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Date : 20000825

Dossier : IMM-4763-99

CALGARY (ALBERTA), LE VENDREDI 25 AOÛT 2000

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

                                                   SADIC ACHEAMPONG

                                                                                                                             demandeur

                                                                       et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                              défendeur

                                                     O R D O N N A N C E

Pour les raisons énoncées dans mes motifs d'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Max M. Teitelbaum

                                                                     

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20000825

Dossier : IMM-4763-99

ENTRE :

                                                   SADIC ACHEAMPONG

                                                                                                                         demandeur

                                                                      et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                            défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 1er septembre 1999, dans laquelle on a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention selon la Loi sur l'immigration[1]. L'autorisation de procéder à cette demande de contrôle judiciaire a été accordée le 25 mai 2000.


Le contexte

[2]                Le demandeur, Sadic Acheampong, est âgé de 40 ans. Il est citoyen du Ghana. Arrivé au Canada le 23 mars 1998, il a revendiqué le statut de réfugié le même jour. Le demandeur est membre de la tribu Konkomba[2], qui habite le nord du Ghana. Il craint d'être persécuté par les membres des tribus Nanumba et Dagomba, à cause de son origine tribale ou ethnique.

[3]                Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP)[3], le demandeur raconte les événements qui l'ont amené à quitter son pays et à demander l'asile au Canada. Son père, un cultivateur, avait hérité sa terre du grand-père du demandeur, selon la coutume tribale des Konkomba. Après avoir terminé l'école secondaire en 1976, le demandeur a rejoint son père sur la ferme. Ils cultivaient des ignames et des arachides, et élevaient du bétail et des chèvres.

[4]                Les conflits tribaux actuels portent sur la propriété de la terre et sur les questions de succession à la tête de la tribu. Les Konkombas sont venus du Togo et ils se sont installés dans le nord du Ghana. Les tribus Dagomba et Nanumba, qui sont originaires du nord du Ghana, n'acceptent pas les coutumes konkombas quant à la propriété de la terre, ainsi qu'à la nomination de chefs konkombas. Il y a eu de violents conflits à ce sujet.


[5]                Dans son FRP, le demandeur soutient qu'en octobre et novembre 1997, un groupe d'à peu près 100 Nanumbas et Gonjas ont attaqué son village et incendié sa maison familiale, avant de repartir avec les récoltes, le bétail et les chèvres. Plusieurs Konkombas ont été tués. Le demandeur déclare qu'il s'est réfugié au Burkina Faso, où il est resté pendant deux mois avant de rentrer chez lui.

[6]                Il déclare que le 2 janvier 1998, les Nanumbas ont à nouveau attaqué son village avec des arcs et des flèches, des coutelas et des armes à feu. Le père du demandeur et ses deux frères plus âgés ont été tués. Le demandeur soutient qu'il a été sévèrement battu et laissé pour mort. Il a toutefois trouvé la force de s'échapper dans la forêt, et il a marché pendant trois jours jusqu'à ce qu'il arrive à une route et obtienne du transport jusqu'au Burkina Faso. Rendu dans ce pays, il est allé demeurer avec un ami de son père qui l'a aidé à se rendre au Canada.

[7]                Le demandeur a soumis une évaluation psychologique à la SSR à l'appui de sa revendication du statut de réfugié. Daté du 29 avril 1999, ce rapport a été préparé par un psychologue agréé, le Dr Hap Davis[4]. Le rapport a été préparé aux instances de l'avocat du demandeur, dans le cadre de la revendication de ce dernier pour obtenir le statut de réfugié.


[8]                Ce rapport contient le diagnostic du Dr Davis, déclarant que le demandeur souffre présentement du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), suite à une dépression majeure en 1994. Le Dr Davis conclut que le demandeur se situe dans la catégorie 4 sur l'échelle des risques à la santé mentale, ce qui indique un risque élevé de troubles psychologiques s'il est renvoyé dans son pays d'origine.

La décision du tribunal

[9]                La formation n'a tiré aucune conclusion au sujet du fondement de la revendication du demandeur, puisqu'elle a déterminé qu'il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans l'une des deux villes suivantes : Accra et Sunyani. La ville d'Accra est située sur la côte sud du Ghana, mieux connue sous le nom de Côte-de-l'Or, alors que la ville de Sunyani, où le demandeur est né et est allé à l'école, se trouve aussi dans le sud près de la frontière est du Ghana et de la Côte d'Ivoire.

[10]            Bien que la formation n'ait pas tiré de conclusion au sujet de la crédibilité du demandeur, elle a déclaré avoir certains doutes quant à son témoignage qu'il était de l'ethnie konkomba. La formation déclare que le demandeur n'avait pas de papiers d'identité fiables, n'ayant déposé qu'un certificat de naissance obtenu par un ami à Accra après son arrivée au Canada. Les doutes de la formation se fondent aussi sur le fait qu'alors que le demandeur avait demandé un interprète akan, il a témoigné en twi. Or, aucune de ces deux langues n'est une langue konkomba.


[11]            Les parties n'ont pas parlé de cette question dans leurs plaidoiries.

[12]            En se fondant sur une preuve documentaire extensive, la formation a convenu qu'il y avait des conflits tribaux au sujet des terres dans le nord du Ghana, que ces conflits étaient très violents et qu'ils donnaient lieu à plusieurs morts. La formation a ensuite ajouté ceci :

[traduction]

Toutefois, la documentation n'indique pas que ces conflits ethniques existent à Accra. En fait, la ville d'Accra, avec sa population de plus d'un million d'habitants, est un centre cosmopolite en Afrique. Le demandeur n'a déposé aucun rapport qui indiquerait qu'il y a des conflits dans cette ville entre les Kokombas [sic] et les autres tribus du nord qu'il craint. La preuve documentaire indique que les conflits portent sur la terre que les Kokombas [sic] considèrent leur appartenir, ce que les autres tribus contestent. Cette question ne se pose pas à Accra. La formation conclut qu'il n'existe pas plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté à Accra par suite de son origine ethnique[5].

[13]            Quant à l'évaluation psychologique, la formation a pris note du diagnostic du Dr Davis au sujet du SSPT et de la dépression antérieure, ainsi que de son avis qu'il pourrait être trop difficile pour le demandeur de retourner au Ghana dans les circonstances. La formation a conclu comme suit :

[traduction]


Bien que la formation comprenne les problèmes psychologiques du demandeur, elle constate que les circonstances et l'environnement d'Accra seraient suffisamment différents de ses expériences sur la ferme dans le nord pour que cette ville représente une possibilité raisonnable de refuge intérieur. Si le demandeur craignait les autorités ou les policiers, qui peuvent le trouver n'importe où, il serait peut-être raisonnable de supposer qu'il ne pourrait raisonnablement vivre nulle part dans le pays. Mais comme sa crainte porte sur les tribus qui sont propriétaires terriens dans le nord, qui ne le recherchent pas en tant qu'individu et qui n'ont aucun intérêt dans sa personne sauf en tant que cultivateur, la formation conclut que sa vie à Accra serait nécessairement très différente de celle qu'il avait avant et qu'il ne serait donc pas trop difficile de s'attendre à ce qu'il puisse profiter de l'anonymat et de la sécurité que lui offre cette ville[6].

Les questions en litige

[14]            La formation a-t-elle commis une erreur en décidant que le demandeur avait une PRI à Accra ou à Sunyani?

[15]            La formation a-t-elle négligé de tenir compte de toute la preuve avant de prendre sa décision?

Le point de vue du demandeur

[16]            Le demandeur soutient que la formation a commis une erreur en concluant qu'il avait une PRI. Le demandeur soutient que la formation a indûment simplifié son expérience des conflits tribaux, en les caractérisant comme [traduction] « des expériences de cultivateurs dans le nord » . Le demandeur soutient de plus qu'il n'y a aucune preuve soumise à la SSR au sujet des conditions de vie à Accra et que la formation s'est donc livrée à de la spéculation.


[17]            Le demandeur soutient aussi que ses problèmes psychologiques, tels qu'expliqués dans le rapport du Dr Davis, font qu'il ne peut se réfugier nulle part au Ghana.

Le point de vue du défendeur

[18]            Le demandeur soutient que c'est le demandeur qui a le fardeau de démontrer qu'il fait face à une possibilité sérieuse de persécution dans tout le Ghana, y compris dans les régions où l'on dit qu'il pourrait bénéficier d'une PRI. Le défendeur soutient que la preuve documentaire présentée à la SSR indique que les conflits ethniques qui sont à la base des craintes du demandeur sont localisés dans le nord du Ghana et que rien dans la preuve n'indique qu'ils existent aussi à Accra. De plus, la preuve documentaire fait ressortir que rien n'indique qu'il y aurait dans les régions du sud de l'animosité du public, ou des services de police, ou du gouvernement, face aux gens qui arrivent du nord. La preuve documentaire démontre que des personnes se sont réfugiées à Accra et, en conséquence, la conclusion de la SSR n'est pas fondée sur de la spéculation.

[19]            Le défendeur soutient que le demandeur conteste le poids accordé au rapport psychologique, ce qui n'est pas une question à soumettre au contrôle judiciaire. Le rapport portait sur deux questions : la crédibilité du demandeur et sa crainte profonde de persécution. Or, ces deux questions font partie de celles que la SSR doit trancher.


Analyse

[20]            Dans n Thirunavukkarasu c. Canada (M.E.I.), la Cour d'appel résume ainsi les principes qui fondent la PRI :

Je dois tout de suite signaler que la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays n'est pas une défense légale. Ce n'est pas non plus une théorie juridique. C'est simplement une expression commode et concise qui désigne une situation de fait dans laquelle une personne risque d'être persécutée dans une partie d'un pays mais pas dans une autre partie du même pays. Le concept de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est « inhérent » à la définition de réfugié au sens de la Convention (voir les motifs du juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam, précité, à la page 710); il ne lui est pas du tout distinct. Selon cette définition, les demandeurs du statut doivent craindre avec raison d'être persécutés et, du fait de cette crainte, ils ne peuvent ou ne veulent retourner dans leur pays d'origine. S'il leur est possible de chercher refuge dans leur propre pays, il n'y a aucune raison de conclure qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays. Comme l'a dit le juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam, précité, à la page 710 :

. . . la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge.

Le juge Mahoney a poursuivi en ces termes, à la page 710 :

. . . puisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s'ensuit que la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Je ne vois aucune raison de déroger aux normes établies par les lois et la jurisprudence et de traiter de la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays comme s'il s'agissait d'un refus d'accorder ou de maintenir le statut de réfugié au sens de la Convention[7].


[21]            En l'instance, la SSR a conclu que le demandeur a une PRI à Accra ou à Sunyani. La formation a examiné la preuve documentaire et conclu qu'il y avait des conflits tribaux violents dans le nord du Ghana, mais aussi que cette preuve ne démontrait pas que ce conflit existait aussi dans le sud du Ghana[8].

[22]            La formation avait tout à fait la compétence pour arriver à cette conclusion. En fait, le demandeur, qui avait le fardeau d'établir qu'il ne pouvait se réfugier ailleurs au Ghana, n'a pu démontrer qu'il ferait face à une possibilité sérieuse de persécution dans tout le pays, y compris dans la région où la formation jugeait qu'il jouissait d'une PRI.


[23]            Quant à l'évaluation psychologique présentée par le demandeur, il est clair que la formation en a tenu compte pour en arriver à sa décision et qu'elle ne lui a pas accordé beaucoup de poids. Au début de son rapport, le Dr Davis indique que l'avocat du demandeur a sollicité son point de vue au sujet de la crédibilité du demandeur et de sa crainte profonde de persécution. Ces deux questions ont été posées dans un contexte psychologique; toutefois, la formation n'est pas tenue d'accepter les conclusions du rapport sur ces questions, qui sont précisément prévues dans le mandat de la SSR. Bien que la formation devait tenir compte du rapport, elle avait tout à fait l'option de lui accorder peu de poids, sinon aucun, dans sa décision sur ces questions. Avec égards, la SSR ne peut déléguer sa responsabilité de décider à l'auteur de cette évaluation, non plus que de laisser ce dernier usurper cette responsabilité.

[24]            De plus, le rapport médical ne parle que d'une crainte subjective de persécution. Rien dans la preuve objective n'indique que le demandeur serait persécuté à Accra.

Dispositif

[25]            Me fondant sur ce que je viens d'exposer, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26]            Les parties n'ont pas soumis de question à certifier.

Max M. Teitelbaum

                                                                     

J.C.F.C.

Calgary (Alberta)

Le 25 août 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                             IMM-4763-99

INTITULÉDE LA CAUSE :            SADIC ACHEAMPONG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :             le 21 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :                                  25 août 2000

ONT COMPARU

M. Charles R. Darwent                                                          POUR LE DEMANDEUR

Mme Tracy King                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Charles R. Darwent                                                         POUR LE DEMANDEUR

Darwent Law Offices

Calgary (Alberta)                                                                   

Le procureur général du Canada

Justice Canada

Edmonton (Alberta)                                                                  POUR LE DÉFENDEUR



[1]            L.R.C. (1985), ch. I-2 [ci-après la Loi].

[2]               Cité sous le nom de « Kokomba » dans les motifs de la SSR et dans le mémoire du défendeur.

[3]               Dossier du demandeur, p. 5 à 15.

[4]               Dossier du demandeur, p. 17 à 26. Le curriculum vitae du Dr Davis se trouve aux p. 27 à 31.

[5]               Dossier du demandeur, p. 34 à 35.

[6]               Dossier du demandeur, p. 35 et 36.

[7]               Thirunavukkarasu c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), p. 592 et 593.

[8]               La formation s'est appuyée sur un document en particulier, la réponse à une Demande d'information GHA24879.E, datée du 23 août 1996. La formation a intégré à ses motifs une citation de ce document, attribuée à un professeur de droit à l'Université du Ghana. On peut trouver ce document au dossier du tribunal, aux p. 153 et 154.

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