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Date : 20060309

Dossier : IMM-2392-05

Référence : 2006 CF 304

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

ENTRE :

CARLOMAGNO REYNA LOAYZA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA DEMANDE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 5 mars 2005 (la décision), refusant au demandeur la protection du statut de réfugié prévue à l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Dans la même décision, la Commission a accordé le statut de réfugié à l'épouse du demandeur, à leurs deux enfants et à la marraine de l'épouse. La demande de contrôle judiciaire porte seulement sur le volet de la décision rejetant la revendication du statut de réfugié du demandeur.

CONTEXTE

[2]                Le demandeur, M. Loayza, est né au Pérou en 1953. De 1978 à 2001, il a travaillé comme officier de police à Lima et dans d'autres collectivités au Pérou. Selon le parcours professionnel qu'il a présenté, M. Loayza a commencé sa carrière au rang de sous-commissaire et il a occupé plusieurs autres rôles dont ceux de commissaire en second, capitaine, major et commandant auprès de la police nationale péruvienne (PNP). En janvier et en août 1992, M. Loayza a occupé le poste de « major » à la Dincote, l'unité antiterroriste de la PNP. M. Loayza emploie les termes suivants pour décrire le rôle qu'il occupait à la fin de sa carrière : [traduction] « chef du contrôle opérationnel et de la prévention des crimes (terrorisme, trafic de drogues, crimes, dépossession et prostitution) » et « contrôle personnel » .

[3]                En décembre 2001, M. Loayza et son épouse ont reçu plusieurs appels de menaces au poste de police et à leur domicile. Lorsqu'ils ont signalé ces menaces à la police, cette dernière a été incapable de les aider en raison d'un manque de ressources. M. Loayza a pris sa retraite de la PNP en janvier 2002 mais durant l'année 2002, il a continué à recevoir des appels de menaces et sa femme a été victime d'une agression. Les revendicateurs ont quitté le Pérou le 12 octobre 2002 et sont arrivés à Miami (Floride) le même jour. Ils sont entrés au Canada en autobus le 17 octobre 2002 et ont immédiatement revendiqué le statut de réfugié en se fondant sur une crainte fondée de persécution en raison de leur appartenance à un groupe social donné (la famille) et de leurs opinions politiques.

[4]                L'audition de ces revendications a duré neuf jours, entre le 9 juillet 2003 et le 6 octobre 2004.

LA DÉCISION EN CAUSE

[5]                Dans sa décision du 5 mars 2005, la Commission a conclu que M. Loayza était une personne exclue au sens prévu à l'article 98 de la Loi parce qu'il s'était rendu complice d'activités visées à l'alinéa Fa) de l'article premier la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention). À ce titre, la Commission a rejeté sa revendication du statut de réfugié. La décision de la Commission est fondée sur plusieurs conclusions.

A.      Activités de la police péruvienne

[6]                En se fondant sur des rapports de Human Rights Watch, de la Direction des recherches de la Commission et du Département d'État américain, la Commission a conclu que la PNP a eu recours à la torture de manière généralisée et systématique dans le cadre des interrogatoires de personnes soupçonnées de crimes et des opérations anti-insurrectionnelles et que les abus ont été commis durant la période où le demandeur était membre de la PNP. S'appuyant également sur la preuve documentaire, la Commission a jugé que la Dincote et d'autres unités policières antisubversion étaient responsables de la torture de nombreuses personnes dans les années 80 et 90.

[7]                Les parties ont reconnu, et la Commission a conclu, que la PNP n'est pas une organisation « visant des fins limitées et brutales » et que la simple appartenance à cette organisation ne suffit pas à prouver une intention commune.


            B.         La complicité de M. Loayza

[8]                La Commission a cru les déclarations du demandeur voulant qu'il n'ait jamais personnellement fait usage de la torture et qu'il n'ait jamais été témoin d'actes de torture au cours de sa carrière. Toutefois, la Commission a également conclu que le demandeur était entré dans la PNP de son plein gré. Elle a en outre estimé qu'il avait appartenu à la PNP pendant plus de 30 ans et que depuis 1978, il occupait un poste de responsabilité ou de commandement. La Commission a rappelé que le Pérou était aux prises avec de graves activités terroristes depuis les années 80, dont celles du groupe du « Sentier lumineux » , par exemple. Compte tenu du témoignage du demandeur, la Commission a conclu que ce dernier savait : (i) que des violences étaient commises et qu'il y avait de la corruption dans la PNP, même s'il ne connaissait pas directement les personnes et les circonstances en cause; (ii) que la torture était employée de manière routinière entre 1990 et 2000, durant la présidence de M. Fujimori; (iii) que la Dincote s'était livrée à des « excès » avant et après son séjour dans cette unité; (iv) que la Dincote avait très fréquemment recours à la torture.

[9]                La Commission a estimé qu'il y avait plusieurs contradictions et incohérences entre le témoignage du demandeur et son formulaire de renseignements personnels (FRP), y compris des déclarations contradictoires sur le fait qu'il dirigeait ou non les opérations policières dans la région VII et son omission d'indiquer dans son FRP qu'il avait procédé à des arrestations en 2001.

[10]            Bien que le demandeur ait déclaré lors de l'audience qu'il n'avait pas eu connaissance d'information sur des violences, soit en sa capacité professionnelle, soit par le biais des médias, et que son travail à la Dincote était de nature administrative (travail de paperasserie), la Commission a jugé que cette version n'était pas crédible et que le demandeur était au courant des crimes perpétrés par la PNP et la Dincote. La Commission affirme ce qui suit : « Je suis d'avis que la preuve documentaire tirée de sources objectives que le ministre a donnée en référence illustre clairement qu'il était impossible pour le demandeur d'asile principal de ne pas être au courant des crimes et des abus commis par les forces de sécurité, dont la PNP et la Dincote, compte tenu de son rang et des longues années passées dans ce service » (décision de la Commission, page 48). La Commission ajoute que selon le témoignage et le FRP du demandeur, ce dernier a arrêté et remis des suspects à la Dincote tout en sachant que la Dincote faisait usage de la torture. La Commission n'a pas retenu l'argument du demandeur selon lequel il n'a pas signalé les violences parce qu'il ne disposait d'aucun élément lui permettant de prouver que des actes de torture précis avaient été commis. La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas signalé ces violences ou qu'il ne s'était pas dissocié de l'organisation au moment où il aurait pu ou dû le faire.

[11]            La Commission a jugé que le ministre avait satisfait à son fardeau de preuve et qu'il avait établi que le demandeur était visé par les dispositions de l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention et qu'il était donc exclu des personnes habilitées à revendiquer le statut de réfugié en vertu de l'article 98 de la Loi.

TEXTES DE LOI PERTINENTS

[...]

98. La personne visée aux sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[...]

ANNEXE

(paragraphe 2(1))

SECTIONS E ET F DE L'ARTICLE PREMIER DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES RELATIVE AU STATUT DES RÉFUGIÉS

[...]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

ARTICLE PREMIER DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

1. Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant de sanctions légitimes inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

2. Cet article est sans préjudice de tout instrument international ou de toute loi nationale qui contient ou peut contenir des dispositions de portée plus large.

...

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

...

SCHEDULE

(Subsection 2(1))

SECTIONS E AND F OF ARTICLE 1 OF THE UNITED NATIONS CONVENTION RELATING TO THE STATUS OF REFUGEES

...

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes          and principles of the United Nations.

ARTICLE 1 OF THE CONVENTION AGAINST TORTURE AND OTHER CRUEL, INHUMAN AND DEGRADING TREATMENT OR PUNISHMENT

1. For the purposes of this Convention, torture means any act by which severe pain or suffering, whether physical or mental, is intentionally inflicted on a person for such purposes as obtaining from him or a third person information or a confession, punishing him for an act he or a third person has committed or is suspected of having committed, or intimidating or coercing him or a third person, or for any reason based on discrimination of any kind, when such pain or suffering is inflicted by or at the instigation of or with the consent or acquiescence of a public official or other person acting in an official capacity. It does not include pain or suffering arising only from, inherent in or incidental to lawful sanctions.

2. This article is without prejudice to any international instrument or national legislation which does or may contain provisions of wider application.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Le demandeur soulève les questions suivantes :

a)                                La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en considérant que les terroristes présumés du « Sentier lumineux » qui ont participé aux conflits armés sont des civils au sens prévu à l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention?

b)                                La Commission a-t-elle omis de prendre en considération la défense fondée sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur?

c)                                La Commission a-t-elle tiré des conclusions de fait erronées concernant la carrière et le statut du demandeur à la PNP, en particulier quant à son rôle et à son poste de responsabilité dans la région VII du Pérou, laissant ainsi entendre qu'il aurait occupé un poste de commandement qu'il n'a jamais occupé?

d)                                La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait eu personnellement connaissance des violences?

LES ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[13]            Le demandeur soutient qu'en livrant des détenus à la Dincote et en exécutant des mandats d'arrestation, il ne se rendait pas complice des activités de la Dincote; il ne faisait que mettre en application des ordonnances conformes à la loi et suivre la procédure policière.

[14]            Le demandeur cite un extrait de la décision de la Commission dans lequel elle affirme qu'il s'est rendu complice « en arrêtant des civils et en les remettant entre les mains de la Dincote » (décision de la Commission, page 49). Il soutient que les détenus qui avaient été reconnus pour être « des éléments subversifs ou des terroristes » ne doivent pas être considérés comme des civils et que les détenus qu'il a livrés étaient des terroristes ayant participé à la lutte armée dans une organisation terroriste. Il affirme que ces individus peuvent être eux-mêmes accusés de crimes contre l'humanité et que ses agissements à l'endroit de ces individus ne doivent pas être considérés comme des agissements à l'égard de civils. Citant la décision Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646, le demandeur soutient qu'il n'a pas participé à des crimes de guerre ou à des crimes contre l'humanité parce qu'il était « un simple soldat engagé dans une action contre un ennemi armé » . Il fait valoir qu'il n'y a aucune preuve qu'il aurait livré des civils à la Dincote et que même si une telle preuve existait, ses agissements ne constitueraient pas un crime contre l'humanité, à moins qu'ils n'aient été « intentionnels, délibérés et injustifiables » . Il soutient que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que les individus arrêtés, qui étaient visés par un mandat d'arrestation, étaient des « civils » .

[15]            Citant un arrêt de droit criminel, R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701, le demandeur plaide qu'en livrant des détenus, il obéissait aux ordres de ses supérieurs. Il affirme qu'il a soulevé ce moyen de défense indirectement lors de l'audience devant la Commission, lorsqu'il a déclaré qu'à moins d'accepter de subir de graves conséquences, il n'avait d'autre choix que de livrer les détenus et que la Commission a omis de prendre ce moyen de défense en considération.

[16]            En ce qui concerne les conclusions de la Commission quant au rang et au statut du demandeur, ce dernier soutient que la Commission a également commis une erreur en concluant qu'il « occupait des fonctions de commandement ou de responsabilité à partir de 1978 et, dans ses diverses affectations, il a eu jusqu'à 70 officiers et sous-officiers de police sous ses ordres » (décision de la Commission, page 18). Le demandeur prétend que cette conclusion ne tient pas compte de son témoignage selon lequel il aurait occupé un poste de commandement seulement après 1988. Il reproduit un extrait de la transcription, confirmant qu'il a déclaré qu'il y avait « environ 20 » commandants dans sa région et il soutient également dans ses arguments que [traduction] « la conclusion voulant qu'il n'y avait que 20 commandants de police dans [cette région] n'est pas justifiée par la preuve » .

[17]            Le demandeur fait en outre valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle il était en position d'autorité et prenait des décisions (décision de la Commission, page 47) n'est pas justifiée par la preuve. Il soulève le même argument à l'égard de la conclusion qu'il occupait un poste de haut rang dans la PNP et qu'il ne pouvait pas ne pas être au courant que la Dincote commettait régulièrement des actes de violence à l'égard des détenus.

[18]            En ce qui concerne les contradictions entre son témoignage et son FRP, le demandeur affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle aucune modification n'a été apportée à son FRP (décision de la Commission, page 47), est erronée. Le demandeur affirme qu'il a déposé des descriptions détaillées de ses postes et qu'il a témoigné pendant plusieurs jours sur la nature de ces postes.

[19]            Se fondant sur les arguments exposés plus haut, le demandeur prie la Cour d'accueillir sa demande de contrôle judiciaire et de renvoyer l'affaire devant un tribunal de la Commission différemment constitué.

LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

            Norme de contrôle et norme de preuve

[20]            Citant Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 732 (QL) et Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration,) 2003 CF 1146, [2003] A.C.F. n ° 1451 (QL), le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission quant à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable et que la Commission est habilitée à tirer des conclusions sur la preuve, y compris juger qu'une revendication n'est pas vraisemblable. Le défendeur fait valoir que plusieurs des questions soulevées par le demandeur portent sur des conclusions de fait et sur la crédibilité et qu'à ce titre, elles doivent être examinées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[21]            Le défendeur affirme que la norme de preuve prévue à l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention est l'existence de « raisons sérieuses de penser » qu'un revendicateur a commis des crimes contre l'humanité et que la Cour d'appel fédérale a interprété cette norme comme exigeant davantage qu'un simple soupçon mais moins qu'une preuve selon la prépondérance des probabilités (Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, au paragraphe 5).

[22]            Le défendeur soutient que la complicité pour crimes contre l'humanité repose sur l'existence « d'un objectif commun partagé et la connaissance de cet objectif par toutes les personnes en cause » et qu'une personne faisant partie d'un tel groupe doit se retirer ou protester à la première occasion raisonnable (Valère c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 524, [2005] A.C.F. n ° 643 (QL)).

[23]            Le défendeur plaide que la conclusion sur la complicité doit être examinée selon la norme du caractère raisonnable car il s'agit d'une question mixte de faits et de droit et que la décision de la Commission sur ce point est raisonnable, compte tenu de la preuve démontrant que le demandeur était un membre volontaire de longue date de la PNP, qu'il était au courant de la corruption et des pratiques de torture dans la PNP sous le règne du président Fujimori et qu'il ne s'est pas dissocié de la PNP.

[24]            Le défendeur fait valoir que la Commission pouvait à juste titre conclure comme elle l'a fait quant à l'exclusion du demandeur, compte tenu de l'ensemble de la preuve, du fait que ses motifs sont exposés de manière claire, précise et intelligible et du fait que le demandeur ait omis de démontrer que les conclusions de la Commission sont déraisonnables, que la Commission a commis une erreur de droit ou qu'elle a manqué aux principes de la justice naturelle.

            Complicité

[25]            Selon le défendeur, la question de savoir si une personne s'est rendue complice de crimes contre l'humanité est essentiellement de nature factuelle et elle doit donc être examinée selon les faits propres à chaque cas. Il est bien établi qu'il n'est pas nécessaire que la personne en cause ait personnellement commis les crimes contre l'humanité pour déclencher l'application de l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention (voir Valère, au paragraphe 20).

[26]            Une personne est complice de crimes contre l'humanité lorsqu'elle s'associe sciemment et volontairement à un groupe reconnu pour avoir commis de tels crimes. La complicité repose sur l'existence d'un objectif commun partagé et sur la connaissance de cet objectif par toutes les personnes en cause. Comme l'affirme la Cour dans Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79, au paragraphe 6 :

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune.

[27]            Le droit est bien fixé sur ce point : une personne doit se dissocier du groupe dès la première occasion raisonnable. En conséquence, l'un des facteurs essentiels de l'analyse de la complicité consiste à déterminer si la personne a tenté de mettre un terme aux crimes perpétrés, si elle a protesté contre la commission de ces crimes ou si elle a tenté de se retirer de l'organisation (voir Valère, au paragraphe 24, et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433, au paragraphe 10).

[28]            En l'espèce, le défendeur affirme que le demandeur est longtemps et volontairement demeuré associé à la PNP, soit pendant plus de 30 ans. Il s'est inscrit de son plein gré à l'académie de police des sous-officiers en 1974.

[29]            Au cours de sa carrière à la PNP, le demandeur a reçu plusieurs promotions et s'est hissé dans les rangs de la hiérarchie. Il a commencé comme major sous-commissaire en 1978. Il a ensuite été promu au rang de commissaire en second en 1981 avant de devenir capitaine en 1985, major de police en 1991 et commandant de police en janvier 1999. Le demandeur a pris sa retraite de la PNP le 1er janvier 2002. Il a ensuite travaillé comme conseiller à la sécurité pour une société privée.

[30]            Lorsqu'il a été promu au rang de commandant en 1999, le demandeur a travaillé dans la région VII du Pérou. Dans le cadre de ses fonctions, le demandeur était chef des opérations policières, il participait aux recherches de terroristes présumés et dirigeait les descentes contre ces terroristes. Comme l'affirme la Commission, à la page 18 de sa décision :

Il n'y a que 20 commandants de police dans la région VII, et seulement deux généraux et 15 colonels occupaient un rang plus élevé que le demandeur d'asile principal, sur une force totale de 25 000 à 30 000 officiers et sous-officiers dans la région VII. Le demandeur d'asile principal occupait des fonctions de commandement ou de responsabilité à partir de 1978 et, dans ses diverses affectations, il a eu jusqu'à 70 officiers et sous-officiers de police sous ses ordres.

[31]            Le défendeur souligne que l'un des facteurs déterminants dans la décision de la Commission est le fait que le demandeur ait participé aux activités de la Dincote, l'unité antiterroriste de la PNP, et qu'il connaissait ces activités. Pendant neuf mois, le demandeur a travaillé au siège social de la Dincote, où les prisonniers étaient couramment torturés et maltraités. Il reconnaît qu'en 1994, il avait entendu dire que des prisonniers étaient torturés dans les cellules du sous-sol de l'édifice de la Dincote où il a lui-même travaillé. Dans l'exercice de ses fonctions de policier, le demandeur devait livrer les prisonniers qu'il avait arrêtés à l'unité de police concernée, y compris la Dincote.

[32]            Au vu de la preuve documentaire, le défendeur affirme que la Commission disposait de tous les éléments de preuve nécessaires pour conclure qu'il existait de sérieuses raisons de croire que la PNP se livrait régulièrement à des violations graves, systématiques et répandues des droits de la personne, y compris à l'usage de la torture sur des civils. Plus particulièrement, la preuve documentaire confirme ce qui suit :

a)                   La PNP faisait couramment usage de la torture lors des interrogatoires de criminels ou de suspects, tant dans les affaires criminelles que dans les affaires de sécurité.

b)                   Dans un rapport paru en 1997, Human Rights Watch affirme que le recours à la torture au Pérou a précédé le recours à la violence par les guérilleros et n'est pas limité seulement aux opérations anti-insurrectionnelles. Le rapport précise que « partout au Pérou, la police a de manière généralisée commis des atrocités à l'endroit des suspects et a eu recours à la torture [...] » .

c)                   Un rapport de la Direction des recherches de la CISR (2000) affirme que « la torture a généralement lieu dans les locaux de la police alors que les suspects sont détenus et interrogés » .

d)                   Dans son rapport annuel de 1994, le Département d'État américain a signalé que les forces de sécurité du gouvernement ont « systématiquement » torturé dans des centres de détention policière des personnes soupçonnées d'activités subversives.

[33]            En se fondant sur la preuve documentaire, la Commission a conclu ce qui suit, à la page 16 de sa décision :

J'ai constaté que les atrocités signalées ci-dessus ont été commises pendant la période durant laquelle le demandeur d'asile principal était membre de la police péruvienne. Je conclus de ces rapports que la police péruvienne a commis des violations des droits de la personne, y compris le meurtre et la torture, de façon généralisée et systématique pendant que le demandeur d'asile principal était au service de la police.

[34]            La question de la complicité d'une personne qui appartient à un groupe est une question mixte de fait et de droit. À ce titre, le défendeur affirme que la conclusion de la Commission sur ce point doit être examinée selon la norme du caractère raisonnable (voir Valère, au paragraphe 12, et Rocha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 304, [2005] A.C.F. n ° 385 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 43).

[35]            Selon le défendeur, la Commission a tiré une conclusion raisonnable sur la question de la complicité, compte tenu de la preuve de la participation du demandeur aux activités de la PNP. Plus particulièrement, la preuve révèle ce qui suit :

a)                   Le demandeur a fait un choix de carrière délibéré puisqu'il s'est inscrit de son plein gré à l'académie de police, en 1971. Le demandeur n'a jamais été forcé ou contraint de rejoindre les rangs de la police.

b)                   Le demandeur était un membre de longue date de la PNP puisqu'il a été associé à cette organisation pendant plus de 30 ans.

c)                   Le demandeur a reconnu que la torture était couramment utilisée, à tout le moins au cours de la période où le président Fujimori était au pouvoir (de juillet 1990 à novembre 2000), et que les dirigeants de la PNP étaient corrompus.

d)                   Malgré le fait qu'il était au courant des graves violations des droits de la personne commises par la PNP, le demandeur est demeuré associé de son plein gré à cette organisation. Le demandeur ne s'est jamais dissocié de l'organisation.

[36]            Le défendeur souligne que le fait que le demandeur connaissait les activités de la Dincote a été un facteur déterminant dans la décision de la Commission. Le demandeur a déclaré qu'il savait que la Dincote commettait des violences, tant avant qu'il n'intègre la Dincote en janvier 1992 qu'après son départ de cette unité en août 1992. Le demandeur a également admis qu'il était de notoriété publique que la Dincote faisait couramment usage de la torture. Les cellules de détention de la Dincote étaient situées au sous-sol de l'édifice dans lequel le demandeur a travaillé et il a visité le sous-sol à une occasion pour y jeter un coup d'oeil. La Commission est parvenue à cette importante conclusion, à la page 48 de sa décision :

Je conclus que le demandeur d'asile principal est complice des actes de torture commis à la Dincote, soit en raison du soutien efficace qu'il a fourni à l'unité lorsqu'il y a travaillé en 1992, soit parce qu'il a remis des suspects entre les mains de cette organisation pour qu'elle en dispose comme bon lui semblait, sachant qu'elle se livrait régulièrement à la torture.

[37]            Le rang de la personne dans l'organisation en cause est également un facteur important dans l'analyse de la complicité. Plus une personne est impliquée dans le processus décisionnel et moins elle tente de contrecarrer la perpétration d'actes inhumains, plus il est vraisemblable qu'elle soit criminellement responsable. Tel que mentionné dans Sivakumar, au paragraphe 10 :

En conséquence, peut être jugé complice celui qui demeure à un poste de direction de l'organisation tout en sachant que celle-ci a été responsable de crimes contre l'humanité.

[38]            En l'espèce, le défendeur affirme que le rang du demandeur, ses responsabilités et son poste de commandement dans la PNP appuient la conclusion de la Commission en ce qui concerne la complicité. De fait, comme le mentionne la Commission, le demandeur a obtenu plusieurs promotions tout au long de sa carrière dans la PNP :

Je suis d'accord avec les observations du ministre, à savoir que le demandeur d'asile principal a démontré qu'il avait épousé l'organisation (la PNP, la PIP, la Dincote et toutes les unités des forces de sécurité) et ses objectifs, en arrêtant des civils et en les remettant entre les mains de la Dincote, en ne prenant aucune mesure pour enquêter concernant les rapports sur des abus, en ne dénonçant pas ses supérieurs qui lui faisaient des requêtes inconvenantes et en s'engageant à demeurer au service de la PNP pour faire progresser sa propre carrière dans la police.

            Absence de dissociation

[39]            Le défendeur fait en outre valoir que la preuve démontre clairement que le demandeur a omis de se dissocier de la PNP. Rien dans la preuve au dossier de la Commission n'indique que le demandeur aurait eu des raisons de craindre pour sa sécurité qui l'auraient empêché de quitter la police. Au contraire, le demandeur a occupé un poste d'officier pendant plus de 30 ans, en dépit du fait qu'il était au courant des activités de la PNP. Rien non plus dans la preuve n'indique que le demandeur ait tenté d'une manière ou d'une autre de faire cesser l'usage de la torture contre les prisonniers ou de s'y opposer.

[40]            De fait, le demandeur a déclaré qu'il souhaitait demeurer dans la PNP le plus longtemps possible et qu'il avait espéré obtenir le rang de général. Le demandeur n'a jamais pensé à prendre sa retraite avant que lui-même et son épouse commencent à recevoir des appels de menaces en décembre 2001. Le défendeur affirme que les conclusions de la Commission sur ce point ne contiennent aucune erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle :

Je conclus qu'il a omis de signaler les abus qui avaient lieu dans la Région VII ou de s'en dissocier, alors qu'il aurait pu et aurait dû le faire. Je ne trouve pas son témoignage crédible quand il dit qu'il n'a pas porté plainte ou n'a pas dénoncé ces pratiques parce qu'il n'avait rien pour prouver que des actes de torture précis avaient été commis.

Je suis d'accord avec les observations du ministre, en ce sens qu'il s'agit d'une excuse facile. Le demandeur d'asile principal a préféré conserver son poste au sein de la PNP, en espérant atteindre le rang de général, plutôt que d'écouter sa conscience.

            Crédibilité

[41]            Le défendeur soutient que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont également bien fondées. La Commission a jugé que certaines parties du témoignage du demandeur n'étaient pas crédibles. Plus particulièrement, la Commission a estimé que compte tenu de la preuve documentaire, du rang qu'occupait le demandeur et des années qu'il a passées à la PNP, il est invraisemblable que le demandeur n'ait pas eu connaissance des crimes et des violences perpétrés par les forces de sécurité, y compris la PNP et la Dincote. La conclusion de la Commission, à la page 49 de sa décision, est présentée comme suit :

La preuve documentaire confirme que la torture et les autres actes inhumains infligés par la police étaient généralisés à Lima, ainsi que dans beaucoup d'autres régions du pays. Il aurait fallu être aveugle, sourd ou dans un état comateux pour ne pas avoir connaissance de tels actes de violence. Je ne comprends pas comment, compte tenu de toutes ces circonstances, le demandeur d'asile principal aurait pu ne pas être au courant de ces abus et de leur étendue.

Conclusions

[42]            Compte tenu de ce qui précède, le défendeur affirme que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de faire l'objet d'un examen en concluant que le demandeur devait être exclu en vertu de l'alinéa Fa) de l'article premier. Le demandeur s'est rendu complice de crimes contre l'humanité en envoyant des suspects subir des tortures et des brutalités prévisibles. En tout état de cause, les arguments du demandeur concernant la complicité se résument essentiellement à une contestation des conclusions de faits de la Commission et de son évaluation de la preuve. Le demandeur n'a toutefois pas réussi à prouver que l'une quelconque des conclusions de la Commission était manifestement déraisonnable.

[43]            Le demandeur plaide qu'en remettant des prisonniers aux mains de la Dincote, il ne faisait qu'exécuter les « ordres de ses supérieurs » de livrer les personnes détenues et qu'il n'avait donc pas le choix.

[44]            Le défendeur réplique que le demandeur ne peut pas éluder sa responsabilité pour ce qui est arrivé aux détenus qu'il a remis aux mains de la Dincote en se contentant d'affirmer qu'il ne faisait qu'exécuter les ordres. La Commission a précisément conclu que le demandeur connaissait la réputation de la Dincote et qu'il savait comment les prisonniers qu'il lui remettait étaient traités. La preuve démontre clairement que le demandeur a aidé la Dincote en procédant à l'arrestation de suspects avant de les livrer à cette unité. Vu le rang du demandeur, le nombre d'années pendant lesquelles il est resté à la PNP et sa connaissance de la Dincote, le défendeur affirme que la Commission était parfaitement en droit de conclure que, compte tenu des circonstances de l'espèce, la défense fondée sur les « ordres des supérieurs » n'était pas recevable.

ANALYSE

            Fondement de la décision - Les crimes contre l'humanité

[45]            Le demandeur affirme que tout le raisonnement de la Commission [traduction] « tient sur le lien que l'appelant (le demandeur) entretenait avec l'unité antiterroriste, à savoir la Dincote (Direccion National Contra el Terrorismo) » .

[46]            Le demandeur était membre de la PNP, la force de police générale du Pérou. La Dincote était l'une des onze unités spécialisées créées après 1988. Durant sa carrière, le demandeur a été affecté pour une période de huit mois au siège social de la Dincote, en 1992.

[47]            Le demandeur soutient qu'il livrait des détenus à la Dincote et exécutait des mandats d'arrestation. Il parle ainsi car selon lui, en livrant des détenus reconnus pour être des éléments subversifs ou des terroristes, il ne livrait pas des civils. Il affirme que les détenus étaient membres d'une organisation criminelle terroriste et qu'ils avaient un objectif militaire clair, à savoir changer le gouvernement du Pérou.

[48]            Le demandeur soutient que cela signifie que les détenus n'étaient pas des civils au sens défini dans la jurisprudence et qu'on ne peut donc pas le déclarer complice de crimes contre l'humanité. Il allègue que rien dans la preuve au dossier de la Commission n'indique qu'il a commis des crimes contre l'humanité parce ces crimes visent des civils. Il déclare que toute la preuve porte sur l'arrestation de terroristes et le transfert de détenus aux mains de la Dincote. Ces terroristes ne devraient pas être considérés comme des civils.

[49]            Le demandeur conclut que la Commission [traduction] « a confondu à tort les terroristes arrêtés dans le cadre de deux opérations dirigées par l'appelant [le demandeur] et les personnes recherchées en vertu de mandats d'arrestation en tant que civils » . Il soutient qu'il s'agit [traduction] « d'une erreur de droit » .

[50]            Je ne crois pas que la tentative du demandeur d'interpréter la décision de la Commission de cette manière (pour être en mesure de profiter d'une éventuelle distinction entre civils et non-civils dans le contexte des crimes contre l'humanité) soit compatible avec la décision dans son ensemble ou avec la preuve sur laquelle la Commission s'est appuyée.

[51]            La preuve a clairement démontré les pratiques de torture largement répandues, les crimes et les violences perpétrés de manière généralisée par les forces de sécurité du Pérou au cours de la période visée, y compris par la PNP et la Dincote.

[52]            Le demandeur s'est rendu complice de crimes contre l'humanité, soit en raison du soutien effectif qu'il a fourni à la Dincote, lorsqu'il a travaillé dans cette unité en 1992, soit parce qu'il livrait des suspects à la Dincote qui en faisait ce qu'elle voulait, tout en sachant qu'elle usait couramment de la torture.

[53]            En outre, le demandeur « a omis de signaler les abus qui avaient lieu dans la région VII ou de s'en dissocier, alors qu'il aurait pu et aurait dû le faire » . Il « a préféré conserver son poste au sein de la PNP, en espérant atteindre le rang de général, plutôt que d'écouter sa conscience » .

[54]            La Commission a tiré la conclusion suivante concernant le degré de complicité du demandeur :

Je suis d'accord avec les observations du ministre, à savoir que le demandeur d'asile principal a démontré qu'il avait épousé l'organisation (la PNP, la PIP, la Dincote et toutes les unités des forces de sécurité) et ses objectifs, en arrêtant des civils et en les remettant entre les mains de la Dincote, en ne prenant aucune mesure pour enquêter concernant les rapports sur des abus, en ne dénonçant pas ses supérieurs qui lui faisaient des requêtes inconvenantes et en s'engageant à demeurer au service de la PNP pour faire progresser sa propre carrière dans la police.

[55]            La Commission lie clairement sa conclusion sur la complicité du demandeur pour crimes contre l'humanité à un contexte global qui ne se limite pas à la Dincote. De plus, la Commission estime de toute évidence que même à la Dincote, le demandeur « [arrêtait] des civils et [...] les [remettait] entre les mains de la Dincote » . Rien dans la preuve ne permet de penser que cette conclusion est erronée. Le demandeur affirme qu'il livrait les terroristes à la Dincote. La Commission affirme qu'il n'y avait aucun terroriste, qu'il s'agissait de « suspects » , qu'ils étaient des « civils » et que la Dincote les traitait « à sa discrétion » . Comme le souligne le défendeur, la preuve au dossier était amplement suffisante pour justifier cette conclusion de la Commission.

[56]            Ainsi, même si la jurisprudence a effectivement établi une distinction entre les « civils » et les autres détenus dans le contexte des crimes contre l'humanité (et je ne me prononcerai pas sur ce point car ce serait inutile, compte tenu des faits en l'espèce), la décision de la Commission englobe clairement les civils et les suspects et elle concerne clairement la complicité pour les violences commises dans « l'organisation » au sens large et non pas seulement à la Dincote. Rien dans la preuve déposée par le demandeur ne permet de penser que la Commission aurait commis une erreur dans ces conclusions, peu importe la norme de contrôle retenue.    

Rang

[57]            Les deux parties conviennent que la manière dont la Commission a examiné le rang du demandeur est déterminante dans la décision car cette question est liée à la notion de complicité à plusieurs égards.

[58]            Dans l'énoncé narratif de son FRP, le demandeur affirme qu'il a été promu du rang de major a celui de commandant en 1999, qu'il a travaillé dans la région VII et qu'il a participé à des descentes et aux recherches de terroristes présumés.

[59]            À l'audience devant la Commission, le demandeur a quelque peu modifié sa tactique et il a déclaré qu'il ne dirigeait pas les opérations et qu'en réalité, il ne faisait rien de plus que du travail de paperasserie dans l'unité des opérations.

[60]            Comme elle était en droit de le faire, la Commission a relevé ce changement de version. Le demandeur se plaint aujourd'hui que la Commission a tout simplement accepté sans poser de questions le raisonnement du représentant du ministre concernant son rang. Les motifs de la décision indiquent toutefois très clairement qu'il n'en est rien. La Commission était plutôt troublée par les contradictions entre l'énoncé narratif du FRP et les tentatives ultérieures du demandeur de se dissocier de toute véritable participation aux opérations :

Le demandeur d'asile principal est catholique pratiquant et croyant. Le 28 novembre 2002, il a fait une déclaration en signant son FRP, confirmant ainsi que l'information contenue dans ce document était complète, vraie et exacte et que cette déclaration avait la même force et le même effet que si elle avait été faite sous serment.

On lui a montré son FRP avant le début de l'audience. À ce moment, il a juré de dire la vérité et il a confirmé une autre fois que les renseignements figurant dans son FRP étaient vrais et exacts, au mieux de sa connaissance. Aucune tentative de modifier le contenu du FRP ou de l'exposé circonstancié n'a été faite avant l'audience.

Je trouve pour le moins particulier que, lorsqu'il a été interrogé au sujet du contenu de son FRP, en particulier concernant le paragraphe 8 de son exposé circonstancié dans lequel il déclare [traduction] « je dirigeais les opérations policières à l'époque où nous faisions des fouilles et des rafles dans les repaires des individus soupçonnés de terrorisme » , le demandeur d'asile principal m'ait dit ensuite que cette déclaration était une erreur et qu'il n'était pas le chef des opérations policières dans la Région VII.

Diriger la Région VII (en tant que commandant) comportait une foule d'implications. Le demandeur d'asile principal était en position d'autorité. Il prenait les décisions.

La Commission ajoute que la réponse du demandeur sur la question de son rang ne lui semble pas crédible : « Je crois qu'il voulait se donner l'image d'un policier ordinaire dont les responsabilités se limitaient principalement à l'administration du bureau et à des tâches semblables » :

J'estime qu'il a omis de divulguer, en toute connaissance de cause, sa pleine implication dans les forces policières de la Région VII dans le but de cacher ses véritables activités au sein du corps policier de la Région VII.

[61]            Il s'agit de conclusions sur les faits et la crédibilité. La Commission parvient à ces conclusions en se fondant sur les contradictions dans les déclarations sous serment faites par le demandeur. Le demandeur voudrait aujourd'hui que la Cour procède à un nouvel examen de son rang et de son rôle dans les forces de police mais il ne soulève aucun motif valable justifiant que la Cour intervienne dans les conclusions de la Commission sur ce point.

            Connaissance

[62]            La connaissance des crimes contre l'humanité que l'on peut prêter au demandeur est liée à l'évaluation de son rang par la Commission. Le demandeur prétend aujourd'hui que [traduction] « l'erreur commise quant au niveau de responsabilité de son poste a poussé le commissaire à conclure qu'il était impossible que l'appelant [le demandeur] n'ait pas eu connaissance des violences » .

[63]            Le demandeur ajoute qu'il ne savait pas que la Dincote avait pour pratique de torturer les détenus.

[64]            Une fois encore, le demandeur voudrait que la Cour intervienne dans les conclusions sur les faits, fondées dans ce cas précis sur ses déclarations concernant ce qu'il savait des pratiques de la Dincote de même que sur les inférences tirées par la Commission quant au poste de responsabilité qu'occupait le demandeur dans la région VII.

[65]            J'ai déjà dit que la Cour n'avait aucune raison d'intervenir dans les conclusions de la Commission concernant le rang du demandeur et la Commission a fourni des motifs plus que suffisants, compte tenu de son évaluation de la preuve, pour justifier ses conclusions concernant la connaissance des crimes contre l'humanité et la complicité qui découle de cette connaissance. La Cour ne constate aucune erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle sur ce point et ne voit aucune raison d'intervenir dans la décision de la Commission à cet égard.

            Obéissance aux ordres d'un supérieur

[66]            Enfin, le demandeur prétend que la Commission a omis de prendre en considération la défense fondée sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur. Il affirme qu'il avait le devoir de livrer les détenus accusés de terrorisme à l'unité antiterroriste et qu'il avait le devoir de livrer les détenus à l'unité concernée lorsqu'un mandat d'arrestation avait été délivré à leur endroit.

[67]            Il soutient que la Commission [traduction] « a omis de prendre sa défense en considération en dépit de la clarté du témoignage du demandeur sur cette question » .

[68]            Le demandeur n'a soulevé qu'indirectement ce moyen de défense à l'audience, [traduction] « en déclarant qu'il ne pouvait plus détenir les gens accusés de terrorisme et qu'il n'avait pas d'autre choix que de livrer ces individus à la Dincote » .

[69]            Ainsi, ce moyen de défense a été soulevé implicitement seulement. Néanmoins, la Commission l'a examiné dans le cadre de son évaluation générale de la détermination du demandeur à obtenir des promotions et du fait qu'il s'est abstenu de se dissocier d'une organisation qui, il le savait, commettait des crimes contre l'humanité : « Je conclus qu'il a omis de signaler les abus qui avaient lieu dans la Région VII ou de s'en dissocier, alors qu'il aurait pu et aurait dû le faire » . La Commission accueille les arguments du ministre sur ce point :

Le ministre soutient que le raisonnement suivi dans Penate peut être appliqué au demandeur d'asile principal dans la présente affaire. En raison de l'implication importante de la police dans les abus, le demandeur d'asile principal ne pouvait qu'être au courant de ces agissements, ou refusait délibérément de les voir. En arrêtant des civils et en les livrant à la Dincote, en ne prenant aucune mesure pour enquêter à la suite des rapports d'abus, en ne dénonçant pas les supérieurs qui lui faisaient des requêtes inconvenantes, et en s'engageant à faire avancer sa carrière au sein de la police, le demandeur d'asile principal a démontré qu'il adhérait à l'organisation et à ses objectifs. En fournissant un soutien efficace à la PNP et à ses objectifs dans ce contexte, le demandeur d'asile principal s'est fait complice des opérations policières, dans leurs « aspects les plus sombres » .

[70]            Autrement dit, le demandeur n'était pas obligé de faire carrière dans la PNP et de chercher à gravir les échelons. Il ne risquait rien en quittant la PNP. Il a épousé l'organisation, il a obtenu plusieurs promotions et il n'a pris sa retraite que le 1er janvier 2002, après que lui et sa famille aient reçu des appels de menaces. Il n'a jamais pensé à prendre sa retraite avant que sa femme et lui ne commencent à recevoir des appels de menaces. C'est la raison pour laquelle la Commission déclare qu'elle est d'accord « avec les observations du ministre, à savoir que le demandeur d'asile principal a démontré qu'il avait épousé l'organisation (la PNP, la PIP, la Dincote et toutes les unités des forces de sécurité) et ses objectifs » .

[71]            Rien ne permet de penser que le demandeur était incapable de se libérer de cet engagement. Il voulait mener une carrière dans une organisation dont il connaissait les objectifs et les méthodes. Rien ne l'obligeait à exécuter les ordres de ses supérieurs.

[72]            Dans Ramirez, la Cour d'appel fédérale examine la défense de contrainte, à la page 188 :

Cette exception reconnaît essentiellement que, lorsqu'une personne agit dans le but d'éviter un péril grave et imminent, il n'y a pas d'intention. Il faut que le danger soit de nature « à inspirer à un homme raisonnable la crainte d'un péril corporel imminent tel qu'il se trouve privé de sa liberté de choisir ce qui est juste ou de s'abstenir de ce qui est illicite » .

[73]            En l'espèce, rien n'indique que le demandeur a été privé de sa liberté de choisir; au contraire, la preuve au dossier indique clairement que le demandeur a continué de son plein gré à participer aux activités d'une organisation dont les pratiques relèvent du champ d'application du paragraphe F de l'article premier de la Convention.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                   Aucune question n'est certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2392-05

INTITULÉ :                                        CARLOMAGNO REYNA LOAYZA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 7 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE RUSSELL

DATE :                                                LE 9 MARS 2006

COMPARUTIONS:

Jacques Despatis

POUR LE DEMANDEUR

Marie Crowley

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JACQUES DESPATIS

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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