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Date : 20200128


Dossier : IMM-2413-19

Référence : 2020 CF 32

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2020

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

JOHN ACHONA NATHANIEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  M. John Achona Nathaniel demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 27 mars 2019, par laquelle la Section de l’immigration [la SI] l’a déclaré interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], et a ordonné son expulsion en vertu de l’alinéa 229(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227.

[2]  La SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Nathaniel était complice de crimes contre l’humanité commis par la Nigerian Police Force [ Force policière nigériane ou « la NPF »], parce qu’il a contribué volontairement, consciemment et de façon significative aux crimes ou au dessein criminel de la NPF. La SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Nathaniel avait consciemment et personnellement commis de tels crimes.

[3]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.  Contexte

[4]  M. Nathaniel est un citoyen du Nigéria. Le 18 août 2017, il est entré au Canada et a demandé l’asile.

[5]  Le 25 août 2017, M. Nathaniel a signé le formulaire de l’annexe A, dans lequel il a indiqué qu’il avait travaillé pour le State Intelligence Bureau [Bureau du renseignement de l’État ou « le SIB »] en tant qu’agent de police de mars 2000 à janvier 2017.

[6]  Le 6 septembre 2017, M. Nathaniel a signé son formulaire Fondement de la demande d’asile. Dans l’exposé joint au formulaire en question, il a indiqué notamment avoir travaillé pour la NPF comme [traduction« agent de police au département du Bureau du renseignement d’État du Commandement de police de l’État de Lagos, à Ikeja » et qu’il craignait pour sa sécurité et celle de son épouse au Nigéria, essentiellement parce que les criminels qu’il avait combattus en tant qu’agent de police voulaient se venger.

[7]  Le 12 janvier 2018, M. Nathaniel a rempli un formulaire indiquant les détails de son service dans la police. Il a ensuite notamment confirmé avoir exercé les fonctions de (1) gardien de cellule, avec le grade de gendarme, pendant environ quatre ans, dans lesquelles il participait aux arrestations et aux interrogatoires; (2) planton à l’unité de gendarmes mobiles avec le grade de caporal, pendant environ sept ans, dans lesquelles il participait au maintien de la paix dans l’État d’Osun; (3) commandant de la Scorpion Special Anti‑Robbery Squad [brigade spéciale de lutte contre le banditisme Scorpion ou « la SARS »] pendant cinq ans, avec le grade de sergent, dans lesquelles il amenait les personnes arrêtées au bureau pour qu’elles soient interrogées suivant des déclarations de mise en garde; et (4) coordonnateur du SIB pendant cinq mois, avec le grade d’inspecteur, dans lesquelles il coordonnait le SIB dans Ajao Estate et arrêtait les auteurs d’enlèvement et les interrogeait suivant les déclarations de mise en garde.

[8]  Le 7 février 2018, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a interrogé M. Nathaniel. Ce dernier lui a fourni des détails, notamment sur son travail à la NPF et sur les endroits où il avait travaillé, en plus de confirmer qu’il avait été promu au mérite.

[9]  Le 24 février 2018, un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs a établi un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi. L’agent a noté les renseignements que M. Nathaniel avait confirmés dans le formulaire Fondement de la demande et dans le document du 12 janvier 2018 qui détaillait son travail pour la NPF. L’agent a également relevé que la preuve documentaire démontrait que la police du Nigéria commet des crimes contre l’humanité, notamment des exécutions extrajudiciaires, de la torture, des viols et de l’extorsion, dans une relative impunité. L’agent a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Nathaniel était interdit de territoire aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi pour avoir commis, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24.

[10]  Le 2 octobre 2018, un délégué du ministre, qui a examiné le rapport de l’agent, a déféré le dossier à la SI pour enquête, en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi.

[11]  Le 3 octobre 2018 et le 27 novembre 2018, la SI a entendu l’affaire, au cours de laquelle M. Nathaniel a témoigné et, le 27 mars 2019, la SI a rendu la décision contestée dans la présente procédure.

III.  Décision contestée

[12]  Dans sa décision, la SI a introduit la question en relevant l’allégation concernant l’alinéa 35(1)a) de la Loi et la norme de preuve figurant à l’article 33 de la Loi.

[13]  La SI a par la suite examiné les faits, en mettant en évidence ceux qui ne sont pas contestés, et elle a énoncé la position de chaque partie. Le ministre a soutenu que la preuve documentaire démontrait que la NPF commet des crimes contre l’humanité selon les définitions prévues à l’échelle internationale et au Canada. Il a ajouté que M. Nathaniel devrait être déclaré interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la Loi, parce qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il était non seulement complice de ces crimes en tant qu’agent de police au Nigéria, mais qu’il a également personnellement et directement commis des assassinats extrajudiciaires et de la torture, actes qui sont considérés comme des crimes contre l’humanité à l’échelle internationale et au Canada.

[14]  La SI a indiqué que le ministre avait insisté pour dire (1) que l’ordre de police 237, qui régit l’usage des armes à feu par la police, permet à la police au Nigéria de tirer sur des suspects et des personnes détenues qui tentent de s’échapper ou d’éviter l’arrestation et de tirer sur les émeutiers, et qu’il s’agit d’une carte blanche aux abus et d’un signe d’institutionnalisation de la violence policière; (2) que la SARS est une organisation au dessein circonscrit et brutal au sein de la NPF, et (3) que la crédibilité de M. Nathaniel est grandement affectée, puisqu’il est peu probable qu’il n’ait pas eu connaissance des violations systématiques et répandues et des crimes contre l’humanité perpétrés par la NPF.

[15]  La SI a souligné la position de M. Nathaniel selon laquelle il n’y a qu’un seul critère à appliquer pour juger si une personne est interdite de territoire pour crimes contre l’humanité et qu’il s’agit de celui indiqué dans Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola], et non de celui utilisé par le ministre pour attaquer à sa crédibilité. Pour ce qui est du critère de la contribution, M. Nathaniel a soutenu que (1) le ministre a généralisé et exagéré les violations des droits de la personne rapportées dans la preuve documentaire, en renvoyant à la pièce C-14 du ministre (Human Rights Watch, page 411, para 2) qui fait remarquer qu’il y a beaucoup de bons agents de police au Nigéria; (2) une conclusion d’interdiction de territoire a été formulée uniquement en fonction de la simple association ou de l’acquiescement passif, ce qui ne suffit pas. M. Nathaniel a ajouté (1) que son témoignage, tant devant la SI que durant l’entrevue avec l’agent de l’ASFC, était fluide et sans contradiction; (2) qu’il a été un bon policier, tout comme son père et son oncle, ce qui l’a empêché d’obtenir des promotions, l’a amené à vivre dans la pauvreté et l’a empêché de payer le loyer ou les frais médicaux de son épouse; (3) que le ministre a exclu des détails importants de son témoignage, soit qu’il avait fait feu sur des civils uniquement en légitime défense et qu’aucune torture n’a été commise à quelque moment que ce soit alors qu’il gardait des cellules, que l’interrogatoire de suspects ne signifie pas qu’ils sont torturés et que la participation à des opérations antiémeutes ne signifie pas qu’il a tiré sur des émeutiers; (4) que la corruption répandue n’est pas pertinente pour l’évaluation de l’interdiction de territoire; (5) qu’il n’était pas au courant de l’« abattoir »; (6) que le fait que la SARS est largement considérée comme étant responsable d’exécutions extrajudiciaires n’est pas fondé sur la preuve; (7) que les exécutions par la SARS sont survenues dans l’État d’Abuja, où il n’a pas travaillé; (8) que les allégations selon lesquelles la NPF est une organisation au dessein brutal, tout comme les postes occupés par M. Nathaniel, étaient des généralisations problématiques; (9) que le fait qu’il a travaillé pour l’organisation pendant 17 ans ne signifie pas qu’il savait que la peine de mort était une peine possible pour le vol ni que l’ordre de police 237 existait, et (10) que le fait que certains agents de police peuvent avoir commis des crimes de manière répandue et systématique ne signifie pas qu’il devrait en être responsable.

[16]  La SI a conclu qu’il n’y avait aucun doute du fait que M. Nathaniel était un employé de la NPF, qu’il l’avait rejointe de façon volontaire, qu’il avait travaillé comme agent de police du 1er mars 2000 à janvier 2017 et qu’il avait obtenu des promotions à quelques reprises.

[17]  La SI a également conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la NPF avait commis des actes visés par la définition de crimes contre l’humanité et que des sources documentaires crédibles et fiables attribuaient de nombreux crimes contre l’humanité à la NPF en général et à des unités précises pour lesquelles M. Nathaniel a travaillé, à savoir la MOPOL, la SARS et le SIB; ces actes comprennent de la torture, des viols et des exécutions extrajudiciaires. On leur reproche également le décès de personnes sous leur garde et la commission d’autres actes inhumains. La SI a conclu qu’il était inconcevable de penser que M. Nathaniel n’était pas au courant des crimes commis par ces trois unités et elle a fait plus particulièrement remarquer que M. Nathaniel avait déclaré avoir tué des civils après qu’ils eurent ouvert le feu sur lui et avoir personnellement interrogé de nombreux suspects de crimes. La SI a conclu que M. Nathaniel savait ce qui se passait et qu’il a tenté de minimiser, durant son témoignage, sa connaissance des atrocités et sa participation à ces dernières.

[18]  La SI a essentiellement souscrit à l’appréciation faite par le ministre des facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola. Ainsi, pour ce qui est de la taille et de la nature de l’organisation, la SI a noté que la NPF était une organisation policière d’environ 325 000 agents, que la commission de crimes contre l’humanité est systématique, institutionnalisée et répandue chez les agents, et ce, dans l’impunité presque totale. Pour ce qui est du mode de recrutement, la SI a noté que M. Nathaniel a rejoint volontairement la NPF pour suivre les traces de son père et de ses oncles, à la suggestion d’un ami. En ce qui concerne le poste ou le grade de M. Nathaniel dans l’organisation, la SI a noté la contradiction entre son témoignage à l’audience et sa déclaration pendant l’entrevue avec l’ASFC. La SI a accordé plus de poids à cette dernière et a conclu qu’il avait obtenu des promotions au mérite. La SI a conclu que M. Nathaniel avait contribué de façon significative à la NPF.

[19]  Pour ce qui est des fonctions et des activités de M. Nathaniel, la SI a conclu que : (1) la MOPOL est connue comme étant une unité d’assassinat; (2) M. Nathaniel a travaillé pour la MOPOL pendant sept ans; (3) M. Nathaniel a été en poste à la SARS et il a effectué des arrestations en bordure de route ainsi que des arrestations de masse, et a interpellé des suspects en vue d’un interrogatoire; (4) Ikeja est l’un des endroits où des atrocités sont survenues dans les installations policières selon la preuve documentaire; (5) M. Nathaniel a travaillé pour le SIB; (6) la torture systématique et les actes inhumains commis par le SIB sont fréquents, tout comme le décès de personnes sous la garde de la police, et (7) 80 % des détenus au Nigéria soutiennent avoir été battus par les policiers, menacés avec des armes et torturés dans les postes de police. La SI met en évidence le rôle de M. Nathaniel pour ce qui est d’arrêter des personnes, de tirer sur des civils durant des opérations policières, d’interroger des détenus et de garder des cellules, et elle a conclu que ces actes, ces fonctions et ces responsabilités constituaient une contribution importante aux crimes contre l’humanité à son dessein criminel imputés à la NPF.

[20]  En ce qui concerne la connaissance des atrocités de l’organisation, la SI a convenu avec le ministre que la NPF commettait des crimes contre l’humanité de façon répandue et systématique et qu’il est inconcevable de penser que M. Nathaniel n’ait pas été au courant des crimes commis quotidiennement par ses collègues ou de l’ordre de police 237, concluant au contraire que M. Nathaniel savait ce qui se passait. La SI a donc jugé que M. Nathaniel manquait de crédibilité et qu’il tentait de dissimuler sa connaissance de ce qui survenait à ce moment-là autour de lui.

[21]  Pour ce qui est de la période passée au sein de l’organisation, la SI a relevé que M. Nathaniel a été membre de la NPF pour une longue période de 17 ans, qu’il a obtenu des promotions au mérite à quelques reprises et qu’il avait donc une possibilité accrue de connaître les crimes ou le dessein criminel de la NPF ainsi que l’importance de sa contribution. Pour ce qui est de la possibilité de quitter l’organisation, la SI a conclu que M. Nathaniel est volontairement demeuré à la NPF. En dernier ressort, la SI a conclu, selon ces facteurs, que M. Nathaniel avait contribué volontairement, consciemment et de façon significative aux crimes et au dessein criminel de la NPF et qu’il est donc interdit de territoire.

[22]  La SI a ensuite examiné la question de savoir si M. Nathaniel avait personnellement commis des crimes contre l’humanité. La SI a accordé plus de poids aux détails que M. Nathaniel avait fournis à l’agent de l’ASFC qu’à son témoignage devant la SI et elle a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Nathaniel avait personnellement commis des actes qui constituaient des crimes contre l’humanité dans l’exercice de ses fonctions au sein de la MOPOL, de la SARS ou du SIB.

IV.  Positions des parties

A.  M. Nathaniel

[23]  M. Nathaniel soutient qu’en appliquant l’approche fondée sur la contribution énoncée dans la décision Ezokola aux faits en l’espèce, la SI a tiré des conclusions de fait erronées selon lesquelles le demandeur avait été complice de crimes contre l’humanité commis par la NPF et qu’il avait sciemment et personnellement commis de tels crimes, et qu’elle a donc appliqué à tort le critère, ce qui l’a conduite à la mauvaise conclusion.

[24]  M. Nathaniel aborde d’abord la nature de la NPF. Il soutient essentiellement que, contrairement à la conclusion de la SI, la NPF est d’abord et avant toute une organisation policière qui mène des enquêtes, combat la criminalité, procède à des arrestations et interroge des suspects dans un pays très criminalisé et violent. Il renvoie notamment à la pièce 14, où il est indiqué que de nombreux agents de police du Nigéria se conduisent de façon exemplaire et qu’il existe des mécanismes de contrôle, ainsi qu’à la pièce 9, qui fait état des réformes apportées à la police au Nigéria en 2000. Il soutient aussi que la SI a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la NPF avait un dessein circonscrit, mais brutal (sauf en ce qui concerne la SARS).

[25]  M. Nathaniel traite ensuite de sa contribution à la NPF. Il soutient d’abord que la conclusion de la SI sur sa crédibilité découle de son erreur de considérer la NPF comme une organisation ayant un dessein circonscrit et brutal (sauf en ce qui concerne la SARS), et qu’elle aurait dû conclure que M. Nathaniel n’accomplissait pas de tâches débordant du cadre de l’éthique.

[26]  Il soutient que le critère de la complicité exige une contribution à la fois volontaire, consciente et significative aux crimes ou au dessein criminel d’un groupe, condition qui n’est pas remplie en l’espèce. Il ajoute qu’il n’a pas commis d’actes criminels, qu’il n’avait pas connaissance de la commission d’actes criminels et qu’il n’avait pas l’intention d’en commettre. Il fait aussi valoir que, même s’il avait eu connaissance des crimes, le volet du critère concernant le caractère significatif de sa contribution au crime ou au dessein criminel d’un groupe n’a pas été établi.

[27]  M. Nathaniel soutient que la SI n’a pas correctement appliqué les facteurs de l’arrêt Ezokola et qu’elle n’a pas tiré ses conclusions en fonction de la preuve. Il ajoute essentiellement que (1) la SI n’a pas tenu compte du fait qu’il existait de bons agents de police ni expliqué pourquoi elle a exclu M. Nathaniel du groupe des bons agents de la NPF; (2) la SI n’a pas correctement analysé ses fonctions et ses activités au sein de l’organisation ni la question de savoir s’il existe un lien entre ses fonctions et activités et les crimes et le dessein criminel de l’organisation; (3) la SI a commis une erreur en remettant en question son témoignage sur la base de renseignements provenant de sources externes, (4) le fait de connaître l’organisation, parce qu’il en a été membre pendant une longue période ne signifie pas qu’il a apporté une contribution significative aux crimes ou au dessein criminel.

B.  Le ministre

[28]  Le ministre soutient que la SI a correctement appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 : la complicité repose sur une [traduction« contribution volontaire, consciente et significative au crime ou au dessein criminel du groupe qui les aurait commis » (aux para 36, 92). Le ministre examine les facteurs d’Ezokola et il répond notamment que (1) la SI n’a pas conclu que l’intégralité de la police nationale avait un dessein circonscrit et brutal, qu’elle a précisément mis en évidence l’absence d’éléments de preuve pour démontrer que la SARS avait un tel dessein, qu’il existe beaucoup d’éléments de preuve selon lesquels la MOPOL, le SARS et le SIB ont commis des crimes contre l’humanité au moment où M. Nathaniel a servi dans ces organisations et que le passage cité par M. Nathaniel selon lequel il y avait de bons policiers figure dans un paragraphe très critique à l’égard de la NPF; (2) M. Nathaniel a rejoint volontairement l’organisation; (3) M. Nathaniel a confirmé qu’il avait obtenu des promotions au mérite (dossier du demandeur, page 172, ligne 19 et page 193, ligne 3), même s’il a par la suite embelli sa déclaration; (4) M. Nathaniel a admis avoir travaillé pour trois unités spécialisées qui ont commis des crimes; (5) la conclusion de la SI portant sur la connaissance de M. Nathaniel quant à ce qui se passait est raisonnable; (6) une association de 17 ans augmente les possibilités que M. Nathaniel ait eu connaissance de ce qui se passait et, puisqu’il a affirmé n’avoir pas eu de telle connaissance, la SI n’a pas conclu à l’existence d’un acquiescement passif; et (7) M. Nathaniel est demeuré au sein de la NPF, et son service ne peut être considéré comme équivalant à des fonctions légitimes accomplies en temps de conflit ou d’instabilité.

[29]  Le ministre soutient que la décision est raisonnable et qu’elle doit être maintenue.

V.  Discussion

[30]  Comme les parties l’ont confirmé à la Cour, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable et rien ne réfute cette présomption (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 16 et 17 [Vavilov]; Hadhiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1284). Ainsi, comme la Cour d’appel fédérale l’a confirmé récemment dans Stojanoviv c Canada (Procureur général du Canada), 2020 CAF 6, au para 34, la Cour doit vérifier si la décision de la SI est raisonnable sur le plan du résultat et du processus. Cette approche oblige la Cour à se demander dès lors si la décision de la SI obéit aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Vavilov, au para 86; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47, [2008] 1 RCS 190. La Cour ne doit pas formuler ses propres conclusions sur le bien-fondé de la décision puis évaluer la décision de la SI par rapport à son propre point de vue de l’affaire : cela reviendrait à couper l’herbe sous le pied de la SI.

[31]  Devant la SI, il incombait au ministre de démontrer qu’il existait des motifs raisonnables de croire (article 33 de la Loi) que M. Nathaniel a commis « hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre » (alinéa 35(1)a) de la Loi). Les motifs raisonnables de croire constituent une norme moins sévère que la prépondérance des probabilités, mais il doit y avoir plus qu’un simple soupçon (Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1992] 2 CF 306; Ezokola, aux para 29, 101). « La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au para 114).

[32]  Je suis convaincue que le dossier appuie les conclusions de la SI et que le processus menant à la décision est raisonnable. M. Nathaniel ne m’a pas persuadée que la décision est déraisonnable.

[33]  Tout d’abord, compte tenu des contradictions entre les déclarations de M. Nathaniel à l’agent de l’ASFC et son témoignage devant la SI, il était loisible à la SI d’attaquer la crédibilité de M. Nathaniel et d’accorder plus de poids à ses premières déclarations, soit celles faites à l’agent de l’ASFC (Athie c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 425, au para 49). Le rôle de la Cour ne consiste pas à apprécier la preuve à nouveau (Vavilov, au para 125). Cette conclusion concernant la crédibilité a mené la SI à juger que M. Nathaniel avait obtenu des promotions au mérite plutôt que parce qu’il était un bon policier, et à conclure qu’il était inconcevable qu’il n’ait pas eu connaissance des atrocités commises. Ces conclusions sont raisonnables au regard des faits et elles sont appuyées par la jurisprudence de la Cour (Torres Rubianes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1140; Hadhiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1284).

[34]  Il existe une abondante preuve documentaire suggérant que les trois unités spéciales commettaient des crimes contre l’humanité pendant la période de service de M. Nathaniel, et la complicité peut être avérée malgré le fait que la personne n’était pas présente sur les lieux au moment d’un crime précis. De plus, la preuve qui a été présentée devant la SI démontre que M. Nathaniel avait personnellement participé aux opérations et avait commis de tels crimes. Enfin, l’argument de M. Nathaniel concernant l’acquiescement passif doit être écarté, comme l’a fait valoir le ministre, puisque M. Nathaniel nie avoir eu connaissance des crimes.

[35]  Plus particulièrement, la SI a pondéré la preuve documentaire et a raisonnablement conclu que la NPF, et plus particulièrement les trois unités spéciales, avaient commis des crimes contre l’humanité; la conclusion est amplement appuyée par la preuve documentaire crédible présentée devant la SI. Le fait que l’ensemble des documents mentionnent à une ou deux reprises que certains policiers de la NPF étaient de bons policiers ne rend pas la décision déraisonnable. Encore une fois, le rôle de la Cour n’est pas de pondérer à nouveau la preuve. Une lecture sélective de la preuve documentaire peut constituer un motif pour annuler une décision; toutefois, après examen de chacune des preuves, le décideur administratif a le droit de préférer l’une à l’autre (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 765, au para 67; Camacho Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 611, aux para 14 à 18; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 288, au para 26) ou après avoir tenu compte de la situation précise de la personne (Gonzalez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 5; Wilson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 711). Enfin, la SI n’a pas conclu que la NPF avait un dessein circonscrit et brutal et elle a en fait expressément mentionné qu’il n’a pas été démontré que la SARS s’avérait être une telle organisation.

[36]  Je ne relève aucune erreur dans l’analyse relative aux facteurs d’Ezokola faite par la SI, compte tenu de mes conclusions sur les arguments susmentionnés de M. Nathaniel.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2413-19

LA COUR DÉCLARE que :

  • 1) La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  • 2) Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2413-19

INTITULÉ :

JOHN ACHONA NATHANIEL c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

Le 28 janvier 2020

COMPARUTIONS :

Me Gjergji Hasa

POUR LE DEMANDEUR

Me Daniel Latulippe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ferdoussi Hasa

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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