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Dossier : IMM-3595-19

Référence : 2020 CF 313

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2020

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

ROBINSON ALEXANDER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la décision] rejetait la demande d’asile du demandeur présentée au titre de l’article 97 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II.  Faits

[2]  Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka âgé de 38 ans. Il est arrivé au Canada en juin 2018 et a présenté une demande d’asile en juillet 2018, demande fondée sur son origine ethnique tamoule et ses opinions politiques, car il était perçu comme un partisan des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Il a également soutenu qu’il encourait un risque sur place parce qu’il est un jeune homme tamoul retournant au Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté.

[3]  Dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile, le demandeur a allégué qu’il avait été détenu, interrogé et maltraité par les autorités ou leurs hommes de main en 2005, 2009 et 2011, généralement parce qu’ils le soupçonnaient d’avoir participé aux activités des TLET. Le demandeur a également allégué avoir fait face à de multiples demandes d’extorsion de la part de l’armée sri-lankaise et du groupe paramilitaire progouvernemental Karuna de 2011 à 2017. Les allégations du demandeur sont résumées dans la décision :

ALLÉGATIONS

[2] Les allégations du demandeur d’asile sont exposées en entier dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA). En résumé, le demandeur prétend être exposé à un risque de persécution au Sri Lanka du fait de son origine ethnique (il est Tamoul) et de ses opinions politiques présumées, soit qu’il serait un partisan des Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (TLET).

[3] Le demandeur d’asile, un bijoutier, a témoigné au sujet d’un certain nombre d’incidents de persécution survenus avant la fin de la guerre civile au Sri Lanka en 2009. Le demandeur d’asile a déclaré avoir été interné par l’armée à deux reprises en 2005.

[4] Le demandeur d’asile a déclaré qu’en 2009, sa famille a été réinstallée au camp de réfugiés Anadakumarasamy et a ensuite été libérée à Batticaloa, où ils ont subi deux inspections à domicile en 2009.

[5] Le demandeur d’asile a affirmé qu’il a été pris pour cible par des membres du groupe Karuna qui, de 2011 à 2017, lui demandaient sans cesse de petites sommes à titre de pots-de-vin.

[6] Le demandeur d’asile a déclaré qu’en septembre 2017, des soldats lui ont demandé 2 millions de roupies, une somme beaucoup plus importante que ce qu’il payait. Le demandeur d’asile a fermé sa boutique et n’a pas payé; trois officiers sont ensuite venus chez lui en octobre 2017 — ils ont fouillé sa maison et ils ont pris 27 000 roupies en espèces. Après que le demandeur d’asile et sa famille se sont rendus au poste de police, où ils ont été éconduits, les hommes ont tenté de le mettre dans une camionnette blanche devant sa maison jusqu’à ce que des voisins interviennent.

[7] Le demandeur d’asile s’est enfui à Colombo pendant trois mois et il a fui le Sri Lanka le 14 janvier 2018. Il est arrivé aux États‑Unis le 5 février 2018 et il a été détenu. Il a été libéré sous caution le 13 juin 2018 et il est entré au Canada le 26 juin 2018.

[Renvois omis.]

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[4]  La SPR a tenu une audience et a rejeté la demande d’asile du demandeur dans une décision datée du 16 mai 2019, concluant que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. De nombreuses questions ont été tranchées, y compris la demande d’asile sur place du demandeur, c.-à-d. le risque auquel son retour au Sri Lanka l’expose à titre de demandeur d’asile débouté.

[5]  En ce qui concerne la question du risque auquel le demandeur s’expose à son retour en tant que demandeur d’asile tamoul débouté, la SPR a déclaré que la preuve documentaire indiquait que les hommes tamouls faisaient l’objet d’un contrôle dans les aéroports sri-lankais à leur retour, mais que ce contrôle est effectué pour établir l’identité d’un demandeur d’asile débouté, et que les demandeurs d’asile déboutés ne sont généralement exposés à la torture que s’ils sont soupçonnés être membres ou sympathisants des TLET. La SPR a conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle il avait fait l’objet d’extorsion n’était pas crédible et qu’il n’avait pas établi que les autorités sri‑lankaises le soupçonnaient d’être un membre des TLET. Le demandeur a soutenu qu’il risquait d’être interrogé par les autorités sri-lankaises parce qu’il avait été questionné par le SCRS au sujet de son identité. La SPR a conclu ce qui suit : « En ce qui concerne le retour du demandeur d’asile, le tribunal remarque que les autorités du Sri Lanka sauront qu’il a voyagé à l’étranger par le passé et qu’il a une famille vers laquelle retourner et qu’il a 38 ans; ce sont des faits qui n’étaient pas immédiatement confirmés pour les autorités canadiennes et le SCRS lorsque le demandeur d’asile est arrivé au Canada sans passeport ».

IV.  Les questions en litige

[6]  Le demandeur a soumis un grand nombre de questions à trancher. J’ai toutefois conclu que la façon dont la SPR a traité la demande d’asile sur place est une question déterminante et qu’elle a été tranchée de façon déraisonnable, de sorte que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Je ne tire aucune conclusion concernant les autres questions, puisqu’une nouvelle audience sera tenue devant un autre décideur.

V.  Norme de contrôle

[7]  En ce qui concerne la norme applicable à la demande d’asile sur place, il n’est pas contesté que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, et j’en conviens. La norme de la décision raisonnable exige que la cour de révision accorde une attention respectueuse au décideur : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, motifs des juges majoritaires rédigés par le juge en chef Wagner, au par. 84 [Vavilov]. Pour apprécier le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit d’abord examiner le fil de raisonnement suivi et juger s’il est fondé sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, ainsi que le résultat du raisonnement au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux par. 83-86. La décision faisant l’objet du contrôle doit être justifiée, intelligible et transparente : Vavilov, au par. 99. Le contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor à la recherche d’une erreur : Vavilov, au par. 102.

VI.  Analyse de la demande d’asile sur place

[8]  Le demandeur soutient que l’appréciation des risques faite par la SPR est déraisonnable parce que la conclusion de la SPR est contredite par la preuve pertinente au dossier. Dans son évaluation des risques, la SPR a indiqué ce qui suit :

RISQUE À TITRE DE DEMANDEUR D’ASILE DE RETOUR AU PAYS

[54] Le tribunal a établi que le demandeur d’asile est venu au Canada, sera un demandeur d’asile débouté et est un Tamoul du Sri Lanka. Compte tenu des conditions objectives au Sri Lanka, le tribunal analysera le statut à venir du demandeur d’asile à titre de demandeur d’asile de retour au pays. Le tribunal doit tenir compte du profil complet du demandeur d’asile à cet égard.

[55] La preuve objective montre que les hommes tamouls sont soumis à une vérification et à un interrogatoire à l’aéroport à leur retour au Sri Lanka. Toutefois, l’information objective montre que la vérification et les arrestations visent habituellement à établir l’identité (pour s’assurer qu’il n’y a pas d’antécédents criminels) et que la torture des demandeurs d’asile de retour au pays est habituellement un risque uniquement pour ceux qui sont soupçonnés d’être membres des TLET ou d’avoir participé à leurs activités.

[56] Le conseil du demandeur d’asile a soutenu dans ses observations que puisque le demandeur d’asile a été questionné par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) concernant son identité, les autorités du Sri Lanka prendront probablement la même décision.

[57] Comme il a été noté et exposé ci-dessus, les incidents décrits par le demandeur d’asile ne sont pas crédibles. Le tribunal a conclu que le demandeur d’asile n’a pas établi que les autorités du Sri Lanka le soupçonnent d’être membre des TLET. Le demandeur d’asile a déclaré qu’il a été victime d’une tentative d’extorsion; le tribunal n’admet pas qu’elle a eu lieu.

[58] En ce qui concerne le retour du demandeur d’asile, le tribunal remarque que les autorités du Sri Lanka sauront qu’il a voyagé à l’étranger par le passé et qu’il a une famille vers laquelle retourner et qu’il a 38 ans; ce sont des faits qui n’étaient pas immédiatement confirmés pour les autorités canadiennes et le SCRS lorsque le demandeur d’asile est arrivé au Canada sans passeport.

[9]  La SPR n’est certes pas tenue de faire référence à chaque élément de preuve contraire à ses conclusions, compte tenu de la présomption selon laquelle elle a examiné le dossier. Toutefois, le défaut du décideur de mentionner et d’analyser les éléments de preuve qui contredisent directement une conclusion fait en sorte qu’il est plus facile pour une cour siégeant en révision d’inférer que les conclusions ont été tirées sans tenir compte de la preuve : Ban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 987, par le juge Gleeson, par. 32. Les conclusions tirées sans égard à la preuve sont, par définition, déraisonnables parce qu’elles ne respectent pas les contraintes factuelles de l’affaire : Vavilov, par. 99.

[10]  Comme le fait remarquer le demandeur, la SPR reconnaît le fait que les hommes tamouls font l’objet d’un contrôle et d’un interrogatoire dans les aéroports sri-lankais à leur retour. Toutefois, la SPR a minimisé le risque auquel est exposé le demandeur en affirmant que seules les personnes soupçonnées de prendre part aux activités des TLET au Sri Lanka font l’objet de torture. Ce faisant, la SPR a omis de tenir compte d’éléments de preuve substantiels et objectifs selon lesquels le fait de demander l’asile à l’étranger, en particulier dans les pays considérés comme ayant une importante diaspora tamoule comme le Canada, peut en soi constituer un motif pour soupçonner l’existence de liens entre le demandeur d’asile et les TLET, ou mener à des mauvais traitements.

[11]  Plus particulièrement, le demandeur fait référence à une quantité importante d’éléments de preuve documentaire qui contredisent les conclusions de la SPR, dont bon nombre proviennent du cartable national de documentation [le CND] compilé par les autorités canadiennes. Notamment, aucun de ces éléments de preuve objectifs contraires à la décision n’a été examiné par la SPR, ce qui m’amène à conclure que les conclusions quant à la demande d’asile sur place ont été tirées sans tenir compte de la preuve, et qu’elles sont donc déraisonnables.

[12]  Comme le fait remarquer à juste titre le demandeur, dans la même section du CND sur laquelle le tribunal s’est appuyé dans la décision, à savoir le point 1.4, Royaume-Uni. Home Office, « Country Policy and Information Note. Sri Lanka : Tamil separatism. Version 5.0 » (juin 2017), les passages suivants se trouvent à la section 12.2 :

[traduction
12.2.1  […] « Les Tamouls qui reviennent de l’étranger, en particulier ceux qui reviennent d’un emploi au Moyen-Orient et qui sont expulsés d’autres pays, continuent d’être interrogés et parfois détenus à leur arrivée […] »

[…]

12.2.9  […] « Les Tamouls de retour de l’étranger continuent d’être arrêtés à l’aéroport. La surveillance de la société civile dans le Nord et l’Est demeure élevée. »

[…]

12.2.10  Dans un rapport publié en juillet 2015 par l’International Truth & Justice Project (ITJP) au Sri Lanka sur les survivants de la torture et de la violence sexuelle de 2009 à 2015, on peut lire ce qui suit : « Un membre de la force de sécurité a témoigné que depuis l’élection présidentielle de 2015, les responsables du renseignement militaire du Joseph Camp cherchent activement des Tamouls qui reviennent de l’étranger pour les interroger. Le témoin a déclaré que l’intention était de les enlever, de les détenir et de les torturer. »

[…]

12.2.14  L’International Truth & Justice Project (ITJP) Sri Lanka a documenté les expériences de 20 Tamouls sri-lankais dans un rapport de janvier 2016 sur les survivants de la torture et de la violence sexuelle en 2015 et a déclaré que, « Dans certains cas, les interrogateurs ont montré aux victimes des photographies d’eux-mêmes ou de leurs proches participant aux récents événements commémoratifs de la diaspora tamoule outremer […] Certains avaient passé des périodes dans la clandestinité dans le sud de l’Inde et il était clair que leurs interrogateurs les considéraient avec beaucoup de suspicion lorsqu’ils retournaient chez eux. »

[Non souligné dans l’original.]

[13]  L’article 8.5.8 du même document énonce ce qui suit : [traduction« La plupart du temps, lorsque des personnes reviennent [de l’extérieur du pays], il est possible qu’elles soient arrêtées. C’est pourquoi beaucoup de gens refusent de revenir. » En outre, la section 9.3.5 indique ce qui suit : [traduction« Selon un avocat qui a parlé à l’équipe de la mission d’enquête au sujet des Tamouls qui retournent au Sri Lanka, il est certain qu’ils seront interrogés et qu’ils pourront faire l’objet d’un contrôle lorsqu’il seront de retour à leur domicile, si ce n’est pas à l’aéroport. »

[14]  Le fait que le gouvernement sri-lankais continue de s’intéresser aux activités de la diaspora en vue d’une éventuelle résurgence des TLET est également abordé à la section 13 du même document, qui rapporte que le gouvernement sri-lankais continue de surveiller les rassemblements tamouls à l’étranger.

[15]  Je conviens également avec le demandeur qu’il est difficile de comprendre le fait que la SPR se soit appuyée sur le point 1.5 du CND, Royaume-Uni. Home Office, « Report of a Home Office Fact-Finding Mission. Sri Lanka : treatment of Tamils and people who have real or perceived association with the former Liberation Tigers of Tamil Ealam (LTTE) » (juillet 2016), parce que la section citée, soit 4.7.3, n’existe pas. Le point 1.5 du CND énonce qu’il y a une présomption selon laquelle tout homme tamoul qui a grandi dans le nord ou le nord-est du Sri Lanka pendant le conflit aurait des liens avec les TLET. Il en est ainsi parce que ces liens [traduction« auraient été imposés aux jeunes hommes ». Je conviens que cette présomption pourrait probablement s’appliquer au demandeur, étant donné qu’il vient de Batticaloa et qu’il s’est fréquemment rendu dans Vanni au plus fort de la guerre communale.

[16]  Le demandeur soutient, et j’en conviens encore une fois, que la SPR a omis de tenir compte d’autres documents contenus dans le CND qui corroborent le risque qu’encourent les Tamouls qui retournent au Sri Lanka en tant que demandeurs d’asile déboutés, y compris ce qui suit :

[17]  Le demandeur fait remarquer qu’il a fourni à la SPR de nombreux autres articles faisant état du traitement des personnes rapatriées au Sri Lanka, y compris le document « Post‑deportation Risks: A Country Catalogue of Existing References », publié par Stitching LOS, qui indique ce qui suit :

[traduction
Les rapatriés sont d’abord interrogés par la Division des enquêtes criminelles (CID) et, éventuellement, par le Service des renseignements de l’État (SIS).
Ces interrogatoires peuvent être durs et violents. Le gouvernement veut des informations sur la diaspora et sur l’Occident. Les rapatriés peuvent être traités arbitrairement comme des traîtres et comme une source possible de danger.

[Non souligné dans l’original.]

[18]  Le demandeur a attiré l’attention de la Cour sur d’autres éléments de preuve pertinents tirés du CND :

[traduction
Un représentant de la Commission nationale des droits de l’homme nouvellement nommé et hautement crédible a souligné que la torture en détention était généralisée, systématique et institutionnalisée, et que son éradication était une priorité majeure de ses travaux.

Le Comité contre la torture demeurait vivement préoccupé par les informations selon lesquelles la torture était une pratique couramment utilisée par la police judiciaire dans le cadre des enquêtes judiciaires ordinaires, dans une large majorité de cas et quelle que soit la nature de l’infraction présumée.

[…]

Il a également noté que des personnes soupçonnées d’avoir un lien, même ténu, avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul avaient été enlevées puis soumises à des actes brutaux de torture, y compris souvent des violences sexuelles, et que des hommes et des femmes avaient été violés par des militaires et des membres de la police dans des lieux de détention secrets.

[Non souligné dans l’original.]

[19]  La SPR n’a pas réussi à expliquer pourquoi elle n’a pas tenu compte de cette abondante preuve. Le défaut de tenir compte des éléments de preuve pertinents en l’espèce, qui contredisent la conclusion tirée, rend la décision déraisonnable.

[20]  Le demandeur cite également la décision Suntharalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 987 :

[45]  Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission a tiré une conclusion raisonnable à cet égard, étant donné qu’au vu de la preuve documentaire le risque de détention au retour est une politique qui s’applique de la même façon à tous les rapatriés du Sri Lanka. En outre, le défendeur indique qu’il n’y avait aucune preuve permettant d’affirmer que le demandeur s’exposerait à un « risque grave d’agression s’il est détenu », étant donné que la Commission ne l’a pas considéré comme un membre présumé des TLET.

[46]  Je rejette cet argument compte tenu du fait qu’il n’explique pas de manière satisfaisante le risque de persécution du demandeur à titre de demandeur d’asile débouté qui retournerait au Sri Lanka.

[47]  De plus, la SPR semble affirmer que, du fait qu’elle n’a pas cru que le demandeur était ciblé par les autorités en raison de son association présumée avec les TLET, il n’est pas nécessaire qu’elle examine s’il court un risque selon la preuve documentaire objective.

[48]  Toutefois, cette logique ne s’applique pas à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur ne correspond pas au profil des demandeurs d’asile déboutés et rapatriés au Sri Lanka. Voici les motifs avancés par la SPR :

[37]  Le tribunal tient compte du point 14.5 de la pièce R/A-1. Dans cette publication de la Commission datée du 22 août 2011, il est mentionné que toutes les personnes qui retournent dans leur pays font l’objet de vérifications judiciaires, ce qui peut entraîner une détention de plusieurs jours, selon le jour de la semaine où la personne arrive au pays. Cependant, il est mentionné que cette situation s’applique également à l’ensemble des Sri-Lankais de toutes les origines ethniques. Le tribunal a conclu que le gouvernement ne considérerait pas le demandeur d’asile comme une personne qui s’oppose au gouvernement ou qui critique celui-ci, ou encore qui est liée aux TLET. Par conséquent, le tribunal est d’avis que la détention pour des motifs administratifs ne constituerait pas de la persécution, même si le demandeur d’asile en faire l’objet.

[49]  En toute déférence, les préoccupations de la SPR liées à la crédibilité ne permettent pas de trancher la question de savoir s’il y a un risque grave que le demandeur soit persécuté en sa qualité de demandeur d’asile débouté et rapatrié. Le statut du demandeur à cet égard est établi de façon objective comme demandeur d’asile débouté ­ sa demande d’asile a été rejetée par la SPR. Cela n’a rien à voir avec la crédibilité.

[Non souligné dans l’original.]

[21]  Voir aussi la décision du juge Diner dans Thevarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 458 :

[11]  Enfin, la Section de la protection des réfugiés n’a pas abordé de façon significative le risque que courrait M. Thevarajah au Sri Lanka à titre de demandeur d’asile débouté, aspect principal de son dossier aucunement lié à sa crédibilité (Shanmugarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 987, au paragraphe 49 [Shanmugarajah]). La Section de la protection des réfugiés s’est plutôt concentrée sur un document de 2012 du Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui suggérait qu’il n’existait une possibilité sérieuse de persécution pour les jeunes hommes tamouls que s’ils avaient participé de façon active et officielle aux activités des TLET ou qu’un membre de la famille immédiate l’avait fait. Comme l’a conclu le juge Brown dans l’affaire Shanmugarajah, la Section de la protection des réfugiés a le devoir de déterminer s’il y a possibilité sérieuse de persécution du demandeur, particulièrement en tant que demandeur d’asile débouté (voir aussi par analogie, Vilvarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 349), ce qu’elle n’a pas fait.

[22]  En réponse, le défendeur cite la décision Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1067 [Jiang], rendue par le juge Zinn, à l’appui de la position selon laquelle la SPR peut évaluer la demande d’asile sur place d’un demandeur à la lumière de préoccupations quant à la crédibilité qui se rapportent à l’authenticité initiale de la demande d’asile :

[28]  La Cour fédérale a jugé par le passé qu’il est permis à la Commission d’évaluer la sincérité d’un demandeur et, par conséquent, la demande d’asile sur place de celui-ci au regard des préoccupations relatives à la crédibilité se rapportant à l’authenticité initiale d’une demande d’asile : Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 993, au paragraphe 57, Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 849, au paragraphe 19.

[23]  À mon avis, la décision Jiang n’aide pas le défendeur dans une affaire où il a omis de tenir compte d’une quantité considérable d’éléments de preuve contraires.

[24]  En toute déférence, je suis d’accord avec l’argument du demandeur selon lequel le rejet par la SPR de sa demande d’asile sur place est déraisonnable. À mon avis, la décision est déraisonnable parce que la SPR n’a pas traité adéquatement la preuve documentaire contradictoire concernant le sort des demandeurs d’asile déboutés qui sont rapatriés. La SPR a déraisonnablement laissé ses préoccupations au chapitre de la crédibilité teinter sa décision quant à savoir s’il y avait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté en raison de son statut de demandeur d’asile débouté.

[25]  Ce qui précède traite de l’évaluation des motifs au regard de leur résultat, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la SPR est assujettie. J’ai conclu que la SPR a agi de façon déraisonnable dans son appréciation de la demande d’asile sur place, parce qu’elle n’a pas respecté les contraintes juridiques et factuelles auxquelles elle était assujettie. Cette omission constituait également une lacune ou un vice fondamental dans les motifs de la SPR qui, par conséquent, ne peuvent pas résister à l’exigence établie dans Vavilov voulant que les motifs démontrent l’existence d’une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[26]  Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de la certification, et l’espèce n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3595-19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée, que l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour réexamen, qu’aucune question d’importance générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de mars 2020

M. Deslippes



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