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Date : 19980508


Dossier : IMM-1302-97

     OTTAWA (ONTARIO), LE 8 MAI 1998
     DEVANT : MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE


CASTANEDA DE ALVAREZ GRACIELA,

ALVAREZ MARQUEZ CARLOS MARCOS,

ALVAREZ CASTENADA HAIDE FABIOLA,

ALVAREZ CASTANEDA KARLA GISELA,


demandeurs,


ET


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


O R D O N N A N C E

     Conformément aux motifs de l"ordonnance, j"annule par les présentes la décision que la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a rendue le 4 février 1997 et je renvoie l"affaire pour nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.


" Max M. Teitelbaum "

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.



Date : 19980508


Dossier : IMM-1302-97

ENTRE


CASTANEDA DE ALVAREZ GRACIELA,

ALVAREZ MARQUEZ CARLOS MARCOS,

ALVAREZ CASTENADA HAIDE FABIOLA,

ALVAREZ CASTANEDA KARLA GISELA,


demandeurs,


ET


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (ci-après la Section du statut) a conclu, le 4 février 1997, que les demandeurs n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]      Le demandeur principal, Carlos Marcos Alvarez Marquez, sa femme et ses enfants sont tous des citoyens mexicains. Le demandeur principal allègue craindre d"être persécuté du fait de ses opinions politiques alors que sa femme et ses enfants fondent leur crainte sur les liens familiaux qu"ils ont avec le demandeur principal.

[3]      Le demandeur principal est un technicien en informatique qui a été nommé coordinateur du centre informatique du Parti d"action nationale (le PAN) le 3 janvier 1994. En mars 1994, il a été nommé coordinateur de la campagne électorale; il était chargé de diffuser des tracts de propagande. Le demandeur principal allègue avoir fait l"objet d"une surveillance constante. Un soir, il a été arrêté au passage par deux individus qui l"ont menacé de mort s"il poursuivait ses activités. Il s"est plaint à la police, mais on lui a dit qu"il n"y avait pas suffisamment de preuves.

[4]      Le 21 août 1994, soit le jour des élections, pendant que le demandeur principal agissait comme représentant du parti dans un bureau de scrutin, il a été témoin du vol de bulletins de vote. L"un de ses compagnons a gravement été battu lorsqu"il a essayé d"empêcher le vol; il est mort par la suite. À un moment donné, on a emmené le demandeur principal et d"autres collègues dans un endroit isolé, on les a battus et on leur a demandé de mettre fin à leurs activités dans leurs partis politiques respectifs. Le demandeur a été libéré le lendemain et a censément été transporté à l"hôpital où il est resté un jour. Lorsque le demandeur principal est retourné chez lui, sa femme lui a dit que des agents de la police judiciaire étaient venus à la maison, mais qu"elle avait refusé d"ouvrir la porte. La femme du demandeur a dit que les agents étaient partis, c"est-à-dire qu"ils étaient retournés à leur voiture et qu"ils avaient attendu pendant environ deux heures, puis qu"ils étaient partis (voir la page 102 du dossier du tribunal).

[5]      Le 30 juin 1995, le demandeur principal a été arrêté par deux agents de la police judiciaire et il a été battu à la suite d"une manifestation en faveur des Chiapas. Il a été libéré trois heures plus tard, à condition de fournir des renseignements au sujet de la stratégie du parti. À l"audience, le demandeur principal a déclaré que les agents s"intéressaient aux fraudes commises par le gouvernement en ce qui concerne la privatisation d"entreprises de l"État. Lorsque la Section du statut a fait remarquer que le détournement de fonds par le gouvernement avait déjà été dénoncé par les médias, le demandeur a répondu que la presse mexicaine avait été manipulée et qu"elle avait menti.

[6]      À la suite de ce dernier événement, le demandeur et sa famille ont décidé de quitter le Mexique et ont demandé le statut de réfugiés au Canada en août 1995.

[7]      La Section du statut a conclu que les demandeurs n"étaient pas dignes de foi et qu"ils n"avaient pas raison de craindre d"être persécutés. Elle a cru que le demandeur principal avait participé aux activités du PAN, mais elle n"était pas convaincue qu"il ait eu accès à des renseignements privilégiés. La Section du statut a fait remarquer que les fraudes commises par le gouvernement étaient connues partout au monde.

[8]      La Section du statut a conclu qu"il était possible que le demandeur principal ait été harcelé pendant les élections, mais que ces événements étaient isolés. De plus, elle doutait que l"événement décrit par la femme du demandeur principal se soit produit, étant donné qu"il lui était difficile de croire que les agents de la police judiciaire se fussent contentés de partir lorsque cette dernière avait refusé d"ouvrir la porte.

ARGUMENTS

1. Arguments du demandeur

[9]      Les demandeurs soutiennent que la Section du statut a commis une erreur de droit dans son interprétation des faits. Ils affirment que les actes sur lesquels ils fondent leur crainte d"être persécutés n"étaient pas des événements isolés. Ils déclarent que la Section du statut n"a pas tenu compte de tous les faits qui permettent raisonnablement de conclure au bien-fondé d"une crainte de persécution. Les faits allégués sont notamment les suivants : la surveillance constante, les menaces de mort, l"isolement illégal, la violence et l"incarcération, l"assassinat du compagnon du demandeur principal, l"hospitalisation, le harcèlement de la part de la police judiciaire et l"intimidation.

[10]      Les demandeurs soutiennent qu"il n"existe pas d"éléments de preuve concrets tendant à montrer qu"ils ne disaient pas la vérité ou que le demandeur principal n"était pas digne de foi. En ce qui concerne la visite que les agents de police ont effectuée chez eux, ils soutiennent que le tribunal n"a pas tenu compte de la preuve présentée par la femme du demandeur principal.

[11]      Les demandeurs citent la décision rendue dans l"affaire Maldonado c. Canada (MEI) , [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à l"appui de la thèse selon laquelle, en l"absence d"éléments de preuve contraires, le témoignage doit être considéré comme véridique. Ils soutiennent que la Section du statut n"a pas respecté ce principe. En outre, ils déclarent que la Section du statut n"a pas donné de motifs au sujet de la crédibilité de la femme du demandeur principal en des termes clairs et non équivoques comme elle était, selon eux, tenue de le faire par suite de la décision Hilo v. Canada (M.E.I.) (1991) 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).

2. Arguments du défendeur

[12]      Le défendeur soutient que la conclusion que la Section du statut a tirée, à savoir que le demandeur n"avait pas prouvé qu"il avait accès à des renseignements privilégiés, était raisonnable. Il affirme que les fraudes commises par le gouvernement étaient bien connues et qu"elles avaient été dénoncées par les médias. Il était donc déraisonnable pour la police de libérer le demandeur à condition qu"il fournisse pareils renseignements. Le défendeur fait remarquer que la Section du statut a rejeté les explications du demandeur lorsqu"il a affirmé que les médias mexicains avaient été manipulés et qu"ils mentaient, puisque la preuve documentaire montrait que les fraudes commises par le gouvernement étaient connues et que les médias en avaient parlé. Le défendeur soutient que la Section du statut était libre de conclure que le demandeur principal n"était pas crédible parce que son histoire était incompatible avec la preuve documentaire.

[13]      Le défendeur déclare qu"il incombe à la Section du statut de tenir compte de la crédibilité de la preuve dont elle dispose et de tirer des conclusions à cet égard. Il affirme qu"en l"absence de preuve montrant que cette appréciation était déraisonnable, l"intervention de la Cour n"est pas justifiée (voir Aguebor v. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Le défendeur cite également la décision rendue dans l"affaire Oduro v. Canada (M.E.I.) (1993), 66 F.T.R. 106, dans laquelle la Cour a statué que même si elle ne faisait pas nécessairement les mêmes inférences que la Section du statut, elle n"interviendrait pas parce que les inférences que la Section du statut avait faites étaient raisonnables.

[14]      En ce qui concerne les événements qui se sont produits pendant la campagne électorale, le défendeur soutient que la Section du statut a raisonnablement conclu qu"il était possible que le demandeur principal ait été harcelé, mais qu"il s"agissait d"événements isolés. Il déclare que ces événements isolés ne constituaient pas une crainte raisonnable de persécution. Le défendeur cite la décision rendue dans l"affaire Sagharichi v. Canada (M.E.I.) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), où la Cour a dit qu"il incombait à la Section du statut de déterminer si pareils événements étaient suffisamment sérieux pour constituer de la persécution. Le défendeur soutient qu"en l"absence d"une erreur manifestement déraisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir dans le cadre d"un contrôle. En outre, le défendeur fait remarquer que la Section du statut a jugé que l"histoire de la visite des agents de la police judiciaire chez le demandeur n"était pas crédible.

[15]      Le défendeur soutient en outre que la Section du statut n"a pas commis d"erreur en ne mentionnant pas tous les événements allégués. Il affirme qu"il n"était pas établi que le demandeur principal avait été constamment surveillé ou qu"il avait été hospitalisé après avoir été battu. Il déclare donc que la Section du statut n"a pas commis d"erreur en ne mentionnant pas les faits allégués. En outre, le défendeur fait encore une fois remarquer que la Section du statut ne croyait pas que des agents de la police judiciaire eussent harcelé le demandeur chez lui. En ce qui concerne les autres événements, il mentionne que la Section du statut a convenu que le demandeur avait peut-être été harcelé, mais que cela n"équivalait pas à de la persécution. Le défendeur soutient donc que les deux événements mentionnés par le demandeur, lesquels s"étaient produits à sept mois d"intervalle l"un de l"autre, étaient insuffisants pour que la Section du statut conclue que le demandeur avait été persécuté.

[16]      En ce qui concerne l"argument selon lequel la Section du statut devrait présumer que la déclaration du demandeur est exacte, le défendeur affirme que cette présomption n"est pas irréfutable. Il cite la décision Maldonado, supra , dans laquelle la Cour a dit qu"elle tiendrait l"histoire du demandeur pour vraie à moins qu"il n"y ait lieu de douter de son exactitude. Le défendeur soutient qu"il existait suffisamment de raisons de ne pas croire le demandeur étant donné l"histoire qu"il avait racontée au sujet de la visite que les agents de la police judiciaire avaient faite chez lui.

ANALYSE

[17]      La brièveté de la décision et certaines des conclusions tirées par la Section du statut me préoccupent.

[18]      Dans la décision Sagharichi, supra, à la page 399, voici ce qui a été dit :

     Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.         

[19]      La Section du statut a fondé sa conclusion sur le fait que, selon elle, les demandeurs n"étaient pas crédibles. L"une des raisons qui a certainement influé sur cette conclusion se rapportait au témoignage du demandeur principal selon lequel on lui avait demandé de divulguer des renseignements au sujet de la corruption du gouvernement. Je ne suis pas convaincu que le fait que les médias mexicains aient fait des reportages au sujet de la corruption gouvernementale lors de la vente d"entreprises de l"État doive vouloir dire que les individus qui ont menacé le demandeur principal ne s"intéressaient pas à la connaissance particulière qu"il avait à ce sujet. La Section du statut a tiré d"autres conclusions, à savoir que le demandeur principal n"avait pas accès à des renseignements privilégiés et qu"il était pour le moins étrange que les agents de la police judiciaire aient quitté sans insister la résidence du demandeur.

[20]      La Section du statut a commis une erreur, lorsqu"elle a dit ceci, à la première page du Résumé des faits :

     Le jour des élections, le 21 août 1994, alors qu"il remplit ses fonctions de représentant du parti dans un bureau de scrutin, il est témoin du vol de bulletins de vote. Un de ses compagnons, en tentant de s"opposer à la chose, est battu férocement. Le demandeur apprend plus tard qu"il est décédé des suites de ses blessures. Quant au demandeur, il est conduit dans un endroit isolé et tabassé. De retour chez lui, sa femme lui apprend que des agents de la police judiciaire se sont présentés mais qu"elle a refusé de leur ouvrir. Quand on lui demande comment ils ont réagi à son refus, elle répond qu"ils sont repartis.         

[21]      La Section du statut a commis une erreur lorsqu"elle a dit que la femme du demandeur avait déclaré que les agents de police étaient partis lorsqu"elle avait refusé de leur ouvrir la porte. Elle a affirmé que les agents de police étaient retournés à leur voiture et qu"ils avaient attendu pendant au moins deux heures. Ce fait a amené la Section du statut à croire que le demandeur et sa femme n"étaient pas dignes de foi.

[22]      En outre, la Section du statut a commis une erreur lorsqu"elle a dit que le demandeur ne possédait pas de renseignements particuliers au sujet d"une fraude qui avait peut-être été commise lorsqu"une entreprise de l"État avait été vendue.

[23]      À la page 97 du Dossier du tribunal figurent les propos suivants :

     Q.      Le fait [...] qu"est-ce que vous alliez rendre public?         
     R.      Les malversations des fonds que le parti et le gouvernement [...]         
     Q.      Okay, donnez [...]         
     R.      [...] avaient fait.         
     Q.      [...] donnez-moi un exemple de malversation que vous alliez dénoncer?         
     R.      Par exemple, la [...] la malversation des fonds en [...] dans le sucre et [...] et en [...] c"est une compagnie de [...] de sucre [...] une sucrerie qui est la propriété de l"État. Cette compagnie, en termes d"administration, marchait bien. Mais lorsqu"il y a eu la privatisation, elles ont été vendues sans aucune raison ou justification, [...] (inaudible) [...] des gens qui appartenaient à l"administration publique, des gens qui étaient dans la PRI, qui étaient [...] qui étaient dans le [...] dans [...] dans le gouvernement.         

[24]      Dans sa décision, la Section du statut dit ceci :

     Le demandeur a pu fournir suffisamment de détails sur sa formation politique pour que nous accordions foi à son implication politique au sein du PAN. Il n"a pu cependant nous convaincre qu"il avait accès à des informations privilégiées. Ses allégations sur les fraudes du gouvernement du PRI, en effet, sont connues internationalement. Des articles de journaux étrangers en ont fait largement état dont, entre autres, le Monde Diplomatique [chapitre 6 de la compilation déposée par l"agent d"audience].         

[25]      Il est manifeste que la Section du Statut a commis une erreur. La preuve montre que le demandeur disposait de pareils renseignements privilégiés.

[26]      Je n"ai rien pu trouver dans le dossier qui contredise ce que le demandeur dit dans son témoignage, tel qu"il est consigné à la page 97 du Dossier du tribunal.

CONCLUSION

[27]      Pour les motifs susmentionnés, j"annule par les présentes la décision que la Section du statut a rendue le 4 février 1997 et je renvoie l"affaire pour nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

[28]      Ni l"une ni l"autre des parties, lorsqu"on le leur a demandé, n"a voulu soumettre une question à certifier.


" Max M. Teitelbaum "

J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 mai 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                      IMM-1302-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Castaneda De Alvarez Graciela et al. c. le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration
LIEU DE L"AUDIENCE :                  Montréal (Québec)
DATE DE L"AUDIENCE :                  le 5 mai 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM EN DATE DU 8 MAI 1998

ONT COMPARU :

Georges Labrecque                      POUR LE DEMANDEUR
Lisa Maziade                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

George Labrecque                      POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

George Thomson                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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