrent que le harcèlement, la discrimination et la violence envers les femmes constituent un problème majeur en Égypte, surtout dans les grandes villes, l’agent a estimé que ces documents n’établissaient l’existence d’un risque généralisé. Par conséquent, il en est arrivé à la conclusion que, étant donné que Mme Abdelsalam n’avait pas présenté d’éléments de preuve démontrant qu’elle avait été victime de violence, de harcèlement ou de discrimination ou encore qu’elle avait reçu des menaces de préjudice en raison de son sexe, ce motif ne permettait pas de conclure à l’existence d’un risque prospectif personnalisé.

[15]  En troisième lieu, l’agent a estimé que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve établissant qu’ils avaient subi des préjudices de la part des Frères musulmans, ou d’autres personnes se trouvant en Égypte, parce qu’ils étaient amis avec des chrétiens. En conséquence, il a conclu qu’il était peu probable que les demandeurs seraient exposés à un risque de cette nature s’ils retournaient en Égypte.

[16]  En quatrième lieu, les demandeurs ont fait valoir que, s’ils étaient contraints de retourner en Égypte, leur santé mentale se détériorerait et ils seraient incapables d’obtenir les soins de santé mentale dont ils ont besoin. Dans l’addenda à la décision concernant l’ERAR du 5 mars 2019, l’agent a passé en revue le rapport psychologique de 2017 au sujet de Mme Abdelsalam ainsi que l’autorisation relative à des services de counselling pour Hamza qui faisait partie de la documentation accompagnant leur demande de statut de résident permanent fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a conclu que les documents n’établissaient pas les besoins actuels ou futurs des demandeurs en matière de santé mentale. En fait, rien n’indiquait que Hamza s’était prévalu des services de counselling autorisés ou que Mme Abdelsalam avait suivi les séances de thérapie bimensuelles recommandées par le Dr Carreira. De plus, l’agent a souligné que, d’après la preuve, des services et établissements de santé mentale établis existaient en Égypte, notamment dans les grandes villes et que, par conséquent, les demandeurs seraient en mesure d’obtenir des soins de santé mentale s’ils en ont besoin.

[17]  En cinquième lieu, l’agent a conclu que les fils de Mme Abdelsalam, Loay et Hamza, n’étaient pas personnellement exposés à un risque prospectif de préjudice en Égypte. Selon l’agent, le service militaire obligatoire constitue une condition générale en Égypte qui touche tous les jeunes hommes de ce pays et qui n’est donc pas un risque personnalisé. Néanmoins, l’agent précise qu’il est possible d’obtenir une exemption dans certains cas, et il est possible que Loay et Hamza soient admissibles à bénéficier de cette exemption dans trois ou quatre ans. Quant au risque de préjudice de la part des enseignants, l’agent a souligné que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve appuyant l’existence de ce risque auquel les garçons seraient personnellement exposés.

[18]  Enfin, l’agent a conclu que, si l’un ou l’autre des risques de préjudice allégués existe en Égypte, les demandeurs n’ont pas établi que la protection pouvant être obtenue dans ce pays n’est pas suffisante pour les protéger. Après avoir examiné les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs, l’agent a conclu qu’il existait en Égypte un régime juridique bien défini qui était administré par des forces de sécurité contrôlées de façon concrète par des autorités civiles. Tout en reconnaissant l’existence de cas d’impunité mettant en cause des forces de sécurité, l’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État en Égypte. En conséquence, il a refusé la demande d’ERAR des demandeurs.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[19]  Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse de la question de savoir si Mme Abdelsalam était personnellement exposée à un risque prospectif de préjudice en Égypte en raison de son sexe?

  2. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse de la question de savoir si les fils de Mme Abdelsalam, Loay et Hamza, étaient personnellement exposés à un risque prospectif de préjudice en Égypte?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[20]  La présente demande a été plaidée avant que la Cour suprême du Canada ne rende ses décisions dans les récents arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [l’arrêt Vavilov], et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. La décision de la Cour fédérale en l’espèce a été mise en délibéré et les observations des parties sur la norme de contrôle ont donc été présentées selon le cadre d’analyse de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [l’arrêt Dunsmuir]. Toutefois, compte tenu des circonstances de l’espèce et des directives de la Cour suprême du Canada figurant au paragraphe 144 de l’arrêt Vavilov, la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires relativement à la norme de contrôle. Dans le contrôle de la présente demande, j’ai appliqué le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov et, en l’espèce, cela ne change ni la norme de contrôle applicable ni mes conclusions.

[21]  Aux paragraphes 23 à 32 de l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont voulu simplifier la manière dont une cour de révision choisit la norme de contrôle applicable aux questions litigieuses dont elle est saisie. Les juges majoritaires sont passés d’une approche contextuelle et orientée vers des catégories, adoptée dans l’arrêt Dunsmuir, à l’instauration d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Toutefois, les juges majoritaires ont fait observer que cette présomption peut être réfutée si : (1) le législateur prévoit l’application d’une norme de contrôle différente (Vavilov, aux par. 33 à 52), et si (2) la primauté du droit requiert l’application de la norme de la décision correcte dans le contrôle de certaines catégories de questions, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).

[22]  Les parties s’entendaient sur le fait que la norme de contrôle applicable en l’espèce était celle de la décision raisonnable.

[23]  Rien ne permet de réfuter la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. L’application de la norme de la décision raisonnable à ces questions litigieuses est également cohérente avec les décisions antérieures à l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada. Voir les décisions Mowloughi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 270, au paragraphe 17, et Selduz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 361, aux paragraphes 9 et 10.

[24]  Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse portera sur la question de savoir si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). La norme de la décision raisonnable constitue une norme de contrôle unique « qui s’adapte au contexte » (Vavilov, au par. 89, citant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solutions qu’il peut retenir » (Vavilov, au par. 90). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que lorsqu’elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada énonce deux catégories de lacunes fondamentales qui rendent la décision déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur; (2) le cas d’une décision indéfendable « sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, au par. 101).

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[25]  Les dispositions législatives suivantes de la LIPR s’appliquent à la présente demande de contrôle judiciaire :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays ;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture ;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

VII.  ARGUMENTS

A.  Demandeurs

[26]  Les demandeurs soutiennent que la décision faisant l’objet du contrôle était déraisonnable, pour les raisons suivantes : (1) l’agent a mal évalué le risque de préjudice auquel Mme Abdelsalam était personnellement exposée en Égypte en raison de son sexe; (2) l’agent n’a pas fait une évaluation significative du risque de préjudice auquel Loay et Hamza seront exposés en Égypte. Pour ces raisons, les demandeurs font valoir que la décision faisant l’objet du contrôle ne peut être confirmée et doit être annulée et renvoyée à un autre décideur.

1)  Risque de préjudice fondé sur le sexe de Mme Abdelsalam

[27]  Les demandeurs soutiennent que l’évaluation faite par l’agent de l’allégation de Mme Abdelsalam selon laquelle elle est exposée à un risque sérieux de préjudice en Égypte en raison de son sexe est déraisonnable, parce que l’agent : (1) n’a pas tenu compte du fait que Mme Abdelsalam s’était fait dire explicitement par des hommes de se vêtir de façon plus conservatrice; (2) n’a pas examiné spécifiquement la question de savoir s’il était possible d’obtenir la protection de l’État en Égypte en cas de persécution liée au sexe; (3) n’a analysé de manière spécifique aucun des éléments de preuve pertinents fournis.

[28]  D’abord, les demandeurs reprochent à l’agent d’avoir commis une erreur en affirmant que le risque de préjudice auquel Mme Abdelsalam soutenait être personnellement exposée en raison de son sexe constitue une condition généralisée en Égypte. Il en est ainsi parce que Mme Abdelsalam a continuellement affirmé depuis le dépôt de sa demande d’asile qu’elle s’était fait dire par des partisans des Frères musulmans, avec lesquels elle travaillait, de ne plus se maquiller et de cesser de porter des pantalons et des vêtements aux couleurs vives. Ils insistaient plutôt pour qu’elle porte des vêtements de style plus conservateur. Aux yeux des demandeurs, cet exemple démontre que Mme Abdelsalam est personnellement exposée à un risque de préjudice en tant que femme, en raison de son interprétation libérale de l’islam. En conséquence, l’agent a mal compris le risque auquel Mme Abdelsalam était exposée.

[29]  En deuxième lieu, les demandeurs soutiennent que non seulement l’agent n’a‑t‑il mentionné aucun élément de preuve à l’appui de sa conclusion selon laquelle une protection adéquate de l’État existait en Égypte, mais il n’a pas analysé non plus la question de savoir si une protection de l’État existait pour les personnes exposées à des risques de préjudice en raison de leur sexe. Il s’agit là d’une distinction importante pour les demandeurs, eu égard à la preuve liée à la violence, au harcèlement et à la discrimination dont les femmes sont victimes en Égypte.

[30]  En troisième lieu, les demandeurs reprochent à l’agent de ne pas avoir tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents pour évaluer leurs allégations fondées sur le sexe. À leur avis, cette évaluation équivaut à une analyse sommaire, comme le démontre l’omission de la part de l’agent de mentionner des éléments de preuve précis à l’appui de ses conclusions concernant le risque de préjudice auquel Mme Abdelsalam est personnellement exposée en Égypte en raison de son sexe. Les demandeurs soulignent plutôt qu’une bonne partie des nouveaux éléments de preuve fournis confirment le risque sérieux de préjudice auquel sont actuellement exposées des femmes comme Mme Abdelsalam en Égypte ainsi que le caractère inadéquat de la protection de l’État dans les cas de persécution liée au sexe.

2)  Risque de préjudice auquel Loay et Hamza sont exposés

[31]  Les demandeurs reprochent également à l’agent de ne pas avoir fait d’analyse significative du risque de préjudice auquel Loay et Hamza sont exposés en Égypte.

[32]  Les demandeurs affirment que les éléments de preuve objectifs n’appuient pas la conclusion de l’agent selon laquelle Loay et Hamza ne seraient pas exposés à un risque de préjudice en Égypte. Les demandeurs invoquent explicitement deux rapports dans lesquels sont exposés en détail les traumatismes vécus par les enfants qui grandissent dans un environnement miné par des crises et des conflits sociaux, lesquels traumatismes mènent à un trouble de stress post-traumatique. De l’avis des demandeurs, la preuve comporte des documents importants qui auraient dû être analysés de manière explicite dans la décision faisant l’objet du contrôle.

[33]  Les demandeurs soulignent que l’agent n’a cité aucun document pertinent au sujet de la situation qui règne dans le pays pour les enfants, même s’il n’était pas tenu de faire d’autres recherches au besoin suivant l’article 10.3 de la politique PP 3 du guide des politiques sur l’examen des risques avant renvoi. De plus, les demandeurs reprochent à l’agent de n’avoir mentionné aucun élément de preuve à l’appui de la conclusion selon laquelle il est possible d’obtenir une protection adéquate de l’État en Égypte pour les enfants qui sont persécutés par leurs enseignants ou qui risquent d’être enlevés.

[34]  Enfin, les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas analysé de façon significative le risque d’enlèvement auquel Loay et Hamza seraient exposés en Égypte en confondant à tort les conclusions de la SPR et de la SAR sur la crédibilité avec une conclusion portant qu’aucun risque sérieux d’enlèvement n’existait.

[35]  Pour ces motifs, les demandeurs affirment que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

B.  Défendeur

[36]  Le défendeur répond qu’il incombe aux demandeurs de présenter suffisamment d’éléments de preuve établissant qu’ils ont qualité de réfugiés ou de personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Dans la présente affaire, les demandeurs ne se sont pas déchargés de ce fardeau et l’agent a agi de façon raisonnable en rejetant leur demande d’ERAR.

[37]  Plus précisément, le défendeur soutient que la décision faisant l’objet du contrôle était raisonnable, parce que les demandeurs n’ont pas présenté suffisamment d’éléments de preuve établissant (1) l’existence d’un risque de préjudice auquel Mme Abdelsalam était personnellement exposée en raison de son sexe et (2) l’existence d’un risque de préjudice auquel les fils de Mme Abdelsalam, Loay et Hamza, étaient personnellement exposés.

[38]  Le défendeur souligne que, ainsi que l’a affirmé la Cour fédérale, il n’est pas nécessaire que les motifs de la décision d’un agent soient parfaits ou détaillés, mais ils doivent être suffisamment étoffés pour faire connaître le fondement de la décision. Voir les décisions Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, et Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940. Le défendeur soutient que la décision faisant l’objet du contrôle respecte ce critère.

1)  Risque de préjudice en raison du sexe de Mme Abdelsalam

[39]  Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas présenté suffisamment d’éléments de preuve spécifiques démontrant que Mme Abdelsalam sera personnellement exposée à un risque prospectif de préjudice en Égypte en raison de son sexe, notamment lorsque les conclusions défavorables de la SPR et de la SAR au sujet de la crédibilité sont prises en compte.

[40]  Le défendeur souligne que les demandeurs n’ont présenté que des éléments de preuve généraux au soutien de l’existence d’un risque personnel de préjudice en raison du sexe. La Cour fédérale a déjà conclu que ce type de preuve générale est peu susceptible d’établir un risque de préjudice pouvant constituer le fondement d’une demande d’ERAR. Le défendeur cite les décisions que la Cour fédérale a rendues dans Sallai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 446, aux paragraphes 66 à 71, et surtout Alba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1116, aux paragraphes 3 et 4, où les remarques suivantes sont formulées :

[3]  Il ne suffit pas pour les demandeurs de déposer de la preuve documentaire faisant état de situations problématiques dans leur pays pour se voir reconnaître le statut de « réfugiée », au sens de la Convention, ou « personne à protéger ». Encore faut‑il que les demandeurs démontrent un lien entre cette preuve et leur situation personnelle, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire. (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, [2002] A.C.F. no 302 (C.A.F.) (QL).)

[4]  La preuve documentaire portant sur la situation générale existant dans le pays d'un demandeur d’asile ne permet pas, à elle seule, d'établir le bien-fondé de sa demande d’asile. (Alexibich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 53, [2002] A.C.F. no 57 (QL)Ithibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 288, [2001] A.C.F. no 499 (QL).)

[Non souligné dans l’original.]

[41]  Le défendeur ne souscrit pas à la suggestion des demandeurs selon laquelle l’agent a fait une analyse « sommaire » parce qu’il n’a pas mentionné explicitement tous les éléments de preuve pertinents en l’espèce. Le défendeur souligne qu’il est bien reconnu en droit qu’un décideur n’est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve pertinents, car il est réputé avoir examiné l’ensemble de la preuve.

[42]  Essentiellement, le défendeur affirme que la décision faisant l’objet du contrôle était raisonnable, parce qu’il ne suffit pas pour les demandeurs d’affirmer que Mme Abdelsalam est une personne ayant besoin de la protection du Canada sans établir un lien personnel avec la preuve générale sur laquelle ils se fondent. En effet, le simple fait qu’une personne est une femme en Égypte ne signifie pas pour autant qu’elle a qualité de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

2)  Risque de préjudice pour Loay et Hamza

[43]  Le défendeur affirme également que la conclusion de l’agent selon laquelle Loay et Hamza n’étaient pas personnellement exposés à un risque de préjudice en Égypte était raisonnable. Selon le défendeur, les demandeurs n’ont présenté que des éléments de preuve généraux sur la situation qui règne en Égypte sans établir un lien personnel entre cette preuve et les garçons.

[44]  Contrairement à ce que les demandeurs soutiennent, le défendeur ne croit pas non plus que l’agent était tenu de mener d’autres recherches aux termes de la politique PP 3. Il souligne à cet égard que cette politique ne lie pas l’agent et qu’il incombe aux demandeurs de présenter suffisamment d’éléments de preuve.

[45]  Enfin, le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de l’agent de s’en remettre aux conclusions de la SPR et de la SAR comme fondement et cite la décision que la Cour fédérale a rendue dans Kopalapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 501, au paragraphe 27 :

Les motifs exposés par l’agente pour justifier son rejet des nouveaux éléments de preuve présentés par M. Kopalapillai étaient transparents et intelligibles. Un agent d’immigration qui effectue un ERAR peut accorder peu de poids, voire aucun, aux éléments de preuve qui portent sur des risques déjà évalués par la SPR; à ceux dont la source n’est pas impartiale; ou à ceux qui sont vagues, contradictoires ou non corroborés (Liyanage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 194, aux paragraphes 17 à 21, 30 et 31).

[46]  Pour ces motifs, le défendeur affirme que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

VIII.  ANALYSE

[47]  Les demandeurs soutiennent que la décision faisant l’objet du contrôle est entachée de plusieurs erreurs susceptibles de révision. Cependant, leur principal argument réside dans l’omission de la part de l’agent d’examiner la preuve relative au risque – notamment à l’endroit des femmes – qui est décrite dans les documents portant sur la situation qui règne en Égypte, ainsi que les éléments de preuve établissant l’absence de protection de l’État pour les personnes exposées à des risques, notamment les femmes.

[48]  Cette allégation est problématique en l’espèce, parce qu’il est bien reconnu en droit qu’un agent d’ERAR n’a pas pour tâche d’examiner les appels interjetés à l’encontre des décisions de la SPR ou de la SAR, ou de réévaluer les risques et les éléments de preuve que ces tribunaux ont déjà examinés et rejetés.

[49]  Ainsi que l’explique l’agent dans sa décision :

[traduction

Une demande d’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision défavorable de la CISR (en l’espèce, les décisions de la SPR et de la SAR), mais plutôt une demande d’évaluation, à la lumière de nouveaux éléments de preuve, du risque de persécution ou de torture, du risque de menace à sa vie ou du risque de traitements ou peines cruels et inusités auquel le demandeur serait exposé s’il devait retourner dans son pays d’origine.

[50]  Les nouveaux éléments de preuve présentés en l’espèce étaient les suivants :

[traduction

La demande d’ERAR des demandeurs, leurs observations écrites et des éléments de preuve documentaire qui sont postérieurs à l’instance qu’ils ont portée devant la SPR ou la SAR, ou qui concernent un nouvel énoncé du risque qu’ils ont mis de l’avant.

[51]  L’agent souligne que les demandeurs ont invoqué, dans leur demande d’ERAR, [traduction« le même énoncé du risque qui avait été examiné tant par la SPR que par la SAR ».

[52]  L’agent ajoute que les nouveaux éléments de preuve qu’il est tenu d’examiner [traduction« se composent d’observations écrites, d’un rapport de police daté du 15 septembre 2018 et de plusieurs articles et rapports de recherche récents concernant la situation générale qui règne en Égypte ».

[53]  Les principaux éléments de la contestation des demandeurs à l’égard de la décision faisant l’objet du contrôle sont exposés comme suit dans leur mémoire :

[traduction

70.  Les renseignements objectifs n’appuient PAS les conclusions tirées à l’issue de l’ERAR en l’espèce. En d’autres mots, l’ERAR qui a été fait en l’espèce était à la fois incorrect et déraisonnable.

71.  De l’avis des demandeurs, l’agent d’ERAR a fait abstraction de renseignements importants, a tiré des conclusions déraisonnables et formulé des conclusions déguisées sur la crédibilité en se fondant sur une évaluation manifestement inadéquate de la situation qui règne en Égypte en ce qui concerne le risque, ainsi qu’il a été démontré en l’espèce, de sorte que la Cour doit intervenir.

72.  De l’avis des demandeurs, l’agent a fait preuve de zèle en tentant « de trouver des contradictions dans le témoignage des demandeurs » et a également « manifesté une vigilance excessive en examinant à la loupe les éléments de preuve ».

73.  Les demandeurs soutiennent également que l’analyse du risque a été faite de manière sommaire et qu’aucune analyse significative n’a été menée. C’est ce qui ressort manifestement de l’omission de l’agent d’examiner ou de mentionner le moindre document sur la situation qui règne en Égypte. De plus, compte tenu de la gravité de la situation, la question des réactions du gouvernement à la violence fondée sur le sexe nécessite un examen raisonnable.

74.  Les demandeurs reprochent à l’agent de ne pas avoir tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents dans son évaluation de la demande, parce qu’il n’a reconnu aucune des références susmentionnées dans ses notes.

75.  Dans l’arrêt Faryna c Chorny, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a souligné que le véritable critère de la véracité du récit d’un témoin dans une affaire doit être sa compatibilité avec la prépondérance des probabilités qu’une personne raisonnable et informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnable à cet endroit et dans ces conditions.

76.  Étant donné que l’agent n’a pas tenu compte de la totalité de la preuve documentaire sur la situation qui règne au pays, plus précisément le document d’Amnistie internationale, Circles of Hell, concernant les profils de risque liés au sexe, et le document RIR EGY105005 concernant la protection de l’État, sa conclusion était déraisonnable. Il est bien reconnu en droit que les explications qui ne sont pas manifestement invraisemblables doivent être prises en compte.

77.  L’agent d’ERAR n’a pas cru les éléments de preuve selon lesquels les menaces dont Deena faisait l’objet étaient liées à un facteur fondé sur le sexe. L’agent a également conclu que la preuve de violence systématique, même à l’endroit des femmes, n’établissait qu’un risque généralisé, et non un risque auquel Deena était personnellement exposée, même si elle a affirmé qu’elle s’était fait dire de se vêtir d’une manière ultra conservatrice, dans le respect de l’islam, et s’était également fait dire comment élever ses fils.

78.  Étant donné que la mauvaise interprétation de la preuve faite par l’agent a influencé sa conclusion sur la crédibilité, la conclusion n’était pas raisonnable et ne peut être confirmée.

79.  Étant donné que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve des demandeurs ainsi que des éléments de preuve pertinents sur la situation qui règne dans le pays, la conclusion était déraisonnable. Il est bien reconnu en droit que les explications qui ne sont pas manifestement invraisemblables doivent être prises en compte.

[Références omises]

[54]  Ces allégations ne tiennent pas compte de l’évaluation limitée que l’agent d’ERAR doit faire. L’agent conclut que la plupart des documents accompagnant la demande d’ERAR au sujet du risque provenant des Frères musulmans concernent le même énoncé du risque que tant la SPR que la SAR ont déjà examiné. En se fondant en grande partie sur cette preuve, la SPR a conclu que le témoignage de Mme Abdelsalam n’était pas crédible en ce qui concerne ce risque allégué et que celle-ci n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. Cette décision a été approuvée par la SAR.

[55]  Les demandeurs estiment peut-être que les décisions de la SPR et de la SAR sont erronées, mais ils ne les ont pas contestées devant la Cour fédérale et ils ne peuvent pas le faire indirectement aujourd’hui en reprochant à l’agent d’ERAR de ne pas avoir examiné et évalué à nouveau ces risques, notamment en ce qui concerne les conclusions de la SPR et de la SAR au sujet de la protection de l’État.

[56]  Dans la mesure où les demandeurs souhaitent aujourd’hui élargir la portée de leur demande de protection fondée sur les articles 96 et 97 pour englober la situation de Mme Abdelsalam en tant que femme, ce n’est pas là un risque nouveau. Effectivement, les documents que celle-ci invoque ne font pas ressortir un risque ou un motif de protection qui n’était pas évident lors du déroulement de l’instance des demandeurs devant la SPR et la SAR. N’ayant pas réussi à démontrer qu’ils sont exposés à un risque d’être ciblés par les Frères musulmans, les demandeurs ont tenté d’invoquer un nouveau motif de protection. En tout état de cause, leur preuve n’établit qu’un risque généralisé auquel les femmes sont exposées. Dans les observations écrites qu’ils ont présentées à l’agent, les demandeurs se sont limités à une description de la situation générale qui règne en Égypte pour les femmes qui y vivent et n’ont mentionné qu’une question de tenue vestimentaire au sujet de laquelle Mme Abdelsalam estimait ne pas avoir été traitée convenablement :

[traduction

29.  De plus, la tenue vestimentaire des femmes est restreinte de manière à traduire les croyances religieuses radicales. Deena elle-même s’est fait dire de ne pas porter de pantalons au travail et de veiller à porter des vêtements de style conservateur. Deena devait se restreindre en ce qui a trait à sa tenue vestimentaire. Elle n’a pas pu choisir ce qu’elle estimait être des vêtements de style conservateur. Les hommes choisissent pour les femmes et définissent ce qui constitue une tenue respectable en public.

[57]  Après s’être fait dire à une occasion de ne pas porter de pantalons au travail, Mme Abdelsalam soutient aujourd’hui qu’elle est personnellement exposée à un risque prospectif qui fait d’elle une personne ayant qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. Cette allégation n’est pas convaincante et ne fait pas ressortir une forme de persécution visée à l’article 96 ou un risque visé à l’article 97.

[58]  En ce qui concerne les risques auxquels Mme Abdelsalam est exposée en tant que femme en Égypte, ce n’est pas là un risque nouveau. Aucun élément des observations des demandeurs ou de la preuve n’indique que ce risque a changé de quelque façon que ce soit depuis la demande de protection qu’ils ont présentée devant la SPR et la SAR. Fait important à souligner, l’époux de Mme Abdelsalam, qui est aussi le père des enfants, continue à vivre et à travailler en Égypte et il n’est nullement sous-entendu qu’il a manifesté l’une ou l’autre des attitudes ou comportements conservateurs discriminatoires que redoute Mme Abdelsalam. De plus, le fait de se faire dire une fois de ne pas porter de pantalons au travail n’équivaut pas à une forme de persécution visée à l’article 96 ou à un risque visé à l’article 97.

[59]  En ce qui a trait aux nouveaux éléments de preuve présentés sur cette question, il appert clairement de la décision faisant l’objet du contrôle que l’agent les a examinés et a conclu qu’ils n’appuyaient l’existence d’aucun risque auquel Mme Abdelsalam était personnellement exposée. Ainsi que l’explique l’agent :

[traduction

Les demandeurs affirment également dans leurs observations relatives à l’ERAR que la demandeure principale (DP) sera exposée à un risque de préjudice en Égypte parce qu’elle est une femme. Au soutien de cet énoncé du risque, les demandeurs ont présenté plusieurs articles et rapports de recherche concernant la situation qui règne en Égypte.

J’ai examiné les articles et les rapports de recherche que les demandeurs ont présentés et, à mon avis, ils indiquent que la violence faite aux femmes ainsi que le harcèlement et la discrimination dont elles sont victimes constituent un grave problème d’actualité en Égypte, surtout dans les grandes villes. Cependant, j’ajoute que les problèmes de violence, de harcèlement et de discrimination à l’endroit des femmes qui existent toujours en Égypte, si déplorables soient‑ils, constituent une condition généralisée dans ce pays. Je souligne qu’aucun élément des documents que les demandeurs ont joints à leur demande d’ERAR n’indique que la DP a été victime de violence, de harcèlement ou de discrimination en Égypte parce qu’elle est une femme. De plus, ces mêmes documents n’indiquent pas non plus que la DP a déjà reçu des menaces en Égypte parce qu’elle est une femme. En conséquence, je ne crois pas que les documents joints à la demande d’ERAR des demandeurs établissent que la DP serait personnellement exposée à un risque prospectif de préjudice en Égypte parce qu’elle est une femme.

[60]  En ce qui a trait aux menaces qui proviendraient des Frères musulmans, la décision faisant l’objet du contrôle montre indéniablement que l’agent a examiné les éléments de preuve présentés par les demandeurs et a conclu qu’ils n’établissaient pas l’existence d’un risque personnel :

[traduction

J’ai également examiné les récents articles et rapports de recherche que les demandeurs ont présentés au sujet de la situation qui règne en Égypte, et j’estime qu’ils indiquent l’existence d’un certain nombre de problèmes graves en Égypte, comme des actes de violence commis par des terroristes, des cas d’impunité liés au gouvernement et aux forces de sécurité, de la discrimination à l’encontre des groupes minoritaires et une situation économique qui se détériore. Cependant, tout en reconnaissant que les articles et les rapports de recherche que les demandeurs ont présentés indiquent que la situation en Égypte est imparfaite, je souligne que les conditions décrites dans ces documents sont de nature générale et touchent l’ensemble des citoyens et résidents de l’Égypte. En conséquence, je ne crois pas que les articles et les rapports de recherche invoqués par les demandeurs indiquent que ceux‑ci seraient personnellement exposés à un risque prospectif de préjudice s’ils devaient retourner en Égypte.

[61]  En ce qui concerne Loay et Hamza, tel qu’il est mentionné plus haut, le problème réside dans l’absence d’éléments de preuve indiquant que ceux‑ci seraient personnellement exposés à un risque de persécution ou de préjudice ou qu’ils ne pourraient obtenir la protection de l’État. Malgré les exemptions soulignées par l’agent, même si les garçons sont contraints de faire leur service militaire un jour ou l’autre, il s’agit là d’une [traduction] « condition générale du pays qui touche tous les jeunes hommes de l’Égypte ». En conséquence, cette obligation ne peut être considérée comme un risque personnel prospectif qui ferait des garçons des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[62]  Les demandeurs reprochent également à l’agent de ne pas avoir souligné les éléments de preuve concernant les risques liés à la santé mentale auxquels ils seraient exposés s’ils devaient retourner en Égypte. Étant donné que l’agent examinait également la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demandeurs, il a explicitement tenu compte de la preuve médicale présentée dans le cadre de cette demande lors de l’examen des risques visés aux articles 96 et 97 auxquels les demandeurs étaient exposés. L’analyse est exhaustive et importante et je la reproduis donc intégralement ci‑dessous :

[traduction] 
Risque de préjudice pour la santé mentale des demandeurs

Dans leurs observations relatives à l’ERAR, les demandeurs affirment que, s’ils devaient retourner en Égypte, la santé mentale du demandeur mineur (DM), Loay Sameh Badr Ahmed Mohamed, et de la DP se détériorerait. De plus, toujours selon ces observations, la DP serait incapable d’obtenir les soins de santé mentale dont elle a besoin en Égypte.

Dans ces mêmes observations, les demandeurs affirment que le DM, Loay Sameh Badr Ahmed Mohamed, a été « traumatisé […] psychologiquement » après avoir précédemment été kidnappé, sans toutefois avoir été blessé, par des membres des Frères musulmans.

Je souligne toutefois que l’enlèvement du DM, Loay Sameh Badr Ahmed Mohamed, a été décrit comme l’un des incidents concernant l’énoncé du risque que tant la SPR que la SAR avaient examiné (selon cet énoncé, les demandeurs seraient exposés à un risque de préjudice en Égypte de la part de membres des Frères musulmans). Je sais pertinemment que le témoignage de la DP, qui a témoigné pour elle-même et pour les DM, a été jugé non crédible par la SPR relativement à cette allégation de risque.

J’ai accordé beaucoup d’importance aux conclusions relatives à la crédibilité de la SPR en ce qui concerne la DP, car je souligne que la SPR est un tribunal très spécialisé sur les questions de l’immigration et possède une très grande expérience en matière d’évaluation de la crédibilité des demandeurs.

J’ajoute qu’aucun document médical, tel un rapport psychologique, indiquant que le DM, Loay Sarneh Badr Ahmed Mohamed, a éprouvé ou éprouve actuellement des problèmes de santé mentale, n’a été déposé.

En ce qui a trait à la santé mentale de la DP, je souligne que celle‑ci affirme ce qui suit dans son affidavit :

Je suis très angoissée et je crains de ne pouvoir m’occuper de mes enfants si nous devons retourner en Égypte. Je ne dors pas bien. Je m’inquiète tout le temps. La seule pensée de devoir retourner en Égypte m’angoisse et me tourmente et crée des problèmes de santé mentale chez moi.

Je sais que les services de santé mentale sont très limités en Égypte et qu’il existe un grand tabou au sujet des traitements pour la dépression et l’anxiété. Je ne pourrai pas obtenir des soins de santé appropriés en Égypte si je dois retourner là‑bas.

Cependant, aucun document médical, tel un rapport psychologique, indiquant que la DP a éprouvé ou éprouve actuellement un problème de santé mentale, n’a été déposé.

Néanmoins, je rappelle qu’en même temps que leur demande d’ERAR, j’examine la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demandeurs et je souligne que ceux‑ci ont présenté plusieurs rapports de recherche concernant le système de santé mentale de l’Égypte au soutien de cette demande. Un de ces rapports de recherche provient de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et est intitulé : WHO – ALMS Report on Mental Health System in Egypt. Voici quelques passages de ce rapport :

Une politique et un programme de santé mentale existent en Égypte, de même que des dispositions législatives en la matière […] Tous les troubles mentaux et tous les problèmes de santé mentale comportant des aspects cliniques sont couverts par des régimes d’assurance sociale. Au moins 80 % de la population a accès gratuitement aux médicaments psychotropiques essentiels. Un organisme national chargé de l’examen des droits de la personne existe, de même qu’une autorité nationale de la santé mentale, qui conseille le gouvernement au sujet des politiques et des mesures législatives sur la santé mentale.

Ce rapport indique également qu’il y a des établissements de services internes et externes de santé mentale en Égypte, dont la plupart se trouvent près des grandes villes.

Il appert également de ce rapport de recherche que l’Égypte compte des professionnels qualifiés en santé mentale, ce qui comprenait, en 2003, « 1 000 psychiatres, […] 147 médecins non spécialisés en psychiatrie, […] 1 806 infirmières et infirmiers, […] 75 psychologues, […] 188 travailleurs sociaux […] et 238 autres travailleurs en santé ou santé mentale » en 2003.

Dans l’ensemble, après avoir examiné les rapports de recherche que les demandeurs ont déposés au soutien de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au sujet du système de santé mentale existant en Égypte, et vu l’absence de documents médicaux concernant la santé mentale actuelle des demandeurs ou leurs besoins en cette matière, le cas échéant, je ne crois pas que les demandeurs seraient incapables d’obtenir les soins de santé mentale dont ils pourraient avoir besoin en Égypte.

[63]  Les demandeurs affirment qu’ils ont présenté des éléments de preuve sur leurs problèmes de santé mentale actuels et que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant que les soins de santé offerts en Égypte ne sont pas suffisants pour répondre à leurs besoins.

[64]  Le même agent commente explicitement comme suit la preuve concernant les besoins psychologiques de Mme Abdelsalam dans la décision connexe relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

[traduction

Je souligne que les demandeurs ont déposé un rapport psychologique d’un psychologue, le Dr Cristovaro Carreira, au sujet de la DP. Dans ce rapport, qui est daté du 16 février 2018, le Dr Carreira affirme que la demandeure souffre d’un trouble panique et d’un trouble de l’adaptation, ainsi que d’un mélange d’anxiété et d’humeur dépressive, et recommande à la DP de « participer à des séances bimensuelles de thérapie cognitivo‑comportementale auprès d’un thérapeute compétent afin d’atténuer ses symptômes de dépression, d’anxiété et de panique et d’améliorer ses capacités d’adaptation ». Cependant, je constate qu’aucun document médical indiquant que la DP a suivi les séances bimensuelles de thérapie que le Dr Carreira lui avait recommandé de suivre ou qu’elle a eu accès à une autre forme de traitement pour ses problèmes de santé mentale n’a été déposé.

Je souligne que le Dr Carreira affirme également dans le rapport psychologique que la santé mentale de la DP se détériorera probablement si elle retourne en Égypte. Cependant, peu d’éléments de ce même rapport indiquent que la DP sera incapable d’obtenir des soins de santé mentale dont elle pourrait avoir besoin en Égypte.

Je souligne également que le rapport psychologique du Dr Carreira au sujet de la DP remonte à plus d’un an. Tout en reconnaissant que, dans les récentes observations déposées par les demandeurs au sujet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la DP affirme qu’« elle continuera à éprouver de l’angoisse et à se sentir déprimée au sujet de la vie en Égypte et de tout ce qu’elle a vécu […] [et] qu’elle continue à voir son professionnel de la santé au besoin ». Je souligne qu’aucun document médical à jour visant à appuyer cette déclaration ou à indiquer quels seraient les besoins actuels ou futurs de la DP en matière de santé mentale n’a été fourni.

J’ajoute que les demandeurs ont déposé une approbation relative à des services de counselling pour le DM, Hamza Sameh Badr Ahmed Mohamed. D’après ce document, qui est daté du 12 mai 2017, le Programme d’intervention rapide + auprès des victimes du ministère du Procureur général de l’Ontario a approuvé une demande de financement de services de counselling pour le DM, Hamza Sameh Badr Ahmed Mohamed. Cependant, les demandeurs n’ont déposé aucun document indiquant si Hamza s’est prévalu des services de counselling visés par l’approbation. J’ajoute que les demandeurs n’ont déposé aucun document médical indiquant qu’Hamza souffre actuellement de problèmes de santé mentale ou qu’il a actuellement besoin de soins de santé mentale sous quelle que forme que ce soit, ou qu’il en aurait besoin plus tard.

Après avoir examiné attentivement les documents des demandeurs, je ne crois pas qu’ils établissent les besoins actuels ou futurs de ceux-ci en matière de santé mentale.

[65]  Les demandeurs citent l’article intitulé « Are Psychiatric Hospitals in Egypt Hurting Mental Health Care? », qui établirait que la santé mentale demeure un tabou en Égypte, mais cet article tout entier ne contredit pas les éléments de preuve sur lesquels l’agent s’est fondé ni ne nécessite une mention spéciale.

[66]  De plus, les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve admissible visant à contredire les conclusions de l’agent au sujet de leurs besoins en matière de santé mentale.

[67]  Bien entendu, je comprends tout à fait que les demandeurs estiment que le Canada est un bien meilleur endroit où vivre que l’Égypte et qu’ils seraient plus heureux et plus en santé ici. Néanmoins, il faut bien davantage que la preuve présentée à l’agent pour établir une forme de persécution visée à l’article 96 ou à un risque visé à l’article 97. J’ai examiné chacun des arguments des demandeurs et je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’agent.

IX.  CERTIFICATION

[68]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2143‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de mars 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2143‑19

 

INTITULÉ :

DEENA ABDELSALAM ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 NOVEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Russell

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Mary Jane Campigotto

 

POUR Les demandeurs

 

David Joseph

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Jane Campigotto

Avocate

Windsor (Ontario)

 

POUR Les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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