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Date : 19971202


Dossier : IMM-2193-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE 2 DÉCEMBRE 1997.

     DEVANT : MONSIEUR LE JUGE JOYAL

     ENTRE


GHAFOUR SERRI,


requérant,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.


ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée.

                                  L-Marcel Joyal

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

________________________________

F. Blais, LL.L.


Date : 19971202


Dossier : IMM-2193-96

ENTRE


GHAFOUR SERRI,


requérant,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu, le 10 mai 1996, que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention en vertu du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Les faits

[2]      Le requérant est un citoyen iranien âgé de 81 ans. Il est père de six enfants et, depuis 1994, il est veuf. Tous ses enfants se sont enfuis de l'Iran il y a huit ou dix ans, après la révolution islamique. Trois de ses enfants sont au Canada et les autres sont aux États-Unis, en Autriche et en Turquie.

[3]      Après que leurs enfants eurent quitté l'Iran, le requérant et sa femme ont été interrogés par le gouvernement iranien trois ou quatre fois par année. On les amenait habituellement à la prison Evin où ils étaient détenus du matin jusqu'à 14 h. On les interrogeait au sujet des allées et venues de leurs enfants et les gardes les poussaient et leur donnaient des coups de poing.

[4]      Le couple a été détenu pour la dernière fois en avril 1994. Peu de temps après, en juillet de cette année-là, la femme a subi un accident cérébrovasculaire et une crise cardiaque mortels. En octobre 1994, le requérant a légalement quitté l'Iran, avec son propre passeport et un visa, et est venu au Canada, où il a finalement revendiqué le statut de réfugié. Ses enfants qui sont au Canada avaient été admis à titre de réfugiés.

Décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié

[5]      Dans sa décision, la Commission a conclu que le requérant n'avait pas raison de craindre d'être persécuté. Elle a reconnu l'existence d'une crainte subjective, mais elle a conclu que la situation du requérant n'équivalait pas à de la persécution au sens de la Convention des Nations Unies et de l'interprétation donnée par la Cour fédérale.

La question en litige

[6]      Il s'agit ici de savoir si la Commission a commis une erreur de droit en concluant comme elle l'a fait que le requérant n'avait pas raison de craindre d'être persécuté.

Analyse

[7]      Le critère auquel le demandeur doit satisfaire afin d'établir l'existence d'une crainte fondée de persécution a été particulièrement bien énoncé par le juge Heald1 :

                 L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.                

[8]      En l'espèce, la Commission n'a pas remis en question la crédibilité du requérant et, de fait, elle a reconnu l'existence d'une crainte subjective de persécution. Toutefois, elle a conclu que le requérant ne s'était pas acquitté de la charge qui lui incombait relativement à la crainte objective de persécution. Pour établir l'existence de cette "crainte objective", il doit exister une possibilité "raisonnable" ou "sérieuse" de persécution si le demandeur est renvoyé dans son pays d'origine1.

[9]      La définition de "réfugié au sens de la Convention" n'inclut pas la définition du mot "persécution" de sorte qu'il est possible d'attribuer à ce terme son sens ordinaire1. Le Living Webster Encyclopedic Dictionary définit le mot [TRADUCTION] "persecute" (persécuter) comme suit :

                 [TRADUCTION]                 
                 Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d'opinions particulières ou de la pratique d'une croyance ou d'un culte particulier.                 
Quant au mot [TRADUCTION] "persecution" (persécution), il est défini comme suit :         
                 [TRADUCTION]                 
                 le fait ou l'habitude de persécuter; le fait d'être persécuté.                 
[10]      Cette cour a établi que le mot "persécution" n'a pas à être interprété d'une façon restrictive. Il a été décidé que la persécution pourrait même se produire sans que le demandeur soit privé de sa liberté1 ou sans qu'il soit réellement assujetti à de mauvais traitements physiques1.
[11]      En l'espèce, le requérant vient de l'Iran, pays qui n'est pas officiellement plongé dans le terrorisme, dans la rébellion ou dans la guerre civile, mais qui est néanmoins un État où règne l'oppression. Depuis 1979, la République islamique d'Iran refuse l'accès à Amnesty International pour que cette organisation puisse faire des recherches sur la situation dans le pays en matière de droits de la personne. La plupart des Dossiers d'information sur les pays permettent de conclure que toute activité antigouvernementale emporte des peines extrêmes.
[12]      L'approche dure en Iran a été prise en considération par la Commission, qui pouvait facilement conclure que la crainte subjective de persécution qu'avait le demandeur était fondée; l'âge avancé du demandeur, les séances répétées d'interrogatoires en prison, la crise cardiaque de sa conjointe, puis sont décès peu de temps après, les liens qu'il entretenait depuis longtemps avec le régime qui avait précédé la révolution sous le régime du Shah, tels étaient les simples éléments de preuve sur lesquels la Commission pouvait tirer la conclusion qu'elle a tirée à cet égard.
[13]      Toutefois, la question de savoir si le demandeur s'était acquitté de la charge qui lui incombait d'établir l'existence d'une crainte objective de persécution n'était pas aussi facile à régler. La Commission a fait remarquer que, malgré les arrestations, les disparitions et les exécutions qui avaient eu lieu en Iran, le demandeur n'avait pas subi d'épreuves de ce genre pendant les huit ou dix années qui avaient suivi le départ de ses enfants. En outre, la Commission a conclu que le demandeur avait légalement quitté l'Iran pour venir au Canada, ce qu'il n'aurait probablement pas pu faire s'il avait été surveillé ou arrêté par la police.
[14]      La Commission a bien conclu que le demandeur avait raison de craindre d'être de nouveau interrogé par la police au sujet des allées et venues de ses enfants, qui avaient quitté l'Iran bien des années auparavant. Cependant, selon la Commission, on ne saurait dire que pareille crainte constitue une crainte objective de persécution. À cet égard, la Commission s'est fondée sur le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés1 ainsi que sur les remarques que mon collègue le juge Muldoon avait faites dans les jugements Naguleswaran1 et Shanmuganathan1.
Constatations
[15]      J'estime respectueusement que la Commission a correctement appliqué les critères énoncés dans la jurisprudence à l'égard des craintes tant subjective qu'objective de persécution. Les arrêts cités sont clairs et s'appliquent expressément à l'ensemble particulier des faits dont la Commission disposait.
[16]      Sans doute, l'âge et l'état de santé du demandeur ainsi que le témoignage que sa petite-fille a présenté à l'audience sont de nature à attirer énormément de sympathie à son endroit. Il serait possible de dire que, compte tenu des circonstances, il existe des raisons d'ordre humanitaire dont le requérant peut se prévaloir. La Commission a volontiers noté ces raisons, mais elle s'en est tenue à son champ de compétence ou à son mandat en examinant exclusivement la question du statut du demandeur. Voici ce qu'elle a dit :
                 [TRADUCTION]                  
                 Notre mandat consiste à déterminer qui est un réfugié au sens de la Convention et qui ne l'est pas. Nous pouvons uniquement rendre une décision au sujet du statut juridique d'une personne. Nous ne pouvons rien faire d'autre.                  

[17]      En d'autres termes, la Commission a respecté les fonctions ou pouvoirs que possèdent les autres organismes lorsqu'il s'agit de déterminer qui peut rester au Canada et qui doit être renvoyé.

Conclusion

[18]      Après avoir lu la transcription de l'audience qui a eu lieu devant la Commission et après avoir analysé les motifs de la décision de la Commission et avoir examiné les éloquents exposés des points d'argument que les deux avocats ont déposés, je ne puis souscrire à l'argument du demandeur selon lequel la décision de la Commission renferme le genre d'erreur qui pourrait justifier mon intervention. Il est vrai que l'affaire comporte des caractéristiques qui lui sont propres. Il pourrait également être vrai que la Commission faisait face au genre de cas limite dans lequel la décision est fondée sur un coup de dés plutôt que sur autre chose. Pourtant, je suis convaincu que la Commission s'est acquittée de cette tâche malheureuse. Je suis convaincu qu'elle a examiné l'affaire sous tous les angles et que, ce faisant, elle a tiré des conclusions de fait appropriées et a appliqué le droit correctement.

[19]      Je laisse à l'intimé le soin d'examiner d'une façon sérieuse et généreuse la question des raisons d'ordre humanitaire, dont la Commission a fait mention, mais sur laquelle elle s'est abstenue à juste titre de se prononcer. Toutefois, aux fins du contrôle judiciaire, la demande devrait être rejetée.

                         L.-Marcel Joyal

                             Juge

Ottawa (Ontario)

le 2 décembre 1997

Traduction certifiée conforme

_________________________________

F. Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-2193-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      GHAFOUR SERRI c. MCI

    

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 30 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Joyal en date du 2 décembre 1997

ONT COMPARU :

Linda L. Mark      POUR LE REQUÉRANT

Wendy Petersmeyer      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark & Company Law Corporation      POUR LE REQUÉRANT

Surrey (Colombie-Britannique)

George Thomson      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

     Rajudeen v. M.E.I., (1984) 55 N.R. 129, à la page 134.

     Voir Chan v. Canada (M.E.I.), (1995) 128 D.L.R. (4th) 213, à la page 259; et Adjei c. Canada (MEI), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.).

     Rajudeen v. M.E.I., (1984) 55 N.R. 129, à la page 133.

     Oyarzo c. MEI, [1982] 2 C.F. 779.

     Amayo c. MEI, [1982] 1 C.F. 520.

     Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR, 1988, aux pages 104-105.

     Naguleswaran et autres c. MCI, dossier du greffe IMM-1116-94, 19 avril 1995.

     Shanmuganathan c. MCI, dossier du greffe IMM-2019-94, 2 mai 1995.

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