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Date : 20010820

Dossier : IMM-5441-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 AOÛT 2001

En présence de MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                 KRISHNER ANANDAKRISHNAN et

                                                 SIVAGANGAI ANANDAKRISHNAN

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est à certifier.

                                                                                                                    « J. François Lemieux »

                                                                                                                                 JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

20 août 2001

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


Date : 20010820

Dossier : IMM-5441-00

Référence neutre : 2001 CFPI 922

ENTRE :

                                                 KRISHNER ANANDAKRISHNAN et

                                                 SIVAGANGAI ANANDAKRISHNAN

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur et sa femme, tous deux âgés de 67 ans, qui sont des Tamouls originaires de Jaffna au Sri Lanka, visant la décision rendue à leur encontre par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) en date du 14 septembre 2000.


[2]                 Il s'agit de leur seconde revendication du statut de réfugié, la première ayant été entendue le 3 septembre 1998, suite à quoi la Section du statut a rejeté leur revendication, le 1er décembre 1998. Leur demande de recours et de contrôle judiciaire présentée à cette cour a également été rejetée le 26 avril 1999.

[3]                 À l'appui de leur seconde revendication, les demandeurs ont présenté de nouveaux FRP où le mari revient en détail sur les actes de torture qu'il a subis aux mains de l'armée. Les demandeurs ont également soumis des preuves documentaires obtenues du Dr Joseph, attaché au foyer Sainte-Anne de Colombo, où ce médecin déclare avoir vu le demandeur, le 15 septembre 1997, [TRADUCTION] « dont le dossier médical fait état de douleurs internes et d'ecchymoses résultant de la torture que les forces armées lui ont infligée et des coûts assénés avec des instruments contondants » .

[4]                 Les demandeurs allèguent également dans leur FRP que de nombreux Tamouls faits prisonniers par les forces de sécurité sri lankaises ont disparu et que les TLET obligent les Tamouls âgés à s'engager dans la force auxiliaire.

[5]                 Le tribunal a résumé les dépositions orales des demandeurs dans les termes suivants :


Dans sa déposition orale, le revendicateur a prétendu que les services d'immigration sri lankais confisqueraient leurs cartes d'identité nationales puisqu'il n'existe aucune trace de leur départ du Sri Lanka. Ils seraient alors interrogés par le Service central d'enquête. Selon lui, étant donné qu'il ne possède pas de laissez-passer délivré par l'armée, ils auraient du mal à rester à Colombo. Il sait que la Croix-Rouge a commencé à offrir un service de traversier reliant Trincomalee à Jaffna, mais il leur faudrait attendre longtemps avant de pouvoir le prendre. Il affirme qu'il serait soupçonné d'être un partisan des TLET et que les autorités savent que de nombreux Tamouls vivant au Canada sont des sympathisants des Tigres. Lorsqu'on lui a demandé s'il savait si la situation avait changé au Sri Lanka depuis son départ, il a fait état du bombardement de la Banque centrale, de la tentative d'assassinat du président et du meurtre d'un député tamoul. Il prétend que le gouvernement a maintenant accepté le fait que les TLET recrutent des personnes âgées de plus de 55 ans. Il existe une troupe auxiliaire, prétend-il, qui aide les TLET à patrouiller les frontières.

[6]                 Comme il s'agissait d'une seconde revendication, le Tribunal a suivi l'approche que le juge Rothstein, alors juge à la Section de première instance, a adoptée dans Vasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-1979-97, 26 novembre 1998, où il déclare que les conditions d'application de la règle de l'irrecevabilité à remettre en cause une question, qui est une variante du principe de la chose jugée, avaient été remplies, comme en fait foi l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Angle c. Ministre du Revenu national, [1995] 2 R.C.S. 248.

[7]                 Le tribunal a exprimé son approche en ces termes :

Au début de l'audience, le tribunal a informé l'avocate et les revendicateurs qu'il suivrait le principe de l'autorité de la chose jugée et n'examinerait que les éléments de preuve attestant de changements dans la situation du Sri Lanka depuis la dernière audience. Le premier tribunal avait conclu que le témoignage du revendicateur n'était pas crédible : il n'avait pas cru en effet qu'il avait été torturé par l'armée parce qu'il le soupçonnait d'être un espion des Tigres tamouls. Son analyse de la plausibilité du témoignage s'appuyait sur la preuve documentaire, qui ne permettait pas de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l'on puisse soupçonner d'espionnage les Tamouls âgés de 65 ans. Le présent tribunal n'est pas prêt à infirmer cette conclusion ni à réexaminer les mêmes faits sauf s'il est objectivement démontré que la situation a changé au Sri Lanka au point où les revendicateurs risquent maintenant d'être persécutés parce qu'ils sont des Tamouls de la région de Jaffna.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                 L'avocat des demandeurs a convenu que la règle de l'irrecevabilité à remettre en cause une question s'appliquait en l'espèce, mais il a prétendu que le tribunal ne l'a pas respectée et, de plus, l'a appliquée inégalement.


[9]                 Il a allégué, en premier lieu, que le tribunal a enfreint un principe de justice naturelle en revenant sur une conclusion de fait formulée par le tribunal précédent, laquelle n'avait rien à voir avec le seul point que le tribunal avait dit qu'il considérerait, c'est-à-dire un changement dans la situation du pays. Au dire des demandeurs, la question objet d'immixtion par le tribunal était celle de savoir s'ils avaient illégalement quitté le Sri Lanka.

[10]            La deuxième question, connexe à la première, est celle de l'application inégale de la règle de l'irrecevabilité à remettre en cause une question. Les demandeurs allèguent que le tribunal a invoqué cette règle pour exclure la preuve médicale obtenue du Dr Joseph, du foyer Sainte-Anne, alors que, d'autre part et au détriment des demandeurs, il a omis de l'appliquer lorsqu'il a conclu que le demandeur était en mesure d'exhiber une preuve de sa citoyenneté à la première audience puisqu'il avait obtenu ce document pour se faire délivrer un passeport et quitter légalement le Sri Lanka.

[11]            Quant à la troisième question, l'avocat des demandeurs plaide que le tribunal s'est mépris sur le fondement de la crainte qu'éprouvaient les demandeurs et n'a pas tenu compte des preuves documentaires qui contredisaient sa propre conclusion au sujet du recrutement par les TLET.

ANALYSE

(1)        La première question -- manquement à la justice naturelle


[12]            L'avocat des demandeurs signale les extraits suivants de la décision du tribunal, pour prouver une entorse aux règles de procédure qu'il a lui-même clairement énoncées à l'ouverture de l'audience, à savoir : que l'application de la règle de l'irrecevabilité à remettre en cause une question limitait son intervention aux seules questions touchant les nouvelles conditions qui régnaient dans le pays :

Pour commencer, nous avons déjà informé les revendicateurs que le tribunal n'était pas prêt à réexaminer les conclusions du premier tribunal, selon lesquelles les revendicateurs ne sont pas crédibles quant au principal argument de leurs revendications, à savoir qu'il existe une possibilité sérieuse qu'ils soient persécutés par les forces de sécurité, qui les soupçonneraient d'être des partisans des TLET. Par conséquent, le tribunal n'a aucun élément de preuve sur lequel se fonder pour croire que les revendicateurs ont quitté le Sri Lanka illégalement. Étant né en Malaisie, le revendicateur s'était muni pour sa première audience d'un document attestant sa citoyenneté sri lankaise. Cette lettre, datée du 14 mars 1997, provient du ministère de la Défense et est adressée au domicile du revendicateur, à Sandilipay. [...] Cependant, la pièce d'identité clé au Sri Lanka est la carte d'identité nationale (CIN). Le revendicateur possédait déjà une CIN lorsqu'il a demandé la confirmation de sa citoyenneté. Le tribunal trouve raisonnable d'en conclure que le revendicateur a demandé la confirmation de sa citoyenneté afin d'obtenir un passeport. [non souligné dans le texte original]

[13]            L'avocat du défendeur a reconnu que le tribunal a contrevenu aux règles qu'il avait établies au début de l'audience, lorsqu'il a conclu, en inférant de la preuve soumise au premier tribunal, que les revendicateurs n'avaient pas quitté illégalement le Sri Lanka. Il dit toutefois que cette violation n'a eu aucune conséquence, parce que le tribunal a accessoirement formulé la conclusion suivante:


Même s'il fait erreur, il est d'avis qu'avec une preuve de leur citoyenneté, leurs CIN, ainsi qu'avec leurs certificats de naissance et de mariage, les revendicateurs ne seront pas importunés par les services d'immigration sri lankais à leur retour à Colombo. Nous ne sommes pas disposés à croire que, parce qu'ils étaient au Canada, les revendicateurs seront soupçonnés d'être des partisans des TLET. Ils seront peut-être détenus et interrogés, mais le tribunal n'a aucun élément de preuve sur lequel se fonder pour croire que des Tamouls âgés pouvant facilement prouver leur identité sont inutilement tourmentés à leur retour à Colombo en provenance du Canada. [non souligné dans le texte original]

[14]            La conclusion que conteste l'avocat des demandeurs ainsi que la conclusion accessoire se situent dans le contexte de la réception que les services d'immigration sri lankais (par opposition à l'armée sri lankaise (ASL)) réserveraient aux demandeurs à leur arrivée à l'aéroport international de Colombo.

[15]            Je suis disposé à accueillir l'observation de l'avocat du défendeur voulant que la conclusion accessoire corrige la faute qu'a commise le tribunal en s'autorisant à inférer que les demandeurs avaient légalement quitté le Sri Lanka et, partant, que les formalités d'entrée à l'aéroport n'en seraient pas indûment compliquées. Je fais cela pour deux raisons.

[16]            En premier lieu, la décision du tribunal ne constitue pas une entorse à la règle de l'irrecevabilité à remettre en cause une question ni aux instructions procédurales données à l'ouverture de la seconde audience, du fait que la conclusion accessoire reprend essentiellement celle qu'a tirée le premier tribunal sur ce point. En voici un extrait :

[TRADUCTION] ... La question essentielle est toujours celle de la vérification de l'identité, la carte d'identité nationale (CIN) étant le document classique à cette fin, quoique le passeport, un permis de conduire ou tout autre document puisse suffire. La personne qui court le plus de risques est celle qui est récemment arrivée du Nord ou de l'Est, est née là-bas, n'est pas enregistrée à Colombo, n'a pas une CIN ni un endroit où demeurer, etc. Tous les résidents de Colombo, y compris les cinghalais, sont régulièrement arrêtés et les postes de contrôle et de sécurité sont considérés comme faisant partie du mode de vie dans la capitale. La revendicatrice possède une CIN et un passeport prouvant son identité, et son mari, des documents attestant sa nationalité. À notre avis, les revendicateurs n'ont donc pas de bonnes raisons de craindre la persécution. Notons aussi qu'ils ne cadrent pas avec le profil de ceux qui courent le plus de risques au Sri Lanka, c'est-à-dire les jeunes Tamouls célibataires, hommes et femmes.


[17]            En second lieu, la preuve documentaire soumise au premier tribunal (sur laquelle celui-ci s'est appuyé), fondée sur un communiqué du HCNUR, énonce que les demandeurs d'asile rejetés qui arrivent, munis de titres de voyage, ne rencontrent aucune difficulté à l'aéroport de Colombo et, en général, ne sont pris à parti ni à l'aéroport, ni plus tard.

2.        La deuxième question -- application inégale de la règle de l'irrecevabilité à remettre en cause une question

[18]            Il n'est pas nécessaire de trop s'étendre sur la deuxième question soulevée par les demandeurs. Le tribunal avait nettement raison de n'accorder aucun poids à la lettre du foyer Sainte-Anne parce qu'elle tombait dans la catégorie des nouvelles preuves irrecevables, contrairement aux décisions Angle et Vasquez, supra. L'application inégale découlant de la référence à la citoyenneté n'a aucune importance étant donné la conclusion accessoire du tribunal et celle de son prédécesseur disant que le demandeur possède des documents prouvant sa nationalité sri lankaise.

3.         La troisième question -- Méprise sur la crainte des demandeurs et défaut de tenir compte de preuves documentaires pertinentes


[19]            L'avocat des demandeurs soutient que la crainte de ses clients se fondait sur le recrutement de personnes de leur âge par les TLET. L'âge ne les protège donc pas contre les autorités sri lankaises qui les soupçonneraient d'appartenir au TLET ou de les appuyer. Lorsque les Tigres tamouls s'attaquent à des lieux sous contrôle de l'armée, les demandeurs, qui habitent dans ces zones, craignent d'être détenus par les autorités. Leur avocat attire l'attention sur des documents postérieurs à ceux dont le premier tribunal était saisi qui contredisent la conclusion de celui-ci selon laquelle les demandeurs, une fois de retour au Sri Lanka, ne seront pas indûment importunés par les services d'immigration à Colombo.

[20]            Je ne suis pas disposé à intervenir dans la conclusion du tribunal sur ce point, car disons-le encore une fois, c'est essentiellement une invitation à reconsidérer les conclusions du premier tribunal. Les demandeurs se sont fondés sur leurs nouveaux FRP pour soutenir que les TLET obligent des Tamouls âgés à s'engager dans la force auxiliaire. Ils ont également témoigné sur ce point.

[21]            Le tribunal a été saisi d'une preuve documentaire sous forme du bulletin d'information numéro 23, daté du 11 juillet 2000, provenant de la University Teachers for Human Rights de Jaffna, au Sri Lanka, sur lequel le tribunal a assis ses conclusions concernant la politique des TLET sur le recrutement d'enfants. Ce bulletin mentionne aussi la Border Force en disant que les civils recrutés dans cette organisation ont de 16 à 45 ans, alors que leurs concitoyens plus âgés sont embrigadés dans la Village Force pour effectuer des travaux comme la réfection des routes.

[22]            C'est à partir de ces faits que le tribunal a conclu que les demandeurs, âgés tous deux de 65 ans, ne risquent pas beaucoup d'être ainsi recrutés dans les zones sous contrôle de l'armée et, par conséquent, que celle-ci ne les soupçonnera pas d'appuyer les TLET. Les preuves documentaires prises en compte par le tribunal confortent cette conclusion. Je n'accepte pas l'argument de l'avocat des demandeurs alléguant que le tribunal n'a pas tenu compte d'une preuve documentaire consistant en un document de fond daté d'octobre 1998, provenant de la Direction de la recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et, en particulier, les pages 31 et 32 où il est dit que la corruption pose bien plus de problèmes pour les Tamouls qui reviennent de l'étranger.

[23]            Je ne vois aucune contradiction entre la conclusion du tribunal disant expressément que les demandeurs, en raison des documents qu'ils portent, ne seront pas indûment harcelés par les services d'immigration sri lankais à l'aéroport de Colombo, et une déclaration de portée générale dans le document de fond de la CISR où il est dit [traduction] « que les fonctionnaires présument que ces Tamouls font partie des Tigres et les considèrent comme une cible légitime » de rançon et d'extorsion. Le rapport de la CISR se fonde sur une hypothèse que le tribunal n'a pas formulée et qu'il a en fait rejetée.


DISPOSITIF

[24]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est à certifier.

« J. François Lemieux »

                                                                                                                                 JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

le 20 août 2001

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                         IMM-5441-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :       ANANDAKRISHNAN ET AL. c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          26 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE par Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS : 20 août 2001

ONT COMPARU

Vania Compana                                                                              POUR LES DEMANDEURS

Matthew Oommen                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Rhonda Marquis                                                                             POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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