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Date : 20191206

Dossier : IMM‑1934‑19

Référence : 2019 CF 1462

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

ROOPANDEEP KAUR MAHAL

demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande présentée par Roopandeep Kaur Mahal contestant la décision d’un agent d’immigration (l’agent) datée du 28 février 2019, refusant la délivrance d’un visa de résident temporaire (VRT) en raison d’une fausse déclaration. 

[2]  Mme Mahal est venue au Canada à titre d’étudiante en août 2011. Elle a décroché un diplôme en administration des affaires du Northern Alberta Institute of Technology en janvier 2014. Peu après, elle a présenté une demande de permis de travail postdiplôme et a été désignée aux termes de l’Alberta Immigrant Nominee Program (programme des candidats immigrants) à titre de candidate possible à la résidence permanente. Le 10 décembre 2016, Mme Mahal a demandé la résidence permanente dans la catégorie des candidats d’une province. Moins de deux semaines plus tard, elle a été accusée de vol pour avoir subtilisé des articles dans un magasin Sears. Il va sans dire que cet antécédent criminel était susceptible d’avoir une incidence sur le statut d’immigration de Mme Mahal.

[3]  Heureusement pour Mme Mahal, à sa première comparution devant le tribunal, la possibilité lui a été offerte d’éviter une déclaration de culpabilité en participant au Programme des mesures de rechange (PMR). La poursuite a été ajournée pendant quatre mois pour lui permettre de mener à bien le PMR. Mme Mahal a à nouveau comparu devant le tribunal le 6 juillet 2017 et, comme elle avait rempli les exigences du PMR, la Couronne a retiré l’accusation criminelle. Si l’affaire en était restée là, Mme Mahal n’aurait probablement pas eu de problèmes importants au chapitre de l’immigration. Elle a toutefois compromis encore plus son statut d’immigration lorsqu’elle a demandé la prolongation de son permis de travail le 15 mai 2017. À la question [traduction« Avez-vous déjà commis une infraction criminelle dans tout pays ou territoire, ou vous a-t-on déjà arrêté pour une telle infraction, accusé d’une telle infraction ou reconnu coupable d’une telle infraction? », Mme Mahal a répondu incorrectement « Non ». Il faut comprendre que lorsque Mme Mahal a donné cette réponse inexacte, elle faisait toujours l’objet d’une accusation de vol. L’accusation de vol n’a été retirée que trois semaines plus tard. Le permis de travail de Mme Mahal a par la suite été délivré de nouveau le 20 juillet 2017. 

[4]  Au même moment, le traitement de la demande de résidence permanente de Mme Mahal se poursuivait. Ce processus supposait notamment la présentation d’un rapport de vérification de casier judiciaire de la GRC qui a, bien entendu, révélé l’accusation criminelle portée contre Mme Mahal. À la fin de 2017, le consultant en immigration de Mme Mahal a présenté le dossier de la GRC à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) accompagné d’une explication selon laquelle l’accusation avait été retirée. 

[5]  Le 5 juin 2018, Mme Mahal a à nouveau demandé la prolongation de son permis de travail et a encore répondu « Non » à la question de savoir si elle avait déjà été accusée d’une infraction criminelle. Le permis de travail a été délivré de nouveau le 24 juillet 2018. 

[6]  Mme Mahal est retournée en Inde à la fin de 2018 pour rendre visite à sa famille. Puisqu’elle n’avait pas de statut d’immigration permettant un retour au Canada, elle a demandé un VRT. Cette fois encore, elle a répondu « Non » à la question sur l’accusation à une infraction criminelle. C’est à ce stade que les trois dénégations de Mme Mahal l’ont rattrapée. Le 4 février 2019, l’agent a rédigé une lettre d’équité procédurale adressée à Mme Mahal faisant état des préoccupations qui suivent :

[traduction

Nous avons reçu de l’information selon laquelle vous avez été accusée d’une infraction criminelle au Canada le ou vers le 23/12/2016. Je constate toutefois que sur chacune de vos demandes subséquentes présentées à IRCC, vous avez répondu « Non » à la question : « Avez-vous déjà commis une infraction criminelle dans tout pays ou territoire, ou vous a-t-on déjà arrêté pour une telle infraction, accusé d’une telle infraction ou reconnu coupable d’une telle infraction? ».

Les questions figurant sur les demandes d’immigration vous sont posées afin que vous divulguiez, honnêtement, les faits qui sont importants pour l’appréciation appropriée de votre admissibilité au document que vous demandez et de votre admissibilité au Canada. De plus, la question mentionnée plus haut ne vous dispense pas de divulguer les accusations qui ont été retirées.

Je constate aussi, en particulier, qu’à la date de votre première demande après cette accusation au criminel, IRCC ne savait pas encore que l’accusation avait été retirée.

Pour cette raison, je crains que la non-déclaration de cette information ait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi et que vous soyez interdite de territoire au Canada pour fausse déclaration.

Veuillez noter que s’il est conclu que vous avez fait de fausses déclarations dans votre demande, vous pourriez être déclarée interdite de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. S’il est conclu que vous êtes ainsi interdite de territoire au Canada, l’interdiction courra pendant cinq ans conformément à l’alinéa 40(2)a) [...].

[7]  Le consultant en immigration de Mme Mahal a répondu à la lettre d’équité procédurale avec un document de trois pages. Il a cherché à excuser les réponses inexactes données par Mme Mahal par le fait que celle-ci aurait cru comprendre, de façon erronée, que [traduction« les accusations retirées ne sont pas des accusations » et par le fait que les réponses données étaient [traduction« sans importance ». Il a aussi souligné que Mme Mahal avait divulgué l’accusation criminelle dans le contexte de sa demande de résidence permanente en suspens et qu’IRCC, par conséquent, était au courant de l’accusation.

[8]  L’agent n’a pas accepté les explications de Mme Mahal et par la voie d’une lettre datée du 28 février 2019, il a rejeté sa demande de VRT. Le fondement de la décision est exposé dans la note au dossier qui suit :

[traduction

La cliente a répondu à notre lettre d’équité procédurale. La cliente a répondu avec une lettre de son représentant. Le représentant souligne que les accusations ont été retirées et que, pour cette raison, c’est comme si elles n’avaient jamais été portées et, par conséquent, le représentant soutient qu’il n’était pas nécessaire de les déclarer. Le représentant soutient aussi que les accusations retirées en l’espèce ne sont pas importantes. En ce qui concerne le dernier argument, je suis convaincu que les accusations criminelles, qu’elles aient été retirées ou non, sont importantes eu égard à la demande en ce sens que toute l’information se rapportant aux antécédents criminels est clairement importante pour l’appréciation de l’admissibilité sur le plan criminel. Il n’est pas nécessaire que l’information non communiquée entraîne une erreur dans l’application de la Loi, mais je constate qu’elle pourrait avoir un effet sur le processus amorcé. En l’espèce, le processus amorcé aurait pu être affecté (c.-à-d. l’agent aurait pu avoir besoin de la confirmation que les accusations avaient été retirées, etc.). En ce qui concerne le premier argument, je constate que la question qui a été posée à la cliente ne disait pas qu’il n’était pas nécessaire de déclarer les accusations ayant été retirées. Le fait que l’accusation a par la suite été retirée ne signifie pas qu’elle n’a jamais existé. À l’instar d’une arrestation qui n’entraîne pas une accusation, elle n’en doit pas moins être déclarée en réponse à la question qui s’y rapporte de sorte que l’agent dispose de tous les faits pour effectuer une appréciation éclairée de l’admissibilité. Je souligne que l’accusation figure dans le casier judiciaire de la cliente fourni par la GRC et, par conséquent, ce n’est clairement pas comme si elle n’avait jamais existé. Je souligne aussi que la cliente est responsable de l’information fournie dans le dossier de demande. Pour cette raison, je suis convaincu que la cliente a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, dans le dossier de demande en omettant de l’information se rapportant à une accusation criminelle au Canada. Je suis convaincu que cette présentation erronée ou omission aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Pour cette raison, je conclus que la cliente est interdite de territoire au Canada.

[9]  Mme Mahal affirme que la décision de l’agent est déraisonnable et entachée par un manquement à l’équité procédurale. Le défendeur soutient que la décision était raisonnable sur la foi du dossier de preuve et concorde avec l’obligation stricte de franchise prévue à l’article 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

I.  La décision de l’agent est-elle raisonnable dans toutes les circonstances?

[10]  Mme Mahal ne nie pas qu’elle a fourni des réponses inexactes dans trois demandes distinctes présentées à IRCC lorsqu’il lui a été demandé si elle avait déjà fait l’objet d’accusations criminelles. Elle affirme, toutefois, que ses réponses inexactes reposaient sur une erreur d’interprétation de la loi commise de bonne foi, et que les erreurs ont bel et bien été corrigées dans sa demande de visa de résident permanent présentée ultérieurement. Ces explications, selon elle, placent clairement sa situation dans l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi à une conclusion de fausse déclaration qui est prévue dans le Guide sur l’exécution de la loi (Interdiction de territoire) d’IRCC et qui a été reconnue dans certaines décisions de la Cour : Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117, [2011] ACF no 1372 (QL) [Berlin], et Koo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] 3 RCF 446, [2008] ACF no 1152. Selon cet argument, il était déraisonnable que l’agent n’ait pas appliqué cette exception quand il a examiné sa demande de VRT.

[11]  En premier lieu, je n’accepte pas l’argument de Mme Mahal selon lequel ses réponses, bien qu’inexactes, étaient sans importance eu égard à sa demande de VRT. Mme Mahal a fourni la même réponse incorrecte en trois occasions distinctes, y compris dans sa demande de VRT. L’agent avait droit à une réponse exacte de sorte qu’il puisse procéder à d’autres enquêtes. Il ne s’agit pas de savoir si les enquêtes en question auraient changé quelque chose. Ce qui compte, c’est de savoir si d’autres possibilités d’enquête qui auraient être importantes par rapport à la décision ont été fermées. En fait, comme l’a souligné l’agent, l’on aurait pu s’attendre, à tout le moins, à ce qu’une vérification ait lieu quant au retrait de l’accusation. Il existe une raison pour laquelle les antécédents criminels sont considérés comme importants dans tout le système d’immigration du Canada. Il est difficile de trouver un élément présentant un degré d’importance potentielle plus élevé que les antécédents criminels d’un demandeur : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401 aux par. 81 à 85, 279 ACWS (3d) 810.

[12]  Je n’adhère pas à l’idée voulant que le fait que l’information exacte ait été fournie dans la demande de résidence permanente de Mme Mahal invalide complètement la portée juridique de ses trois réponses inexactes. Au moment où Mme Mahal a fait sa première fausse déclaration, son accusation criminelle était encore en instance. L’agent a souligné l’importance de cet élément dans la lettre d’équité procédurale. Il est tout simplement invraisemblable que Mme Mahal ait agi sous l’influence d’une incompréhension de la question qui était posée. Le fait que son permis de travail ait été délivré de nouveau quelques jours plus tard n’aurait pas dû l’amener à croire que sa réponse était acceptable.

[13]  Le fait que Mme Mahal ait fourni la même réponse inexacte à deux autres occasions ultérieures n’est pas automatiquement excusé parce qu’elle a fourni l’information exacte à l’appui de sa demande de résidence permanente. Si la divulgation de ses antécédents criminels dans le contexte de cette demande représentait l’excuse de Mme Mahal pour ses réponses ultérieures, il y a lieu de s’interroger sur les motifs sous-tendant ses contradictions. Il est tout aussi vraisemblable que, après s’en être tirée aussi facilement deux fois avec ces réponses, elle ait tenté le coup une autre fois sur la demande de VRT. Je reconnais qu’il y a des affaires comme la décision Berlin, précitée, où le dossier d’immigration contient l’information exacte, et cela peut contribuer à établir l’erreur de bonne foi ou le trou de mémoire. Toutefois, l’agent n’était pas tenu d’accepter les explications fournies par Mme Mahal à première vue. Il ressort clairement de ses motifs que l’agent n’a pas accepté l’affirmation de Mme Mahal selon laquelle elle aurait mal compris la question dans trois demandes distinctes. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable à la lumière des éléments de preuve. Mme Mahal est instruite, et la question portant sur les accusations criminelles est très claire à première vue. Les circonstances ne militent pas en faveur d’une conclusion d’erreur commise de bonne foi, et il n’était pas déraisonnable que l’agent conclue que Mme Mahal a fait une fausse déclaration à l’égard de ses antécédents criminels, contrevenant ainsi à l’article 40 de la LIPR.

II.  Équité et attentes raisonnables

[14]  Je ne relève aucun manquement à l’équité procédurale dans la façon dont la présente affaire a été traitée par l’agent. Une lettre d’équité procédurale faisant état des préoccupations de l’agent a été envoyée à Mme Mahal, et Mme Mahal a fourni une réponse détaillée que l’agent a prise en compte. Mme Mahal n’avait pas droit à un résultat donné. Elle avait toutefois droit à l’application régulière de la loi, et elle en a bénéficié.

[15]  Il n’y a non plus aucun fondement pour une conclusion selon laquelle Mme Mahal a été induite en erreur ou avait une attente raisonnable, fondée sur ses demandes antérieures, que sa réponse sur la demande de VRT serait acceptée ou acceptable. Cela ne ferait qu’encourager la malhonnêteté si un demandeur pouvait faire une fausse déclaration sur un fait important une fois en espérant que personne ne le relève, puis prétendre avoir une attente raisonnable qu’une fausse déclaration identique subséquente soit excusée.

[16]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale. 


JUGEMENT dans le dossier IMM-1934-19

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de mars 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1934‑19

 

INTITULÉ :

ROOPANDEEP KAUR MAHAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Ranbir S. Thind

Bikramjit Singh

 

POUR LA DEMANDERESSE

Camille N. Audain

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ranbir Thind & Associates LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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