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Date : 20050426

Dossier : IMM-7884-03

Référence : 2005 CF 565

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

ISAAC ADU

et DORA DAPAAH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Isaac Adu et Dora Dapaah, des citoyens du Ghana, sont arrivés au Canada en 1990. Après avoir épuisé plusieurs autres recours, ils ont présenté des demandes de résidence permanente de l'intérieur du Canada pour des motifs d'ordre humanitaire. Ces demandes ont été examinées ensemble à la demande des parties.


[2]         L'agente d'immigration chargée du dossier a rejeté ces demandes parce que les demandeurs n'ont pas démontré qu'ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s'ils devaient présenter leurs demandes de l'extérieur du Canada.

[3]         M. Adu et Mme Dapaah demandent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l'agente qui, selon eux, a commis une erreur en n'appliquant pas les lignes directrices du ministre concernant l'examen des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire et, en outre, en ne motivant pas suffisamment sa décision.

[4]         Je suis convaincue que la présente demande doit être accueillie car les motifs donnés par l'agente ne sont pas suffisants. Il n'est donc pas nécessaire que je décide si l'agente a omis d'appliquer les lignes directrices du ministre.

Contexte

[5]         Les demandeurs vivaient au Canada depuis 13 ans environ lorsque les décisions relatives à leurs demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire ont été rendues. Depuis leur arrivée au Canada, ils ont eu des emplois stables et ont suivi des cours pour se perfectionner. Mme Dapaah a aussi joué un rôle actif au sein de son église.

[6]         Ni M. Adu ni Mme Dapaah n'ont eu recours à l'aide sociale. De plus, l'agente ne disposait d'aucune preuve indiquant qu'ils n'avaient pas une bonne réputation. En outre, un frère et une soeur de Mme Dapaah vivaient au Canada.


Norme de contrôle

[7]         La norme de contrôle générale qui s'applique aux décisions rendues par les agents d'immigration relativement à des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable simpliciter : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[8]         De plus, la décision doit être capable de résister à un « examen assez poussé » : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

[9]         L'insuffisance des motifs a cependant trait à l'équité procédurale. C'est la norme de la décision correcte qui s'applique aux questions d'équité procédurale : Fetherston c. Procureur général, 2005 CAF 111.

Obligation de motiver la décision

[10]       Dans Baker, la Cour suprême du Canada a mentionné que, dans certaines circonstances, l'obligation d'agir équitablement exige qu'une décision soit motivée par écrit. C'est le cas en particulier lorsque, comme en l'espèce, la décision a des conséquences importantes pour la personne ou les personnes concernées. Selon la Cour, « [i]l serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise » (au paragraphe 43).


[11]       L'importance de rendre des décisions « motivées » a été reconnue de nouveau par la Cour suprême trois ans plus tard dans R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, où la Cour a indiqué que les parties qui n'ont pas gain de cause devraient savoir exactement pourquoi. Même si Sheppard était une affaire criminelle, le raisonnement que la Cour y a adopté a été appliqué dans le contexte administratif en général et dans le contexte de l'immigration en particulier, dans des affaires comme Harkat (Re), [2005] A.C.F. no 481; Mahy c. Canada, [2004] A.C.F. no 1677; Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 597; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1415.

[12]       Ayant ces principes à l'esprit, j'examinerai maintenant le caractère suffisant des motifs donnés en l'espèce.

Les motifs donnés par l'agente pour justifier le rejet des demandes étaient-ils suffisants?

[13]       Après avoir examiné l'historique de la présente affaire, l'agente s'est penchée sur la question de savoir si une dispense devait être accordée pour des motifs d'ordre humanitaire. Elle écrit ce qui suit dans le passage pertinent de sa décision :

[traduction] Je reconnais que les deux demandeurs se sont établis au Canada. Il est raisonnable de s'attendre à ce qu'ils soient établis après avoir passé plus de dix ans au Canada. De plus, les deux demandeurs se sont perfectionnés au Canada, ont eu des emplois stables et n'ont pas eu besoin de l'aide sociale. Or, malgré leurs contributions positives, je ne suis pas convaincue que leur établissement au Canada justifie l'octroi d'une dispense. Je ne suis pas convaincue qu'ils ont suffisamment démontré que l'obligation de présenter une demande de visa à un bureau des visas à l'étranger leur cause des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.


[14]       À mon avis, ces « motifs » n'en sont pas du tout. Il s'agit plutôt essentiellement d'un résumé des faits et de l'énoncé d'une conclusion, sans aucune analyse étayant celle-ci. L'agente a simplement examiné les facteurs favorables pour lesquels la demande pourrait être accueillie, concluant que, à son avis, ces facteurs n'étaient pas suffisants pour justifier l'octroi d'une dispense. Elle n'a cependant pas expliqué pour quelles raisons. Or, cela n'est pas suffisant puisque les demandeurs se trouvent ainsi dans une position peu enviable où ils ignorent pourquoi leur demande a été rejetée.

[15]       Le défendeur a cité plusieurs décisions au soutien de sa prétention selon laquelle la décision de l'agente était raisonnable dans les circonstances : voir Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 119; Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1906; Nazim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 159; Pashulya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1527; Kowalik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 445; Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1508; Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 373.

[16]       Bien que l'on puisse faire une distinction entre ces décisions et l'affaire dont je suis saisie en l'espèce parce que les motifs y étaient beaucoup plus détaillés que ceux en cause ici, ces décisions mettent en évidence l'insuffisance de l'analyse de l'agente dans la présente affaire.

[17]       À titre d'exemple, dans Irimie, l'agente a souligné que les demandeurs avaient soutenu que leur fils aurait de la difficulté à s'adapter à une nouvelle école s'il était forcéde retourner dans son pays d'origine. Elle a ensuite expliqué pourquoi cette prétention ne la convainquait pas, faisant observer que l'enfant stait déjà bien adapté lorsqu'il avait déménagé au Canada et qu'il allait retourner dans un pays où il avait passé la majeure partie de sa vie.


[18]       De même, dans Nazim, l'agente a examiné les facteurs d'établissement proposés par le demandeur. Elle a cependant fait remarquer qu'aucun membre de la famille de celui-ci ne vivait au Canada, mais qu'il y en avait toujours qui vivaient au Pakistan, deux facteurs allant à l'encontre de l'acceptation de la demande.

[19]       Dans Mohammed, l'agente a examiné la prétendue crainte de la demanderesse de retourner dans le pays où son ex-mari violent habitait toujours. Elle a fait remarquer que la police pouvait apparemment protéger la demanderesse. Elle a aussi mentionné que les enfants de celle-ci étaient jeunes et qu'ils pourraient donc s'adapter facilement à un changement dans leur situation.

[20]       En l'espèce par contre, l'agente a examiné la preuve de l'établissement au Canada produite par les demandeurs au soutien de leurs demandes et a simplement conclu que cette preuve n'était pas suffisante. Il ressort de ses motifs qu'elle ne pensait pas que les demandeurs subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s'ils devaient présenter leurs demandes de résidence permanente de l'extérieur du Canada. Ces motifs n'indiquent pas cependant pourquoi elle est arrivée à cette conclusion.

[21]       En conséquence, il est impossible de procéder à une analyse « assez poussée » du raisonnement de l'agente.

Conclusion

[22]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


Certification

[23]       Aucune partie n'a proposé une question à des fins de certification, et aucune question semblable n'est soulevée en l'espèce.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour faire l'objet d'une nouvelle décision.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Anne Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-7884-03

INTITULÉ :                                                            ISAAC ADU et DORA DAPAAH

c.

                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 18 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                           LE 26 AVRIL 2005

COMPARUTIONS:

Lorne Waldman                                                         POUR LES DEMANDEURS

Tamrat Gebeyehu                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Lorne Waldman                                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

John. H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)


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