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                                                                                                                                           Date : 20020509

                                                                                                                                     Dossier : T-2150-98

                                                                                                                                                        T-448-99

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 539

ENTRE :

                                                                 IRVINE FORREST

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]         Les présentes demandes de contrôle judiciaire visent deux décisions rendues par le président indépendant du tribunal disciplinaire du pénitencier de Kingston, M. Jacques J. Ménard.


[2]         Dans la première demande, dossier no T-2150-98, le demandeur sollicite la révision de la décision du 13 octobre 1998, par laquelle il a été reconnu coupable d'une infraction disciplinaire prévue à l'alinéa 40l) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), pour avoir refusé de fournir un échantillon d'urine, et condamné à une amende de 40 $.

[3]         Dans la deuxième demande, no de dossier T-448-99, le demandeur sollicite la révision de la décision du 22 décembre 1998 par laquelle il a été reconnu coupable de deux infractions disciplinaires prévues aux alinéas 40a) et 40m) de la Loi pour avoir désobéi à l'ordre légitime d'un agent et pour avoir créé des troubles susceptibles de mettre en danger la sécurité du pénitencier, et condamné à une amende de 30 $.

LES FAITS

Première demande - Refus de fournir un échantillon d'urine

[4]         À toutes dates pertinentes, le demandeur était détenu au pénitencier de Kingston situé à Kingston (Ontario). Conformément à l'alinéa 54b) de la Loi, le pénitencier de Kingston oblige les détenus à fournir un échantillon d'urine dans le cadre d'un programme réglementaire de contrôle au hasard visant à dépister et à empêcher la consommation de drogues chez les détenus. À chaque mois, environ six pour cent des détenus, sélectionnés au hasard par ordinateur, sont tenus de fournir un échantillon d'urine à des fins d'analyse. En septembre 1998, le demandeur figurait dans la liste des détenus sélectionnés par ordinateur pour fournir cet échantillon d'urine. Selon l'alinéa 40l), commet une infraction disciplinaire quiconque refuse de fournir l'échantillon d'urine requis à l'article 54.

[5]         Le 4 septembre 1998 à 8 h 45, un agent de correction - l'échantillonneur attitré - a remis au demandeur un ordre écrit lui enjoignant de fournir un échantillon d'urine dans le cadre du programme réglementaire de contrôle au hasard prévu à l'alinéa 54b) de la Loi.


[6]         Le demandeur n'était pas d'accord avec la durée de l'intervalle depuis son dernier échantillon d'urine. Il a exigé de s'entretenir avec le superviseur de l'agent de correction. Ce dernier l'a informé qu'il n'avait pas le droit de refuser de fournir l'échantillon d'urine ni de présenter des observations. Selon l'agent de correction, le demandeur aurait dit que si on ne lui permettait pas de parler à quelqu'un, il refuserait de fournir l'échantillon d'urine. L'agent de correction a avisé le demandeur qu'il serait poursuivi pour avoir refusé de fournir un échantillon d'urine. Le demandeur n'a pas changé d'avis. L'agent de correction a donc porté une accusation contre le demandeur et déposé le rapport de l'infraction d'un détenu et avis de l'accusation relativement à l'infraction prévue à l'alinéa 40l) de la Loi.

[7]         Le refus du demandeur de fournir l'échantillon a donné lieu à une altercation entre deux autres agents de correction et le demandeur au cours de laquelle ils ont haussé le ton et pointé des doigts accusateurs. À l'audience disciplinaire, le demandeur a allégué que ces deux agents de correction avaient eu un comportement agressif et violent, raison pour laquelle il n'a pas fourni l'échantillon. Le demandeur a déposé une plainte dénonçant le comportement agressif et violent des deux agents de correction, laquelle plainte fait l'objet d'une procédure distincte de règlement des griefs. Le tribunal disciplinaire a statué que le comportement agressif et violent allégué n'était pas pertinent eu égard au refus du demandeur de fournir l'échantillon d'urine, ni à la question de savoir s'il était coupable de l'infraction disciplinaire visée à l'alinéa 40l) de la Loi.

[8]         Si le demandeur avait accepté de fournir l'échantillon d'urine, l'agent de correction aurait escorté le demandeur, comme le veut la pratique courante, à la salle désignée pour lui permettre de fournir l'échantillon d'urine en toute intimité. Le demandeur n'a pas allégué qu'il avait été tenu de fournir l'échantillon d'urine en présence d'autres agents de correction ou d'autres détenus.


[9]         L'audience disciplinaire a commencé le 22 septembre 1998, et les 13 pages de transcription de l'audience sont produites au dossier de la Cour. Lors de cette audience, l'affaire a été reportée au 13 octobre pour permettre au demandeur de faire entendre des témoins. Toutefois, le tribunal disciplinaire a avisé le demandeur que dans le cas d'une accusation de refus de fournir un échantillon d'urine, le tribunal n'exige pas la présence de chaque agent de correction témoin de l'incident. L'audience a repris le 13 octobre, et les 52 pages de transcription de cette audience sont produites au dossier de la Cour. Lors de l'audience, le demandeur a été reconnu coupable de l'infraction disciplinaire en cause et condamné à une amende de 40 $.

LES FAITS

Deuxième demande - Audience tenue en l'absence du demandeur

[10]       La deuxième demande découle d'un incident qui s'est produit à l'hôpital du pénitencier. Le 7 août 1998 à 8 h 45, le demandeur s'est présenté à l'hôpital pour rendre visite à un autre détenu. Un agent de correction l'a avisé qu'il ferait l'objet d'une fouille avant de pouvoir entrer. Aussitôt que l'agent de correction a commencé la « palpation » , le demandeur s'est écrié que l'agent de correction [traduction] « le touchait de façon inappropriée » . Le demandeur a allégué à maintes reprises que l'agent de correction était homosexuel et qu'il effectuait des fouilles à des fins sexuelles. Dès lors, l'agent de correction a ordonné au demandeur d'aller dans la cellule de détention provisoire située à côté du bureau jusqu'à ce qu'un autre agent de correction puisse venir terminer la fouille. Le demandeur a refusé à trois reprises. Selon l'agent de correction, le comportement du demandeur est devenu agressif. D'autres agents de correction sont intervenus et c'est à ce moment là que le demandeur s'est mis à crier que l'agent [traduction] « allait le tuer » .

[11]       Le demandeur a été accusé de trois infractions disciplinaires :

· avoir désobéi à un ordre légitime en violation de l'alinéa 40a) de la Loi;

· s'être livré ou avoir menacé de se livrer à des voies de fait ou avoir pris part à un combat     en violation de l'alinéa 40h) de la Loi;

· avoir créé des troubles ou toute autre situation susceptible de mettre en danger la sécurité     du pénitencier en violation de l'alinéa 40m) de la Loi.


[12]       Le 29 septembre 1998, le tribunal disciplinaire a tenu une audience relativement à ces accusations. À la requête du demandeur, l'audience a d'abord été reportée au 20 octobre 1998, puis au 10 novembre 1998 et enfin au 22 décembre 1998. Le demandeur n'a pas comparu le 22 décembre 1998. Le président indépendant a chargé un agent de correction d'aller trouver le demandeur et de l'aviser que le tribunal disciplinaire était prêt à l'entendre. Le demandeur, retenu tout l'après-midi parce qu'il recevait la visite de sa famille, a dit qu'il ne se présenterait pas devant le tribunal disciplinaire. Le président indépendant a alors chargé l'agent de correction d'aller aviser le demandeur que l'audience aurait lieu même s'il ne se présentait pas. Cette fois encore, le demandeur a refusé et a dit que le tribunal disciplinaire n'était pas autorisé à tenir l'audience en son absence.

[13]       Comme il y avait eu report à l'instance du demandeur et que les témoins qu'il avait convoqués étaient présents, le président indépendant a tenu l'audience en l'absence du demandeur et il a statué que le demandeur avait décidé de ne pas y assister. Aux termes de l'article 43 de la Loi, l'audience disciplinaire peut avoir lieu sans le demandeur si celui-ci décide de ne pas y assister.

[14]       À la clôture de l'audience, le tribunal disciplinaire a reconnu le demandeur coupable des deux infractions disciplinaires prévues aux alinéas 40a) et m), mais l'a acquitté relativement à l'infraction disciplinaire prévue à l'alinéa 40h). Le demandeur a été condamné à une amende de 30 $ et à une peine de cinq jours d'isolement, peine à l'égard de laquelle il a bénéficié d'un sursis de 90 jours et qu'il n'a pas purgée.

DISPOSITIONS PERTINENTES

[15]       Les dispositions pertinentes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, sont les suivantes :



Infractions disciplinaires

   40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui:

Disciplinary offences

   40. An inmate commits a disciplinary offence who

a) désobéit à l'ordre légitime d'un agent;

[...]

h) se livre ou menace de se livrer à des voies de fait ou prend part à un combat;

[...]

l) refuse ou omet de fournir l'échantillon d'urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55;

m) crée des troubles ou toute autre situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier, ou y participe;

(a) disobeys a justifiable order of a staff member;

[...]

(h) fights with, assaults or threatens to assault another person;

[...]

(l) fails or refuses to provide a urine sample when demanded pursuant to section 54 or 55;

(m) creates or participates in

(i) a disturbance, or

(ii) any other activity

that is likely to jeopardize the security of the penitentiary;



Tentative de règlement informel

   41. (1) L'agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu'un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.

Informal resolution

   41. (1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.

Accusation

   (2) À défaut de règlement informel, le directeur peut porter une accusation d'infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute et l'existence de circonstances atténuantes ou aggravantes.

Charge may be issued

   (2) Where an informal resolution is not achieved, the institutional head may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, issue a charge of a minor disciplinary offence or a serious disciplinary offence.

Avis d'accusation

   42. Le détenu accusé se voit remettre, conformément aux règlements, un avis d'accusation qui mentionne s'il s'agit d'une infraction disciplinaire mineure ou grave.

Notice of charge

   42. An inmate charged with a disciplinary offence shall be given a written notice of the charge in accordance with the regulations, and the notice must state whether the charge is minor or serious.

Audition

   43. (1) L'accusation d'infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l'objet d'une audition conforme aux règlements.

Hearing

   43. (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.




Présence du détenu     (2) L'audition a lieu en présence du détenu sauf dans les cas suivants:

Presence of inmate

   (2) A hearing mentioned in subsection (1) shall be conducted with the inmate present unless

a) celui-ci décide de ne pas y assister;

(a) the inmate is voluntarily absent;

b) la personne chargée de l'audition croit, pour des motifs raisonnables, que sa présence mettrait en danger la sécurité de quiconque y assiste;

(b) the person conducting the hearing believes on reasonable grounds that the inmate's presence would jeopardize the safety of any person present at the hearing; or

c) celui-ci en perturbe gravement le déroulement.

(c) the inmate seriously disrupts the hearing.



Déclaration de culpabilité

   (3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.

Decision

   (3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

Sanctions disciplinaires

   44. (1) Le détenu déclaré coupable d'une infraction disciplinaire est, conformément aux règlements pris en vertu des alinéas 96i) et j), passible d'une ou de plusieurs des peines suivantes:

a) avertissement ou réprimande;

b) perte de privilèges;

c) ordre de restitution;

d) amende;

e) travaux supplémentaires;

f) isolement pour un maximum de trente jours, dans le cas d'une infraction disciplinaire grave.

[...]

Disciplinary sanctions

   44. (1) An inmate who is found guilty of a disciplinary offence is liable, in accordance with the regulations made under paragraphs 96(i) and (j), to one or more of the following:

(a) a warning or reprimand;

(b) a loss of privileges;

(c) an order to make restitution;

(d) a fine;

(e) performance of extra duties; and

(f) in the case of a serious disciplinary offence, segregation from other inmates for a maximum of thirty days.

[...]


Fouilles discrètes ou par palpation

   47. (1) Dans les cas prévus par règlement et justifiés par des raisons de sécurité, l'agent peut, sans soupçon précis, procéder à des fouilles discrètes ou par palpation sur des détenus.

[...]

Searches of Inmates

Routine non-intrusive or frisk searches

   47. (1) A staff member may conduct routine non-intrusive searches or routine frisk searches of inmates, without individualized suspicion, in the prescribed circumstances, which circumstances must be limited to what is reasonably required for security purposes.


[...]


Analyses d'urine

   54. L'agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d'urine dans l'un ou l'autre des cas suivants:

Urinalysis

   54. Subject to section 56 and subsection 57(1), a staff member may demand that an inmate submit to urinalysis

a) il a obtenu l'autorisation du directeur et a des motifs raisonnables de croire que le détenu commet ou a commis l'infraction visée à l'alinéa 40k) et qu'un échantillon d'urine est nécessaire afin d'en prouver la perpétration;

(a) where the staff member believes on reasonable grounds that the inmate has committed or is committing the disciplinary offence referred to in paragraph 40(k) and that a urine sample is necessary to provide evidence of the offence, and the staff member obtains the prior authorization of the institutional head;

b) il le fait dans le cadre d'un programme réglementaire de contrôle au hasard, effectué sans soupçon précis, périodiquement et, selon le cas, conformément aux directives réglementaires du commissaire;

(b) as part of a prescribed random selection urinalysis program, conducted without individualized grounds on a periodic basis and in accordance with any Commissioner's Directives that the regulations may provide for; or

c) l'analyse d'urine est une condition - imposée par règlement - de participation à un programme ou une activité réglementaire de désintoxication ou impliquant des contacts avec la collectivité.

(c) where urinalysis is a prescribed

requirement for participation in

(i) a prescribed program or activity involving contact with the community, or

(ii) a prescribed substance abuse treatment program.



Analyse d'urine

    55. L'agent ou toute autre personne autorisée par le Service peut obliger un délinquant à lui fournir un échantillon d'urine:

Urinalysis

     55. Subject to section 56 and subsection 57(2), a staff member, or any other person so authorized by the Service, may demand that an offender submit to urinalysis

a) soit sur-le-champ lorsque la permission de sortir, le placement à l'extérieur ou la libération conditionnelle ou d'office sont assortis de conditions interdisant la consommation de drogues ou d'alcool et que l'agent ou la personne a des motifs raisonnables de soupçonner la contravention à une de ces conditions;

(a) at once, where the staff member or other authorized person has reasonable grounds to suspect that the offender has breached any condition of a temporary absence, work release, parole or statutory release that requires abstention from alcohol or drugs, in order to monitor the offender's compliance with that condition; or

b) soit régulièrement lorsque la permission de sortir, le placement à l'extérieur ou la libération conditionnelle ou d'office sont assortis de conditions interdisant la consommation de drogues ou d'alcool.

(b) at regular intervals, in order to monitor the offender's compliance with any condition of a temporary absence, work release, parole or statutory release that requires abstention from alcohol or drugs.




Avis au délinquant

   56. La prise d'échantillon d'urine fait obligatoirement l'objet d'un avis à l'intéressé la justifiant et exposant les conséquences éventuelles d'un refus.

Information requirements

    56. Where a demand is made of an offender to submit to urinalysis pursuant to section 54 or 55, the person making the demand shall forthwith inform the offender of the basis of the demand and the consequences of non-compliance. Droit de présenter des observations

     57. (1) Lorsque la prise est faite au titre de l'alinéa 54a), l'intéressé doit, auparavant, avoir la possibilité de présenter ses observations au directeur.

Right to make representations

    57. (1) An inmate who is required to submit to urinalysis pursuant to paragraph 54(a) shall be given an opportunity to make representations to the institutional head before submitting the urine sample.

Idem

(2) De même, dans les cas où il est tenu de fournir régulièrement un échantillon d'urine en application de l'article 55, il doit avoir la possibilité de présenter à la personne désignée par règlement des observations au sujet de l'espacement des prises.

Idem

(2) An offender who is required to submit to urinalysis at regular intervals pursuant to section 55 shall be given reasonable opportunities to make representations to the prescribed official in relation to the length of the intervals.


NORME DE CONTRÔLE

[16]       Dans la décision Canada (Service correctionnel) c. Plante, [1995] A.C.F. no 1509 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a énoncé la nature de la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le tribunal disciplinaire d'un pénitencier :

6 Quant à la nature et aux fonctions du tribunal disciplinaire en cause elles ont bien été résumées par mon collègue le juge Denault dans Hendrickson c. Tribunal disciplinaire de la Kent Institution (Président indépendant), (1990) 32 F.T.R. 296, aux pages 298 et 299 :

Les principes régissant la discipline pénitentiaire se trouvent dans les arrêts Martineau no 1 (précité) et Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (no 2) (1979), 30 N.R. 119; 50 C.C.C. (2d) 353 (C.S.C.); Blanchard c. Tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Millhaven (1982), 69 C.C.C. (2d) 171 (C.F. 1re inst.); Howard c. Tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Stony Mountain (1985), 57 N.R. 280; 19 C.C.C. (3d) 195 (C.A.F.), et peuvent être résumés comme suit :

1.              Une audience dirigée par le président indépendant du tribunal disciplinaire d'une institution est une procédure administrative qui n'a aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire.


2.              Sauf dans la mesure où il existe des dispositions légales ou des règlements ayant force de loi et indiquant le contraire, il n'y a aucune obligation de se conformer à une procédure particulière ou de respecter les règles régissant la réception des dépositions généralement applicables aux tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires ou à une procédure accusatoire.

3.              Il existe un devoir général d'agir avec équité en assurant que l'enquête est menée équitablement et en respectant la justice naturelle. À une audience devant un tribunal disciplinaire, le devoir d'agir avec équité consiste à permettre à la personne de connaître les allégations, le témoignage et la nature du témoignage contre elle, de pouvoir répondre au témoignage et donner sa version des faits.

4.              L'audience ne doit pas être menée contre une mesure accusatoire mais comme une procédure d'enquête et la personne dirigeant l'audience n'a pas le droit d'étudier chaque défense concevable, bien qu'elle ait le devoir de mener une enquête complète et équitable ou, en d'autres termes, d'étudier les deux côtés de la question.

5.              Cette Cour n'a pas à réviser le témoignage comme le ferait la cour dans une affaire jugée par un tribunal judiciaire ou lors de la révision d'une décision d'un tribunal quasi judiciaire. Elle doit simplement considérer s'il y a vraiment eu manquement au devoir général d'agir avec équité.

6.              La discrétion judiciaire en matière disciplinaire doit être exercée modérément et un redressement ne doit être accordé [traduction] qu'en cas de sérieuse injustice (Martineau no 2, p. 360).

[17]       Dans des cas comme la présente espèce, la norme de contrôle appropriée est, selon le juge Dubé dans Boudreau c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 2016 (C.F. 1re inst.), celle de la décision manifestement déraisonnable :

6 La norme de contrôle dans le cadre de décisions rendues par les agents du Service correctionnel du Canada est de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, la décision était manifestement déraisonnable [Voir : Fitzgerald c. Trono, [1994] B.C.J. no 1534, no CC931084 du greffe de Vancouver, 7 juillet 1994 (C.S.C.-B.); McLarty c. Canada (1997), 133 F.T.R. 11 (C.F. 1re inst.).] [Non souligné dans l'original.]


[18]       Il est établi que notre Cour fait preuve de retenue judiciaire à l'égard des décisions disciplinaires en milieu correctionnel parce que le tribunal disciplinaire du pénitencier se pose comme un processus d'enquête interne. Dans Beaudoin c. Établissement William Head, [1997] A.C.F. no 1663 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a approuvé la décision du juge Joyal dans Barnaby c. Canada, [1995] A.C.F. no 1541 (C.F. 1re inst.) :

[...] La retenue judiciaire à l'égard des décisions disciplinaires rendues par un tribunal administratif dans le milieu correctionnel est aussi grande que pour tout autre tribunal.

[19]       Par conséquent, notre Cour n'interviendra sur une question de fait ou sur une question mixte de droit et de fait que dans l'un ou l'autre des cas suivants :

(i)                    le tribunal disciplinaire a tiré une conclusion de fait d'une manière manifestement déraisonnable;

(ii)                  le tribunal disciplinaire a tiré une conclusion mixte de droit et de fait d'une manière déraisonnable, à savoir dénuée de fondement raisonnable.

Par ailleurs, le rôle de notre Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire est de déterminer si la décision du tribunal disciplinaire reposait sur la preuve et si elle était raisonnablement fondée, et de s'assurer que le tribunal disciplinaire n'a pas commis d'erreur de droit ou qu'il n'a pas omis d'observer un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en rendant sa décision.

ANALYSE - Première demande

(A)              Refus de fournir l'échantillon d'urine

[20]       Le présent dossier touche aux règles de droit qui régissent les analyses d'urine dans les établissements pénitentiaires. Il se distingue de la majeure partie des décisions de notre Cour concernant l'obligation du détenu de se soumettre à une analyse d'urine, en ce qu'il ne soulève aucune question concernant l'expectative de vie privée d'une personne détenue dans un établissement fédéral de correction. Le demandeur n'a pas allégué qu'il avait été tenu de fournir l'échantillon d'urine en présence d'autres agents de correction ou d'autres détenus.


[21]       À l'article 54 de la Loi, le législateur a défini les diverses circonstances dans lesquelles un détenu est tenu de fournir un échantillon d'urine sur demande. L'une de ces situations, visée à l'alinéa 54b) de la Loi, prévoit les demandes effectuées au hasard. L'ordinateur sélectionne au hasard des détenus dans chaque établissement, et ces détenus sont tenus de fournir un échantillon d'urine. L'objectif est de dépister la consommation de drogues chez les personnes détenues dans les établissements de correction, à l'empêcher et à la décourager. Le détenu n'a aucun droit de refuser lorsqu'il est sélectionné au hasard. Selon l'alinéa 40l) de la Loi, commet une infraction disciplinaire quiconque refuse de fournir l'échantillon d'urine requis.

[22]       Ces circonstances sont différentes de celles prévues à l'alinéa 54a) de la Loi, lequel impose l'obligation de fournir un échantillon d'urine dans le cas où l'établissement a des motifs raisonnables de soupçonner que le détenu a consommé une drogue. Dans de telles situations, le détenu a le droit de présenter ses observations avant qu'on l'oblige à fournir l'échantillon d'urine. Ce droit de présenter des observations est prévu à l'article 57 de la Loi.

[23]       En l'espèce, le demandeur a revendiqué le droit de présenter des observations avant de fournir l'échantillon d'urine. On lui a expliqué qu'il avait été sélectionné au hasard et qu'il n'avait pas le droit de présenter ses observations avant de fournir l'échantillon. Connaissant mal ses droits, il a dit qu'il ne fournirait pas l'échantillon d'urine avant de pouvoir présenter ses observations. Son refus a donné lieu à une accusation disciplinaire, objet du présent litige.

[24]       Le demandeur allègue qu'il n'a pas refusé de fournir l'échantillon d'urine. Le tribunal disciplinaire est arrivé à une autre conclusion et plusieurs éléments de preuve lui ont permis de tirer cette conclusion. En effet, dans son Rapport de l'infraction d'un détenu et avis de l'accusation, l'agent de correction a décrit l'infraction de la façon suivante :

[traduction]

Il (le demandeur) a dit qu'il refuserait si on ne lui permettait pas de parler à quelqu'un.


[25]       Le défendeur soutient que la Loi ne donne au demandeur aucun droit de s'opposer à la fréquence des demandes d'analyse d'urine présentées dans le cadre d'un processus de sélection au hasard ou à la façon dont on s'est pris pour lui demander de fournir l'échantillon, ni de refuser de fournir un échantillon sur demande.

[26]       En réponse aux arguments du demandeur, je suis d'avis que lorsqu'une demande d'échantillon d'urine au hasard est effectuée conformément à l'alinéa 54b) de la Loi, il n'existe aucun droit permettant au demandeur de s'adresser à un agent de l'établissement de niveau supérieur. Par conséquent, je suis convaincu que le tribunal disciplinaire a raisonnablement tiré la conclusion que le demandeur avait refusé de fournir l'échantillon d'urine en violation de l'alinéa 54b) de la Loi.

(A)        Tentative de règlement informel

[27]       Selon le demandeur, l'agent de correction ne s'est pas conformé aux exigences de l'article 41 de la Loi en ne prenant pas de mesures utiles afin de régler la question de manière informelle avant de porter une accusation d'infraction disciplinaire. Le tribunal disciplinaire a jugé qu'on avait donné avis au demandeur qu'une accusation serait portée contre lui s'il refusait de fournir l'échantillon et que cet avis constituait une tentative de règlement informel.

[28]       Le paragraphe 41(1) de la Loi établit que la tentative de règlement informel est une condition préalable à la compétence du tribunal relativement à l'accusation. En l'espèce, je conviens que la mesure utile à prendre afin de régler la question de manière informelle est d'aviser le détenu que la loi l'oblige à fournir l'échantillon d'urine, que la loi ne lui accorde pas le droit de présenter des observations ni de parler à un supérieur, et que s'il ne fournit pas l'échantillon, une accusation d'infraction disciplinaire sera portée contre lui. Cette mesure a été prise. Le tribunal disciplinaire a raisonnablement conclu que l'agent de correction s'était acquitté de l'obligation que lui imposait la loi de prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question d'une manière informelle avant de porter une accusation contre le détenu.

(B)        Manquement aux principes de justice naturelle et au devoir d'agir équitablement


[29]       Le demandeur allègue que l'audience disciplinaire n'a pas été menée équitablement ni conformément aux principes de justice naturelle. Au terme de la première audience, le tribunal disciplinaire a ajourné afin de permettre au demandeur de préparer sa défense et d'assigner ses témoins. Le 13 octobre 1998, l'audience a repris, produisant une transcription de 52 pages. À ce moment-là, le demandeur savait parfaitement ce qu'on lui reprochait, il a eu la possibilité de contre-interroger l'agent de correction qui lui avait demandé l'échantillon d'urine, et il a eu la possibilité de présenter une pleine défense.

[30]       Le demandeur soutient qu'il n'a pas bénéficié d'une audience équitable parce qu'il n'a pu présenter les éléments qui auraient permis de prouver la conduite agressive et violente des agents de correction lors de cet incident et d'autres incidents antérieurs. D'après lui, l'obligation de fournir l'échantillon d'urine était abusive et humiliante : on lui avait demandé un échantillon deux mois auparavant; on lui a demandé en présence d'autres personnes; et on lui a refusé la possibilité de parler à un agent de niveau supérieur.

[31]       À mon avis, le tribunal disciplinaire était bien fondé de conclure que la présentation d'éléments pour prouver l'animosité alléguée à l'endroit du demandeur n'est pas pertinente eu égard à la question de savoir si celui-ci a refusé de fournir l'échantillon d'urine le 4 septembre. Même si le demandeur s'estime lésé parce qu'il n'a pu interroger les deux autres agents de correction pour étayer ses allégations quant à leur inconduite, cette preuve n'est pas pertinente eu égard à la question de savoir si le demandeur a refusé de fournir l'échantillon d'urine.

[32]       L'examen de la transcription me convainc également que le tribunal disciplinaire a mené l'audience d'une manière impartiale. Le président indépendant du tribunal disciplinaire a le devoir de mener l'audience disciplinaire d'une manière équitable et avec célérité. Restreindre l'audience à l'examen de la preuve pertinente est une tâche importante et nécessaire qui fait partie du travail du président. Le fait que les décisions relatives à la pertinence aient contrarié le demandeur n'est pas une marque de partialité. Une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique n'y verrait aucun risque de partialité.


(C)        Violations alléguées de la Charte

[33]       Le demandeur allègue qu'il y a eu violation aux articles 7, 11 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les articles pertinents sont ainsi libellés :


Vie, liberté et sécurité

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[...]

Life, liberty and security of person

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

[...]

Affaires criminelles et pénales

11. Tout inculpé a le droit :

Proceedings in criminal and penal matters

11. Any person charged with an offence has the right

a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise qu'on lui reproche;

a) to be informed without unreasonable delay of the specific offence;

b) d'être jugé dans un délai raisonnable;

b) to be tried within a reasonable time;

c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche;

c) not to be compelled to be a witness in proceedings against that person in respect of the offence;

d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

d) to be presumed innocent until proven guilty according to law in a fair and public hearing by an independent and impartial tribunal;

e) de ne pas être privé sans juste cause d'une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable;

e) not to be denied reasonable bail without just cause;

f) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;

f) except in the case of an offence under military law tried before a military tribunal, to the benefit of trial by jury where the maximum punishment for the offence is imprisonment for five years or a more severe punishment;


g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment oùù elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations;

g) not to be found guilty on account of any act or omission unless, at the time of the act or omission, it constituted an offence under Canadian or international law or was criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations;                  h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

h) if finally acquitted of the offence, not to be tried for it again and, if finally found guilty and punished for the offence, not to be tried or punished for it again; and

i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l'infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l'infraction et celui de la sentence.

[...]

i) if found guilty of the offence and if the punishment for the offence has been varied between the time of commission and the time of sentencing, to the benefit of the lesser punishment.

[...]

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

Equality before and under law and equal protection and benefit of law

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

Programmes de promotion sociale

(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

Affirmative action programs

(2) Subsection (1) does not preclude any law, program or activity that has as its object the amelioration of conditions of disadvantaged individuals or groups including those that are disadvantaged because of race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.


[34]       Puisque j'ai conclu que le demandeur a bénéficié d'une audience équitable conformément aux règles de justice naturelle, les droits du demandeur garantis par l'article 7 de la Charte n'ont pas été violés.


[35]       La Cour suprême du Canada a statué que l'article 11 de la Charte ne s'applique pas aux procédures disciplinaires dans les établissements correctionnels. Dans l'arrêt R. c. Shubley, [1990] 1 R.C.S. 3, Madame le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a conclu à la page 23 que l'article 11 de la Charte ne s'applique qu'aux affaires criminelles et pénales et non aux procédures disciplinaires en milieu carcéral. Selon elle, les procédures disciplinaires en milieu carcéral « doivent être expéditives et informelles si l'on veut éviter les crises qui surviennent forcément dans les centres de détention » .

[36]       Le demandeur allègue que ses droits garantis par l'article 15 de la Charte ont été violés parce que pendant l'audience le tribunal disciplinaire a eu une attitude moins courtoise à son égard qu'à celui de l'agent de correction. Je suis convaincu qu'il n'existe aucune preuve de discrimination au sens de l'article 15 de la Charte. Le demandeur s'estime plutôt lésé parce que le tribunal disciplinaire lui a refusé le droit de faire entendre des témoignages relativement aux allégations de comportement violent et agressif qu'il avait déjà portées contre les agents de correction. Une telle décision n'étaye pas une thèse fondée sur l'article 15 de la Charte.

[37]       Aucune contestation n'était fondée sur l'article 8 de la Charte étant donné que le demandeur a refusé de fournir l'échantillon d'urine sans soulever la possibilité que cet échantillon constitue une atteinte abusive à son droit à la vie privée. Toutefois, il y a lieu de souligner la conclusion du juge Rouleau au paragraphe 25 de la décision Royer c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1869, 2001 CFPI 1359 (C.F. 1re inst.) :

[traduction] Le processus de sélection au hasard ne contrevient pas à l'article 8 de la Charte puisqu'il est autorisé par la loi, que la loi elle-même n'a rien d'abusif et que la manière dont on avait proposé de faire la fouille n'aurait pas été abusive.

(D)        Conclusion à l'égard de la première demande

[38]       Le demandeur n'avait aucune raison de refuser de fournir l'échantillon d'urine comme l'exige l'alinéa 54b) de la Loi. J'ai examiné le dossier afin de déterminer s'il y avait un fondement juridique qui lui permettait d'alléguer qu'il n'avait pas bénéficié d'une audience équitable, que ses droits garantis par la Charte avaient été violés, et qu'il pouvait légalement refuser de collaborer. Je conclus que sa demande n'est pas fondée. Pour ces motifs, le première demande de contrôle judiciaire est rejetée.


ANALYSE - Deuxième demande

(A)        Audience tenue en l'absence du demandeur

[39]       La question principale dans la deuxième demande est de savoir si le tribunal disciplinaire a contrevenu aux règles de justice naturelle et au devoir d'agir équitablement en tenant l'audience en l'absence du demandeur. Il ressort du témoignage du président indépendant du tribunal disciplinaire, des documents et de l'affidavit de l'agent de correction que le demandeur a été informé de l'audience devant le tribunal disciplinaire, et qu'il a décidé de ne pas se présenter même si le président indépendant l'avait précisément averti que l'audience disciplinaire se déroulerait en son absence. La preuve établit que l'audience initiale devant le tribunal disciplinaire a été reportée à la demande du demandeur, et que ce dernier a été consulté lorsqu'est venu le moment de fixer la date de reprise de l'audience afin d'assurer la présence des témoins dont il avait besoin.

[40]       Le demandeur nie avoir été avisé de la tenue de l'audience. Son déni va directement à l'encontre du témoignage du président indépendant du tribunal disciplinaire et de la preuve par affidavit de l'agent de correction. Je n'ai aucune hésitation à tenir ces éléments de preuve pour avérés. Par conséquent, je conclus que le demandeur a dûment et pleinement été avisé de la tenue de l'audience.

[41]       L'audience disciplinaire, plus particulièrement lorsqu'elle a déjà fait l'objet d'ajournements, doit être tenue dans un cadre ordonné et dans un délai raisonnable pour assurer la bonne administration de la justice disciplinaire dans les établissements de correction. En l'espèce, les témoins du demandeur ont été amenés devant le tribunal disciplinaire mais celui-ci a décidé de ne pas comparaître parce qu'il recevait la visite de sa famille. La Loi dispose expressément à l'alinéa 43(2)a) que l'audience du tribunal disciplinaire peut avoir lieu si le détenu décide de ne pas y assister.

[42]       À la page 2 des motifs de sa décision, le président indépendant du tribunal disciplinaire du pénitencier de Kingston a conclu ce qui suit :

[traduction] À mon avis, M. Forrest a décidé de ne pas assister à l'audience. J'ai choisi de procéder en son absence et d'entendre le témoignage [de l'agent] (soit l'agent de correction qui avait porté les accusations disciplinaires). Cette décision est fondée sur le pouvoir conféré par l'article 43 de la LSCMLC.


[43]       La preuve comportait amplement d'éléments permettant au tribunal disciplinaire de conclure, d'après les faits, que M. Forrest avait décidé de ne pas assister à l'audience. Cette conclusion de fait n'est pas manifestement déraisonnable.

[44]       S'agissant de l'examen des règles de justice naturelle et du devoir d'agir équitablement, le demandeur a eu toutes les chances de comparaître à l'audience, il a dûment été avisé des infractions disciplinaires, et il a demandé que l'audience soit reportée afin que le tribunal disciplinaire puisse amener les témoins qu'il voulait faire entendre. C'est le tribunal disciplinaire qui fixe la date de l'audience, et non le demandeur, et si celui-ci décide de ne pas y assister, il ne peut ensuite prétendre qu'il n'a pas bénéficié d'une audience équitable.

(B)        Allégations d'abus sexuel

[45]       Le demandeur avait déjà souvent dit à d'autres détenus et à d'autres agents que l'agent de correction qui a procédé à la fouille était un homosexuel qui l'avait agressé sexuellement. Le demandeur a soulevé ces allégations d'homosexualité à chaque fois que cet agent de correction procédait à une fouille, comme cela s'était produit le 8 décembre 1998.

[46]       L'agent de correction en question a écrit au directeur du pénitencier de Kingston à deux reprises pour dénoncer les allégations [traduction] « viles et malveillantes » que le demandeur avait faites en présence d'autres détenus et agents de correction.

[47]       Le demandeur a soutenu que le tribunal disciplinaire a commis une erreur en ne tenant pas compte des abus sexuels et des mauvais traitements qu'il avait allégués contre l'agent de correction. J'estime qu'il ne s'agissait pas d'une erreur. Le tribunal disciplinaire a conclu à la page 3 de ses motifs :

[traduction] [l'agent] a témoigné que le comportement de M. Forrest le préoccupait particulièrement parce qu'il avait allégué de façon constante et répétée que [l'agent] était un homosexuel et que la palpation était effectuée à des fins sexuelles.

[48]      Le tribunal disciplinaire a ensuite conclu à la page 5 :

[traduction] En l'espèce, M. Forrest a allégué des faits non fondés contre [l'agent] à l'égard desquels je ne lui imposerai aucune pénalité.


[49]       Je suis convaincu que le tribunal disciplinaire a tenu compte des allégations du demandeur et qu'il a conclu qu'elle n'étaient pas fondées. C'est ce qui explique pourquoi le tribunal disciplinaire ne leur a accordé aucun poids ni aucune crédibilité. Vu la preuve au dossier, cette conclusion est raisonnable et notre Cour n'y apportera aucune modification.

[50]       Pour ces motifs, la deuxième demande de contrôle judiciaire est rejetée.

DÉPENS

[51]       En 1999, le défendeur a fait une offre de règlement dans les deux dossiers. C'est la raison pour laquelle il demande que les dépens lui soient accordés sur la base procureur-client.

[52]       Notre Cour a indiqué dans le passé que les détenus sont régulièrement tenus aux dépens, et qu'ils ne devraient pas se voir accorder un traitement spécial concernant les dépens. En outre, ni la capacité de payer les dépens, ni la difficulté de les percevoir ne doit constituer un facteur déterminant. L'adjudication des dépens ou leur dispense devraient plutôt être basée sur le bien-fondé de l'action. Voir les motifs du juge Strayer (tel était alors son titre) à la page 35 de la décision Henry c. Canada, [1987] 3 C.F. 429 (C.F. 1re inst.).

[53]       Le 10 septembre 1999, le directeur du pénitencier de Kingston a informé la Cour que le défendeur consentirait à une ordonnance annulant ces deux décisions du tribunal disciplinaire et renvoyant les affaires devant le tribunal disciplinaire pour qu'il rende de nouvelles décisions. Il ressort clairement du dossier qu'une erreur administrative au pénitencier de Kingston concernant l'enregistrement des audiences du tribunal disciplinaire a hâté l'offre de règlement.

[54]       Le 21 septembre 1999, le juge Lemieux a donné au greffe les instructions suivantes :

[traduction] Communiquez avec Irvine Forrest au pénitencier de Kingston et demandez-lui s'il accepterait, en tant que demandeur, la proposition avancée par le directeur du pénitencier de Kingston que les décisions dans les deux dossiers soient annulées et que les affaires soient renvoyées au président indépendant pour qu'il présente de nouvelles recommandations.


[55]       Dans une lettre datée du 23 septembre 1999, le demandeur a indiqué qu'il accepterait l'offre à la condition de recevoir le remboursement « complet » de ses frais. Après quelques négociations, le demandeur a fait l'énumération de ses frais de justice, lesquels comprenaient les frais judiciaires, des frais de courrier recommandé et des frais d'interurbain. Le défendeur a accepté de payer les frais judiciaires mais pas les frais d'interurbain. Le demandeur n'a pas accepté cette offre, les instances ont donc poursuivi leur cours normal.

[56]       Le paragraphe 400(3) des Règles de la Cour fédérale (1998) énumère les facteurs dont la Cour peut tenir compte pour adjuger les dépens, notamment aux alinéas suivants :


400. (3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

a) le résultat de l'instance;

e) toute offre écrite de règlement;

i) la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile

400. (3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(a) the result of the proceeding;

(e) any written offer to settle;

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

(k) whether any step in the                  proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary.


[57]       Ces facteurs s'appliquent au demandeur dans les deux instances. À l'issue de l'instance, les deux demandes ont été rejetées. Le demandeur a poursuivi l'instance malgré une offre de règlement. Cette offre aurait annulé les deux décisions faisant l'objet d'un contrôle judiciaire, ce que vise la présente instance.

[58]       Le demandeur a déjà formulé dans le passé de multiples demandes de grief à l'administration pénitentiaire et devant le tribunal disciplinaire. Pendant l'audience, le demandeur s'est décrit comme « un activiste » , s'opposant constamment aux décisions de l'établissement de correction. Il a dit qu'il avait déposé plus de 600 plaintes et griefs depuis le début de son incarcération, et qu'il avait cinq autres dossiers en instance devant notre Cour.


[59]       Durant l'audience, il était évident que le demandeur était plus intéressé à comparaître devant la Cour qu'à voir les décisions du tribunal disciplinaires annulées. Sinon, il aurait accepté l'offre de règlement et les procédures judiciaires seraient devenues inutiles. Pour ces motifs, je suis convaincu que la conduite du demandeur a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l'instance et que les procédures étaient vexatoires.

[60]       Par conséquent, les dépens sont adjugés au défendeur. Celui-ci a demandé qu'on lui accorde les dépens sur la base procureur-client. Je ne crois pas que les circonstances se prêtent à des dépens sur cette base. Les dépens, entre parties, sont adjugés au défendeur dans les deux demandes et le demandeur doit les lui verser sans délai. La Cour déterminera le montant des dépens lorsqu'elle aura reçu les observations des parties. Le défendeur doit déposer ses observations dans un délai de dix (10) jours, le demandeur doit y répondre dans les dix (10) jours suivants, et le défendeur doit ensuite

déposer sa réplique dans les cinq (5) jours suivants.

        (signé) « Michael A. Kelen »

________________________________

            JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

9 mai 2002

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-2150-98

T-448-99

INTITULÉ :                                        IRVINE FORREST c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Peterborough (Ontario)

DATE DES AUDIENCES :              le 29 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :                      9 mai 2002

ONT COMPARU :

Irvine Forrest                                                                               POUR LE DEMANDEUR

R. Jeff Anderson                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Irvine Forrest                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)


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