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Date : 20200214


Dossier : IMM-2915-19

Référence : 2020 CF 253

Ottawa (Ontario), le 14 février 2020

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

MIGUEL ANGEL ARANA DEL ANGEL

BEATRIZ ISELA ORDUNA GARCIA

BRANDON DONOVAN ARANA ORDUNA

LESLY MICHELL ARANA ORDUNA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, une famille de quatre, tous ressortissants mexicains se pourvoient en contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rendue le 28 mars 2019. La SAR, étant d’avis que leur récit n’était pas crédible, a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [Loi]. La SAR confirmait ainsi une décision au même effet de la Section de la protection des réfugiés [SPR].

[2]  Selon la demande d’asile des demandeurs, les événements qui auraient précipité leur départ du Mexique seraient survenus le 23 décembre 2016 lorsque le demandeur principal, Miguel Angel Arana Del Angel, qui est le père de la famille et camionneur de métier, se serait fait intercepter par des membres armés de l’organisation criminelle Los Zetas, lesquels lui auraient intimé l’ordre de travailler pour eux. On voulait qu’il transporte de la drogue pour le compte du groupe. On lui aurait aussi dit que s’il refusait de collaborer, les membres de sa famille, dont ils disaient connaitre les noms, en paieraient le prix.

[3]  En raison de ces événements, les demandeurs disent s’être cachés à différents endroits chez des membres de la famille et dans une autre maison dont ils sont propriétaires. Le demandeur principal dit aussi avoir dû laisser son emploi. Les demandeurs ont finalement quitté le Mexique pour le Canada le 2 février 2017, non sans avoir au préalable fait une dénonciation auprès d’un juge officier. Leur demande d’asile a été produite quelques jours plus tard.

[4]  La SPR a noté plusieurs contradictions, omissions et incohérences minant la crédibilité du récit du demandeur principal sur la manière dont se serait déroulée la rencontre avec les membres du groupe Los Zetas en décembre 2016. Par exemple, la SPR a jugé que le demandeur principal n’avait pu expliquer de manière satisfaisante la raison pour laquelle il n’avait pas mentionné au formulaire « Fondement de la demande d’asile » [FDA] que des membres du groupe en question auraient laissé une note de menace à son domicile ou encore se seraient présentés sur les lieux de son travail, comme il l’a évoqué lors de son témoignage. La SPR s’est par ailleurs dite étonnée aussi que le fait que la résidence principale des demandeurs aurait été saccagée après les événements de décembre 2016, lui aussi évoqué lors du témoignage du demandeur principal, n’ait pas été mentionné au FDA.

[5]  Devant la SAR, les demandeurs ont surtout fait porter le blâme, pour le rejet de leur demande d’asile, sur leur conseiller en immigration et l’avocate qui les représentaient au moment où ils sont soumis ladite demande. Notamment, ils ont imputé les omissions au FDA à ce conseiller et blâmé l’avocate pour ne pas avoir apporté à ce document les corrections nécessaires après qu’ils y eurent détecté des inexactitudes et pour ne pas les avoir préparés adéquatement en vue de l’audience devant la SPR. Dans un affidavit souscrit aux fins de cet appel, le demandeur principal a indiqué conserver un « souvenir très difficile de cette audience », ne sachant pas, selon ses dires, comment réagir, lorsque confronté aux questions de la SPR portant sur les irrégularités du FDA, alors qu’il avait pourtant dénoncé celles-ci à leur avocate.

[6]  La SAR a rejeté ces arguments au motif que toutes et chacune des contradictions et omissions identifiées par la SPR ne pouvaient s’expliquer par le fait que les demandeurs aient pu être mal représentés au stade de leur demande d’asile et de leur comparution devant la SPR.

[7]  Elle a aussi refusé le dépôt de documents que les demandeurs souhaitaient lui soumettre aux termes de l’article 110(4) de la Loi, dont un certain nombre de lettres provenant de proches de la famille et portant sur les événements ayant conduit à leur départ du Mexique. Eu égard au dépôt de ces lettres, la SAR a noté que les demandeurs n’avaient pu expliquer pourquoi elles n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet de leur demande d’asile ou, si elles l’étaient, pourquoi ils ne les avaient pas présentées à ce moment.

[8]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré sur les deux plans. Ils estiment, plus particulièrement, que la SAR n’a pas suffisamment tenu compte de leur réalité en tant que demandeurs d’asile allophones qui ne se sont pas vus accorder l’attention nécessaire par leur avocate et leur conseiller en immigration, lesquels se présentaient comme des professionnels et à qui ils faisaient confiance, dans la présentation de leur demande d’asile. Il y a là un manque aux règles de la justice naturelle que la SAR ne pouvait, sans errer, ne pas constater.

[9]  Quant à l’admissibilité de la preuve qu’ils souhaitaient produire devant la SAR, les demandeurs plaident que le paragraphe 110(4) de la Loi doit être interprété de façon large, conformément à l’intention du législateur, à l’esprit de la Loi et à la jurisprudence. Ils disent avoir dû demander le dépôt de ces éléments de preuve additionnels pour pallier aux conséquences de l’incompétence de leur conseiller en immigration et de leur avocate et prétendent, dans ces circonstances exceptionnelles, qu’il importe d’interpréter avec souplesse les règles régissant le dépôt et l’admissibilité de tels éléments de preuve. Ils ajoutent que les délais très restreints à l’intérieur desquels ils devaient produire leur demande d’asile doivent aussi être pris en considération dans la détermination de l’admissibilité desdits éléments de preuve additionnels.

[10]  Il s’agit ici de déterminer si la SAR, en décidant comme elle l’a fait sur ces deux plans, a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

[11]  Au moment où cette affaire a été plaidée, la norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR concernant l’incompétence du représentant ou encore l’admissibilité de nouvelles preuves était celle de la décision raisonnable, telle que définie dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] (Abuzeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 34 aux para 11-12 [Abuzeid]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 29 [Singh]).

[12]  Toutefois, quelques jours après avoir pris le présent dossier en délibéré, la Cour suprême du Canada rendait jugement dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], une affaire qui s’est présentée à elle comme une « occasion de se pencher de nouveau sur sa façon d’aborder le contrôle judiciaire des décisions administratives » (Vavilov au para 1).

[13]  Aux termes d’une directive émise aux parties, je leur ai offert de produire des représentations écrites additionnelles sur l’impact que pouvait avoir cet arrêt sur la présente affaire, ce qu’elles ont fait. Les demandeurs soutiennent que Vavilov milite fortement en faveur de l’application de la norme de la décision correcte aux questions relatives à l’admissibilité de preuves nouvelles en appel en raison des répercussions personnelles importantes que ces questions peuvent avoir, notamment à l’égard de personnes vulnérables comme le sont la plupart des demandeurs d’asile.

[14]  Cet argument, qui repose sur les paragraphes 133 à 135 de Vavilov, ne saurait être retenu. Ces paragraphes ne prônent pas, contrairement à ce que prétendent les demandeurs, l’application d’une norme autre que la norme de la décision raisonnable aux décisions ayant une incidence importante pour l’individu visé. Au contraire, ils se situent dans la partie du jugement traitant du contenu de la norme de la décision raisonnable et ils insistent sur l’importance, pour les décideurs administratifs, de s’assurer que les motifs de leurs décisions, dans ces cas, reflètent qu’ils ont tenu compte des conséquences de celles-ci sur les individus visés et que ces conséquences sont justifiées au regard des faits et du droit (Vavilov au para 135).

[15]  Comme le souligne à juste titre le défendeur, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique ici. En effet, dans un souci de clarification et de simplification du droit applicable eu égard à la détermination de la norme de contrôle applicable dans un cas donné, la Cour suprême a adopté un « cadre d’analyse repos[ant] sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas » (Vavilov aux para 10 et 25). Ce cadre d’analyse tient pour acquis, en tant que fondement conceptuel de cette présomption, l’expertise du décideur administratif, considérée inhérente à ses fonctions spécialisées (Vavilov aux para 26 à 28).

[16]  Comme le souligne également le défendeur, à juste titre toujours, il ne peut y avoir dérogation à cette présomption que dans deux types de situations. Le premier type de situations concerne les cas où le législateur a indiqué clairement souhaiter l’application d’une norme différente de la norme de la décision raisonnable. Ce sera le cas lorsque le législateur prescrit lui-même la norme applicable ou encore prévoit un mécanisme d’appel d’une décision administrative devant une cour de justice. Il s’agit ici de respecter la volonté du législateur (Vavilov au para 17).

[17]  Le deuxième type de situations vise, pour sa part, les instances où la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable doit céder le pas lorsque la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. Ce sera le cas des questions de nature constitutionnelle, des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et des questions liées à la délimitation des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov au para 17).

[18]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la présente affaire ne présente aucune des caractéristiques permettant d’écarter la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable.

[19]  Quant à l’impact de Vavilov sur le contenu de la norme de la décision raisonnable, que le défendeur estime s’inscrire dans la continuité des principes établis dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], je réitère ce que j’ai dit récemment dans l’affaire Elusme c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 225:

[15]  Quant au contenu lui-même de la norme de la décision raisonnable, le défendeur soumet que Vavilov s’inscrit dans la continuité du cadre d’application de cette norme, tracé par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] et ceux qui l’ont suivi. Je suis généralement d’accord avec cet énoncé. Il me suffira d’ajouter, pour les fins du présent dossier, que, comme l’a rappelé la Cour suprême, « [u]ne cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème ». Elle n'est appelée « qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu » (Vavilov au para 83).

[16]  À ce dernier égard, la Cour suprême rappelle que la cour de justice qui entreprend la révision d’une décision d’un décideur administratif suivant la norme de la décision raisonnable doit faire preuve de déférence envers une telle décision (Vavilov au para 85) et doit se garder de se livrer « à une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102).

[17]  En bout de ligne, la cour de révision doit, selon la Cour suprême, « s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur » et déterminer « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99).

[18]  Ce faisant, toutefois, la cour de révision n’interviendra à l’égard des conclusions de fait du décideur administratif que dans des « circonstances exceptionnelles », soit lorsque ce décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov aux paras 125-126). Ce faisant, toujours, elle doit être consciente que les motifs écrits du décideur administratif « ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection », puisque la justice administrative ne ressemble pas toujours à la justice judicaire (Vavilov au para 91). Également, lorsqu’elle apprécie la qualité du raisonnement suivi par le décideur, telle qu’elle se révèle des motifs de sa décision, elle peut tenir compte, notamment de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle la décision a été rendue et de la preuve dont disposait le décideur (Vavilov au para 94).

[19]  Cette méthode d’analyse s’inscrit donc effectivement, selon moi, dans la continuité des principes établis dans l’arrêt Dunsmuir bien qu’il faille s’assurer que l’application de ces principes dans un cas donné cadre avec ceux énoncés dans Vavilov, dont l’objectif ultime est de « développer et renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif » (Vavilov aux para 2 et 143).

[20]  Appliquant la norme de la décision raisonnable aux faits et aux circonstances de la présente affaire, je suis d’avis que rien ne justifie l’intervention de la Cour.

[21]  D’abord, sur la question de la représentation déficiente, le procureur des demandeurs n’a pas insisté sur ce point à l’audience du présent contrôle judiciaire, se disant non convaincu, en bout de course, que l’avocate qui représentait les demandeurs au stade de la demande d’asile avait mal fait son travail.

[22]  Je rappelle, à cet égard, que le fardeau qui s’impose à celui ou celle qui invoque un tel argument est très strict. En effet, la preuve de l’incompétence de l’avocat « doit être si claire et sans équivoque et les circonstances si déplorables que l’injustice causée au requérant crèverait pratiquement les yeux » (Parast c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 660 au para 11 [Parast]; Mbaraga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 580 au para 25). On parle ici de circonstances des plus exceptionnelles (Parast au para 11).

[23]  Quoi qu’il en soit, une lecture de la décision de la SAR démontre que les demandeurs n’ont pas réussi à établir que le sort de leur demande d’asile aurait été différent, n’eût été de l’incompétence alléguée de leur avocate, qui est un des critères à rencontrer pour faire casser une décision défavorable sur la base d’un tel argument (Abuzeid au para 21; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 84). La SAR a procédé à un examen minutieux de cet argument en fonction de chacune des omissions et contradictions relevées par la SPR. Elle en a conclu que ces omissions et contradictions étaient largement, sinon exclusivement, tributaires d’omissions de la part du demandeur principal, omissions qu’il n’avait pu justifier de manière satisfaisante. Je ne vois rien qui puisse, tant sur le plan du raisonnement suivi par la SAR que sur celui du résultat auquel elle en est arrivée, justifier mon intervention.

[24]  Les demandeurs plaident toujours, cependant, que le travail de leur conseiller en immigration leur a causé un préjudice qui aurait dû convaincre la SAR d’intervenir. Toutefois, la preuve au dossier démontre que les lacunes au FDA, ayant pu découler du travail de ce conseiller, ont été portées à l’attention de l’avocate grâce à l’intervention de la sœur du demandeur principal, qui vit à Montréal, et que des modifications ont été apportées au FDA à temps pour l’audience devant la SPR (Dossier certifié du tribunal [DCT] aux p. 51 et 393 à 396).

[25]  La qualité du travail effectué par le conseiller en immigration avec qui les demandeurs ont fait affaire, eux qui étaient aussi représentés par une avocate dont on ne remet plus en cause la compétence et qui avait été mise au fait des problèmes liés au travail de ce conseiller avant l’audience devant la SPR, n’a donc aucune incidence, dans les circonstances de la présente affaire, sur la décision qu’a pu prendre la SPR et, après elle, la SAR.

[26]  Je ne vois pas non plus matière à intervenir à l’encontre de la décision de la SAR de ne pas admettre les éléments de preuve nouvelle que souhaitaient lui soumettre les demandeurs, et ce pour deux raisons. D’une part, l’argument des demandeurs sur cette question est largement ancré sur l’argument lié à la piètre qualité des services qu’ils auraient reçus de leur conseiller en immigration et de leur avocate du temps de leur demande d’asile. Le dépôt tardif de ces éléments de preuve serait, selon eux, la conséquence directe de la piètre qualité de ces services. Il leur fallait bien pallier, disent-ils, aux mauvais conseils qu’ils avaient reçus sur ce qui était utile et nécessaire de produire pour étayer leur demande d’asile.

[27]  Or, j’ai déjà disposé de cette question et je rappelle que les demandeurs ne sont, de toute façon, maintenant plus convaincus que l’avocate qui les représentait au stade de leur demande d’asile, n’a pas fait son travail.

[28]  Je suis d’avis, d’autre part, que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son application du paragraphe 110(4) de la Loi aux documents que les demandeurs voulaient produire devant elle.

[29]  Le paragraphe 110(4) de la Loi se lit comme suit :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

110. (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110. (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[30]  Cette disposition de la Loi a été analysée dans l’arrêt Singh. Selon les enseignements de la Cour d’appel fédérale, seuls les éléments de preuve suivants seront ainsi admissibles (Singh au para 34):

  1. Les éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile;
  2. Les éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles à ce moment; ou
  3. Les éléments de preuve qui étaient normalement accessibles, mais que la personne en cause n’aurait pas normalement présentés dans les circonstances au moment du rejet.

[31]  Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, les exigences du paragraphe 110(4) doivent être interprétées restrictivement et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR (Singh au para 35).

[32]  Les demandeurs ont tenté de déposer les documents suivants devant la SAR. D’abord, ils ont tenté de produire le FDA, tel que rempli par le conseiller en immigration, ainsi qu’une copie des courriels échangés entre la sœur du demandeur principal et l’avocate qui les représentait alors afin d’identifier les inexactitudes contenues au FDA. La SAR a conclu que ces documents n’étaient pas nouveaux, le FDA étant celui déposé devant la SPR et les courriels faisant état de rectifications qui ont été éventuellement portées à la connaissance de la SPR (DCT, pièce P-7, à la p. 395).

[33]  Ils ont aussi voulu déposer un document décrit comme étant « l’histoire personnelle [des demandeurs] telle qu’elle aurait dû être déposée afin de reproduire fidèlement les évènements » ainsi qu’une lettre de la sœur du demandeur principal vivant à Montréal, datée du 17 mai 2017, faisant état de la mauvaise qualité du travail effectué par leur conseiller en immigration. Après avoir constaté que le document censé reproduire fidèlement les événements ayant incité les demandeurs à fuir le Mexique, n’était ni signé, ni daté, la SAR a noté que les demandeurs n’avaient fourni aucune explication sur ce qui pouvait différencier ledit document du FDA produit devant la SPR, avec ses rectificatifs, pas plus qu’ils n’avaient expliqué en quoi ce document n’était pas accessible au moment du rejet de la demande d’asile ou, s’il l’était, en quoi il n’aurait pas été normalement présenté, dans les circonstances, au moment du rejet.

[34]  Quant à la lettre de la sœur du demander principal, la SAR a noté qu’elle faisait état de faits antérieurs au rejet de la demande d’asile et qu’encore une fois, aucune explication n’avait été fournie par les demandeurs permettant de satisfaire aux critères du paragraphe 110(4) de la Loi.

[35]  À l’audience du présent contrôle judiciaire, le procureur des demandeurs a reconnu qu’il n’était pas déraisonnable, de la part de la SAR, de ne pas avoir permis le dépôt du FDA original, qui était déjà au dossier, et celui du document censé reproduire fidèlement les événements ayant incité les demandeurs à quitter le Mexique. À ce dernier égard, il importe de rappeler que la vocation du paragraphe 110(4) de la Loi n’est pas de permettre à un demandeur d’asile de bonifier une demande déficiente ou incomplète au stade de l’appel devant la SAR (Singh au para 54).

[36]  Par ailleurs, il est à se demander pourquoi la lettre de la sœur du demandeur principal n’a pas été produite avant le rejet de la demande d’asile, d'autant plus que la sœur du demandeur principal semblait être partie prenante aux démarches effectuées par les demandeurs pour mener à terme leur demande d’asile, la preuve au dossier démontrant qu’elle a interagi à un certain nombre de reprises avec le conseiller en immigration et avec l’avocate dont les demandeurs avaient retenu les services. Quoi qu’il en soit, avec ce que l’on sait maintenant de la position des demandeurs concernant l’incompétence alléguée de ces deux représentants, particulièrement celle de l’avocate, cet élément de preuve n’a plus sa pertinence, si bien qu’il n’y aurait aucune utilité pratique à retourner le dossier à la SAR pour qu’elle reconsidère l’affaire sur la base de cette preuve.

[37]  Enfin, les demandeurs ont tenté de produire quatre lettres de proches vivant au Mexique. Ces lettres, toutes datées du mois de mai 2017, relatent les événements qui auraient précipité le départ des demandeurs pour le Canada. Pour qu’elles soient admises, les demandeurs se devaient de convaincre la SAR que ces lettres (i) faisaient état de faits survenus depuis le rejet de la demande d’asile, ce qui n’est pas le cas; (ii) n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet de ladite demande; ou (iii) qu’elles étaient normalement accessibles à ce moment, mais qu’il était normal pour les demandeurs, dans les circonstances, de ne pas les avoir présentées (Singh au para 34).

[38]  Outre l’explication liée à l’incompétence du conseiller en immigration et de l’avocate, que j’ai déjà rejetée, les demandeurs n’ont fourni aucune autre explication permettant à la SAR de statuer sur l’un ou l’autre des deux derniers critères du test du paragraphe 110(4) de la Loi. Cela suffit pour écarter leurs récriminations à l’encontre de la décision de la SAR sur ce point.

[39]  Il est vrai que les demandeurs ont aussi fait valoir que l’obtention tardive de ces lettres s’expliquait par les délais restreints avec lesquels ils ont dû composer pour mettre en état leur demande d’asile. Toutefois, il n’y pas de preuve au dossier démontrant que ces délais se sont avérés plus restreints dans leur cas que dans celui de la majorité des autres demandeurs d’asile. À l’audience du présent contrôle judiciaire, le procureur des demandeurs est allé plus loin en affirmant que les délais de traitement des demandes d’asile provenant de ressortissants mexicains étaient plus serrés que pour les ressortissants provenant d’autres pays. Encore là, aucune preuve ne vient appuyer cette affirmation.

[40]  Les demandeurs ont mis beaucoup d’emphase sur le fait que l’on a à faire ici, lorsqu’il est question de Los Zetas, à l’un des groupes criminalisés les plus violents et les plus craints au monde. Toutefois, pour obtenir la protection du Canada, il leur fallait démontrer, de manière crédible, qu’ils sont maintenant ciblés par ce groupe. Or, cette démonstration, de l’avis de la SPR et de la SAR, n’a pas été faite.

[41]  Il importe de rappeler que le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable « a comme point de départ la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct des décideurs administratifs » (Vavilov au para 75). Ce contrôle doit certes être rigoureux, mais il exige que la cour de justice fasse preuve de déférence envers la décision d’un décideur administratif et s’abstienne, ce faisant, de se demander quelle décision elle aurait rendue à la place de ce décideur (Vavilov aux paras 83-85). Appliquant ces principes aux faits de la présente affaire, je conclus que la décision de la SAR est, lorsque lue dans son ensemble, raisonnable.

[42]  Au terme de l’audience du présent contrôle judiciaire, le procureur du demandeur a indiqué à la Cour que ce dossier ne se prêtait pas à la certification d’une question en vue d’un appel. Toutefois, il a profité de l’occasion qui lui était offerte de soumettre des représentations additionnelles sur l’impact possible de l’arrêt Vavilov sur la norme de contrôle à appliquer en l’espèce pour proposer la certification d’une question.

[43]  Cette question est la suivante :

Est-ce que l’article 110(4) de la [L]oi respecte la Charte canadienne des droits et libertés s’il y de la preuve qui n’est pas considérée qui établirait une violation claire des droits garantis par la Charte?

[44]  Le défendeur, avec raison, s’y oppose.

[45]  Cette question n’a rien à voir avec l’impact de l’arrêt Vavilov sur la norme de contrôle à appliquer et soulève une question qui n’a été ni soulevée ni débattue, dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Elle ne sera pas certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2915-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2915-19

 

INTITULÉ :

MIGUEL ANGEL ARANA DEL ANGEL, BEATRIZ ISELA ORDUNA GARCIA, BRANDON DONOVAN ARANA ORDUNA, LESLY MICHELL ARANA ORDUNA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 décembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Stewart Istvanffy

 

Pour les demandeurs

 

Me Yaël Levy

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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