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Date : 20200214


Dossier : T-449-18

Référence : 2020 CF 255

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

MUDJATIK THYSSEN MINING, COENTREPRISE MINIÈRE

demanderesse

et

DALLAS A. BILLETTE et

KELLY F.A. CAMPBELL

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La coentreprise Mudjatik Thyssen Mining (MTM) demande que soit infirmée la décision de l’arbitre d’accueillir les plaintes de congédiement injuste déposées par deux employés, Dallas A. Billette (M. Billette) et Kelly F.A. Campbell (M. Campbell) en vertu du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [le Code].

[2]  MTM a congédié MM. Billette et Campbell parce qu’ils ont refusé de se soumettre à un test de dépistage de drogue à la demande de la direction. MTM prétend avoir eu un motif valable de congédier les employés, parce qu’ils occupaient des postes critiques pour la sécurité du travail d’exploitation minière souterraine. En conséquence, MTM demande l’annulation de la décision de l’arbitre, qui a jugé que les employés avaient été injustement congédiés. Selon la coentreprise, la décision déroge au consensus qui se dégage au sein de la communauté des arbitres sur ce qui constitue un motif raisonnable d’exiger un test de dépistage de drogue. Elle ajoute que l’arbitre a adopté une approche déraisonnable.

[3]  À titre subsidiaire, MTM demande que la réparation accordée par l’arbitre soit modifiée par réduction du montant dû aux deux employés au titre des pertes de salaire et annulation de l’ordonnance visant à obtenir que Cameco Corporation (Cameco), propriétaire de la mine où les employés travaillaient, rétablisse les privilèges de camp de ces derniers.

[4]  Pour les motifs exposés ci-dessous, j’entends rejeter la demande de contrôle judiciaire en ce qui a trait aux questions du congédiement injuste et des pertes de salaire et l’accueillir pour ce qui concerne l’ordonnance relative aux privilèges d’hébergement dans les camps de Cameco.

II.  Contexte

[5]  Avant d’aborder la question précise des incidents qui ont mené au renvoi de MM. Billette et Campbell, je me propose de situer dans leur contexte les activités de MTM à la mine McArthur River, puis de passer en revue les antécédents professionnels des deux employés.

(i)  MTM et la mine McArthur River

[6]  MTM, entreprise de construction œuvrant dans le domaine de l’exploitation minière souterraine, a démarré ses activités en 1997. Il s’agit d’une coentreprise qui réunit Thyssen Mining et plusieurs groupes métis et des Premières Nations. Elle mène des projets à divers emplacements situés dans le nord de la Saskatchewan, y compris à la mine McArthur River, mine d’uranium dont Cameco est la propriétaire et l’exploitante. Le 1er juillet 2014, Cameco a conclu un contrat avec MTM pour l’exécution de certains travaux à McArthur River.

[7]  La mine McArthur River se trouve dans un endroit isolé : les employés de MTM s’y rendent par avion et sont hébergés sur place pendant toute la période où ils sont en service. Puis, ils quittent les lieux par avion lorsqu’ils sont en congé. Tous les employés qui travaillent à la mine vivent dans des installations fournies par Cameco.

[8]  Par définition, l’exploitation minière souterraine est une activité dangereuse. Dans les mines souterraines de roche dure, les entreprises de travaux souterrains telles que MTM doivent utiliser de la machinerie lourde et des explosifs. Cela signifie que leurs employés travaillent dans des galeries ou des espaces plus larges qui ont été creusés par forage et dynamitage, généralement dans la noirceur la plus totale, seuls ou en petits groupes. Il ne s’agit pas d’un contexte industriel comme les autres; il est d’ailleurs impossible d’assurer une surveillance et un encadrement réguliers de tous les employés pendant leur quart de travail. Normalement, le superviseur de quart réunit ses employés au début du quart pour leur assigner leurs tâches pour la journée; bien souvent, il ne les revoit ensuite qu’à la fin du quart. Les superviseurs contrôlent le travail en cours, mais ils ne sont généralement pas en mesure d’observer le travail de tous les mineurs du début à la fin de leur quart.

[9]  Comme nous le verrons dans le détail plus loin, Cameco s’est dotée d’une politique stricte en matière de consommation d’alcool et de drogues. Elle oblige aussi les entrepreneurs affectés aux travaux sur le site de sa mine, comme MTM, à se doter eux aussi de politiques au moins aussi exigeantes que la sienne envers leurs employés. En vertu de la politique de Cameco, toute consommation de drogues est interdite sur le site minier; il est en outre interdit aux employés d’exercer leurs fonctions lorsqu’ils ont les facultés affaiblies par la drogue ou l’alcool. En ce qui concerne les postes critiques pour la sécurité, la politique permet d’exiger un test de dépistage de drogue [TRADUCTION] « dans tous les cas où il existe des motifs raisonnables de croire que les actes, l’apparence ou la conduite d’une personne au travail donnent à penser que de l’alcool ou d’autres drogues sont consommés ». Elle énonce la procédure à suivre lorsqu’il est décidé d’exiger un test de dépistage. Enfin, la politique mentionne clairement que toute violation de ses dispositions justifiera la prise de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.

[10]  MTM a adopté sa propre politique sur l’abus d’alcool et de drogues, laquelle proscrit aussi la possession et la consommation de substances interdites au travail et permet d’exiger un test de dépistage [TRADUCTION] « [l]orsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’un employé s’est présenté au travail ou qu’il travaille sous l’influence d’une drogue illicite, d’un médicament ou de l’alcool […] ». Par ailleurs, la politique précise que [traduction] « [l]e dépistage pour soupçons raisonnables est fondé sur la conduite ou l’attitude de l’employé telle qu’elle est observée par un superviseur formé pour détecter la consommation probable de drogues ou d’alcool » (article 1.5).

[11]  Il faut signaler qu’en date du 31 janvier 2018, Cameco avait suspendu la production à la mine McArthur River et que MTM n’avait plus d’employés travaillant sur ce site.

(ii)  Les antécédents professionnels des défendeurs

[12]  M. Campbell a travaillé pour MTM d’avril 2011 à juin 2015, puis a été réembauché par l’entreprise le 24 novembre 2015. Pendant toute cette période, il avait exercé divers emplois de plus en plus spécialisés et, du 1er mai 2016 jusqu’à son congédiement, il occupait un poste de « mineur I » (après avoir travaillé aux échelons inférieurs de « mineur III » et « mineur II »). Il touchait un salaire horaire de 25 $, majoré d’une prime de 25 $ l’heure, et effectuait des quarts de 12 heures selon un horaire alternant 14 jours de travail et 14 jours de repos.

[13]  M. Billette a travaillé pour MTM de septembre 2006 jusqu’à son congédiement, en janvier 2007. L’entreprise l’a réembauché le 1er février 2010 comme « mineur I »; en février 2013, il a été muté au poste d’opérateur de machine de boulonnage, poste qu’il a conservé jusqu’à son congédiement. Il touchait alors un salaire horaire de 35 $ et une prime de 25 $ l’heure.

[14]  Les défendeurs occupaient des postes critiques pour la sécurité qui exigeaient des compétences et une expérience particulières. Le mineur I était appelé à faire régulièrement usage d’explosifs pour dynamiter la roche, alors que l’opérateur de machine de boulonnage utilisait de la machinerie lourde pour fixer des boulons dans la roche, soit pour stabiliser cette dernière, soit pour retenir le grillage métallique empêchant les plus petits morceaux de roche de se détacher et de tomber sur les ouvriers.

(iii)  Les événements à l’origine des congédiements

[15]  Lors du quart de nuit du 22 février 2017, qui avait commencé à 18 h 30 pour se terminer à 6 h 30 le lendemain, les défendeurs faisaient partie d’une équipe de dix personnes dirigée par M. Grandmaison. À la fin du quart de travail, M. Grandmaison a demandé à un membre de l’équipe si tout s’était bien passé; celui-ci s’est plaint de M. Campbell, expliquant que [TRADUCTION] « certains gars ne veulent pas travailler en équipe » et qu’il ne voulait plus travailler avec M. Campbell. La conversation a été en partie entendue par M. MacPhee, un des chefs de chantier et supérieur hiérarchique de M. Grandmaison. M. MacPhee a invité M. Grandmaison à déterminer ce qui se passait entre les employés.

[16]  Lors du quart de travail suivant, au soir du 23 février 2017, M. Grandmaison s’est enquis de M. Campbell auprès d’autres ouvriers, qui lui ont fait part de doléances variées. L’un d’eux a déclaré ceci : [traduction] « [V]ous tous savez très bien ce qu’il se passe et vous devriez régler cela ». M. Grandmaison s’est dit que les employés faisaient allusion à la consommation de drogues, malgré l’absence d’allégations explicites en ce sens. Il croyait qu’avant de pouvoir demander aux défendeurs de se soumettre à un test de dépistage de drogue, il lui fallait soit obtenir une déclaration écrite d’un collègue de travail, soit prendre les défendeurs en flagrant délit de consommation de drogue. Il ne pensait pas que les plaintes reçues au sujet de leur attitude ou de leur manque d’esprit d’équipe pouvaient permettre la prise d’autres mesures.

[17]  Le 24 février 2017, M. MacPhee a demandé à l’employé qui avait été le premier à se plaindre de M. Campbell de faire une déclaration écrite. Le travailleur a donc écrit que lors du quart de nuit du 22 au 23 février 2017, il avait travaillé avec MM. Campbell et Billette. Ils travaillaient ensemble à la pose de buses d’aérage. Selon ce travailleur, les défendeurs [traduction] « avaient tous deux fumé de la drogue, toute la matinée, et ils le faisaient quotidiennement ». Lorsqu’il a témoigné devant l’arbitre, le travailleur a précisé les propos figurant dans sa déclaration écrite. Il a affirmé avoir vu les défendeurs fumer de la marijuana dans des tubes de plastique à plusieurs reprises pendant ce quart de travail. Il savait qu’il s’agissait de marijuana parce qu’il en avait reconnu l’odeur. Il a expliqué qu’il avait décidé de fournir une déclaration écrite parce que les défendeurs fumaient ouvertement de la drogue et qu’à son avis, la situation prenait des proportions démesurées.

[18]  M. MacPhee a consulté ses supérieurs et quelques membres du personnel de Cameco, et ils ont jugé que la déclaration écrite leur donnait un motif raisonnable de demander aux défendeurs de subir un test de dépistage de drogue et de fouiller leurs chambres et leurs casiers.

[19]  Le matin du 24 février 2017, les deux défendeurs ont été réveillés et leurs chambres, fouillées. Aucune drogue ni aucun article lié à l’usage de drogues n’a été trouvé dans les chambres. De même, la fouille des casiers n’a pas permis de découvrir quoi que ce soit qui se rapporte à la possession ou à la consommation de drogues.

[20]  M. MacPhee a alors informé les deux hommes qu’ils auraient à fournir un échantillon de leur urine en vue d’un test de dépistage. Il leur a dit qu’il y avait des « soupçons », sans plus de précisions. Il a ajouté que le refus de se soumettre au test entraînerait leur congédiement.

[21]  Les deux défendeurs ont nié avoir consommé de la drogue avant ou pendant leur quart de travail. Ils ont refusé de subir le test de dépistage : ils estimaient que l’employeur n’avait pas de motif raisonnable de procéder à ce test et qu’ils étaient injustement montrés du doigt. Par ailleurs, les défendeurs disaient s’inquiéter de la possibilité d’obtenir un résultat de test positif, ayant consommé de la drogue pendant leur congé, avant de reprendre leur service le 20 février 2017. MTM a congédié les deux défendeurs pour refus de fournir un échantillon pour les besoins du test de dépistage de drogue. Cameco a aussi révoqué leurs privilèges de camp.

[22]  Le 17 mars 2017, M. Billette a déposé une plainte de congédiement injuste auprès d’Emploi et Développement social Canada. M. Campbell a déposé sa plainte le 21 mars 2017. MTM a nié l’allégation et les plaintes ont été renvoyées à l’arbitrage. À la demande de toutes les parties, elles ont été instruites conjointement.

III.  La décision visée par le contrôle

[23]  Dans ses motifs, l’arbitre a d’abord passé en revue les faits exposés ci-dessous, notamment la nature du travail exécuté par MTM, les antécédents professionnels des défendeurs, les incidents à l’origine de la demande de tests de dépistage et le refus des défendeurs de se plier à cette demande. Ensuite, l’arbitre a noté que, pour chaque défendeur, elle était appelée à décider si le congédiement était injuste et, le cas échéant, à déterminer quelle était la réparation indiquée.

[24]  Après avoir résumé les arguments des parties, l’arbitre a procédé à l’analyse de chaque demande de congédiement injuste. L’employeur, signale-t-elle, prétendait avoir un motif valable de congédiement parce que les défendeurs avaient enfreint les règles de l’entreprise, notamment la politique sur l’abus d’alcool et de drogues. En outre, MTM soutenait que le refus d’obtempérer à la demande de test de dépistage de drogue constituait de l’insubordination.

[25]  L’arbitre a jugé que, sur la question du dépistage de drogue, la politique de MTM sur l’abus d’alcool et de drogues était raisonnable parce qu’elle s’appliquait à un lieu de travail dangereux et qu’elle n’autorisait les tests qu’en présence de motifs raisonnables de soupçonner qu’un employé a les facultés affaiblies par la drogue ou l’alcool. En ce sens, elle est conforme aux prescriptions énoncées dans des arrêts de principe tels que Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 [Pâtes & Papier Irving], et Entrop c Imperial Oil Ltd. (2000), 50 O.R. (3d) 18 (C.A. Ont.) [Entrop].

[26]  Dans l’affaire qui nous intéresse, la question qui se posait à l’arbitre était de savoir si MTM avait des motifs raisonnables de soupçonner que les défendeurs s’étaient présentés au travail ou qu’ils travaillaient sous l’influence d’une drogue illicite.

[27]  Selon l’arbitre, la jurisprudence comme les politiques de MTM et de Cameco exigent que la demande de test repose sur des observations de la conduite de l’employé au travail. À ce sujet, le cœur de son analyse est contenu dans le passage suivant :

[traduction] Ce qui ressort à la fois de la jurisprudence et de la politique de MTM sur l’alcool et les drogues, c’est que les motifs raisonnables désignent les observations directes d’un superviseur – et dans le cas de MTM, d’un superviseur formé à cette fin , observations qui le portent à croire que l’employé observé travaillait alors qu’il avait les facultés affaiblies par une drogue illicite.

[…]

Il n’est dit nulle part dans la jurisprudence ou la politique de MTM sur l’abus d’alcool et de drogues que la déclaration non corroborée d’un collègue faite 24 heures après la consommation présumée de drogue constitue un motif raisonnable de soupçonner que l’employé avait les facultés affaiblies alors qu’il était au travail.

Il manque donc un élément, puisqu’aucun superviseur, plus précisément aucun superviseur ayant la formation nécessaire, n’a observé que les facultés [des défendeurs] étaient affaiblies par la drogue lors du quart de travail du 22 au 23 février 2017. Cela vaut malgré le fait que [le] superviseur [les] a vus au début et à la fin du quart et qu’il était en mesure de [les] observer pendant ce quart et pendant le quart du lendemain.

[28]   De plus, l’arbitre a signalé que le superviseur et les autres cadres n’avaient pas suivi la procédure établie dans la politique de MTM sur l’abus d’alcool et de drogues lors de la conduite des tests de dépistage de drogue. Ils n’ont pas procédé aux entretiens obligatoires ni offert aux employés la possibilité d’expliquer la situation avant de leur donner l’ordre de subir un test.

[29]  Se fondant sur cette analyse, l’arbitre a conclu que MTM n’avait pas établi l’existence de soupçons raisonnables et que l’ordre de subir le test était par conséquent invalide. Les employés étaient en droit de refuser de se soumettre au test et leur refus ne constituait pas de l’insubordination. L’arbitre a donc fait droit aux plaintes de congédiement injuste des défendeurs.

[30]  Sur la question de la réparation indiquée, l’arbitre a jugé que les défendeurs avaient droit aux revenus qu’ils auraient perçus à compter de la date de leur congédiement jusqu’au 31 janvier 2018 (la date de fermeture de la mine McArthur River), après déduction des revenus qu’ils ont tirés d’autres sources. Ayant conclu que les deux défendeurs avaient fait des efforts raisonnables pour limiter leurs pertes en cherchant un autre emploi, et tenu compte du salaire qu’ils avaient touché après leur congédiement, elle a accordé à M. Billette la somme de 22 463,55 $ (moins les retenues obligatoires, le cas échéant). À M. Campbell, elle a accordé une somme identique, mais à l’audience que j’ai présidée, la demanderesse a reconnu qu’il s’agissait d’une erreur et que M. Campbell aurait dû recevoir 28 947,19 $ (moins les retenues obligatoires, le cas échéant).

[31]  Par ailleurs, l’arbitre a ordonné la réintégration des deux défendeurs dans les postes qu’ils occupaient respectivement au moment de leur congédiement ainsi que le rétablissement des privilèges qu’ils auraient eus, notamment en matière de mise en disponibilité, s’ils avaient travaillé pour MTM au moment de la cessation des activités. Enfin, l’arbitre a enjoint à MTM de faire rétablir les privilèges d’hébergement en camp accordés par Cameco aux défendeurs.

[32]  MTM sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la sentence arbitrale.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[33]  La présente affaire soulève trois questions :

  i.  L’arbitre a-t-elle commis une erreur en concluant que les congédiements étaient injustes?

  1. L’arbitre a-t-elle commis une erreur en concluant que les défendeurs avaient fait des efforts raisonnables pour limiter leurs pertes?

  2. L’arbitre a-t-elle commis une erreur en ordonnant à MTM de faire rétablir les privilèges d’hébergement en camp accordés par Cameco aux défendeurs?

[34]  MTM soutient que les deux premières questions doivent être examinées au regard de la norme de la décision raisonnable, alors que la troisième appelle l’application de la norme de la décision correcte, puisqu’elle fait intervenir une question de compétence. Lorsque la présente affaire a été plaidée, l’arrêt faisant autorité sur la question de la norme de contrôle et celle du caractère raisonnable d’une décision était Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Depuis, la Cour suprême du Canada a revu et actualisé le cadre d’analyse applicable dans les arrêts Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, et Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes]. Compte tenu de ce qui est dit au paragraphe 144 de l’arrêt Vavilov et des faits de la présente affaire, je ne vois aucune raison de demander aux parties de me faire part d’observations supplémentaires, que ce soit au sujet de la norme qu’il convient d’appliquer ou de la manière de l’appliquer. Comme il est indiqué au paragraphe 24 de l’arrêt Société canadienne des postes, le résultat en l’espèce aurait été le même, que l’un ou l’autre cadre d’analyse soit appliqué.

[35]  Dans Vavilov, la Cour suprême a statué qu’il existait une présomption voulant que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable, même dans le cas de la plupart des questions de compétence (par. 23 et 63 à 68). Cette présomption souffre trois exceptions, mais aucune ne s’applique en l’espèce. Cette conclusion va dans le sens du courant jurisprudentiel récent sur la question (voir Canada (Commission des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31).

[36]  Dans l’arrêt Société canadienne des postes, la Cour suprême a appliqué le cadre d’analysé tiré de Vavilov au contrôle judiciaire d’une décision rendue par une agente de santé et de sécurité en vertu du Code pour conclure que la norme de la décision raisonnable s’appliquait. Dans Banque de Montréal c Li, 2020 CAF 22, la Cour d’appel fédérale est arrivée à une conclusion analogue relativement à un appel interjeté dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision rendue par un arbitre sous le régime du Code.

[37]  Il s’ensuit que la norme de contrôle applicable à l’ensemble des questions soulevées dans la présente affaire est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes, la Cour suprême du Canada a défini les attributs de la décision raisonnable selon le cadre d’analyse établi dans Vavilov :

[31]  La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32]  La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

V.  Analyse

(i)  L’arbitre a-t-elle commis une erreur en concluant que les congédiements étaient injustes?

(1)  Les observations de MTM

[38]  Le cœur de l’argumentation de la demanderesse sur cette question consiste à dire que l’arbitre a commis une erreur en exigeant qu’un superviseur ait observé directement la consommation de drogue :

[traduction] L’arbitre a conclu que, pour qu’il y ait un motif raisonnable d’exiger un test lorsqu’un employé est observé directement en train de consommer de la drogue au travail, il faut que l’observation ait été faite par un superviseur. Or, il n’y a, dans la politique de MTM sur l’abus d’alcool et de drogues, les politiques de Cameco en matière de drogue ou les lois, rien qui autorise une telle interprétation.

[39]  La demanderesse avance plusieurs arguments. Premièrement, elle soutient que, s’agissant de sa propre politique, l’arbitre a commis une erreur en en décortiquant les mots et en retenant une interprétation excessivement littérale sans tenir dûment compte du contexte ou des réalités opérationnelles. Deuxièmement, MTM fait valoir que le libellé de la politique devrait faire l’objet d’une interprétation plus souple.

[40]  MTM estime que l’interprétation de la politique devrait reposer sur le bon sens. L’arbitre s’est principalement fondée sur l’énoncé suivant de la politique : [TRADUCTION] « Le dépistage pour soupçons raisonnables est basé sur la conduite ou l’attitude de l’employé telle qu’elle est observée par un superviseur formé pour détecter la consommation probable de drogues ou d’alcool. » MTM soutient qu’il faut interpréter cette disposition comme s’il y avait une virgule après le mot « conduite », de sorte que les tests de dépistage seraient autorisés dans deux situations : sur la base de la conduite de l’employé, et sur la base de l’attitude de l’employé observée par un superviseur formé.

[41]   Pour tenter d’étayer cet argument militant pour une interprétation plus souple de la politique, MTM cite la phrase suivante de cette même disposition, où l’on peut lire : [traduction] « Les situations pouvant donner lieu à un test de dépistage pour soupçons raisonnables comprennent… » À l’évidence, un tel libellé introduit une liste non exhaustive d’exemples de situations pouvant justifier un test. Une telle interprétation cadre avec l’objet de la politique, qui est d’éclairer les employés quant aux types de situations permettant d’exiger un test de dépistage de drogue, plutôt que d’en dresser une liste exhaustive. Ainsi, MTM soutient que l’interprétation retenue par l’arbitre n’est pas raisonnable, parce qu’elle rendrait impossible la mise en œuvre de la politique dans le contexte d’une exploitation minière souterraine.

[42]   En outre, MTM fait valoir qu’elle était tenue, en vertu des termes du contrat principal de travaux conclu avec Cameco, d’appliquer la politique de Cameco en plus d’adopter sa propre politique qui se devait d’être [TRADUCTION] « au moins aussi stricte que celle de Cameco ». Or, la politique de Cameco n’exige pas que la consommation de drogues ou les facultés affaiblies soient observées par un superviseur.

[43]   Par ailleurs, MTM évoque un consensus parmi la communauté des arbitres sur ce qui constitue un motif raisonnable d’exiger que le titulaire d’un poste critique pour la sécurité se soumette à un test de dépistage de drogue et elle signale l’existence de sentences arbitrales ayant confirmé des congédiements fondés sur l’observation directe de la consommation de drogues au travail par un autre employé : Canadian National Railway Company c United Steel Workers of America, Local 2004, 2007 CarswellNat 6559 (Can ROA). La demanderesse fait aussi valoir que l’exigence voulant que l’observation soit effectuée par un superviseur ne repose sur aucune raison de principe.

[44]  MTM soutient que l’arbitre a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’elle est légalement tenue de protéger la santé et le bien-être de ses employés et de prendre toutes les mesures raisonnables pour faire en sorte qu’aucun employé ne travaille dans une mine en ayant les facultés affaiblies par l’alcool, la drogue ou une autre substance. Comme le confirme la jurisprudence, la sûreté et la sécurité sont des considérations primordiales dans le cas des mines souterraines : Noranda Minerals Inc. c Canadian Union of Base Metal Workers (1995), 49 LAC (4th) 46, par. 30.

[45]  La demanderesse cite des décisions de principe telles que Entrop et Pâtes & Papier Irving, dans lesquelles il a été établi qu’un employeur pouvait exiger d’un employé occupant un poste critique pour la sécurité qu’il se soumette à un test de dépistage de drogue ou d’alcool en cas de motif raisonnable de soupçonner qu’il avait les facultés affaiblies alors qu’il était en service. En l’espèce, la consommation effective de drogue des défendeurs au travail a été observée et signalée par un collègue. Ce fait, conjugué à d’autres rapports concernant la consommation de drogues des défendeurs, établissait l’existence d’un motif raisonnable de procéder à un dépistage. Dans les milieux où la sécurité constitue un aspect critique, il convient de s’en remettre au jugement de l’employeur, s’il est démontré que celui-ci a agi de bonne foi : Canadian National Railway and CAW, Local 100, Re, (2013) 230 LAC (4th) 148, par. 14.

[46]   Sur la base de ce qui précède, la demanderesse affirme que l’arbitre a erré à la fois dans son interprétation de la politique et dans sa conclusion, selon laquelle la décision de procéder à un test n’était justifiée par aucun motif raisonnable du fait de l’absence d’observation directe de la consommation de drogues ou de la présence de facultés affaiblies par un superviseur. C’est pourquoi, ajoute-t-elle, il convient de confirmer la conclusion selon laquelle le congédiement était injuste, à la fois pour violation de la politique et pour insubordination.

(2)  Les observations des défendeurs

[47]  Les défendeurs soutiennent que la décision de l’arbitre est fondée sur le droit et les faits et qu’elle ne devrait pas être infirmée, notamment parce que ce qui est demandé en l’espèce est le contrôle judiciaire de cette décision et non une nouvelle instruction de l’affaire au fond.

[48]  Les défendeurs ne contestent pas qu’ils ont été informés de la politique de Cameco. En revanche, ils soulignent que dans la formule qu’ils ont signée, ils reconnaissaient avoir lu et compris la politique de MTM, et que d’après cette formule, la politique de MTM constituait une condition de leur emploi et que tout manquement à cette dernière était susceptible d’entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement. La formule ne faisait aucune allusion à la politique de Cameco, encore moins au fait qu’elle constituait aussi une condition de leur emploi. Par conséquent, ils soutiennent que la seule politique qui les liait était celle de MTM.

[49]  Les défendeurs signalent que le contrat principal intervenu entre Cameco et MTM obligeait MTM à se doter d’un programme de lutte contre l’alcool et les drogues qui soit [TRADUCTION] « au moins aussi stric[t] que celui de Cameco ». Cette obligation est conforme à la volonté de Cameco, constamment répétée, de dépasser les exigences légales minimales dans le but d’assurer la sécurité du lieu de travail. Selon eux, la politique de MTM était plus stricte que celle de Cameco, parce qu’elle prévoyait qu’une observation directe, effectuée par un superviseur formé, était nécessaire pour que l’employeur puisse raisonnablement exiger un dépistage d’alcool ou de drogues. C’est ce qu’impose la politique de MTM, et sans observation effective de la part d’un superviseur formé, l’entreprise n’a pas de motif raisonnable d’exiger un test de dépistage de drogue. Si MTM jugeait cette obligation trop restrictive, elle aurait pu modifier sa politique.

[50]  Ayant constaté que le caractère raisonnable de la politique de MTM n’est pas en soi en litige et que l’arbitre a expressément conclu que la politique sur le dépistage des drogues respectait le critère du caractère raisonnable énoncé dans la jurisprudence, les défendeurs soutiennent que l’arbitre a conclu à juste titre que la seule question qui se posait à elle était de savoir si MTM avait démontré qu’elle avait des motifs raisonnables d’exiger un test de dépistage de drogue. Selon eux, la décision de l’arbitre est fondée sur la preuve et elle exigeait simplement que l’employeur se conforme au texte de sa propre politique. Puisqu’il a échoué à le faire, l’employeur ne peut aujourd’hui prétendre que la décision de l’arbitre est déraisonnable.

[51]  Les défendeurs estiment que les décisions arbitrales invoquées par la demanderesse sur la question du dépistage fondé sur des motifs raisonnables sont différentes sur le plan des faits, parce qu’elles portent sur des cas où un test a été exigé à la suite d’un incident survenu au travail et qu’en l’espèce, les défendeurs ne sont associés à aucun incident.

[52]  De plus, les défendeurs pensent que les arguments de MTM ayant trait à l’insubordination doivent aussi être rejetés, parce que l’arbitre a bien tenu compte du caractère critique de leur travail et des obligations que la loi impose à l’employeur. Selon eux, la décision de l’arbitre est conforme à la jurisprudence pertinente et les décisions invoquées par la demanderesse sont différentes sur le plan des faits.

[53]  Ils soutiennent que le non-respect par l’employeur de sa propre politique porte un coup fatal à son argument selon lequel les défendeurs auraient délibérément désobéi à un ordre valide; partant, les conclusions de l’arbitre sur la question de l’insubordination ne sauraient être modifiées.

(3)  Discussion

[54]  La question du dépistage de drogue au travail a fait l’objet de nombreuses décisions et, pour l’essentiel, les parties et l’arbitre reconnaissent les mêmes arrêts de principe, dont Pâtes & Papier Irving et Entrop. Il n’est pas nécessaire de retracer l’évolution générale de ce domaine du droit. Compte tenu de la nature des plaintes dont était saisie l’arbitre, il était raisonnable qu’elle conclue que l’affaire ne remettait pas en cause la validité de la politique de MTM. Cette conclusion n’est pas contestée en l’espèce.

[55]  L’arbitre a conclu qu’elle devait déterminer si les règles applicables au dépistage de drogues étaient raisonnables et, le cas échéant, si MTM avait un motif raisonnable d’exiger que les défendeurs subissent un test. En suivant les orientations données dans les arrêts de principe, l’arbitre a conclu que les règles de la politique de MTM sur le dépistage de drogue respectaient le critère du caractère raisonnable, car elles autorisent les tests uniquement lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’un employé travaille avec les facultés affaiblies par la drogue ou l’alcool et que le milieu de travail visé comprend des postes critiques pour la sécurité. Cette conclusion n’est pas contestée non plus.

[56]  En fait, le cœur du débat entre les parties porte sur la conclusion de l’arbitre selon laquelle MTM n’avait pas de motifs raisonnables de faire subir un test aux défendeurs. L’issue de ce débat dépend du caractère raisonnable de l’interprétation que l’arbitre fait des exigences prévues dans la politique de MTM et du lien entre cette dernière et la politique de Cameco, ainsi que de sa façon d’appliquer le tout aux faits.

[57]  Dans le cadre de cette analyse, il est important de rappeler la mise en garde faite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov sur la façon de procéder à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable :

[83]  Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28; voir aussi Ryan, par. 50-51. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif – ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu.

[58]  Si on applique ce qui précède à la présente affaire, la question n’est donc pas de savoir si les politiques de MTM ou de Cameco sont raisonnables, selon le cadre établi par la jurisprudence faisant autorité en matière de dépistage de drogue au travail, parce que personne n’a contesté la validité de ces politiques. La question consiste plutôt à se demander si la décision de l’arbitre est raisonnable, autrement dit si elle tient compte du contexte juridique et factuel de l’affaire et si l’analyse démontre la justification de la décision et sa cohérence sur le plan de la logique.

[59]  Les motifs n’ont pas à être parfaits ni à aborder chaque élément factuel ou point de droit. En fait, la norme de la décision raisonnable, fondée sur la déférence, commande plutôt que le contrôle traduise le choix du législateur de confier à un décideur spécialisé la tâche de rechercher les faits dans les affaires de cette nature. Ainsi, lorsqu’elle examine les motifs, la Cour doit déterminer si la décision est « justifiée, intelligible et transparente » pour les parties touchées.

[60]   À cette fin, elle doit notamment se demander si les motifs révèlent que le décideur a traité des principaux arguments présentés par les parties sur les points clés. Il est également important qu’elle détermine s’il est possible d’en suivre le raisonnement et de comprendre comment le décideur est arrivé aux principales conclusions qui fondent sa décision. En clair, les motifs fournis par l’arbitre permettent à la Cour de « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » (Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, par. 11, passage cité et approuvé au par. 97 de l’arrêt Vavilov).

[61]  Ici, le principal point de discorde a trait à l’interprétation que fait l’arbitre de la politique de MTM par rapport aux faits de l’espèce. Le tout s’articule autour d’une question centrale, soit celle de savoir s’il était raisonnable de la part de l’arbitre de conclure que, suivant la politique, il était nécessaire que la consommation de drogue ou les facultés affaiblies de l’employé soient observées par un superviseur dûment formé.

[62]  La demanderesse prétend que ce n’est pas ce que dit la politique et qu’il serait aberrant d’adopter des règles aussi restrictives dans le contexte d’une exploitation minière souterraine, car cela pourrait signifier que l’employeur se dérobe à l’obligation que lui impose la loi, soit de fournir un lieu de travail sécuritaire. Elle prétend aussi qu’elle était tenue d’appliquer la politique de Cameco, laquelle ne fait pas de l’observation par un superviseur le seul motif acceptable pour exiger un test de dépistage. La demanderesse estime qu’au lieu d’analyser de si près les termes de la politique, l’arbitre aurait dû adopter une interprétation plus large qui tienne compte du contexte opérationnel entourant l’application de cette politique.

[63]  Les défendeurs répondent que l’arbitre a simplement appliqué le texte — qui est clair – de la seule politique par laquelle ils sont visés : la politique de MTM. Si la demanderesse est insatisfaite du résultat, il fallait qu’elle adopte une politique différente. Selon les défendeurs, l’arbitre n’a pas commis d’erreur en suivant le sens ordinaire des termes de la politique de MTM.

[64]  Sur ce point, la décision de l’arbitre reproduit le passage de la politique de MTM expliquant ce qu’il faut entendre par « motifs raisonnables d’exiger un test de dépistage de drogue » : [TRADUCTION] « Le dépistage pour soupçons raisonnables est basé sur la conduite ou l’attitude de l’employé telle qu’elle est observée par un superviseur formé pour détecter la consommation probable de drogues ou d’alcool. » De l’avis de l’arbitre, cette définition est conforme à la jurisprudence citée par MTM dans le cadre de son argumentation; de plus, elle fait écho à la politique de Cameco, qui souligne que [TRADUCTION] « la demande de dépistage sera motivée par une observation directe et personnelle ». Et l’arbitre de conclure :

[traduction] Ce qui ressort à la fois de la jurisprudence et de la politique de MTM sur l’alcool et les drogues, c’est que les motifs raisonnables désignent les observations directes d’un superviseur — et dans le cas de MTM, d’un superviseur formé à cette fin —, observations qui le portent à croire que l’employé observé travaillait alors qu’il avait les facultés affaiblies par une drogue illicite.

[65]   L’arbitre examine ensuite la preuve relative aux motifs sur lesquels s’est appuyée MTM pour exiger que les défendeurs se soumettent à un test de dépistage de drogue. Elle conclut : [traduction] « Il n’est dit nulle part dans la jurisprudence ou la politique de MTM sur l’abus d’alcool et de drogues que la déclaration non corroborée d’un collègue faite 24 heures après la consommation présumée de drogue constitue un motif raisonnable de soupçonner que l’employé avait les facultés affaiblies alors qu’il était au travail. » L’arbitre note que rien ne laisse croire que les défendeurs ont été observés par un superviseur formé au cours du quart de travail du 22 au 23 février 2017, malgré le fait que le superviseur les a croisés au début et à la fin du quart et qu’il a eu largement l’occasion de faire les observations qui s’imposaient.

[66]  L’arbitre conclut également que MTM n’a pas suivi la procédure prévue dans sa politique en ce qui concerne la façon de mener les tests de dépistage, parce qu’elle n’a pas convoqué les défendeurs en entrevue et ne leur a pas non plus donné la possibilité d’expliquer la situation avant de les sommer de se soumettre au dépistage.

[67]  Se fondant sur cette analyse, l’arbitre a conclu que [traduction] « l’ordre de subir un test de dépistage de drogue n’était pas valide parce que ces conditions préalables découlant de la loi et de la politique de MTM sur l’abus d’alcool et de drogues n’ont pas été respectées. Aucun motif raisonnable n’a été établi et [les défendeurs] étaient en droit de refuser de se soumettre au test de dépistage de drogue qui portait atteinte à [leur] droit à la vie privée ». Par ailleurs, l’arbitre a aussi jugé que les défendeurs n’avaient pas fait preuve d’insubordination, là encore en raison de l’invalidité de l’ordre de subir un test.

[68]  Bien que je comprenne les raisons pour lesquelles la demanderesse soutient que l’application stricte du texte de la politique est susceptible de leur créer des difficultés, je ne suis pas convaincu que la décision prise par l’arbitre sur ce point soit déraisonnable. Même si la jurisprudence n’est pas unanime quant à la nécessité qu’une demande de dépistage de drogue soit basée sur l’observation d’un supérieur, il ne peut être reproché à l’arbitre d’avoir appliqué les termes explicites de la politique de MTM aux faits de l’espèce.

[69]  L’interprétation retenue par l’arbitre a sa source dans le libellé même de la politique. Cette interprétation est en effet renforcée par d’autres dispositions de la politique, dont l’article 2.3, portant sur la formation offerte au superviseur :

[traduction] Les superviseurs suivront le même programme général de sensibilisation, de formation et d’éducation sur les dangers de l’alcool et de la drogue que celui que l’entreprise offre à ses employés. De plus, ils recevront une formation qui leur permettra d’exercer équitablement leur pouvoir décisionnel quant à l’existence de « soupçons raisonnables ». Le programme de formation destiné aux superviseurs vise l’acquisition de la capacité de reconnaître le profil de l’employé à risque tout en évitant de réagir avec excès, en cas de soupçons d’abus d’alcool ou de drogues qui se révèlent sans fondement, ce qui risquerait de contrarier les attentes légitimes de l’employé en matière de respect de la vie privée et de confidentialité.

[70]  Il s’agit essentiellement de conclusions de fait que pouvait tout à fait tirer l’arbitre au regard du dossier. Or, à moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision n’a pas vocation à modifier les conclusions de fait d’un décideur administratif. Comme le confirme l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125, « les cours de révision doivent […] s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur” ».

[71]  Je ne puis souscrire à l’argument de MTM voulant que l’arbitre ait adopté une interprétation trop littérale de la politique. Le dépistage de drogues au travail touche à d’importants intérêts de part et d’autre. D’un côté, l’employeur souhaite assurer la sécurité du lieu de travail et respecter ses obligations d’origine législative en la matière. La société a reconnu qu’il s’agit d’un intérêt légitime qui doit être protégé. De l’autre côté, les employés souhaitent préserver leur vie privée et ne veulent pas être forcés de se soumettre à des tests attentatoires sans motif raisonnable. Là encore, la société reconnaît le caractère légitime de cet intérêt et la nécessité de le protéger. En fait, dans ses dispositions liminaires, la politique de MTM reconnaît l’importance de ces deux intérêts, tout comme les dispositions sur la formation des superviseurs citées précédemment. Dans un tel contexte, il était raisonnable que l’arbitre donne effet au sens manifeste de la politique.

[72]  En outre, je ne suis guère convaincu que l’interprétation proposée par la demanderesse soit la seule qui pouvait raisonnablement être faite de la phrase clé. MTM prétend que la politique devrait s’interpréter de manière à permettre les tests dans deux situations distinctes : sur la base de la conduite de l’employé, ou sur la base de l’observation d’un superviseur. Elle soutient que dans la phrase en question, il faut supposer la présence d’une virgule entre les références à la conduite de l’employé et à l’attitude observée. Je n’en suis pas convaincu. Par ailleurs, il n’appartient pas à la cour de révision d’arrêter une nouvelle interprétation de la politique. L’interprétation de l’arbitre était raisonnable, compte tenu du texte de la politique et du contexte entourant son application.

[73]  Sur ce point, la demanderesse axe ses arguments sur des considérations de politique générale se rapportant aux conséquences associées au fait d’autoriser les tests de dépistage de drogue uniquement dans les cas où l’employé a fait l’objet d’une observation directe de la part d’un superviseur. La crainte est légitime et il est utile de souligner que la politique de Cameco semble formulée en termes plus permissifs. Mentionnons également que la politique de MTM semble permettre l’imposition de sanctions disciplinaires à l’employé qui a été observé par un autre travailleur, si l’on en croit le libellé des articles 1.1 et 1.3. L’arbitre n’était pas appelée à se prononcer sur cet aspect parce que l’employeur n’a pas plaidé qu’il avait un motif raisonnable de licencier les défendeurs en raison de leur consommation de drogues ou de leurs facultés affaiblies. Il a plutôt fondé sa cause sur leur refus de subir le test de dépistage de drogue.

[74]  L’arbitre a reproduit le texte de la disposition régissant explicitement le dépistage fondé sur des soupçons raisonnables (l’article 1.5) et a appliqué le sens ordinaire de ses mots aux faits présentés. Dans sa décision, elle note que les défendeurs ont signé une formule par laquelle ils reconnaissaient qu’ils étaient au courant de la politique de MTM et qu’elle constituait une condition de leur emploi; toutefois, aucune preuve n’indiquait qu’ils avaient signé une formule analogue relativement à la politique de Cameco. La preuve révélait qu’ils avaient signé une formule établie par Cameco qui portait sur les fouilles dans leurs quartiers et de leurs effets personnels pendant qu’ils se trouvaient sur le site minier, mais pas sur la politique même. De plus, rien n’indique que MTM avait l’intention de congédier les défendeurs parce qu’ils avaient enfreint sa propre politique ainsi que celle de Cameco. Enfin, MTM reconnaît que pendant toute la période en cause, les défendeurs étaient ses employés, et non ceux de Cameco. Il était donc raisonnable de conclure que la politique de Cameco n’avait pas joué dans le congédiement des employés. Pour l’essentiel, je ne puis admettre les arguments de la demanderesse concernant le volet de la décision de l’arbitre portant sur le caractère injuste du congédiement. Les motifs reposent sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’arbitre était assujettie. (Vavilov, par. 85; Société canadienne des postes, par. 31). Ce sont là les caractéristiques d’une décision raisonnable et je ne vois aucune raison de modifier la décision rendue sur cette question.

[75]  À l’instar des défendeurs, je suis d’avis que si la demanderesse trouve sa politique trop restrictive en pratique, il lui faut la modifier. Les problèmes qu’elle a relevés dans l’interprétation retenue par l’arbitre découlent du libellé même de la politique, et il ne lui est d’aucune utilité de comparer ce libellé à celui de la politique de Cameco, qu’elle n’a ni adoptée ni incorporée dans les conditions d’emploi de ses salariés.

[76]  Enfin, à ce sujet, je ne partage pas l’avis de la demanderesse, qui prétend que la décision de l’arbitre crée un précédent de plus large portée en rendant le dépistage conditionnel à l’observation d’un superviseur. Dans la mesure où la décision comporterait un passage laissant croire à une telle conclusion, j’estime qu’il faut l’interpréter au regard de l’ensemble de l’analyse, laquelle est clairement axée sur le texte de la politique de MTM. L’arbitre a tranché les plaintes particulières dont elle a été saisie, lesquelles visaient uniquement les manquements de l’employeur à sa propre politique.

[77]  Pour tous ces motifs, je rejette les arguments de la demanderesse sur cette question.

(ii)  L’arbitre a-t-elle commis une erreur en concluant que les défendeurs avaient fait des efforts raisonnables pour limiter leurs pertes?

[78]  L’arbitre a conclu que chacun des défendeurs avait [TRADUCTION] « déployé des efforts raisonnables pour limiter ses pertes, compte tenu de son niveau d’études, de son expérience professionnelle, des perspectives d’emploi qui s’offrent à lui et de ses obligations familiales ». La demanderesse prétend que l’arbitre a commis une erreur en faisant abstraction de la preuve et en tirant cette conclusion sur la foi de déclarations qui n’ont pas été déposées en preuve.

[79]  Les parties conviennent que l’employé injustement congédié doit prendre des mesures raisonnables pour tenter de limiter les pertes découlant de la perte de son emploi, comme le confirme l’arrêt de principe sur la question, Red Deer College c Michaels, [1976] 2 RCS 324, aux pages 331 et 332. Leur désaccord porte plutôt sur l’application de ce principe aux faits de l’espèce.

[80]  L’arbitre a noté que M. Billette avait 31 ans et trois enfants et qu’il vivait à Dillon, en Saskatchewan. Après avoir été congédié par MTM, il s’est trouvé différents emplois et a gagné au total 37 060,35 $, somme qui a été défalquée du montant qui lui a été accordé au titre des pertes de salaire. En témoignage, M. Billette a déclaré qu’il devait quitter sa région pour trouver du travail parce qu’il y avait peu de possibilités d’emploi là où il vivait, mais qu’il ne veut pas être séparé de ses enfants pendant de longues périodes. L’arbitre a jugé qu’il avait fait des efforts raisonnables pour se trouver un emploi après son congédiement.

[81]  La demanderesse affirme que l’arbitre a négligé la preuve indiquant que peu après son congédiement, M. Billette avait refusé l’emploi qui lui était offert au Nouveau‑Brunswick et qui aurait pu compenser presque entièrement son préjudice. Elle ajoute que l’arbitre a tenu compte des précisions données par M. Billette concernant ses responsabilités familiales et des contraintes que cela suppose pour sa recherche d’emploi; or, ces explications n’ont pas été offertes en témoignage, mais bien dans le cadre des plaidoiries finales, de sorte que MTM n’a pas eu la possibilité de contre-interroger le défendeur au sujet de cette déclaration.

[82]  En ce qui concerne M. Campbell, l’arbitre a noté qu’il avait 30 ans, qu’il était à la tête d’une famille monoparentale de trois enfants et qu’il vivait près de Dillon, en Saskatchewan, au sein de la Nation des Dénés de Buffalo River. Dans son témoignage, M. Campbell a déclaré qu’il n’y avait pas de travail près de son domicile, dont il ne pouvait s’absenter pendant des périodes prolongées en raison de son état de père monoparental. Il a donc gagné 27 329 $ grâce à un emploi temporaire. Cette somme a été déduite du montant qui lui a été accordé pour ses pertes de salaire. M. Campbell a aussi déclaré que sa recherche d’emploi dans le secteur minier avait été compliquée par le fait que MTM ne lui avait pas donné la possibilité de s’exercer à faire fonctionner de la machinerie. L’arbitre a jugé qu’il avait constamment cherché du travail et qu’il n’avait refusé aucun emploi. Il avait donc fait des efforts raisonnables pour limiter ses pertes.

[83]  Selon la demanderesse, rien n’indique que M. Campbell a constamment cherché du travail; au contraire, la preuve a révélé qu’il avait obtenu un seul emploi, temporaire, et qu’il n’avait postulé que pour un seul autre emploi.

[84]  Sur cette question, le point de départ de l’analyse est le vaste pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 242(4) du Code confère à l’arbitre lorsque ce dernier conclut qu’un congédiement est injuste. Il est de jurisprudence constante que la détermination de la réparation indiquée est intimement liée à l’expertise de l’arbitre et que sa décision en la matière ne peut pas être écartée à la légère : voir Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33, par. 43.

[85]  Lors d’un arbitrage, lorsque les employés ne sont pas représentés par un avocat ni aidés par un délégué syndical, l’arbitre doit pouvoir disposer d’une certaine latitude quant à l’endroit où tracer la ligne départageant la preuve des observations finales. S’agissant de la présente affaire, je reconnais que MTM n’a pas eu la possibilité de contre-interroger les défendeurs sur certains éléments de leur argumentation, mais elle n’a pas non plus demandé à le faire lorsque ce point a été soulevé à l’audience. En outre, MTM a eu l’occasion de traiter de ces questions dans ses observations finales et elle aurait pu, au choix, demander l’autorisation de procéder à un contre-interrogatoire ou de présenter d’autres éléments de preuve concernant les possibilités d’emploi ou d’autres considérations pertinentes. Sur ce point, je ne vois aucune raison de modifier les conclusions de fait de l’arbitre.

[86]  Dans l’ensemble, s’agissant de cette question, j’estime que la décision de l’arbitre est claire et qu’elle est le produit de l’application des principes de droit appropriés aux faits présentés. Je ne crois pas inutile de répéter que la question de savoir si un employé injustement congédié a fait des efforts raisonnables pour limiter ses pertes est fondamentalement factuelle et que la cour de révision ne doit pas intervenir à la légère pour modifier des conclusions de cette nature.

[87]  J’estime que la décision rendue sur ce point est raisonnable et qu’il n’y a pas de raison d’infirmer les conclusions de l’arbitre sur cette question.

[88]  Par ailleurs, MTM a reconnu que l’arbitre avait commis une erreur en accordant la même somme à chacun des défendeurs, puisqu’en fait, une somme plus importante était due à M. Campbell. Comme l’arbitre est expressément restée saisie du dossier afin de pouvoir corriger d’éventuelles erreurs, les parties pourront s’adresser à elle si elles ne parviennent pas à s’entendre sur un montant précis à cet égard.

(iii)  L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur en ordonnant à MTM de faire rétablir les privilèges d’hébergement en camp accordés par Cameco aux défendeurs?

[89]  Dans la dernière partie de sa décision, en plus des autres réparations accordées aux défendeurs, l’arbitre a ordonné ce qui suit : [TRADUCTION] « Il est par la présente ordonné à [MTM] de faire rétablir les privilèges d’hébergement en camp accordés par Cameco aux [défendeurs]. » (par. 120 et 125) Les motifs ne renferment aucune explication quant à la raison d’être de cette ordonnance, qui laisse d’autant plus perplexe que l’on sait que Cameco avait fermé la mine McArthur River.

[90]  La demanderesse soutient que l’ordonnance était une erreur, étant donné que Cameco n’est pas partie à l’instance et que, selon le paragraphe 242(4) du Code, l’arbitre peut uniquement rendre des ordonnances contre l’employeur. En enjoignant à MTM de faire rétablir les privilèges d’hébergement en camp accordés par Cameco aux défendeurs, l’arbitre a tenté de faire indirectement ce qu’elle ne pouvait pas faire directement. Du reste, MTM n’a aucun pouvoir sur Cameco et ne peut l’obliger à rétablir des privilèges de camp.

[91]  De leur côté, les défendeurs prétendent que la perte de leurs privilèges de camp était une conséquence directe du fait qu’ils ont été injustement congédiés. Selon eux, compte tenu du vaste pouvoir discrétionnaire dont dispose l’arbitre en vertu du paragraphe 242(4) en matière de réparation, cet aspect de la sentence doit être considéré comme une simple obligation d’aviser Cameco par écrit que les défendeurs n’ont pas enfreint sa politique et qu’il n’y a donc pas lieu de révoquer leurs privilèges de camp.

[92]  Si je reconnais qu’aux termes du paragraphe 242(4) du Code, l’arbitre dispose en effet d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de concevoir une réparation appropriée, il m’est en revanche impossible d’adhérer à l’interprétation proposée par les défendeurs sur cet aspect de l’ordonnance. Dans les faits, les défendeurs me demandent de confirmer l’interprétation qu’ils font de l’ordonnance de l’arbitre, mais il me faudrait alors reformuler les termes de l’ordonnance figurant dans la décision, ce qui outrepasse les limites du devoir d’accorder une attention respectueuse aux motifs à la lumière du dossier et en tenant dûment compte du contexte administratif. Comme le confirme la Cour suprême du Canada au paragraphe 96 de l’arrêt Vavilov, « il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat ».

[93]  Il se peut fort bien que l’interprétation proposée par les défendeurs corresponde à une réparation tout à fait raisonnable, mais elle ne tient pas compte des mots réellement employés par l’arbitre. À défaut de disposer d’explications sur les raisons d’une telle ordonnance, il m’est impossible de conclure qu’elle est raisonnable. Je note que la norme adoptée par Cameco en matière de consommation d’alcool et de drogues à l’endroit des entrepreneurs et des autres travailleurs dont elle n’est pas l’employeur comporte une disposition portant sur la révocation et le rétablissement du droit d’accès au site, laquelle précise qu’il appartient à Cameco de prendre cette décision après avoir vérifié si l’entrepreneur a pris toutes les mesures nécessaires. Ce constat renforce l’idée que ces conditions précises de l’ordonnance de l’arbitre ont pour effet d’imposer à MTM une obligation dont elle ne peut tout simplement pas s’acquitter.

[94]  En conséquence, j’annule cette partie de l’ordonnance de l’arbitre, puisqu’elle est déraisonnable. Et comme elle constitue à l’évidence une mesure de réparation distincte, le reste de l’ordonnance peut être maintenu. Dans les circonstances, il n’y a aucun intérêt à renvoyer devant l’arbitre ce volet de la décision pour un nouvel examen, d’autant plus que Cameco a suspendu l’exploitation de la mine McArthur River (voir Vavilov, par. 142).

VI.  Conclusion

[95]  Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande de contrôle judiciaire relativement à la conclusion de l’arbitre selon laquelle les défendeurs ont été injustement congédiés et ont fait des efforts raisonnables pour limiter leur préjudice. J’accueille donc la demande de contrôle judiciaire uniquement en ce qui a trait à l’ordonnance de l’arbitre enjoignant à MTM de faire rétablir les privilèges d’hébergement en camp accordés par Cameco aux défendeurs.

[96]  En ce qui concerne les dépens, j’ai pris connaissance des observations déposées par les parties sur la question. La demanderesse n’a pas sollicité les dépens, en reconnaissance du fait que les défendeurs ont assuré leur propre défense devant l’arbitre et qu’ils n’ont pas pris l’initiative de contester eux-mêmes la décision.

[97]  Selon la demanderesse, la Cour devrait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 pour ordonner à chaque partie d’assumer ses propres dépens relativement au contrôle judiciaire, car la procédure qu’elle a intentée pour contester la décision revêt une dimension d’intérêt général. La demanderesse prétend que la décision visée par le contrôle soulève des questions qui sont d’une grande importance pour la société et transcendent les intérêts des parties. Ainsi, la décision de l’arbitre serait une [TRADUCTION] « anomalie » risquant d’éroder la jurisprudence déjà bien établie en matière de dépistage fondé sur un motif raisonnable. Comme on peut le lire dans ses observations écrites, [TRADUCTION] « la décision risque d’établir […] un précédent intenable exigeant que la consommation de la drogue soit observée non par n’importe quelle personne, mais directement par un superviseur, pour pouvoir considérer qu’il y a un motif raisonnable de procéder à un test de dépistage […] ».

[98]  À titre subsidiaire, la demanderesse avance que si elle devait être condamnée à verser des dépens, ceux-ci devraient être calculés selon la formule habituelle prévue à la colonne III du tarif B. Selon elle, il n’est pas justifié d’adjuger une somme forfaitaire comme le demandent les défendeurs, car cela ne permettra pas aux parties de s’épargner du temps et des efforts, puisqu’un mémoire de dépens a déjà été rédigé. Elle ajoute que la somme demandée (17 000 $) dépasse largement celle qui serait consentie en application du tarif et qu’elle est dénuée de fondement. Par ailleurs, la demanderesse soutient aussi que si des dépens sont adjugés selon le tarif, il n’y a aucune raison que ces dépens couvrent les honoraires d’un deuxième avocat ou les frais de déplacement, puisque les défendeurs pouvaient choisir parmi un grand nombre d’avocats qui n’avaient pas à voyager.

[99]  Les défendeurs affirment qu’une somme forfaitaire de 17 000 $ devrait leur être adjugée, parce qu’ils sont l’un et l’autre impécunieux et qu’une taxation des dépens selon le tarif habituel ne suffirait pas à rembourser les frais qu’ils ont engagés pour défendre la décision. En outre, les défendeurs font valoir que la demanderesse a mal interprété la décision de l’arbitre : selon eux, il s’agit d’une décision portant exclusivement sur les faits qui ne soulève aucune des considérations de politique générale citées par MTM. Cela étant, la demanderesse aurait dû réduire la portée de sa demande de contrôle judiciaire et, en omettant de le faire, elle a obligé les défendeurs à engager des frais plus élevés pour défendre la décision. Dans l’éventualité où aucune somme forfaitaire ne serait adjugée, les défendeurs sollicitent des honoraires pour les services de deux avocats ainsi que des frais de déplacement nécessaire pour assister à l’audience et autres débours, pour un total de 6 497,95 $, conformément à la colonne III du tarif B.

[100]  Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400, et tenant compte des considérations pertinentes énoncées dans cet article et dans la jurisprudence, j’adjuge aux défendeurs des dépens d’un montant global de 5 000 $. J’étais saisi d’une simple demande de contrôle judiciaire, le dossier n’était pas volumineux et aucune des parties n’a procédé à des contre-interrogatoires sur les affidavits. D’autre part, les défendeurs ont largement réussi à défendre la décision de l’arbitre et la preuve présentée à la Cour indique qu’ils disposent de moyens financiers limités.

[101]  Bien que je sois conscient que la demanderesse n’a pas cherché à obtenir de dépens, ce n’est pas une raison pour refuser aux défendeurs, alors qu’ils ont obtenu gain de cause, la possibilité de recouvrer leurs frais. De plus, il convient de répéter que la décision de l’arbitre – et la présente décision – repose sur les faits particuliers de l’affaire, et notamment sur le texte précis de la politique de MTM. Même si la décision de l’arbitre fait état de la jurisprudence portant que l’observation d’un superviseur est une composante essentielle du dépistage fondé sur un motif raisonnable, je ne puis accepter la description que fait la demanderesse de la décision. Celle-ci n’a pas établi – et en réalité, ne pouvait établir – de précédent de plus large portée en ce qui concerne le dépistage de drogue pour motif raisonnable appliqué aux emplois critiques pour la sécurité, parce que là n’était pas la nature de la plainte dont était saisie l’arbitre. S’ils le souhaitent, MTM ou d’autres employeurs pourront un jour proposer un élargissement du champ des motifs raisonnables autorisant un dépistage, sous réserve de respecter les orientations générales définies dans des arrêts de principe comme Pâtes & Papier Irving et Entrop.

[102]  Par conséquent, j’adjugerai aux défendeurs des dépens d’un montant global de 5 000 $.


JUGEMENT dans le dossier no T-449-18

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée relativement à la décision de l’arbitre portant que les défendeurs ont été injustement congédiés et à la conclusion selon laquelle les défendeurs ont fait des efforts raisonnables pour limiter leur préjudice.

  2. La demande de contrôle judiciaire est accueillie relativement à l’ordonnance de l’arbitre enjoignant à la coentreprise Mudjatik Thyssen Mining de faire rétablir les privilèges d’hébergement en camp accordés par Cameco aux défendeurs. Ce volet de la sentence est annulé.

  3. La demanderesse doit verser aux défendeurs la somme globale de 5 000 $ au titre des dépens.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour d’avril 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-449-18

 

INTITULÉ :

MUDJATIK THYSSEN MINING, COENTREPRISE MINIÈRE c DALLAS A. BILLETTE et KELLY F.A. CAMPBELL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 mars 2019

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

Le juge Pentney

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Lynsey Gaudin

Amy Gibson

Pour la demanderesse

 

Jared Brown

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lynsey Gaudin

MLT Aikins

Vancouver (C.-B.)

Pour la demanderesse

 

Jared Brown

Maurice Law

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour les défendeurs

 

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