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Date : 20000918


Dossier : IMM-428-00



OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 18 SEPTEMBRE 2000


EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM


ENTRE :


     CHENG-HSIU HSIEH

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés dans mes motifs d'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et la question suivante est certifiée :

         L'agent des visas est-il tenu d'examiner l'expérience que le demandeur a acquise dans la profession envisagée avant d'avoir satisfait aux conditions d'accès à cette profession?
                             « Max M. Teitelbaum »
                         _____________________________
                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme


Julie Boulanger, LL.M.




Date : 20000918


Dossier : IMM-428-00



ENTRE :


     CHENG-HSIU HSIEH

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

    

[1]          Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 30 décembre 1999, dans laquelle l'agent d'immigration désigné, N.M. Egan, du Consulat général du Canada à Buffalo (New York), a refusé sa demande de résidence permanente au Canada.

Le contexte

[2]          Le demandeur, Cheng-Hsiu Hsieh, est un citoyen de Taïwan âgé de 29 ans. Il a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des immigrants indépendants et a demandé à être évalué en tant que modéliste (catégorie 5243.2 de la CNP). Le demandeur n'a pas subi d'entrevue. La lettre de refus de l'agent d'immigration se lit en partie comme suit :

         [TRADUCTION] Objet : profession 1 : Je ne puis vous accorder de points d'appréciation pour le facteur de l'expérience parce que vous n'avez pas acquis l'équivalent d'au moins un an d'expérience de travail à temps plein dans cette profession. En vertu du paragraphe 11(1) du Règlement, un visa d'immigrant ne peut être délivré à l'immigrant qui n'obtient aucun point d'appréciation pour le facteur de l' « expérience [...] dans la profession pour laquelle il possède les compétences voulues et qu'il est prêt à exercer au Canada » , à moins que l'immigrant n'ait un emploi réservé au Canada et ne possède une attestation écrite de l'employeur éventuel confirmant qu'il est disposé à engager une personne inexpérimentée pour occuper ce poste, et que l'agent des visas ne soit convaincu que l'intéressé accomplira le travail voulu sans avoir nécessairement de l'expérience. Vous n'avez pas d'emploi réservé, et je ne suis pas convaincu que vous accomplirez le travail voulu sans avoir nécessairement de l'expérience1.

[3]          Du mois d'août 1988 au mois de février 1992, le demandeur a fait des études en génie mécanique au Sze Hai Junior College, qui lui a décerné une attestation d'études. De juillet 1991 à février 1992, il a travaillé à temps partiel pour la Wei Hsing Enterprise Company, exerçant un travail de modéliste, et de février 1992 à décembre 1994, il a travaillé pour la même entreprise à temps plein. D'avril 1995 à mars 1999, il est allé à l'Université de la science et des arts de Kurashiki à Okayama, Japon, où il a obtenu un baccalauréat en beaux-arts dans le design des tissus.

[4]          L'agent d'immigration a conclu que le demandeur avait obtenu 60 points d'appréciation, ce qui est au-dessous du minimum de 70 points requis. Le demandeur n'a obtenu aucun point pour le facteur de l'expérience et un point pour le facteur de la demande dans la profession.

La question litigieuse

[5]          La question litigieuse en l'espèce est de savoir si l'agent d'immigration a commis une erreur en concluant qu'il manque au demandeur au moins un an d'expérience à temps plein en tant que modéliste parce qu'il a acquis son expérience avant d'obtenir son baccalauréat en beaux-arts.

La position du demandeur

[6]          Le demandeur soutient que l'agent d'immigration a commis une erreur en exigeant qu'il satisfasse aux conditions d'accès à la profession, soit l'obtention d'un baccalauréat en beaux-arts, avant d'acquérir son expérience de travail. Le demandeur fait valoir que, ce faisant, l'agent d'immigration a introduit une exigence additionnelle dans l'annexe I du Règlement sur l'immigration, et commis une erreur.

[7]          Subsidiairement, le demandeur prétend que la décision de l'agent d'immigration est contradictoire parce qu'un point d'appréciation a été accordé pour le facteur de la demande dans la profession, qui exige que l'agent d'immigration soit convaincu que le demandeur a exercé un nombre substantiel des fonctions principales de la profession.

La position du défendeur

[8]          Le défendeur maintient que l'agent d'immigration n'a pas commis d'erreur en limitant l'expérience du demandeur à la période postérieure à l'obtention du diplôme requis. Pour ce qui est du point d'appréciation accordé pour le facteur professionnel, le défendeur soutient que, comme il s'agissait d'un point sur un maximum possible de dix points, l'agent d'immigration ne faisait que reconnaître le niveau de scolarité du demandeur.

L'analyse

[9]          Selon la catégorie 5243 de la CNP, les fonctions principales d'un modéliste sont de concevoir et de créer des vêtements et des accessoires pour hommes, femmes et enfants. Les conditions d'accès à la profession sont les suivantes : un baccalauréat en beaux-arts ou en arts plastiques avec spécialisation dans le design des vêtements ou un diplôme d'études collégiales ou d'établissement d'enseignement des arts avec spécialisation dans le design des vêtements; un portfolio démontrant les aptitudes créatives est également exigé.

[10]          La colonne I de l'annexe I du Règlement énonce les facteurs au regard desquels les demandeurs doivent être appréciés. Le facteur 3 (expérience) et le facteur 4 (demande dans la profession) sont rédigés comme suit :

         3. Expérience
         Des points d'appréciation sont attribués pour l'expérience acquise dans la profession pour laquelle le requérant est apprécié selon l'article 4 ou, dans le cas d'un entrepreneur, pour l'expérience acquise dans la profession pour laquelle il possède les compétences voulues et qu'il est prêt à exercer au Canada. Ces points sont attribués selon le barème suivant :
         a) lorsque 1 ou 2 points sont attribués aux termes de l'article 2, 2 points pour la première année d'expérience;
         b) lorsque de 5 à 7 points sont attribués aux termes de l'article 2, 2 points pour chaque année d'expérience jusqu'à 2 années;
         c) lorsque 15 points sont attribués aux termes de l'article 2, 2 points pour chaque année d'expérience jusqu'à 3 années;
         d) lorsque 17 ou 18 points sont attribués aux termes de l'article 2, 2 points pour chaque année d'expérience jusqu'à 4 années.
         4. Facteur professionnel
         (1) Des points d'appréciation sont attribués en fonction des possibilités d'emploi au Canada dans la profession :

a) à l'égard de laquelle le requérant satisfait aux conditions d'accès, pour le

Canada, établies dans la Classification nationale des professions;

b) pour laquelle le requérant a exercé un nombre substantiel des

fonctions principales établies dans la Classification nationale

des professions, dont les fonctions essentielles;

c) que le requérant est prêt à exercer au Canada.


[11]          La question sur laquelle il faut statuer en l'espèce est de savoir si l'expérience antérieure du demandeur auprès de la Wei Hsing Enterprise Company, où il semble avoir exercé les fonctions de modéliste, peut être considérée comme de l'expérience même si elle a été acquise avant que le demandeur ne possède les compétences voulues pour exercer la profession de modéliste.

[12]          Dans la décision Chen c. Canada (M.C.I.)2, le juge Lemieux a conclu :

         À mon avis, pour l'application du Règlement sur l'immigration, une personne ne peut avoir accumulé des années d'expérience en exerçant une profession pour laquelle elle ne possède pas les compétences requises. Il s'ensuit que, tant qu'il n'a pas terminé sa formation professionnelle, l'intéressé n'accumule aucun point au titre de son expérience dans sa profession envisagée. À cet égard, je souscris à l'analyse que le juge MacKay a faite dans le jugement Yu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, 36 F.T.R. 296, où il déclare, à la page 301 :
             [...] si la requérante n'est pas dûment qualifiée pour l'emploi qu'elle a l'intention d'occuper au Canada, aucun point d'appréciation ne sera attribué en vertu des Facteurs 4 et 3 pour l'expérience, quelle que soit la demande dans la profession au Canada.

[13]          Dans la décision Hong Ung Chae c. Canada (M.C.I.)3, le juge Nadon semble affirmer le contraire de ce qu'a dit le juge Lemieux dans la décision Chen, précitée :

         Le demandeur a obtenu un diplôme en administration publique de la Korea National Open University en février 1998. Il satisfait donc aux exigences scolaires relatives à la profession qu'il envisage d'exercer au Canada. En conséquence, la seule question à trancher est de savoir si l'agente des visas aurait dû examiner l'expérience qu'a acquise le demandeur avant l'obtention de son diplôme.
         [TRADUCTION]
         En l'espèce, l'agente des visas était d'avis que toute l'expérience acquise par le demandeur avant l'obtention de son diplôme ne comptait pas. Au paragraphe 7 de son affidavit, elle affirme :
             Comme je l'ai indiqué dans les notes CAIPS (page 3 du dossier de la Cour), le demandeur a affirmé dans sa demande qu'il avait obtenu un diplôme universitaire en février 1998, ce qui signifie qu'il exerce depuis moins d'un an, avec son diplôme universitaire, la profession qu'il envisage d'exercer au Canada. Je n'accorde aucun point d'appréciation au titre du facteur de l'expérience.
         À mon avis, l'agente des visas a commis une erreur en tirant cette conclusion. Aux paragraphes 15 et 16 de son exposé des faits et du droit, l'avocat du demandeur fait valoir les arguments suivants :
             [TRADUCTION]
             L'agente des visas a par erreur présumé que la seule expérience de travail pertinente est celle que le demandeur a acquise après avoir satisfait aux exigences scolaires de la CNP. Cette présomption n'a aucun fondement ni en droit ni en principe. Le niveau d'instruction qu'un agent du personnel doit posséder aux termes de la CNP indique que, dans la plupart des cas, les membres de cette profession dans la population active canadienne possèdent un niveau d'instruction particulier (un baccalauréat). Même au Canada, il se peut que les agents du personnel n'aient pas tous ce niveau de scolarité. Cela reflète le fait qu'il y a toutes sortes de personnes dans la population active canadienne; certaines d'entre elles y sont entrées récemment et d'autres travaillent depuis 20 ou 30 ans (quand les exigences scolaires pouvaient être moins élevées). Le ministère de l'Immigration a décidé que cette formation constituait une norme minimale pour entrer au Canada.
             La CNP est silencieuse quant au niveau de scolarité nécessaire pour exercer une profession particulière dans d'autres pays. Cela peut uniquement être déterminé eu égard aux conditions locales. Pour déterminer si l'expérience de travail d'un demandeur donné dans son propre pays satisfait aux exigences de la CNP, il faut comparer l'expérience de travail alléguée avec les « fonctions principales » énoncées dans la CNP. Rien ne prouve que l'agente des visas a effectué l'une ou l'autre de ces évaluations. Il s'agit d'une erreur.
         Je suis d'accord avec les observations de l'avocat selon lesquelles le point de vue adopté par l'agente des visas n'a aucun fondement. Ayant décidé que le demandeur satisfaisait aux exigences d'emploi, l'agente des visas aurait dû ensuite examiner l'expérience du demandeur. Comme elle ne l'a pas fait, sa décision doit être annulée. L'affaire sera donc renvoyée à un autre agent des visas afin qu'il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

[14]          À mon avis, le raisonnement du juge Lemieux devrait s'appliquer en l'espèce. L'expérience qu'a accumulée le demandeur avant d'obtenir son baccalauréat en beaux-arts ne peut être considérée comme de l'expérience acquise pendant qu'il travaillait comme modéliste parce que, selon la définition prévue dans la CNP, il n'était pas à ce moment-là un modéliste.

[15]          Pour ce qui est de l'argument du demandeur relatif à l'octroi d'un point d'appréciation pour le facteur de la demande dans la profession, aucun point d'appréciation n'aurait dû être accordé une fois que l'agent d'immigration a conclu que le demandeur ne possédait pas les compétences voulues, compte tenu de l'extrait de la décision Yu cité précédemment. Le demandeur ne gagnerait rien à avoir gain de cause sur ce point. En réalité, le demandeur perdrait un autre point et n'aurait donc obtenu que 59 points d'appréciation. Une telle erreur, s'il en est ainsi, n'est pas déterminante et joue uniquement contre le demandeur.

[16]          Je suis convaincu que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, le demandeur n'ayant pas établi que l'agent d'immigration a commis une erreur susceptible de révision.

[17]          Les deux parties ont soumis une question à certifier.

[18]          Le demandeur soumet la question suivante aux fins de certification :

         L'agent des visas est-il autorisé à ne tenir aucun compte de l'expérience que le demandeur a acquise dans une profession donnée avant d'avoir satisfait aux conditions d'accès à cette profession énoncées dans la Classification nationale des professions?


[19]          Le défendeur soumet la question suivante aux fins de certification :

         L'agent des visas est-il tenu d'examiner l'expérience que le demandeur a acquise dans la profession envisagée avant d'avoir satisfait aux conditions d'accès à cette profession pour déterminer si des points d'appréciation devraient être accordés au titre du facteur 3?


[20]          Après avoir examiné les deux questions soumises, je certifie la question suivante :

         L'agent des visas est-il tenu d'examiner l'expérience que le demandeur a acquise dans la profession envisagée avant d'avoir satisfait aux conditions d'accès à cette profession?

                             « Max M. Teitelbaum »

                    

                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 18 septembre 2000


Traduction certifiée conforme



Julie Boulanger, LL.M.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-428-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :          CHENG-HSIU HSIEH c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :              VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 8 SEPTEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :              LE 18 SEPTEMBRE 2000

ONT COMPARU :

M. Peter Chapman                          POUR LE DEMANDEUR
Mme Emilia Pech                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chapman & Company Law Corporation              POUR LE DEMANDEUR
M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1Dossier de demande du demandeur, page 10.

2(IMM-4594-97, 9 juillet 1999), au paragraphe 37.

3 4 Imm. L.R. (3d) 182, aux pages 183 et 184.

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