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Date : 20200228


Dossier : IMM‑2370‑19

Référence : 2020 CF 312

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2020

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

HALIL YURTSEVER, ELIF YURTSEVER, CEMIL TARIK YURTSEVER,

SEDEF YURTSEVER

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Les demandeurs, qui forment une famille de cinq (5) personnes, sont tous des citoyens de la Turquie. Le demandeur principal, M. Halil Yurtsever [M. Yurtsever], est membre du mouvement « Gülen » ou « Hizmet ». Le gouvernement actuel de la Turquie considère le fondateur de ce mouvement comme étant à l’origine de la tentative de coup d’État qui a secoué ce pays en juillet 2016. Depuis, la Turquie considère le fondateur et les membres dudit mouvement comme des terroristes. Le fondateur vit actuellement en exil, aux États‑Unis. M. Yurtsever et tous les membres de sa famille sauf un détiennent ou ont détenu le statut de résidents permanents en Afrique du Sud. Le ministre soutient que le seul membre de la famille ne possédant pas de statut, une mineure prénommée Sedef, peut facilement en acquérir un en Afrique du Sud par l’intermédiaire de son père, le demandeur principal.

[2]  Les demandeurs ont demandé l’asile au Canada en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Ils ont fait valoir qu’ils ne pouvaient pas retourner en Afrique du Sud parce qu’ils n’avaient plus de statut dans ce pays et qu’ils risqueraient d’être extradés ou enlevés par des agents de l’État turc. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande d’asile sur le fondement de l’alinéa 111(1)a) de la LIPR, concluant qu’ils étaient exclus du bénéfice de la protection des réfugiés par application de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [la Convention]. La Section d’appel des réfugiés [la SAR], par une décision datée du 26 mars 2019, a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs contre la décision de la SPR. La Cour est saisie, sous le régime du paragraphe 72(1) de la LIPR, d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Aux motifs dont l’exposé suit, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire devant la SAR pour un nouvel examen.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[3]  La SAR s’est posée la question de savoir si les demandeurs étaient exclus de la protection des réfugiés par application de la section E de l’article premier de la Convention, en raison de leur statut de résidents permanents en Afrique du Sud. Elle a cité le critère formulé dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 au para 28, 402 NR 154, et a conclu que le ministre avait présenté des éléments de preuve prima facie démontrant que les demandeurs possédaient un statut en Afrique du Sud. Il appartenait donc ensuite aux demandeurs d’établir pourquoi ils n’étaient pas exclus. Après avoir apprécié les éléments de preuve relatifs à chacun des demandeurs, la SAR a conclu que ceux‑ci n’avaient produit aucun élément digne de foi prouvant qu’ils avaient perdu leur statut de résidents permanents en Afrique du Sud. En outre, comme on l’a vu plus haut, elle a conclu que la demanderesse mineure, Sedef, était admissible au bénéfice du statut de résidente permanente en raison du statut de son père.

[4]  La SAR a aussi examiné la crainte supposée des demandeurs selon laquelle les autorités sud-africaines céderaient aux pressions politiques de la Turquie et les expulseraient vers ce pays. La SPR avait conclu que cette crainte des demandeurs n’était pas crédible puisqu’elle n’avait pas été mentionnée dans leur Formulaire de fondement de la demande d’asile. La SAR a confirmé cette conclusion : il était selon elle raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs exposent les craintes de cette nature dans leur exposé circonstancié. Elle a donc conclu que les demandeurs ne craignaient pas de retourner en Afrique du Sud en tant que membres du mouvement Gülen. Pour parvenir à cette conclusion, la SAR a pris acte de la preuve documentaire établissant que la Turquie fait pression sur les États étrangers en vue d’obtenir l’extradition de membres du mouvement Gülen, mais elle a conclu que l’Afrique du Sud ne cède pas à de telles pressions.

[5]  Chose importante, je relève que les demandeurs ont produit de nouveaux éléments de preuve devant la SAR sous le régime du paragraphe 110(4) de la LIPR. Il s’agissait de 18 pièces, notamment des lettres, des articles de presse et une décision de la SPR concernant une situation analogue. La SAR a admis en preuve la totalité de ces pièces, mais ne leur a ensuite accordé aucune valeur probante. Elle n’a accordé aucun poids aux lettres parce qu’elles manquaient des détails importants, des éléments de preuve à l’appui ou des renseignements sur les allégations des demandeurs. Quant à la décision de la SPR concernant une situation analogue, la SAR lui a attribué une valeur probante nulle au motif que, selon elle, « chaque demande d’asile doit être tranchée sur le fond ». Enfin, elle a dénié toute valeur probante aux articles montrant comment la Turquie pourchasse les membres du mouvement Gülen à l’étranger parce que ces articles n’affirmaient pas que l’Afrique du Sud collabore avec l’État turc à cet égard.

[6]  Les demandeurs ont également produit des documents sous le régime de l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257. La SAR a conclu que ces documents, s’ils exposaient les efforts déployés par la Turquie pour traquer les membres du mouvement Gülen hors de ses frontières, ne prouvaient pas plus que les articles produits sous le régime du paragraphe 110(4) de la LIPR l’existence d’une collaboration entre les autorités sud‑africaines et l’État turc à cet égard. Elle a en conséquence décidé de ne leur accorder aucune valeur probante.

[7]  En fin de compte, constatant que « rien n’indique que l’Afrique du Sud participe à ces efforts et qu’elle extrade en Turquie des citoyens turcs qui habitent en Afrique du Sud ou que les autorités sud-africaines s’en prennent aux personnes ou aux institutions affiliées au mouvement Gullen », la SAR a conclu que les demandeurs « ne seraient pas persécutés ou exposés à une menace à leur vie s’ils retournaient en Afrique du Sud ».

III.  Les dispositions pertinentes

[8]  Les dispositions pertinentes à la présente demande sont l’article 96 et les paragraphes 97(1) et 110(4) de la LIPR, ainsi que la section E de l’article premier de la Convention, lesquelles sont reproduites en annexe.

IV.  Les questions en litige

[9]  Bien que les parties soulèvent un bon nombre de questions, il suffit à mon sens d’en examiner deux pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire. Premièrement, la SAR a‑t‑elle effectué une appréciation déraisonnable des nouveaux éléments de preuve proposés par les demandeurs sous le régime du paragraphe 110(4) de la LIPR en admettant d’abord ces pièces pour ensuite ne leur attribuer « aucune valeur probante »? Deuxièmement, la SAR a‑t‑elle effectué une appréciation déraisonnable des éléments de preuve documentaire en prenant en considération ce qu’ils ne disaient pas plutôt que ce qu’ils disaient?

V.  Analyse

[10]  La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35, 39 Imm LR (4th) 185.

A.  L’admission par la SAR des nouveaux éléments de preuve et sa décision subséquente de ne leur attribuer « aucune valeur probante » entraînent-elles une incohérence interne?

[11]  L’analyse nécessaire pour établir s’il y a lieu d’admettre les nouveaux éléments de preuve proposés ne se limite pas uniquement au libellé du paragraphe 110(4) de la LIPR. La jurisprudence exige que le décideur, en plus de prendre en compte les conditions expressément formulées dans ce paragraphe, applique quatre critères à l’examen de la question de l’admissibilité en preuve, soit : la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel. Le principe de common law à cet égard tire son origine de l’arrêt Palmer c la Reine, [1980] 1 RCS 759, 106 DLR (3d) 212 [Palmer]. Ce principe a été intégré au droit de l’immigration et de la protection des réfugiés, dans le contexte d’un examen des risques avant renvoi (ERAR), par l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, 289 DLR (4th) 675 [Raza]. Les critères susmentionnés sont aussi appliqués à l’admission de nouveaux éléments de preuve devant la SAR, en vertu cette fois de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, 40 Imm LR (4th) 32 [Singh].

[12]  Les critères de la crédibilité, de la pertinence, de la nouveauté et du caractère substantiel sont tous définis et analysés de manière assez détaillée aux paragraphes 38 à 47 de l’arrêt Singh. Aux fins qui nous occupent ici, aucun des trois premiers n’exige un examen détaillé. La raison en est qu’aucun de ces trois critères ne touche à la question de la valeur probante attribuée aux éléments de preuve. Mon analyse, en l’espèce, se fonde sur l’exigence du caractère substantiel. À l’évidence, les nouveaux éléments de preuve ne peuvent être déclarés admissibles que s’ils sont substantiels, c’est‑à‑dire s’ils peuvent influer sur l’appréciation globale de la décision de la SPR (Singh, au para 47).

[13]  Je m’inquiète de ce que la décision faisant l’objet du contrôle manque de cohérence interne et qu’elle soit donc déraisonnable. Cette inquiétude découle du fait que la SAR a conclu que 18 pièces, qui forment une part importante des moyens de preuve des demandeurs, remplissaient le critère du caractère substantiel aux fins de leur admission comme nouveaux éléments de preuve, mais a néanmoins décidé de ne leur accorder « aucune valeur probante ». Comme il sera expliqué plus loin, il est à mon sens incohérent de conclure que de nouveaux éléments de preuve remplissent le critère du caractère substantiel aux fins d’admissibilité pour ensuite ne leur attribuer « aucune valeur probante ».

[14]  Je n’ignore pas que le critère fondamental de l’admissibilité en preuve exige que les éléments proposés soient pertinents quant à une question substantielle, sous réserve de n’être visés par aucune règle d’exclusion particulière. Voir à ce sujet : David M. Paciocco et Lee Stuesser, The Law of Evidence, 7e éd, Toronto, Irwin Law, 2015 à la page 27 [Paciocco et Stuesser]; et R c White, 2011 CSC 13 au para 31, [2011] 1 RCS 433. Ce critère d’admissibilité ne fait pas normalement entrer en ligne de compte la valeur probante (Paciocco et Stuesser, à la p 35). Il y a de bonnes raisons à l’exclusion de la valeur probante comme facteur dans l’appréciation de l’admissibilité en première instance. Il peut par exemple arriver qu’un témoin oculaire détienne des éléments de la preuve sur une question substantielle mais que son contre‑interrogatoire établisse que, tout crédible qu’il soit, sa vue est mauvaise, de sorte que son témoignage n’est pas fiable. Le défaut de fiabilité d’un élément de preuve peut ainsi amener le juge des faits à lui attribuer une valeur probante faible ou nulle. Une telle conclusion, tirée après l’admission de l’élément dont il s’agit, ne met aucunement en cause la cohérence du raisonnement. Cependant, le même principe ne s’applique pas aux nouveaux éléments de preuve proposés en appel, une fois admis. En effet, comme il est expliqué ci‑dessous, le tribunal d’appel doit à mon sens apprécier dans une certaine mesure les « nouveaux » éléments proposés avant de les admettre en preuve.

[15]  Le critère du caractère substantiel, tel que l’exposent les arrêts Raza et Singh, se trouve rempli si l’on peut raisonnablement penser que l’élément de preuve en question, considéré avec les autres éléments admis, « aurait influé sur le résultat » (voir aussi l’arrêt Palmer, à la p 775). Au paragraphe 13 de l’arrêt Raza, la Cour d’appel fédérale examine l’alinéa 113a) de la LIPR, qui porte sur les nouveaux éléments de preuve proposés dans le cadre d’un ERAR. Concernant le caractère substantiel envisagé dans le contexte de l’examen préalable à l’admission de nouveaux éléments de preuve, la juge Sharlow, écrivant au nom de la Cour, invite à se poser la question suivante : « Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? ». J’interprète le texte de l’arrêt Raza comme donnant pour instruction aux juges des faits d’apprécier dans une certaine mesure les nouveaux éléments de preuve proposés avant de les admettre. Le libellé de l’alinéa 113a) de la LIPR est presque identique à celui du paragraphe 110(4), qui porte sur l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR. La Cour d’appel fédérale a examiné le paragraphe 110(4) dans l’arrêt Singh, où elle adopte entièrement l’analyse de son arrêt Raza concernant la crédibilité, la pertinence et la nouveauté. Elle reconnaît cependant la nécessité de procéder à certaines adaptations en ce qui a trait au critère du caractère substantiel lorsqu’on passe de l’alinéa 113a) au paragraphe 110(4). La raison en est que la SAR a une mission beaucoup plus étendue que l’agent d’ERAR et peut intervenir pour corriger toute erreur de fait, de droit ou mixte.

[16]  Les observations formulées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh ne s’écartent pas de l’approche exposée dans les arrêts Palmer et Raza, selon laquelle une certaine mesure d’appréciation se révèle en soi nécessaire pour établir si les « nouveaux » éléments de preuve proposés peuvent influer sur le résultat. Il en va particulièrement ainsi dans une affaire telle que la présente, où la crédibilité, la pertinence et la nouveauté ne sont pas en question. En l’espèce, la SAR, ayant admis les nouveaux éléments de preuve, doit avoir établi qu’ils auraient pu influer sur le résultat – et leur a donc attribué une certaine valeur probante, si minime soit-elle. Il s’ensuit que la décision attaquée est entachée d’incohérence interne. On ne peut en effet admettre de nouveaux éléments de preuve au motif de leur possible influence sur le résultat, pour ensuite déclarer qu’ils sont dénués de valeur probante. Cette incohérence interne rend la décision déraisonnable : voir l’arrêt Vavilov, aux para 85 et 102 à 104.

[17]  Ce principe selon lequel le tribunal, une fois qu’il a admis de « nouveaux » éléments de preuve, leur a déjà attribué une certaine valeur probante, est constant dans le contexte des appels en matière criminelle. Selon l’arrêt Palmer, les nouveaux éléments de preuve, pour être admissibles dans un appel en matière criminelle, doivent être pertinents, crédibles et tels qu’ils auraient pu influer sur le résultat, compte tenu des autres éléments de preuve produits en première instance (R c Lévesque, 2000 CSC 4 au para 24, [2000] 2 RCS 487 [Lévesque]). Il s’ensuit que [TRADUCTION] « la cour d’appel doit dans une certaine mesure apprécier la valeur probante potentielle des éléments de preuve proposés en appel » (R c Reeve, 2008 ONCA 340 au para 72, 233 CCC (3d) 104 [Reeve]; R c Truscott, 2007 ONCA 575 au para 100, 225 CCC (3d) 321 [Truscott]; et Lévesque, aux para 24 et 28). Dans le cas où ils n’auraient pu vraisemblablement influer sur le résultat, les éléments de preuve n’auraient pas été admissibles (Reeve, au para 72; Truscott, au para 100; et R c Dalton (1998), 163 Nfld & PEIR 254, autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, 26712 (19 novembre 1998)). Étant donné les parallélismes entre les critères appliqués dans les contextes du droit criminel et du droit de l’immigration, et le fait que les arrêts en question soient tous deux issus de l’arrêt Palmer, je conclus au caractère persuasif de la jurisprudence pénale citée plus haut. Il est impossible de conclure d’une analyse bien faite que de nouveaux éléments de preuve, une fois admis, ne possèdent aucune valeur probante.

[18]  Je me contenterai d’un seul exemple relatif aux 18 nouvelles pièces examinées par la SAR pour illustrer mon raisonnement. La SAR a admis les nouveaux éléments de preuve des demandeurs selon lesquels des personnes se trouvant dans une situation analogue qui avaient participé aux activités des institutions affiliées au mouvement Hizmet en Afrique du Sud étaient exposées à une menace pour leur vie. Les demandeurs ont invoqué l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4th) 1, ainsi que les décisions Osama Fi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1125, 56 Imm LR (3d) 131, et Basbaydar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 158, 23 Imm LR (4th) 122. Ils ont soutenu devant la SAR que ces nouveaux éléments prouvaient que des personnes se trouvant dans une situation analogue à la leur étaient exposées à un risque de persécution en Afrique du Sud. La SAR a admis ces nouveaux éléments, confirmant par là qu’ils pouvaient établir que des personnes se trouvant dans une situation analogue étaient exposées à un risque de persécution en Afrique du Sud. Cependant, elle a ensuite décidé de n’accorder « aucune valeur probante » à ces nouveaux éléments, pourtant admis comme substantiels. Si les nouveaux éléments de preuve n’avaient aucune valeur probante, elle n’aurait pas dû les admettre au départ. L’incohérence interne est évidente.

B.  À titre subsidiaire, la SAR a‑t‑elle apprécié la preuve documentaire en fonction de ce qu’elle ne disait pas plutôt que de ce qu’elle disait?

[19]  Dans le cas où je me tromperais en concluant à l’incohérence interne de la décision de la SAR au motif que celle‑ci n’a attribué aucune valeur probante à de nouveaux éléments de preuve qui satisfaisaient au critère du caractère substantiel aux fins d’admissibilité, je demeure d’avis que cette décision ne satisfait pas au critère du caractère raisonnable. Les demandeurs font valoir que la SAR a omis d’analyser le contenu de nombreuses lettres et d’autres nouvelles pièces, se concentrant plutôt sur les éléments de preuve qu’elle aurait préféré voir produire devant elle. Je suis d’accord. S’il est vrai qu’on peut apprécier un Formulaire de fondement de la demande d’asile en fonction de ce qu’il ne dit pas, les documents provenant de tiers doivent être appréciés, quant à eux, en fonction de ce qu’ils disent : voir Botros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1046; et Mui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1020, 31 Imm LR (3d) 91. Par exemple, les demandeurs ont produit deux lettres des personnes se trouvant dans une situation analogue au demandeur principal expliquant  qu’elles étaient exposées à des risques en Afrique du Sud. La SAR a sommairement refusé d’attribuer une quelconque valeur probante à la première au motif qu’elle « ne donn[ait] aucune information concernant la façon dont le gouvernement turc a pu s’en prendre aux institutions du mouvement Gülen en Afrique du Sud ». De même, elle a dénié toute valeur probante à la seconde de ces lettres, au motif qu’elle « ne cont[enait] aucun renseignement selon lequel les autorités sud-africaines s’en prennent aux institutions affiliées au mouvement Gullen ou ferment ces institutions, ni aucune information précisant les personnes haut placées de l’Afrique du Sud qui l’ont informé que certaines personnes [...] devraient quitter le pays ». Dans les deux cas, la SAR a omis d’évaluer le bien-fondé des éléments produits devant elle. Cette manière de procéder adoptée par la SAR a pour effet, dans les circonstances de la présente espèce, de rendre sa décision déraisonnable.

VI.  Conclusion

[20]  J’accueille la présente demande de contrôle judiciaire sans dépens. L’affaire est renvoyée devant la Section d’appel des réfugiés pour un nouvel examen par un autre commissaire. Aucune des parties n’a proposé de question à examiner par la Cour d’appel fédérale, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE :

1.  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée devant la SAR pour un nouvel examen par un autre gestionnaire du programme.

2.  Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

3.  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« B. Richard Bell »

Juge


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

  (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

  (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

  a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

  (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

  b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

  (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

  (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

  (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

  (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

  (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

  (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

  (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

  (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

  (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[...]

[...]

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[...]

[...]

Section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés

Section E of Article 1 of the United Nations Convention Relating to the Status of Refugees

E Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

E This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2370‑19

 

INTITULÉ :

HALIL YURTSEVER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE 

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 NOVEMBRE 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Sumeya Mulla

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephan Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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