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Date : 19990629

Dossier : IMM-4766-98

ENTRE :

YAYA ADENUGA ADESINA,

demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW :

1           Le demandeur, M. Adesina, est citoyen du Nigéria. Il s'est marié au Nigéria en 1972, et six enfants sont nés de cette union. Il prétend être divorcé depuis le 24 mai 1997 et affirme que c'est son ex-épouse qui a la garde légale de leurs cinq enfants survivants. Un des enfants aurait été kidnappé en 1994 et n'a pas été retrouvé.

2           M. Adesina est arrivé au Canada en 1989 avec un visa de visiteur et y est demeuré au-delà de l'expiration du visa. Il a demandé le statut de refugié en 1991. Sa revendication du statut de réfugié a été rejetée en 1992 pour le motif qu'elle manquait de crédibilité.

3           En 1996, M. Adesina a été avisé qu'il pouvait soumettre une demande de résident permanent dans le cadre de la catégorie des immigrants visés par une « mesure de renvoi à exécution différée » (MREF), qui est définie dans le règlement d'application de la Loi sur l'immigration. Cela signifiait qu'il lui était loisible de présenter sa demande de résident permanent en sol canadien.

4           Sa demande a été rejetée. La décision lui est parvenue dans une lettre de l'agent d'immigration datée du 3 septembre 1998. La lettre indiquait que la décision en question était fondée sur le fait que M. Adesina n'avait pu démontrer que son épouse et ses enfants étaient admissibles au statut de résident permanent.

5           M. Adesina a présenté à l'agent d'immigration des documents au soutien de ses prétentions quant à son divorce et à l'ordonnance de garde. Sur la foi de ces documents, l'agent d'immigration a considéré l'application du paragraphe 6(5) du Règlement comme un moyen d'exempter le demandeur de la nécessité de démontrer l'admissibilité de son épouse et de ses enfants. L'agent d'immigration a décidé de ne pas appliquer le règlement en question, vu qu'il n'était pas convaincu que les documents qui lui étaient soumis prouvaient que M. Adesina et son épouse étaient séparés ou que c'est elle qui avait la garde légale de leurs enfants.

6           L'avocat de M. Adesina fait valoir que la décision devrait être annulée pour le motif que l'agent d'immigration n'a pas examiné les éléments de preuve pertinents et qu'il a commis une erreur de droit lorsqu'il a refusé d'appliquer le paragraphe 6(5) du Règlement.

7           Pour bien saisir la question d'ordre juridique soulevée par M. Adesina relativement au paragraphe 6(5) du Règlement, il convient d'examiner plusieurs dispositions de la Loi et de son règlement d'application qui traitent de l'attribution du droit d'établissement ou du statut de résident permanent.

8           Le point de départ habituel de la procédure menant à l'attribution du droit d'établissement est une demande faite à l'extérieur du Canada. La demande est évaluée par un agent d'immigration en fonction à l'extérieur du pays qui doit déterminer si le demandeur et toutes les personnes à sa charge sont admissibles au droit d'établissement, à moins que le paragraphe 9(2) du Règlement ne trouve application.

9           L'expression « personne à charge » est définie dans le paragraphe 2(1) du Règlement. Une personne à la charge du demandeur comprend notamment sa conjointe, de même que son fils ou sa fille à charge, ce qui englobe un fils ou une fille célibataire qui a moins de 19 ans, ou qui a plus de 19 ans et qui est à la charge du demandeur pour le motif qu'il ou elle fréquente un établissement d'enseignement, ou encore qu'il ou elle est atteint(e) d'une incapacité physique ou mentale.   

10         Le paragraphe 9(2) du Règlement prévoit qu'aucune évaluation relative à l'admissibilité de la conjointe du demandeur n'est nécessaire dans le cas où le couple est séparé et ne cohabite plus, et que l'évaluation relative à l'admissibilité du fils ou de la fille du demandeur n'est pas requise non plus lorsque leur garde ou leur tutelle est conférée légalement à la conjointe séparée du demandeur ou à son ancienne conjointe. Une conjointe séparée ou un fils ou une fille qui n'est pas à la charge du demandeur et qui sont exemptés de l'évaluation relative à leur admissibilité en raison de l'application du paragraphe 9(2) du Règlement ne peuvent se voir attribuer un visa à titre de personne à charge accompagnant le demandeur.

11         Ainsi, si M. Adesina avait présenté une demande relative au droit d'établissement à l'extérieur du Canada, s'il était effectivement divorcé, et si son ancienne épouse avait la garde légale de leurs enfants, ni l'existence de son ancienne épouse, ni la situation des enfants sous la garde légale de celle-ci ne doit influencer le traitement de sa demande, et ces derniers ne pourraient obtenir de visa.

12         Pour bien comprendre la manière dont le paragraphe 6(5) du Règlement s'inscrit dans le contexte susmentionné, il convient de renvoyer aux dispositions de la Loi et de son règlement d'application concernant les membres de la catégorie de la famille. Un résident permanent est autorisé à parrainer la demande de résidence permanente de toute personne qui lui est apparentée à titre de membre de la catégorie de la famille. La demande en question devrait normalement être faite à l'extérieur du Canada et être évaluée conformément à l'article 6 du Règlement, lequel prévoit que la conjointe et les personnes à la charge du demandeur doivent faire l'objet d'une évaluation aux fins de leur admissibilité. Aux termes du paragraphe 6(5) du Règlement, aucune évaluation n'est requise aux fins de l'admissibilité de la conjointe du demandeur si le couple est séparé ou s'il n'y a plus de cohabitation. L'évaluation aux fins de l'admissibilité des enfants dont la conjointe a la garde légale ou assume la tutelle n'est pas non plus exigée. Le paragraphe 6(5) du Règlement est en grande partie identique au paragraphe 9(2), précité.

13         En dernier lieu, il convient d'examiner le paragraphe 4(2) du Règlement, lequel prévoit que le conjoint, le fils et la fille du demandeur qui ont bénéficié de l'exemption de l'évaluation aux fins de leur admissibilité en raison de l'application du paragraphe 6(5) ou du paragraphe 9(2) du Règlement ne sont pas considérés comme membres de la catégorie de la famille par rapport au demandeur et ne peuvent être parrainés une fois que le demandeur a obtenu le statut de résident permanent. En conséquence, si M. Adesina faisait une demande de l'extérieur du Canada, il ne pourrait jamais parrainer la demande de son ancienne épouse ni celle des enfants dont celle-ci assume la garde si leur admissibilité n'est pas évaluée de paire avec sa demande.

14         M. Adesina a cependant présenté une demande de résident permanent en sol canadien. Il y est autorisé en vertu des dispositions particulières prévues par la Loi et son règlement d'application. La Loi dit que le règlement peut prévoir une catégorie d'immigrants susceptibles d'obtenir le droit d'établissement pour des motifs d'intérêt public ou pour des raisons d'ordre humanitaire (paragraphe 6(5) de la Loi). Au cours de la période pertinente à l'examen de la présente demande, le règlement prévoyait une catégorie d'immigrants visés par une « mesure de renvoi à exécution différée » (MREF) et autorisés à présenter une demande d'établissement en sol canadien. M. Adesina remplissait les conditions pour être admissible à cette catégorie.


15         Les critères de l'attribution du droit d'établissement applicables aux immigrants visés par une MREF sont énoncés l'article 11.401 du Règlement, qui ne contient aucune disposition équivalente au paragraphe 9(2) ou au paragraphe 6(5) du Règlement.

16         L'argument du procureur du ministère public peut être résumé de la façon suivante. L'article 11.401 du Règlement ne permet pas expressément à l'agent d'immigration d'omettre de tenir compte de l'existence de l'ancienne épouse de M. Adesina, ni celle de ses enfants. Au contraire, le paragraphe 11.401(e) prévoit qu'un immigrant visé par une MREF doit démontrer le statut d'admissibilité des personnes à sa charge. M. Adesina doit ainsi prouver que les personnes à sa charge sont admissibles à s'établir au pays, faute de quoi sa demande risque d'être rejetée. L'agent d'immigration qui a rendu la décision faisant l'objet de la demande de contrôle judiciaire n'aurait même pas dû considérer la possibilité que le paragraphe 6(5) du Règlement soit applicable dans le cas de M. Adesina et, par conséquent, il n'a pas pu commettre d'erreur en décidant que le règlement en question ne s'appliquait pas.

17         L'argument mis de l'avant par l'avocat de M. Adesina peut se résumer de la façon suivante. L'agent d'immigration devait tenir compte du paragraphe 6(5) du Règlement ou son équivalent, soit le paragraphe 9(5), mais il l'a appliqué de façon erronée. L'article 11.401 devrait être lu comme si le paragraphe 9(2) ou le paragraphe 6(5) y était incorporé. Le ministère public ne serait pas lésé par une telle interprétation, car l'effet combiné du paragraphe 9(2) et soit du paragraphe 9(2) ou du paragraphe 6(5) exclurait la possibilité qu'une personne qui n'est pas admissible à s'établir au pays puisse le faire, soit aujourd'hui à titre de personne à la charge de M. Adesina, soit plus tard comme membre de la catégorie de la famille par rapport à lui.

18         L'avocat de M. Adesina fait observer qu'il s'agit de la manière dont les agents d'immigration appliquent dans les faits le paragraphe 6(5) dans la cadre de l'article 11.3, lequel régit le traitement des demandes faites par les membres de la catégorie des aides familiaux résidants au Canada. Cette procédure est énoncée au chapitre 4 du Guide de l'immigration sur le traitement des demandes au Canada, au point 10.4. Le guide donne essentiellement des directives aux agents d'immigration sur la manière d'appliquer le paragraphe 6(5) aux personnes qui soumettent leur demande en sol canadien à titre de membres de la catégorie des aides familiaux résidants au Canada. Cela se fait même si l'article 11.3 est muet sur ce point, tout comme l'article 11.401.

19         La Cour est d'avis que rien dans la Loi ni dans son règlement d'application n'oblige un agent d'immigration à appliquer soit le paragraphe 9(2) ou le paragraphe 6(5) aux catégories de demandeurs auxquels ils ne renvoient pas expressément. L'agent d'immigration n'a pas commis d'erreur en statuant que M. Adesina était tenu de démontrer l'admissibilité de sa conjointe et de ses enfants, qui satisfont aux critères de « personne à charge » établis par le Règlement, à s'établir au pays.


20         Si les agents d'immigration appliquent en effet l'un ou l'autre règlement aux immigrants visés par une MREF ou aux aides familiaux résidants, ils font preuve de plus de largesse que ne l'exige la loi. La loi peut fort bien comporter une lacune à cet égard relativement à ces deux catégories de personnes mais, si c'est le cas, il ne revient pas à la Cour d'y remédier par voie d'interprétation législative.

21         Le résultat est malheureux pour M. Adesina, car il pourrait se trouver malgré lui dans une situation qui l'empêche de se prévaloir, sans aucune faute de sa part, des avantages prévus dans les règlements relatifs aux MREF auxquels il a droit. Il pourrait soumettre une demande de redressement en vertu de l'article 114 de la Loi. La Cour ne peut que présumer qu'une telle demande serait accueillie, étant donné la pratique voulant que les agents d'immigration tiennent invariablement compte du paragraphe 6(5) même si, techniquement, il ne s'applique pas.

22         Il ne reste plus qu'à traiter de l'autre argument soumis par l'avocat de M. Adesina, selon lequel l'agent d'immigration a commis une erreur en écartant la preuve documentaire liée au divorce de 1997 lors de la détermination des personnes à la charge du demandeur. Cet élément de preuve, s'il est recevable, servirait à démontrer au moins que l'ancienne épouse de M. Adesina n'est plus son épouse à l'heure actuelle et que, par conséquent, elle n'est pas une « personne à charge » au sens du Règlement.

23         En rejetant la preuve documentaire, l'agent de traitement des demandes s'est appuyé sur l'avis donné par le bureau canadien des visas à Accra selon lequel le divorce ne sera pas reconnu pour le motif qu'il n'est pas « enregistré » . Cependant, il ressort clairement du document présenté par M. Adesina que le divorce est en fait enregistré. Aucune explication n'est donnée relativement au fait que l'agent a omis de tenir compte des indications de l'enregistrement. De façon encore plus significative, l'avis provenant d'Accra a été donné dans le cadre d'une note de service que M. Adesina n'était pas autorisé à examiner intégralement. Il aurait dû avoir la possibilité de formuler une réplique à la note de service en entier vu son contenu, le fait qu'elle n'était fondée sur aucune information provenant du Nigéria, et le poids que l'agent d'immigration y a accordé : Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986 ] 2 C.F. 205 (C.A.); Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.). L'omission de donner une telle possibilité au demandeur constitue une erreur qui justifie une ordonnance de réexamen de la décision.

24         La présente demande est accueillie et la demande de M. Adesina est renvoyée à un autre agent d'immigration pour qu'il l'examine à son tour.

                                                                                                Karen R. Sharlow        

                                                                                                            Juge

Winnipeg (Manitoba)

Le 29 juin 1999.

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                   AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                            IMM-4766-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          YAYA ADENUGA ADESINA c. LE MINISTRE                                                                    DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                                                                               L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 13 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

PRONONCÉS PAR :                                    le juge Sharlow

                                                                       

                                                                       

EN DATE DU :                                                29 juin 1999

ONT COMPARU

S. Green                                                                                                                     pour le demandeur

K. Lunney                                                                                                                    pour le défendeur

Ministère de la Justice

1st Canadian Place

case postale 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Green & Spiegel

121, rue King ouest, pièce 2200

Toronto (Ontario)

M5H 3T9

                                                                                                                                 pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                                                pour le défendeur

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