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Date : 20040322

Dossier : IMM-689-03

Référence : 2004 CF 425

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                              US SAQIB NAJAM

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Us Saquib Najam (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dont les motifs sont en date du 8 janvier 2003. Dans cette décision, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                La décision de la Commission de refuser asile en raison du défaut du demandeur de prouver son identité est-elle manifestement déraisonnable?

[3]                Pour les motifs énoncés ci-dessous, je répondrai par la négative à cette question et je rejetterai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

LES FAITS

[4]                Le demandeur est un citoyen pakistanais. Il craint d'être persécuté s'il retournait dans son pays, en raison de ses opinions politiques.

[5]                Le demandeur allègue qu'il était un membre actif du parti national du Jammu-et-Cachemire. Pour cette raison, il affirme avoir été menacé et attaqué par des membres de la Muslim Conference et du Hizbul Mujahideen.

[6]                Il soutient également avoir été arrêté et détenu illégalement par des agents de police qui l'ont agressé et menacé et qui lui ont dit d'arrêter ses activités politiques.

[7]                Finalement, le demandeur a décidé de s'enfuir de son pays. Il a quitté le Pakistan le 26 août 2001. Après avoir fait escale aux États-Unis, il est arrivé au Canada le 27 août 2001 et il a revendiqué le statut de réfugié.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[8]                Dans sa décision du 8 janvier 2003, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger parce qu'il n'avait pas réussi à établir son identité. La Commission a basé sa décision sur les faits que le défendeur a résumés comme suit.

[9]                Le demandeur a déposé un certificat de naissance délivré en mai 2002. Cependant, il n'a pas déposé le certificat de naissance délivré à sa naissance, en 1979. À l'audience, le demandeur a témoigné que ses parents avaient son certificat de naissance original délivré en 1979. Or, quand on lui a demandé pourquoi il n'avait pas demandé à ses parents de lui envoyer son certificat de naissance, il a d'abord répondu qu'il n'avait eu besoin d'un certificat de naissance qu'en 2002. Quand on lui a posé la question une deuxième fois, il a dit qu'il n'avait pas beaucoup d'expérience de l'obtention de documents. Il s'est alors contredit en disant qu'en fait, il ne croyait pas que ses parents avaient son certificat de naissance de 1979.


[10]            À l'audience, le demandeur a déposé une photocopie de sa carte d'identité nationale (CIN). Il a témoigné que sa CIN originale avait été saisie par les autorités canadiennes de l'immigration. Le demandeur a été confronté au fait que la photocopie de sa CIN ne portait pas l'inscription urdu qui se traduit en français par _ Gouvernement libre de l'État du Jammu-et-Cachemire _. La preuve documentaire établissait clairement que les cartes d'identité nationales remises aux résidents de l'Azad-Cachemire sont estampillées de cette inscription. Le demandeur a répondu qu'il était possible que cette phrase ait été estampillée sur sa CIN originale, mais qu'il n'avait jamais vu pareille phrase.

[11]            À l'audience, on lui a demandé pourquoi la photocopie de sa CIN avait été délivrée par le district de Mirpur, alors qu'il était résident du district de Bhimber. Le demandeur a déclaré que Bhimber n'était devenu un district qu'en 1996. Il a alors été confronté au fait que la photocopie de sa CIN avait été délivrée en 2001. Le demandeur a alors affirmé que le district de Bhimber n'avait pas pris en charge de la délivrance des CIN, et que le district de Mirpur avait continué de le faire. On a alors demandé au demandeur si le district de Bhimber avait un bureau des CIN. Il a répondu par l'affirmative. Il a poursuivi en disant que le district de Mirpur était responsable de la délivrance de cartes d'identité nationales, même si les formulaires de demande étaient disponibles au Bhimber. Il s'est ensuite contredit quand il a déclaré que les formulaires étaient disponibles au bureau de poste et non au bureau des CIN. Quand il a été confronté avec ses réponses contradictoires au sujet du bureau des CIN, il a répondu qu'il n'avait pas compris la question.

[12]            Puisque la Commission a conclu que le témoignage du demandeur concernant les documents remis dans le but d'établir son identité portait à confusion et était contradictoire, et qu'aucune pièce d'identité originale n'a été produite, et compte tenu de ce que la Commission savait au sujet de la preuve documentaire relativement aux faux papiers provenant du Pakistan, elle a conclu que le demandeur n'avait pas réussi à établir son identité.

ANALYSE

[13]            L'article 106 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), est rédigée ainsi :


106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s'agissant de crédibilité, le fait que, n'étant pas muni de papiers d'identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n'a pas pris les mesures voulues pour s'en procurer. (Non souligné dans l'original.)

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation. (my emphasis)



[14]            L'article 106 de la Loi précise sans équivoque que les questions d'identité ont une incidence sur la crédibilté du demandeur. Puisque la norme de contrôle applicable aux affaires où la crédibilité mise en doute est celle de la nature manifestement déraisonnable de la décision de la Commission, il est logique de conclure que la question de savoir si le demandeur possède des documents acceptables établissant son identité ne doit être contrôlée par la Cour que si la Commission est arrivée à une conclusion manifestement déraisonnable. C'est en effet la position adoptée par le juge Joyal dans l'arrêt Husein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 726 (1re inst.) (QL). Dans cette affaire, la Commission avait conclu que le revendicateur principal n'était pas crédible quant à la question de l'identité. Aux paragraphes 8 et 9, le juge Joyal a déclaré ce qui suit :

Dans le cadre d'une revendication du statut de réfugié, l'appréciation de la crédibilité est une question de fait qui relève de la Commission. Bien que le caractère déraisonnable d'une décision soit plus évident en ce qui concerne la plausibilité, la Commission est toujours la mieux placée pour évaluer la crédibilité d'un revendicateur. Il est reconnu que des contradictions et des incohérences dans la preuve peuvent justifier une conclusion d'absence de crédibilité. La Cour ne devrait pas modifier la conclusion de la Commission à moins qu'elle ne soit manifestement déraisonnable.

Lorsqu'elle rend sa décision, la Commission doit respecter certaines conditions afin de se mettre à l'abri d'une procédure de contrôle judiciaire. Une conclusion défavorable sur la crédibilité doit être motivée « en termes clairs et non équivoques » , en regard de la totalité de la preuve. Un revendicateur doit avoir l'occasion d'expliquer les contradictions et, pour apprécier la preuve, la Commission doit s'assurer de ne pas appliquer les normes occidentales de rationalité à la situation particulière d'un revendicateur. Néanmoins, c'est à la demanderesse qu'il incombe de démontrer que les inférences tirées par la Commission sont déraisonnables compte tenu de la preuve qui lui a été soumise. (Non souligné dans l'original.)

[15]            Dans l'arrêt Thamothampillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1186 (1re inst.) (QL), la juge Dawson arrive à la même conclusion au paragraphe 6 :

Il ne fait pas de doute que la conclusion de la SSR selon laquelle les demandeurs n'ont pu établir leur identité respective était au coeur de la conclusion qu'elle a tirée au sujet de la crédibilité de ceux-ci et de l'issue de leurs revendications.

[16]            La preuve de l'identité du revendicateur est d'une importance cruciale pour sa revendication. Je partage l'avis du défendeur qui affirme que si l'identité du revendicateur n'est pas prouvée, la revendication doit être rejetée; c'est donc dire que la Commission n'a pas besoin de faire une analyse de la preuve concernant d'autres aspects de la revendication. Comme le juge Joyal l'a déclaré au paragraphe 13 de la décision Husein, précitée :


[...] Je suis d'avis qu'il n'était pas nécessaire que la Commission poursuive son analyse de la preuve après avoir conclu que l'identité des revendicateurs n'était pas établie ou que la principale demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle était bien la personne qu'elle prétendait être. La question de l'identité revêtait une importance cruciale en l'espèce. Le défaut de la principale demanderesse de prouver qu'elle appartenait bien à un clan victime de persécution a véritablement porté atteinte à la crédibilité de sa prétention qu'elle avait une crainte bien fondée d'être persécutée.

[17]            Je vais maintenant examiner les deux pièces d'identité que le demandeur a remises à la Commission, soit sa carte d'identité nationale et son certificat de naissance.

[18]            Pour ce qui est de la photocopie de la CIN que le demandeur a déposée lors de l'audience, le demandeur soutient qu'il avait dû se servir d'une copie de mauvaise qualité que sa famille lui avait envoyée du Pakistan parce que sa CIN originale avait été saisie par les autorités canadiennes de l'immigration. Il soutient que, conformément au paragraphe 36(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), la Commission avait l'obligation de lui fournir une copie certifiée de sa CIN originale lors de l'audience. Le paragraphe 36(2) est rédigé comme suit :


(2) Sur demande écrite de la Section, le ministre transmet à celle-ci, sans délai, l'original de tout document mentionné à l'alinéa 3(2)c) qui est en la possession de l'agent.

(2) On the request in writing of the Division, the Minister must without delay provide to the Division the original of any document mentioned in paragraph 3(2)(c) that is in the possession of an officer.


[19]            Les documents mentionnés à l'alinéa 3(2)c) des Règles comprennent tout « papier d'identité et titre de voyage du demandeur d'asile et [...] tout autre document pertinent qui sont en possession de l'agent » .

[20]            Il est énoncé au paragraphe 36(2) des Règles que la Commission peut demander au ministre de lui transmettre les originaux de documents, mais la Commission n'a aucune obligation expresse de le faire. Il incombe au demandeur d'établir le bien-fondé de sa cause, notamment de produire les documents nécessaires pour établir son identité.

[21]            Pour ce qui est de la copie plus lisible de sa CIN qu'il a reçue par fax de sa famille après que la Commission a rendu sa décision, le demandeur affirme qu'elle est estampillée de l'inscription urdu _ Governement libre de l'État du Jammu-et-Cachemire _. Aucune traduction de ce document n'a été déposée. La Cour ne peut cependant pas tenir compte de cette copie de meilleure qualité parce que, alors que ce document existait au moment de l'audience, le demandeur ne l'a pas soumis à la Commission. La Commission a confronté le demandeur sur le fait que l'inscription urdu n'apparaissait pas sur ce document. L'avocat qui représentait le demandeur n'a soulevé aucune objection et n'a demandé aucun ajournement qui lui aurait permis de fournir une copie valable de la CIN.


[22]            Diverses décisions établissent que la Cour n'a pas d'obligation d'examiner de nouveaux éléments de preuve dont la Commission n'était pas saisie (Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 713 (1re inst.) (QL), Arduengo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. 468 (1re inst.)). Le demandeur soutient qu'il était confus et a été surpris par les questions concernant l'inscription manquante sur la photocopie de sa CIN. Il a affirmé n'avoir jamais remarqué si cette inscription figurait ou non sur la photocopie de sa CIN. Ce manque d'attention, conjugué au stress qu'il ressentait parce qu'il devait comparaître devant un tribunal, ont fait qu'il était incapable de répondre clairement aux questions. Le problème est qu'il n'y a aucune preuve dans le dossier du demandeur que ces explications ont été fournies à la Commission pour justifier ses incohérences et le manque de plausibilité de son témoignage. Par conséquent, la Cour ne peut prendre en considération ces explications.

[23]            Le demandeur soutient que son avocat a soumis une demande d'information qui a confirmé la validité de son témoignage selon lequel le district de Bhimber n'a jamais eu de bureau d'enregistrement de district. Cependant, dans un premier temps, le demandeur a témoigné que le district de Bhimber avait son propre bureau des CIN. Après qu'on lui eut posé un certain nombre de questions, il s'est contredit et il a laissé entendre que Bhimber n'avait pas de bureau des CIN. Il est compréhensible que le tribunal ait été alarmé par les réponses contradictoires du demandeur.


[24]            Le demandeur fait valoir qu'il a soumis une copie conforme de son certificat de naissance, mais que la Commission n'en a pas tenu compte pour la simple raison qu'elle avait été délivrée en 2002. Il déclare qu'il faut se rappeler que les Pakistanais ne sont pas obligés d'avoir un certificat de naissance pour prouver leur identité. Le problème est que le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve à la Commission à l'appui de sa prétention que les Pakistanais ne sont pas tenus d'avoir un certificat de naissance pour prouver leur identité. Par conséquent, cette explication ne peut être examinée à cette étape-ci du processus.

[25]            J'ai lu la description des incohérences et des invraisemblances auxquelles la Commission fait référence quant aux papiers d'identité du demandeur et j'estime qu'il était raisonnable pour la Commission de conclure qu'elle ne pouvait pas croire que le demandeur était qui il prétendait être et donc qu'il n'était pas crédible. Puisque le demandeur n'a pas établi que la décision était manifestement déraisonnable, ce qui était la norme à laquelle il devait satisfaire, je suis d'avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[26]            Les parties ont refusé de soumettre une question de portée générale et aucune ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                              _ Michel Beaudry _                

            Juge

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Trad.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  IMM-689-03

INTITULÉ :                                 US SAQIB NAJAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'MMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :           MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 9 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                 LE JUGE BEAUDRY

DATE :                                         LE 22 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Viken Artinian                                POUR LE DEMANDEUR

Gretchen Timmins                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Nadler                                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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