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Date : 20200226


Dossier : IMM-4524-19

Référence : 2020 CF 306

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2020

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

ZURAB CHIKADZE

(ALIAS ZURAN CHIKADZE)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l’alinéa 111(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Géorgie. Il allègue qu’il craint d’être persécuté en Géorgie en raison de son adhésion et de ses activités politiques au nom du Mouvement national uni [le MNU], un groupe politique qui s’oppose au gouvernement géorgien, et en raison de son appartenance à la minorité ethnique ossète.

[3]  Dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], il décrit la discrimination qu’il aurait subie en raison de son identité ossète et de sa participation aux activités du MNU. En 2002, il a été licencié de son poste d’enseignant au seul motif qu’il était ossète. En 2004, il a épousé une femme géorgienne dont la famille n’approuvait pas le demandeur en raison de son origine ethnique ossète. En 2011, à la suite d’une bagarre avec un membre de la famille de son épouse, il a été blessé et emmené à l’hôpital. En octobre 2014, le demandeur et sa femme ont divorcé. En décembre 2014, il a perdu son poste de directeur d’un grossiste, parce qu’il était ossète et membre du MNU. Il a commencé à travailler en tant que chauffeur de taxi et vendeur sur Internet.

[4]  En avril 2016, lors d’un rassemblement de jeunes en appui au MNU, le demandeur a été abordé par cinq ou six membres de Rêve géorgien, un parti politique d’opposition. Les membres du Rêve géorgien lui ont indiqué qu’en tant qu’Ossète, il n’avait pas à se mêler des affaires politiques de la Géorgie et qu’il ne devrait plus revenir. Plus tard dans le même mois, il a été agressé par des membres du parti Rêve géorgien lors d’une réunion de protestation organisée par le MNU et a été hospitalisé à la suite de cette agression. À l’hôpital, la police lui aurait dit qu’en tant qu’Ossète, la politique géorgienne ne le concernait pas.

[5]  En septembre 2016, il affirme avoir été agressé par cinq personnes à l’extérieur de son domicile à la suite d’un autre événement de jeunesse qu’il a organisé pour le compte du MNU. En octobre 2016, le demandeur a reçu un appel téléphonique menaçant l’avertissant de ne pas voter aux élections, sinon on lui trancherait la gorge et [traduction« pour qu’il y ait un Ossète du MNU de moins en Géorgie ».

[6]  En janvier 2017, il allègue avoir reçu un autre appel téléphonique menaçant l’avertissant de ne pas participer à un congrès du MNU. Plus tard dans le même mois, il a été agressé de nouveau et a été hospitalisé à la suite de cette agression. Certains des assaillants avaient pris part à une attaque précédente. Il n’a eu aucune aide de la police.

[7]  Peu après l’attaque de janvier 2017, le demandeur a engagé un agent pour obtenir un visa canadien. En mars 2017, il est parti de Tbilissi et il est déménagé chez un ami en Adjarie, dans l’attente de son visa. Sa demande de visa a été refusée.

[8]  Le ou vers le 14 septembre 2017, le demandeur a quitté la Géorgie avec un faux passeport slovaque. Son passeport a été identifié comme frauduleux au Portugal et il y a été détenu pendant un jour puis libéré; mais surtout, il n’a pas été renvoyé en Géorgie. Il a ensuite utilisé un faux passeport estonien pour se rendre dans plusieurs pays dont l’Allemagne, le Portugal, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque, la France et l’Algérie.

[9]  En octobre 2017, le demandeur est arrivé au Canada depuis l’Algérie et a présenté une demande d’asile à l’aéroport à son arrivée.

[10]  Un interprète lui a été fourni, mais l’interprète se trouvait sur une ligne téléphonique et non dans la salle d’entrevue.

[11]  Le demandeur a rempli un certain nombre de formulaires au point d’entrée à l’aéroport, y compris l’« annexe A », dans laquelle on lui a demandé de citer ses antécédents d’emploi et le lieu de son résidence.

[12]  Le demandeur n’a pas indiqué dans l’annexe A qu’il se cachait et qu’il était sans emploi dans la région de l’Adjarie en Géorgie de mars 2017 à septembre 2017. À l’audience de la SPR, il a indiqué dans son témoignage qu’il croyait qu’il ne devait fournir que ses adresses enregistrées, ce qu’il a fait.

[13]  Avant l’audience devant la SPR, le demandeur et son avocat ont indiqué que l’annexe A avait été remplie de façon erronée en ce qui concerne le moment où il se cachait, et qu’elle comportait une ou deux autres inexactitudes. Il a présenté un formulaire FDA détaillé, dans lequel il a inclus ce qu’il pensait être une modification sous forme d’un affidavit indiquant qu’il avait vécu en Adjarie.

[14]  Sa demande d’asile a été instruite par la SPR en décembre 2017. La SPR a rejeté la demande en janvier 2018, en s’appuyant sur sa conclusion selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité. La SPR a refusé d’accepter l’affidavit déposé par le demandeur avec son formulaire FDA pour modifier l’annexe A, au motif que l’annexe A était un formulaire déposé par le ministre qui ne pouvait être modifié par un affidavit présenté pour le compte du demandeur.

[15]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR, qui a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR dans une décision datée du 27 juin 2019 [la décision]. Les questions déterminantes étaient la crédibilité et la possibilité, pour une personne d’origine ethnique ossète vivant en Géorgie, d’être victime de persécution ou de tout autre préjudice.

[16]  En ce qui concerne la question de la crédibilité, la SAR a conclu ce qui suit :

[68]  Il m’incombe de tirer une conclusion globale à propos de la crédibilité générale de l’appelant, notamment la question de savoir s’il a démontré qu’il s’exposerait à une possibilité sérieuse de persécution ou, selon la prépondérance des probabilités, à une menace sérieuse de préjudice au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR s’il retournait en Géorgie. Après avoir évalué les problèmes concernant la crédibilité de l’appelant, mentionnés plus haut, par comparaison aux documents à l’appui, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant manque dans l’ensemble de crédibilité. J’estime que, même si l’appelant était membre du MNU, il n’était pas suffisamment engagé dans ce parti pour que cela nuise à sa sécurité s’il retournait en Géorgie ou que quiconque cherche à s’en prendre à lui à cause de ses activités politiques. Je conclus également que l’appelant, malgré son origine ethnique ossète, n’a pas été persécuté ni subi des préjudices en Géorgie pour ce motif.

[17]  Les parties conviennent que la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable, ce à quoi je souscris. Dans le cadre d’une analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés par le décideur avec une attention respectueuse : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, motifs majoritaires rédigés par le juge en chef Wagner, au para 84 [Vavilov]. Pour évaluer le caractère raisonnable de la décision, la Cour doit examiner le processus de raisonnement du décideur, à savoir s’il est fondé sur une analyse cohérente et rationnelle, et le résultat du raisonnement au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 83 à 86. La décision qui fait l’objet du contrôle doit être justifiée, transparente et intelligible : Vavilov, au para 99. Le contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor à la recherche d’une erreur : Vavilov, au para 102.

[18]  Le demandeur présente un certain nombre de questions à trancher, toutefois, je n’examinerai que celles discutées ci-après qui, à mon avis, sont déterminantes.

[19]  Premièrement, la question de l’adresse. L’annexe A du document fourni au PDE indique que le demandeur vivait à Tbilissi en Géorgie jusqu’en octobre 2017. Ce n’était pas le cas. D’après son témoignage de vive voix et son formulaire FDA, il se cachait en Adjarie de mars à septembre 2017. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi cela n’était pas indiqué à l’annexe A, il a répondu qu’il pensait que, lorsqu’on lui demandait où il vivait, il était censé donner des adresses enregistrées. Son adresse en Adjarie n’était pas son adresse enregistrée. Il a donné son adresse enregistrée à Tbilissi. La SAR a conclu que sa crédibilité a été affectée de façon négative en raison du fait qu’il n’a pas divulgué qu’il avait vécu en cachette en Adjarie de mars à septembre 2017. Elle a conclu qu’il n’avait pas vécu clandestinement en Adjarie, en raison de l’incompatibilité de cette information avec l’information fournie dans les documents fournis au PDE.

[20]  La SAR n’a pas accepté l’explication donnée par le demandeur pour justifier l’incohérence, indiquant qu’il « est impossible d’interpréter ainsi la question, compte tenu de sa formulation ». Avec égards, la SAR en tirant cette conclusion n’a pas tenu compte du fait que le demandeur avait tenté de corriger l’annexe A en joignant un affidavit à son FDA au moment où il l’a déposé. Si l’affidavit avait été converti en annexe à son FDA, il aurait été accepté comme élément de preuve. Au contraire, la SPR ainsi que la SAR l’ont rejeté. Il s’agit, selon moi, d’un triomphe déraisonnable de la forme sur le fond.

[21]  À cet égard, il est également bien établi que les décideurs dans les affaires de demandes d’asile devraient faire preuve de prudence avant de formuler des reproches à un demandeur en s’appuyant sur un manque de cohérence, des omissions et des détails entre un document signé au PDE à l’aéroport en arrivant au Canada et des observations formulées ultérieurement, telles que des témoignages de vive voix ou, comme en l’espèce, un FDA. Voir la décision de la juge Kane dans Guven c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 38, aux para 39 à 42 :

[39]  En ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité qui s’appuient sur les formulaires et les notes au PDE, la jurisprudence met en garde contre les contradictions dans le témoignage entre les notes au PDE et les témoignages et documents ultérieurs, à moins que ces contradictions concernent les « éléments centraux » de la demande des demanderesses.

[40]  Dans Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1102, [2010] ACF No 1388 [Wu], le juge O’Reilly souligne de nombreuses réserves au sujet de la crédibilité du demandeur d’asile, incluant des contradictions dans le récit du demandeur concernant le passeport qu’il a utilisé, l’itinéraire qu’il a emprunté pour voyager au Canada, et son aveu selon lequel il a délibérément tenté d’induire en erreur l’agent au PDE. En dépit de ces réserves bien fondées, le juge O’Reilly a également examiné la nature des renseignements recueillis à l’étape du PDE, et a souligné, au paragraphe 16, que les décideurs doivent s’abstenir de ne pas trop « s’appuyer » sur les incohérences qui découlent de la preuve des notes au PDE :

[16]  En ce qui a trait au fait que la Commission s’appuie sur les différences entre les déclarations de M. Wu au PDE et son témoignage à l’audience, j’admets que la Commission devrait prendre soin de ne pas trop s’appuyer sur les déclarations au PDE. Les circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies sont loin d’être idéales, et leur fiabilité soulève souvent des doutes. En l’espèce, M. Wu soutient qu’il n’a pas compris l’interprète à différents moments et que c’est ce qui explique les différences entre ses déclarations au PDE et son témoignage devant la Commission.

[41]  Dans la même veine, dans Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, 403 FTR 46 [Cetinkaya], le juge Russell fait une mise en garde contre le fait de s’appuyer sur les notes au PDE pour tirer des conclusions relatives à la crédibilité, et déclare, au paragraphe 51 :

La SPR commet une erreur lorsqu’elle met en doute la crédibilité du demandeur simplement parce que les renseignements qu’il a fournis lors de l’entrevue au point d’entrée ne sont pas détaillés. L’entrevue effectuée au point d’entrée sert à déterminer si une personne peut présenter une demande d’asile. Elle ne fait pas partie de la demande d’asile proprement dite, de sorte qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’elle contienne tous les détails de celle-ci (voir aussi Hamdar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 382, aux paragraphes 43 à 48, et Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792, au paragraphe 25) (non souligné dans l’original). D’autres décisions ont statué que les divergences entre la déclaration au PDE et un témoignage ultérieur peuvent fonder les conclusions relatives à la crédibilité seulement lorsqu’elles « tirent à conséquence » ou portent sur les « éléments centraux d’une demande » (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 767 au paragraphe 12, [2005] ACF No 959, et Jamil v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792 au paragraphe 25, 295 FTR 149). Les faits dans chaque cas seront différents, mais le principe n’en demeure pas moins que le décideur fait preuve de prudence en tirant des conclusions relatives à la crédibilité fondées sur des incohérences ou des omissions découlant des déclarations du PDE. Le PDE ne fait pas partie de la demande d’asile, et on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il comprenne tous les détails de la demande. L’objet du formulaire est d’établir si une personne peut présenter une demande d’asile. De plus, les circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies « sont loin d’être idéales, et leur fiabilité soulève souvent des doutes » (Wu au paragraphe 16).

[42]  En résumé, la jurisprudence fait une mise en garde contre le fait de s’appuyer sur les notes du PDE en ce qui concerne les omissions et le manque de détails comme seul fondement pour tirer des conclusions défavorables relatives à la crédibilité. Quand un demandeur affirme sous serment que certaines allégations sont vraies, on présume que celles-ci sont vraies, à moins qu’il n’existe des raisons de douter de leur véracité (Maldonado, au paragraphe 5 (CA)). S’il existe une raison valable de douter de la crédibilité du demandeur, le tribunal peut chercher à obtenir une preuve corroborante, et peut tirer des conclusions défavorables par le manque de corroboration. Toutefois, l’explication du demandeur pour avoir omis de fournir des éléments de preuve corroborants doit d’abord être évaluée avant de tirer de telles conclusions (Dundar, Ismaili au paragraphe 36; Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au paragraphe 10, [2004] ACF no 62 (QL)).

[22]  Je ne suis pas convaincu du fait que la SAR a tenu compte de cette jurisprudence, qui impose des contraintes aux décideurs en matière d’asile.

[23]  La SPR a partiellement traité cette question comme suit; toutefois, cette conclusion doit être interprétée à la lumière du fait que le demandeur n’avait pas d’interprète présent lorsqu’il a signé le FDA. La SAR a indiqué ce qui suit :

[26]  La SPR a raison de dire qu’il y a des contradictions entre les informations dans le formulaire Annexe A – renseignements censés être « véridiques, complets et exacts » – et le témoignage et l’exposé circonstancié du formulaire FDA de l’appelant. Celui-ci a déclaré avoir vécu à Tbilissi de septembre 2004 à octobre 2017 et qu’il y a travaillé comme chauffeur de taxi de janvier 2015 jusqu’à octobre 2017. (Comme il a déjà été mentionné, l’appelant a quitté la Géorgie le 14 septembre 2017.) L’appelant a expliqué cette divergence de la façon suivante :

[traduction
En réponse à la question, j’ai donné mon adresse officielle; à Adjara, je ne faisais que me cacher. Je ne pouvais pas donner cette adresse, parce que ce n’était pas la mienne. J’y ai passé un mois épouvantable, parce que j’étais toujours à l’intérieur. J’ai tout bonnement donné mon adresse officielle
.

[27]  Je rejette les explications de l’appelant. Il est déraisonnable de croire que l’appelant a cru qu’il devait seulement indiquer ses « adresses officielles » ou les adresses des propriétés qui lui appartenaient en réponse à la question « Inscrivez toutes les adresses où vous avez résidé depuis votre 18e anniversaire ou au cours des dix dernières années [...] ». Il est impossible d’interpréter ainsi la question, compte tenu de sa formulation. En outre, même si l’appelant a passé [traduction] « un mois épouvantable » à Adjara, je ne vois pas comment cela est censé dissiper l’incohérence.

[Notes en bas de page omises.]

[24]  Le demandeur soutient également, et je conviens avec lui, que la SAR n’a pas tenu compte du fait que les demandeurs d’asile proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu vraisemblables lorsque jugées en fonction des normes canadiennes peuvent être vraisemblables lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont vient le demandeur d’asile. Il soutient que, bien que les Canadiens n’aient pas d’adresse « enregistrée », les Géorgiens doivent en avoir une. Le demandeur s’appuie sur la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, et sur l’énoncé formulé par le juge Muldoon au para 7 [Valtchev] :

[7]  Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur. [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22]

[Non souligné dans l’original.]

[25]  Deuxièmement, la SAR a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité du demandeur en raison des réponses qu’il avait données à certaines questions concernant son parti politique, à savoir le MNU. En particulier, il n’avait aucune connaissance de deux décisions juridiques que la SAR jugeait importantes et qui auraient été connues d’un partisan actif du MNU, chose que le demandeur prétendait être. En toute déférence, je suis d’avis que cette évaluation était quelque peu arbitraire, et je ne suis pas convaincu que tous les partisans du MNU, ou même les partisans les plus actifs, connaîtraient les réponses.

[26]  Troisièmement, la SAR a conclu que le fait que le demandeur avait été arrêté au Portugal pour avoir voyagé avec un faux passeport et qu’il avait continué de voyager au Portugal après sa libération, mais avec un autre faux passeport, avait une incidence défavorable sur la crédibilité du demandeur. La SAR a indiqué que cela signifiait qu’il prenait un risque supplémentaire d’être renvoyé en Géorgie, ce qui remettait en question son allégation de crainte subjective de persécution. En toute déférence, cette conclusion est sans fondement au regard du dossier, étant donné que le demandeur n’a pas été renvoyé en Géorgie lorsqu’il a été arrêté avec le faux passeport, mais qu’il a plutôt été libéré. Ce fait affaiblit le caractère rationnel exigé relativement à l’analyse.

[27]  Je fais également remarquer que la SAR – contrairement à la SPR – a jugé authentique un rapport médical indiquant que le demandeur avait été battu. Le demandeur a fourni un nombre important d’éléments de preuve étayant la commission d’agression contre lui par des membres du MNU. Le rapport médical pourrait avoir tendance à confirmer au moins une des agressions. Il en va de même de son appartenance au MNU, ainsi que de son statut d’Ossète. Bien que la SAR ait conclu que le demandeur n’était pas crédible, elle n’a tiré aucune conclusion concernant les agressions alléguées. À mon humble avis, cet aspect de la demande d’asile est qu’il y a un manque de réponse à cet aspect de la demande. Le tribunal administratif ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents : Valtchev, au para 7.

[28]  Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que les motifs de la SAR ne témoignent pas d’une analyse interne cohérente et rationnelle complète, comme l’exige la jurisprudence. À certains égards, la décision n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti. Ayant examiné la décision de manière holistique et sans me livrer à une chasse au trésor à la recherche d’une erreur, et ayant accordé une « attention respectueuse » au raisonnement et à son résultat, j’en viens à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

[29]  Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4524-19

LA COUR DÉCLARE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée, que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour nouvel examen, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4524-19

 

INTITULÉ :

ZURAB CHIKADZE (ALIAS ZURAN CHIKADZE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 26 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

David Yerzy

POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Yerzy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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