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Date : 20200224


Dossier : IMM‑2461‑19

Référence : 2020 CF 294

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

LUCKY UBINI ITSEKOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le présent jugement concerne la décision du 25 mars 2019 par laquelle un agent des visas (l’agent) du haut‑commissariat du Canada au Royaume‑Uni (R.‑U.) a rejeté la demande de visa de résident temporaire (VRT) du demandeur, conformément au paragraphe 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR).

[2]  Le demandeur est un citoyen du Nigéria âgé de 46 ans. Au début du mois de mars 2019, il a présenté une demande de VRT afin de pouvoir séjourner au Canada pendant deux semaines, du 4 au 17 juin 2019, pour rendre visite à son ex‑épouse et à leurs quatre enfants. Cependant, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour et a rejeté sa demande de VRT.

[3]  Le demandeur soutient que l’agent n’a pas adéquatement apprécié la preuve et qu’il a tiré des conclusions de façon arbitraire et abusive.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la décision de l’agent était raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Les faits

[5]  Monsieur Lucky Ubini Itsekor (le demandeur) est un citoyen du Nigéria âgé de 46 ans. Le demandeur est séparé de son épouse, Mme Mary Itsekor, qui vit au Canada avec quatre de leurs enfants. Mme Itsekor ainsi que deux de ses enfants, Angel et Annabel (âgés de 9 et 7 ans), sont des réfugiés au sens de la Convention et ont présenté une demande de résidence permanente. Les deux autres enfants, Anthonette et Isabella (âgées de 8 et 3 ans), sont respectivement citoyennes américaine et canadienne. Un cinquième enfant, Precious (âgée de 13 ans), vit au Nigéria.

[6]  Le ou vers le 2 mars 2019, le demandeur a présenté une demande de VRT afin de rendre visite à ses enfants et à son ex‑épouse au Canada. Le demandeur a déclaré que le but de son voyage était de rendre visite à sa famille et a fourni une lettre d’invitation de Mme Itsekor ainsi que d’autres documents justificatifs, comme des relevés de banque et des documents d’enregistrement de son entreprise.

[7]  Dans une décision datée du 25 mars 2019, l’agent a rejeté la demande de VRT du demandeur. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour compte tenu de ses [traduction] « liens familiaux au Canada et dans [son] pays de résidence ». Dans les brefs motifs qu’il a consignés dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), l’agent a déclaré :

[traduction]

Pour rendre visite à son ex‑épouse et ses enfants qui ont présenté une demande d’asile au Cda – Bien que je reconnaisse l’importance des liens familiaux et de l’intérêt supérieur des enfants, je note que les enfants ont accès à la mère et qu’ils sont en mesure de communiquer par téléphone ou par Internet. Je souligne également que je ne suis pas convaincu que le demandeur sera un véritable visiteur au Canada compte tenu des forts liens familiaux qu’il a au Canada.

[8]  Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  La question préliminaire : preuve extrinsèque

[9]  Le défendeur soutient que le demandeur a tenté de présenter des éléments de preuve extrinsèques à la Cour. Par exemple, la pièce B de l’affidavit du demandeur n’avait pas été présentée à l’agent. Le défendeur affirme que cet élément de preuve ne devrait pas être admissible, car le contrôle judiciaire d’une décision ne peut être fondé que sur la preuve qui a été soumise au décideur (Lalonde c Canada (Agence du revenu du Canada), 2008 CF 183 (CanLII), au par. 66; Canada (Procureur général) c McKenna, 1998 CanLII 9098 (CAF), [1999] 1 C.F. 401 (C.A.)).

[10]  Je souscris à la position que fait valoir le défendeur. Les pages 12, 13, 17, 19 à 24, et 32 à 35 du dossier de demande ne sont pas admissibles en preuve et les observations se rapportant à ces pages ne seront pas prises en compte.

IV.  La question en litige et la norme de contrôle

[11]  La question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[12]  Il est bien établi que la norme de contrôle applicable au refus d’un agent des visas de délivrer un VRT est celle de la décision raisonnable : Doret c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 447 (CanLII), au par. 19; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465 (CanLII), au par. 8. Récemment, dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov], la Cour suprême a établi un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable. Toutefois, je ne vois pas la nécessité de s’écarter de la norme de contrôle qui a été appliquée aux décisions judiciaires antérieures puisque l’application du cadre établi dans l’arrêt Vavilov repose sur la même norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable.

[13]  Comme l’ont souligné les juges majoritaires dans l’arrêt Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). De plus, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

V.  Analyse

[14]  Je souligne que le demandeur se représentait lui‑même et qu’il ne s’est pas présenté à l’audience pour exposer des arguments oraux.

[15]  Dans ses observations écrites, le demandeur affirme que l’agent a commis une erreur de fait cruciale dans l’appréciation de la preuve. Le demandeur avait produit des documents justificatifs pour démontrer que son ex‑épouse et ses enfants étaient des réfugiés au sens de la Convention au Canada. Cependant, l’agent a noté de façon erronée que Mme Itsekor et ses enfants [traduction] « ont présenté une demande d’asile », ce qui laissait entendre qu’ils étaient des demandeurs d’asile et non des réfugiés au sens de la Convention. Le demandeur soutient qu’il se peut que l’agent ait conclu qu’il se rendait au Canada pour être ajouté à la demande d’asile de sa famille.

[16]  Le demandeur prétend également que l’agent n’a pas dûment tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants. Le demandeur soulève à tort que l’agent a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et, selon moi, cette question ne s’applique pas en l’espèce. Par conséquent, il n’en sera pas traité plus avant.

[17]  Le défendeur fait valoir qu’il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il retournera au Nigéria à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable et que l’agent est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve dont il disposait (Khosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 83 (CanLII), au par. 36; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. 598 (C.A.F.) (Q.L.)). Le défendeur soutient qu’il n’était pas nécessaire que l’agent mentionne expressément les antécédents professionnels ou les antécédents de voyage du demandeur. Le défendeur fait également observer que l’agent a souligné que le demandeur a de très forts liens au Canada étant donné que son ex‑épouse et leurs enfants y vivent. En réponse à l’observation du demandeur selon laquelle l’agent a laissé entendre qu’il pourrait essayer d’être ajouté à la demande d’asile de sa famille, le défendeur soutient que cette affirmation est inexacte puisqu’elle ne ressort pas des motifs de l’agent.

[18]  En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, le défendeur affirme que l’agent n’est pas tenu d’évaluer des motifs d’ordre humanitaire dans le cadre d’une demande de VRT (Fakhri Adhari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 854 (CanLII), au par. 33; Farhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275, au par. 36; Afridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 193, au par. 21).

[19]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’agent n’était pas tenu de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants lorsqu’il a examiné la demande de VRT. Pourtant, l’agent a bien tenu compte [traduction] « des liens familiaux et de l’intérêt supérieur des enfants » lorsqu’il a déclaré que [traduction] « les enfants ont accès à la mère et qu’ils sont en mesure de communiquer par téléphone ou par Internet ».

[20]  Bien que les motifs de l’agent soient brefs, sa décision est raisonnable. Le défendeur cite la décision Watts c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 158 (CanLII) [Watts] pour que la Cour tienne compte du contexte administratif dans lequel de nombreuses demandes de VRT sont accueillies chaque année. Dans la décision Watts, la Cour a pris connaissance d’office de ce qui suit (Watts, au par. 22) :

La Cour est invitée à prendre connaissance d’office, et prend connaissance d’office, du contexte administratif dans lequel l’agente a rendu ses décisions. Comme le soutient l’avocat du ministre, les représentants du ministre ont approuvé 1 438 633 demandes de visa de visiteur temporaire en 2017, selon le Rapport annuel au Parlement sur l’immigration : 2018. Je reconnais que les représentants du ministre ont probablement examiné de nombreuses autres demandes de visa temporaire, qui ont été rejetées, comme celles qui nous occupent. C’est un très grand nombre de demandes et, bien entendu, chacune d’elle pourrait être soumise au même examen lors d’un contrôle judiciaire.

[21]  En outre, le défendeur soutient que de brefs motifs peuvent être suffisants pour justifier les décisions rendues à l’égard des demandes de VRT, ce qui n’est pas le cas pour les décisions concernant les demandes d’asile ou les demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Je suis d’accord. Dans ces derniers cas, il ne fait aucun doute que les intérêts en jeu sont beaucoup plus élevés puisque les demandeurs peuvent être exposés à un risque de persécution ou de torture, ou à des difficultés, s’ils retournent dans leur pays d’origine, ou ils peuvent devoir quitter la vie qu’ils ont établie au Canada s’ils sont renvoyés du pays. 

[22]  En l’espèce, l’agent a justifié le rejet de la demande de VRT en déclarant qu’il doutait que le demandeur soit un véritable visiteur en raison des forts liens familiaux qu’il a au Canada étant donné que son ex‑épouse et quatre de leurs enfants y vivent.

[23]  Pour les motifs exposés ci‑dessus, la décision de l’agent est raisonnable.

VI.  La question à certifier

[24]  L’avocate du défendeur a indiqué qu’il n’y a aucune question à certifier et je suis d’accord.

VII.  Conclusion

[25]  La décision de l’agent de rejeter la demande de VRT du demandeur est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2461‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de mars 2020

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2461‑19

INTITULÉ :

LUCKY UBINI ITSEKOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 11 février 2020

jugement et motifs :

le juge AHMED

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 24 février 2020

COMPARUTIONS :

Pour son propre compte (aucune comparution)

pour le demandeur

Kareena Wilding

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EN BLANC

EN BLANC

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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