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Date : 20200213


Dossier : IMM-869-19

Référence : 2020 CF 241

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

QI HAN HUANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Le contexte

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 29 janvier 2019 par laquelle la demande de résidence permanente [la décision], présentée par le demandeur en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, a été refusée.

[2]  Le demandeur, M. Qui Han Huang, est un citoyen de la Chine de 69 ans. Il a deux filles, et son ancienne épouse et lui ont divorcé en 2002.

[3]  En 1992, M. Huang a quitté la Chine pour les États-Unis en vue de trouver de meilleurs moyens de subvenir aux besoins de sa famille. Il y est resté un certain temps, mais il est parti pour des raisons personnelles. Il a commencé à vivre au Canada en 2013 avec son fils et son ancienne épouse, et y vit toujours.

[4]  En décembre 2014, l’Agence des services frontaliers du Canada a appréhendé et détenu M. Huang, puis une mesure d’exclusion a été prise contre lui.

[5]  En juillet 2016, M. Huang a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, son ancienne épouse étant sa répondante. Le refus de cette demande est visé par la présente demande de contrôle judiciaire.

[6]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[7]  Monsieur Huang a présenté sa demande de résidence permanente le 27 juillet 2016 au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait. Il a fourni un certain nombre de documents au soutien de sa demande. Le 29 janvier 2019, un agent d’immigration [l’agent] a conclu que M. Huang n’avait pas établi de façon adéquate qu’il vivait en union de fait avec son ancienne épouse, et qu’il n’était donc pas un « époux » au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et de l’alinéa 124a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Par conséquent, sa demande a été rejetée.

[8]  L’agent a souligné que leur interdépendance n’atteignait pas un degré suffisant. À son avis, les documents présentés par M. Huang démontraient qu’il demeurait à la même adresse que son ancienne épouse, mais qu’ils n’avaient pas une relation d’interdépendance, comme il y aurait lieu de s’attendre dans le cas d’une « relation authentique ». L’agent a fait les remarques suivantes :

[traduction] J’estime que les renseignements fournis sont insuffisants pour démontrer qu’ils ont vécu ensemble dans le cadre d’une authentique union de fait depuis au moins un an avant la présentation de la demande.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[9]  Le demandeur soulève les deux points en litige suivants  1) l’agent n’a pas renvoyé à la preuve documentaire démontrant l’authenticité de la relation, et 2) l’agent a conclu, sans avoir soumis l’un ou l’autre à une entrevue, que le demandeur et son « épouse » n’étaient pas crédibles; il a ainsi manqué à son obligation d’équité procédurale.

[10]  Le demandeur a lui-même formulé de cette manière les points en litige, mais les arguments qu’il a soulevés sont plus précis :

  1. L’agent n’a pas examiné les éléments de preuve qui contredisent ses propres conclusions.

  2. L’agent ne s’est pas montré sensible à la situation du couple.

  3. L’agent a commis une erreur de fait et de droit parce qu’il n’a pas tenu compte du document délivré par le gouvernement présentant l’adresse du couple, le jugeant inadéquat, et il a ajouté à cette erreur en ne convoquant pas le couple à une entrevue.

  4. La conclusion de l’agent est dépourvue d’intelligibilité, car il aurait dû convoquer le demandeur et son épouse à une entrevue.

  5. Le fait pour l’agent d’avoir préjugé qu’aucun élément du témoignage qu’aurait pu livrer le demandeur ou son épouse dans le cadre d’une entrevue ne pouvait combler l’absence d’éléments supplémentaires de preuve documentaire n’est pas justifiable.

  6. La décision dans son ensemble est déraisonnable.

  7. Le processus décisionnel par lequel l’agent a décidé que les documents fiscaux et gouvernementaux ne prouvaient pas le caractère continu de leur relation n’est pas transparent ni intelligible […].

[11]  Le défendeur fait valoir 1) qu’aucun élément de preuve n’a été ignoré et 2) qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[12]  En me fondant sur la nature des allégations du demandeur, j’estime que les questions en litige peuvent être mieux formulées comme suit :

  1. La décision était-elle raisonnable?

  2. Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale?

[13]  Les parties conviennent que la première question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[14]  La présente demande a été instruite avant que la Cour suprême du Canada ne rende son arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Notre Cour n’a pas exigé d’observations supplémentaires sur la norme de contrôle, et les avocats n’ont pas demandé l’autorisation d’en présenter. Après avoir examiné le nouveau cadre d’analyse applicable en droit administratif canadien énoncé par la Cour suprême, j’estime que la première question doit être examinée suivant la norme de la décision raisonnable. Je ne vois aucune raison de déroger à la nouvelle présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, par. 16–17 et 65 à 68).

[15]  Les questions d’équité procédurale commandent l’application de la norme de contrôle de la décision correcte, mais elles n’appellent pas la déférence à l’endroit du décideur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

IV.  Les thèses des parties

A.  La décision était-elle raisonnable?

(1)  La thèse du demandeur

[16]  Le demandeur soutient principalement que la décision est déraisonnable, car l’agent a fait abstraction de certaines preuves documentaires concernant l’authenticité de sa relation avec son ancienne épouse. Il s’appuie sur Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1998] 157 FTR 35, ACF no 1425 (1re inst.), [Cepeda] pour affirmer que lorsque le décideur n’aborde pas dans sa décision les éléments de preuve qui contredisent carrément sa conclusion, la Cour sera plus disposée à inférer de ce silence qu’il rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait. Le demandeur énumère également les éléments de preuve qui, à son avis, établissent l’authenticité de son union de fait. Il soutient que, puisque les conclusions de l’agent et les éléments de preuve dont il disposait sont contradictoires, la Cour devrait en arriver à la conclusion que l’agent a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve.

[17]  Le demandeur fait également valoir que l’agent n’a pas expliqué comment il a soupesé les éléments de preuve ou en a tenu compte. Il affirme que son silence compromet la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et la justification de la décision. Selon lui, le fait pour l’agent d’avoir préjugé qu’aucun élément du témoignage qu’aurait pu livrer le demandeur ou son épouse dans le cadre d’une entrevue ne pouvait combler l’absence d’éléments supplémentaires de preuve documentaire compromet aussi la justification de la décision.

[18]  Dans ses observations en réponse, le demandeur reprend les arguments susmentionnés et soutient que l’agent s’est montré insensible à sa situation personnelle, à savoir relativement à son âge avancé et à ses antécédents culturels.

(2)  La thèse du défendeur

[19]  Le défendeur soutient que l’agent a soupesé tous les éléments de preuve et en a tenu compte, mais il a conclu qu’ils n’étaient pas suffisants pour établir l’existence d’une union de fait. Selon le défendeur, le demandeur prie simplement la Cour de soupeser de nouveau la preuve.

[20]  Le défendeur s’appuie sur un certain nombre de jugements pour affirmer qu’un agent d’immigration n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve dont il a tenu compte pour rendre sa décision, plus particulièrement Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, et Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), [2000] ACF no 741 (CF 1re inst), (Westlaw), par. 15 [Sidhu].

B.  Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale?

(1)  La thèse du demandeur

[21]  Le demandeur soutient qu’il aurait dû avoir droit à une entrevue puisqu’elle lui aurait mieux permis d’établir le bien-fondé de sa cause. Il croit pouvoir s’appuyer sur Cesar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1350 [Cesar], pour affirmer qu’une entrevue doit être accordée si elle peut être utile. Selon le demandeur, il est rare qu’une entrevue qui aurait pu permettre d’obtenir des renseignements démontrant le degré d’interdépendance ne soit pas accordée. Toutefois, il ne cite aucune source jurisprudentielle ou doctrinale pour appuyer cette affirmation.

(2)  La thèse du défendeur

[22]  Selon le défendeur, la présente affaire porte sur la suffisance de la preuve. Il souligne également que les agents d’immigration n’ont pas l’obligation générale de tenir une entrevue avec les demandeurs. Il cite un certain nombre de jugements en matière d’immigration à l’appui de sa thèse.

V.  L’analyse

A.  La décision était-elle raisonnable?

[23]  La jurisprudence citée par le défendeur me convainc que l’agent d’immigration n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve, ou d’y faire référence, lorsqu’il rend une décision, pour autant que la Cour estime que tous les faits pertinents ont été présentés à l’agent d’immigration et ont été pris en considération (Sidhu, par. 15). La Cour a récemment confirmé l’existence de la présomption de longue date selon laquelle le décideur tient compte de tous les éléments de preuve fournis (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2019 CF 641, par. 16).

[24]  Le demandeur n’a pas réfuté cette présomption. Selon l’affaire Cepeda, la décision d’un agent d’immigration peut être déraisonnable s’il omet de mentionner un élément de preuve important qui contredit sa conclusion finale. J’estime que l’agent n’a pas omis de mentionner un élément de preuve important qui contredisait sa conclusion. Il a simplement estimé que les éléments présentés étaient insuffisants.

[25]  Le demandeur souligne qu’il s’est heurté à des difficultés lorsqu’il a présenté sa demande. Ces difficultés ne sont pas pertinentes pour apprécier le caractère raisonnable de la décision de l’agent.

[26]  En outre, les différents arguments que soulève le demandeur pour établir que la décision n’est pas transparente, intelligible ou justifiée ne permettent pas de justifier l’intervention de la Cour. Aux paragraphes 103 et 104 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême énumère certaines des caractéristiques d’une décision déraisonnable. L’analyse à effectuer porte principalement sur la question de savoir si la Cour est en mesure de comprendre la décision et si elle est convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ». En l’espèce, je parviens à comprendre la raison – fondamentalement, l’absence d’éléments de preuve établissant une interdépendance – qui a mené l’agent à conclure que la relation n’était pas authentique.

[27]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision est raisonnable. Le demandeur souhaite essentiellement que la Cour soupèse de nouveau les éléments de preuve dont disposait l’agent, mais ce rôle n’appartient pas à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

B.  Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale?

[28]  S’agissant de la question de l’équité procédurale, je fais miens les arguments du défendeur. Il soutient à raison que l’agent d’immigration n’a aucune obligation générale de tenir une entrevue ou de demander des renseignements additionnels lorsque la documentation soumise ne suffit pas à le convaincre, comme l’explique la Cour dans Mbala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1057, au paragraphe 22 :

[22]  Ainsi qu’il a été statué dans la décision Madan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n1198 (QL), au paragraphe 6, étant donné que le fardeau revient au demandeur, l’agente d’immigration n’a pas à demander de documents additionnels. Il appartient au demandeur de fournir tous les documents voulus qui convaincront l’agente d’immigration qu’il répond aux exigences applicables :

Il est bien établi qu’un demandeur de visa a l’entière responsabilité de présenter à l’agent des visas toute la documentation qui pourrait permettre à ce dernier de rendre une décision favorable. Les agents des visas n’ont par conséquent aucune obligation générale en droit de demander des détails ou des renseignements additionnels avant de rejeter une demande de visa au motif que la documentation soumise ne suffisait pas à les convaincre que le demandeur répondait aux critères de sélection pertinents.

[29]  Le demandeur soutient qu’il est rare qu’une entrevue qui aurait pu permettre d’obtenir des renseignements supplémentaires établissant l’interdépendance ne soit pas accordée. Son argument est toutefois dénué de fondement.

[30]  Le demandeur croit pouvoir s’appuyer sur Cesar pour affirmer qu’une entrevue doit être accordée si elle peut être utile. Il a cependant tort. Dans Cesar, aux paragraphes 7 et 8, le juge Phelan s’est demandé, pour répondre à la question de savoir si l’agent d’immigration aurait dû tenir une entrevue, si celui-ci avait l’obligation de le faire et si l’entrevue aurait été utile. Après avoir conclu qu’il n’existe aucune obligation de tenir une entrevue et que cette entrevue n’aurait rien changé à la décision finale, il a jugé qu’elle n’était pas nécessaire.

[31]  Le fait que l’agent n’a aucune obligation d’entendre le demandeur en entrevue dans ces circonstances est déterminant.

[32]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision est conforme aux principes d’équité procédurale.

VI.  Conclusion

[33]  La décision de l’agent est raisonnable. Il n’avait pas l’obligation d’entendre le demandeur en entrevue. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[34]  Aucune question n’a été soulevée par les parties en vue de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-869-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de mars 2020.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-869-19

INTITULÉ :

QI HAN HUANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

Mary Lam

POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Lam

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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