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Date : 20200211


Dossier : IMM-4320-19

Référence : 2020 CF 232

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2020

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

AVNI PONICAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un agent d’immigration de la Section des visas de l’ambassade du Canada à Vienne, en Autriche, a refusé, pour la deuxième fois, d’accorder un visa de travail à M. Ponican relativement à un emploi de peintre à Calgary. L’agent a refusé la demande, parce que M. Ponican n’a pas démontré qu’il satisfaisait aux exigences en matière de langue, de formation et d’expérience.

II.  Contexte

[2]  M. Ponican est un citoyen du Kosovo âgé de 33 ans. M. Ponican a demandé un permis de travail à titre de peintre à Artan Painting Ltd, une entreprise de Calgary, dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires.

[3]  Sa première demande avait été refusée le 4 mars 2019. Le premier refus contient la mention suivante : [traduction« Je ne suis pas convaincu que vous ayez donné des réponses véridiques à toutes les questions [...] », qui renvoie plus particulièrement à une section sur des refus antérieurs de visa. Le premier refus indiquait également ceci : [traduction« Vous n’avez pas été en mesure de démontrer que vous serez en mesure d’exécuter adéquatement les tâches de l’emploi que vous cherchez. » La première décision lui a indiqué qu’il était le bienvenu pour présenter une nouvelle demande. Il a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire du premier refus, mais l’autorisation ne lui a pas été accordée.

[4]  Le 14 mai 2019, M. Ponican a présenté une nouvelle demande, cette fois selon la procédure de l’étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT). L’EIMT précisait que les compétences orales en anglais à l’oral et à l’écrit constituaient des compétences nécessaires.

[5]  Dans sa deuxième demande, il a indiqué que sa langue maternelle était l’albanais, mais il a indiqué qu’il était capable de communiquer en anglais, même s’il a répondu « non » à la question de savoir s’il avait effectué une évaluation des connaissances linguistiques, et qu’il n’a produit aucune preuve de ses compétences en anglais.  

[6]  Dans la partie ayant trait à son expérience de travail antérieure, il a indiqué qu’il travaillait comme peintre depuis 2013. Dans la partie ayant trait à l’éducation, M. Ponican n’a inscrit qu’un cours de peinture de six mois à Gjakove, au Kosovo, à ce qu’il a désigné comme un [traduction« Centre de formation professionnelle », et il a joint un certificat de ce cours de formation. Son formulaire indique qu’il est propriétaire d’un magasin de meubles en plus d’être peintre.

[7]  M. Ponican a produit en preuve une lettre de recommandation de Letaj KS au Kosovo concernant son expérience à titre de peintre. La lettre indiquait qu’il travaillait pour Letaj depuis le 7 janvier 2013, où il gagnait 570 euros par mois en tant que peintre. Il n’est pas clair si la lettre de recommandation a également été jointe à la première demande de visa de travail de M. Ponican, mais étant donné la date du 20 février 2019, il semblerait qu’elle aurait pu être présentée avec la première demande. En outre, il a produit une lettre rédigée par son avocat, lettre faisant état de son expérience à titre de peintre depuis janvier 2013, et soulevant plusieurs problèmes concernant la première décision de refus, notamment le fait qu’il n’avait pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations quant à la crédibilité.

[8]  Le 21 mai 2019, l’agent a rejeté la deuxième demande de M. Ponican. L’agent a indiqué ce qui suit, après avoir examiné les éléments de preuve et les exigences de l’EIMT :

[traduction

J’ai examiné les exigences de l’EIMT et les documents à l’appui fournis par l’appelant dans la présente demande : Certificat de formation professionnelle terminée en décembre 2018 présenté. Selon les informations fournies par le candidat, il s’agit d’un cours de 6 mois. Je ne suis pas convaincu que ce soit l’équivalent de diplôme de fin d’études secondaires ou de trois ou quatre ans d’apprentissage, comme le mentionne l’EIMT. Aucun document n’a été fourni pour démontrer que le demandeur a des connaissances de l’anglais [...] Une lettre de recommandation signée par une personne privée n’est pas une preuve fiable de son expérience en soi si elle n’est pas étayée par des documents de « tiers », comme un relevé bancaire indiquant le salaire ou un imprimé d’un régime d’assurance sociale ou de retraite indiquant le nom de l’employeur. Le demandeur a produit une copie de son relevé bancaire. Aucun dépôt régulier n’a été observé. D’autre part, le demandeur affirme qu’il a également été propriétaire de meubles tout en travaillant comme peintre. Les dépôts « importants » en espèces [...] sont plus conformes à la propriété et à l’exploitation d’une entreprise du mobilier (moins de ventes, mais pour des montants plus importants). Je ne suis pas convaincu que le candidat ait la formation, les compétences linguistiques ou l’expérience lui permettant d’exécuter les tâches décrites dans l’EIMT.

III.  Les questions en litige

Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision de l’agent de refuser la demande de visa de travail de M. Ponican était-elle déraisonnable?

  2. La décision était-elle équitable sur le plan procédural?

IV.  Norme de contrôle

L’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], ne modifie pas la norme de contrôle convenue par les parties dans leurs mémoires initiaux, même si Vavilov en a modifié le cadre. Désormais, il existe une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable, et les exceptions ne s’appliquent pas (Vavilov, au par. 17). La norme de contrôle applicable à l’égard de la question de l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte, même après Vavilov (Ntamag c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 40, au par. 7; Ennis c Canada (Procureur général), 2020 CF 43, au par. 18).

V.  Analyse

A.  La décision de l’agent de refuser la demande de visa de travail de M. Ponican était-elle déraisonnable?

Le paragraphe 200(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, précise ceci : « Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger [...] [si] l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé » (voir le texte intégral de la législation applicable à l’Annexe A).

Les motifs de l’agent font état de trois lacunes précises dans la demande de visa de travail de M. Ponican qui laissent entendre qu’il n’était pas en mesure d’effectuer le travail. Premièrement, l’agent a conclu que M. Ponican n’avait fourni aucun document à l’appui démontrant qu’il avait des connaissances de l’anglais. Deuxièmement, le certificat de cours de formation fourni par M. Ponican ne correspondait pas aux exigences en matière d’études mentionnées dans l’EIMT. Troisièmement, il n’avait aucun document fiable démontrant qu’il avait l’expérience nécessaire pour le poste, étant donné que sa lettre de recommandation n’était pas une [traduction« preuve fiable » et que les dépôts bancaires indiquaient qu’il ne touchait pas un salaire sur une base régulière.

M. Ponican a fait valoir ce qu’il perçoit être quelques lacunes perçues dans le raisonnement, lacunes donnant à penser que l’agent a rendu une décision déraisonnable.

(1)  Connaissance de l’anglais

Le premier argument de M. Ponican est que la décision de l’agent reposait sur son manque de compétences en anglais, sans analyser comment ce manque de compétences pouvait avoir une influence sur la capacité de M. Ponican à effectuer le travail, compte tenu du contrat d’emploi et des exigences de la Classification nationale des professions (la CNP). M. Ponican indique que son employeur a vérifié qu’il pouvait effectivement satisfaire aux exigences du poste, et que cela devrait être interprété comme englobant l’anglais oral et écrit.

L’EIMT prévoit que l’emploi exige que le candidat sache parler et écrire en anglais. Le candidat doit remplir ces conditions pour se conformer à l’EIMT. La décision Virk c Canada (MCI), 2014 CF 150, aux par. 5 et 6, est invoquée par le défendeur à titre d’exemple où le poste indiquait que des connaissances de l’anglais étaient exigées, et pourtant le demandeur « n’a soumis à l’agent aucun élément confirmant ses compétences linguistiques en anglais ». La décision Tan c Canada (MCI), 2012 CF 1079, invoquée par M. Ponican, se distingue par le fait que, dans cette affaire, aucune compétence orale ou écrite en anglais n’avait été précisée dans les exigences du poste.

Je ne peux pas être d’accord avec M. Ponican quant au fait que l’opinion générale de son employeur selon laquelle il possède les compétences nécessaires pour effectuer son travail était suffisante pour confirmer qu’il sait parler ou écrire en anglais. Il n’a présenté aucune preuve de ses compétences linguistiques. Il n’était pas déraisonnable de conclure qu’il ne satisfaisait pas à cette exigence, puisque M. Ponican n’a fourni aucun document à l’appui pour démontrer qu’il avait des connaissances de l’anglais.

(2)  Les exigences en matière d’études

M. Ponican a fait valoir, lors de l’audience relative au contrôle judiciaire, qu’il satisfaisait aux exigences en matière d’études étant donné qu’il avait fait des études secondaires. Cependant, M. Ponican n’a fourni aucun élément de preuve dans le dossier certifié du tribunal à cet égard, bien que le formulaire de l’EIMT indique [traduction« Exigences en matière d’études : école secondaire », et sa première demande de visa de travail avait été refusée en partie parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière d’études. Comme l’a indiqué l’agent, le seul document présenté par M. Ponican en ce qui concerne ses études était le certificat de formation professionnelle de six mois qui ne correspondait pas aux titres de compétence nécessaires. M. Ponican prétend devant la Cour qu’il a terminé la douzième année d’école, mais cela ne lui est d’aucun secours, étant donné que cet élément de preuve n’a pas été présenté à l’agent. Il ne s’agit donc pas d’une situation où l’agent a imposé une exigence inexistante en matière d’études.

(3)  Expérience en peinture

Sur le troisième point, M. Ponican soutient que l’agent a intégré d’autres exigences d’emploi [traduction« inexistantes » qui ne se trouvent pas dans le CNP, parce que la formation officielle n’est pas une exigence d’emploi [traduction« stricte » pour les peintres au Canada. Bien que l’EIMT ne mentionne pas de niveau d’expérience particulier, le CNP prévoit la réussite d’un programme d’apprentissage de trois à quatre ans, ou plus de trois ans d’expérience professionnelle dans le métier comme condition d’accès à la profession. L’agent a conclu qu’il n’y avait aucune preuve fiable que M. Ponican satisfaisait à l’une ou l’autre de ces exigences. Il a été conclu que la lettre de recommandation n’était pas une [traduction« preuve fiable » et elle n’était pas appuyée par des documents indépendants. Au contraire, la preuve indépendante et objective des relevés bancaires n’a révélé aucun dépôt régulier malgré l’affirmation de M. Ponican selon laquelle il recevait un salaire de façon périodique. L’agent a soupesé cette preuve et a également examiné la déclaration de M. Ponican figurant sur sa demande selon laquelle il possédait un magasin de meubles. L’agent a indiqué que les dépôts sporadiques étaient [traduction« plus conformes à la propriété et l’exploitation d’une entreprise du mobilier (moins de ventes, mais pour des montants plus importants) ». Cette interprétation découlait de la preuve, et elle était raisonnable.

Comme l’a suggéré le juge Rennie dans Komolafe c Canada (MIC), 2013 CF 431, au par. 11 (et qui été confirmé dans Vavilov, au par. 97), les cours de révision peuvent « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées ». L’agent a fourni un bref résumé informel du manque de compétences linguistiques, d’éducation et d’expérience professionnelle. À la lumière de ces « points » et dans le contexte des demandes de visa qui n’exigent pas de motifs semblables à ceux d’un tribunal, la conclusion de l’agent selon laquelle M. Ponican ne pouvait pas exécuter le travail était raisonnable. Le fardeau de la preuve incombait à M. Ponican au stade de la demande de visa, mais il n’a pas convaincu l’agent qu’il était en mesure d’effectuer le travail qu’il recherchait. Il incombait à M. Ponican lors du contrôle judiciaire de démontrer que la décision était déraisonnable et il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

B.  La décision était-elle équitable sur le plan procédural?

Pour ce qui est de l’équité procédurale, M. Ponican fait valoir que le traitement de l’agent de sa lettre de recommandation constituait [traduction« manifestement une conclusion concernant la crédibilité, mais l’agent n’a pas donné au demandeur la possibilité de répondre, ce qui violait ainsi son droit à l’équité procédurale ». Son avocat affirme que les conclusions de l’agent laissent entendre qu’il croyait que M. Ponican n’avait pas réellement travaillé en tant que peintre au Kosovo, bien que M. Ponican ait fourni une lettre de recommandation. M. Ponican indique qu’il a fourni les renseignements requis, y compris sa preuve d’emploi et des éléments de preuve indiquant son salaire (la lettre de recommandation), mais il affirme qu’il n’avait [traduction« aucun moyen d’anticiper que l’agent jugerait que le document n’était pas crédible ». M. Ponican indique qu’on aurait dû lui donner l’occasion de répondre aux préoccupations, et que le défaut de le faire rendait la décision inéquitable sur le plan procédural.

M. Ponican a également soutenu que la lettre comprenait le numéro de téléphone et l’adresse de son ancien employé et que, si l’agent avait des préoccupations, il aurait dû appeler l’ancien employeur.

Le défendeur, par contre, indique que l’agent a mené une [traduction« analyse approfondie et appropriée ». Comme le défendeur l’a laissé entendre, l’obligation d’équité procédurale varie selon le contexte. Le défendeur a cité Canada (MCI) c Khan, 2001 CAF 345, qui contient le passage suivant :

[31] Les facteurs qui tendent à limiter le contenu du devoir d’équité en l’espèce sont les suivants : l’absence d’un droit reconnu par la loi d’obtenir un visa; l’obligation pour le demandeur de visa d’établir son admissibilité à un visa; les conséquences moins graves en général du refus d’un visa pour l’intéressé, contrairement à la suppression d’un avantage, par exemple la suppression du droit de résider au Canada, et le fait que la question en litige dans cette affaire […] n’en est pas une à laquelle le demandeur est particulièrement à même de répondre.

[32] Finalement, lorsqu’elle fixe le contenu du devoir d’équité qui s’impose pour le traitement des demandes de visas, la Cour doit se garder d’imposer un niveau de formalité procédurale qui risque de nuire indûment à une bonne administration, étant donné le volume des demandes que les agents des visas doivent traiter. La nécessité pour l’État de maîtriser les coûts de l’administration et de ne pas freiner le bon déroulement du processus décisionnel doit être mise en parallèle avec les avantages d’une participation de l’intéressé au processus.

Je conviens avec le défendeur que la Cour devrait veiller à ne pas imposer d’obligations officielles aux agents des visas en raison de leur volume de travail élevé. Habituellement, si une demande ne satisfait pas aux exigences (c’est-à-dire, si le demandeur ne satisfait pas aux critères de permis de travail énoncés dans la LIPR et le Règlement), l’agent n’est pas tenu de donner au demandeur l’occasion d’apporter des précisions à la demande pour lui permettre de dissiper les préoccupations (Rukmangathan c Canada (MCI), 2004 CF 284, au paragraphe 23). Je conclus que l’obligation d’équité procédurale se situe à un niveau minimal dans la présente demande.

Le défendeur a prétendu que l’agent n’avait pas conclu que la lettre n’était pas crédible, mais plutôt qu’elle n’était pas fiable. Même s’il est possible que ce soit le cas, il reste que l’agent n’a pas expliqué pourquoi il a jugé le document peu fiable, par conséquent, je me pencherai sur la question de crédibilité ci-dessus.

Comme le fait remarquer M. Ponican, les conclusions concernant la crédibilité exigent une obligation d’équité plus élevée, même dans le contexte des visas. Dans la décision Talpur c Canada (MCI), 2012 CF 25, au par. 21 [Talpur], le juge de Montigny a indiqué que « l’obligation d’équité dont bénéficient les demandeurs de visa, bien qu’elle se situe à l’extrémité inférieure du registre », impose aux agents des visas de donner aux demandeurs l’occasion de répondre à toute préoccupation qui survient concernant l’authenticité ou la crédibilité des éléments de preuve. L’avocat de M. Ponican s’appuie sur la décision Madadi c Canada (MCI), 2013 CF 716 [Madadi], où le juge Zinn a énoncé ce qui suit (au paragraphe 6) :

La jurisprudence de la Cour en matière d’équité procédurale dans ce domaine est claire : lorsqu’un demandeur fournit des preuves suffisantes pour établir qu’il satisfait aux exigences de la Loi ou du Règlement, le cas échéant, et que l’agent met en doute « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » et qu’il souhaite rejeter la demande en fonction de ces doutes, l’obligation d’équité est invoquée. […]

Dans Madadi, le juge Zinn a renvoyé l’affaire pour un nouvel examen parce que l’agent des visas avait des doutes quant à la véracité d’une lettre d’emploi et pourtant, « l’agent a commis une erreur en ne faisant pas part de ses doutes au demandeur ». Le juge Zinn s’est appuyé sur cinq autres décisions de la Cour qui confirment l’obligation de donner au demandeur la possibilité de répondre si l’agent doute de la véracité d’un document (Enriquez c Canada (MCI), 2012 CF 1091, au par. 26; Patel c Canada (MCI), 2011 CF 571, au par. 27 [Patel]; Hamza c Canada (MCI), 2013 CF 264, au par. 25; Farooq c Canada (MCI), 2013 CF 164 [Farooq]; Ghannadi c Canada (MCI), 2013 CF 515). Ces règles nuancées concernant l’équité procédurale s’appliquent même si la conclusion de crédibilité n’est pas explicite, ce qui était le cas en l’espèce (Patel, aux par. 26 et 27; Farooq, au par. 12).

Ces décisions confirment toutes l’applicabilité d’un degré d’équité un peu plus élevé lorsque la crédibilité est un enjeu. L’exception à la règle est la décision dans Obeta c Canada (MCI), 2012 CF 1542 [Obeta], dans laquelle le juge Boivin a indiqué qu’un agent n’est nullement tenu d’accorder une entrevue si le document renferme des renseignements « dénués de pertinence, non probants ou ambigus » (au par. 25). Sinon, l’obligation d’agir équitablement est plus stricte en cas de préoccupations concernant la crédibilité, ce qui signifie que le demandeur a la possibilité de présenter d’autres observations.

Il ressort donc clairement de ces affaires qu’il y avait une obligation d’informer M. Ponican de la question concernant la crédibilité. L’agent devait lui donner une possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue, même si les demandes de visa exigent habituellement des procédures formelles limitées.

Dans Talpur, l’agent des visas a mené une entrevue au cours de laquelle il a exprimé des préoccupations au sujet d’une lettre de recommandation. L’agent a posé des questions à la demanderesse pour lui permettre de répondre à ces préoccupations (aux par. 22 à 25). Le juge de Montigny a indiqué que les agents des visas doivent « communiquer leurs réserves aux demandeurs, de manière à ce qu’ils aient l’occasion de les dissiper » (Talpur, au par. 21). Toutefois, la demanderesse a « bénéficié d’une occasion raisonnable de présenter ses arguments ou de démontrer l’authenticité de sa demande » (au par. 22), de sorte que le juge de Montigny a conclu que la décision était conforme à l’équité procédurale. Dans Farooq, le juge Roy a résumé la question de la façon suivante : « lorsque le litige porte sur la crédibilité de la preuve, l’équité procédurale exige que le demandeur ait la possibilité de répondre aux préoccupations quant à sa crédibilité » (au par. 11). Ces affaires démontrent que les préoccupations concernant l’équité procédurale dans les affaires de visas ont trait à la question de savoir si le travailleur étranger a eu la possibilité de faire valoir ses arguments.

M. Ponican n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale, étant donné qu’on lui avait bien donné une possibilité raisonnable de faire valoir ses arguments. Dans sa lettre du 6 mai 2019, son avocat a soutenu qu’il n’avait pas eu l’occasion de répondre aux préoccupations quant à la crédibilité dans la première demande. La première décision de refus lui a fait savoir que sa fiabilité ainsi que son manque d’éducation et d’expérience professionnelle posaient tous problème dans le contexte de sa première demande. Comme il a été mentionné plus haut, il semble, d’après la date du 20 février 2019 qui figure dans sa lettre de recommandation, que la lettre accompagnait la première demande et, par conséquent, qu’il savait que cette lettre n’avait pas convaincu le premier agent qu’il était peintre. Son avocat était conscient, grâce à la première décision, que la crédibilité était un enjeu, comme l’indique sa lettre à l’agent du 6 mai :

[traduction]

L’agent semble croire que M. Ponican ne satisfait pas aux exigences énoncées dans l’EIMT et qu’il n’a pas la capacité d’exécuter les fonctions du poste au Canada. C’est déraisonnable parce que M. Ponican a plus de 6 ans d’expérience de travail en tant que peintre, ce qui a été étayé par une lettre d’emploi détaillée qui était jointe à notre demande précédente. De toute évidence, M. Ponican a l’expérience de travail antérieur nécessaire pour l’emploi à l’égard duquel il demandait un permis de travail. Par conséquent, il est tout à fait déraisonnable pour l’agent de juger que M. Ponican n’est pas en mesure d’exécuter le travail [...]

Dans cette lettre du 6 mai, l’avocat de M. Ponican a ensuite soulevé la même jurisprudence en matière d’équité procédurale qu’il soulève devant la Cour concernant la nécessité de lui donner la possibilité de présenter des observations si sa crédibilité est en cause. Avec son avocat, il a présenté ensuite une nouvelle demande le 14 mai, dans laquelle il utilise la lettre de recommandation du Kosovo à l’appui de la demande. L’agent a renvoyé à cette lettre, mais ensuite il a examiné les relevés bancaires et les autres lacunes dans la demande de M. Ponican et a rejeté la demande. M. Ponican était manifestement au courant qu’il y avait des questions quant à sa crédibilité à la lumière de sa lettre du 6 mai, et il avait la possibilité de répondre à ces questions et de produire d’autres documents à l’appui dans la deuxième demande le 14 mai. Il serait trompeur de dire que M. Ponican n’a pas eu une possibilité raisonnable de faire valoir ses arguments. Si l’argument soulevé dans la lettre de son avocat datée du 6 mai, avant le deuxième refus, était qu’il devait avoir la possibilité de présenter d’autres observations, il aurait pu simplement les présenter dans sa demande du 14 mai. Il n’a pas fait l’objet d’un traitement inéquitable.

Son cas se distingue de la décision rendue par le juge Zinn dans Madadi et des cinq affaires qu’il a citées, lesquelles portaient toutes, semble-t-il, sur des premières demandes de permis de travail. Dans ces affaires, les demandeurs ne savaient pas que l’authenticité de leurs documents allait être en cause. M. Ponican présentait une deuxième argumentation en réponse à un refus antérieur.

D’autre part, et comme l’a conclu le juge Boivin dans la décision Obeta, il n’existe pas de droit absolu à une entrevue lorsqu’un agent des visas soulève des préoccupations quant à la crédibilité. Si la demande n’est pas convaincante, il n’est pas obligatoire de la faire suivre d’une entrevue, même s’il y a des préoccupations concernant la fabrication des éléments de preuve (Obeta, au par. 25; ensuite dans Rezvani c Canada (MCI), 2015 CF 951, aux par. 21 à 27; Ansari c Canada (MCI), 2013 CF 849, au par. 36). S’il ne fournit pas « suffisamment de renseignements », le demandeur ne se sera pas acquitté de son fardeau et n’aura pas le droit à une entrevue pour la simple raison que l’agent a des doutes concernant sa crédibilité (Ansari, au par. 36). Les relevés bancaires de M. Ponican n’indiquent en aucune façon qu’il recevait le salaire mensuel qu’il prétend avoir reçu. Hormis la lettre de recommandation et un certificat de formation de six mois, il y a peu d’éléments de preuve qu’il ait exercé le métier de peintre à quelque moment que ce soit; par conséquent, il n’a pas fourni « suffisamment de renseignements » pour bénéficier du plus haut degré d’équité procédurale qui nécessiterait que l’agent prenne d’autres mesures. Cela s’applique à l’argument selon lequel l’agent aurait dû communiquer avec l’auteur de la lettre et je conclus que l’agent n’avait aucune obligation de communiquer avec l’ancien employeur pour vérifier la fiabilité de la lettre.

Je conclus que la décision de l’agent était raisonnable et conforme à l’équité procédurale. Je rejetterai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

Aucune question n’a été proposée en vue de sa certification et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM-4320-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de mars 2020.

Maxime Deslippes, traducteur


Annexe A – Législation pertinente

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 ch 27

Visa et documents

11(1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001 c 27

Application before entering Canada

11(1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Droit du résident temporaire

29(1) Le résident temporaire a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’autorisation d’entrer au Canada et d’y séjourner à titre temporaire comme visiteur ou titulaire d’un permis de séjour temporaire.

Obligation du résident temporaire

29(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

Right of temporary residents

29(1) A temporary resident is, subject to the other provisions of this Act, authorized to enter and remain in Canada on a temporary basis as a visitor or as a holder of a temporary resident permit.

Obligation — temporary resident

29(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re-enter Canada only if their authorization provides for re-entry.

Règlements

32 Les règlements régissent l’application des articles 27 à 31, définissent, pour l’application de la présente loi, les termes qui y sont employés et portent notamment sur :

a) les catégories de résidents temporaires, notamment les étudiants et les travailleurs;

Regulations

32 The regulations may provide for any matter relating to the application of sections 27 to 31, may define, for the purposes of this Act, the terms used in those sections, and may include provisions respecting

(a) classes of temporary residents, such as students and workers…

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

Visa de résident temporaire

Délivrance

179 L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

e) il n’est pas interdit de territoire;

f) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3);

g) il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi.

Immigration and Refugee Protection Regulations (SOR/2002-227)

Temporary Resident Visa

Issuance

179 An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

(d) meets the requirements applicable to that class;

(e) is not inadmissible;

(f) meets the requirements of subsections 30(2) and (3), if they must submit to a medical examination under paragraph 16(2)(b) of the Act; and

(g) is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act.

Délivrance du permis de travail

Exceptions

200(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé […]

Work permits

Exceptions

200(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought…

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4320-19

 

INTITULÉ :

AVNI PONICAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 4 février 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Anu Kumar

POUR LE DEMANDEUR

Me Meenu Ahluwalia

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART SHARMA HARSANYI

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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