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Date : 20021115

Dossier : IMM-5107-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1187

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                    PAULETTE BERNADINE ALEXANDRA PERERA

RASANJALI SAMADHI PERERA (représentée par sa tutrice à l'instance)

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Les demanderesse sollicitent, en application du paragraphe 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et modifications, le contrôle judiciaire de la décision du 3 octobre 2001 de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) de refuser aux demanderesses le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]                 La demanderesse voudrait une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire à la Commission pour nouvelle décision conforme aux directives que la Cour jugera à propos.

Contexte

[3]                 La demanderesse principale, Paulette Bernadine Alexandra Perera, est une ressortissante du Sri Lanka. Elle est de souche burgher. Elle était mariée à un Cingalais qui décéda en 1999. Sa fille, Rasanjali Samadhi Perera, de nationalité sri-lankaise, est âgée de 11 ans.

[4]                 Les demanderesses revendiquent le statut de réfugié en alléguant leurs opinions politiques et leur appartenance à un groupe social, celui des jeunes femmes de souche burgher. La demanderesse principale affirme que les forces de sécurité du Sri Lanka la soupçonnent de receler des Tigres de libération de l'Eelam Tamoul (LTTE). Elle craint d'être tuée si elle retourne au Sri Lanka. La demanderesse mineure fonde sa revendication sur celle de la demanderesse principale.

[5]                 La demanderesse principale affirme qu'en 1993, des membres des forces de sécurité sri-lankaise l'avaient arrêtée et détenue, elle et son mari. Ils avaient été accusés de receler un membre des LTTE, agressés, puis remis en liberté.

[6]                 La demanderesse principale affirme qu'en 1997, en juin 1999 et en août 1999, son mari fut de nouveau mis en état d'arrestation, puis battu. Elle dit qu'en août 1999, elle a vu son mari sans connaissance, avec des contusions sur tout le corps, et qu'il est décédé le 13 septembre 1999, à l'âge de 38 ans. La police aurait dit à la demanderesse principale qu'il était mort d'une crise cardiaque et qu'il valait mieux pour elle qu'elle n'enquête pas davantage sur les causes du décès.

[7]                 La demanderesse principale affirme qu'en mai 2000, elle a été de nouveau mise en état d'arrestation, puis détenue pendant trois jours. Elle n'aurait été libérée qu'après que son oncle eut usé de son influence et après paiement d'un pot-de-vin. Elle dit qu'après cette expérience, elle a craint pour sa vie et n'avait d'autre choix que de fuir le Sri Lanka.

[8]                 Le 18 juin 2001, la Commission a tenu une audience pour savoir si les demanderesses étaient des réfugiées au sens de la Convention. Le 19 juillet 2001, la Commission a reçu de nouvelles conclusions écrites ainsi qu'un rapport médical. La Commission affirme que ces conclusions et documents ont été attentivement examinés avant qu'elle n'arrive à sa décision du 3 octobre 2001.




[9]                 La Commission a jugé que les demanderesses n'avaient pas produit une preuve crédible ou digne de foi au soutien de leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention, et cela pour les raisons exposées ci-dessous. La Commission a indiqué que les Burgher, le groupe ethnique des demanderesses, représentent moins de un pour cent de la population totale du Sri Lanka et que, selon la preuve documentaire, les Burgher ne sont pas dans le collimateur des forces de sécurité sri-lankaises, qui sont majoritairement composées de Cingalais. Le groupe ethnique qui intéresse le plus les forces de sécurité sri-lankaises sont les Tamouls. La Commission a aussi relevé que le père du mari décédé de la demanderesse principale était membre des forces de sécurité sri-lankaises. La Commission n'a pas accepté l'explication de la demanderesse principale selon laquelle le père de son mari était décédé lorsque celui-ci était encore jeune, de telle sorte qu'elle ne savait pas quelle était son occupation, et elle n'a pas accepté non plus son explication selon laquelle la traduction de certains documents comportait des erreurs. La Commission a aussi estimé que, étant donné les antécédents ethniques et familiaux de la demanderesse principale et de son époux décédé, il n'était pas raisonnable d'imaginer qu'ils se fussent laissé harceler par la police, prétendument depuis 1993, pendant de si nombreuses années sans chercher à régler le problème de quelque façon. La Commission a jugé aussi que le témoignage de la demanderesse comportait de nombreuses contradictions et omissions et que cela nuisait à sa crédibilité. Elle a trouvé qu'il y avait une divergence en ce qui concernait la date du décès du père de la demanderesse principale, entre son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et d'autres documents. Dans sa déposition, la demanderesse principale avait indiqué que, après son arrestation en mai 2000, la police l'avait battue. Cependant, dans son FRP, elle dit qu'elle a été détenue, menacée et humiliée. La Commission a estimé que l'explication de la demanderesse principale selon laquelle, dans l'esprit de celle-ci, les mots « humiliation » et « agression » voulaient dire la même chose n'était pas satisfaisante. Dans sa déposition, la demanderesse a dit que les forces policières étaient à sa recherche parce qu'elles croyaient qu'elle avait, en consultant un avocat, entrepris de nouvelles démarches contre la police, qui lui avait pourtant fortement conseillé de ne pas le faire. Cependant, aucun des renseignements ne figure dans l'exposé circonstancié du FRP de la demanderesse. La Commission a jugé que la demanderesse principale enjolivait cette partie de son récit pour soutenir sa revendication du statut de réfugiée. Dans sa déposition, la demanderesse principale a déclaré que, lorsqu'elle avait vu son mari après la dernière arrestation de celui-ci, sans connaissance et avec des contusions sur tout le corps, il y avait à l'hôpital un policier chargé d'assurer sa garde. Ce fait n'était pas mentionné dans le rapport circonstancié de son FRP car, selon les dires de la demanderesse principale, elle avait oublié d'en faire état. La Commission a jugé que l'absence de ce renseignement du FRP de la demanderesse portait atteinte à la crédibilité de celle-ci. Selon la Commission, la demanderesse principale n'a pu produire aucune preuve montrant que la cause du décès de son mari était due à des violences policières. La Commission a écrit : « il n'est donc pas raisonnable pour le tribunal d'admettre que la revendicatrice principale n'ait pu fournir un quelconque renseignement à l'appui d'une telle allégation » . Selon la Commission, la crédibilité générale de la demanderesse principale s'en trouvait encore réduite d'autant. Durant les arguments présentés par la demanderesse principale après l'audience, un rapport médical avait été remis à la Commission où l'on mentionnait que la demanderesse principale souffrait du syndrome de stress post-traumatique (SSPT). La Commission a admis le diagnostic selon lequel la demanderesse principale souffrait de stress et de dépression, mais, selon elle, son état de santé n'était pas le résultat de ses prétendues difficultés avec les forces de sécurité sri-lankaises. La Commission n'a accordé aucune valeur probante à la déclaration solennelle du beau-frère de la demanderesse principale car, selon elle, celui-ci n'était pas, dans cette instance, une partie désintéressée. La Commission a jugé qu'il n'était pas raisonnable d'imaginer que les forces de sécurité sri-lankaises se fussent intéressées au mari de la demanderesse principale et à la demanderesse principale, mais non aux associés du mari, lesquels, d'après les dires de la demanderesse principale, n'ont jamais été arrêtés ou recherchés par la police. La Commission a écrit : « [i]l est raisonnable de croire que les autorités sri lankaises auraient souhaité interroger quiconque connaissait le défunt mari de la revendicatrice principale, notamment ses deux associés » . En raison des conclusions ci-dessus relatives à la crédibilité, la Commission a estimé que les demanderesses n'avaient pas produit une preuve crédible ou digne de foi au soutien de leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. La Commission a relevé aussi qu'il n'avait été produit aucune preuve montrant que la demanderesse mineure craignait avec raison d'être persécutée pour le cas où elle devrait retourner au Sri Lanka. Puisque la revendication de la demanderesse principale n'était pas recevable, celle de la demanderesse mineure ne l'était pas non plus.

[10]            Nous avons affaire ici à un contrôle judiciaire de la décision de la Commission selon laquelle les demanderesses n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention.


Conclusions des demanderesses


[11]            Selon les demanderesses, le point essentiel de leurs revendications du statut de réfugié concerne l'arrestation, la détention, les sévices et le décès du mari de la demanderesse principale, ainsi que les conséquences de ce décès. Les demanderesses affirment que la demanderesse principale et son mari étaient soupçonnés d'être des partisans ou des sympathisants des LTTE, et c'est pour cela qu'ils ont été arrêtés, détenus et torturés. Les demanderesses affirment que, s'agissant de l'arrestation, de la détention, des sévices et du décès du mari de la demanderesse principale, et s'agissant des événements postérieurs, la Commission n'a tiré aucune conclusion sur la crédibilité de la demanderesse principale, et en tout cas aucune conclusion défavorable. Les demanderesses affirment donc que, puisqu'il n'y a eu aucune conclusion défavorable sur la crédibilité de la demanderesse principale, les incidents que la demanderesse principale a relatés sont crédibles. Il s'agit notamment des dépositions suivantes de la demanderesse principale : elle-même et son mari étaient soupçonnés d'être des partisans des LTTE; ils ont été arrêtés, détenus et battus en 1993, et le mari a été arrêté et battu en 1997 et deux fois en 1999; la demanderesse a vu son mari sans connaissance, avec des contusions sur tout le corps, à la suite de sa dernière détention et avant son décès; le mari de la demanderesse est mort le 13 septembre 1999 à l'âge de 38 ans, alors qu'il était sous garde policière; la demanderesse a entendu la police lui dire que son mari était mort d'une crise cardiaque et qu'il valait mieux pour elle que les choses en restent là; la police avait fait une descente chez elle lorsque son mari était à l'étranger; la demanderesse avait été mise en état d'arrestation par l'armée sri-lankaise en mai 2000, puis détenue pendant trois jours; enfin la demanderesse souffre du syndrome de stress post-traumatique.

[12]            Les demanderesses affirment que leur départ du Sri Lanka était le résultat de ces événements, qui avaient suscité des craintes dans leur esprit.


[13]            Selon les demanderesses, même si la Commission a trouvé une contradiction à propos du rang et de la profession du père du mari, et à propos de la date du décès du père de la demanderesse principale, cette contradiction n'avait pas un caractère essentiel au point d'enlever toute crédibilité à la demanderesse principale. Selon les demanderesses, les incohérences doivent, avant de pouvoir justifier une conclusion défavorable en matière de crédibilité, être suffisamment graves et concerner des aspects qui intéressent suffisamment les points essentiels. Selon les demanderesses, l'arrestation, la détention et les sévices dont la demanderesse principale et son mari ont été l'objet, ainsi que le décès du mari, sont les points essentiels des revendications des demanderesses, et, sur ces points, aucune contradiction n'a été relevée et la crédibilité de la demanderesse principale n'a pas été mise en doute. La Commission a négligé d'accorder du poids à cette preuve crédible, se concentrant plutôt sur les contradictions d'une preuve qui n'était pas essentielle pour le point à décider, et, selon les demanderesses, il s'agit là d'une erreur sujette à révision. Les demanderesses invoquent les précédents suivants : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A.), Djama c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 531 (QL) (C.A.), et M.M. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 1110 (QL) (C.A.).

[14]            Les demanderesses affirment aussi que l'explication de la demanderesse principale, pour qui les mots « humiliation » et « agression » voulaient dire la même chose, était raisonnable. Selon elle, le niveau d'éducation de la demanderesse principale est une considération hors de propos, et ses antécédents ethniques et culturels devraient être pris en considération.

[15]            Selon les demanderesses, une question qui se pose souvent a trait au niveau requis d'intervention de l'État dans la persécution, avant que la revendication d'un demandeur d'asile ne soit recevable. D'après elles, lorsque les agents de l'État jouent un rôle direct dans la persécution, le seul point à décider est de savoir si le demandeur d'asile a une crainte fondée de persécution. Elles disent que la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse principale ou son mari n'ont rien fait pour faire cesser le harcèlement est abusive et arbitraire. Les demanderesses disent que, dans l'arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1984] A.C.F. no 601 (QL) (C.A.), des demandeurs d'asile avaient affirmé avoir été longtemps victimes de harcèlement aux mains de voyous cingalais, sans aucune protection de l'État, et avaient été déclarés victimes de persécution.


[16]            Selon les demanderesses, les effets d'une persécution passée sur l'aptitude d'une personne à témoigner sont importants. Elles disent que l'avis d'un psychiatre selon lequel une personne souffre de troubles psychologiques (qui s'accordent avec l'historique de la persécution) est éminemment pertinent dans toute évaluation de la crédibilité, et cela pour deux raisons. D'abord, le fait même des troubles psychologiques est dans une certaine mesure la preuve d'une persécution passée, et ensuite, les troubles eux-mêmes peuvent altérer le témoignage de celui qui en est atteint. Selon les demanderesses, les contradictions relevées peuvent être la conséquence d'un état psychologique, et la Commission ne peut ignorer l'avis des experts. Pour les demanderesses, la Commission n'avait devant elle aucune autre preuve l'autorisant à mettre en doute la véracité du rapport du psychiatre et à ne pas admettre que le stress et la dépression de la demanderesse principale s'expliquaient par le fait que les forces de sécurité sri-lankaises croyaient qu'elle recélait des membres des LTTE. Selon les demanderesses, la Commission a ignoré la preuve documentaire et a fondé ses conclusions sur des preuves inexistantes, commettant par là une erreur sujette à révision.

[17]            La Commission a conclu à une contradiction entre le certificat de décès du mari, certificat qui indiquait un décès causé par l'hypertension, et le témoignage de la demanderesse principale, pour qui le décès était la conséquence de violences policières. Selon les demanderesses, cette conclusion est abusive et arbitraire.


Conclusions du défendeur

[18]            Selon le défendeur, la Commission pouvait parfaitement conclure comme elle l'a fait, elle a motivé ses conclusions, et les autres arguments des demanderesses sont hors de propos car ils ne concernent pas les motifs sur lesquels la Commission a fondé sa décision.

[19]            Selon le défendeur, les affirmations des demanderesses sont sans fondement et la décision de la Commission est fondée, en fait et en droit.

[20]            Selon le défendeur, lorsque la Commission tire une conclusion sur la crédibilité d'un témoin, la Cour devrait être moins encline à modifier la décision de la Commission qu'elle ne le serait autrement, car la Commission est à même d'évaluer le témoin lorsqu'il dépose devant elle.

[21]            Selon le défendeur, la Commission a jugé, clairement et sans équivoque, que la demanderesse principale n'était pas crédible, et elle a exposé des motifs détaillés à l'appui de sa décision, en faisant état de nombreuses contradictions entre des aspects essentiels de la déposition de la demanderesse et la preuve documentaire.


[22]            Selon le défendeur, lorsque la Commission se prononce sur la crédibilité d'un demandeur d'asile en se fondant sur les lacunes mêmes de son témoignage, elle exerce le pouvoir discrétionnaire propre aux arbitres des faits, et la Cour ne doit donc pas intervenir. Selon le défendeur, puisque la Commission a conclu à l'absence globale de crédibilité des demanderesses, elle avait le droit de refuser aux demanderesses le statut de réfugié au sens de la Convention.

[23]            Le défendeur affirme que, jusqu'à preuve contraire, et pour autant que la preuve autorise la conclusion de la Commission, la Commission est présumée avoir mesuré et apprécié l'ensemble de la preuve produite. Il affirme que, dans le cas présent, la Commission a étudié la preuve et a décidé de s'en rapporter à ses aspects les plus pertinents, les plus récents et les plus fiables. Selon le défendeur, la Commission a étudié comme il convient les documents pertinents et les a jugés à leur juste valeur.

[24]            Selon le défendeur, les demanderesses n'ont pas prouvé que la Commission a refusé d'étudier certaines preuves, ni qu'elle a ignoré certaines preuves, ni qu'elle a tiré de ces preuves une conclusion erronée. Le défendeur affirme que les demanderesses n'ont nullement démontré que la conclusion de la Commission est arbitraire ou abusive ou qu'elle a été tirée sans égard à la preuve.

[25]            Points en litige

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en affirmant que les demanderesses n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention, selon la définition de cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et modifications?


2.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a jugé que les demanderesses n'avaient pas raison de craindre d'être persécutées, et cela parce qu'elle aurait tiré des conclusions factuelles qui n'étaient pas autorisées par la preuve?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en négligeant de faire part de ses doutes aux demanderesses et en ne donnant pas ainsi aux demanderesses l'occasion de les dissiper?

4.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit parce qu'elle n'a pas observé les principes de justice naturelle?

5.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit parce qu'elle a mal interprété ou parce qu'elle a ignoré la preuve, parce qu'elle a pris en considération des éléments de preuve hors de propos, parce qu'elle a mal interprété des éléments de preuve dont elle était validement en possession, parce qu'elle a tiré des conclusions de fait erronées sans égard aux éléments dont elle disposait, enfin parce qu'elle n'a pas bien compris la preuve?

6.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu, en ignorant la preuve documentaire qu'elle avait devant elle, que la déposition de la demanderesse principale n'était pas crédible?

7.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu à l'absence de crédibilité du témoignage de la demanderesse principale, sans donner les raisons d'une telle conclusion?


8.          La décision selon laquelle les demanderesses ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention est-elle invalide à première vue, parce que la Commission a appliqué le mauvais critère pour rendre cette décision et parce qu'elle a ignoré la preuve crédible qu'elle avait devant elle et qui appuyait les revendications du statut de réfugié faites par les demanderesses?

Dispositions législatives applicables

[26]            Le paragraphe pertinent de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et modifications, est ainsi rédigé :

2(1) « réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

2(1) "Convention refugee" means any person who

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(I) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


Analyse et décision

[27]            Point no 1

La Commission a-t-elle commis une erreur en affirmant que les demanderesses n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention, selon la définition de cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et modifications?

La Commission a jugé que les demanderesses n'avaient pas apporté une preuve crédible et digne de foi au soutien de leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Dans sa décision, la Commission donne des exemples précis des raisons pour lesquelles elle n'a pas trouvé que la demanderesse principale était crédible. Il s'agit notamment des raisons suivantes :

1.          La demanderesse principale a négligé d'indiquer dans son FRP que la police gardait son mari à l'hôpital. Elle a expliqué qu'elle avait oublié de le mentionner.

2.          Le FRP de la demanderesse principale mentionnait que son père était décédé en 1994, mais son certificat de mariage indiquait qu'il était décédé lorsqu'elle s'était mariée en 1985. La demanderesse a affirmé qu'il avait dû y avoir confusion dans l'esprit de l'interprète. Selon la transcription d'audience, le beau-père de la demanderesse principale était décédé lorsque la demanderesse principale s'est mariée.


3.          Dans sa déposition, la demanderesse principale a déclaré que, lorsqu'elle avait été détenue en mai 2000, la police l'avait battue (l'avait frappée au dos et aux jambes). Dans son FRP, elle indiquait que la police l'avait détenue pendant trois jours, au cours desquels elle avait été menacée et humiliée. Selon la demanderesse principale, les mots « agression » et « humiliation » ont le même sens. La Commission n'a pas accepté cette explication.

4.          La demanderesse principale n'a pas indiqué dans son FRP que la police était à sa recherche parce qu'elle avait consulté un avocat à propos du décès de son mari. La Commission a jugé que la demanderesse enjolivait son témoignage.

5.          Le certificat de décès indiquait que le mari de la demanderesse était mort d'hypertension et ne donnait nulle part à entendre qu'il était mort à la suite de complications résultant de lésions internes causées par des violences policières. Selon la Commission, la demanderesse principale aurait dû être en mesure de prouver que le décès de son mari était le résultat de violences policières. Comme la demanderesse n'a pu apporter cette preuve, la Commission a dit que « cela tend à démontrer que la revendicatrice n'est pas crédible » .

6.          La Commission a aussi indiqué qu'il était déraisonnable d'imaginer que la police n'ait pas cherché à interroger les associés du mari décédé.


7.          Finalement, la Commission n'a pas cru que le SSPT diagnostiqué chez la demanderesse principale fût la conséquence de ses prétendues difficultés avec les forces de sécurité sri-lankaises. La Commission admet la conclusion du psychiatre pour qui la demanderesse souffre de stress et de dépression, mais elle n'admet pas que cet état soit le résultat des problèmes que la demanderesse prétend avoir eus au Sri Lanka. Le rapport du psychiatre semble dire le contraire, et il n'y avait aucun autre fait pouvant expliquer le diagnostic.

[28]            Il ne fait aucun doute que la section du statut de réfugié est un tribunal spécialisé qui est le mieux placé pour dire ce qui est crédible et ce qui ne l'est pas, et, dans la mesure où ses conclusions en la matière sont énoncées clairement, elles ne sont pas susceptibles de modification par contrôle judiciaire (voir l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL) (C.A.)).


[29]            J'ai examiné la transcription de l'audience et chacune des conclusions d'absence de crédibilité, et je relève qu'aucune des conclusions ne se rapporte au point central de cette affaire, c'est-à-dire : faut-il croire la demanderesse lorsqu'elle dit que son mari a été battu et qu'elle-même a été détenue et battue? Il ressort clairement de la décision qu'il y avait des divergences entre ce que la demanderesse a écrit dans son FRP et ce qu'elle a dit dans son témoignage, mais ces divergences doivent être vues à la lumière du rapport du psychiatre, pour qui elle s'efforce de gommer les difficultés qu'elle a connues au Sri Lanka, afin de gérer son stress. La Commission n'a pas accepté le rapport du psychiatre, mais elle n'a pas expliqué son refus d'accepter la conclusion du rapport selon laquelle le SSPT dont souffrait la demanderesse était le résultat des événements vécus par elle au Sri Lanka. S'il est véridique, cet état médical pourrait expliquer certaines des divergences entre le FRP de la demanderesse et son témoignage.

[30]            Je n'entends pas aborder chacune des conclusions de la Commission relatives à la crédibilité de la demanderesse, car je suis d'avis que la Commission n'a pas rejeté en des termes clairs le reste du témoignage de la demanderesse. La Commission s'est exprimée ainsi, après avoir examiné chacun des points touchant la crédibilité :

En raison des conclusions défavorables précédemment énoncées, le tribunal n'a d'autre choix que de conclure que les revendicatrices n'ont pas présenté un témoignage crédible ou digne de foi à l'appui de leurs revendications du statut de réfugié.

[31]            La Commission veut-elle dire par là qu'elle ne croit pas les éléments de preuve évoqués dans sa décision, ou veut-elle dire plutôt qu'elle ne croit pas l'ensemble du témoignage de la demanderesse principale? Je ne saurais le dire et, par conséquent, je crois que la Commission a commis une erreur sujette à révision. Si l'ensemble du témoignage de la demanderesse principale doit être rejeté, la Commission doit le dire clairement et indubitablement.

[32]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[33]            Aucune des parties n'a souhaité que soit certifiée une question grave de portée générale.


ORDONNANCE

[34]            IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à une autre formation de la Commission, pour nouvel examen.

  

                                                                              « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

le 15 novembre 2002

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-5107-01

INTITULÉ :              PAULETTE BERNADINE ALEXANDRA PERERA

RASANJALI SAMADHI PERERA

(représentée par sa tutrice à l'instance)

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le mercredi 2 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                     le vendredi 15 novembre 2002

COMPARUTIONS :

                                     M. Jegan Mohan

POUR LES DEMANDERESSES

Mme Pamela Larmondin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                     Mohan & Mohan

Bureau 225

3300, avenue McNicoll

Toronto (Ontario)

M1V 5J6

POUR LES DEMANDERESSES

Ministère de la Justice

Bureau 3400, C.P. 36

130, rue King ouest

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

POUR LE DÉFENDEUR


                                                  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

  

Date : 20021115

Dossier : IMM-5107-01

ENTRE :

PAULETTE BERNADINE ALEXANDRA PERERA

RASANJALI SAMADHI PERERA

(représentée par sa tutrice à l'instance)

demanderesses

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  

                                                                                                      

   
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