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Date : 20041028

Dossier : IMM-863-04

Référence : 2004 CF 1490

Ottawa (Ontario), ce 28ième jour d'octobre 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                 ALBERT JEAN JOSEPH PIERRE

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (le « tribunal » ) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « CISR » ), rendue le 6 janvier 2004, refusant de reconnaître l'asile au demandeur puisqu'il ne possédait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni la qualité de personne à protéger.

[2]                Le demandeur vise à ce que la décision du tribunal soit infirmée et le dossier renvoyé devant un nouveau tribunal ainsi que toute autre ordonnance que la Cour jugera appropriée.


QUESTION EN LITIGE

[3]                Est-ce que le tribunal a erré en fondant sa décision sur une conclusion de fait erroné, ou en agissant d'une façon contraire à la loi, en rendant une décision à l'effet que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger?

CONCLUSION

[4]                Pour les motifs mentionnés ci-dessous, il n'y a aucune raison pouvant justifier une intervention de cette Cour.

LES FAITS

[5]                Le demandeur, Albert Jean Joseph Pierre (M. Pierre, ou le « demandeur » ), âgé de 59 ans, est citoyen de la République d'Haïti. Il est entré au Canada le 31 janvier 2001 en qualité de résident permanent du Canada. Suite à la réception d'une dénonciation alléguant que le demandeur avait épousé sa soeur sous une fausse identité, et ce, afin de se prévaloir des avantages du parrainage et d'obtenir conséquemment un droit d'établissement au Canada, une enquête fut instituée par Immigration Canada.    Entre-temps, le demandeur déposa une demande d'asile le 1er novembre 2001.


[6]                M. Pierre se dit victime de persécution et de harcèlement en raison de son passé à titre de policier communal en Haïti jusqu'en 1990. Par la suite, il aurait cultivé la terre tout en recevant de l'aide de sa parenté vivant à l'étranger. Selon lui, sa situation aurait provoqué une certaine forme de jalousie et s'en sont suivies des menaces de mort. M. Pierre allègue aussi que certaines personnes cherchent également à entrer dans son domicile afin de le voler, et ce, depuis 1990. D'autres ont tenté d'incendier ses terres. Il identifie son neveu comme étant jaloux de sa condition financière et il allègue que la police ne serait pas capable de le protéger.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[7]                Le tribunal a trouvé que M. Pierre aurait accès à une possibilité de refuge interne (P.R.I.) à Haïti dans la capitale de Port-au-Prince et que, pour cette raison, il n'était pas un réfugié au sens de la convention :

La preuve au dossier indique que Port-au-Prince constituait un refuge interne accessible pour le demandeur et qu'il existe peu de possibilité sérieuse qu'il soit persécuté en cette ville. D'ailleurs, les objections du demandeur à réaliser cette PRI sont essentiellement centrées sur des critères économiques et sociaux. Ainsi, il est vrai de dire qu'il lui était plus facile de gagner sa vie en cultivant ses terres, mais aucun réfugié ne dispose d'un droit inaliénable dans l'exercice d'une profession ou d'un métier particulier. Le demandeur pouvait se re-localiser et rien n'indique que l'assistance financière familiale aurait ainsi cessé.

D'autre part, il n'y a pas de possibilité sérieuse que ses agents persécuteurs l'auraient suivi à Port-au-Prince. D'ailleurs, de l'aveu même du demandeur, la capitale lui offrait la sécurité dont il ne disposait pas aux Cailles.

Pour ces raisons, le tribunal conclut que le demandeur disposait d'une possibilité de refuge interne viable qu'il a soit refusé, omis ou négligé de rechercher par caprice futile.


[8]                Puisqu'il existait une P.R.I. viable à Haïti, le tribunal a déterminé que le demandeur n'était pas une « personne à protéger » selon l'article 97(1)(b) de la Loi et la demande d'asile du demandeur a alors été rejetée.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le demandeur

[9]                Le demandeur prétend que la décision du tribunal est déraisonnable car il serait en danger partout à Haïti parce qu'il ne pourrait pas compter sur la protection de l'État. Le demandeur croit que la police ne le protégera pas et que les policiers eux-mêmes sont à craindre car la corruption est omniprésente à Haïti.

[10]            Le demandeur expose qu'une grande partie de la population ne reconnaît pas le gouvernement en place et que cela explique en partie, pourquoi il y a un chaos social et que le désordre règne. Le demandeur indique que le cartable de la CISR sur Haïti contient une série de documents démontrant l'inefficacité de l'État à protéger ses citoyens.


[11]            Le demandeur dit aussi que sa terre à Cailles est sa seule façon de subvenir à ses besoins et qu'il n'a pas d'autres revenus sauf l'argent que lui envoie sa famille vivant au Canada. En plus, il ne connaît personne à Port-au-Prince et n'a aucun moyen de subsistance dans cette ville. Forcer sa relocalisation à Port-au-Prince serait déraisonnable.

Le défendeur

[12]            Le défendeur prétend que la décision est tout à fait raisonnable: elle est fondée sur la preuve présentée et les arguments invoqués par le demandeur ne justifient pas l'intervention de la Cour. C'était au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risquait sérieusement d'être persécuté dans tout le pays, y compris Port-au-Prince. Le demandeur, d'après le défendeur, n'a pas assumé son fardeau.

[13]            Le défendeur soumet que le demandeur n'apporte aucun argument dans son mémoire pour contester la conclusion du tribunal relativement à la P.R.I. dans son pays. Le tribunal n'a pas traité de la protection de l'État, puisque compte tenu des faits du dossier, il n'avait pas à le faire et en conséquence, l'argumentation du demandeur à ce sujet n'est pas pertinente.

ANALYSE

La norme de contrôle


[14]            Généralement, la norme de contrôle dans un tel cas, où le tribunal a déterminé qu'il existait une P.R.I. viable, est celle d'une décision manifestement déraisonnable puisqu'il s'agit essentiellement d'une question de faits. Toutefois, la question de savoir si l'absence de parenté dans la PRI est pertinente pour décider s'il est raisonnable pour un demandeur de revendiquer le statut de réfugié sans s'être prévalu de cette PRI doit être analysée en marge de la norme de la décision correcte puisque cette analyse implique l'application de paramètres à la définition de réfugié : Ranganathan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1999] 4 C.F. 269 (1ère inst.).

[15]            Alors, il faut premièrement analyser si le tribunal a bien décidé que le demandeur serait en sécurité à Port-au-Prince et puis, par la suite, analyser si le tribunal a bien décidé que c'était raisonnable que le demandeur se relocalise à Port-au-Prince.

L'analyse

[16]            Une décision manifestement déraisonnable est une décision qui, "dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé;" c'est-à-dire qu'il n'y a rien dans la décision qui explique comment le tribunal est parvenu à la conclusion qu'il a tirée compte tenu de la preuve dont il disposait : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748 au para. 56.


[17]            Ici, le tribunal avait de la preuve que le demandeur était persécuté par certaines personnes dans la région de Cailles. Par contre, rien n'indiquait que le demandeur ne serait pas en sécurité à Port-au-Prince. À ce sujet, le demandeur a admis qu'il serait en sécurité à Port-au-Prince. Compte tenu du fait que le demandeur avait admis avoir été persécuté à Cailles par des habitants de cette ville, il n'est pas déraisonnable que le tribunal ait trouvé que M. Pierre serait en sécurité à Port-au-Prince.    Il était parfaitement logique pour le tribunal de conclure à une P.R.I. dans les circonstances.

[18]            De plus, prétendre que forcer M. Pierre à se relocaliser est déraisonnable à la lumière des faits présentés en preuve, à savoir qu'il ne connaissait peu de gens à Port-au-Prince et qu'il dépendait de sa terre pour vivre, ne rencontre pas le test mis de l'avant par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Thirunavukka - Rasu (M.E.I.) [1994] 1 C.F. 589 au paragraphe 12 :

Pour savoir si c'est raisonnable, il ne s'agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d'un tel déménagement. Il ne s'agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu'un nouveau pays. Il s'agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci: serait-ce trop sévère de s'attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger? [Mes soulignés.]


[19]            Il n'était pas déraisonnable, selon ce test, que M. Pierre se relocalise à Port-au-Prince. Si une P.R.I. existe et qu'elle est viable, elle doit donc être mise de l'avant. Il est vrai que ce ne sera pas comparable au Canada mais tenant compte de la situation haïtienne, la P.R.I. est acceptable dans les circonstances. De plus, même si on regarde cette question d'après la norme d'une décision correcte, la P.R.I. est raisonnable parce que le demandeur a admis, en fait, qu'il connaissait des gens à Port-au-Prince et qu'il pourrait toujours recevoir de l'argent de sa famille même s'il n'habitait plus à Cailles.

[20]            Les avocats furent invités à soumettre des questions pour certification mais ont décliné l'invitation.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

Cette demande de contrôle judiciaire soit rejetée et aucune question ne sera certifiée.

                "Simon Noël"                 

         Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                      IMM-863-04

INTITULÉ :                     ALBERT JEAN JOSEPH PIERRE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        19 OCTOBRE 2004


MOTIFS DE                    L'Honorable Juge Simon Noël

EN DATE DU :                28 octobre 2004

COMPARUTIONS:                                      Me EVELINE FISET

                    POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me ISABELLE BROCHU

                    POUR LA PARTIE DÉFENDERSSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                          

                                                     

Me EVELINE FISET, AVOCATE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

                    POUR LA PARTIE DEMANDERESSE


MORRIS ROSENBERG

MONTRÉAL (QUÉBEC)

                    POUR LA PARTIE DÉFENDERSSE


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