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Date : 20200109


Dossiers : T-2185-18

T-2184-18

Référence : 2020 CF 23

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 9 janvier 2020

En présence de madame la juge Heneghan

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

Dossier : T-2185-18

ENTRE :

ARC-EN-CIEL PRODUCE INC., UNE PERSONNE MORALE SITUÉE AU 122, THE WEST MALL, TORONTO (ONTARIO), CANADA  M9C 1B9

demanderesse

et

LE NAVIRE « MSC BELLE » ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « MSC BELLE » ET BELLE INC., UNE PERSONNE MORALE DE MSC MEDITERRANEAN SHIPPING CO. SA, CHEMIN RIEU 12­14, 1208 GENÈVE, SUISSE, A/S DE MONTSHIP INC., 360, RUE ST­JACQUES, BUREAU 100, MONTRÉAL (QUÉBEC)  H2Y 1R2 ET LA GREAT WHITE FLEET, UNE PERSONNE MORALE DES ÉTATS-UNIS, A/S DE MONTSHIP INC., 360, RUE ST-JACQUES, BUREAU 100, MONTRÉAL (QUÉBEC)  H2Y 1R2

défendeurs

Dossier : T-2184-18

ET ENTRE :

ARC-EN-CIEL PRODUCE INC., UNE PERSONNE MORALE SITUÉE AU 122, THE WEST MALL, TORONTO (ONTARIO), CANADA  M9C 1B9

demanderesse

et

LE NAVIRE « BF LETICIA » ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « BF LETICIA » ET BF LETICIA FOROOHARI SCHIFFS, UNE PERSONNE MORALE DE PETER DOEHLE SCHIFFAHRTS-KG, ELBCHAUSSEE 370, 22609 HAMBOURG, ALLEMAGNE, A/S DE MONTSHIP INC., 360, RUE ST-JACQUES, BUREAU 100, MONTRÉAL (QUÉBEC)  H2Y 1R2 ET LA GREAT WHITE FLEET, UNE PERSONNE MORALE DES ÉTATS-UNIS, A/S DE MONTSHIP INC. 360, RUE ST-JACQUES, BUREAU 100, MONTRÉAL (QUÉBEC)  H2Y 1R2

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Dans une déclaration en date du 21 décembre 2018, la demanderesse a intenté une action en justice, dans le dossier T‑2185‑18, contre LE NAVIRE « MSC BELLE », Belle Inc. et d’autres entités, y compris la Great White Fleet (« GWF »), pour le recouvrement de dommages‑intérêts à l’égard d’une cargaison de maniocs et de taros, qui devait être expédiée de Puerto Limon, au Costa Rica, à destination d’Etobicoke, en Ontario.

[2]  Dans une déclaration en date du 21 décembre 2018, Arc-En-Ciel Produce Inc., une personne morale située au  122, The West Mall, Toronto (Ontario), Canada  M9C 1B9 (la « demanderesse ») a intenté une action en justice, dans le dossier T‑2184‑18, contre LE NAVIRE « BF LETICIA » et d’autres entités pour le recouvrement de dommages‑intérêts à l’égard d’une cargaison de maniocs, de courges, de papayes vertes, de noix de coco vertes, de colocases à tiges rouges, de taros et de cannes à sucre, qui a été expédiée de Puerto Limon, au Costa Rica, à destination d’Etobicoke, en Ontario.

[3]  La demanderesse est une société canadienne constituée en vertu des lois de l’Ontario, qui se consacre à l’importation et à la distribution de fruits et de légumes de partout dans le monde.

[4]  Les navires défendeurs et leurs propriétaires seront collectivement désignés comme les défendeurs (les « défendeurs »).

[5]  Par un avis de requête déposé le 7 juin 2019, la défenderesse GWF a demandé qu’une ordonnance soit rendue afin de suspendre les actions en cause en l’espèce et permettre ainsi que des poursuites soient engagées devant la Cour de district des États‑Unis du district Sud de New York. La GWF fonde sa requête sur la clause attributive de compétence figurant dans le connaissement qui fait partie intégrante du contrat de service établi avec la demanderesse. La GWF a déposé un avis de requête dans chacune des actions en cause en l’espèce.

II.  CONTEXTE

[6]  Les détails qui suivent sont tirés des déclarations et des dossiers de requête des parties.

[7]  Les cargaisons, transportées dans des conteneurs, ont été chargées à bord du « MSC BELLE » et du « BF LETICIA » le 15 décembre 2017 et le 28 janvier 2018, respectivement.

[8]  Les cargaisons ont été déchargées et entreposées au port de Puerto Barrios, au Guatemala, avant d’être chargées à bord d’un nouveau bâtiment. Le transport s’est poursuivi jusqu’à Wilmington, aux États‑Unis d’Amérique, où les marchandises ont été transférées dans des camions et transportées jusqu’à Etobicoke, en Ontario.

[9]  Le 4 janvier 2018, la demanderesse a reçu la cargaison provenant du « MSC BELLE ». Celle provenant du « BF LETICIA » lui a été livrée entre le 23 février 2018 et le 26 février 2018.

[10]  Selon les déclarations produites, les marchandises transportées à bord du « MSC BELLE » et du « BF LETICIA » étaient endommagées lorsqu’elles sont arrivées à destination. La demanderesse a réagi en intentant les actions en cause en l’espèce.

[11]  La GWF a déposé l’affidavit de M. Luis Rodriguez Contreras à l’appui de sa requête.

[12]  La demanderesse a déposé, dans ses documents en réponse, l’affidavit de M. Sam Hak.

[13]  M. Contreras travaille comme analyste des réclamations de transport pour la Chiquita Fresh North America L.L.C., une société affiliée à la GWF. Il a décrit la relation contractuelle qui unit les parties, y compris le nombre de contrats signés, les dates des contrats et le renvoi aux clauses des connaissements dans le contrat de service.

[14]  M. Contreras a également décrit la procédure typique à suivre à l’égard des marchandises transportées dans le cadre des contrats de service. Il a fait état, en outre, de l’utilisation d’une lettre de transport maritime, ainsi que de la pratique consistant à utiliser ce type de connaissement plutôt qu’un connaissement habituel.

[15]  M. Hak est le président de la société demanderesse. Il a déclaré que la GWF a rédigé les modalités du contrat de service; la demanderesse n’a négocié que le volume de marchandises et les taux contractuels.

[16]  M. Hak a également déclaré que la GWF n’a pas transmis de copie des connaissements. Par conséquent, la demanderesse n’a pas pu prendre connaissance des modalités de ces derniers.

[17]  En outre, M. Hak a affirmé que la cargaison n’était pas assurée et que dans le cadre du processus de réclamation, la demanderesse a reçu l’aide de Montship Inc., le représentant de la GWF établi à Montréal.

[18]  Selon la déclaration produite dans le dossier T‑2184‑18, la cargaison a été expédiée à bord du « MSC BELLE » en vertu du connaissement à bord net no GWFT3033164A.

[19]  Selon la déclaration produite dans le dossier T‑2184‑18, la cargaison a été expédiée à bord du « BF LETICIA » en vertu des connaissements à bord net nos GWFT3033275A, GWFT3033778A, GWFT3033277A, GWFT3033779A et GWFT3033776A.

[20]  Le transport des marchandises était assujetti au contrat de service daté du 30 juin 2017. Une copie de ce contrat de service a été jointe à l’affidavit de M. Contreras en tant que pièce A. La clause 12 du contrat de service fait référence à un connaissement en ces termes : [traduction] « [...] le connaissement du transporteur est intégré dans le présent contrat et déterminera les modalités d’expédition [...] ».

[21]  Selon l’affidavit de M. Contreras, les cargaisons transportées à bord du « MSC BELLE » et du « BF LETICIA » étaient assujetties à des lettres de transport maritime non négociables et non signées. Une copie des modalités du connaissement standard de la GWF a été jointe à l’affidavit de M. Contreras en tant que pièce B. La GWF se fonde sur les paragraphes 4, 22 et 23 de ces modalités, qui sont ainsi libellés :

[traduction]
4. CLAUSE PARAMOUNT (a)(i) Dans le cadre du transport maritime, le présent connaissement ainsi que les responsabilités et obligations du transporteur agissant à quelque titre que ce soit, notamment en tant que transporteur, dépositaire, mandataire ou fournisseur d’un conteneur, seront régis par la Carriage of Goods by Sea Act, 1936 (COGSA) [loi sur le transport de marchandises par mer] des États‑Unis [...]

22. COMPÉTENCE Toutes les réclamations du transporteur, toutes les causes d’action contre lui ou tous les litiges avec ce dernier, qui sont attribuables ou consécutifs au présent connaissement ou aux relations établies en lien avec ce dernier ou les marchandises expédiées, seront portés par le transporteur ou déposés contre lui exclusivement devant la Cour de district des États‑Unis du district Sud de New York, conformément aux lois de ce pays.

23. DROIT APPLICABLE Tous les droits, devoirs ou obligations qui ne sont pas autrement expressément décrits ou intégrés aux présentes seront déterminés conformément aux lois des États‑Unis ou, en l’absence d’une loi fédérale applicable, conformément aux lois de l’État de New York.

III.  OBSERVATIONS

[22]  La GWF fait valoir qu’en l’absence d’un connaissement, il n’existe pas de « contrat de transport de marchandises par eau » au sens de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, ch 6 (la « Loi »), et s’appuie par analogie sur la décision Cami Automotive, Inc c Westwood Shipping Lines Inc, 2009 CF 664.

[23]  La GWF soutient que le transport des marchandises est régi par le contrat de service et qu’il dépasse la portée de l’article 46 de la Loi, de telle sorte qu’il convient d’appliquer la clause attributive de compétence prévue au paragraphe 22 des modalités du connaissement standard de la GWF.

[24]  La GWF fait valoir que les actions en cause en l’espèce devraient être suspendues, en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7 (« Loi sur les Cours fédérales »).

[25]  Pour sa part, la demanderesse soutient que les connaissements sont intégrés par renvoi dans le contrat de service et qu’ils sont suffisants pour qualifier le transport des marchandises de « contrat de transport de marchandises par eau ».

[26]  La demanderesse soutient, en outre, que la Cour a le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, de rejeter la requête de la GWF, étant donné qu’il existe des motifs sérieux qui justifient d’outrepasser la clause attributive de compétence prévue au paragraphe 22 du connaissement. À ce titre, la demanderesse s’appuie sur l’arrêt ZI Pompey Industrie c ECU-Line NV, [2003] 1 RCS 450.

[27]  De plus, la demanderesse fait valoir qu’il serait préjudiciable de suspendre les présentes actions et d’exiger qu’elles se poursuivent devant la Cour de district des États‑Unis du district Sud de New York, puisque le délai prescrit pour introduire une procédure aux États‑Unis avait expiré.

IV.  ANALYSE ET DÉCISION

[28]  Les arguments avancés par la GWF, à l’appui de sa requête en suspension des actions en cause en l’espèce, reposent principalement sur le fait que les ententes contractuelles conclues avec la demanderesse ne constituent pas un « contrat de transport de marchandises par eau », au sens de l’article 46 de la Loi. La GWF soutient que le contrat de service, qui intègre les modalités de son connaissement, n’est pas un « véritable » connaissement, puisqu’il ne remplit pas les conditions habituelles d’un tel instrument, c.‑à‑d. qu’il ne sert pas de preuve du contrat de transport, de reçu pour les marchandises à transporter ni de titre de propriété sur les marchandises.

[29]  À mon avis, cet argument est prématuré et devrait être laissé de côté jusqu’à l’instruction des actions en cause; voir l’arrêt ZI Pompey, précité, au paragraphe 41.

[30]  En l’espèce, la GWF demande la suspension des actions intentées par la demanderesse devant la Cour fédérale. Je n’ai pas à déterminer le caractère des ententes contractuelles pour disposer de la requête en suspension.

[31]  La GWF prétend s’appuyer sur son connaissement pour faire appliquer la clause attributive de compétence prévue au paragraphe 22 du document en question. Le connaissement est intégré par renvoi dans le contrat de service.

[32]  Le paragraphe 46(1) de la Loi peut être invoqué lorsque les documents contractuels font référence à un pays autre que le Canada. Le paragraphe 46(1) de la Loi est ainsi libellé :

Créances non assujetties aux règles de Hambourg

Claims not subject to Hamburg Rules

46 (1) Lorsqu’un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l’arbitrage en un lieu situé à l’étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l’une ou l’autre des conditions suivantes existe :

46 (1) If a contract for the carriage of goods by water to which the Hamburg Rules do not apply provides for the adjudication or arbitration of claims arising under the contract in a place other than Canada, a claimant may institute judicial or arbitral proceedings in a court or arbitral tribunal in Canada that would be competent to determine the claim if the contract had referred the claim to Canada, where

a) le port de chargement ou de déchargement — prévu au contrat ou effectif — est situé au Canada;

(a) the actual port of loading or discharge, or the intended port of loading or discharge under the contract, is in Canada;

b) l’autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

(b) the person against whom the claim is made resides or has a place of business, branch or agency in Canada; or

c) le contrat a été conclu au Canada.

(c) the contract was made in Canada.

[33]  Dans la décision T Co Metals LLC c Navire « Federal Ems », 2011 CF 291, infirmée en partie par 2011 CF 1067, confirmée en partie par [2014] 1 RCF 836, le protonotaire Morneau a déclaré ce qui suit en première instance, au paragraphe 28 :

Même si encore récemment notre Cour a souligné que l’article 46 de la MLA présentait un libellé difficile (voir Hitachi Maxco Ltd. v. Dolphin Logistics Company Ltd., 2010 FC 853, au paragraphe 29), l’extrait suivant tiré des paragraphes 22 et 23 des représentations écrites des défenderesses déposées le 15 novembre 2010 en opposition à la présente requête de Cosipa (les représentations écrites des défenderesses) fait ressortir raisonnablement le but et les éléments clés du paragraphe 46(1) de la MLA :

[…]

[traduction]
23.  Pour que l’article 46 s’applique, il doit être démontré :

a.  qu’il existe :

i) un contrat de transport de marchandises par eau;

ii) non assujetti aux règles de Hambourg, et

iii) le contrat prévoit le règlement ou l’arbitrage des réclamations découlant du contrat dans un lieu situé à l’étranger, et

b.  que le port de chargement ou de déchargement – prévu au contrat ou effectif – est situé au Canada, ou

c.  que le défendeur a un établissement ou une agence au Canada, ou

d.  que le contrat a été conclu au Canada.

[34]  Selon les éléments de preuve présentés à l’appui de la requête, la GWF a un agent au Canada, ce qui signifie que l’alinéa 46(1)c) est respecté.

[35]  En l’espèce, il existe un contrat de transport de marchandises par eau, représenté par le contrat de service. Les règles de Hambourg ne s’appliquent pas encore au Canada. Le contrat de service intègre par renvoi les modalités d’un connaissement de la GWF, qui contient une clause prévoyant le règlement des réclamations, en vertu du contrat de service, dans un lieu situé à l’étranger.

[36]  Je n’ai pas à me prononcer, dans le cadre de la présente requête, sur la nature du contrat de service.

[37]  L’article 46 de la Loi ne prive pas la Cour de sa compétence pour ce qui est d’accorder une suspension d’instance, en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, qui est ainsi libellé :

Suspension d’instance

Stay of proceedings authorized

50 (1) La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

50 (1) The Federal Court of Appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

[38]  L’existence d’une clause attributive de compétence ne signifie pas qu’une suspension sera automatiquement accordée.

[39]  À ce titre, je m’appuie sur la décision Hitachi Maxco Ltd c Dolphin Logistics Co, 2010 CF 853, dans laquelle le juge Harrington a déclaré ce qui suit, au paragraphe 43 :

La règle de base, qu’il ne faut pas oublier, est que le choix du for appartient au demandeur. La Cour ainsi choisie peut refuser de poursuivre l’affaire, en l’espèce en se fondant sur le principe du forum non conveniens. Toutefois, les facteurs qui lient notre affaire à Hong Kong, ou d’ailleurs à New York, ne sont pas nettement plus importants que ceux qui la lient au Canada. Étant donné que l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime a considérablement réduit l’incidence d’une clause de sélection de for étranger et qu’il n’y a eu aucune allégation de poursuite devant une autre cour, contrairement à ce qui a été observé dans les affaires OT Africa et Cougar Ace, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, je rejette la requête en suspension [...]

[40]  En l’espèce, la demande de la demanderesse relève de la compétence générale de la Cour en matière d’amirauté, en application des alinéas 22(2)h) et i) de la Loi sur les Cours fédérales, qui sont ainsi libellés :

Compétence maritime

Maritime jurisdiction

22(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), elle a compétence dans les cas suivants :

22(2) Without limiting the generality of subsection (1), for greater certainty, the Federal Court has jurisdiction with respect to all of the following:

h) une demande d’indemnisation pour la perte ou l’avarie de marchandises transportées à bord d’un navire, notamment dans le cas des bagages ou effets personnels des passagers;

(h) any claim for loss of or damage to goods carried in or on a ship including, without restricting the generality of the foregoing, loss of or damage to passengers’ baggage or personal effects;

i) une demande fondée sur une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire, à l’usage ou au louage d’un navire, notamment par charte-partie;

(i) any claim arising out of any agreement relating to the carriage of goods in or on a ship or to the use or hire of a ship whether by charter party or otherwise;

[41]  Que le contrat de service constitue ou non un contrat de transport de marchandises par eau, la preuve démontre que la GWF a transporté certaines marchandises pour le compte de la demanderesse et que le transport effectué répond assurément à la définition d’un « simple » contrat de transport de marchandises par eau.

[42]  Le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension d’instance. Dans l’arrêt ZI Pompey, précité, la Cour a examiné les principes généraux qui justifient une telle suspension. Lorsqu’une clause attributive de compétence est invoquée à l’appui de la demande de suspension, la Cour peut prendre en considération le principe du forum non conveniens.

[43]  Bien que la GWF ait soulevé un argument au sujet du forum non conveniens dans ses observations écrites, elle a choisi de ne pas s’appuyer sur cet argument lors de l’audience.

[44]  Dans l’arrêt ZI Pompey, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit, au paragraphe 37, au sujet de l’interaction entre l’article 46 de la Loi et le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales :

Entré en vigueur le 8 août 2001, le par. 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime prive la Cour fédérale, en présence de l’une ou l’autre des conditions énoncées aux al. 46(1)a), b) ou c), du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale de suspendre les procédures pour donner effet à une clause d’élection de for. Le fait que le port de chargement ou de déchargement effectif est situé au Canada fait partie des conditions énoncées. Dans la présente affaire, nul ne contesterait que la Cour fédérale a compétence pour connaître de la demande des intimées si ce n’était que l’art. 46 ne s’applique pas aux procédures engagées avant son entrée en vigueur : Incremona‑Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le), [2002] A.C.F. no 1699 (QL), 2002 CAF 479, par. 13‑24. L’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime n’est donc pas pertinent en l’espèce.

[45]  À mon avis, cette déclaration de la Cour suprême du Canada ne prive pas la Cour de son pouvoir discrétionnaire d’accueillir une requête en suspension, en particulier lorsque l’applicabilité de l’article 46 n’est pas clairement en cause. D’après les éléments de preuve produits à l’appui de la présente requête, je ne suis pas convaincue que la GWF peut se fonder entièrement sur le paragraphe 46(1) de la Loi pour justifier sa demande de suspension.

[46]  S’appuyant sur l’arrêt ZI Pompey, précité, la demanderesse fait valoir qu’elle a établi l’existence de « motifs sérieux » justifiant que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et rejette la requête en suspension.

[47]  Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a adopté le critère élaboré par la Haute Cour d’Angleterre dans l’affaire The « Eleftheria » (Cargo Owners) c The « Eleftheria » (1969), [1970] P 94, [1969] 1 Lloyd’s Rep 237, [1969] 2 All ER 641, [1969] 2 WLR 1073, 113 Sol Jo 407 (Eng PDA). Au paragraphe 24 de l’arrêt ZI Pompey, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

Récemment, en 1998, le juge Décary, s’exprimant au nom des juges unanimes de la Cour d’appel fédérale dans Jian Sheng, a confirmé au par. 10 de ses motifs qu’il y avait lieu d’appliquer le critère des « motifs sérieux » (ou « impérieux ») au Canada, et ce, dans une affaire où la question en litige était de savoir si la clause d’élection de for d’un connaissement était frappée de nullité relative pour cause d’incertitude :

Lorsque, dans les affaires d’amirauté portées devant la présente Cour, un défendeur demande une suspension aux termes de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [...], en s’appuyant sur une clause attributive de compétence énoncée dans un connaissement, il a le fardeau de persuader la Cour que les conditions d’application de la clause ont été respectées. Une fois que la Cour est convaincue que la clause s’applique, le fardeau de la preuve se déplace alors sur le demandeur qui doit établir qu’il existe des motifs impérieux [ou « sérieux »] permettant de conclure qu’il ne serait ni raisonnable ni juste dans les circonstances de forcer le demandeur à respecter les conditions du contrat [...] Ces « motifs impérieux » [ou « sérieux »] ont été résumés dans les motifs souvent cités du juge Brandon (tel était alors son titre) dans The « Eleftheria » [...] 

[…]

[48]  Les éléments de preuve à l’appui de la présente requête sont contenus dans les affidavits déposés par les parties. Ces affidavits ne traitent pas de l’endroit où se trouvent les témoins ni de l’application du droit étranger, à savoir le droit américain, si jamais la suspension est accordée.

[49]  La GWF reconnaît que la demanderesse sera confrontée à un problème de prescription, s’il lui faut maintenant introduire une instance aux États‑Unis. La GWF offre de s’abstenir d’invoquer ce moyen de défense, si la demanderesse entame une action devant la Cour de district des États‑Unis du district Sud de New York, à l’intérieur d’un délai précis.

[50]  À mon avis, la position de la GWF à cet égard, bien qu’admirable, n’aura pas force obligatoire pour un tribunal étranger, de sorte qu’à ce stade‑ci, elle ne présente qu’un intérêt limité.

V.  CONCLUSION

[51]  Compte tenu de la preuve présentée, des arguments avancés et du droit applicable, y compris de la jurisprudence, je conclus que la demanderesse a établi l’existence de « motifs sérieux » justifiant le rejet des requêtes en suspension.

[52]  Les requêtes sont donc rejetées et les dépens sont adjugés à la demanderesse.

[53]  Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, elles peuvent présenter de courtes observations, ne dépassant pas trois pages, qui devront être signifiées et déposées au plus tard le 25 janvier 2020.

[54]  Les présents motifs seront déposés dans le dossier T‑2185‑18 et versés au dossier T‑2184‑18.


ORDONNANCE dans les dossiers T‑2185‑18 et T‑2184‑18

LA COUR ORDONNE que les requêtes soient rejetées, le tout avec dépens en faveur de la demanderesse.

Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, elles peuvent présenter de courtes observations, ne dépassant pas trois pages, qui devront être signifiées et déposées au plus tard le 25 janvier 2020.

Les présents motifs seront déposés dans le dossier T‑2185‑18 et versés au dossier T‑2184‑18.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22ejour de janvier 2020.

Semra Denise Omer, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

T‑2185-18, T‑2184‑18

 

 

DOSSIER :

T‑2185‑18

INTITULÉ :

ARC-EN-CIEL PRODUCE INC., UNE PERSONNE MORALE SITUÉE AU 122, THE WEST MALL, TORONTO (ONTARIO), CANADA  M9C 1B9 c LE NAVIRE « MSC BELLE » ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « MSC BELLE » ET BELLE INC., UNE PERSONNE MORALE DE MSC MEDITERRANEAN SHIPPING CO. SA, CHEMIN RIEU 12-14, 1208 GENÈVE, SUISSE, A/S DE MONTSHIP INC., 360, RUE ST‑JACQUES, BUREAU 100, MONTRÉAL (QUÉBEC)  H2Y 1R2 ET LA GREAT WHITE FLEET, UNE PERSONNE MORALE DES ÉTATS‑UNIS, A/S DE MONTSHIP INC. 360, RUE ST‑JACQUES, BUREAU 100, MONTRÉAL (QUÉBEC)  H2Y 1R2

 

DOSSIER :

T‑2184‑18

INTITULÉ :

ARC-EN-CIEL PRODUCE INC., UNE PERSONNE MORALE SITUÉE AU 122, THE WEST MALL, TORONTO (ONTARIO), CANADA  M9C 1B9 c LE NAVIRE « BF LETICIA » ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « BF LETICIA » ET BF LETICIA FOROOHARI SCHIFFS, UNE PERSONNE MORALE DE PETER DOEHLE SCHIFFAHRTS-KG, ELBCHAUSSEE 370, 22609 HAMBOURG, ALLEMAGNE, A/S DE MONTSHIP INC., 360, RUE ST‑JACQUES, BUREAU 100, MONTRÉAL (QUÉBEC)  H2Y 1R2 ET LA GREAT WHITE FLEET, UNE PERSONNE MORALE DES ÉTATS‑UNIS, A/S DE MONTSHIP INC. 360, RUE ST‑JACQUES, BUREAU 100, MONTRÉAL (QUÉBEC)  H2Y 1R2

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JUILLET 2019

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

 

LE 9 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Matthew Hammerman

POUR LA DEMANDERESSE

Katherine Shaughnessy‑Chapman

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

De Man Pillet

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Brisset Bishop s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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