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                                                                                                                                 Date : 20040708

                                                                                                                             Dossier : T-820-04

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 972

Ottawa (Ontario), le jeudi 8 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

ENTRE :

                                           GARY WAYNE GABRIEL PATTERSON

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

THERESE GASCON, DIRECTRICE DE L'ÉTABLISSEMENT DE BATH

et LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA PROTONOTAIRE TABIB

[1]                Dans le contexte d'un avis de demande pour que soit délivré un bref de prohibition contre les défendeurs, il m'est demandé de statuer sur les objections du défendeur, le Service correctionnel du Canada (le SCC), à la requête présentée par le demandeur en vertu de la règle 317 des Règles de la Cour fédérale (1998).


[2]                Par son avis de demande, le demandeur voudrait que soit délivré un bref de prohibition empêchant le défendeur de :

« (i)    de refuser de préparer un détenu pour son retour dans la collectivité au motif que le détenu n'admet pas sa culpabilité et/ou ne se reconnaît pas responsable d'infractions qui lui sont imputées, dont il a été acquitté ou dont il a été reconnu coupable;

(ii)      de refuser de faciliter la bonne réinsertion d'un détenu dans la collectivité en tant que citoyen respectueux des lois, au motif que le détenu n'admet pas sa culpabilité et/ou ne se reconnaît pas responsable d'infractions qui lui sont imputées, dont il a été acquitté ou dont il a été reconnu coupable; et

(iii)     de se fonder sur le fait qu'un détenu proteste énergiquement de son innocence pour lui contester des droits ou privilèges prévus par la LSCMLSC » .

[3]                Le demandeur affirme essentiellement que le défendeur se livre à une pratique consistant à imposer des conditions illégitimes ou à tenir indûment compte de certaines choses lorsqu'il prend des décisions qui intéressent l'administration des peines que purgent les détenus. Par sa demande, il voudrait faire interdire au défendeur de se livrer à telle pratique lorsqu'il prendra d'autres décisions concernant la mise en liberté, les droits ou les privilèges de détenus.

[4]                En marge de son avis de demande, le demandeur prie le défendeur, le Service correctionnel du Canada, en application de la règle 317, de lui envoyer une copie certifiée conforme des documents suivants :


« a)    le formulaire de la décision relative au niveau de sécurité du demandeur, à savoir la décision n ° 25, signée le 29 mars 2004 par la directrice de l'établissement, Therese Gascon;

b)       l'évaluation du demandeur pour décision concernant un transfert sollicité par lui, évaluation signée le 20 janvier 2004 par l'agente de liberté conditionnelle Susanne Kellermann et par le gestionnaire d'unité Greg Ewing;

c)       la note de service adressée par le demandeur au gestionnaire d'unité Scott Edwards, en date du 24 février 2004, par laquelle le demandeur sollicitait la rectification de renseignements inexacts figurant dans l'évaluation pour décision relative à un transfert sollicité, une évaluation signée le 20 janvier 2004;

d)       chacun des griefs du demandeur et des réponses du défendeur à tels griefs, pour chaque niveau de la procédure de règlement des griefs, depuis la date d'incarcération du demandeur;

e)     les chiffres du SCC et de la CNLC sur les taux de récidive et les taux de révocation de la libération conditionnelle, de 1995 jusqu'à aujourd'hui. »

[5]                Voici le texte de la règle 317(1) :

317(1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l'office fédéral dont l'ordonnance fait l'objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l'office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

317(1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.


[6]                La raison principale pour laquelle le défendeur s'oppose à la requête du demandeur est l'inapplicabilité de la règle 317 à un cas où la demande ne porte pas sur le contrôle judiciaire d'une décision rendue par un tribunal administratif. Ici, sans reconnaître qu'une procédure de contrôle judiciaire est la procédure requise pour contester la présumée pratique du défendeur, le défendeur fait valoir que la règle 317 ne s'applique qu'aux documents ou éléments matériels qui sont en la possession de l'office fédéral « dont l'ordonnance fait l'objet de la demande » , de telle sorte que cette règle n'est pas applicable lorsque ce n'est pas une ordonnance qui est contestée, mais uniquement une pratique. Subsidiairement, le défendeur dit que les documents demandés n'intéressent pas la demande et que, en tout état de cause, ils sont en la possession du demandeur.

[7]                Le demandeur a répondu en déposant un affidavit précisant que, bien qu'il ait pu avoir déjà la possession des documents demandés ou qu'il ait pu avoir accès aux documents, ils ne sont pas, ou ne sont plus, en sa possession. Il dit aussi que les documents demandés sont pertinents, voire nécessaires, pour établir l'existence même de la pratique contestée. Quant au champ de la règle 317, le demandeur fait valoir que la règle 317 n'est pas un mécanisme expressément conçu pour le contrôle judiciaire d'ordonnances ou de décisions déterminées, mais constitue plutôt un mode général de production de documents dans toute procédure de contrôle judiciaire, dont l'exercice est subordonné aux seuls critères suivants :

a)    la demande est adressée à un office fédéral au sens de l'article 2 de la Loi sur les Cours fédérales;

b)    les documents doivent être pertinents quant à l'objet de la demande;

c)    les documents doivent se rapporter à une « ordonnance » d'un office fédéral, au sens de la règle 2;


d)    les documents ne doivent pas être en la possession du demandeur.

[8]                L'interprétation que donne le demandeur de la règle 317 reprend, on le notera, les termes essentiels de la règle 317, mais en les rattachant les uns aux autres d'une manière très différente de ce que semble indiquer le texte même de la règle. Ainsi, la notion de « office fédéral » et la notion de « ordonnance » sont vues séparément l'une de l'autre et séparément de la demande, il n'est plus nécessaire que l'ordonnance fasse l'objet de la demande, et finalement les documents ne se rapportent plus à la demande elle-même, mais à son objet.

[9]                Cet élargissement du sens de la règle 317, d'affirmer le demandeur, reflète l' « esprit » de la règle 317, laquelle constitue un moyen de faciliter la production de documents détenus par un office fédéral, de telle sorte qu'un dossier complet puisse être présenté à la Cour.

[10]            Malheureusement, la Cour a toujours dit que les demandes de contrôle judiciaire sont par nature des procédures sommaires, à telle enseigne que la communication de la preuve est nécessairement réduite, et, selon la Cour, la règle 317 n'a pas pour objet d'offrir ou de faciliter la communication de tous les documents pouvant se trouver en la possession d'un office fédéral, si pertinents soient-ils pour la solution du litige. (Voir par exemple Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information), [1998] 1 C.F. 337, et Canadian Arctic Resources Committee Inc. c. Diavik Diamond Mines Inc. (2000), 183 F.T.R. 267). L'interprétation préconisée par le demandeur pour la règle 317 n'est donc pas raisonnable au vu du texte même de la règle 317, et elle ne s'accorde pas non plus avec l'esprit des Règles.


[11]            Puisque l'obligation d'un office fédéral de produire des copies certifiées conformes des documents en sa possession ne prend naissance, selon la règle 317, que lorsque l'une de ses propres ordonnances est l'objet de la demande de contrôle judiciaire, la règle 317 ne peut s'appliquer ici que si la pratique qui fait l'objet de la présente demande est assimilable à une « ordonnance » selon ce que prévoit la règle 317. Il ne peut y avoir de production de documents selon la règle 317 à moins qu'il n'existe une ordonnance de l'office fédéral et que cette ordonnance ne soit contestée (Eli Lilly and Co. c. Nu-Pharm Inc. (C.A.), [1997] 1 C.F. 3).

[12]            Il ressort de l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Krause c. Canada (C.A.), [1999] 2 C.F. 476, qu'une pratique ou politique peut, même si elle n'est pas une « décision ou ordonnance » au sens de la Loi sur les Cours fédérales ou au sens de ses règles de pratique, être l'objet d'une procédure de contrôle judiciaire, qu'une pratique ou politique peut découler d'une décision identifiable, qui peut elle-même être l'objet d'une procédure de contrôle judiciaire, enfin que, même si la décision initiale instituant la pratique ou la politique est sujette à contrôle judiciaire, la pratique elle-même peut rester sujette à contrôle judiciaire longtemps après que la décision initiale a cessé de l'être. Par analogie, et ainsi que l'a jugé la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. 1539, la politique ou pratique pourrait demeurer sujette à contrôle judiciaire même s'il lui est donné effet par une décision ou ordonnance particulière susceptible elle-même de contrôle judiciaire.

[13]            Par conséquent, il est clair qu'une politique ou pratique n'est pas une « ordonnance » d'un office fédéral de nature à déclencher l'application de la règle 317.


[14]            Les documents demandés ici sont toutes les demandes, requêtes et procédures de règlement de griefs déposées par le demandeur lui-même auprès du défendeur, les décisions effectives du défendeur sur ces demandes, requêtes et procédures, enfin certaines statistiques sur les taux de récidive et de révocation de liberté conditionnelle. Selon le demandeur, ces documents sont pertinents parce qu'ils serviront à établir l'existence de la politique contestée, et à prouver que le défendeur avait connaissance de cette pratique lorsqu'il a rendu chacune des décisions.

[15]            Comme il est indiqué ci-dessus, les décisions individuelles se rapportant au demandeur ne sont pas l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur fait observer à juste titre que, à l'exception des données statistiques, il serait fondé à recevoir tous les documents demandés si sa requête avait été présentée dans le contexte d'une procédure de contrôle judiciaire de chaque décision, mais il se trouve que cette procédure de contrôle judiciaire concerne la présumée pratique, et non les décisions.

[16]            Les décisions demandées seraient peut-être pertinentes pour ce qui est d'établir l'existence de la présumée pratique, mais la pertinence ne suffit pas à déclencher l'application de la règle 317.

[17]            En conclusion, je suis d'avis que les documents demandés, à l'exception des données statistiques, sont suffisamment définis et précisés, qu'ils pourraient être pertinents pour ce qui est de prouver l'existence d'une pratique, et qu'ils ne sont pas actuellement en la possession du demandeur, mais, selon moi, la règle 317 ne peut servir à forcer la production de documents en la possession d'un office fédéral lorsque l'objet de la procédure de contrôle judiciaire est une pratique et que les documents attestent simplement l'existence de la pratique contestée, sans constituer le fondement de la décision de l'office fédéral d'adopter ladite pratique.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

L'objection du défendeur à la requête présentée par le demandeur en vertu de la règle 317 est acceptée.

                                                                                                                                 _ Mireille Tabib _              

                                                                                                                                         Protonotaire                  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-820-04

INTITULÉ :                                          GARY WAYNE GABRIEL PATTERSON

c. THERESE GASCON, DIRECTRICE DE L'ÉTABLISSEMENT DE BATH ET SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR PIÈCES, SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

DATE DES MOTIFS :                         LE 8 JUILLET 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Gary Wayne Gabriel Patterson                                                   POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Kaufman                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gary Wayne Gabriel Patterson                                                   POUR LE DEMANDEUR

Bath (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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