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Date : 20200213


Dossiers : IMM-2519-19

IMM-2517-19

Référence : 2020 CF 246

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2020

En présence de madame la juge Heneghan

Dossier : IMM-2519-19

ENTRE :

ADIAM MICHAEL ABRAHAM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-2517-19

ET ENTRE :

ADIAM MICHAEL ABRAHAM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Adiam Michael Abraham (la demanderesse) demande le contrôle judiciaire, dans deux demandes, de décisions prises par un agent d’immigration (l’agent).

[2]  Dans l’affaire no IMM‑2519‑19, la demanderesse demande le contrôle judiciaire d’une décision datée du 15 mars 2019, dans laquelle sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a été refusée. L’agent a conclu qu’elle ne serait pas exposée à un risque si elle retournait dans le pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle avait sa résidence habituelle.

[3]  Dans l’affaire no IMM‑2517‑19, la demanderesse demande le contrôle judiciaire d’une décision datée du 26 mars 2019, dans laquelle l’agent a refusé sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). L’agent a conclu qu’il n’y avait pas de facteurs justifiant la prise de mesures spéciales.

[4]  Les détails suivants sont tirés du dossier certifié du tribunal (le DCT) et des affidavits produits par la demanderesse à l’appui de ses demandes de contrôle judiciaire. Les affidavits à l’appui des deux demandes ont été souscrits par Samira Remtulla le 21 mai 2019.

[5]  La demanderesse est arrivée au Canada, avec son époux, le 26 février 2016. Ils ont demandé l’asile le 5 avril 2016.

[6]  La demanderesse a donné naissance à un fils au Canada le 12 mai 2016.

[7]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) est intervenu dans la demande d’asile de la demanderesse devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et a présenté des éléments de preuve démontrant que le passeport que la demanderesse a utilisé pour entrer au Canada appartenait à une citoyenne suédoise.

[8]  Le Système intégré d’exécution des douanes de l’Agence des services frontaliers du Canada a associé la demanderesse à un passeport au nom d’« Ariam Mehari Weldesilasie », parce qu’une personne utilisant ce passeport est entrée au Canada immédiatement avant l’entrée de l’époux de la demanderesse.

[9]  Le défendeur a divulgué un courriel d’Interpol Ottawa, qui reconnaissait que le passeport au nom d’« Ariam Mehari Weldesilasie » était un passeport suédois authentique appartenant à une citoyenne suédoise née en Érythrée, et une copie de ce passeport. Selon le courriel, personne n’ayant le nom et la date de naissance de la demanderesse ne figurait dans les registres de la population, des migrations ou des actes criminels de la Suède.

[10]  La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, concluant que ses allégations étaient sans fondement crédible, selon les [traduction« informations de grande valeur d’Interpol » montrant que la demanderesse détenait la citoyenneté suédoise.

[11]  Par la suite, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR. La demande a été rejetée parce que la demande d’autorisation n’a pas été mise en état.

[12]  La demanderesse a ensuite demandé un ERAR et la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire le 27 février 2018 et le 20 mars 2018, respectivement. La citoyenneté de la demanderesse était déterminante dans le refus des deux demandes. Dans les deux décisions, l’agent a conclu que la demanderesse était une citoyenne suédoise, citant les conclusions de la SPR, les « informations de grande valeur » d’Interpol et les [traduction« données biométriques » associant la demanderesse au passeport suédois authentique.

[13]  Dans les affidavits produits à l’appui de sa demande d’ERAR et de sa demande de résidence permanente, la demanderesse a déclaré qu’elle est entrée au Canada à l’aide d’un faux passeport qui lui a été fourni par un passeur. Elle a en outre déclaré qu’elle n’est citoyenne que de l’Érythrée, qu’elle n’est pas citoyenne de la Suède et qu’elle n’a pas de droit de retour.

[14]  Dans ses observations présentées dans les deux demandes de contrôle judiciaire, la demanderesse soutient que l’agent s’est appuyé de manière déraisonnable sur les « informations de grande valeur » du défendeur et qu’il n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve lorsqu’il a établi qu’elle détenait la citoyenneté suédoise.

[15]  La demanderesse soutient que l’agent a porté atteinte à ses droits à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience pour sa demande d’ERAR, en application de l’alinéa 113b) de la Loi et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). En outre, elle affirme que l’agent a commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve à l’appui de sa demande d’ERAR.

[16]  La demanderesse fait aussi valoir que l’intérêt supérieur de l’enfant dans sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas fait l’objet d’une appréciation raisonnable, puisque cet intérêt s’est limité à la prise en considération du renvoi en Suède, et non pas en Érythrée.

[17]  Le défendeur soutient que les décisions de l’agent étaient raisonnables et qu’elles ont tenu compte de l’ensemble de la preuve.

[18]  Le défendeur affirme en outre que la décision de l’agent de ne pas tenir une audience relativement à la demande d’ERAR de la demanderesse est une question d’interprétation législative, et non pas d’équité procédurale, et qu’elle était raisonnable.

[19]  Les questions relatives à l’équité procédurale, y compris le manquement à un principe de justice naturelle, doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339.

[20]  Le rejet par l’agent de la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire doit être contrôlé selon la norme de la décision raisonnable; voir l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] 1 RCF 360 (CAF).

[21]  La norme de contrôle qui s’applique à une demande d’ERAR est celle de la décision raisonnable; voir l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385.

[22]  La décision rendue après l’audience dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 ne change pas la norme de contrôle qui s’applique dans ces affaires.

[23]  Dans l’arrêt Vavilov, précité, la Cour suprême du Canada a confirmé la teneur de la norme de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190.

[24]  Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[25]  Après avoir examiné l’ensemble des arguments présentés par les parties concernant la décision défavorable relative à l’ERAR, je suis convaincue que l’absence d’audience n’a pas entraîné un manquement à l’équité procédurale. L’alinéa 113b) de la Loi prévoit ce qui suit :

Examen de la demande

Consideration of application

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

[...]

[...]

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required

[...]

[...]

[26]  L’article 167 du Règlement est ainsi libellé :

Facteurs pour la tenue d’une audience

Hearing — prescribed factors

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[27]  Aucune question relative à la crédibilité de la demanderesse n’a été soulevée dans sa demande d’ERAR. Par conséquent, l’agent n’avait pas l’obligation de demander la tenue d’une audience, et il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

[28]  À mon avis, le problème concernant la décision relative à l’ERAR tient au fait que l’agent s’est fondé sur les conclusions de la SPR au sujet de l’identité de la demanderesse comme ressortissante suédoise.

[29]  Cette conclusion n’est pas raisonnable, à mon avis. La SPR a caractérisé cet élément de preuve comme étant des « informations de grande valeur », mais rien n’indique dans le DCT qu’une évaluation des données biométriques a été effectuée.

[30]  La conclusion de l’agent quant à l’identité n’est pas raisonnable au sens de la norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, précité.

[31]  Cette conclusion a aussi servi de fondement à la décision défavorable relative aux motifs d’ordre humanitaire, et elle rend également cette décision déraisonnable.

[32]  Il n’est pas nécessaire que j’examine les autres arguments soulevés par la demanderesse.

[33]  Par conséquent, les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies, les décisions de l’agent sont annulées, et les deux affaires sont renvoyées à un agent différent en vue d’une nouvelle décision.

[34]  Il n’y a aucune question à certifier dans l’une ou l’autre des demandes de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans les affaires IMM-2519-19 et IMM-2517-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire dans l’affaire no IMM‑2519‑19 est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un agent différent en vue d’une nouvelle décision.

Il n’y a aucune question à certifier.

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire dans l’affaire no IMM‑2517‑19 est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un agent différent en vue d’une nouvelle décision.

Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de février 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2519‑19

IMM‑2517‑19

 

INTITULÉ :

ADIAM MICHAEL ABRAHAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE heneghan

DATE DES MOTIFS :

LE 13 février 2020

COMPARUTIONS :

Raphael Vagliano

POUR LA demanderesse

Suzanne M. Bruce

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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