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Date : 20200226


Dossier : IMM‑3133‑19

Référence : 2020 CF 303

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

HOSSEIN ASRI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Le demandeur, un citoyen iranien, demande l’asile au Canada, car il craint d’être persécuté en raison de sa conversion alléguée au christianisme. Le 13 décembre 2017, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile en raison de préoccupations liées à la crédibilité. En appel devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR], le demandeur a tenté d’introduire de nouveaux éléments de preuve pour corroborer davantage sa demande. La SAR a refusé d’accepter cette nouvelle preuve et a confirmé le refus de la SPR le 23 avril 2019 [la décision contestée]. La Cour est saisie en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR, présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], par laquelle le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision contestée et de renvoyer l’affaire à la SAR pour qu’elle rende une nouvelle décision.

II.  LE CONTEXTE

[2]  Le demandeur est né dans une famille musulmane chiite. Après une série de tragédies personnelles, il prétend avoir perdu la foi dans l’islam et fait une dépression en 2011. En janvier 2016, un de ses employés, Mehrdad, l’aurait introduit au christianisme. Il a ensuite commencé à assister à des études bibliques qui se déroulaient chez Mehrdad une fois toutes les deux semaines.

[3]  Plusieurs mois plus tard, Mehrdad ne s’est pas présenté au travail le lendemain d’une réunion religieuse qui s’était déroulée chez lui. Le demandeur n’a pas réussi à joindre Mehrdad, ni les autres membres de la maison-église. Estimant qu’il risquait d’être tué pour apostasie, il s’est réfugié chez son ami, Khosrow. Deux jours plus tard, des membres du Basij se seraient rendus chez ses parents, auraient fouillé leur domicile, placé son père en détention et accusé le demandeur d’être un apostat et un opposant de l’islam et de la révolution. Les membres du Basij ont par ailleurs informé sa mère que Mehrdad et d’autres membres de la maison-église étaient en détention, et qu’ils étaient à la recherche du demandeur. Khosrow a par la suite pris des dispositions pour qu’un passeur aide le demandeur à obtenir un visa de résidence temporaire [VRT] au Canada et à fuir l’Iran.

A.  La décision de la SPR

[4]  La SPR a estimé que l’enjeu déterminant soulevé par la demande d’asile du demandeur tenait à son manque de crédibilité. Citant la difficulté inhérente que présente la question de savoir si une conversion religieuse est sincère, la SPR a examiné la crédibilité générale du demandeur pour déterminer si son témoignage pouvait être jugé fiable.

[5]  La SPR a fait remarquer que le demandeur est arrivé pour la première fois au Canada le 16 janvier 2017, mais qu’il a attendu jusqu’au 16 juillet de la même année pour déposer sa demande d’asile. Le demandeur a expliqué qu’un passeur lui avait conseillé d’attendre, étant donné que son dossier était incomplet, mais qu’après un certain temps il en a eu assez d’attendre et a déposé lui-même la demande avec l’aide d’un avocat. La SPR a jugé déraisonnable que le demandeur ait tardé à déposer sa demande, étant donné qu’il était conscient des graves conséquences auxquelles il s’exposait en Iran et qu’il s’était enfui au Canada pour les éviter. La SPR a tiré une conclusion défavorable.

[6]  Le demandeur a déclaré dans son témoignage que son ami Khosrow travaillait dans un bureau d’immigration et qu’il avait pris des dispositions pour qu’un passeur l’aide à fuir l’Iran. À la question de savoir pourquoi le fait que Khosrow occupait un poste au bureau d’immigration avait été omis de son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], le demandeur a expliqué que [traduction] « personne ne voulait [qu’il] écrive cela ». La SPR a rejeté cette explication, notant que le demandeur était représenté par un avocat et qu’il avait reçu pour instruction expresse d’inclure tous les détails importants liés à sa demande d’asile. La SPR a estimé que cette omission revêtait une importance capitale au regard de la demande d’asile, étant donné qu’elle se rapportait à sa capacité à vivre dans la clandestinité et à son départ ultérieur d’Iran. En outre, la SPR a conclu que les explications du demandeur étaient changeantes. Par exemple, ce n’est que lorsque la date de la demande de visa a été remise en question qu’il a fourni des renseignements additionnels au sujet du poste occupé par Khosrow. Pour ces motifs, la SPR a tiré une conclusion générale défavorable concernant la crédibilité.

[7]  Lorsqu’on a invoqué les incohérences entre le VRT et le formulaire FDA, le demandeur a déclaré qu’un passeur déniché par Khosrow avait rempli tous ses formulaires et qu’il n’a jamais pu vérifier les renseignements contenus dans le VRT. Cependant, la SPR a noté que la date du certificat de naissance traduit – qu’il aurait fourni à Khosrow et sur lequel le passeur s’était appuyé – était datée de deux jours avant les incidents qui l’auraient amené à prendre la fuite. De plus, la date de la demande de VRT correspondait à celle du jour où il était prétendument entré dans la clandestinité, et cette demande comprenait des renseignements antérieurs de plusieurs mois à tous les événements. Pour la SPR, ces incohérences donnaient à penser que les documents fournis à l’appui de son VRT avaient été élaborés de manière frauduleuse avant les événements à l’origine de sa fuite. Informé de ces préoccupations, le demandeur a expliqué qu’il avait remis tous ses documents à Khosrow à une date antérieure. La SPR a conclu que les explications du demandeur étaient changeantes et en a tiré une conclusion défavorable. Elle a par ailleurs estimé que, même si elle acceptait l’explication du demandeur portant qu’il avait fourni les documents à une date antérieure, cela signifiait tout de même qu’il avait présenté des documents frauduleux afin d’induire les fonctionnaires de l’immigration en erreur avant la survenue du prétendu événement à l’origine de sa fuite.

[8]  S’agissant de la conversion alléguée au christianisme, la SPR a estimé que le témoignage du demandeur concernant sa pratique et sa compréhension des enseignements chrétiens était rudimentaire et ne consistait qu’en de vagues déclarations générales. Reconnaissant que [traduction] « celui qui se considère comme l’adepte d’un système de croyances n’en a pas nécessairement une compréhension théorique et approfondie », la SPR a tout de même estimé que des renseignements généraux accessibles au public au sujet d’un système de croyances étaient insuffisants en soi pour démontrer que le demandeur était un véritable adepte.

[9]  Compte tenu de ce qui précède, la SPR a estimé que les effets cumulatifs des conclusions défavorables sapaient la crédibilité globale du demandeur en tant que témoin (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 604 (QL), à la p. 244 [Sheikh]). À ce titre, elle a conclu que les allégations intéressant sa conversion et les événements l’ayant amené à fuir l’Iran n’étaient pas crédibles.

[10]  Le demandeur a également fourni le témoignage d’un pasteur de l’église St. Luke’s à Toronto, qu’il fréquente depuis mars 2017, ainsi que des lettres de ses parents et de Khosrow. Le pasteur a déclaré que le demandeur avait assisté à un cours de huit semaines en préparation de son baptême, qu’il avait participé à un programme de bienfaisance destiné à nourrir ceux qui souffraient de la faim, et qu’il s’était révélé un membre de l’église curieux et engagé. La SPR a néanmoins estimé que cette preuve ne dissipait pas ses préoccupations concernant la crédibilité et, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur fréquentait l’église au Canada dans le but de faire avancer sa demande d’asile et non parce qu’il était animé d’une foi sincère. La SPR a pour sa part attribué un poids négligeable aux lettres, notant en particulier que la déclaration de Khosrow selon laquelle il avait trouvé un passeur le 23 septembre 2016 contredisait l’allégation du demandeur portant qu’il avait immédiatement demandé de l’aide le 21 septembre 2016.

B.  L’appel devant la SAR et les nouveaux éléments de preuve

[11]  À l’appui de son appel interjeté devant la SAR, le demandeur a soumis de nouveaux éléments de preuve suivant le paragraphe 110(4) de la LIPR : deux citations à comparaître devant les tribunaux et une décision définitive le condamnant à 12 ans d’emprisonnement taziri et à 72 coups de fouet pour avoir fait la promotion du christianisme et avoir coopéré avec des groupes ou des sectes faisant l’éloge de religions non islamiques. Le demandeur a expliqué que son frère ne lui avait pas communiqué ces documents plus tôt, parce qu’il estimait que le demandeur disposait de documents suffisants pour étayer sa demande d’asile et qu’il craignait que ces renseignements n’exacerbent ses problèmes de santé mentale. Pour le demandeur, ces nouveaux éléments de preuve exigeaient la tenue d’une audience (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh]; LIRP, au par. 110(6)).

[12]  Lorsqu’il a contesté les conclusions de la SPR concernant la crédibilité, le demandeur a d’abord soutenu que la SPR avait eu tort de conclure qu’une conclusion générale d’absence de crédibilité pouvait s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents provenant du témoignage d’un demandeur d’asile. Selon le demandeur, cela ne pouvait se produire que si la SPR tirait une conclusion d’« absence de minimum de fondement » (Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89; Sheikh, précité). Comme la SPR n’a pas tiré de telle conclusion en l’espèce, ses éléments de preuve externes (comme le témoignage du pasteur) auraient dû faire l’objet d’une évaluation indépendante.

[13]  Ensuite, le demandeur a fait valoir que lorsqu’elle a évalué le temps qu’il lui a fallu pour déposer une demande d’asile, la SPR n’a pas tenu compte du fait qu’il avait de la famille au Canada, qu’il détenait un visa de visiteur canadien et qu’il n’aurait donc pas été forcé de retourner en Iran (De Matos Correira c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1060). S’agissant des incohérences entre son VRT et son formulaire FDA, le demandeur a soutenu que ces documents ne pouvaient servir à contester l’ensemble de son témoignage et à mettre en doute l’ensemble de sa preuve. En mettant l’accent sur ces incohérences mineures, la SPR a fait preuve d’un excès de zèle pour trouver des erreurs. Du reste, elle a également eu tort de s’appuyer sur ces erreurs pour mettre en doute les lettres de soutien de sa famille et de Khosrow, sans autre explication (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (CAF) [Attakora]).

[14]  Enfin, toujours d’après le demandeur, la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a évalué la sincérité de sa foi chrétienne en recourant à une norme déraisonnablement stricte pour apprécier ses connaissances religieuses, et il était déraisonnable d’évaluer la solidité de son savoir théologique plutôt que la sincérité de sa foi (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 346; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002, au par. 15). Par ailleurs, le demandeur affirme également que la SPR a omis de considérer à quel point il serait difficile d’expliquer sa foi par le truchement d’un interprète.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[15]  La SAR a examiné la demande de novo du demandeur, ne s’en remettant à l’évaluation de la SPR concernant la crédibilité des témoignages que lorsqu’elle l’a expressément mentionné.

[16]  La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve proposés par le demandeur, estimant que les citations à comparaître auraient été normalement accessibles avant son audience devant la SPR. Notant que le demandeur était représenté par un avocat et qu’il était tenu d’obtenir les documents accessibles, la SAR a conclu qu’il n’avait déployé aucun effort pour savoir si des mesures légales avaient été prises contre lui, alors que tous les nouveaux documents étaient antérieurs à son audience devant la SPR. Deuxièmement, la SPR a estimé que la mère du demandeur, qui avait reçu la deuxième citation à comparaître et avec laquelle il était en contact même durant sa clandestinité, l’aurait raisonnablement informé de l’existence de ce document, et que rien n’est venu expliquer son silence. Troisièmement, la SPR a noté que le demandeur n’avait fourni aucun document expliquant pourquoi son frère lui avait dissimulé cette information, ou comment celui-ci avait été mis au courant des citations à comparaître ou de la décision judiciaire. Enfin, la SAR n’a pas jugé crédible l’explication du demandeur : comme sa demande d’asile reposait sur une apostasie religieuse, la SAR a estimé que les membres de sa famille auraient su qu’ils ne devaient pas dissimuler des documents aussi importants. Compte tenu de cela, la SAR a également refusé de tenir une audience (LIPR, au par. 110(6)).

[17]  S’agissant de la sincérité de la foi religieuse du demandeur, la SAR a conclu que l’explication fournie par le demandeur quant aux circonstances l’ayant amené à adopter la foi chrétienne était vague et générale et ne précisait pas suffisamment pourquoi il s’exposerait à un tel risque personnel. La SAR a par ailleurs conclu que le demandeur n’avait pas démontré un lien personnel avec le baptême ni expliqué pourquoi ce sacrement avait un sens pour lui; il n’a pas expliqué non plus les changements personnels qui s’étaient opérés en lui du fait de sa pratique du christianisme. La SAR a relevé en outre des incohérences entre le formulaire FDA et le témoignage du demandeur quant à ce qui l’avait attiré vers le christianisme : dans son formulaire FDA, le demandeur invoque des tragédies personnelles, alors qu’il a prétendu dans son témoignage qu’il n’acceptait plus l’islam. Pour la SAR, cette incohérence minait davantage sa crédibilité. Enfin, la SAR a noté que le demandeur n’a pas expliqué en quoi le stress lié à l’audience ou le recours à un interprète avaient nui à sa capacité de démontrer sa foi sincère dans le christianisme.

[18]  Estimant que le demandeur s’était montré incohérent quant au degré d’implication du passeur dans sa fuite d’Iran, la SAR a refusé ses explications concernant les contradictions entre le VRT et le formulaire FDA. La SAR a également jugé évasif son témoignage au sujet de son certificat de naissance falsifié et a déterminé que son témoignage sur ses projets antérieurs de venir au Canada était changeant. Comme le certificat de naissance falsifié avait été élaboré avant l’apparition du risque que le demandeur invoquait, la SAR a conclu que cela minait sa crédibilité pour ce qui était de savoir si les événements allégués étaient bel et bien survenus.

[19]  La SAR a également conclu que le demandeur n’avait pas expliqué quels renseignements ou aide attendus du passeur l’avaient amené à retarder le dépôt de sa demande d’asile au Canada, ce que venait aggraver le fait qu’il savait qu’il pouvait communiquer avec un avocat pour entamer sa demande. La SAR estimait que si sa crainte subjective était réelle, il n’aurait pas tardé à présenter sa demande même s’il avait un visa de visiteur valide.

[20]  La SAR a également pris note du témoignage du demandeur selon lequel il avait pu, durant sa clandestinité, faire un aller-retour en Azerbaïdjan en octobre 2016 pour fournir des renseignements biométriques au consulat canadien en vue de sa demande de visa. Pour la SAR, son retour en Iran contredisait sa crainte alléguée.

[21]  La SAR a accordé peu de poids aux lettres de soutien du demandeur, faisant remarquer tout d’abord qu’il s’agissait de déclarations extrajudiciaires qui auraient pu être rédigées par n’importe qui, puisqu’aucun document d’identification n’y était joint (Al‑Abayechi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 360, au par. 34). La SAR a également souligné des incohérences entre le témoignage du demandeur et la lettre de Khosrow concernant la nature de l’aide fournie par Khosrow et le passeur, et entre les lettres des parents du demandeur et son propre témoignage quant à la manière dont ils s’y étaient pris pour entrer en contact avec lui.

[22]  Enfin, la SAR a conclu que la fréquentation de l’église au Canada ne pouvait qu’attester l’assiduité du demandeur, et non sa motivation, et que l’évaluation par le pasteur de la sincérité des convictions religieuses du demandeur ne pouvait légitimement se substituer à l’évaluation de la SAR (Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1174). N’ayant pas jugé crédibles les allégations du demandeur selon lesquelles il fréquentait l’église en Iran, la SAR a estimé que ses activités au Canada visaient uniquement à favoriser une demande d’asile frauduleuse et qu’elles n’étaient donc pas à même d’étayer qu’il était un authentique chrétien pratiquant et qu’il continuerait de pratiquer cette religion en Iran s’il devait y retourner. Aucune preuve n’établissait non plus que ses activités religieuses au Canada avaient attiré l’attention des autorités iraniennes.

[23]  Comme aucune preuve crédible n’attestait que le demandeur était un chrétien converti, la SAR a refusé d’effectuer une évaluation exhaustive au titre de l’article 97.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[24]  Les questions soulevées en l’espèce sont les suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur?
  1. La décision de la SAR confirmant le refus de la SPR était-elle déraisonnable?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[25]  La présente demande a été débattue après que la Cour suprême du Canada a rendu les récents arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Cependant, les mémoires des parties ont été fournis avant la publication de ces décisions; leurs observations écrites concernant la norme de contrôle sont donc fondées sur le cadre prévu par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Compte tenu des circonstances de l’espèce et des directives énoncées par la Cour suprême du Canada au paragraphe 144 de l’arrêt Vavilov, la Cour conclut qu’il n’est pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires sur la norme de contrôle. J’ai appliqué le cadre d’analyse établi par l’arrêt Vavilov à mon analyse de la demande, et ce cadre ne change en rien les normes de contrôle applicables en l’espèce ni mes conclusions.

[26]  Aux paragraphes 23 à 32 de l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont tenté de simplifier la façon dont les tribunaux déterminent la norme de contrôle qui s’applique aux questions dont ils sont saisis. Les juges majoritaires se sont écartés de l’approche contextuelle et catégorielle adoptée dans l’arrêt Dunsmuir à la faveur d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique. Toutefois, ils ont signalé que cette présomption peut être réfutée 1) dans le cas d’une intention claire du législateur de prescrire une autre norme de contrôle (Vavilov, aux par. 33 à 52), et 2) dans certaines situations où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, comme à l’égard des questions constitutionnelles, des questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et des questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).

[27]  En l’espèce, le demandeur et le défendeur ont tous deux fait valoir que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord. Rien ne vient réfuter la présomption selon laquelle c’est la norme de la décision raisonnable qui trouve à s’appliquer en l’espèce. L’application de cette norme aux questions en litige est également conforme à la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov. Voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au par. 35 [Huruglica], et Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, aux par. 15 et 16.

[28]  Lorsque le contrôle d’une décision est effectué selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attachera à déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle unique qui varie et « s’adapte au contexte » (Vavilov, au par. 89, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59, entre autres). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, au par. 90). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada énumère deux types de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : 1) un manque de logique interne dans le raisonnement d’un décideur et 2) le caractère indéfendable d’une décision « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, au par. 101).

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[29]  Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes au regard de la présente demande de contrôle judiciaire :

95 (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

95 (1) Refugee protection is conferred on a person when

a) sur constat qu’elle est, à la suite d’une demande de visa, un réfugié au sens de la Convention ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d’un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

(a) the person has been determined to be a Convention refugee or a person in similar circumstances under a visa application and becomes a permanent resident under the visa or a temporary resident under a temporary resident permit for protection reasons;

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger;

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

(c) except in the case of a person described in subsection 112(3), the Minister allows an application for protection.

(2) Est appelée personne protégée la personne à qui l’asile est conféré et dont la demande n’est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4).

(2) A protected person is a person on whom refugee protection is conferred under subsection (1), and whose claim or application has not subsequently been deemed to be rejected under subsection 108(3), 109(3) or 114(4).

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

110 (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

110 (1) Subject to subsections (1.1) and (2), a person or the Minister may appeal, in accordance with the rules of the Board, on a question of law, of fact or of mixed law and fact, to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division to allow or reject the person’s claim for refugee protection.

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

171 S’agissant de la Section d’appel des réfugiés :

171 In the case of a proceeding of the Refugee Appeal Division,

a.3) elle peut recevoir les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision;

(a.3) the Division may receive and base a decision on evidence that is adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances;

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

[30]  La disposition suivante des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, est pertinente au regard de la présente demande de contrôle judiciaire :

42 (1) La partie transmet à la Section l’original de tout document dont elle lui a transmis copie :

42 (1) A party who has provided a copy of a document to the Division must provide the original document to the Division

a) sans délai, sur demande écrite de la Section;

(a) without delay, on the written request of the Division; or

b) sinon, au plus tard au début de la procédure au cours de laquelle le document sera utilisé.

(b) if the Division does not make a request, no later than at the beginning of the proceeding at which the document will be used.

[31]  Les dispositions suivantes des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, sont pertinentes au regard de la présente demande de contrôle judiciaire :

29 (1) La personne en cause qui ne transmet pas un document ou des observations écrites avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique ne peut utiliser ce document ou transmettre ces observations écrites dans l’appel à moins d’une autorisation de la Section.

29 (1) A person who is the subject of an appeal who does not provide a document or written submissions with the appellant’s record, respondent’s record or reply record must not use the document or provide the written submissions in the appeal unless allowed to do so by the Division.

(4) Pour décider si elle accueille ou non la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

(4) In deciding whether to allow an application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document’s relevance and probative value;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel;

(b) any new evidence the document brings to the appeal; and

c) la possibilité qu’aurait eue la personne en cause, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document ou les observations écrites avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique.

(c) whether the person who is the subject of the appeal, with reasonable effort, could have provided the document or written submissions with the appellant’s record, respondent’s record or reply record.

VII.  LES ARGUMENTS DES PARTIES

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur?

1)  Les arguments du demandeur

[32]  Le demandeur soutient que la SAR a eu tort de ne pas admettre ses nouveaux éléments de preuve et qu’il a expliqué de manière raisonnable pourquoi il n’avait pas eu accès à ces documents plus tôt. Comme la SAR n’a jamais mis en doute l’authenticité des documents ni les graves conséquences qui l’attendaient s’il devait être renvoyé en Iran, le demandeur soutient qu’elle aurait dû faire preuve d’une plus grande souplesse et admettre les éléments de preuve en question (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022, au par. 55; Khachatourian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182). Le demandeur fait remarquer que sa demande d’asile était bien documentée, ce qui montrait qu’il avait déployé la diligence voulue en s’efforçant généralement d’obtenir des documents corroborants. Le fait qu’il ait été conscient des conséquences de ses actes ne signifie pas nécessairement qu’il aurait été informé de l’existence de véritables documents juridiques délivrés contre lui. Il soutient que toute sa famille connaissait ses antécédents de dépression et qu’ils avaient délibérément dissimulé ces renseignements pour le protéger.

2)  Les arguments du défendeur

[33]  Le défendeur affirme que les éléments de preuve du demandeur – datés de mars, mai et août 2017 – ne satisfaisaient pas au critère d’admissibilité, puisqu’ils sont survenus avant le rejet de la demande devant la SPR, qu’ils étaient normalement accessibles et qu’ils auraient normalement pu être présentés, dans les circonstances, au moment du rejet (Singh, aux par. 34, 35, 56; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au par. 13; LIPR, par. 110(4)). Il était loisible à la SAR de rejeter les explications du demandeur, d’autant plus que ce dernier n’a fourni aucune preuve pour les corroborer et que les éléments de preuve en question étaient facilement accessibles, dans les circonstances (Ikeme c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 21, au par. 34 [Ikeme]).

B.  La décision de la SAR confirmant le refus de la SPR était-elle déraisonnable?

1)  Les arguments du demandeur

[34]  Le demandeur soutient que la SAR a eu tort de ne pas mener une évaluation indépendante du dossier (Huruglica; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 396, au par. 4). Il affirme que l’explication qu’il a fournie pour justifier sa conversion au christianisme – à savoir que Mehrdad, qui l’a introduit à cette religion, lui a témoigné du soutien et de la gentillesse tout au long de la période où il souffrait de problèmes de santé mentale – était à la fois raisonnable et plausible, et que ses explications n’étaient ni vagues ni générales. Il fait remarquer que la dépression peut découler d’un certain nombre de facteurs, et qu’il était déraisonnable de ne pas tenir compte du fait que sa dépression était liée à ses observations sur le régime iranien, au décès de son ami proche et aux problèmes de santé de son père. Il ajoute que la SAR a commis une erreur en attendant de lui un certain degré de connaissance du christianisme, au lieu d’évaluer l’authenticité de sa foi (Dong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 55, au par. 20; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1030, au par. 13).

[35]  S’agissant de sa demande de VRT, le demandeur réitère qu’elle a été remplie par un passeur et qu’elle ne lui a jamais été remise pour qu’il la vérifie. Précisant qu’il avait fourni précédemment des documents à Khosrow, il soutient que ceux-ci n’étaient pas faux et que Khosrow ou le passeur ont dû inclure à son insu de faux renseignements dans la demande de VRT. C’est la raison pour laquelle il n’a pas expliqué leur inclusion dans son formulaire FDA. Il précise par ailleurs que, même si Khosrow lui a initialement apporté son aide avec la demande de VRT, c’est un passeur qui l’a remplie une fois que le risque auquel il était exposé s’est matérialisé et son témoignage sur ce point n’était donc pas contradictoire. Il soutient qu’il a décidé de ne pas mentionner ses projets initiaux de demande de VRT dans son formulaire FDA, car ce n’était pas pertinent au regard du risque. Il affirme que la fixation de la SAR sur ces préoccupations témoigne d’une évaluation déraisonnable, car d’une minutie exagérée (Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, au par. 24, citant Attakora).

[36]  Le demandeur soutient également qu’il était raisonnable de sa part de s’en remettre au conseil du passeur de retarder le dépôt de sa demande d’asile, étant donné qu’il détenait un visa de visiteur et qu’il ne risquait donc pas d’être renvoyé. Le passeur, qui l’avait aidé avec succès à quitter l’Iran, avait gagné sa confiance (El Balazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 38, aux par. 7 à 10, citant Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 2004, et Hue c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] ACF no 283; Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 585, aux par. 39 et 40). En outre, il était vraisemblable que le même passeur l’aide à entrer en Azerbaïdjan et à en sortir pour obtenir les renseignements biométriques requis; la SAR n’explique pas comment le demandeur aurait pu entrer au Canada sans retourner en Iran (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533; Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 675, au par. 17).

[37]  Enfin, le demandeur soutient que la SAR a soumis ses documents corroborants à un traitement inéquitable. Par exemple, il note que rien n’exige que des lettres soient corroborées par des documents d’identification en présence d’autres indicateurs d’authenticité (Paxi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 905, au par. 52). Par ailleurs, la contradiction relevée par la SAR entre le fait que le demandeur ait affirmé avoir été interpellé par le christianisme parce que cela aidait son état d’esprit et le fait que le pasteur ait déclaré que cela tenait à l’amour et au pardon de Jésus, est une distinction ténue qui revient à faire abstraction du fait qu’il y a de multiples raisons d’être interpellé par la foi. De plus, ni la SPR ni la SAR n’ont expressément expliqué pourquoi elles avaient écarté le témoignage du pasteur, présumé véridique, et elles n’ont pas non plus donné à ce pasteur l’occasion de dissiper les préoccupations associées à sa preuve (Bakcheev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 202, au par. 6).

2)  Les arguments du défendeur

[38]  Le défendeur soutient que la SAR a mené sa propre évaluation du dossier du demandeur et qu’elle a confirmé à juste titre le rejet de sa demande d’asile par la SPR (Huruglica, au par. 103; Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 317, aux par. 16 à 19 [Guo]; Tekle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1040, au par. 25). Le défendeur souligne que le fait d’être en désaccord en ce qui a trait à la conclusion de la SAR ne justifie pas à lui seul une intervention judiciaire (Dunsmuir, au par. 47; Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1028, au par. 42; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux par. 12, 14 à 16, 18; Guo, au par. 9).

[39]  Le défendeur fait valoir que l’ensemble de la preuve du demandeur, y compris ses omissions et contradictions, appuyait la conclusion ultime de la SAR. À ce titre, la question de savoir s’il détenait ou non un VRT et pouvait de ce fait raisonnablement tarder à présenter une demande d’asile n’a pas donné lieu à une erreur déterminante (Sheikh, à la p. 244; Niyonkuru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 174, au par. 23 [Niyonkuru]; Mughal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1557, au par. 31; Kosumov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1297, au par. 11; Jele c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 24, aux par. 34, 50; Sithamparanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 164, aux par. 15, 17, 21, 23; Borubae c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 125, aux par. 18 à 20; Mohamoud c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 665, aux par. 26, 29 et 30). Il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que la preuve du demandeur était vague et générale : non seulement n’a‑t‑il pas réussi à se souvenir des documents lui ayant été présentés qui l’avaient convaincu de devenir chrétien, mais son témoignage concernant la détresse qu’il vivait en Iran, son acquisition du visa et ses retards était en tous points vague et changeant. Par ailleurs, le fait qu’il se soit de nouveau réclamé de la protection de l’Iran après avoir voyagé en Azerbaïdjan contredisait la crainte du danger qu’il avançait (Ikeme, au par. 20; Maqdassy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 182, au par. 16).

[40]  Le défendeur soutient que les incohérences du demandeur suffisaient à réfuter la présomption de véracité de son témoignage, et comme il ne disposait d’aucune preuve corroborante qui ne soit pas entachée par sa crédibilité, aucune preuve objective fiable n’était à même d’étayer sa demande d’asile (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 5, au par. 19; Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 838, au par. 21 [Ma]; Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146, au par. 17; Thopke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 532, au par. 37; Khansary c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1146, aux par. 30 et 31; Adebayo c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 330, au par. 37). Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SPR (et par extension la SAR) pouvait légitimement tirer une conclusion générale d’absence de crédibilité, ce qu’elle a fait avec raison (Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551, au par. 36, citant Hohol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 870, au par. 19). Pour le défendeur, les explications avancées par le demandeur pour justifier les divergences liées à son visa étaient contradictoires, défiaient le sens commun et signalaient qu’il n’avait nullement tenté de corriger les renseignements frauduleux à son arrivée au Canada (Niyonkuru, au par. 23). Ayant mis en doute la crédibilité générale du demandeur, la SAR était en droit de rejeter même la preuve non contredite qui ne [traduction] « concord[ait pas] avec les probabilités se rapportant à l’ensemble de l’affaire » (Faryna c Chorny, [1952] 2 DLR 354 (BCCA), aux p. 356 à 359; Ma, aux par. 38 à 57; K.K. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 78, aux par. 68 et 69; Sidiqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 17, aux par. 23, 30, 31 et 34; Dosunmu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 188, au par. 26; Kipa Numbi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1037, au par. 19; Ikeme, au par. 20; Cao c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 364, au par. 27).

VIII.  ANALYSE

[41]  Il s’agit d’une demande très troublante. La décision contestée repose sur une série cumulative de conclusions défavorables, dont certaines me paraissent raisonnables, mais d’autres douteuses.

[42]  Par exemple, il est problématique, comme c’est souvent le cas dans ce type d’affaires, d’éprouver la sincérité de la conversion du demandeur au christianisme et de sa pratique de cette religion. La SPR et la SAR ont invoqué ce qu’elles ont considéré comme des incohérences dans les explications fournies par le demandeur pour justifier sa conversion au christianisme, et ce qu’elles ont perçu comme un manque de connaissance de certains principes élémentaires du christianisme, comme le baptême. Le demandeur a fourni des réponses à ces questions pour étayer que sa conversion est sincère et montrer qu’il a, en tant que converti de fraîche date, acquis des connaissances sur les enseignements de base de sa nouvelle foi. Mais cela n’a tout simplement pas suffi à la SPR et à la SAR, selon lesquelles il en saurait davantage si sa foi chrétienne était sincère. Elles en ont tiré les conclusions défavorables habituelles.

[43]  Comme l’a signalé la Cour à de nombreuses occasions, les personnes croyantes vivent et expriment leur foi de diverses façons. En l’espèce, le demandeur n’a pas répondu de façon incorrecte aux questions qui lui ont été posées; c’est juste qu’il n’a pas fourni les détails que la SPR et la SAR estiment arbitrairement – sans se baser sur une norme objective ou reconnue – qu’un véritable converti devrait connaître. Or, la foi est une affaire très personnelle.

[44]  S’agissant de convaincre la SPR, le demandeur venait d’arriver au Canada où il se heurtait à des barrières linguistiques et souffrait de dépression en raison de pertes personnelles subies en Iran et qui n’ont pas été remises en question par la SPR ou la SAR. Il bénéficiait aussi d’un appui solide de son pasteur et d’autres personnes qui étaient au courant de sa foi et de ses pratiques religieuses. Tous ces éléments ont été rejetés par la SAR :

[46]  J’ai examiné la lettre du pasteur et le certificat de baptême délivré par l’église de l’appelant au Canada à la lumière de l’ensemble de la preuve. J’estime que le fait que l’appelant fréquente une église au Canada ne peut attester que ses activités dans cette église et non sa motivation. À cet égard, la jurisprudence établit que l’opinion d’un pasteur ne peut remplacer l’examen de l’authenticité de la foi que le tribunal est censé effectuer.

[47]  En l’espèce, j’accorde peu de valeur probante à la lettre du pasteur, à son témoignage et au certificat de baptême. Je remarque qu’il est mentionné, dans la lettre du pasteur, que l’appelant lui a dit qu’il avait été attiré par le christianisme parce que c’est une religion fondée sur l’amour et le pardon, ce qui ne correspond pas à ce que l’appelant a vaguement déclaré dans son formulaire FDA à propos de ce qui l’a attiré vers le christianisme, à savoir qu’il s’est un jour senti [traduction] « calme et le cœur rempli de Jésus ». De plus, la lettre du pasteur précise que l’appelant a commencé à fréquenter l’église St Luke’s en mars 2017, alors qu’il est mentionné, dans le formulaire FDA que c’était en février 2017. Je conclus en outre que le fait que l’appelant assiste à des services religieux et se soit fait baptiser ne prouve pas que ses croyances sont authentiques. Les églises sont des établissements publics qui accueillent tous les membres du public.

[45]  Je peux comprendre que la SAR déclare, par exemple, que le baptême ne prouve pas de manière décisive que le demandeur est un véritable chrétien, mais je ne crois pas qu’il soit possible de dire que le baptême « ne prouve pas que ses croyances sont authentiques ». Il est certain que le baptême, associé à l’observation de son pasteur, donne à tout le moins une idée de l’authenticité des convictions du demandeur. Les conclusions de la SAR sont entachées d’un certain cynisme qui me laisse penser que la SAR n’était pas tout à fait objective lorsqu’elle a examiné l’engagement religieux du demandeur.

[46]  En bref, vu la situation personnelle du demandeur, les motifs pour lesquels il s’est converti au christianisme et le degré de connaissance que la SPR et la SAR ont exigé de lui, j’estime que les conclusions de la SAR quant à la sincérité de sa foi religieuse ne sont pas raisonnables.

[47]  Cette conclusion justifie à elle seule que l’affaire soit renvoyée pour réexamen. Si le demandeur est un chrétien converti sincère, il est alors évidemment exposé à un risque en Iran.

[48]  Cependant, je relève aussi d’autres erreurs déraisonnables. Par exemple, la SAR conclut que le demandeur est retourné en Iran après s’être rendu en Azerbaïdjan, malgré les craintes qu’il alléguait. Le demandeur affirme qu’il devait retourner en Iran pour que son visa de visiteur au Canada puisse être délivré. La SAR a rejeté cette explication, qu’elle a jugée insuffisante :

[33]  Même si j’accepte que l’appelant ait pu traverser la frontière iranienne pour se rendre en Azerbaïdjan avec l’aide d’un passeur, j’estime que son comportement ne concorde pas avec ses craintes présumées en Iran. L’appelant a déclaré, encore une fois, qu’il était très préoccupé et effrayé après avoir appris que les membres du Basij avaient fait une descente chez ses parents, qu’ils avaient détenu des membres de son église, qu’ils étaient à sa recherche du fait de son apostasie et qu’ils avaient même détenu son père. Même s’il savait tout cela le 23 septembre 2016, l’appelant est rentré en Iran après avoir réussi à quitter le pays pour se rendre en Azerbaïdjan, en octobre 2016. Il est illogique que l’appelant soit retourné en Iran alors qu’il était en sécurité dans un autre pays, hors de portée des autorités iraniennes. Il aurait pu venir au Canada depuis l’Azerbaïdjan pour demander l’asile.

[49]  Il est notable que la SAR n’explique pas sa simple affirmation portant qu’« [i]l aurait pu venir au Canada depuis l’Azerbaïdjan pour demander l’asile ». Le demandeur était seul en Azerbaïdjan, sans papier. La SAR n’explique pas, par exemple, comment il aurait été autorisé à monter à bord d’un avion à destination du Canada ou comment il aurait pu quitter l’Azerbaïdjan sans attirer l’attention des autorités, qui l’auraient renvoyé en Iran d’une façon qui aurait suscité l’intérêt des autorités iraniennes qu’il fuyait. La SPR lui a simplement demandé comment il avait traversé la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, ce à quoi il a répondu qu’un passeur l’avait aidé. Rien n’indique que ce passeur avait également les moyens de le faire sortir d’Azerbaïdjan et de le faire entrer au Canada. Le fait d’être retourné en Iran pour aller chercher son visa de manière à pouvoir prendre l’avion jusqu’au Canada ne contredisait ainsi pas ses craintes alléguées en Iran, puisque rien n’indique qu’il disposait d’un autre moyen de se rendre au Canada.

[50]  De même, la SAR a usé d’un raisonnement défectueux lorsqu’elle a invoqué le temps qu’il a fallu au demandeur pour présenter une demande d’asile après qu’il est entré au Canada grâce à un visa de visiteur :

[31]  Je rejette l’argument de l’appelant et conclus que la SPR n’a pas commis d’erreur. La SPR a demandé à l’appelant pourquoi il avait attendu sept mois avant de demander l’asile au Canada, et celui‑ci a répondu que c’était parce qu’il attendait de l’information de son passeur, ajoutant qu’il avait fini par perdre patience et décider de communiquer avec un avocat pour demander l’asile. Je rejette l’explication de l’appelant à propos de ce retard parce qu’il est incapable de dire quel genre d’information ou d’aide il attendait de son passeur en vue de demander l’asile et qu’il n’avait pas besoin de l’aide de son passeur pour présenter une demande d’asile au Canada. Le fait que l’appelant a fini par communiquer avec un avocat pour obtenir de l’aide et présenter sa demande d’asile montre qu’il le savait. De plus, même si je reconnais que l’appelant avait un visa de visiteur valide au moment de son arrivée au Canada, ses agissements ne concordent pas avec ses craintes présumées. L’appelant affirme qu’il a vécu caché en Iran pendant trois mois parce qu’il craignait le Basij qui était à sa recherche, que le Basij a fait une descente chez ses parents et que les autorités détenaient prétendument les autres membres de son église. L’appelant a aussi déclaré que la situation était si grave qu’il a eu besoin d’un passeur pour fuir l’Iran et venir en toute sécurité au Canada. L’appelant a écrit dans son formulaire FDA qu’il éprouvait une grande crainte. Dans son témoignage, l’appelant a dit que, dès que les incidents se sont produits, il savait qu’il était en danger en Iran. Compte tenu des éléments de preuve fournis par l’appelant lui‑même au sujet de ses craintes et des raisons pour lesquelles il a fui l’Iran, j’estime que le fait qu’il a tardé à demander l’asile au Canada est irréconciliable avec ses craintes présumées. Il serait logique de s’attendre à ce que l’appelant ait présenté une demande d’asile à la première occasion s’il éprouvait vraiment de telles craintes, ce qu’il n’a pas fait. Puisque l’appelant a tardé à présenter sa demande d’asile, je tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations et de la crainte subjective de l’appelant.

[51]  Le demandeur a expliqué à la SAR que lorsqu’il s’est retrouvé au Canada en sécurité, muni d’un visa de visiteur, il a suivi les conseils du passeur qui l’avait aidé et lui avait indiqué qu’il le communiquerait avec lui pour l’informer des prochaines mesures à prendre pour légaliser son statut de manière permanente.

[52]  Cette explication n’a rien d’intrinsèquement invraisemblable. Le passeur l’avait fait entrer au Canada dans des conditions sûres et il s’était ainsi révélé bien informé et efficace. Le demandeur venait d’arriver au Canada, il était nerveux et il ignorait comment présenter une demande d’asile. Pourquoi n’attendrait‑il pas d’avoir des nouvelles d’un passeur qui avait gagné sa confiance en le faisant sortir d’Iran et entrer au Canada en toute sécurité? Le visa de visiteur garantissait sa sécurité au Canada. Les motifs pour lesquels il avait fui l’Iran – invoqués par la SAR comme une preuve d’incohérence – étayent l’explication du demandeur selon laquelle il attendait les conseils d’un passeur de confiance qui l’avait déjà sauvé de ces dangers. Et comment le demandeur, un nouvel arrivant au Canada qui ignorait tout des procédures canadiennes d’immigration, aurait-il pu « dire quel genre d’information ou d’aide il attendait de son passeur en vue de demander l’asile […] »?

[53]  De plus, le fait que le demandeur, resté sans nouvelles du passeur, a fini par communiquer avec un avocat pour obtenir de l’aide ne signifie pas en soi qu’il savait qu’il n’avait pas besoin de l’aide du passeur. Le fait qu’il a fini par communiquer avec un avocat parce que le passeur n’avait pas communiqué avec lui comme il avait promis de le faire pour lui donner des conseils sur les prochaines mesures à prendre pour légitimer son statut au Canada ne prouve pas qu’il a toujours su qu’il n’avait pas besoin du passeur ou, même s’il le savait, qu’il était déraisonnable d’attendre les conseils de quelqu’un qui l’avait, par le passé, conseillé et aidé avec efficacité. Il s’agit en réalité d’une conclusion de vraisemblance : « Il serait logique de s’attendre à ce que l’appelant ait présenté une demande d’asile à la première occasion s’il éprouvait vraiment de telles craintes, ce qu’il n’a pas fait ». Cette conclusion de vraisemblance n’a pas été tirée dans le plus clair des cas. La jurisprudence de la Cour signale en effet clairement que le retard ne justifie pas en soi de refuser une demande d’asile (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au par. 7; Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 271 (CAF), 1993 CarswellNat 297, au par. 4; Pierre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 933, au par. 13). En l’espèce, la SAR a cherché d’autres raisons pour justifier d’avoir fondé sa conclusion défavorable sur le retard, mais ces raisons ne tiennent pas compte de l’ensemble des faits relatifs à la situation du demandeur après son arrivée au Canada ni du fait qu’il détenait un visa de visiteur valide.

[54]  La description par le demandeur des circonstances dans lesquelles il s’est converti au christianisme et a trouvé le moyen de venir au Canada est complexe et alambiquée. Le demandeur prétend ne pas pouvoir expliquer de nombreux aspects de sa demande d’asile, comme les faux renseignements qui figurent sur le certificat de naissance falsifié utilisé par le passeur, parce que ce n’est pas lui qui a préparé la demande de visa et qu’il a remis ses documents à ceux qui s’en chargeaient. Cependant, la preuve du demandeur ne contient aucun mensonge évident et la SAR a rejeté sa demande d’asile sur la base de conclusions défavorables cumulatives. À mon avis, certaines de ces conclusions sont déraisonnables et exigent le renvoi de la présente affaire pour réexamen.

[55]  Enfin, il y a un autre aspect de la décision contestée que je trouve particulièrement troublant. Il s’agit du refus de la SAR d’admettre les nouveaux éléments de preuve provenant d’Iran, à savoir deux citations à comparaître devant les tribunaux, datées respectivement du 5 mars et du 23 mai 2017, et une décision judiciaire définitive datée du 23 août 2017.

[56]  S’ils étaient admis et jugés authentiques – la SAR n’a pas abordé la question de l’authenticité –, ces éléments de preuve auraient établi que le demandeur a déjà été déclaré coupable par contumace en Iran [traduction] « de tendance et de promotion de la religion chrétienne » et [traduction] « de tendance et de coopération avec des groupes et des sectes faisant l’éloge de religions non islamiques en Iran et à l’extérieur du pays » et condamné à [traduction] « 12 ans d’emprisonnement taziri […] et à 72 coups de fouet ». En d’autres termes, si leur authenticité était reconnue, ces éléments de preuve appuieraient probablement de manière décisive la demande d’asile du demandeur.

[57]  La SAR a refusé d’admettre ces documents parce qu’elle ne pensait pas que des membres de la famille du demandeur, son frère en particulier, auraient omis de les divulguer parce qu’ils craignaient leur incidence sur la santé mentale du demandeur :

[…] En l’absence de tout élément de preuve corroborant provenant du frère de l’appelant, je ne crois pas que le frère de l’appelant aurait pris seul la décision de ne pas communiquer des documents importants qui auraient pu aider l’appelant à établir sa demande d’asile, en particulier puisque l’appelant avait fui l’Iran justement parce qu’il était déjà tout à fait au courant des conséquences de l’apostasie. À mon avis, l’appelant a présenté ces nouveaux documents dans le but de compléter la preuve déficiente présentée à la SPR et de renforcer son appel, ce qui n’est pas l’objectif des nouveaux éléments de preuve.

[58]  D’un point de vue technique, ces documents n’ont pas été admis parce que le demandeur n’a pas réussi à convaincre la SAR, conformément à la disposition législative applicable, qu’il n’aurait normalement pas pu les présenter lorsqu’il a comparu devant la SPR.

[59]  Le demandeur avait expliqué à la SPR qu’il s’était renseigné auprès de sa famille en Iran pour obtenir des documents, mais aucun de ses proches ne lui avait dit qu’ils avaient reçu les documents judiciaires en question parce qu’ils étaient pleinement conscients de la précarité de sa santé mentale et ne voulaient pas qu’il sache qu’une peine avait déjà été prononcée contre lui, ce qui risquait de provoquer une grave crise mentale.

[60]  Bien entendu, la SAR n’avait pas à accepter cette explication. Cependant, en la refusant, elle était néanmoins tenue, à mon avis, de considérer les conséquences graves découlant de la décision de ne pas admettre ces documents. S’ils étaient authentiques, et rien ne suggérait à la SAR qu’ils ne l’étaient pas, cela signifierait en fait qu’un demandeur d’asile sincère n’avait pas pu prouver ses arguments et risquait d’être expulsé en Iran et gravement maltraité en raison de sa foi religieuse, simplement parce que la SAR a estimé que ce demandeur aurait dû se renseigner (ce qu’il prétend avoir fait) et qu’elle n’a pas cru que sa famille ne l’aurait pas informé de l’existence de ces documents par crainte de l’incidence qu’ils pouvaient avoir sur sa santé mentale précaire. Je ne vois rien dans la décision de la SAR qui donne à penser qu’elle n’a pas reconnu la fragilité mentale du demandeur.

[61]  Les documents n’ont pas été écartés parce qu’ils étaient dépourvus de pertinence ou qu’ils n’étaient pas authentiques. Par conséquent, il existait une possibilité distincte que la SAR refuse une demande d’asile authentique parce que le demandeur ne l’avait pas convaincue que les documents en cause n’étaient pas normalement accessibles plus tôt. À mon avis, ceci est de nature à heurter la conscience des Canadiens, qui s’attendraient à ce que la SAR examine cette éventualité dans le cadre de ses délibérations sur la recevabilité et, eu égard à l’enjeu, qu’elle envisage un moyen d’éviter une conséquence tragique qui ne repose pas sur le mépris des dispositions législatives applicables et de l’objet général de la LIPR, qui est notamment la protection des réfugiés authentiques.

[62]  Le demandeur a réclamé une audience, qui a toutefois été refusée. Je note que rien n’empêchait la SAR de tenir cette audience, de demander que le frère y assiste – par téléphone ou autrement – de manière à ce que ses doutes sur cette affaire puissent être dissipés. La SAR a plutôt choisi de ne pas tenir compte des conséquences extrêmes pour le demandeur de son refus d’admettre des documents qui, pour autant que la SAR le sache, étaient tout à fait authentiques. Comme je l’ai déjà dit, j’estime que cette approche de la SAR, qui consiste à fermer les yeux sur ce risque et sur l’objet de la LIPR, qui est de protéger les réfugiés authentiques, heurterait la conscience des Canadiens. Par conséquent, la SAR aurait dû se pencher sur cette question.

[63]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et je suis d’accord.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3133‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour réexamen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’avril 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3133‑19

 

INTITULÉ :

HOSSEIN ASRI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Russell

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Lani Gozlan

 

POUR Le demandeur

 

Brad Gotkin

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lani Gozlan

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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