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     Date : 19990930

     Dossier : T-1135-98


Entre

     NUNAVUT TUNNGAVIK INC.,

     demanderesse,

     - et -


     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

     défendeur



     ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)


Le juge BLAIS


[1]      Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire exercé en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, et tendant à l'annulation de la décision en date du 9 juin 1998, par laquelle le ministre des Pêches et des Océans a établi un contingentement quinquennal du flétan noir dans le détroit de Davis.

LES MOTIFS DE RECOURS

     La demanderesse soutient :

     a)      que le ministre a commis une erreur de droit faute d'avoir reconnu l'importance des principes de contiguïté et de dépendance économique ainsi que d'autres principes applicables, que prévoit le chapitre 15 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, et faute d'y avoir accordé une attention particulière;
     b)      que le ministre a commis une erreur de droit faute d'avoir appliqué les principes prévus au chapitre 15 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut de façon à promouvoir une répartition équitable des quotas de flétan noir entre les résidants de la région du Nunavut et les autres résidants du Canada, ainsi que le prescrit l'article 15.3.7 de cet accord.

LES FAITS CONSTANTS

[2]      En 1993, les Inuit de la Région du Nunavut et le Canada ont ratifié l'Accord sur les revendications territoriales conclu entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté la Reine du chef du Canada (l'Accord), qui est un règlement de revendications territoriales fondé sur l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 19821. Cet accord a été ratifié, mis en vigueur et déclaré valide par l'effet du paragraphe 4(1) de la Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut2.

[3]      L'entrée en vigueur de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut a transformé le régime de gestion des pêches hauturières de l'Arctique.

[4]      Le ministre retenait le pouvoir de fixer et de répartir les quotas dans la zone de pêche de 200 milles au-delà de la limite de 12 milles des eaux territoriales. Cependant, la façon dont il est tenu de gérer les pêches de l'Arctique dans cette zone de 200 milles a considérablement changé avec l'entrée en vigueur de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

[5]      La zone de pêche de 200 milles qui s'étend au-delà des eaux territoriales de 12 milles et au nord du 61o de latitude nord est appelée " Zone I " dans l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut .

[6]      Le flétan noir trouvé entre la Terre de Baffin et le Groenland forme un stock unique (à l'exception d'une partie au large du nord du Groenland).

[7]      La gestion du stock commun se fait sur la base de secteurs définis par l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord (OPAN). La sous-zone 1 de l'OPAN se trouve du côté du Groenland, et la sous-zone 0 de l'OPAN, du côté de la Terre de Baffin (la ligne de démarcation entre les sous-zones 1 et 0 est la ligne équidistante des limites respectives de 200 milles du Canada et du Groenland).

[8]      La sous-zone 0 est encore subdivisée en division OA au nord et division OB au sud.

[9]      Les deux divisions OA et OB au large de la région du Nunavut sont comprises dans la zone I visée par l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

[10]      La part canadienne du total des prises admissibles (TPA) est répartie conformément au pouvoir de délivrance des permis et licences que le ministre tient de l'article 7 de la Loi sur les pêches3.

[11]      Le 7 avril 1997, le ministre annonce que le TPA pour la sous-zone 0 serait porté de 5 500 t à 6 600 t.

[12]      Saisie d'un recours de la demanderesse à ce sujet, la Cour, par ordonnance en date du 14 juillet 1997, annule les allocations de flétan noir pour 1997 et renvoie l'affaire au ministre pour nouvelle instruction dans le sens des motifs pris dans ce dossier no T-872-974.

[13]      L'appel formé contre l'ordonnance ci-dessus est rejeté par la Cour d'appel fédérale, le 13 juillet 19985.

[14]      Le 19 août 1997, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) publie un avis pour annoncer que les allocations pour le restant de la saison de pêche 1997 seraient les mêmes que pour la saison 1996.

[15]      Les 3 et 4 décembre 1997, des représentants du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut (CGRFN) rencontrent des fonctionnaires du MPO pour discuter entre autres du quota 1998 de flétan noir pour la sous-zone 0.

[16]      Au cours de la réunion, le CGRFN réitère sa position que le Nunavut a droit à une plus grosse part des pêches du détroit de Davis, étant donné la part provinciale dans les pêcheries contiguës, l'exploitation passée de cette espèce, et l'article 15.3.7 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Plus spécifiquement, il recommande que la part du Nunavut soit fixée à 40 % du TPA en 1998, à 60 % en 2000, et à plus de 80 % par la suite.

[17]      Par lettre datée du 12 mars 1998, le CGRFN soumet au ministre ses recommandations sur le quota 1998 de flétan noir pour le détroit de Davis.

[18]      Par réponse en date du 11 mai 1998, le ministre rejette les recommandations du CGRFN et propose que les mêmes quotas que ceux fixés en août 1997 soient maintenus pour la période 1998-2002, étant entendu que 50 % de toute augmentation du TPA canadien irait au Nunavut.

[19]      Par lettre en date du 22 mai 1998, le CGRFN répond à la proposition du ministre par cette conclusion : " Le CGRFN est en total désaccord avec votre conception de l'histoire de la part du Nunavut dans cette pêche dans le détroit de Davis et, partant, avec les quotas envisagés en conséquence ".

LA DÉCISION MINISTÉRIELLE EN CAUSE

[20]      Le 9 juin 1998, le ministre annonce sa décision sur le contingentement du flétan noir pour 1998-2002. Comme il l'avait proposé précédemment, les quotas prévus pour cette période étaient maintenus au niveau de la révision de 1997, à part le fait que l'allocation aux navires étrangers affrétés était remplacée par l'" allocation aux compagnies ".

[21]      Le ministre prend note de la demande par le Nunavut d'une plus grande part de flétan noir dans la sous-zone 0, mais refuse d'y accéder par ce motif qu'il est inacceptable de rogner sur la part des autres qui avaient développé cette pêche dans le détroit de Davis.

LE POINT LITIGIEUX

[22]      Il échet d'examiner si la décision de 1998 du ministre, portant contingentement du flétan noir du détroit de Davis, va à l'encontre des stipulations de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

L'ARGUMENTATION DE LA DEMANDERESSE

[23]      La demanderesse soutient que l'annonce faite par le ministre du contingentement quinquennal du flétan noir n'est pas conforme aux obligations qu'il tient de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

[24]      Elle fait valoir que les Inuit du Nunavut ont renoncé à leurs droits de pêche en échange de ce qui est prévu dans l'Accord et que l'État est tenu de respecter les obligations auxquelles il s'est engagé. L'observation de ces obligations requiert que des mesures concrètes soient prises : il ne suffit pas que l'État proclame qu'il en tient compte lorsqu'il décide des quotas à allouer.

[25]      La demanderesse porte au premier chef son intérêt sur la zone I, savoir la zone de pêche de 200 milles au nord du 61o de latitude nord et au-delà de la limite de 12 milles des eaux territoriales, au sens de l'article premier de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Celui-ci reconnaît expressément aux Inuit des droits supplémentaires quant aux zones situées à l'extérieur de la région du Nunavut (article 3.5.1) pour ce qui est de la zone I.

[26]      La demanderesse soutient que le principe de contiguïté a pour corollaire la priorité dans la délivrance des permis et licences.

[27]      Le terme " contiguïté " est défini à l'article 15.3.7 de l'Accord, qui mentionne expressément le " principe de contiguïté ". Il convient donc de donner aussi au terme " principe " un sens téléologique. Selon Le Petit Robert, il s'entend de la " règle d'action s'appuyant sur un jugement de valeur et constituant un modèle, une règle ou un but ".

[28]      La demanderesse rappelle que l'application de ce principe a toujours consisté à donner aux pêcheurs d'une province donnée la plus grosse part des prises dans les eaux contiguës à cette province. Et comme la dépendance des résidants du Nunavut vis-à-vis des ressources halieutiques ne fait aucun doute, il faut donner plein effet au principe de contiguïté.

[29]      La demanderesse soutient aussi que selon le Rapport fédéral-provincial sur les parts provinciales, les pêcheurs d'une province donnée prennent la plus grosse partie de poissons dans les eaux contiguës à cette province. Cette règle n'a pas été appliquée pour le Nunavut et un observateur raisonnable ne pourrait pas conclure que le principe de contiguïté est observé dans les quotas fixés par le ministre.

[30]      Et que les obligations imposées à celui-ci par l'article 15.3.7 doivent être saisies dans le contexte du régime de régulation en place. Les divisions 0A et 0B de l'OPAN sont comprises dans la zone 1. Le flétan noir trouvé entre le Groenland, la Terre de Baffin et le Labrador constitue un seul total des prises admissibles (TPA), qui est alors divisé entre le Groenland et le Canada. Le TPA du Canada est ensuite réparti par le ministre conformément à la Loi sur les pêches. Ce système s'applique non seulement à la zone 1, mais encore pour l'ensemble des pêches de l'Atlantique.

[31]      La demanderesse en conclut que la situation dans les autres zones contraste avec celle de la zone 1, ce qui est inique puisque les quotas alloués aux pêcheurs du Nunavut n'ont pas été fixés de la même manière que pour les autres pêcheurs qui exploitent le même stock dans ces zones.

[32]      Cette iniquité est démontrée par le fait que les détenteurs de permis de poisson de fond qui ne sont pas résidants du Nunavut ont tout loisir de récolter l'intégralité de leurs quotas au large de la Terre de Baffin, alors que les Inuit du Nunavut n'ont pas accès par réciprocité aux autres zones de pêche du poisson de fond de l'Atlantique.

[33]      La demanderesse soutient que le ministre a fixé les quotas de flétan noir pour 1998 en fonction des fausses prémisses suivantes :

     a)      Terre-Neuve est riveraine de la sous-zone 0;
     b)      l'article 15.3.7 de l'Accord vise les nouveaux participants, c'est-à-dire des personnes qui n'étaient pas détenteurs de permis auparavant et qui viennent pêcher cette espèce pour la première fois;
     c)      il invoque ses obligations intergouvernementales, y compris les facteurs à prendre en considération dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 7 de la Loi sur les pêches, telle la nécessité de répartir équitablement les ressources halieutiques compte tenu de la contiguïté, de la dépendance relative des communautés riveraines et des divers secteurs de pêche vis-à-vis de ces ressources, l'efficacité économique et la mobilité de la flotte de pêche.

[34]      La demanderesse fait valoir que le Nunavut cherchait activement à participer au programme de pêche de développement du flétan noir qui commença en 1991, mais n'y fut pas admis puisque la priorité était réservée aux gens qui avaient déjà des permis pour le poisson de fond de l'Atlantique, permis pour lesquels les demandes du Nunavut étaient constamment rejetées.

[35]      Elle affirme qu'il est inique de la part du ministre de dire aux Inuit qu'il doit protéger les intérêts de ceux qui ont joué un rôle essentiel dans le développement de la pêche de cette espèce, alors que les Inuit étaient tenus à l'écart du programme de développement de la pêche hauturière.

[36]      Enfin, comme la répartition des quotas dans la zone 1 doit être saisie dans le contexte de l'ensemble des pêches de l'Atlantique, un observateur raisonnable pourrait-il conclure qu'il y a eu répartition équitable des permis entre les Inuit du Nunavut et les autres résidants du Canada?

[37]      Vu les éléments articulés ci-dessus, la demanderesse soutient que la réponse est non.

L'ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR

[38]      Le défendeur soutient que nonobstant l'argument de la demanderesse sur l'effet de l'article 15.3.7 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, le ministre dispose toujours d'un pouvoir discrétionnaire en la matière, car cet article n'exclut pas la prise en compte d'autres facteurs dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'article 7 de la Loi sur les pêches.

[39]      Et qu'il y a réellement deux critères à observer à l'égard de ce recours en contrôle judiciaire contre la décision du ministre. Le premier est celui de la justesse, savoir si le ministre a correctement interprété un point de droit qui était à la base de la décision qu'il avait à prendre; le second critère se réduit à la question de savoir si cette décision était raisonnable compte tenu de toutes les circonstances. À cet égard, l'avocat du ministre souligne que l'Accord et la décision en question ont pour objet les circonstances propres à la zone 1, et à aucune autre.

[40]      Quant à l'allégation que le ministre a commis une erreur en considérant Terre-Neuve comme étant riveraine de la sous-zone 0, ce qu'a affirmé M. Rashotte en réponse à une question lors de son contre-interrogatoire, le défendeur soutient qu'il y aurait peut-être erreur sur le plan des faits, mais que prise dans le contexte de l'Accord, la réponse aurait pu être différente. La notion de contiguïté peut avoir un sens différent selon le contexte dans lequel elle est invoquée. La proximité et l'utilisation traditionnelle sont des facteurs qui peuvent entrer en ligne de compte en la matière.

[41]      Pour ce qui est des permis pour le poisson de fond de l'Atlantique, que la demanderesse se plaint de ne pouvoir obtenir et dont le défaut avait pour effet de priver le Nunavut de l'accès aux autres pêches, le défendeur soutient que la demanderesse pourrait s'assurer cet accès soit en affrétant un navire afin de s'y qualifier, soit en acquérant le permis de quelqu'un d'autre, par exemple.

[42]      L'avocat du défendeur explique que la zone 1 n'est pas comprise dans la région revendiquée par le Nunavut. Elle ne fait pas partie de la région du Nunavut, mais se trouve à l'extérieur. Les résidants du territoire ne venaient pas traditionnellement dans cette zone l; ils n'y pêchaient pas du tout. Selon les preuves produites, les Inuit ne s'aventuraient pas dans le détroit de Davis puisqu'ils pêchaient à la ligne par des trous percés dans la glace.

[43]      Invoquant la décision de la Cour d'appel6, le défendeur soutient que l'Accord, comme en témoigne son article 15.3.7, vise à réconcilier les intérêts des pêcheurs du Nunavut et des autres résidants du Canada, et cette tâche incombe au ministre. Et, comme l'a encore conclu la Cour d'appel, il n'y a pas lieu d'accorder la priorité au Nunavut pour respecter l'objectif de l'Accord.

[44]      Le défendeur soutient encore que le paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches investit le ministre d'un large pouvoir discrétionnaire pour délivrer, directement ou par personne interposée, des licences et permis de pêche, et qu'il peut définir lui-même les facteurs ou les règles en la matière. C'est dans ce contexte que le régime de pêche de développement a été institué dans une zone où les pêcheurs du Nunavut n'avaient pas encore pêché. Il s'ensuit que le pouvoir du ministre à l'égard de la zone 1 est plus étendu qu'il ne le serait dans la région du Nunavut.

[45]      En fixant les quotas, le ministre a effectivement tenu compte de l'Accord, puisqu'il a maintenu celui du Nunavut au même niveau, bien que ce quota n'ait pas été pleinement exploité par le territoire. Il est même allé plus loin en instituant un mécanisme par lequel la solde du quota peut consister en prises hauturières.

[46]      Le défendeur soutient que le litige porte davantage sur les modalités de réalisation de l'objectif sous-jacent de l'article 15.3.7 de l'Accord que sur la question de savoir si le ministre n'a pas respecté l'Accord même.

[47]      L'avocat du défendeur souligne que le paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches était partie intégrante du régime légal en place lorsque les parties négociaient l'Accord, et il était prévu que le ministre continuerait à exercer les pouvoirs qu'il tenait de cette disposition, sous réserve des limites prévues, sous une forme ou sous une autre, dans cet accord.

[48]      Et que si la contiguïté du lieu de pêche devait être une condition absolue, cela signifierait que seuls les pêcheurs du Nunavut auraient droit aux licences et permis, ce qui irait à l'encontre de la lettre de l'article 15.3.7, qui vise à assurer l'équilibre des intérêts vis-à-vis des autres résidants du Canada.

[49]      Pour ce qui est de la réciprocité tenue pour être une condition de l'équité, l'avocat du défendeur rappelle que l'Accord ne traite ni de la réciprocité ni des autres zones que la zone 1 et que, de ce fait, la réciprocité n'est pas un facteur en l'espèce.

[50]      En réponse à l'argument de la demanderesse que les obligations intergouvernementales visées à l'article 15.3.7 doivent être interprétées comme ne visant que les accords internationaux, le défendeur soutient que s'il s'était agi d'obligations " internationales ", ce qualificatif aurait figuré tout au long de l'Accord en conjonction avec le qualificatif " intergouvernementales ". Il ne convient donc pas de confiner le qualificatif " intergouvernemental " aux accords internationaux, étant donné que là où les rédacteurs de l'Accord entendaient faire état des obligations internationales ou intergouvernementales, ils le mentionnaient expressément.

[51]      Ainsi que l'a conclu la Cour d'appel dans l'affaire Nunavut Tunngavik, il est clair que l'Accord impose au ministre des obligations de forme comme de fond. Cependant, la décision ultime lui appartient. La Cour d'appel a reconnu qu'il y a toujours un pouvoir discrétionnaire, et que l'Accord ne fait qu'atténuer ce qui était considéré auparavant comme un pouvoir absolu.

[52]      Le défendeur soutient que le ministre avait à prendre en compte d'autres gens qui pourraient avoir des intérêts, de même que les besoins et la dépendance économiques du territoire du Nunavut. Et que le ministre a tenu compte de ces facteurs, comme en témoignent sa lettre au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et son communiqué de presse du 9 juin 1998.

[53]      L'avocat du défendeur soutient aussi que l'affidavit de M. Copestake n'est pas digne de foi, surtout en ce qu'il affirme que les Inuit du Nunavut pêchaient dans le détroit de Davis depuis 1978. Qu'il n'y a absolument aucune preuve à ce sujet, et que le témoignage de M. Copestake, fondé sur ce qu'il croyait et non sur ce qu'il savait, n'est pas digne de foi parce que celui-ci n'était pas chargé de l'administration des programmes en question.

ANALYSE

[54]      Dans ce contrôle judiciaire de la décision du ministre, la Cour doit examiner si le contingentement de 1998 du flétan noir du détroit de Davis porte atteinte aux droits des pêcheurs Inuit du Nunavut, que prévoit l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

[55]      Les textes applicables sont l'article 15.3.7 de l'Accord et l'article 7 de la Loi sur les pêches, que voici :

     L'article 15.3.7 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut
     Le Gouvernement reconnaît l'importance du principe de la contiguïté aux ressources marines des collectivités de la région du Nunavut et du principe de la dépendance économique de ces collectivités à l'égard de ces ressources; il accorde une attention spéciale à ces facteurs lorsqu'il attribue les permis de pêche commerciale dans les zones I et II. On entend par contiguïté le fait qu'une collectivité est contiguë à la zone en question ou qu'elle se trouve à une distance géographique raisonnable de celle-ci. Ces principes sont appliqués d'une manière propre à favoriser une répartition équitable des permis entre les résidants de la région de Nunavut et les autres résidants du Canada, ainsi que d'une manière compatible avec les obligations intergouvernementales du gouvernement du Canada.

Section 7 of the Fisheries Act

7. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.


7(2) Idem

(2) Except as otherwise provided in this Act, leases or licences for any term exceeding nine years shall be issued only under the authority of the Governor in Council.

L'article 7 de la Loi concernant les pêches

7. (1) En l'absence d'exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d'exploitation de pêcheries " ou en permettre l'octroi ", indépendamment du lieu de l'exploitation ou de l'activité de pêche.

7(2) Réserve

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'octroi de baux, permis et licences pour un terme supérieur à neuf ans est subordonné à l'autorisation du gouverneur général en conseil.

[56]      Les principes applicables au contrôle judiciaire de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire ont été définis dans Nunavut Tunngavik c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1998), 162 D.L.R. (4th) 625 (C.A.F.), par la Cour d'appel, qui y examinait dans quel contexte ce contrôle s'imposait.

[57]      Il est important de noter que la cause susmentionnée était de même nature que l'affaire en instance: elle portait sur la décision du ministre des Pêches et des Océans qui fixait des limites aux prises de flétan noir de l'Arctique Est, et sur les stipulations de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Il s'agissait d'examiner si par sa décision portant contingentement pour 1997, le ministre a porté atteinte à ces stipulations.

[58]      Bien qu'il y fût question d'une augmentation de quotas dans la décision du ministre pour 1997, les critères de contrôle sont les mêmes et, par conséquent, les principes définis par la Cour d'appel sont applicables en l'espèce.

[59]      Voici comment elle a défini la norme de contrôle à observer :

     Autrement dit, dans une procédure de contrôle judiciaire, la Cour se préoccupe de la légalité de la décision ministérielle résultant de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, et non pas de l'opportunité, de la sagesse ou de la justesse de cette décision (voir Association canadienne des importateurs réglementés c. Canada, [1994] 2 C.F. 247, page 260 (C.A.F.)). En l'espèce, cela signifie que le tribunal de révision doit examiner la manière dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il a agi de mauvaise foi ou en se fondant sur des facteurs dénués de pertinence, s'il n'a pas tenu compte de facteurs pertinents ou s'il a ignoré des dispositions pertinentes qui peuvent avoir eu un effet ou avoir entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire par ailleurs absolu (voir Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, pages 7 et 8; Canada c. Purcell, [1996] 1 C.F. 644, page 653 (C.A.F.); Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1994) 170 N.R. 238, page 240 (C.A.F.)).7

[60]      Il s'ensuit que la Cour ne doit pas intervenir à moins qu'il ne soit manifeste que le ministre n'a pas respecté l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

[61]      Il ressort de l'article 15.3.7 de cet accord que le ministre doit prendre en compte les facteurs suivants :

     -      contiguïté et dépendance économique;
     -      obligations intergouvernementales; et
     -      répartition équitable entre les résidants du Nunavut et les autres résidants du Canada.

[62]      Toujours dans sa décision Nunavut Tunngavik, la Cour d'appel a posé sans ambiguïté que les facteurs visés à l'article 15.3.7 ne doivent pas s'interpréter comme impliquant une " prise en compte prioritaire " :

     Une interprétation téléologique de l'article 15.3.7 fait clairement ressortir que les parties à l'Accord avaient l'intention d'établir un principe d'équité, et non pas de priorité, dans la répartition des permis de pêche commerciale dans les zones I et II. En outre, le partage équitable des intérêts entre les résidants de la RN et les autres résidants du Canada doit être compatible avec les obligations intergouvernementales du Canada"
     Les principes de la contiguïté et de la dépendance économique auxquels le ministre doit accorder une attention spéciale quand il procède à l'allocation des permis de pêche commerciale dans les zones I et II ne sont pas définis comme tels dans l'Accord. Toutefois, le terme " contiguïté " est défini à l'article 15.3.7 lui-même comme signifiant le fait qu'une collectivité est contiguë à la zone en question ou qu'elle se trouve à une distance géographique raisonnable de celle-ci. Si les parties avaient eu l'intention de faire en sorte que le principe de la contiguïté signifie la " priorité d'accès " aux résidants de la RN ou, comme l'a statué le juge des requêtes, une prise en compte prioritaire des collectivités de la RN pour l'attribution des permis dans les zones I et II par rapport à toute autre partie rivale, l'article 15.3.7 aurait été rédigé très différemment.8

[63]      Ayant fixé le cadre de l'examen de la décision prise par le ministre en 1998 pour bloquer au niveau antérieur les quotas pour les cinq années subséquentes, je passe maintenant à l'examen des preuves produites afin de savoir s'il y a eu observation des prescriptions de l'article 15.3.7 de l'Accord.

[64]      En ce qui concerne la contiguïté et la dépendance économique, je fais droit à la conclusion du défendeur que le ministre n'a pas commis une erreur par mauvaise interprétation ou non-observation de ces prescriptions.

[65]      Cette conclusion se fonde sur des preuves. Saisi des recommandations faites le 12 mars 1998 par le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut au sujet des quotas de flétan noir pour 1998 dans le détroit de Davis, le ministre les a rejetées par lettre en date du 11 mai 1998. À mon avis, des passages de cette réponse montrent clairement qu'il a accordé une attention particulière aux résidants du Nunavut :

     [TRADUCTION]

     " Je tiens aussi à rappeler que nous avons pour principe d'accorder une attention particulière aux Inuit du Nunavut et aux collectivités de la RN dans la répartition du quota canadien.

     "

     Je propose aussi que le Nunavut reçoive 50 p. 100 de toute augmentation au-dessus du quota canadien actuel de 5 500 t durant ce plan quinquennal. Pareille mesure représente une considération spéciale des intérêts du Nunavut au cas où il y aurait une augmentation du quota.

     "

     " Il ne faut pas oublier que la part du Nunavut dans la pêche de cette espèce est passée de 100 t à 1 500 t (sans compter les prises dans la division OA) au cours de la dernière décennie, alors que le quota canadien est descendu de 12 500 t à 5 500 t durant la même période.9

[66]      À mon avis, l'avis ci-dessus prouve de façon concluante que le ministre avait conscience de l'attention particulière qu'il fallait accorder aux résidants du Nunavut en application de l'article 15.3.7 de l'Accord, et je ne vois aucune preuve du contraire.

[67]      Pour ce qui est des obligations intergouvernementales, je dois rejeter l'argument de la demanderesse que les obligations intergouvernementales visées à l'article 15.3.7 ne s'entendent que des accords internationaux. Je pense que si les rédacteurs de l'Accord avaient voulu entendre par là les accords internationaux, ils l'auraient précisé, comme ils l'ont fait expressément dans d'autres parties de l'Accord.

[68]      Le point le plus difficile à trancher se réduit, à mon avis, à la question de savoir si le ministre a commis une erreur en rendant une décision n'ayant pas pour effet d'assurer une répartition équitable entre les résidants du Nunavut et les autres résidants du Canada ainsi que le prescrit l'Accord. Cependant, l'équité doit être appréciée dans le contexte spécifique des ressources halieutiques disponibles de l'Atlantique.

[69]      Le ministre peut agir dans les limites du large pouvoir discrétionnaire prévu par l'article 7 de la Loi sur les pêches, lequel est maintenant restreint par l'article 15.3.7 de l'Accord. Il est donc tenu aux prescriptions de celui-ci, ce qui ne l'empêche cependant pas de prendre aussi en considération d'autres facteurs. Ce raisonnement ressort d'une lecture des textes pris dans leur ensemble.

[70]      La demanderesse considère comme inique le fait que les Inuit du Nunavut ont été exclus du programme de pêche de développement faute de remplir les conditions du permis pour le poisson de fond de l'Atlantique, ce qui fait qu'ils se sont vu refuser l'accès à d'autres zones.

[71]      Le défendeur réplique que le Nunavut aurait pu se qualifier pour ces permis soit en affrétant un bateau afin d'avoir droit au permis de pêche du poisson de fond de l'Atlantique, soit en acquérant le permis de quelqu'un d'autre, par exemple.

[72]      La question sous-jacente qui se pose est de savoir si la Cour peut contrôler la politique instituée par le ministre pour la gestion du Programme de pêche de développement, et en particulier sa décision relative aux conditions de délivrance du permis pour le poisson de fond de l'Atlantique, pour voir si elles ont pour résultat d'assurer une répartition équitable des quotas de pêche entre les résidants du Nunavut et les autres résidants du Canada.

[73]      Autrement dit, il s'agit d'examiner si l'application par le ministre d'une telle politique s'est traduite par une répartition inique des quotas, allant à l'encontre de l'Accord.

[74]      Dans un mémoire en date du 8 avril 1991 au sujet du Programme de développement du poisson de fond - Approbation des participants, le ministère des Pêches et des Océans a porté à l'attention du ministre les facteurs à prendre en considération, dont ce qui suit :

     [TRADUCTION]

     Certaines collectivités autochtones ont demandé à participer au programme. Il ressort de notre évaluation qu'aucune d'entre elles ne remplit les conditions nécessaires, en raison surtout du recours aux navires étrangers et de la transformation minime à terre. Cependant, l'une d'entre elles figure sur la liste recommandée à cause de la reconnaissance récente des questions autochtones, en particulier en ce qui concerne leur accès aux ressources marines contiguës (savoir l'accord de principe avec les Inuit de la Terre de Baffin).10

[75]      Il ressort de ce qui précède que même en 1991, avant que l'Accord ne fût ratifié, le ministre a pris en compte le principe de contiguïté dans l'évaluation des participants au programme de pêche de développement du poisson de fond de l'Atlantique. Le fait qu'il y a eu au total 53 demandes de participation à ce programme en 1991 pour un total de 178 660 t, ce qui dépassait de loin les 30 396 t disponibles, indique que le ministre avait la tâche difficile d'instruire un grand nombre de demandes avec autant d'exigences alors que les ressources disponibles étaient bien limitées.

[76]      La demanderesse a versé au dossier le projet révisé en date du 20 novembre 1997 d'un rapport intitulé " Antécédents d'accès aux ressources/Parts provinciales - Poisson de fond - Rapport sommaire " préparé par le groupe de travail du Comité fédéral-provincial des pêches de l'Atlantique, et où l'on peut lire ce qui suit :

     L'objectif de l'exercice était le suivant : Déterminer les antécédents d'accès aux ressources de l'Atlantique des pêcheurs et des entreprises de pêche des cinq provinces de l'Est et des T.N.-O. La quantification des antécédents d'accès aux ressources devait être basée sur une part numérique des allocations ou des captures antérieures, ou quelque indicateur plus souple, le cas échéant.11

[77]      L'une des tâches spécifiques du Groupe de travail consistait à " examiner les principes, comme la proximité et la dépendance économique, afin de déterminer comment ils s'appliquent au calcul. Étudier les répercussions des politiques du MPO, p. ex. la politique de délivrance des permis "12. Après avoir relevé les sujets de préoccupation de chacune des provinces de l'Est et des territoires, le groupe de travail conclut en ces termes :

     Le groupe de travail reconnaît que les parts historiques sont des facteurs importants du processus de répartition du poisson de fond. Cependant, d'autres facteurs entrent en ligne de compte, comme la contiguïté, l'équité, la croissance et le déclin des stocks, la dépendance historique et les droits ancestraux, ainsi que les obligations relatives aux revendications territoriales. Les parts provinciales élaborées au moyen de ce processus pourraient être utilisées comme indicateurs (repères) pour contrôler les parts provinciales relatives à venir.13

[78]      S'il est vrai que ce rapport peut porter à conclure que les pêcheurs d'une province contiguë à la zone de pêche se voient allouer la majeure partie du stock de poisson de fond, il ne s'ensuit pas automatiquement qu'une telle conclusion était fondée sur le seul facteur de contiguïté. Il semble normal que les pêcheurs de ces provinces contiguës ont développé la pêche à un tel point que cela fait d'eux les candidats les plus qualifiés pour le programme de poisson de fond.

[79]      En outre, il y a lieu de noter que le rapport du groupe de travail prenait aussi acte de divers sujets de préoccupation exprimés par les autres provinces et territoires au sujet de la répartition du stock.

[80]      La demanderesse se plaint que le ministre n'ait pas adopté les allocations recommandées par le CGRFN pour 1998. Mais comme il s'agit là de recommandations, le ministre n'était pas lié par ces recommandations faites par le CGRFN pour la zone de pêche de 200 milles, au-delà de la région du Nunavut comme le prévoit l'Accord même :

     3.5.1      Il est entendu que les Inuit jouissent des droits supplémentaires prévus par d'autres dispositions de l'Accord, relativement à des zones situées à l'extérieur de la région du Nunavut.
     5.6.16      Sous réserve des conditions prévues par le présent chapitre, le CGRFN a le pouvoir exclusif d'établir, de modifier ou de supprimer, selon les circonstances, les récoltes totales autorisées ou les quantités récoltées dans le cadre d'activités de récolte dans la région du Nunavut.
     15.3.4      Le Gouvernement sollicite l'avis du CGRFN à l'égard de toute décision concernant la gestion des ressources fauniques dans les zones I et II et qui aurait une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte dans les zones marines de la région du Nunavut. Le CGRFN fournit au Gouvernement des renseignements pertinents afin de l'assister dans la gestion des ressources fauniques au-delà des zones marines de la région du Nunavut.
     15.4.1      La CNER, l'OEN, la CAN et le CGRFN peuvent, soit conjointement - en tant que Conseil du milieu marin du Nunavut -, soit individuellement, conseiller d'autres organismes gouvernementaux en ce qui concerne les zones marines et leur formuler des recommandations à cet égard. Le Gouvernement tient compte de ces avis et recommandations lorsqu'il prend des décisions touchant les zones marines.

[81]      La demanderesse soutient que le Nunavut a toujours connu une forte dépendance économique vis-à-vis de cette ressource marine. Cependant, les preuves produites à ce sujet sont contradictoires.

[82]      Dans son affidavit, M. Barry Rashotte, directeur de la Gestion des ressources, Atlantique, de la Direction générale de la gestion des pêches, ministère fédéral des Pêches et des Océans, témoigne comme suit :

     [TRADUCTION]

     60. En faisant ces recommandations, les autres fonctionnaires responsables du MPO et moi-même avions parfaitement conscience que le CGRFN voulait une augmentation considérable de la part du Nunavut en 1997. Cependant, nous savions aussi que contrairement à ce qu'affirme Henry Copestake au paragraphe 4 de son affidavit, la pêche pratiquée par les pêcheurs du Nunavut de 1985 à 1993 se limitait à la baie de Cumberland, le long de la côte en hiver lorsque la mer y était recouverte de glace, et non dans cette partie de la sous-zone 0 à l'extérieur de la RN et plus proprement appelée le détroit de Davis. Nous savions aussi qu'après une poussée d'activité initiale au début des années 1990, au cours de laquelle les pêcheurs du Nunavut n'avaient jamais atteint le quota qui leur était alloué, les prises ont chuté considérablement. La pêche dans le détroit de Davis, à l'extérieur de RN, est relativement récente et a été développée par les pêcheurs des autres provinces. Il n'y a pas ou guère de preuve d'une dépendance économique du Nunavut vis-à-vis de cette activité de pêche. Il est hors de doute que le CGRFN souhaiterait accroître la dépendance économique du territoire vis-à-vis de cette pêche étant donné le taux élevé de chômage et le peu d'activité économique dans la région, mais ce voeu a été pris en compte dans les décisions d'allocation passées.14

[83]      Par contre, M. Henry Copestake, qui a pris une part active dans le secteur de la pêche de l'Atlantique et a été un expert-conseil en la matière auprès d'organisations Inuit et du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest depuis 1986, fait savoir ce qui suit dans son affidavit :

     [TRADUCTION]

     4. Les Inuit du Nunavut étaient les seuls pêcheurs canadiens à inscrire des prises substantielles de flétan noir dans le détroit de Davis de 1978, année où le gouvernement décréta une zone économique exclusive de 200 milles, à 1990. Ci-joint à titre de pièce " C " un tableau du Plan de gestion du poisson de fond de l'Atlantique, 1997, qui présente les données relatives aux prises de flétan noir dans la sous-zone 0.15

[84]      Voici ce que donne le tableau susmentionné16 :

FLÉTAN DU GROENLAND

     ANTÉCÉDENTS


PRISES

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

NUNAVUT - côtière

128

255

141

385

46

400

285

NUNAVUT - hauturière

2

1,020

20

[85]      Ces antécédents ne viennent pas corroborer l'assertion de M. Copestake, mais indiquent plutôt que les pêcheurs du Nunavut ne pêchaient pas le flétan noir dans le détroit de Davis avant de participer au programme de développement en 1991, et que les prises antérieures à 1990 ne peuvent pas être considérées comme " substantielles ".

[86]      L'argument proposé par la demanderesse que le ministre n'observait pas le principe de réciprocité en ce que les pêcheurs du Nunavut n'ont pas accès au quota de pêche de concurrence du détroit de Davis ou d'autres zones de pêche du Canada de l'Est, alors que les autres pêcheurs peuvent pêcher le flétan noir n'importe où le long de la côte atlantique, y compris dans les eaux contiguës du Nunavut, n'a rien à voir avec la question de l'équité. L'Accord ne fait pas au ministre obligation de prendre pareil facteur en considération, et ce défaut de réciprocité pourrait bien être justifié en échange de tous les autres facteurs à prendre en compte.

[87]      Une " répartition équitable des permis entre les résidants de la région du Nunavut et les autres résidants du Canada ", telle que la prévoit l'article 15.3.7 de l'Accord, n'implique pas qu'il faille obligatoirement donner la préférence aux résidants du Nunavut. Au contraire, elle implique nécessairement que d'autres facteurs que ceux qui favorisent ces derniers peuvent, et même doivent être pris en considération; s'il en était autrement, l'Accord l'aurait dit, en employant peut-être des termes comme " priorité ", laquelle notion ne saurait être, comme noté supra , dégagée de l'Accord, ainsi que l'a conclu la Cour d'appel fédérale.

[88]      Cet accord ne prévoit ni expressément ni implicitement qu'il faut ignorer ou minimiser les intérêts des autres résidants qui y sont mentionnés.

[89]      Il ressort plutôt des preuves produites que le ministre avait pleinement conscience des obligations qu'il tient de l'Accord, et qu'il s'est attaqué aux facteurs de contiguïté et de dépendance économique de manière à promouvoir une répartition équitable des permis.

CONCLUSION

[90]      Compte tenu de la norme de contrôle judiciaire applicable qui, en l'occurrence, pose que la Cour doit examiner la manière dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire, afin de juger si celui-ci a fait preuve de mauvaise foi, a fondé sa décision sur des facteurs étrangers à l'affaire, n'a pas pris en considération les facteurs pertinents, ou a ignoré les dispositions qui modulent ou limitent l'exercice de son pouvoir, lequel, à défaut, aurait été absolu, il est impossible de conclure, au regard des stipulations de l'Accord et des prescriptions de la Loi sur les pêches, qu'il n'a pas appliqué les principes idoines et a, de ce fait, dénié aux résidants du Nunavut une allocation équitable des ressources halieutiques de l'Atlantique.

[91]      Le pouvoir du CGRFN consiste à donner des avis et à faire des recommandations, que le ministre a effectivement pris en considération.

[92]      Il était conforme au pouvoir discrétionnaire dont le ministre est investi et à l'Accord de prendre en considération divers facteurs, dont la croissance et le déclin du stock.

[93]      L'Accord prescrit d'accorder une attention particulière à la contiguïté et à la dépendance économique, et ces facteurs ont fait l'objet d'une attention particulière.

[94]      Enfin, vu la situation des pêches de l'Atlantique, qui est commune à toutes les provinces et territoires de l'Est, le résultat ultime de la décision du ministre sur l'allocation des quotas ne peut être considéré comme inique, étant donné l'important déclin du stock.

[95]      Par tous ces motifs, le recours en contrôle judiciaire est rejeté.

     Signé : Pierre Blais

     _______________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 30 septembre 1999


Traduction certifiée conforme,



Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-1135-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Nunavut Tunngavik Inc.

                         c.

                         Le ministre des Pêches et des Océans


LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :      29 juin 1999


ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF) PRONONCÉE PAR LE JUGE BLAIS


LE :                          30 septembre 1999


ONT COMPARU :


M. Douglas E. Brown              pour la demanderesse

Mme Catherine Lawrence

M. Brian R. Evernden              pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Nelligan Power                  pour la demanderesse

Avocats

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, art. 35.

2      Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, L.C. 1993, ch. 29, paragraphe 4(1).

3      Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, article 7.

4      Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1997), 149 D.L.R. (4th) 519 (1re inst.).

5      Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1998), 162 D.L.R. (4th) 625 (C.A.F.).

6      Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), op. cit., note 5.

7      Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), loc. cit., note 5, p. 635.

8      Ibid., pages 643 et 644.

9      Dossier de la demanderesse, volume III, languette A-45.

10      Dossier de la demanderesse, volume II, languette 1, page 232.

11      Dossier de la demanderesse, volume III, languette B-1, page 785.

12      Ibid., page 785.

13      Ibid., page 793.

14      Dossier du défendeur, volume I, languette 1, pages 12 et 13.

15      Dossier de la demanderesse, volume IV, languette 1, page 820.

16      Dossier de la demanderesse, volume IV, languette 1-C, page 855.

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