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Date : 20051107

Dossier : T-1376-04

Référence : 2005 CF 1510

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                                           J.S.

                                                                                                                                  demanderesse

                                                                             et

                                                               PAUL BROOKER

défendeur

et

LES FORCES CANADIENNES

intervenante

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) datée du 21 juin 2004, dans laquelle la Commission a décidé, aux termes de l'alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), que la plainte de la demanderesse n'était pas de sa compétence.

A. Le contexte factuel

[2]                La demanderesse est une femme ne faisant pas partie de l'armée qui était membre du Ninja Ryu Jiu-jitsu Club (le Club) entre le 12 mars 2001 et le 12 janvier 2002. Le Club est exploité par l'intervenante, les Forces canadiennes (les FC), au Collège militaire royal de Kingston (Ontario). Le défendeur, un caporal dans les FC, a également fréquenté le Club de 2001 à 2002, même si cela n'était pas une condition de son emploi; la demanderesse et le défendeur étaient inscrits dans la même classe de jiu-jitsu au Club. D'après les observations écrites du défendeur, il existe sept rangs hiérarchiques en jiu-jitsu; au moment des faits, la demanderesse possédait une ceinture jaune, et le défendeur, une ceinture orange, le rang immédiatement supérieur à la ceinture jaune. Les ceintures jaune et orange se situent en bas de la hiérarchie de ce sport.


[3]                La demanderesse soutient que, pendant la période au cours de laquelle ils suivaient cette classe ensemble, à savoir du mois d'août 2001 à janvier 2002, le défendeur s'est mal conduit envers elle, notamment en formulant des commentaires méprisants envers les femmes et en procédant à des attouchements sexuels répétés et non souhaités. C'est la raison pour laquelle la demanderesse a déposé une plainte contre le défendeur, datée du 29 janvier 2003, aux termes de la Loi, dans laquelle elle décrivait le comportement de celui-ci ainsi que la nature de ses rapports avec le défendeur. Les éléments de la plainte concernant ces rapports se lisent ainsi :

[Traduction]

ALLÉGATION

Le caporal Paul Brooker(professeur d'arts martiaux) a agi de façon discriminatoire à mon endroit en raison de mon sexe (féminin), en violation de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[...]

J'ai dû cesser de fréquenter le Club à cause du harcèlement constant dont je faisais l'objet pendant les cours de la part de Brooker, tout comme de la part d'autres membres du Club.

[Non souligné dans l'original.]

(Dossier du tribunal, p. 1-2)

Comme cela est noté dans la plainte, celle-ci porte principalement sur l'article 14 de la Loi; l'alinéa 14a) joue un rôle particulièrement important dans la présente demande :

Harcèlement

Harassment

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu_

14. (1) It is a discriminatory practice,

a) lors de la fourniture de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public;

(a) in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public,

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

(b) in the provision of commercial premises or residential accommodation, or

c) en matière d'emploi.

(c) in matters related to employment

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

Harcèlement sexuel

Sexual harassment

(2) Pour l'application du paragraphe (1) et sans qu'en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

(2) Without limiting the generality of subsection (1), sexual harassment shall, for the purposes of that subsection, be deemed to be harassment on a prohibited ground of discrimination.

[Non souligné dans l'original.]

[4]                 Après avoir fait enquête sur la plainte de la demanderesse, un enquêteur de la Commission a conclu ce qui suitdans un rapport daté du 11 mars 2004 :

Compétence

[Traduction]

6.             Même si l'intimé n'a pas expressément soulevé cet aspect, l'affaire soulève une question de compétence. La plaignante et l'intimésuivaient tous deux des cours de jiu-jitsu après leurs heures de travail dans un but de loisir. Le complexe sportif où étaient offerts les cours de jiu-jitsu faisait partie du Collège royal militaire. Le Collège royal militaire et le complexe sportif sont tous les deux situés sur la base des Forces canadiennes de Kingston. Le complexe sportif est ouvert aux élèves du CMR, au personnel de la base ainsi qu'au grand public. La plaignante est membre du public et n'entretient aucun lien avec les Forces canadiennes. L'intimé est caporal dans les Forces canadiennes.

[...]

8.             En tant qulèves participant à des activités de loisir après les heures de travail, il n'y avait pas de rapport de prestation de services entre la plaignante et l'intimé. La question en litige est de savoir si les obligations professionnelles qu'assume l'intimé englobent également la plaignante dans ce contexte.

[...]

Analyse

[...]


13.          En tant qulèves de la même classe, le rapport existant entre la plaignante et l'intimé ne semble pas pouvoir être qualifiéde prestation de services ou d'activité reliée à un emploi. Àce titre, il ne semble pas que l'article 14 de la LCDP s'applique à l'intimé.

Recommandation

14.          Il est recommandé que, conformément à l'alinéa 4(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission examine la plainte pour la raison que :

< la tardivetédu dépôt de la plainte n'est pas attribuable à la plaignante.

15.          Il est recommandé que, conformément à l'alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission n'examine pas la plainte pour le motif que :

< la plainte n'est pas de la compétence de la Commission.

(Dossier du tribunal, p. 4-5)                              

Avant dtre transmis à la Commission pour qu'elle rende une décision aux termes de l'al. 14c), le rapport de l'enquêteur a été communiqué aux parties et en réponse, l'avocate de la demanderesse a présenté des observations écrites détaillées, datées du 16 avril 2004, qui étoffaient les arguments concernant la responsabilitédu défendeur aux termes de l'al. 14(1)a) de la Loi dans les termes suivants :

[Traduction]

a)            Le cpl Brooker participait à la prestation de services à Mme St. Jacques

Le cpl Brooker était un membre expérimenté de la classe de jiu-jitsu et, au moment des faits, a toujours eu une ceinture supérieure àcelle de Mme St. Jacques. Le cpl Brooker occupait donc une position d'autorité au sein de la classe de jiu-jitsu et était obligé, dans le cadre de la tradition et des règles des arts martiaux, de participer à l'enseignement des étudiants de rang inférieur. Il convient de citer sur ce point deux règles du dojo (qui étaient affichées sur le site Web du club à lpoque) :

« Règle 10 : Surveillez constamment les débutants et aidez ceux qui ont moins de connaissances et d'ancienneté que vous.


Règle 12 : Obéissez aux instructions du sensei et des étudiants avancés » [Non souligné dans l'original.]

Le cpl Brooker, un étudiant avancé qui possédait un grade supérieur à celui de la plaignante, participait donc à l'enseignement fourni à Mme St. Jacques en jiu-jitsu et par la même occasion à la prestation de services à cette dernière.

(Dossier du tribunal, p. 7)

Un argument a été également présenté au sujet de la conclusion relative à l' « emploi » figurant dans le rapport de l'enquêteur, mais cet argument a été abandonnéet ne joue aucun rôle dans la demande de réparation présentée ici par la demanderesse.

[5]                Les parties reconnaissent qu'à l'égard de la présente demande, les seuls documents qui avaient été présentés à la Commission étaient la plainte de la demanderesse, le rapport de l'enquêteur et les observations présentées par l'avocate de la demanderesse, telles que citées ci-dessus. La Commission s'est fondée sur ces documents pour prononcer la décision suivante :

La Commission a également décidé, conformément au paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, d'examiner la plainte (20020968) pour le motif que :

·               la tardiveté du dépôt du formulaire de plainte n'est pas attribuable à la plaignante.

La Commission a en outre décidé, conformément à l'alinéa 412(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas examiner la plainte (20020968) pour le motif que

·               la plainte n'est pas de la compétence de la Commission.

[Non souligné dans l'original.]

(Dossier de la demanderesse, p. 16)                                       

[6]                Il n'est pas contesté qu'en prenant cette décision, la Commission a accepté l'analyse et la recommandation de l'enquêteur et rejeté les observations détaillées présentées par l'avocate de la demanderesse.

B. La question à trancher

[7]                 Étant donné que la jurisprudence établit clairement que la norme de contrôle applicable aux décisions prises aux termes de l'alinéa 14c) de la Loi est celle de la décision correcte (Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 2114 (CFPI) (QL), au par. 13; Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 1017 (CFPI) (QL) au par. 37; Zavery c. Canada (Développement des ressources humaines), [2004] A.C.F. no 1122 (CFPI) (QL) au par. 14-15), et étant donné que l'alinéa 14c) ne devrait être utiliséque dans les cas « évidents » (Sociétécanadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1997] A.C.F. no 578 (CFPI) (QL), au par. 3), les parties reconnaissent que la question à trancher dans la présente demande est la suivante : Est-il exact d'affirmer qu'il est évident que le contenu de la plainte de la demanderesse n'est pas de la compétence de la Commission?


C. Les arguments

[8]                Dans leurs observations écrites, le défendeur et l'intervenant appuient la décision de la Commission. Leurs arguments sont détaillés et divers; il est important de les reproduire ici pour mieux faire comprendre la nature des objections qu'opposent ces deux parties à la conclusion selon laquelle la Commission n'était pas fondée à baser sa décision sur l'al. 41c).

[9]                Voici les arguments du défendeur :

[Traduction]

34.           Le défendeur et la demanderesse étaient tous les deux des élèves dans la même classe. Le défendeur n'était pas un professeur, un « mandataire » du Club, ni une personne en autorité. Le défendeur et la demanderesse entretenaient un rapport « privé » en tant que co-utilisateurs des locaux et non pas un rapport de nature « publique » .

35.           Les seuls faits qui ont été allégués pour appuyer l'argument de la demanderesse selon lequel il y a eu prestation de services sont la prétendue existence de deux « règles du Club » et « la façon dont l'enseignement était habituellement donné au Club » . Il n'est pas allégué que l'une des parties ait effectivement enseigné à l'autre, ce que nie de toute façon le défendeur.

36.            Selon une de ces règles, il faut aider « ceux qui ont moins de connaissances et d'ancienneté que vous » , cette règle est, espérons-le, évidente et superflue dans une société harmonieuse qui respecte les règles de la courtoisie.

37.           La deuxième règle précise : « obéissez aux instructions des étudiants avancés » . Il est allégué que les « étudiants avancés » désignent sur ce point les étudiants qui possèdent des ceintures supérieures et non pas ceux qui possèdent des ceintures supérieures à celle d'un débutant.

38.           Le défendeur soutient que ces prétendues règles et traditions n'indiquent pas qu'il y a eu « prestation de services » par le défendeur à la demanderesse et ne peuvent établir une telle relation.

(Dossier du défendeur, p. 12-13)


L'argument de l'intervenant est le suivant :

[Traduction]

40. L'intervenant reconnaît qu'en offrant des cours de jiu-jitsu, elle a fourni des services à la demanderesse. La demanderesse a toute liberté de déposer une plainte contre l'intervenant en alléguant qu'il a omis de lui fournir un environnement exempt de harcèlement, et c'est d'ailleurs ce qu'elle a fait. Elle ne peut exercer aucun recours contre le défendeur aux termes de la Loi.

41. L'intervenant reconnaît que, pendant les séances d'entraînement et de pratique du Club, on encourage les étudiants débutants à apprendre des techniques et des mesures de sécurité avec les étudiants avancés. Cependant, un système dans lequel les étudiants sont invités à s'entraider et à apprendre les uns des autres n'en fait pas des « prestataires de services » visés par la Loi.

42. Si l'on appliquait le raisonnement de la demanderesse, tous les membres du Club, à l'exception peut-être de ceux qui sont titulaires d'une ceinture blanche, seraient des prestataires de services à l'égard des autres membres du Club mais pas envers d'autres personnes. Une telle approche donnerait naissance à un ensemble de relations complexes tout à fait illogique. De cette façon, tous les membres de tous les clubs d'arts martiaux du pays (là encore, à l'exception des membres titulaires d'une ceinture blanche) seraient réputés être des « prestataires de services » à l'égard des autres membres de leur club. L'intervenant affirme que très peu d'élèves, voire aucun, qui veulent étudier les arts martiaux prennent ce facteur en considération lorsqu'ils décident de s'inscrire à un club. Il ne faudrait pas que ceux qui ne le font pas soient réputés avoir accepté et assumé une responsabilité qu'ils ne pouvaient pas avoir raisonnablement prévue.

[...]

46. La demanderesse affirme avec raison que les dispositions comme celles de l'article 14 de la Loi ont pour objet d'interdire toute discrimination aux entreprises qui souhaitent fournir des services au public. Le défendeur n'est toutefois pas une « entreprise » . L'intervenant ne tolère pas la discrimination ou le harcèlement quelles que soient les circonstances, mais elle n'admet pas que le harcèlement causé par une personne se trouvant dans la situation du défendeur est visé par l'art. 14 ou fait partie des domaines relevant de la compétence législative du Parlement, conformément à l'article 2 de la Loi.

Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571, à la p. 52.                   

47. Étant donné que le défendeur n'était pas à l'emploi de l'intervenant, qu'il n'était pas un mandataire ou une personne représentant bénévolement l'intervenant et qu'il était simplement un autre élève bénéficiant de certains services, la Loi ne fournit aucune voie de recours à la demanderesse contre lui. Elle a toute liberté d'exercer des recours de droit privé ou de porter plainte contre l'intervenant, mais la Cour devrait rejeter sa demande visant à faire casser la décision juste et raisonnable de la Commission selon laquelle elle n'a pas compétence pour entendre la plainte.

(Dossier de l'intervenant, p. 131-134)


[10]            Dans la présente demande, la demanderesse continue, dans ses observations écrites, à présenter l'argument qu'elle avait présenté à la Commission selon lequel le défendeur fournissait des services à la demanderesse et souligne que le critère du cas « évident » établi dans Société canadienne des postes c. Canada, précité, est le critère que doit respecter la Commission :

[Traduction]

55. [...] La Commission ne doit refuser d'examiner une plainte que lorsqu'il est évident qu'elle n'a pas la compétence pour le faire :

« La décision que la Commission rend en vertu de l'art. 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l'ouverture d'une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l'objet d'une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. »

[...]

58. Il convient de donner une interprétation large et libérale à l'expression « fourniture de services généralement offerts au public » , conformément au statut quasi constitutionnel des lois sur les droits de la personne au Canada. Pour savoir ce qui constitue la « fourniture d'un service » , il faut utiliser une méthode fondée sur des principes qui tient compte de la relation que les services ou installations particuliers créent entre le fournisseur de services ou d'installations et l'usager des services ou des installations.

[Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353 (CSC) p. 373-384.]

59. La Cour suprême du Canada a jugé que si le libellé particulier des différentes lois sur les droits de la personne peut changer, il est clair que l'interdiction de la discrimination dans la fourniture de services recherche le même objet, à savoir interdire aux entreprises qui sont censées servir le public de faire preuve de discrimination.

[Université de la Colombie-Britannique c. Berg, précité, p. 372-373.]

60. Aux termes de la Human Rights Act de la C.-B., la fourniture de services a reçu le sens d' « avantage fourni par une personne à une autre » . La demanderesse soutient qu'à la lumière des directives qu'a fournies la Cour suprême du Canada au sujet de l'interprétation des droits de la personne, cette interprétation s'applique également à la fourniture de services dans le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Nixon c. Vancouver Rape Relief Society (No. 2) (2002), 42 C.H.R.R. D/20 (B.C. H.R.T.) at D/31, par. 78 [...]


[...]

70. La question juridique qu'il convient de se poser est de savoir si les relations structurées fondées sur l'autorité et l'obéissance qui caractérisaient la formation donnée habituellement par le Club ont créé une relation dans laquelle le défendeur Brooker participait à la fourniture d'un avantage à Mme S. Il n'est pas évident que la réponse à cette question soit négative. Par conséquent, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a déclaré que la plainte portée contre M. Brooker ne relevait pas de sa compétence.

(Dossier de la demanderesse, p. 84-89)

[11]            Au cours des plaidoiries, la demanderesse a présenté un argument très clair : la question de savoir si la plainte déposée par la demanderesse est visée par l'alinéa 14(1)a) est matière à discussion; il ne peut donc être évident que le fond de la plainte ne relève pas de la compétence de la Commission. La demanderesse soutient que l'enquêteur n'a pas saisi qu'il était essentiel de préciser la nature de la relation entre la demanderesse et le défendeur avant de formuler sa recommandation à la Commission. Pour ce qui est de l'argument de l'intervenant selon lequel une décision favorable à la demanderesse entraînerait un résultat ridicule, la demanderesse répond que, si la Cour reconnaît l'existence d'une relation d'enseignement, et si cette relation oblige l'instructeur à répondre de sa conduite selon la Loi, elle acceptera cette décision.

D. Conclusion

[12]            Je souscris aux arguments de la demanderesse.

[13]            À mon avis, même si l'enquêteur a qualifié la relation en question de relation concernant apparemment « deux élèves qui suivent des cours de jiu-jitsu dans leurs temps libres » , la Commission était tenue d'examiner la plainte de la demanderesse en tenant compte du fonctionnement structurel de la relation, tel que la demanderesse l'a présenté dans sa réponse au rapport de l'enquêteur. C'est un aspect important parce que la jurisprudence au sujet de l'application de l'alinéa 14(1)a) exige que la nature de la relation en question soit examinée selon une méthode fondée sur des principes (Université de la Colombie-Britannique, précité, p. 384).

[14]            Il y a certainement matière à discussion au sujet de savoir si, selon les règles du jiu-jitsu que la demanderesse et le défendeur étaient tenus de respecter, la relation qu'ils partageaient était fondée sur une différence structurelle de pouvoir dans laquelle le demandeur pouvait donner des ordres à la demanderesse et celle-ci était tenue de les suivre. Pour cette raison, la Commission était tenue d'examiner soigneusement la différence de pouvoir fonctionnelle, décrite par l'avocate de la demanderesse, pour prendre une décision aux termes de l'alinéa 41c), et à moins que le cas soit évident, c'est-à-dire insusceptible d'être débattu, que la plainte de la demanderesse n'était pas visée par le volet « fourniture de services » de l'alinéa 14(1)a), la plainte ne devait pas être rejetée au tout début du processus par le biais de l'application de l'al. 41c). J'estime que la Commission n'a pas respecté cette condition.

[15]            Par conséquent, je conclus qu'il n'est pas exact d'affirmer qu'il est évident que le contenu de la plainte de la demanderesse n'est pas de la compétence de la Commission.


E. Les dépens

[16]            Au cours des plaidoiries, l'avocate de la demanderesse et l'intervenant ont présenté des arguments au sujet des dépens. Il a ainsi été proposé que, si le défendeur obtenait gain de cause, la demanderesse paierait les dépens du défendeur et de l'intervenant sur la base partie-partie et que, si la demanderesse obtenait gain de cause, le défendeur et l'intervenant seraient solidairement responsables des dépens dus à la demanderesse.

[17]            Sur la question des dépens, il me paraît important de noter que l'intervenant a été autorisé à sa demande à intervenir en qualité de partie et a assumé la plus grande partie de la défense contre la contestation par la demanderesse de la décision de la Commission. Par conséquent, je crois savoir qu'à part avoir déposé une réponse à la demande et présenté de brèves observations écrites, le défendeur n'a pas pris une part active au processus qui a débouché sur l'instruction de la présente demande. Il est admis que le demandeur est revenu récemment d'une mission avec les FAC en Afghanistan et qu'il n'est pas représenté à l'heure actuelle par un avocat.

[18]            Compte tenu de ces facteurs, il me paraît juste et équitable de demander uniquement à l'intervenant d'assumer les dépens de la présente demande, dans laquelle la demanderesse a obtenu gain de cause.


                ORDONNANCE

Pour les motifs exposés ci-dessus, j'annule la décision de la Commission du 21 juin 2004 et renvoie l'affaire à la Commission pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

J'accorde les dépens à la demanderesse contre l'intervenant selon la colonne III du Tarif B.

« Douglas R. Campbell »

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.                     


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       T-1376-04

INTITULÉ:                                        J.S.

c.

PAUL BROOKER ET AL.

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 2 NOVEMBRE 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                     LE 7 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Mary Cornish                                      POUR LA DEMANDERESSE

Lois Lehman                                       POUR L'INTERVENANT

Amy Porteous                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Cavalluzzo Hayes Shilton

McIntyre & Cornish LLP                    POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)                               

John H. Sims, c.r.                               POUR L'INTERVENANT

Sous-procureur général du Canada            


COUR FÉDÉRALE

Date : 20051107

Dossier : T-1376-04

ENTRE :

J.S.

demanderesse

et

PAUL BROOKER (LES FORCES CANADIENNES)

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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