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                                                                                                                              Date : 20010510

                                                                                                                        Dossier : T-1232-00

                                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 464

ENTRE :

LLOYD GRANT WEDOW

                                                                                                                                        demandeur

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                        défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le directeur de l'établissement de Bowden (l'établissement), Mitch Kassen, (le directeur) a refusé d'autoriser le demandeur à effectuer des communications téléphoniques raisonnables.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est détenu à l'établissement de Bowden, près d'Innisfail, en Alberta. Le 20 décembre 1999, les privilèges téléphoniques dont le demandeur bénéficiait ont été suspendus pour trente jours, du 20 décembre 1999 au 20 janvier 2000, parce que le demandeur avait appelé son fils, Damien Grant Piscopo, par téléphone par l'entremise d'un tiers le 19 décembre 1999, en violation des règlements régissant l'utilisation des téléphones destinés aux détenus, comme le prévoit le Guide du détenu.

[3]                 Le grief que le demandeur a présenté au sujet de cette suspension des privilèges téléphoniques a subséquemment été confirmé au troisième palier. Cette affaire n'est pas en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]                 Le demandeur a écrit à son agente de liberté conditionnelle, Adele Boychuck, le 21 janvier 2000 pour demander d'avoir accès a un téléphone autrement qu'au moyen du système téléphonique national pour les détenus (le système téléphonique millenium ou le STM) en vue de communiquer avec son fils. Dans sa lettre, le demandeur a expliqué qu'il ne pouvait pas téléphoner directement à son fils à frais virés parce que la ligne téléphonique de la mère de son fils était assujettie à des restrictions et que les appels téléphoniques à frais virés n'étaient pas acceptés.


[5]                 Le 8 février 2000, le directeur, M. Kassen, a écrit au demandeur et lui a fait savoir que le gestionnaire de son unité répondrait à ses questions.

[6]                 Le 18 février 2000, le directeur intérimaire, F. Wilson, a confirmé que l'on n'empêchait pas le demandeur d'appeler son fils par téléphone, mais il a déclaré que les appels à des tiers ne seraient pas autorisés et que les appels téléphoniques au moyen du STD ne seraient pas non plus autorisés étant donné qu'il n'y avait pas d'urgence, et qu'il n'y avait pas de circonstances d'ordre juridique ou de circonstances exceptionnelles.

[7]                 Le 21 février 2001, le demandeur a présenté un grief au deuxième palier en alléguant que des circonstances exceptionnelles justifiaient l'utilisation des services téléphoniques gouvernementaux. Le grief a été rejeté au deuxième palier le 28 mars 2000. Le sous-commissaire a déclaré que le droit d'accès du demandeur à un téléphone avait été rétabli et que le fait que le demandeur ne pouvait pas téléphoner à frais virés à son fils en utilisant le STM parce que la résidence était assujettie à une restriction quant à l'accès à l'interurbain ne concernait pas le Service correctionnel du Canada (le SCC). Dans le cadre de la présentation du grief au deuxième palier, il a également été déclaré que la restriction de l'accès à l'interurbain à laquelle était assujettie la ligne téléphonique ne constituait pas une urgence, ni une circonstance d'ordre juridique ou une circonstance exceptionnelle.


[8]                 Le grief présenté par le demandeur au troisième palier a été rejeté le 2 juin 2000 étant donné que le demandeur bénéficiait de privilèges téléphoniques au moyen du STM.

LES POINTS LITIGIEUX

[9]                 1.          Quelles sont les personnes qui devraient être constituées défenderesses en l'espèce?

2.          Le directeur a-t-il commis une erreur en empêchant le demandeur de communiquer d'une façon raisonnable avec son fils par téléphone?

ANALYSE

1.          Quelles sont les personnes qui devraient être constituées défenderesses en l'espèce?

[10]            L'avocat du défendeur soutient que l'intitulé de la cause devrait être modifié de façon à désigner uniquement le solliciteur général du Canada et le procureur général du Canada à titre de défendeurs, conformément à la jurisprudence.

[11]            L'avocat du demandeur affirme de son côté que l'établissement de Bowden devrait continuer à être désigné à titre de défendeur.

[12]            À mon avis, le solliciteur général du Canada et le procureur général du Canada sont les défendeurs appropriés en l'espèce; l'intitulé de la cause est modifié en conséquence.


2.          Le directeur a-t-il commis une erreur en empêchant le demandeur de communiquer d'une façon raisonnable avec son fils par téléphone?

[13]            Le demandeur affirme que la décision du directeur de ne pas assurer un accès raisonnable au téléphone enfreint les articles 2 et 12 de la Charte ainsi que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Le demandeur est d'avis que les défendeurs sont tenus de lui permettre d'une façon raisonnable l'accès à un téléphone, autrement qu'au moyen du STM, puisque le téléphone de la mère de son fils est assujetti à une restriction d'accès à l'interurbain.

[14]            Quant aux défendeurs, ils allèguent que le demandeur a accès, au moyen du STM, aux mêmes privilèges téléphoniques que ceux qui sont fournis aux détenus à l'échelle nationale. Les défendeurs affirment qu'aucune mesure gouvernementale n'a été prise en vue de restreindre les privilèges du demandeur et qu'en assurant l'accès à un téléphone au moyen du STM, ils se sont acquittés de l'obligation qu'ils ont envers le demandeur.

[15]            Lorsqu'il dit que le directeur lui a refusé un accès raisonnable à un téléphone, le demandeur conteste de fait la décision que le directeur a prise de ne pas lui permettre d'appeler son fils autrement qu'au moyen du STM. Les détenus qui utilisent le STM doivent effectuer leurs appels à frais virés. Toutefois, le demandeur ne peut pas appeler son fils à frais virés puisque la mère de son fils ne peut pas accepter pareils appels à cause d'une restriction imposée par la compagnie de téléphone.


[16]            Il s'agit donc en l'espèce de savoir si le directeur a commis une erreur en ne fournissant pas au demandeur d'autres moyens permettant à celui-ci d'appeler son fils.

[17]            Les motifs pour lesquels le directeur n'a pas fourni au demandeur d'autres moyens d'appeler son fils sont fondés sur le fait que le directeur n'a pas rien à voir avec le fils du demandeur et que la situation dans laquelle le demandeur se trouve ne constitue pas une urgence, une circonstance d'ordre juridique ou une circonstance exceptionnelle, permettant de déroger à la directive du commissaire no 085. On a proposé au demandeur de communiquer avec son fils par lettre.

[18]            La directive du commissaire no 085 est ainsi libellée :

14. Il incombe à l'administration centrale de procéder au choix, à l'installation et à l'entretien d'un système téléphonique national pour les détenus.

15. Il faut, par un système téléphonique pour les détenus, donner à ces derniers l'accès à des appareils téléphoniques de façon équitable et régulière pour les aider à conserver des liens avec les membres de leur famille et de la collectivité et assurer un lien direct avec leur famille en cas d'urgence. Afin d'assurer l'application uniforme de cette politique, des normes relatives à l'accès des détenus aux appareils téléphoniques et à l'utilisation d'un système téléphonique pour les détenus figurent à l'annexe « B » .

[...]

18. Les communications téléphoniques font partie du programme global de réinsertion sociale au même titre que les visites et les permissions de sortir.

19. Les appels téléphoniques à des fins humanitaires, telles que la maladie, un décès dans la famille ou la naissance d'un enfant, doivent normalement être autorisés sans délai.


[19]            Le Guide du détenu du mois de décembre 1999 prévoit que [TRADUCTION] « tous les appels sont à frais virés » et [TRADUCTION] « que des dispositions spéciales peuvent être prises en cas d'urgence en communiquant avec le personnel de l'unité » .

[20]            À l'exception du Guide du détenu, les parties n'ont pas expliqué de quelle façon le défendeur est autorisé à se fonder sur une urgence, ou sur une circonstance d'ordre juridique ou une circonstance exceptionnelle, afin de déroger à la directive du commissaire no 085.

[21]            Je suis d'accord avec le défendeur pour dire que le directeur n'a pas empêché le demandeur d'effectuer des communications téléphoniques raisonnables puisque ce dernier avait accès au STM. Le problème auquel le demandeur fait face lorsqu'il essaie d'appeler son fils est attribuable au fait que la mère de son fils ne peut pas accepter un appel à frais virés.

[22]            Je dois donc déterminer si les défendeurs sont tenus de prendre des dispositions pour que le demandeur soit en mesure de communiquer avec son fils par d'autres moyens que le STM.

[23]            L'article 71 de la Loi sur les mesures correctionnelles et la mise en liberté sous condition est ainsi libellé :


71. (1) Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d'entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis ou d'autres personnes de l'extérieur du pénitencier.

[24]            La directive du commissaire no 085 prévoit l'accès à un téléphone, au moyen du système téléphonique pour les détenus. Les défendeurs se sont acquittés de leur obligation et ils ne semblent pas être tenus de prendre des dispositions additionnelles. En outre, l'obligation qui incombe aux défendeurs en vertu de l'article 71 de la Loi sur les mesures correctionnelles et la mise en liberté sous condition est satisfaite grâce au système téléphonique ainsi que du fait que le demandeur peut communiquer par lettre avec son fils.

[25]            Je ne crois pas que l'article 71 de la Loi sur les mesures correctionnelles et la mise en liberté sous condition oblige les défendeurs à prendre d'autres dispositions à l'égard du demandeur. Sur ce point, je crois que le directeur n'a pas commis d'erreur en refusant la demande que le demandeur avait faite pour que des dispositions spéciales soient prises.

[26]            Il est raisonnable de mettre en oeuvre une directive qui prévoit que des appels téléphoniques peuvent être effectués au moyen du STM étant donné le nombre fort élevé d'appels que font la grande majorité des détenus.


[27]            Néanmoins, le demandeur ne peut pas faire plus que ce qu'il fait en vue de communiquer avec son fils; il est en prison et il n'est pas en mesure de trouver des solutions de rechange.

[28]            Par suite de l'application de nouvelles techniques, les détenus doivent se contenter d'une voix enregistrée; il ne leur est pas possible de communiquer avec une opératrice en vue de permettre à un tiers d'accepter de payer un appel à frais virés, comme c'était le cas avant l'arrivée des nouvelles techniques; de nos jours, ce sont des appareils qui parlent à d'autres appareils.

[29]            Cependant, il y a des exceptions et l'article 27 de la directive du commissaire no 085 prévoit ce qui suit :

Le directeur ou la personne désignée peut autoriser l'usage d'un téléphone relié au réseau téléphonique du gouvernement dans des situations d'urgence telle une maladie grave ou le décès d'un membre de la famille, ou dans toute autre circonstance spéciale.

[30]            Conformément à cette disposition, le demandeur a été autorisé à appeler la Commission des accidents du travail quarante fois, Emo Computing huit fois et d'autres agences gouvernementales à maintes reprises.

[31]            Néanmoins, le directeur a décidé qu'un appel au fils du demandeur ne constituait pas une « circonstance spéciale » au sens de l'alinéa 25d) de la directive du commissaire no 085.


[32]            Les conséquences sont tragiques; pendant seize mois, le demandeur n'a pas pu appeler son fils, qui a maintenant six ans.

[33]            Il s'agit d'un cas clair dans lequel une question insignifiante a pris une tournure monstrueuse.

[34]            Le directeur possède un pouvoir discrétionnaire; à mon avis, s'il l'exerce d'une façon arbitraire et s'il commet une erreur, l'intervention de la Cour est justifiée.

[35]            Par conséquent, la décision que le directeur a prise le 2 juin 2000 est annulée, et l'affaire est renvoyée à celui-ci pour réexamen conformément à la présente décision.

« Pierre Blais »

Juge

OTTAWA (ONTARIO),

le 10 mai 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                         T-1232-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       LLOYD GRANT WEDOW

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 1er mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE PAR :                                        Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                                  le 10 mai 2001

ONT COMPARU

M. Kevin Wishlow                                                            POUR LE DEMANDEUR

M. Ken Manning                                                              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Scott Hall                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Manitoba)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada                                

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