Décisions de la Cour fédérale

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                                                              Table des matières

 

I. Introduction

 

A. Aperçu général............................................................................... Par. 1

B. Objections soumises à réflexion ....................................................   Par. 9

C. Profil des demandeurs .................................................................... Par. 11

 

 

 

II. Phase un : Données générales et historiques

 

A. Points litigieux .............................................................................    Par. 21

B. Cadre juridique .............................................................................  Par. 30

i.   L’interprétation des traités

ii.  L’histoire anecdotique

iii. Les droits ancestraux

C. Témoins ........................................................................................  Par. 51

i.   Les témoins experts

ii.  Les aînés

iii. Les témoins ordinaires

D. Contexte historique ......................................................................   Par. 80

i           La conclusion de traités en Ontario et dans l’Ouest

·                      La période antérieure aux traités Robinson

·                      Les traités Robinson de 1850

·                      Les traités numérotés, 1 à 5

ii.  La conclusion du Traité n° 6

·                      Archives documentaires et comptes rendus de témoins directs

1. Le prélude d’un traité

2. Les négociations au Fort Carlton

3. Les négociations au Fort Pitt

4. Blackfoot Crossing : L’adhésion de Bobtail

·                      Traditions orales

1. Les négociations au Fort Carlton

i.  L’aîné Jacob Bill

2. Les négociations au Fort Pitt

i.  L’aînée Margaret Quinney

ii. L’aîné Pete Waskahat

E. Les opinions d’experts : Contexte historique, signification du Traité n° 6 et

autres questions .........................................................  Par. 250

i.    Les commissaires du traité

ii.   Les Cris

iii.  La clause de cession territoriale

iv.  Les traditions orales

v.   Les événements postérieurs au Traité n° 6

vi.   Le contact


vii.  Le territoire

viii. Le commerce

F. Autres témoignages : Les aînés et les témoins ordinaires ............                    Par. 424

i.   Le territoire

ii.  Le commerce

iii. Les événements postérieurs au Traité n° 6

G. Conclusions ..................................................................................  Par. 451

i.    Traité n° 6 : Traditions orales et archives documentaires

ii.   Les événements postérieurs au Traité n° 6

iii.  Le contact

iv.  Le territoire

v.   Le commerce

 

 

 

III. Phase deux : Administration de l’argent des Indiens

 

A.  Points litigieux ............................................................................    Par. 589

B.  Témoins .......................................................................................  Par. 592

i. Témoins experts

ii. Témoins ordinaires

C. Contexte........................................................................................  Par. 614

D. Demande de transfert ...................................................................   Par. 628

E. Cadre législatif ..............................................................................   Par. 633

F. Obligations et devoirs de la Couronne ..........................................    Par. 651

G. Allégation d’enrichissement sans cause .......................................     Par. 697

H. Questions constitutionnelles et autonomie gouvernementale .......        Par. 727

I.  Dépens ...........................................................................................            Par. 794

J.  Dispositif .......................................................................................  Par. 795

 

 

 

 


Date : 20051130

 

Dossier : T‑2022‑89

 

Référence : 2005 CF 1622

 

 

 

ENTRE :

 

 

                         LE CHEF VICTOR BUFFALO, en son propre nom et au nom de

                       tous les autres membres de la nation et bande indienne de Samson,

                               et LA NATION ET BANDE INDIENNE DE SAMSON,

 

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

 

 

                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE

                            DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

                                               ET LE MINISTRE DES FINANCES

 

                                                                                                                                          défendeurs

                                                                             et

 

 

LE CHEF JEROME MORIN, en son propre nom ainsi qu’au nom de tous les

MEMBRES DE LA BANDE DES INDIENS ENOCH ET

DES RÉSIDENTS DE LA RÉSERVE N° 135 DE STONY PLAIN

 

 

                                                                                                                                       intervenants

                                                                             et

 

 

                                                EMILY STOYKA et SARA SCHUG

 

                                                                                                                                     intervenantes


 

 

 

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE TEITELBAUM

 

 

I.   Introduction

 

 

A.  Aperçu général

 

 

[6]               À première vue, la présente affaire semble se rapporter à des sommes d’argent – les redevances qui ont été générées par l’exploitation commerciale de la nappe de pétrole et de gaz naturel Bonnie Glen D3A se trouvant dans le sous‑sol de la réserve du lac Pigeon, et les intérêts qui furent ensuite versés sur ces redevances. Si seulement les choses étaient aussi simples! Cette affaire concerne aussi une relation que l’on qualifie souvent de sui generis, c’est‑à‑dire une relation particulière, qui ne ressemble à aucune autre. Les parties à cette relation sui generis sont les Cris des Plaines du Traité n° 6 – plus particulièrement la nation crie de Samson (Samson) – et la Couronne, c’est‑à‑dire le gouvernement canadien. Dans certains cas, je parlerai des Cris des Plaines au sens général et étendu du terme; dans d’autres, il s’agira de la nation crie de Samson. Je voudrais souligner un point très important : je n’entends pas décrire ou définir la relation de la Couronne avec toutes les Premières nations ou tous les peuples autochtones; je m’intéresserai plutôt à sa relation avec la nation crie de Samson.

 

 

[7]               Les origines de cette relation sont imprégnées d’histoire. Le Traité n° 6 a été conclu en août et septembre 1876. Le Dominion du Canada a pris naissance le 1er juillet 1867, avec la Confédération. Le pays était jeune à l’époque du traité, mais la présence européenne sur le continent nord‑américain, et dans le Nord‑Ouest canadien en particulier, remontait à plusieurs siècles. Naturellement, il est trop simpliste de parler d’une histoire. Elles sont nombreuses, et elles sont riches et variées. Elles comprennent les origines, les cultures et les vies qui ont fait la trame des Premières nations sur tout le continent; le commerce des fourrures et l’histoire économique; l’histoire politique de chacune des colonies, la française, la britannique et l’américaine; et naturellement le développement du Canada.

 

 

[8]               On a eu le sentiment parfois que la Cour avait été renvoyée à l’école, mais les données et interprétations historiques présentées ont toujours été intéressantes et, à maintes reprises, tout à fait captivantes. Il aurait été trop facile de suivre tranquillement les sentiers battus, les chemins secondaires et les voies incertaines de notre histoire.

 

 


[9]               Une quantité considérable de témoignages et de documents ont été produits durant le procès. Par exemple, la pièce SEC‑427 comprend 48 classeurs qui contiennent 1 234 documents. La pièce SC‑428 représente une série de 90 classeurs qui contiennent quant à eux 3061 documents. Quarante autres classeurs contenant 1 363 documents portaient la cote S‑985. Il y a ensuite plusieurs autres séries plus modestes de classeurs comprenant les documents produits par une partie, mais à la production desquels se sont opposées les autres parties, ou ont acquiescé toutes les parties. Manifestement, beaucoup d’encre a été versée et beaucoup de rames de papier ont été dévorées au cours de la présente action.

 

 

[10]           Je suis sûr que tous les avocats ont pensé que chacun de tous ces documents était important et méritait d’être mentionné. Les avocats et leurs experts se sont à l’évidence donné beaucoup de mal pour assembler cette information au bénéfice de la Cour. Elle a été pour l’essentiel très utile. Je sais infiniment gré aux avocats des efforts qu’ils ont accomplis et je les en félicite. Je voudrais toutefois faire une mise en garde : je me suis appliqué à tenir compte de tous les documents pertinents, mais il n’est pas possible de réciter ou de décrire dans les présents motifs toutes les preuves produites, et ce n’est d’ailleurs pas nécessaire. Je m’efforcerai de présenter intelligemment et succinctement ce qui, au cours d’une période de près de cinq ans, a nécessité 370 jours pour être présenté dans un procès. J’ai tenté de présenter pour l’essentiel une chronologie historique, au lieu de me laisser emporter dans les méandres de l’abstrait, un exercice qui sied davantage aux érudits qu’aux juges.

 

 


[11]           Le 24 février 1994, le juge en chef adjoint Jerome ordonnait que les instances T‑2022‑89 (l’action Samson), T‑1254‑92 (l’action Ermineskin) et T‑1386‑90 (l’action Enoch), introduites devant la Cour fédérale, soient instruites simultanément. L’action Enoch toutefois a par la suite été séparée des actions Samson et Ermineskin, par ordonnance datée du 20 juin 1996. Le 1er octobre 1999, le juge MacKay ordonnait que les actions Samson et Ermineskin soient instruites ensemble, à compter du 1er mai 2000, à Calgary.

 

 

[12]           Le 2 juin 2000, la Cour exposait la manière dont la preuve allait être traitée dans ces instances. La Cour d’appel fédérale a modifié le 11 septembre 2000, pour des raisons de clarté, les paragraphes 3 et 4 de cette ordonnance. L’effet de l’ordonnance est que les instances ne se sont pas déroulées sur la base d’une preuve commune. Un système fut établi par lequel un demandeur pouvait choisir d’adopter la déposition d’un témoin, avant que ce témoin ne dépose, de telle sorte que l’intégralité de la déposition du témoin était jointe à la preuve dans le dossier de ce demandeur. Ainsi, chaque demandeur conservait sa mainmise et son pouvoir sur la manière dont il voulait que son cas soit jugé, sous réserve évidemment de l’ultime droit de regard de la Cour sur la procédure. Les deux instances ont été instruites ensemble, mais chacune conservait son intégrité en tant qu’instance séparée et distincte.

 

 


[13]           Les parties ont accepté d’aller de l’avant dans le procès en plusieurs phases : Données générales et historiques, Administration de l’argent des Indiens, Pétrole et gaz, Autre question concernant le pétrole et le gaz (les demandeurs appellent cette phase la question fiscale; la Couronne l’appelle la question du régime des prix officiels), enfin Programmes et services (y compris la question de la répartition par tête, qui, je le remarque, semble à un certain moment être devenue elle‑même une phase distincte) (S‑221). Peu après le début du procès, il est vite devenu évident que toutes ces phases ne pourraient pas être instruites à l’intérieur des 120 jours de procès initialement prévus par les parties. Cette prévision était d’ailleurs totalement en désaccord avec la réalité et, au lieu de prévision, il faudrait plutôt parler de voeu pieux, voire d’optimisme infini. Par conséquent, et avec le consentement des parties, j’ai ordonné le 17 septembre 2002 que j’allais demeurer juge du procès pour les deux premières phases seulement et que les autres phases en seraient séparées pour être instruites plus tard par un autre juge.

 

B.  Objections soumises à réflexion

 

[14]           Dans la plupart des procès, sinon la totalité, on peut compter que les avocats formuleront des objections. Vu la longueur et la complexité de ce procès en particulier, de nombreuses objections ont été formulées. Certaines ont été admises ou rejetées sur‑le‑champ, tandis que d’autres ont été soumises à réflexion, la preuve visée par l’objection étant admise dans la procédure afin que le dossier soit complet, et en prévision d’un éventuel appel. Je me propose maintenant de dire comment il a été disposé de ces objections, lorsqu’elles étaient utiles et nécessaires aux fins des présents motifs. Dans la mesure du possible, je me suis efforcé d’identifier précisément les objections par référence aux volumes et aux numéros de page de la transcription. Voici la manière dont il est disposé des objections en suspens :

 


(i) Transcription, volume 10, pages 1740‑1762; transcription, volume 11, pages 1783‑1786; transcription, volume 12, pages 1835‑1836; transcription, volume 15, pages 2081‑2086; transcription, volume 20, pages 2479‑2483; et transcription, volume 21, page 2598 : ces objections se rapportent à des portions de récits concernant le Traité n° 6, faits par les aînés Pete Waskahat, Margaret Quinney et Jacob Bill. L’objection de la Couronne est rejetée. Il importe que la Cour entende toute la preuve existante relative à la conclusion du Traité n° 6 et à sa signification.

 

(ii) Transcription, volume 20, pages 2526‑2530, et transcription, volume 21, pages 2635‑2642 : l’objection de la Couronne est admise. Le récit de l’aîné concerne la Rébellion du Nord‑Ouest de 1885 et il est par conséquent sans rapport avec les points soulevés dans cette action.

 

(iii) Transcription, volume 26, pages 3550‑3553 : l’objection de la Couronne est admise. Les références contestées dépassent le champ de compétence de l’expert.

 

(iv) Transcription, volumes 32 à 35 : l’objection de la Couronne concernant la question de la cession hors réserve est rejetée. Cette objection est soulevée de nombreuses fois encore durant la première phase et donc, même si les renvois précis à la transcription ne sont pas donnés ici, il s’agit d’une décision générale, et j’ai admis dans la procédure toutes les preuves semblables se rapportant à la question de la cession hors réserve.

 


(v) Transcription, volume 44, pages 6369‑6407 : l’objection de la Couronne est admise dans la mesure où M. Beal parle de la famine, qui n’intéresse pas les points soulevés dans cette action. Les objections touchant la cession territoriale et les arpentages de la réserve sont rejetées.

 

(vi) Transcription, volume 65, pages 9544‑9552 et 9570‑9571; et transcription, volume 69, pages 10049‑10054 : les objections de la Couronne au témoignage de Mme Louis sont admises. Aucun fondement acceptable n’a été proposé qui rende digne de foi cette preuve en tant que tradition orale. Mme Louis n’a pas su dire précisément d’où elle tenait cette information et l’information n’a pas été jugée digne de foi.

 

(vii) Transcription, volume 69, pages 10064‑10073; et transcription, volume 80, pages 11760‑11761 : les objections de la Couronne aux pièces S‑63 et S‑63A sont admises. Le témoin déposait en tant que témoin ordinaire; par conséquent, sa thèse de maîtrise, qui renferme des opinions et traite de sujets sans rapport avec cette action, n’est pas une preuve recevable.

 

(viii) Transcription, volume 90, pages 12615 et 12684‑12687 : les objections de la Couronne sont rejetées en ce qui a trait à la question de la cession hors réserve et au rapport Penner (S‑94). S’agissant des portions contestées de la note de service du ministre Crombie (S‑95), l’objection est rejetée et la note tout entière est admise comme preuve.

 


(ix) Transcription, volume 93, pages 13071‑13088 : l’objection de la Couronne est admise.

 

(x) Transcription, volume 125, pages 17422‑17423 : l’objection de la Couronne est admise. Il s’agit d’un témoignage d’opinion, que ne peut donc pas présenter un témoin ordinaire. Transcription, volume 125, pages 17436‑17440, 17512‑17513, 17514 et 17516‑17519 : les objections de la Couronne sont admises. Transcription, volume 125, pages 17485‑17487 : l’objection de la Couronne est rejetée; toutefois, la preuve a très peu de valeur.

 

(xi) Transcription, volume 141, pages 19196‑19197 : l’objection de la Couronne est rejetée. Transcription, volume 141, pages 19201‑19203 : l’objection de la Couronne est admise. Transcription, volume 141, pages 19206‑19207 : l’objection de la Couronne est admise.

 

(xii) Transcription, volume 197, pages 28008‑28023 : l’objection de la Couronne à la pièce SE‑453 est rejetée.

 

(xiii) Transcription, volume 201, pages 28407‑28409 : l’objection des demandeurs est rejetée.

 


(xiv) Transcription, volume 202, pages 28565‑28576 : l’objection des demandeurs est rejetée. La question se rapporte à des faits et ne vise pas à obtenir un avis juridique.

 

(xv) Transcription, volume 216, pages 30946‑30953 : l’objection d’Ermineskin est admise. La pièce C‑490 est une pièce de l’action Samson uniquement.

 

(xvi) Transcription, volume 220, pages 31542‑31561 : l’objection de la Couronne est rejetée. Les questions se rapportent à des faits qui relèvent de la connaissance directe et de l’expérience du témoin.

 

(xvii) Transcription, volumes 223 à 227 : les objections des demandeurs à la recevabilité des documents confidentiels portant la mention « sous toutes réserves » sont rejetées. De tels documents sont déclarés recevables uniquement pour contredire des faits ou des affirmations des demandeurs et non pour montrer une quelconque faiblesse de leur argumentation. La preuve se rapportant aux dépenses et aux investissements de la bande n’est pas non plus recevable.

 

(xviii) Transcription, volume 334, pages 158‑162 : l’objection des demandeurs est rejetée et la question est autorisée.

 


(xix) Transcription, volume 335, pages 95‑104 : l’objection des demandeurs est rejetée et les questions concernant le coefficient cible sont admises.

 

(xx) Transcription, volume 339, pages 165‑168 : l’objection de la Couronne est admise. Les expertises relatives aux nappes de pétrole et de gaz n’intéressent pas les deux premières phases de la présente action. Transcription, volume 339, pages 178‑182 : l’objection de la Couronne est admise. La question du seuil et le règlement ultérieur de cette question par la Couronne n’intéressent pas l’action en cours.

 

(xxi) Transcription, volume 344, pages 47‑63 : les objections de la Couronne aux pièces S‑1017 et S‑1018 sont admises. Ces rapports n’intéressent aucunement les deux premières phases.

 

(xxii) Les demandeurs élèvent une objection contre l’intégralité des rapports (C‑286 et C‑287) et le témoignage de vive voix du professeur Flanagan. Les objections sont rejetées.

 

(xxiii) Les demandeurs élèvent une objection contre les rapports (C‑341 et C‑342) et le témoignage de vive voix de M. von Gernet. Les objections sont rejetées.

 


(xxiv) Les demandeurs élèvent une objection contre les rapports (C‑910, C‑911 et C‑912) et le témoignage de M. Ambachtsheer. Leurs objections soulèvent des questions sérieuses. La Cour ne tiendra pas compte des passages des rapports de M. Ambachtsheer dont il a été prouvé qu’ils résultent principalement, sinon entièrement, de la plume de l’avocat de la Couronne. La Cour autorisera, comme preuve recevable, le témoignage de vive voix de M. Ambachtsheer; la valeur qui lui sera attribuée reste à déterminer.

 

(xxv) Les demandeurs élèvent une objection contre le rapport (C‑897) et le témoignage de vive voix de M. Bertram. Les objections des demandeurs sont rejetées.

 

(xxvi) Les demandeurs élèvent une objection contre les rapports (C‑998 et C‑999) et le témoignage de vive voix de M. Scalf. Les objections sont rejetées.

 

(xxvii) Les demandeurs élèvent une objection contre le rapport (C‑1008) et le témoignage de vive voix de M. John Williams. Les objections sont rejetées.

 

 

[15]           Si je n’ai rien dit des autres objections soumises à réflexion, c’est parce qu’il n’était pas nécessaire de les rejeter ou de les admettre pour la solution des points soumis à la Cour.

 


C.  Profil des demandeurs

 

[16]           Dans cette section, j’esquisserai un bref profil des demandeurs, la nation crie de Samson (Samson), et exposerai la toile de fond de cette affaire. Je tiens à souligner qu’il s’agit d’une esquisse, non d’un portrait. Je m’en rapporterai à la demande d’aveux présentée par les demandeurs (S‑343) et à la réponse de la Couronne à la demande d’aveux (S‑344), à deux brochures produites par la nation crie de Samson (C‑26 et S‑52), ainsi qu’à certaines des dépositions de Mme Barbara Louis, qui, à l’époque de son témoignage en mai 2001, accomplissait son troisième mandat de conseillère élue de la nation crie de Samson.

 

 

[17]           La nation crie de Samson fait partie de l’entité plus large appelée Cris des Plaines, une entité désignée dans le texte du Traité n° 6 sous le nom de Tribu des Indiens cris des Plaines (S‑343 et S‑344, paragraphe 8).

 

 

[18]           La Réserve indienne de Samson n° 137 fut mise de côté par la Couronne en 1889, conformément au Traité n° 6, et confirmée par le décret C.P. 1151, daté du 17 mai 1889. La réserve se trouve près du hameau de Hobbema, en Alberta (S‑343 et S‑344, paragraphe 27).

 

 

[19]           La Réserve indienne du lac Pigeon n° 138A a été mise de côté par la Couronne en 1896, conformément au Traité n° 6, et confirmée par le décret C.P. 2471, daté du 8 juillet 1896. La réserve du lac Pigeon a été mise de côté à l’usage et au profit des Indiens de l’agence Hobbema, qui comprend Samson (S‑343 et S‑344, paragraphe 28).

 

 

[20]           Samson partage la réserve du lac Pigeon avec trois autres Premières nations cries : Ermineskin, Montana et Louis Bull, dont les réserves d’origine sont également voisines de celle de Samson. Au départ, la réserve du lac Pigeon avait été établie comme lieu de pêche, grâce auquel les quatre bandes pouvaient subvenir à leurs besoins. La réserve comble encore leurs besoins, non plus grâce au poisson, mais plutôt grâce aux nappes de pétrole et de gaz (C‑26, page 6).

 

 

[21]           Le 30 mai 1946, une cession de droits miniers était signée au nom de Samson. La cession est ainsi rédigée :

 

[traduction]


PAR LES PRÉSENTES, SACHEZ QUE NOUS, le chef soussigné et les conseillers soussignés de la bande indienne de Samson, qui habitons notre réserve 137 et 138A, dans la province de l’Alberta, et le Dominion du Canada, et qui agissons au nom du peuple tout entier de ladite bande, en conseil assemblés, cédons, aliénons, abandonnons, transférons et livrons à notre Souverain le Roi, et à ses successeurs, à jamais, TOUTES les terres censées receler du sel, du pétrole, du gaz naturel, du charbon, de l’or, de l’argent, du cuivre, du fer et autres minéraux, sous la surface de la zone comprise à l’intérieur des frontières de la réserve de Samson n° 137 [...] ainsi que le bois sur pied contenu à l’intérieur des frontières de toute concession minière établie ou donnée à bail conformément au Règlement, selon que cela sera nécessaire pour le développement et la bonne exploitation de tels gisements miniers, sous réserve du paiement des droits de coupe s’y appliquant; il est entendu toutefois que le titulaire enregistré d’une concession minière pourra, sans devoir payer de droits, couper, écimer ou abattre des arbres croissant sur la concession minière, et dont l’enlèvement est nécessaire pour la bonne exploitation de la concession.

 

POUR par Sa Majesté le Roi et ses successeurs avoir et posséder ladite étendue de pays, à toujours, en fiducie pour que soit concédé, à l’égard de telle étendue, le droit de prospecter, d’extraire, de recouvrer et d’enlever les minéraux qui s’y trouvent, aux personnes et selon les conditions que le gouvernement de la Puissance du Canada pourra juger les mieux à même de contribuer à notre bien‑être et à celui de notre peuple; et à la condition complémentaire que les sommes reçues du produit des permis, soit 10 ¢ l’acre, soient payées immédiatement selon une distribution individuelle.

 

ET NOUS, ledit chef et lesdits conseillers de ladite bande indienne de Samson, au nom de notre peuple et en notre nom, ratifions et confirmons, et promettons de ratifier et de confirmer, tout ce que ledit gouvernement pourra faire, ou faire faire légalement, pour la gestion et l’exploitation de ladite terre, et pour l’aliénation et la vente des minéraux qui s’y trouvent.

 

(S‑343 et S‑344, paragraphe 43; SEC‑427, classeur 2, onglet 25, document 75)

 

 

[22]           Par le décret C.P. 2662‑1946, en date du 28 juin 1946, la Couronne acceptait la cession, de telle sorte que les possessions minières et les droits miniers afférents pouvaient être donnés à bail pour l’avantage de Samson, Ermineskin, Montana et Louis Bull (S‑343 et S‑344, paragraphe 46; voir aussi SEC‑427, classeur n° 3, onglet 5, document 80).

 

 

[23]           En 1952, des quantités marchandes de pétrole et de gaz étaient découvertes dans le sous‑sol de la réserve du lac Pigeon – ce que l’on appelle le gisement Bonnie Glen D3A – et la production débuta cette même année (S‑343 et S‑344, paragraphes 51 et 54; S‑52, page 3).

 

 

[24]           La Couronne a rédigé, et conclu avec des compagnies pétrolières et gazières, une série de baux portant sur les droits de prospection et d’extraction. Depuis lors, d’importantes redevances ont été payées à la Couronne au bénéfice de Samson (S‑343 et S‑344, paragraphes 47‑48 et 57).

 

 

[25]           La nation crie de Samson est pourvue d’un conseil élu, qui comprend un chef et 12 conseillers. Depuis 1993, des élections ont eu lieu selon la coutume de la bande, qui prévoit la règle de la majorité des électeurs inscrits (transcription, volume 65, pages 9511‑9512). L’administration de la bande applique aussi les principes du gouvernement indien traditionnel, qui donnent droit de parole aux aînés dans les débats et les consultations (C‑26, page 7). Outre le conseil élu, la nation crie de Samson compte aussi une foule de divisions, de départements et d’entreprises commerciales, notamment la Peace Hills Trust Company, la première société fiduciaire au Canada appartenant à des Autochtones.

 

II.  Phase un : Données générales et historiques

 

A.  Points litigieux

 


[26]           Durant l’une des nombreuses conférences préparatoires au procès, j’ai demandé aux parties de soumettre à la Cour des mémoires indiquant quels étaient selon elles les points litigieux. Seule une partie a soumis un mémoire, que l’autre a promptement contesté. Les parties n’ont pu s’entendre sur les points litigieux, et l’affaire a été abandonnée jusqu’à ce que les parties présentent leurs conclusions, renfermant ce qu’étaient d’après elles les points litigieux. Au final évidemment, c’est à la Cour qu’il appartient de dire ce que sont les points litigieux, et c’est ce que j’ai fait, en me fondant sur les actes de procédure et les pièces produites. Je relève cependant que, dans le livre XII de ses conclusions, intitulé [traduction] « Restitution de deniers, prétentions, admissions et points litigieux », on peut trouver les points litigieux tels que les voit Samson. Aux fins de la première phase, je reproduis les parties A et B du livre XII :

 

[traduction]

A. Droits ancestraux

 

134. La nation crie de Samson a‑t‑elle un droit existant ancestral (ou inhérent) à l’autodétermination?

 

135. Un droit existant ancestral ou inhérent à l’autodétermination donne‑t‑il à la nation crie de Samson la mainmise sur les sommes en fiducie de telle sorte que la nation crie de Samson puisse prendre en charge la fiducie à la place de la Couronne en ce qui a trait aux sommes en fiducie de la nation crie de Samson?

 

136. La nation crie de Samson existait‑elle comme composante distincte de la nation crie des Plaines avant le Traité n° 6?

 

137. Le territoire traditionnel de la nation crie des Plaines englobait‑il la région du Traité n° 6, et la Couronne est‑elle empêchée par le Traité n° 6 de contester ce fait?

 

B. Droits issus de traités

 

138. Le Traité n° 6 est‑il un traité d’alliance et de partenariat?

 

139. La tradition orale de la nation crie des Plaines en ce qui a trait aux négociations ayant entouré le Traité n° 6 aura‑t‑elle un poids égal à celui des récits du lieutenant‑gouverneur Morris et du secrétaire Jackes?

 

140. L’intention des parties au Traité n° 6 était‑elle de préserver et protéger les terres des réserves et les intérêts dans ces réserves, pour l’avantage exclusif des Indiens parties au Traité pour lesquels les réserves avaient été mises de côté?

 

141. Les obligations fiduciaires de la Couronne découlaient‑elles d’une fiducie historique?

 

142. Le Traité n° 6 est‑il la source d’obligations fiduciaires de la Couronne?

 

143. La Couronne a‑t‑elle contrevenu au Traité n° 6 peu de temps après sa conclusion?

 

144. La conduite de la Couronne au regard du Traité n° 6 a‑t‑elle une incidence sur les obligations conventionnelles de la Couronne?

 


145. Quelles sont la nature et l’étendue des obligations conventionnelles de la Couronne au regard des redevances?

 

146. Les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens portent‑ils atteinte aux droits de Samson issus de traités?

 

147. La Couronne peut‑elle justifier l’atteinte aux droits des demandeurs Samson issus de traités en ce qui a trait aux redevances des demandeurs Samson?

 

(Conclusions de Samson, livre XII, onglet 4, pages 33‑34)

 

 

[27]           Le point de départ est le Traité n° 6. Samson prétend que le Traité n° 6 régit la relation entre les parties et qu’il constitue le principal instrument juridique. Samson dit aussi que le Traité n° 6 est la source, ou l’une des sources, de la relation fiduciaire entre les parties.

 

 

[28]           Je n’ignore pas qu’une phase devra être instruite plus tard au cours du procès – pour autant qu’il suive son cours – phase provisoirement baptisée Programmes et Services. Je ne tenterai pas de définir les paramètres exacts de cette phase, mais j’observe qu’elle concernera, du moins en partie, les droits issus de traités. Toutefois, il est impossible de nier que le Traité n° 6 – le contexte historique et les circonstances entourant sa conclusion, de même que son contenu – a été considérablement mis en cause dans cette première phase. Par conséquent, je tirerai les conclusions nécessaires se rapportant au Traité n° 6.

 

 

[29]           Samson sollicite aussi la reconnaissance judiciaire de son droit à l’autodétermination. La nation dit qu’il s’agit là d’un droit inhérent, d’un droit ancestral et d’un droit issu de traités. Le droit à l’autodétermination, ou à l’autonomie gouvernementale, revendiqué par Samson se rapporte à la possession des sommes de son compte en capital et de son compte de revenu, générées par les ressources pétrolières et gazières de la réserve du lac Pigeon, et actuellement entre les mains de la Couronne.

 

 

[30]           La nation de Samson dit qu’il existe une relation fiduciaire entre elle et la Couronne. Elle affirme que cette relation comprend une fiducie historique, une fiducie constitutionnelle, une fiducie explicite, une fiducie de common law, une fiducie découlant de la Cession de 1946 et une fiducie découlant de la loi. Samson allègue aussi une relation fiduciaire sui generis.

 

 

[31]           Samson dit que la Couronne a gravement contrevenu à ses obligations fiduciaires, conventionnelles et constitutionnelles dans sa manière de gérer les deniers de la nation crie de Samson.

 

 


[32]           Samson conteste aussi la constitutionnalité, ou l’application sur le plan constitutionnel, des articles 61 à 68 et de l’article 17 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, chapitre I‑5. Subsidiairement, d’affirmer Samson, ces articles sont subordonnés à ses droits ancestraux ou issus de traités, ainsi qu’aux obligations fiduciaires ou constitutionnelles de la Couronne.

 

 

[33]           Je relève que nombre de ces derniers aspects empiètent sur le domaine de la phase deux. Le procès a été divisé en plusieurs phases, mais il y a eu un chevauchement inévitable. Les phases ne sont pas, comme on l’a dit à maintes reprises, des compartiments étanches.

 

 

[34]           Finalement, il reste la question du titre aborigène ou autochtone. Une preuve considérable a été produite à propos de ce qu’il est convenu d’appeler maintenant la question de la cession hors réserve. La Couronne s’est énergiquement opposée à cette preuve dès le départ. Vu la complexité de ce procès et l’incapacité des parties de s’entendre sur les points litigieux, j’ai déclaré recevable la preuve en cette matière, sous réserve de l’objection de la Couronne. Dans ses conclusions, la nation de Samson dit qu’elle a prouvé le titre autochtone, en même temps que d’autres nations autochtones, sur des parties importantes de la région envisagée par le Traité n° 6, mais qu’il n’est pas nécessaire pour la Cour de statuer sur cette question. Si ce n’est pas nécessaire, alors pourquoi y a‑t‑on consacré autant de temps et pourquoi a‑t‑on produit une preuve considérable sur le sujet? La Cour se prononcera bien entendu sur cet aspect dans les présents motifs.

 


B.  Cadre juridique

 

[35]           L’avocat de Samson a déposé dix volumes (contenant 96 onglets) de textes en mai 2000, au début des déclarations liminaires. Au cours du procès – et même après sa clôture en janvier 2005 – les avocats de toutes les parties ont continué d’approvisionner la Cour en précédents jugés par eux utiles. Je sais gré aux avocats de leurs efforts, qu’on peut qualifier d’herculéens, et de l’excellence de leurs arguments. Toutefois, je crois qu’il est inutile de s’en rapporter à bon nombre des précédents soumis, en ce qui concerne la présente section, puisque la Cour suprême du Canada, dans sa jurisprudence récente, a quelque peu réduit la tâche des juges de première instance en résumant et en énumérant les principes et critères juridiques applicables à l’interprétation des traités, à la preuve sous forme de traditions orales et aux droits ancestraux. Il ne m’est donc pas nécessaire de passer en revue les longs développements de la jurisprudence, et je m’en remettrai plutôt à la sagesse de la Cour suprême sur l’état actuel du droit dans ces domaines.

 

i.  L’interprétation des traités

 


[36]           Le Traité n° 6 fait partie d’une série de traités que le gouvernement a conclus avec divers peuples autochtones, traités souvent appelés traités numérotés, ou traités numérotés de l’Ouest. Les demandeurs Samson ont produit de nombreux témoignages relatifs à la conclusion du Traité n° 6, ainsi qu’aux événements et circonstances historiques qui ont précédé le traité. Un point litigieux soulevé durant l’instruction de cette action s’est rapporté à ce que les Cris croyaient qu’ils abandonnaient lorsqu’ils ont signé le traité. Samson a produit quantité de témoignages concernant ce qu’il est convenu d’appeler la clause de cession territoriale, ou la question de la cession hors réserve. La Couronne a contesté la pertinence de ces témoignages puisqu’il n’est pas revendiqué de droits ancestraux ou de titre autochtone hors réserve. Dans ses conclusions, Samson semble prier la Cour de s’abstenir de tirer des conclusions sur cet aspect. J’examinerai ce point plus en détail dans les présents motifs. Si j’en fais état maintenant, c’est uniquement pour annoncer les principes généraux d’interprétation des traités, tels que ces principes ont été exposés par la Cour suprême du Canada. La signification et l’interprétation du Traité n° 6 ont été soulevées dans ce procès, et j’entends tirer certaines conclusions précises, en me fondant sur la preuve déposée devant la Cour.

 

 

[37]           Dans l’arrêt R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, la juge McLachlin (maintenant juge en chef) exposait les principes régissant l’interprétation des traités. Elle exprimait un avis dissident, mais la vue d’ensemble qu’elle a exposée s’appuyait sur un examen de la jurisprudence. Je relève aussi que la liste qu’elle donne n’est pas limitative. Les principes exposés au paragraphe 78 de l’arrêt R. c. Marshall sont les suivants :



 1.            Les traités conclus avec les Autochtones constituent un type d’accord unique, qui demandent l’application de principes d’interprétation spéciaux : R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393, au par. 24; R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, au par. 78; R c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, à la p. 1043; Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, à la p. 404. Voir également : J. (Sákéj) Youngblood Henderson, « Interpreting Sui Generis Treaties » (1997), 36 Alta. L. Rev. 46; L. I. Rotman, « Defining Parameters : Aboriginal Rights, Treaty Rights, and the Sparrow Justificatory Test » (1997), 36 Alta. L. Rev. 149.

 

 

 

 

 

1.             Aboriginal treaties constitute a unique type of agreement and attract special principles of interpretation: R. v. Sundown, [1999] 1 S.C.R. 393, at para. 24; R. v. Badger, [1996] 1 S.C.R. 771, at para. 78; R. v. Sioui, [1990] 1 S.C.R. 1025, at p. 1043; Simon v. The Queen, [1985] 2 S.C.R. 387, at p. 404.  See also: J. (Sákéj) Youngblood Henderson, “Interpreting Sui Generis Treaties” (1997), 36 Alta. L. Rev. 46; L. I. Rotman, “Defining Parameters: Aboriginal Rights.  Treaty Rights, and the Sparrow Justificatory Test” (1997), 36 Alta. L. Rev. 149. 2.             Les traités doivent recevoir une interprétation libérale, et toute ambiguïté doit profiter aux signataires autochtones : Simon, précité, à la p. 402; Sioui, précité, à la p. 1035; Badger, précité, au par. 52.

 

2.             Treaties should be liberally construed and ambiguities or doubtful expressions should be resolved in favour of the aboriginal signatories: Simon, supra, at p. 402; Sioui, supra, at p. 1035; Badger, supra, at para. 52.

 

 

 

 3.            L’interprétation des traités a pour objet de choisir, parmi les interprétations possibles de l’intention commune, celle qui concilie le mieux les intérêts des deux parties à l’époque de la signature : Sioui, précité, aux pp. 1068 et 1069.

 

3.             The goal of treaty interpretation is to choose from among the various possible interpretations of common intention the one which best reconciles the interests of both parties at the time the treaty was signed: Sioui, supra, at pp. 1068‑69.

 

 

 

 4.            Dans la recherche de l’intention commune des parties, l’intégrité et l’honneur de la Couronne sont présumées : Badger, précité, au par. 41.

 

4.             In searching for the common intention of the parties, the integrity and honour of the Crown is presumed: Badger, supra, at para. 41.

 

 

 

 5.            Dans l’appréciation de la compréhension et de l’intention respectives des signataires, le tribunal doit être attentif aux différences particulières d’ordre culturel et linguistique qui existaient entre les parties : Badger, précité, aux par. 52 à 54; R. c. Horseman, [1990]1 R.C.S. 901, à la p. 907.

 

5.             In determining the signatories’ respective understanding and intentions, the court must be sensitive to the unique cultural and linguistic differences between the parties: Badger, supra, at paras. 52‑54; R. v. Horseman, [1990] 1 S.C.R. 901, at p. 907.

 

 

 

 6.            Il faut donner au texte du traité le sens que lui auraient naturellement donné les parties à l’époque : Badger, précité, aux par. 53 et suiv.; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 36.

 

6.             The words of the treaty must be given the sense which they would naturally have held for the parties at the time: Badger, supra, at paras. 53 et seq.; Nowegijick v. The Queen, [1983] 1 S.C.R. 29, at p. 36.

 

 

 

 7.            Il faut éviter de donner aux traités une interprétation formaliste ou inspirée du droit contractuel : Badger, précité, Horseman, précité, et Nowegijick, précité.

 

7.             A technical or contractual interpretation of treaty wording should be avoided: Badger, supra; Horseman, supra; Nowegijick, supra.

 

 

 

 8.            Tout en donnant une interprétation généreuse du texte du traité, les tribunaux ne peuvent en modifier les conditions en allant au‑delà de ce qui est réaliste ou de ce que « le language utilisé [...] permet » : Badger, précité, au par. 76; Sioui, précité, à la p. 1069; Horseman, précité, à la p. 908.

 

8.             While construing the language generously, courts cannot alter the terms of the treaty by exceeding what “is possible on the language” or realistic: Badger, supra, at para. 76; Sioui, supra, at p. 1069; Horseman, supra, at p. 908

 

 

 


 9.            Les droits issus de traités des peuples autochtones ne doivent pas être interprétés de façon statique ou rigide. Ils ne sont pas figés à la date de la signature. Les tribunaux doivent les interpréter de manière à permettre leur exercice dans le monde moderne. Il faut pour cela déterminer quelles sont les pratiques modernes qui sont raisonnablement accessoires à l’exercice du droit fondamental issu de traité dans son contexte moderne : Sundown, précité, au par. 32; Simon, précité, à la p. 402.

 

9.             Treaty rights of aboriginal peoples must not be interpreted in a static or rigid way.  They are not frozen at the date of signature.  The interpreting court must update treaty rights to provide for their modern exercise.  This involves determining what modern practices are reasonably incidental to the core treaty right in its modern context: Sundown, supra, at para. 32; Simon, supra, at p. 402.

 

 

 

 

 


 

 

[38]           La juge en chef McLachlin a examiné la question de la preuve extrinsèque du contexte historique et culturel d’un traité donné, pour conclure que les tribunaux autorisent la production d’une telle preuve, même s’il n’y a pas d’ambiguïté (voir le paragraphe 81). La juge en chef a exposé une démarche en deux étapes en matière d’interprétation des traités :

 


Le fait qu’il faille examiner tant le texte du traité que son contexte historique et culturel tend à indiquer qu’il peut être utile d’interpréter un traité en deux étapes. Dans un premier temps, il convient d’examiner le texte de la clause litigieuse pour en déterminer le sens apparent, dans la mesure où il peut être dégagé, en soulignant toute ambiguïté et tout malentendu manifestes pouvant résulter de différences linguistiques et culturelles. Cet examen conduira à une ou à plusieurs interprétations possibles de la clause. Comme il a été souligné dans Badger, précité, au par. 76, « la portée des droits issus de traités est fonction de leur libellé ». À cette étape, l’objectif est d’élaborer, pour l’analyse du contexte historique, un cadre préliminaire – mais pas nécessairement définitif – qui tienne compte d’un double impératif, celui d’éviter une interprétation trop restrictive et celui de donner effet aux principes d’interprétation.

 

           The fact that both the words of the treaty and its historic and cultural context must be considered suggests that it may be useful to approach the interpretation of a treaty in two steps.  First, the words of the treaty clause at issue should be examined to determine their facial meaning, in so far as this can be ascertained, noting any patent ambiguities and misunderstandings that may have arisen from linguistic and cultural differences.  This exercise will lead to one or more possible interpretations of the clause.  As noted in Badger, supra, at para. 76, “the scope of treaty rights will be determined by their wording”.  The objective at this stage is to develop a preliminary, but not necessarily determinative, framework for the historical context inquiry, taking into account the need to avoid an unduly restrictive interpretation and the need to give effect to the principles of interpretation.

 

 

 


 



Dans un deuxième temps, le ou les sens dégagés du texte du droit issu de traité doivent être examinés sur la toile de fond historique et culturelle du traité. Il est possible que l’examen de l’arrière‑plan historique fasse ressortir des ambiguïtés latentes ou d’autres interprétations que la première lecture n’a pas permis de déceler. Confronté à une éventuelle gamme d’interprétations, le tribunal doit s’appuyer sur le contexte historique pour déterminer laquelle traduit le mieux l’intention commune des parties. Pour faire cette détermination, le tribunal doit choisir, « parmi les interprétations de l’intention commune qui s’offrent à [lui], celle qui concilie le mieux » les intérêts des parties : Sioui, précité, à la p. 1069. Enfin, si le tribunal conclut à l’existence d’un droit particulier qui était censé se transmettre de génération en génération, le contexte historique peut l’aider à déterminer l’équivalent moderne de ce droit : Simon, précité, aux pp. 402 et 403; Sundown, précité, aux par. 30 et 33.

 

At the second step, the meaning or different meanings which have arisen from the wording of the treaty right must be considered against the treaty’s historical and cultural backdrop.  A consideration of the historical background may suggest latent ambiguities or alternative interpretations not detected at first reading.  Faced with a possible range of interpretations, courts must rely on the historical context to determine which comes closest to reflecting the parties’ common intention.  This determination requires choosing “from among the various possible interpretations of the common intention the one which best reconciles” the parties’ interests: Sioui, supra, at p. 1069.   Finally, if the court identifies a particular right which was intended to pass from generation to generation, the historical context may assist the court in determining the modern counterpart of that right:  Simon, supra, at pp. 402‑3; Sundown, supra, at paras. 30 and 33.

 

 

 

 


 

 

 

 

[39]           Le troisième principe énuméré dans l’arrêt Marshall est celui qui consiste à déterminer ce qu’était l’intention commune des parties lors de la conclusion du traité. Je cite également les propos du juge Binnie dans l’arrêt Marshall, au paragraphe 14, sur l’intention commune :

 


Il ne faut pas confondre les règles « généreuses » d’interprétation avec un vague sentiment de largesse a posteriori. L’application de règles spéciales est dictée par les difficultés particulières que pose la détermination de ce qui a été convenu dans les faits. Les parties indiennes n’ont à toutes fins pratiques pas eu la possibilité de créer leurs propres compte‑rendus écrits des négociations. Certaines présomptions sont donc appliquées relativement à l’approche suivie par la Couronne dans la conclusion des traités (conduite honorable), présomptions dont notre Cour tient compte dans son approche en matière d’interprétation des traités (souplesse) pour statuer sur l’existence d’un traité (Sioui, précité, à la p. 1049), le caractère exhaustif de tout écrit (par exemple l’utilisation du contexte et des conditions implicites pour donner un sens honorable à ce qui a été convenu par traité : Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, et R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393), et l’interprétation des conditions du traité, une fois qu’il a été conclu à leur existence (Badger). En bout de ligne, la Cour a l’obligation « de choisir, parmi les interprétations de l’intention commune [au moment de la conclusion du traité] qui s’offrent à [elle], celle qui concilie le mieux » les intérêts des Mi’kmaq et ceux de la Couronne britannique (Sioui, le juge Lamer, à la p. 1069 (je souligne)).

 

“Generous” rules of interpretation should not be confused with a vague sense of after‑the‑fact largesse.  The special rules are dictated by the special difficulties of ascertaining what in fact was agreed to.  The Indian parties did not, for all practical purposes, have the opportunity to create their own written record of the negotiations.  Certain assumptions are therefore made about the Crown’s approach to treaty making (honourable) which the Court acts upon in its approach to treaty interpretation (flexible) as to the existence of a treaty (Sioui, supra, at p. 1049), the completeness of any written record (the use, e.g., of context and implied terms to make honourable sense of the treaty arrangement: Simon v. The Queen, [1985] 2 S.C.R. 387, and R. v. Sundown, [1999] 1 S.C.R. 393), and the interpretation of treaty terms once found to exist (Badger).  The bottom line is the Court’s obligation is to “choose from among the various possible interpretations of the common intention [at the time the treaty was made] the one which best reconciles” the Mi’kmaq interests and those of the British Crown (Sioui, per Lamer J., at p. 1069 (emphasis added)).

 

 

 

 

 


 

 

 

[40]           Une interprétation généreuse doit être réaliste et rendre compte des intentions des deux parties, pas seulement de la partie autochtone : voir l’avis du juge Lamer (alors juge à la Cour suprême) dans l’arrêt R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, à la page 1069.


 

 

[41]           L’interprétation des traités fait aussi intervenir le principe de l’honneur de la Couronne. Ce principe dérive de l’affirmation de souveraineté de la Couronne en dépit d’une occupation antérieure par les peuples autochtones : voir l’arrêt Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), [2004] A.C.S. n° 69, 2004 C.S.C. 74, au paragraphe 24. L’honneur de la Couronne est un « précepte fondamental » qui trouve application dans des situations concrètes : voir l’arrêt Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] A.C.S. n° 70, 2004 C.S.C. 73, au paragraphe 16. Par ailleurs, l’honneur de la Couronne est toujours en jeu dans ses rapports avec les peuples autochtones : voir l’arrêt R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, au paragraphe 41.

 

 

[42]           La juge en chef McLachlin a expliqué davantage le principe de l’honneur de la Couronne dans l’arrêt Ministre du Revenu national c. Grand Chef Michael Mitchell, [2001] 1 R.C.S. 911, aux paragraphes 17 et 19 :

 

17.           Le deuxième facteur, la nature du conflit entre le droit revendiqué et la loi pertinente, bien que plus neutre, n’écarte pas cette conclusion. La loi en conflit avec le droit revendiqué est la Loi sur les douanes. Elle s’applique tant aux marchandises d’usage personnel qu’aux marchandises d’usage commercial.

 

 

                                                                    * * *

 

 

19.           Je conclus que les facteurs énumérés dans Van der Peet, soit l’acte contesté, la mesure gouvernementale ou la loi avec laquelle il entre en conflit et la pratique ancestrale invoquée, indiquent tous que la revendication en l’espèce est caractérisée à juste titre comme étant le droit de transporter des marchandises à travers la frontière entre le Canada et les États‑Unis, par le fleuve Saint‑Laurent, à des fins commerciales.

 


 

 

ii.  L’histoire anecdotique

 

[43]           Dans les cas qui requièrent l’interprétation d’un traité, la perspective et la compréhension de la population autochtone doivent être prises en compte. L’histoire anecdotique (les récits oraux), la tradition orale et toute autre preuve extrinsèque peuvent offrir des éclaircissements; toutefois, elles soulèvent aussi d’importantes difficultés de preuve.

 

 

[44]           Dans l’arrêt R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, au paragraphe 68, le juge en chef Lamer écrivait que, lorsqu’ils sont saisis de revendications autochtones, les tribunaux doivent aborder les règles de preuve en gardant à l’esprit les difficultés inévitables que présente la preuve dans les affaires de ce genre :

 


Pour déterminer si un demandeur autochtone a produit une preuve suffisante pour établir que ses activités sont un aspect d’une coutume, pratique ou tradition qui fait partie intégrante d’une culture autochtone distinctive, le tribunal doit appliquer les règles de preuve et interpréter la preuve existante en étant conscient de la nature particulière des revendications des autochtones et des difficultés que soulève la preuve d’un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n’étaient pas consignées par écrit. Les tribunaux doivent se garder d’accorder un poids insuffisant à la preuve présentée par les demandeurs autochtones simplement parce que cette preuve ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple.

 

 

In determining whether an aboriginal claimant has produced evidence sufficient to demonstrate that her activity is an aspect of a practice, custom or tradition integral to a distinctive aboriginal culture, a court should approach the rules of evidence, and interpret the evidence that exists, with a consciousness of the special nature of aboriginal claims, and of the evidentiary difficulties in proving a right which originates in times where there were no written records of the practices, customs and traditions engaged in.  The courts must not undervalue the evidence presented by aboriginal claimants simply because that evidence does not conform precisely with the evidentiary standards that would be applied in, for example a private law torts case.

 

 

 


 


 

[45]           Le juge en chef Lamer a revu l’année suivante, dans un arrêt qui allait faire date, Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, les commentaires qu’il avait faits dans l’arrêt Van der Peet. Dans l’arrêt Delgamuukw, la Cour suprême a jugé qu’une mauvaise appréciation de la valeur probante d’une tradition orale équivalait à une erreur de droit qui justifiait qu’une cour d’appel intervienne. Le juge en chef Lamer écrivait, au paragraphe 81 que l’approche qu’il avait exposée dans l’arrêt Van der Peet se justifiait par la nature même des droits ancestraux, droits qui visent à concilier l’occupation antérieure de l’Amérique du Nord par les sociétés autochtones avec l’affirmation de souveraineté de la Couronne sur le territoire du Canada.

 

 

[46]           La Cour suprême reconnaissait les difficultés que causait le recours à l’histoire anecdotique comme preuve de faits historiques. Néanmoins, les règles de preuve doivent être adaptées pour tenir compte de ce genre de preuve et le placer sur le même pied que d’autres genres plus courants de preuve historique (voir l’arrêt Delgamuukw, au paragraphe 87). La prise en compte de cette preuve doit se faire d’une manière qui ne soit pas en porte‑à‑faux avec la structure juridique et constitutionnelle du Canada (voir l’arrêt Delgamuukw, au paragraphe 82).

 

 

[47]           Dans l’arrêt Mitchell c. Canada (Ministre du Revenu national), [2001] 1 R.C.S. 911, la juge en chef McLachlin réexaminait la question des récits oraux comme moyen de preuve. La juge en chef exposait ainsi, aux paragraphes 27 à 34, les critères de la recevabilité de ce genre de preuve :


 

(1)           La preuve ‑‑ Comment établir des droits ancestraux

 

 

¶ 27         La revendication de droits ancestraux soulève des difficultés de preuve intrinsèques et uniques. Les demandeurs doivent établir les caractéristiques de leur société avant le contact avec les Européens, par‑delà des siècles et sans l’aide d’écrits. Reconnaissant ces difficultés, notre Cour a fait une mise en garde contre la possibilité de rendre illusoires les droits protégés par le par. 35(1) en imposant un fardeau de preuve impossible à ceux qui revendiquent cette protection (Simon c. La Reine, 1985 IIJCan 11 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 387, p. 408). Ainsi, dans Van der Peet, précité, la majorité de la Cour affirme que « le tribunal doit appliquer les règles de preuve et interpréter la preuve existante en étant conscient de la nature particulière des revendications des autochtones et des difficultés que soulève la preuve d’un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n’étaient pas consignées par écrit » (par. 68).

 

 

¶ 28         Ce principe s’applique à la fois à l’admissibilité de la preuve et à l’appréciation des récits oraux autochtones (Van der Peet, précité; Delgamuukw, précité, par. 82).

 

 

a)             L’admissibilité de la preuve dans les revendications de droits ancestraux

 

 

¶ 29         Les tribunaux rendent leurs décisions en se fondant sur la preuve. Ce principe fondamental s’applique aux revendications autochtones comme à toute autre revendication. Van der Peet et Delgamuukw réaffirment la continuité des règles de preuve avec la mise en garde de les appliquer avec souplesse, d’une façon adaptée aux difficultés inhérentes à de telles réclamations et à la promesse de conciliation confirmée au par. 35(1). Cette souplesse d’application des règles de preuve permet, par exemple, l’admission de preuves d’activités postérieures au contact avec les Européens, qui visent à établir la continuité avec les pratiques, coutumes et traditions antérieures au contact (Van der Peet, précité, par. 62) et l’examen utile de diverses formes de récits oraux (Delgamuukw, précité).

 

 

¶ 30         L’adaptation souple des règles traditionnelles de preuve au défi de rendre justice dans les revendications autochtones n’est qu’une application du principe traditionnel selon lequel les règles de preuve n’ont rien d’ « immuable et n’ont pas été établies dans l’abstrait » (R. c. Levogiannis, 1993 IIJCan 47 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 475, p. 487). Elles s’inspirent plutôt de principes larges et souples, appliqués dans le but de promouvoir la recherche de la vérité et l’équité. Les règles de preuve devraient favoriser la justice, et non pas y faire obstacle. Les différentes règles d’admissibilité de la preuve reposent sur trois idées simples. Premièrement, la preuve doit être utile au sens où elle doit tendre à prouver un fait pertinent quant au litige. Deuxièmement, la preuve doit être raisonnablement fiable; une preuve non fiable est davantage susceptible de nuire à la recherche de la vérité que de la favoriser. Troisièmement, même une preuve utile et raisonnablement fiable peut être exclue à la discrétion du juge de première instance si le préjudice qu’elle peut causer l’emporte sur sa valeur probante.

 

 


¶ 31         Dans Delgamuukw, la majorité, tenant compte de ces principes, conclut que les règles de preuve doivent être adaptées aux récits oraux, mais elle n’impose pas leur admissibilité générale ni la valeur que devrait leur accorder le juge des faits; elle souligne plutôt que l’admissibilité doit être décidée cas par cas (par. 87). Les récits oraux sont admissibles en preuve lorsqu’ils sont à la fois utiles et raisonnablement fiables, sous réserve toujours du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance de les exclure.

 

 

¶ 32         Les récits oraux autochtones peuvent satisfaire au critère de l’utilité de deux façons. Premièrement, ils peuvent offrir une preuve de pratiques ancestrales et de leur importance, qui ne pourrait être obtenue autrement. Il peut n’exister aucun autre moyen d’obtenir la même preuve, compte tenu de l’absence d’archives contemporaines. Deuxièmement, les récits oraux peuvent fournir le point de vue autochtone sur le droit revendiqué. Sans cette preuve, il serait peut‑être impossible de se faire une idée exacte de la pratique autochtone invoquée ou de sa signification pour la société en question. Il n’est pas facile après 400 ans de déterminer quelles pratiques existaient et de distinguer les caractéristiques principales et déterminantes d’une culture de celles qui sont marginales. L’identité culturelle est une question subjective difficile à saisir : voir R. L. Barsh et J. Y. Henderson, « The Supreme Court’s Van der Peet Trilogy: Naive Imperialism and Ropes of Sand » (1997), 42 R.D. McGill 993, p. 1000; et J. Woodward, Native Law (feuilles mobiles), p. 137. Voir aussi Sparrow, précité, p. 1103; Delgamuukw, précité, par. 82‑87; et J. Borrows, « The Trickster: Integral to a Distinctive Culture » (1997), 8 Forum Constitutionnel 27.

 

 

¶ 33         Le deuxième facteur à examiner dans la détermination de l’admissibilité de la preuve dans les affaires autochtones est la fiabilité : le témoin est‑il une source raisonnablement fiable pour l’histoire du peuple en cause? Le juge de première instance n’est pas tenu de rechercher une garantie spéciale de fiabilité. Cependant, pour les questions de l’admissibilité de la preuve et, si elle est admise, du poids à lui accorder, il peut être approprié de s’enquérir de la connaissance du témoin des traditions et de l’histoire autochtones transmises oralement et de sa capacité de témoigner sur celles‑ci.

 

 

¶ 34         Pour déterminer l’utilité et la fiabilité des récits oraux, les juges doivent se garder de faire des suppositions faciles fondées sur les traditions eurocentriques de collecte et de transmission des traditions et des faits historiques. Les récits oraux reflètent les perspectives et les cultures distinctives des communautés dont ils sont issus et ne devraient pas être écartés pour le simple motif qu’ils ne sont pas conformes aux attentes d’un point de vue non autochtone. D’où les mises en garde énoncées dans Delgamuukw de ne pas rejeter à la légère des récits oraux pour la simple raison qu’ils ne transmettent pas la vérité « historique », comportent des éléments mythologiques, manquent de détails précis, renferment des données tangentielles au processus judiciaire ou se limitent à la communauté dont ils retracent l’histoire.

 

 

 

 

[48]           La juge en chef écrivait ce qui suit, aux paragraphes 36 à 39, à propos de l’interprétation et de l’appréciation de la preuve dans les revendications de droits ancestraux :

 


b)             L’interprétation de la preuve dans les revendications de droits ancestraux

 

 

¶ 36         Le deuxième aspect de la démarche de l’arrêt Van der Peet en matière de preuve, un aspect plus litigieux en l’espèce, se rapporte à l’interprétation et à l’appréciation de la preuve présentée à l’appui de revendications autochtones une fois qu’elle a satisfait au critère d’admissibilité. Pour la plupart, les règles de preuve concernent les questions d’admissibilité et les moyens par lesquels les faits peuvent être établis. J. Sopinka et S. N. Lederman font remarquer que [TRADUCTION] « [l]a question de la valeur à accorder à de tels faits ne [...] se prête pas facilement à l’établissement de règles précises. En conséquence, il n’existe pas de principes absolus qui régissent l’appréciation de la preuve par le juge de première instance » (The Law of Evidence in Civil Cases (1974), p. 524). Notre Cour n’a pas essayé d’établir des « règles précises » ou des « principes absolus » régissant l’interprétation ou l’appréciation de la preuve dans les revendications autochtones. Cette réticence est appropriée parce que cette tâche relève généralement du juge de première instance, qui est le mieux placé pour apprécier la preuve présentée et qui possède donc une grande latitude à cet égard. En outre, l’appréciation de la preuve est un exercice propre à l’affaire dont le tribunal est saisi.

 

 

¶ 37         Quoi qu’il en soit, la présente affaire nous oblige à clarifier les principes généraux énoncés dans Van der Peet et Delgamuukw quant à l’appréciation de la preuve dans les revendications de droits ancestraux. L’obligation pour les tribunaux d’interpréter et d’apprécier la preuve en étant conscients de la nature particulière des revendications autochtones est essentielle à la protection réelle des droits prévus au par. 35(1). Comme le juge en chef Lamer l’a noté dans Delgamuukw, l’admission en preuve de récits oraux représente une reconnaissance creuse du point de vue autochtone lorsque ces éléments de preuve sont par la suite systématiquement sous‑estimés ou privés de toute valeur probante indépendante (par. 98). Il est donc impératif que les règles de preuve garantissent que « les tribunaux accordent le poids qui convient » au point de vue des autochtones (par. 84).

 

 

¶ 38         Encore une fois, cependant, il faut souligner qu’être conscient de la nature particulière des revendications autochtones n’empêche pas d’appliquer les principes généraux de preuve. S’il ne faut pas sous‑estimer la preuve présentée à l’appui des revendications autochtones, il ne faut pas non plus l’interpréter ou l’apprécier d’une manière fondamentalement contraire aux principes du droit de la preuve qui, en matière d’appréciation de la preuve, correspondent souvent aux [TRADUCTION] « principes généraux de bon sens » (Sopinka et Lederman, op. cit., p. 524). Comme le souligne le juge en chef Lamer dans Delgamuukw, au par. 82 :

 

 

[L]es droits ancestraux sont véritablement des droits sui generis qui exigent, quant au traitement de la preuve, une approche unique, accordant le poids qu’il faut au point de vue des peuples autochtones. Toutefois, l’adaptation doit se faire d’une manière qui ne fasse pas entorse à « l’organisation juridique et constitutionnelle du Canada » [Van der Peet, par. 49]. Les deux principes exposés dans Van der Peet ‑‑ premièrement, le fait que les tribunaux de première instance doivent aborder les règles de preuve en tenant compte des difficultés de preuve inhérentes à l’examen des revendications de droits ancestraux, et, deuxièmement, le fait que les tribunaux de première instance doivent interpréter cette preuve dans le même esprit ‑‑ doivent être compris dans ce contexte.

 

 


¶ 39         Il y a une limite à ne pas franchir entre l’application éclairée des règles de preuve et l’abandon complet de ces règles. Comme le note le juge Binnie dans le contexte des droits issus de traités, « [i]l ne faut pas confondre les règles "généreuses" d’interprétation avec un vague sentiment de largesse a posteriori » (R. c. Marshall, 1999 IIJCan 665 (C.S.C.), [1999] 3 R.C.S. 456, par. 14). En particulier, la démarche de l’arrêt Van der Peet n’a pas pour effet d’augmenter la force probante de la preuve soumise à l’appui d’une revendication autochtone. La preuve à l’appui des revendications autochtones, comme la preuve produite dans n’importe quelle affaire, peut couvrir toute la gamme des forces probantes, de la preuve hautement convaincante à la preuve hautement contestable. Il faut encore établir le bien‑fondé des revendications sur la base d’une preuve convaincante qui démontre leur validité selon la prépondérance des probabilités. Dire qu’il faut accorder « le poids qui convient » au point de vue autochtone ou s’assurer que la preuve à l’appui de ce point de vue est placée sur un « pied d’égalité » avec les types de preuve plus familiers, c’est précisément dire ce que cela veut dire : un traitement égal et approprié. Si la preuve des demandeurs autochtones ne devrait pas être sous‑estimée « simplement parce [qu’elle] ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple » (Van der Peet, précité, par. 68), on ne devrait pas non plus la faire ployer artificiellement sous plus de poids que ce qu’elle peut raisonnablement étayer. Si cette proposition est évidente, il faut néanmoins l’énoncer.

 

 

 

 

[49]           Les juges du fond se heurtent à une difficulté considérable lorsqu’il s’agit pour eux d’entendre, de comprendre et d’analyser l’histoire anecdotique en tant que preuve et de lui accorder le poids qui convient.

 

 


[50]           Au cours du procès, Samson a produit une preuve considérable par la bouche d’aînés cris et d’autres témoins cris. Ces témoins se sont exprimés sur la conclusion du Traité n° 6, sur la perspective crie, ainsi que sur la culture et le territoire des Cris. Samson a aussi produit un témoignage d’expert sur l’histoire anecdotique. Mme Winona Wheeler s’est exprimée sur le cadre théorique et culturel à l’intérieur duquel il faut envisager un récit oral ou une tradition orale, encore qu’elle n’ait appliqué son propos à aucune des traditions orales présentées à la Cour. La Couronne a produit le témoignage de M. Alexander von Gernet; il a notamment analysé le contenu de certaines des traditions orales présentées à la Cour. Je m’étendrai davantage sur cet aspect lorsqu’il sera question des témoins et de leurs témoignages. Je me limiterai à dire à ce stade que ce fut un défi presque redoutable que d’apprécier à leur juste valeur ces témoignages pour conjecturer ce qui arriva lors du contact avec les Européens, et même avant, ainsi que le cours des événements ultérieurs.

 

iii.  Droits ancestraux

 

[51]           Dans la présente affaire, la nation de Samson dit qu’elle a un droit ancestral de gérer ses ressources ‑‑ son pétrole et son gaz ‑‑ ainsi que les redevances qu’elles génèrent. Elle semble aussi revendiquer un droit général à l’autonomie gouvernementale. Dans sa déclaration modifiée (n° 4), Samson affirme ce qui suit :

 

[traduction]

7.             Conformément au Traité n° 6, la demanderesse, la nation indienne de Samson, a conservé ses droits comme nation, qui comprennent notamment son droit à l’autodétermination, dont le droit de déterminer sa propre composition, lesquels droits sont reconnus, confirmés et protégés sur le plan constitutionnel par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

 

7A.          La nation crie de Samson existait comme nation en 1876 et 1877 et elle a été reconnue comme telle par la Couronne dans le Traité n° 6 et dans l’Adhésion de 1877 au Traité n° 6, consentie par Kiskaquin (ou Bobtail) au nom de la nation crie de Samson, et elle continue d’exister comme nation.

 

 

7B.          La nation crie de Samson possédait et continue de posséder des droits et pouvoirs ancestraux ou inhérents en ce qui a trait à la gouvernance, à l’appartenance, à la fiscalité, au commerce et à la gestion de ses ressources et revenus. Ces droits et pouvoirs inhérents ont été confirmés par le Traité n° 6, par la Proclamation royale de 1763, par les traités conclus avec la Compagnie de la Baie d’Hudson et par divers instruments constitutionnels.

 

 

                                                                    * * *

 

 


63.           Par ailleurs, les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens violent, contredisent et enfreignent la Loi constitutionnelle de 1982, en particulier ses articles 15, 25 et 35, et il est opportun que les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens soient déclarés invalides, inconstitutionnels, nuls et sans effet en ce qui concerne les demandeurs et les sommes confiées pour eux à la défenderesse, Sa Majesté, ou, subsidiairement, qu’ils soient déclarés inapplicables sur le plan constitutionnel aux demandeurs et à leurs deniers, ou déclarés subordonnés aux droits ancestraux ou issus de traités des demandeurs.

 

 

 

 

[52]           Les droits ancestraux revendiqués intéressent aussi des sujets abordés dans la phase deux (intitulée Administration de l’argent des Indiens) de ce procès, mais le contexte historique et factuel a été examiné, pour l’essentiel, dans la phase un. Il convient donc d’examiner dès maintenant, ne serait‑ce que brièvement, la jurisprudence relative aux droits ancestraux.

 

 

[53]           Dans l’arrêt Mitchell, la juge en chef s’est exprimée, aux paragraphes 12 à 15, sur les critères permettant d’établir un droit ancestral et de le qualifier :

 


12         Dans les arrêts charnières R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, et Delgamuukw, précité, notre Cour confirme ces principes et énonce le critère permettant d’établir l’existence d’un droit ancestral. Comme le par. 35(1) vise à concilier l’occupation antérieure de l’Amérique du Nord par des sociétés autochtones avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne, le critère d’existence d’un droit ancestral est axé sur les caractéristiques déterminantes qui font partie intégrante de ces sociétés. Au strict essentiel, le demandeur autochtone doit établir l’existence d’une pratique, tradition ou coutume moderne qui a un degré raisonnable de continuité avec les pratiques, traditions ou coutumes qui existaient avant le contact avec les Européens. La pratique, coutume ou tradition doit avoir « fait [...] partie intégrante de la culture distinctive » autochtone, au sens où elle doit avoir distingué ou caractérisé leur culture traditionnelle et avoir été au coeur de leur identité. Elle doit être une « caractéristique déterminante » de la société autochtone, de sorte que la culture en cause serait « fondamentalement modifiée » sans elle. Il doit s’agir d’une caractéristique qui a une « importance fondamentale » dans la culture du peuple autochtone, qui « véritablement faisait de la société ce qu’elle était » (Van der Peet, précité, par. 54‑59; souligné dans l’original). Cela exclut les pratiques, les traditions et les coutumes qui sont seulement marginales ou d’importance secondaire pour l’identité culturelle de la société autochtone, et met l’accent sur les pratiques, les traditions et les coutumes qui sont nécessaires à la vie, à la culture et à l’identité de la société autochtone en question.

 

 

¶ 13         Une fois établie l’existence d’un droit ancestral, il faut déterminer si l’acte qui est à l’origine du litige est une expression de ce droit. Les droits ancestraux ne sont pas figés dans l’état où ils se trouvaient avant le contact avec les Européens : ils peuvent trouver une expression moderne. La question est de savoir si l’acte contesté constitue l’exercice moderne d’une pratique, coutume ou tradition ancestrale.

 

 

B.            Quel est le droit ancestral revendiqué?

 

 

¶ 14         Avant de pouvoir déterminer si l’existence d’un droit ancestral a été établie, il faut caractériser le droit revendiqué. L’événement à l’origine du litige n’est que l’exercice allégué d’un droit sous‑jacent; il ne révèle pas, en soi, la portée du droit revendiqué. Il faut donc déterminer la nature du droit revendiqué. Cette étape initiale de la définition est axée sur la nature véritable de la revendication, et non sur l’évaluation de son bien‑fondé ou de la preuve présentée à son appui.

 

 

¶ 15         Dans Van der Peet, précité, par. 53, la majorité énonce trois facteurs qui devraient guider le tribunal dans la caractérisation d’un droit ancestral revendiqué : (1) la nature de l’acte qui, selon le demandeur, a été accompli en vertu d’un droit ancestral; (2) la nature de la loi ou de l’autre mesure gouvernementale qu’il dit porter atteinte au droit, c.‑à‑d. le conflit entre la revendication et la restriction; et (3) les traditions et pratiques ancestrales invoquées pour établir l’existence du droit. Le droit revendiqué doit être caractérisé en contexte et ne doit pas être déformé en fonction du résultat désiré. Il ne faut ni l’étendre ni le restreindre artificiellement. Une caractérisation trop étroite risque d’entraîner le rejet de revendications valides et une caractérisation trop large risque de déformer le droit en ne tenant pas compte de la culture et de l’histoire particulière de la société à laquelle appartient le demandeur : voir R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821.

 

 

 

 

[54]           Le droit ancestral revendiqué doit donc d’abord être défini ou qualifié. Il ne saurait être décrit d’une manière imprécise ou générale. Dans l’arrêt R. c. Van der Peet, au paragraphe 69, le juge en chef Lamer écrivait ce qui suit :

 


Le tribunal saisi d’une revendication fondée sur l’existence d’un droit ancestral doit s’attacher spécifiquement à l’examen des coutumes, pratiques et traditions du groupe autochtone qui revendique ce droit. Dans Kruger, précité, notre Cour a rejeté l’idée que les revendications de droits ancestraux pouvaient être tranchées de manière générale. Cette position est bien fondée. L’existence d’un droit ancestral dépend entièrement des coutumes, pratiques et traditions de la collectivité autochtone qui revendique le droit. Comme il a été dit plus tôt, même si les droits ancestraux sont des droits constitutionnels, cela n’enlève rien au fait capital que les intérêts que les droits ancestraux sont censés protéger se rapportent à l’histoire spécifique du groupe qui revendique le droit. Les droits ancestraux n’ont pas un caractère général et universel. Leur portée et leur contenu doivent être déterminés au cas par cas. Le fait qu’un groupe autochtone possède le droit ancestral de faire une chose donnée ne permet pas, à lui seul, d’établir qu’une autre collectivité autochtone a le même droit. L’existence du droit en question dépendra de la situation spécifique de chaque collectivité autochtone.

 

 

 

 

[55]           Les points suivants, je le fais observer, peuvent être trouvés dans les prononcés de la Cour suprême sur le droit tel qu’il se rapporte aux droits ancestraux. D’abord, le revendicateur doit prouver qu’une pratique, tradition ou coutume contemporaine présente un degré raisonnable de continuité par rapport à une pratique, tradition ou coutume qui existait avant le contact avec les Européens. Deuxièmement, la pratique, tradition ou coutume doit avoir été « partie intégrante de la culture distinctive » du groupe autochtone; elle distinguait ou caractérisait leur culture et résidait au coeur de leur identité. Troisièmement, les droits ancestraux ne sont pas figés dans leur forme antérieure au contact avec les Européens, mais peuvent plutôt être exercés sous une forme contemporaine, pour autant que leur exercice contemporain soit rattaché à la pratique, tradition ou coutume ancestrale.

 


C. Témoins

i.  Les témoins experts

1. Pour les demandeurs

Le professeur Arthur Ray

 

[56]           Le professeur Ray a présenté un rapport intitulé « The Economic Background to Treaty 6 » et un rapport en réfutation intitulé « Commentary on Report of Dr. Thomas Flanagan » (rapports tous deux produits sous la cote S‑3). Le professeur Ray a obtenu son doctorat en géographie historique en 1971 à l’Université du Wisconsin, pour sa thèse intitulée « Indian Exploitation of the Forest‑Greenland Transition Zone in Western Canada, 1650‑1860: A Geographical View of Two Centuries of Change ». Il occupe le rang de professeur et enseigne au Département d’histoire de l’Université de la Colombie‑Britannique depuis 1981. Il a donné de nombreux cours au Département d’histoire et a publié abondamment, notamment l’ouvrage intitulé Indians in the Fur Trade. Le professeur Ray était habilité à témoigner au procès en tant que [traduction] « spécialiste de la géographie historique des peuples autochtones du Canada, un accent particulier étant mis sur le commerce des fourrures et l’histoire économique des peuples autochtones du Canada, y compris les Indiens cris des Plaines ».

 

Mme Joan Holmes

 


[57]           Mme Holmes, une attachée de recherche, a présenté un rapport intitulé « A History of Aboriginal Transborder Activity from Lake of the Woods to the Rocky Mountains, 1790‑1900 » et un rapport en contre‑réfutation intitulé « Response to Professor Alexander von Gernet’s Rebuttal of ‘A History of Aboriginal Transborder Activity from Lake of the Woods to the Rocky Mountains, 1790‑1900' » (rapports tous deux produits sous la cote S‑12). Mme Holmes détient une maîtrise en études nordiques et autochtones, obtenue à l’Université Carleton en 1983. De 1983 jusqu’à au moins la date de son témoignage, à l’automne de 2000, Mme Holmes a été présidente du cabinet Joan Holmes and Associates Inc., consultants en droits ancestraux et revendications territoriales. Elle était habilitée à témoigner au procès en tant que [traduction] « consultante et analyste spécialisée dans les revendications autochtones et dans les relations entre la Couronne et les Premières nations durant la seconde moitié du XVIIe siècle et durant les XVIIIe, XIXe et XXe siècles, selon ce que révèlent les documents d’archives, notamment les documents d’archives portant sur les politiques, les lois et les pratiques administratives fédérales relatives aux affaires indiennes en général et aux usages observés par les Indiens en particulier, dans la traversée de frontières et les transports, et selon ce que révèlent aussi les récits publiés de négociants, de missionnaires, de voyageurs, d’explorateurs, de fonctionnaires ainsi que d’observateurs contemporains et de sources secondaires ».

 

M. Bob Beal

 


[58]           M. Bob Beal, un historien, a présenté un rapport d’expert intitulé « Treaty Relationships and Treaty Six » et un rapport en réfutation intitulé « Response to ‘Expert Report of Dr. Thomas Flanagan’ » (S‑17). M. Beal a obtenu une maîtrise en histoire à l’Université de l’Alberta en 1993. Il se décrit, sur son curriculum vitae, comme historien, rédacteur et auteur indépendant. Il est, avec Rod Macleod, l’un des auteurs de l’ouvrage intitulé Prairie Fire: the 1885 North‑West Rebellion. M. Beal était habilité à témoigner au procès en tant que [traduction] « historien dont la spécialisation englobe le développement de relations conventionnelles britanno‑canadiennes avec les Premières nations durant les dix‑huitième et dix‑neuvième siècles, un accent particulier étant mis sur les relations conventionnelles entre les Britanniques et les peuples Wabanaki au cours du dix‑huitième siècle, les relations conventionnelles entre le Canada et les Premières nations des Prairies au cours du dix‑neuvième siècle, le commerce des peaux de bison et les conditions socioéconomiques qui avaient cours dans les Prairies canadiennes durant les décennies 1870 et 1880, et en particulier dans le contexte de la Rébellion du Nord‑Ouest de 1885 ».

 

M. Carl Beal

 


[59]           M. Carl Beal (aucun lien de parenté avec Bob Beal) a présenté un rapport d’expert et un rapport en réfutation, le premier intitulé « Report on the Treaty Promises and Breaches, Treaty 6, Hobbema Agency ‑ 1877‑1930s » et le second intitulé « Rebuttal Report to Thomas Flanagan’s ‘Analysis of Plaintiffs’ Experts’ Reports in the Case of Chief Victor Buffalo v. Her Majesty the Queen et al.’ » (S‑31). M. Beal a obtenu son doctorat en économie à l’Université du Manitoba en 1995, après avoir défendu sa thèse de doctorat intitulée « Money, Markets and Economic Development in Indian Reserve Communities in Saskatchewan, 1870‑1930s ». À la date de son témoignage, en novembre et décembre 2000, M. Beal était professeur agrégé d’études indiennes au Saskatchewan Indian Federated College, membre de la faculté des arts et membre de la faculté des études supérieures et de la recherche de l’Université de Regina. M. Beal était habilité à témoigner au procès en tant que [traduction] « spécialiste de l’histoire économique de la période allant de 1815 à 1950 dans les Territoires du Nord‑Ouest, aujourd’hui l’Alberta et la Saskatchewan ».

 

Le professeur Douglas Sanders

 

[60]           Le professeur Sanders, un juriste et historien du droit, a présenté un rapport d’expert intitulé « Historical Thinking and Practice on the Relationship between Indian Tribes and the Crown in Canada » (S‑49). Il a obtenu sa maîtrise en droit à l’Université de la Californie à Berkeley en 1963. Il a exercé le droit à Vancouver de 1964 à 1969, et à Victoria de 1975 à 1977. Il a été professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université de Windsor de 1969 à 1972. Il a été directeur du Centre du droit des Autochtones à l’Université Carleton de 1972 à 1974. Il a été conseiller juridique et coordonnateur de la recherche pour l’Union des chefs indiens de la Colombie‑Britannique, de 1974 à 1975. À la date de son témoignage, en janvier 2001, il était professeur de droit à l’Université de la Colombie‑Britannique depuis 1977. Son curriculum vitae indique ses principaux domaines d’enseignement : peuples indigènes, fédéralisme, droits de l’homme au niveau international, et sexualité. Le professeur Sanders était habilité à témoigner au procès en tant que [traduction] « historien du droit ayant une connaissance particulière de la politique comparée et des développements internationaux se rapportant aux peuples indigènes, un accent particulier étant mis sur l’évolution de la politique gouvernementale au Canada en ce qui a trait aux peuples autochtones, y compris le rôle des traités et le développement de la politique publique se rapportant à l’autonomie gouvernementale des Autochtones ».

 


Le professeur H. C. Wolfart

 

[61]           Le professeur Wolfart, un linguiste, a présenté un rapport d’expert intitulé « Linguistic Aspects of Treaty Six » et un rapport en contre‑réfutation intitulé « Aspects of Linguistics » (S‑68). Le professeur Wolfart a obtenu une maîtrise ès arts de l’Université Cornell en 1967. Il a aussi obtenu une maîtrise ès arts en 1966, une maîtrise ès arts en philosophie en 1967, et un doctorat en philosophie en 1969 de l’Université Yale. Depuis 1969, le professeur Wolfart enseigne à l’Université du Manitoba. De 1969 à 1972, il a été professeur adjoint et, de 1972 à 1977, professeur agrégé, et dans les deux cas il enseignait la linguistique et l’anthropologie. De 1977 à 1984, il a été professeur de linguistique et d’anthropologie, et il a été chef du Département d’anthropologie de 1977 à 1978. Il a été professeur de linguistique de 1969 à 1987, puis chef du Département de linguistique de 1987 à 1996. De 1993 jusqu’à au moins la date de son témoignage, en mars et avril 2001, il a occupé le rang de professeur émérite de linguistique. Son curriculum vitae (S‑66) indique qu’il a passablement publié, notamment dans le domaine de la linguistique algonquine, et plus particulièrement celui de la langue crie. Le professeur Wolfart était habilité à témoigner au procès en qualité de [traduction] « spécialiste de la linguistique générale et historique, de l’histoire de la linguistique, un accent particulier étant mis sur les méthodes linguistiques et philologiques, de l’analyse linguistique des Cris et de l’analyse des textes et de leurs structures ».

 


Mme Winona Wheeler

 

[62]           Mme Wheeler a présenté un rapport intitulé « Indigenous Oral Tradition Histories, An Academic Predicament » (S‑217) et un rapport en contre‑réfutation intitulé « Surrebuttal to Dr. Alexander von Gernet’s ‘Comments on Winona Wheeler’s Indigenous Oral Tradition Histories, An Academic Predicament’ » (S‑299). Elle a obtenu une maîtrise ès arts en histoire à l’Université de la Colombie‑Britannique en 1988. Elle a obtenu un doctorat en études américaines ethniques et autochtones à l’Université de Californie à Berkeley en 2000, après avoir soutenu une thèse intitulée « Decolonizing Tribal Histories ». De 1988 jusqu’à la date de son témoignage en novembre 2001, Mme Wheeler a occupé le rang de professeur adjoint, celui de professeur agrégé et celui de professeur auxiliaire au Département des études américaines autochtones de l’Université de la Saskatchewan. De juillet 2001 jusqu’à au moins la date de son témoignage, elle a été doyenne intérimaire et professeur agrégé au Département des études indiennes du campus de Saskatoon du Saskatchewan Indian Federated College. Mme Wheeler a enseigné une diversité de matières au Saskatchewan Indian Federated College et à l’Université de la Saskatchewan et elle a de nombreuses publications à son actif. Elle était habilitée à témoigner au procès en qualité de [traduction] « spécialiste des études américaines autochtones, un accent particulier étant mis sur les récits oraux comparés et sur le traitement scientifique des récits oraux indigènes ».

 


Le professeur Leroy Little Bear

 

[63]           Le professeur Little Bear a présenté un rapport d’expert intitulé « Aboriginal Paradigms: Implications for Relationships to Land and Treaty Making » (S‑223). Il a obtenu un baccalauréat ès arts à l’Université de Lethbridge en 1971 et un doctorat en droit à l’Université de l’Utah en 1975. Il a été professeur agrégé à l’Université de Lethbridge de 1975 à 1996, au Département des études américaines autochtones, qu’il avait été au départ invité à mettre sur pied. Il a présidé le département durant presque toute la durée de ses fonctions à l’Université. Le professeur Little Bear a enseigné le droit, la philosophie autochtone et le développement économique. Il a aussi été directeur du programme américain autochtone à l’Université Harvard durant l’année 1998. À la date de son témoignage en octobre 2001, il était professeur invité à l’Université de Lethbridge. Il était habilité à témoigner au procès en qualité de [traduction] « professeur autochtone d’études autochtones et éducateur spécialisé dans les études américaines autochtones, un accent particulier étant mis sur la philosophie, la culture, les valeurs et les coutumes des Indiens des Plaines, ainsi que sur l’optique autochtone en matière foncière, sociale et culturelle, et sur l’incidence de tout ce qui précède sur les relations entre Autochtones et Européens, y compris la conclusion de traités ».

 


2. Pour les défendeurs

M. Thomas Flanagan

 

[64]           M. Flanagan, un politologue, a présenté un rapport intitulé « Analysis of Plaintiffs’ Experts’ Reports in the Case of Chief Victor Buffalo v. Her Majesty the Queen et al. » (C‑286) et un rapport en réfutation du rapport du professeur Wolfart (C‑287). M. Flanagan a obtenu son doctorat en sciences politiques à l’Université Duke en 1970, pour son mémoire intitulé « Robert Musil and the Second Reality ». Il a enseigné au Département des sciences politiques de l’Université de Calgary de 1968 jusqu’à au moins la date de son témoignage, en janvier et mai 2002. Il est devenu professeur en 1979 et a occupé la charge de chef du département de 1982 jusqu’à 1987. De 1988 à 1990, il a été conseiller du recteur pour les politiques. M. Flanagan a occupé la charge de directeur des politiques, de la stratégie et des communications, puis celle de directeur de la recherche pour le Parti réformiste du Canada, de 1991 à 1992. À la date de son témoignage en mai 2002, il a indiqué qu’il demanderait un détachement de l’Université de Calgary afin de devenir directeur des opérations pour le cabinet du chef de l’Opposition à Ottawa. M. Flanagan a de nombreuses publications à son actif, et notamment l’ouvrage First Nations? Second Thoughts (C‑277). Il était habilité à témoigner au procès en qualité de [traduction] « politologue et historien dont la spécialisation comprend l’histoire politique de l’Ouest canadien en général et l’histoire des relations entre Autochtones et gouvernement en particulier, y compris les traités et l’administration des programmes publics. Il est également spécialisé dans l’utilisation des méthodes de recherche historique, notamment l’analyse et l’interprétation des documents historiques de source primaire ».

 


M. Alexander von Gernet

 

[65]           M. von Gernet, un anthropologue, a présenté les rapports suivants : « Aboriginal Oral Documents and Treaty Six » (C‑341); « An Assessment of Certain Evidence Relating to Plains Cree Practices » (C‑323), rapport présenté en réfutation du rapport de Mme Holmes; « Cree Territory at the Time of First European Contact » (C‑322); « Comments on Winona Wheeler’s ‘Indigenous Oral Tradition Histories, An Academic Predicament’ » (C‑321); et « Treaty Six: An Assessment of the Written and Oral Documents » (C‑320), rapport qui, je le mentionne, remplace et actualise un rapport antérieur (C‑342). M. von Gernet a obtenu un doctorat en anthropologie à l’Université McGill en 1989, où il s’est spécialisé en ethnohistoire et en archéologie des peuples autochtones d’Amérique du Nord. Depuis 1989, il enseigne au Département d’anthropologie de l’Université de Toronto, au campus de Mississauga, où il est professeur auxiliaire. Il a conseillé à plusieurs reprises le gouvernement du Canada à l’égard de questions autochtones; il a aussi déposé comme témoin expert, notamment dans l’affaire Benoit c. Canada, [2002] A.C.F. n° 257. M. von Gernet était habilité à témoigner au procès en qualité de [traduction] « anthropologue et ethnohistorien spécialisé dans l’emploi et l’analyse des traces archéologiques, des écrits et des traditions orales permettant de reconstituer l’histoire et les cultures passées des peuples autochtones (y compris les Cris), ainsi que l’histoire du contact entre les peuples autochtones et les nouveaux arrivants européens dans tout le Canada ».

 

ii.  Les aînés

Pour les demandeurs


 

[66]           En juin 2000, la Cour a siégé durant trois semaines dans la réserve de la nation crie de Samson, à Hobbema, en Alberta. Cinq aînés cris du territoire du Traité n° 6 ont témoigné. Chacun d’eux a été présenté par un membre de la communauté crie qui s’est porté garant de la réputation et du statut de l’aîné au sein de la communauté crie élargie. Clifford John Crier, un membre de la nation crie de Samson, a été choisi par les aînés de Samson pour agir comme Oskapewsak, ou auxiliaire, pour les aînés. Il a été le premier témoin au procès. M. Crier a décrit la méthode par laquelle le témoignage des aînés avait été recueilli, y compris l’usage du protocole et des cérémonies (C‑1092, onglet 2).

 

 

[67]           Eric Tootoosis, de la nation Poundmaker (C‑1092, onglet 3), a présenté le premier aîné à témoigner, l’aîné Pete Waskahat (C‑1092, onglet 4). L’aîné Waskahat est membre de la nation crie du lac Frog. Il a relaté une partie des premiers temps de la nation crie, a parlé des lois cries et de la vie des Cris avant le Traité n° 6 et a relaté aussi une tradition orale se rapportant à la conclusion du Traité n° 6 au Fort Pitt.

 

 


[68]           Cherrilene Steinhauer, de la nation crie du lac Saddle (C‑1092, onglet 5), a présenté l’aînée Margaret Quinney (C‑1092, onglet 6). L’aînée Quinney, membre de la Première nation du lac Frog, a parlé du peuple cri et de sa spiritualité. L’aînée a fait le récit oral d’un jeune garçon protégé par son grand‑père, un ours, et aussi le récit des bisons et de leur rôle dans la culture crie. L’aînée Quinney a aussi rapporté une tradition orale concernant la conclusion du Traité n° 6 au Fort Pitt.

 

 

[69]           Rita Okanee, de la nation crie Thunderchild (C‑1092, onglet 7), a été la présentatrice de l’aîné Jacob Bill (C‑1092, onglet 8). L’aîné Bill, un membre de la nation du lac Chachakew (lac Pelican), a parlé de la spiritualité, des cérémonies et des lois des Cris. Il a aussi rapporté une tradition orale concernant les négociations du Traité n° 6 au Fort Carlton.

 

 

[70]           Linda Oldpan a été la présentatrice suivante (C‑1092, onglet 9). À la lecture des transcriptions, il est difficile de dire si elle est membre de la nation crie de Samson, l’avocat lui ayant demandé simplement si elle était de Hobbema, ce à quoi elle a répondu par l’affirmative. Quoi qu’il en soit, elle a présenté l’aînée Amelia Potts, qui est membre de la nation crie de Samson (C‑1092, onglet 10). L’aînée a parlé de la vie des Cris avant leur contact avec les Européens et a rapporté une tradition orale concernant la Rébellion du Nord‑Ouest de 1885 et la fuite ultérieure de Gros Ours et de ses partisans depuis Battleford jusqu’à Maskwachees.

 

 


[71]           Le chef Ben Weeni, de la réserve de Sweet Grass (C‑1092, onglet 11), a présenté le dernier aîné à être entendu durant la session tenue au sein de la nation crie de Samson, l’aîné Solomon Stone (C‑1092, onglet 12). L’aîné Stone est membre de la nation Mosquito et il est Assiniboine. Il a rapporté une tradition orale, qui comprenait une chanson, à propos de la Rébellion du Nord‑Ouest.

 

 

[72]           Trois autres aînées de Samson ont témoigné en mai 2001 : Pearl Crier, Justine Simon et Monica Soosay. Elles ont parlé de leurs généalogies, en se déclarant, elles et leurs familles, descendantes de Kanatakasu (le chef Samson) et de Maskepetoon. Elles ont aussi parlé de la culture et du mode de vie des Cris.

 

 

[73]           Thomas Cardinal, un aîné de la Première nation du lac Saddle, a témoigné à propos des coutumes, des traditions et du mode de vie des Cris, ainsi que du Traité n° 6.

 

iii.  Témoins ordinaires

Pour les demandeurs

 

[74]           La Cour a entendu le témoignage de Barb Louis, membre de la nation crie de Samson. Mme Louis a témoigné à propos du peuple de Samson, de sa langue, de sa culture, de ses cérémonies, de son territoire et de son histoire. Elle a aussi décrit l’organisation actuelle de l’administration, des activités et autres entités de la nation crie de Samson.

 

 

[75]           Walter Lightning, lui aussi membre de la nation crie de Samson, a parlé de son arbre généalogique, de la culture des Cris des Plaines, de leur philosophie, de leurs traditions, de leur protocole, de leurs cérémonies, de leurs fêtes et de leurs coutumes. Il a évoqué son travail au Maskwachees Cultural College (MCC), situé dans la réserve de la nation crie de Samson, en particulier son travail se rapportant aux entrevues magnétoscopées de certains aînés, dont l’aîné Waskahat. Il a aussi relaté à la Cour certaines traditions orales, y compris des récits liés au traité.

 

 

[76]           La Cour a entendu les témoignages de trois anciens ministres du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC). David Crombie a été ministre de septembre 1984 jusqu’à la fin de juin 1986. John Munro a été membre du Cabinet durant environ 15 ans; il a agi comme ministre du MAINC de 1980 jusqu’à 1984. Warren Allmand, a été ministre du MAINC de septembre 1976 à octobre 1977. Il a aussi été membre du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’autonomie gouvernementale des Indiens, plus connu sous le nom de Comité Penner. M. Allmand a aussi témoigné à propos du développement de la démocratie et des droits de la personne à l’échelle internationale, en sa qualité de président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique (droits et démocratie).

 

 


[77]           Bruce Cutknife, un membre de la nation crie de Samson, a parlé de sa généalogie, de la culture des Cris des Plaines, de leur protocole, de leurs cérémonies et de leurs traditions. Il a parlé de son travail au MCC. M. Cutknife a aussi parlé de la phonétique crie, ainsi que d’une carte qui indiquait des endroits portant des noms cris en Alberta et en Saskatchewan.

 

 

[78]           La Cour a aussi entendu le témoignage de Harvey Buffalo, un membre de la nation crie de Samson. Il a évoqué plusieurs généalogies, notamment son arbre généalogique et les arbres généalogiques Dion‑Buffalo. M. Buffalo a parlé de listes de personnes ayant droit aux rentes prévues par les traités, d’un recensement du gouvernement fédéral de 1901, de Kanatakasu et de Maskepetoon.

 

 

[79]           Deux témoins de Samson, Steve Skakum et Jerry Saddleback, ont témoigné à propos de certains aînés qui étaient décédés. Des entrevues magnétoscopées de ces aînés ont été produites comme pièces (S‑132, S‑199, S‑202, S‑203, S‑204 et S‑205). Ces témoins ont tous deux travaillé au MCC et connaissaient bien le programme du MCC se rapportant aux enregistrements magnétoscopés des aînés.

 

 


[80]           La Cour a entendu le témoignage de M. Peter Meekison. Il a parlé surtout de son expérience personnelle de commissaire à la Commission royale sur les peuples autochtones du Canada (la CRPA). Il a parlé du mandat de la CRPA, de son cadre de référence, du déroulement de ses audiences, de son rapport final, enfin du rapport ultérieur du gouvernement fédéral. M. Meekison a aussi parlé de son expérience de conseiller du gouvernement de l’Alberta durant les conférences constitutionnelles des années 1980, ainsi que des pourparlers constitutionnels entourant l’Accord du lac Meech et l’Accord de Charlottetown.

 

 

[81]           Sol Sanderson vient de la bande James Smith et, lors de son témoignage, il était chef de la nation Chakastaypasin, une bande qui n’est pas enregistrée selon la Loi sur les Indiens. Il a parlé de la culture des Cris des Plaines, de leur spiritualité, et de leur interprétation du Traité n° 6. Il a aussi parlé de son rôle personnel dans le travail politique et les questions constitutionnelles se rapportant aux Premières nations.

 

 

[82]           Arrol Crier, un membre de la nation crie de Samson, a rapporté à la Cour plusieurs traditions orales. Les récits concernaient la chasse, l’organisation sociale, les traditions, Maskepetoon, Kanatakasu et Katochat.

 

 

[83]           Vivian Samson, un autre membre de la nation crie de Samson, a parlé de ses ancêtres et en particulier de son aïeul Kanatakasu, ou Samson. Elle a rapporté à la Cour certaines traditions orales relatives à Kanatakasu et Maskepetoon.

 

 

[84]           L’ancien premier ministre, le très honorable Jean Chrétien, a témoigné au nom de Samson en février 2004. Son témoignage a englobé des sujets relevant des deux phases du procès. Il a parlé des réunions de consultation de 1968 relatives à la Loi sur les Indiens, du Livre blanc de 1969, du Livre rouge de 1970, de diverses mesures fédérales prises durant les années 1970 et concernant la Loi sur les Indiens, du régime des taux d’intérêt applicable à l’argent des Indiens et des modifications apportées à la méthodologie de ce régime, de son rôle dans les droits ancestraux ou issus de traités, ainsi que de l’interprétation qu’il en donnait, des développements constitutionnels, de la position du Canada concernant les traités, enfin des tentatives de modification de la Loi sur les Indiens durant les années 1990.

 

D.  Contexte historique

 

i.  La conclusion de traités en Ontario et dans l’Ouest

La période antérieure aux traités Robinson

 

[85]           Dans son rapport d’expert, le professeur Ray écrivait :

 

[traduction]

Jusqu’à la fin de la guerre de 1812, le Haut‑Canada était très vulnérable aux attaques des forces américaines. C’est pourquoi la recherche du soutien autochtone est demeurée l’une des pierres angulaires de la politique britannique jusqu’en 1816. Les gouvernements coloniaux ont pour cette raison observé la pratique consistant à suivre les directives exposées dans la Proclamation royale de 1763 pour la cession du titre autochtone. Ces principes étaient les suivants :

 

 

1. Les cessions devaient être volontaires.

 

 

2. La terre ancestrale ne pouvait être cédée qu’à la Couronne.


 

3. Les négociations devaient se dérouler en public, au cours de réunions expressément convoquées pour la négociation des cessions du titre.

 

 

(S‑4, pages 37‑38)

 

 

 

[86]           Les traités de la période antérieure aux traités Robinson, négociés avec les groupes Ojibway dans ce qui s’appelait alors le Haut‑Canada et l’Ouest canadien, portaient essentiellement sur l’achat de terres par le gouvernement. Le professeur Ray s’est exprimé ainsi :

 

[traduction]

Donc, pour les premiers traités, il s’agissait simplement de ce que l’on appelait « de simples achats », et les Autochtones signaient les traités. Ils recevaient un paiement non récurrent, en espèces ou en marchandises, pour la cession de leurs terres, et ils se déplaçaient tout simplement un peu plus vers le Nord.

 

 

(Transcription, volume 23, page 2943)

 

 

[87]           Les traités antérieurs aux traités Robinson sont dignes d’attention parce qu’ils ne prévoyaient pas de rentes, de réserves ou de droits de subsistance (par exemple des clauses relatives à la chasse et à la pêche). Ces traités étaient motivés par le désir du gouvernement d’acquérir des terres pour la colonisation et le développement agricole (transcription, volume 23, page 2947).

 

 

[88]           Après 1818, la Couronne britannique modifia sa politique en décrétant qu’il reviendrait aux colonies d’assumer le prix des terres autochtones. Les gouvernements coloniaux n’avaient cependant pas les ressources nécessaires pour de tels achats. Sir Peregrine Maitland, lieutenant‑gouverneur du Haut‑Canada, trouva une solution. Au lieu d’un paiement forfaitaire, le gouvernement colonial verserait aux Indiens – ceux qui signaient les traités et leurs descendants – des rentes perpétuelles. Les sommes affectées aux rentes proviendraient des intérêts payés par les promoteurs fonciers et les colons qui plus tard achèteraient les terres au gouvernement.

 

 

[89]           Avec le temps cependant, les terres sur lesquelles pouvaient s’installer les Ojibway se rétrécissaient considérablement. Ainsi naquit la pratique consistant à mettre de côté des réserves. Selon le professeur Ray, les missionnaires et les réformateurs sociaux étaient très favorables à l’idée que les Autochtones disposent de leur propre territoire de manière à garantir leur bien‑être économique futur.

 

Les traités Robinson de 1850

 


[90]           Les traités antérieurs aux traités Robinson avaient été motivés par la quête de terres pour le développement agricole et colonial, mais les traités Robinson de 1850 avaient pour origine les grandes richesses minérales découvertes dans la région supérieure des Grands Lacs. Déjà durant les années 1840, des non‑Autochtones développaient des mines de cuivre le long des rives du lac Huron et du lac Supérieur. La colonie du Canada, formée par l’union du Haut‑Canada et du Bas‑Canada en 1840, commença à délivrer des permis d’exploitation minière, alors qu’elle n’avait obtenu des populations autochtones aucune cession territoriale dans la région. Le professeur Ray a témoigné que les Ojibway délivraient eux aussi leurs propres permis d’exploitation minière (transcription, volume 23, page 2949). Comme l’on ne savait pas qui avait le droit de délivrer ces permis, les Métis et les Ojibway saisirent les biens de la Compagnie minière de Québec, à la baie Mica, en 1849, afin de contraindre le gouvernement colonial à s’asseoir à la table de négociations.

 

 

[91]           Des pressions étaient aussi exercées par le gouverneur général du Canada, James Bruce, 8e comte d’Elgin, en faveur de la négociation de traités. Il écrivit au secrétaire des Colonies à Londres, pour dénoncer la pratique du Canada consistant à émettre des permis d’exploitation minière pour des régions où aucune cession territoriale n’avait été obtenue.

 

 

[92]           Finalement, le gouvernement colonial envoya des arpenteurs, puis des représentants chargés de négocier des traités. Il en résulta le Traité Robinson‑Lac Supérieur et le Traité Robinson‑Lac Huron, signés en septembre 1850. Dans son rapport d’expert, le professeur Ray écrivait :

 

[traduction]

Ces deux traités englobaient davantage de territoires que ne le faisaient ensemble toutes les cessions antérieures consenties dans le Haut‑Canada. Fait révélateur, les accords Robinson comprenaient tous les principaux éléments des traités antérieurs – des rentes, une distribution de cadeaux à la fin des négociations, et l’établissement de réserves – et quelques nouvelles dispositions très importantes. L’ajout le plus significatif était la garantie écrite selon laquelle les peuples autochtones pourraient toujours pratiquer la chasse, le piégeage et la pêche sur les terres non développées de la Couronne, comme ils l’avaient toujours fait de temps immémorial.


 

                                                                                                        [Souligné dans l’original.]

 

 

(S‑3, page 40)

 

 

[93]           Les traités Robinson réglaient aussi la question des gisements miniers qui pouvaient se trouver dans les réserves autochtones :

 

Et si les dits chefs et leurs tribus respectives désirent en aucun temps vendre aucune partie des dites réserves, ou d’aucun minerai ou autres productions précieuses d’icelles, les dites réserves seront vendues ou données à bail sur leur demande par le surintendant général des affaires des Sauvages pour le temps d’alors ou tout autre officier étant autorisé à faire pour leur seul bénéfice et leur meilleur avantage.

 

 

(Morris, S‑4, Traité Robinson‑Lac Huron, page 305; voir page 303, pour une disposition semblable du Traité Robinson‑Lac Supérieur)

 

Les traités numérotés, 1 ‑ 5

Pressions en faveur de la négociation de traités

 


[94]           Le potentiel économique de la Terre de Rupert commença de retenir l’attention des promoteurs après la conclusion des premiers traités dans l’Est. L’intérêt pour le développement s’intensifia aussi à la suite de nouvelles émanant de deux expéditions scientifiques vers le territoire à la fin de la décennie 1850. Le capitaine John Palliser, voyageur et aventurier chevronné, mena une expédition soutenue par les Britanniques. Henry Youle Hind, professeur de chimie et de géologie à l’Université de Toronto, dirigea une équipe avec le soutien du gouvernement de l’Ouest canadien. L’Ouest américain était assez développé, mais l’on n’en savait guère sur la Terre de Rupert, abstraction faite du monde des négociants en fourrures et de leurs alliés autochtones. Les Prairies étaient encore très sauvages et faiblement peuplées. Les expéditions permirent d’en savoir davantage sur les plantes, les animaux, le climat, le sol, le terrain, les minéraux et les rivières du territoire. Le territoire fut observé au regard du potentiel qu’il offrait pour l’agriculture et le développement, et l’on imagina de possibles voies de circulation. Palliser voulait trouver une voie commode à travers les Rocheuses jusqu’à l’océan Pacifique. Au début du XIXe siècle, le négociant en fourrures et explorateur David Thompson avait marqué un itinéraire à travers ces montagnes; cependant, c’était plus loin vers le Nord, par‑delà le col Athabasca.

 

 


[95]           Leurs récits, selon le professeur Ray, furent déterminants dans la décision de l’International Financial Society (IFS) – un consortium de banquiers européens et d’émetteurs de titres – d’acheter le contrôle de la Compagnie de la Baie d’Hudson (la CBH) en 1863. L’IFS réémit les actions de la CBH à l’occasion d’un important appel public à l’épargne; les actions furent rapidement achetées par ceux qui espéraient tirer un bénéfice rapide de la vente imminente par la CBH de la Terre de Rupert au gouvernement canadien ou au gouvernement britannique. Le gouvernement britannique n’avait cependant aucune intention d’acheter la terre. Le Canada finit par acheter le territoire pour la somme de 300 000 £ (1,5 million de dollars canadiens), beaucoup moins que la somme espérée par l’IFS. Selon les termes de l’Acte de cession de 1870, la CBH conservait ses postes de traite et les terres environnantes, un vingtième des terres de la zone fertile (décrite dans l’Acte comme la terre limitée au sud par la frontière américaine, au nord par la rivière Saskatchewan Nord, à l’ouest par les montagnes Rocheuses et à l’est par le lac Winnipeg, le lac des Bois et leurs eaux communicantes), ainsi qu’une garantie contre les « taxes exceptionnelles » sur son commerce, sa terre et ses employés. Le décret, daté du 23 juin 1870, qui officialisait la mutation, renfermait un article prévoyant que la CBH était déchargée de toute revendication des populations autochtones au titre d’une indemnité pour les terres requises à des fins de colonisation; cette obligation était désormais assumée par le Canada (S‑3, appendice 3).

 

 

[96]           Les populations autochtones du territoire furent scandalisées par la vente et craignirent pour leur avenir. L’insurrection de la rivière Rouge, déclenchée par les Métis au Manitoba en 1869‑1870, en fut l’une des répercussions. Elle a conduit notamment à la Loi de 1870 sur le Manitoba et à la naissance de la province du Manitoba. Elle eut aussi un effet perturbateur parmi les populations autochtones de l’Ouest (transcription, volume 23, page 2988).

 

 

[97]           Les événements survenus au sud de la frontière jouèrent aussi un rôle dans la forme qu’allait prendre la négociation des traités dans l’Ouest. De 1860 à 1890, le gouvernement des États‑Unis était engagé dans les guerres contre les Indiens sur sa frontière occidentale. Hind a décrit ces événements dans son rapport :

 

[traduction]


Au Canada, les revendications des Indiens ont causé beaucoup d’ennuis, de grandes dépenses et des enquêtes interminables, et encore aujourd’hui elles ne sont pas toutes réglées et demeurent source de nombreuses dépenses accessoires pour le gouvernement, dépenses qui auraient pu être évitées si de bonnes dispositions avaient été prises au bon moment. Dans la Terre de Rupert, où des Indiens rebelles peuvent influencer les tribus sauvages des Prairies et éveiller chez eux l’hostilité, c’est un sujet de première importance; une guerre ouverte avec les Sioux, les Assiniboines, les Cris des Plaines ou les Pieds‑Noirs, risque de rendre d’un abord difficile durant de nombreuses années une vaste région des Prairies et d’exposer les colons à de constantes alarmes et déprédations. Les guerres indiennes dans lesquelles s’est engagé le gouvernement des États‑Unis au cours du dernier demi‑siècle ont coûté infiniment plus que ne l’auraient fait les rentes les plus libérales ou les mesures les plus complètes d’amélioration de la condition des aborigènes; et, s’agissant des tribus des Prairies du Nord, la guerre peut toujours éclater dans un délai de 24 heures.

 

 

(S‑3, page 44)

 

 

[98]           Le récit de Hind évoque le rôle de la CBH comme force stabilisatrice dans la Terre de Rupert. Les relations et alliances autochtones avec la CBH, qui remontaient dans certains cas à des centaines d’années, avaient permis de préserver la paix; cependant, l’agitation grandissante des Indiens causée par le nombre croissant de colons et le nombre décroissant de bisons menaçait cette paix.

 

 

[99]           Par ailleurs, les Cris des Plaines étaient considérés à l’époque comme une menace militaire. Le 28 décembre 1870, le négociant Richard Hardisty, de la CBH, écrivait à William Christie, régisseur principal du district de la CBH en Saskatchewan, pour lui exposer ses préoccupations :

 

[traduction]

En référence à votre lettre du 15 novembre concernant les Indiens, je vous donnerai maintenant mon avis, fondé sur ma propre observation, en ce qui a trait à leur commerce et à leur mécontentement actuel envers les Blancs du District de la Saskatchewan.

 

 


Vu l’état actuel non protégé du pays, le commerce avec les Indiens des Plaines est une perte sèche pour l’entreprise. Comme il avait été d’usage, avant l’arrivée des négociants dans le district, d’approvisionner à crédit ces Indiens, cela s’est poursuivi plus ou moins jusqu’à maintenant; tant que les Indiens ne pouvaient s’adresser qu’à la compagnie pour s’approvisionner, ils étaient dans une certaine mesure surveillés et s’efforçaient parfois de payer leurs dettes. Maintenant, ils exigent des fournitures sans avoir aucune intention de les payer, et ils vont même jusqu’à menacer d’abattre nos animaux et même davantage si un refus leur est opposé.

 

 

Depuis quelques années, un grand nombre de Métis mécontents vivent parmi les Indiens et font tout ce qu’ils peuvent pour semer des germes de discorde dans l’esprit des Indiens et, en outre, comme les bisons se sont raréfiés ces dernières années, beaucoup d’Indiens sont réceptifs quand on leur dit que les Blancs qui arrivent dans le pays sont la cause de la disparition des bisons et que la Compagnie est à blâmer pour ce changement. S’ils pouvaient faire obstacle à l’établissement des Blancs dans le pays, ils le feraient volontiers.

 

 

Les Indiens des Plaines, aussi loin que je me souvienne, ont toujours considéré les Blancs et les Métis comme des agresseurs sur leurs terres quand ils envahissent les Plaines pour faire des provisions, mais, comme nous avons toujours eu pour principe de compter parmi eux des hommes loyaux agissant comme guides et chasseurs, aucune collusion très sérieuse ne s’est jamais manifestée, mais, dernièrement, les choses ont évolué considérablement et, comme je l’ai dit plus haut, les désordres de la rivière Rouge ont sensiblement modifié l’attitude des Indiens dans cette partie du pays et, de plus, la variole ayant emporté tant de leurs amis, une catastrophe qu’ils imputent aux Blancs, il semble régner une indifférence négligente quant à l’avenir et l’on dirait que nul ne se soucie de savoir quand les troubles pourraient éclater.

 

 

Durant le mois d’octobre, alors que les hommes libres de Victoria étaient dans les Plaines, un groupe de Cris des Plaines est arrivé dans leur camp avec l’intention délibérée de les mettre à sac et même d’aller plus loin si nécessaire, mais les Cris ont alors constaté que les hommes libres s’étaient armés et étaient résolus à leur résister et ils ont alors jugé inutile de tenter quoi que ce soit. Si le groupe de Cris avait été plus important, cet incident aurait probablement conduit à un bain de sang.

 

 

Je suis d’avis que, dès qu’un afflux de Blancs arrivera dans le pays, et en particulier des mineurs, et si aucune protection n’est rapidement envoyée dans le pays ou si la loi n’est pas appliquée, ce qui sera dommage autant pour les Indiens que pour les Blancs, et même davantage, alors le pays sera entraîné dans un conflit avec les Indiens dont aucun d’entre nous ne verra peut‑être la fin.

 

 

(S‑3, pages 52‑53)

 

 

 


[100]       Le 13 avril 1871, Christie recevait la visite de plusieurs chefs cris, dont Sweet Grass, un chef cri très en vue. Christie envoya une lettre, portant cette date‑là, au lieutenant‑gouverneur Adams Archibald au Fort Garry, Établissement de la rivière Rouge. Les messages de quatre chefs cris, traduits en anglais, étaient annexés à la lettre. Christie joignait aussi une note renfermant un avertissement. Je cite le document dans son intégralité, car il ajoute considérablement au contexte historique des pressions grandissantes pour la conclusion de traités dans le territoire :

 

[traduction]

                                                                                   Maison d’Edmonton, le 13 avril 1871.

 

 

Le 13 courant (avril), j’ai eu la visite des chefs cris, représentant les Cris des Plaines depuis cet endroit jusqu’à Carlton, accompagnés par quelques partisans.

 

 

L’objet de leur visite était de vérifier si leurs terres avaient été vendues ou non et quelle était l’intention du gouvernement canadien à leur sujet. Ils ont évoqué l’épidémie qui avait sévi durant tout l’été passé, ainsi que la famine qui en avait résulté, la pauvreté de leur pays, la diminution visible du troupeau de bisons, qui était leur unique moyen de subsistance, puis ils ont fini par demander certains présents sur‑le‑champ, en me priant d’exposer leur cas devant le représentant de Sa Majesté au Fort Garry. De nombreux récits sont parvenus à ces Indiens par diverses filières, depuis même le transfert des Territoires du Nord‑Ouest au Dominion du Canada, et ils étaient très impatients de m’entendre dire ce qui était arrivé.

 

 

Je leur ai dit que le gouvernement canadien n’avait encore fait aucune utilisation de leurs terres ou de leurs terrains de chasse et que, lorsque de quelque manière on aurait besoin d’eux, des commissaires seraient tout probablement envoyés au préalable pour traiter avec eux et que jusque‑là ils devraient demeurer tranquilles et vivre en paix avec tous les hommes. Je leur ai dit aussi que le Canada, dans ses traités avec les Indiens conclus jusqu’à ce jour, avait composé avec eux très libéralement et qu’ils étaient maintenant dans des logements permanents et vivaient dans l’aisance, et que je n’avais aucun doute qu’en m’installant avec eux la même politique libérale serait suivie.

 

 

Comme je savais qu’ils avaient entendu maintes histoires exagérées sur les soldats de la rivière Rouge, l’occasion m’était donnée de leur dire pourquoi des soldats avaient été envoyés; et, si Sa Majesté avait envoyé des soldats vers la Saskatchewan, c’était autant pour la protection des Indiens que pour celle de l’homme blanc, et le rôle de ces soldats était d’assurer l’ordre public.

 

 


Ils furent très satisfaits des explications données et ont dit qu’ils accueilleraient favorablement la civilisation. Comme leurs exigences étaient satisfaites et que des présents leur étaient donnés, ainsi qu’à leurs partisans immédiats, et aux jeunes hommes laissés au camp, ils sont partis très heureux ce jour‑là, avec de belles promesses pour l’avenir. Lors d’une entrevue ultérieure, tenue avec les chefs seulement, ils m’ont demandé de consigner par écrit leurs mots ou leurs messages pour leurs vénérés maîtres de la rivière Rouge. Je me suis donc exécuté et j’ai transmis les messages comme ils avaient été délivrés. Des copies de la proclamation émise, interdisant la vente de boissons alcoolisées aux Indiens ou autres, et l’utilisation de la strychnine dans la destruction de la vie animale, ont été reçues et dûment rendues publiques. Mais, en l’absence d’un pouvoir d’appliquer ces lois, il est presque inutile de les publier ici; et je saisis cette occasion pour demander très instamment, au nom des préposés de la Compagnie, ainsi que des colons de ce district, qu’une protection soit assurée pour les vies et les biens ici dès que possible, et que des commissaires soient envoyés pour conférer avec les Indiens au nom du gouvernement canadien.

 

 

 

 

 

MÉMOIRES :

 

 

Si je n’avais pas accédé aux exigences des Indiens – en leur donnant quelques petits présents – et ne leur avais pas donné satisfaction, je n’ai aucun doute qu’ils auraient commis des actes violents, et, si tel avait été le cas, il y aurait eu le début d’une guerre indienne, dont il est difficile de dire quand elle aurait pris fin.

 

 

Les bisons seront bientôt exterminés et, lorsque la famine s’installera, ces tribus indiennes des Plaines se rabattront sur les forts et les établissements de la baie d’Hudson pour obtenir secours et assistance. S’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent ou si aucune mesure n’est prise pour les approvisionner, alors très certainement ils se serviront eux‑mêmes; et comme il n’y a ni force ni loi là‑bas pour protéger les colons, ils devront soit se soumettre au pillage sans réagir, soit perdre leurs vies dans la défense de leurs familles et de leurs biens, avec la quasi‑certitude de ne pas en réchapper.

 

 

De l’or pourrait être découvert en des quantités marchandes un jour sur la pente est des montagnes Rocheuses. Nous avons, au Montana et dans les établissements miniers proches de notre ligne frontière, une importante population frontalière mixte, qui n’attend que le signal d’une découverte d’or pour se précipiter en Saskatchewan et, en l’absence d’un gouvernement établi ou de lois en vigueur dans cette région, ou en l’absence d’une force apte à protéger les Blancs ou les Indiens, on sait fort bien ce qui arrivera.

 

 

Je crois que la protection de l’ordre public dans le District de la Saskatchewan, et cela dès que possible, est d’une importance cruciale pour l’avenir du pays et pour l’intérêt du Canada, tout comme la négociation d’un traité ou d’un compromis avec les Indiens qui habitent le District de la Saskatchewan.

 

 

                                                                                    W.J. CHRISTIE, régisseur principal,

 

 

                                                            En charge du District de la Saskatchewan,

 

 

                                                                                           Compagnie de la Baie d’Hudson.

 

 

                                                                                                __________________

 

 

 

 

 

Messages des chefs cris des Plaines, en Saskatchewan, à Son Excellence le gouverneur Archibald, représentant de notre Vénérée Mère au Fort Garry, Établissement de la rivière Rouge.


 

1.  Le chef Sweet Grass, chef du pays.

 

 

                VÉNÉRÉ PÈRE, – je vous serre la main et vous souhaite la bienvenue. Nous avons entendu dire que nos terres ont été vendues et nous n’aimons pas cela; nous ne voulons pas vendre nos terres; elles sont notre bien et nul n’a le droit de les vendre.

 

 

                Notre pays est en train de perdre ses animaux à fourrure, jusqu’à maintenant notre seul moyen de subsistance, et maintenant nous sommes pauvres et avons besoin d’aide – nous vous demandons d’avoir pitié de nous. Nous voulons du bétail, des outils, des instruments aratoires et une aide pour tout lorsque nous deviendrons sédentaires – notre terre n’est plus en mesure de nous faire vivre.

 

 

                Aidez‑nous à sortir de plusieurs années de famine. Nous avons connu une grande famine l’hiver dernier, et la variole a emporté beaucoup de nos gens, vieux, jeunes ou en bas âge.

 

 

Nous vous demandons d’empêcher les Américains de venir faire du commerce sur nos terres et de donner de l’alcool, des munitions et des armes à nos ennemis, les Pieds‑Noirs.

 

 

Nous avons fait la paix cet hiver avec les Pieds‑Noirs. Nos jeunes hommes sont insensés, elle ne durera sans doute pas longtemps.

 

 

Nous vous invitons à venir nous voir et à parler avec nous. Si vous ne pouvez pas venir vous‑même, envoyez quelqu’un à votre place.

 

 

Nous faisons envoyer ce message par notre maître, M. Christie, en qui nous mettons toute notre confiance. – C’est tout.

 

 

 

 

 

2.  Ki‑he‑win, L’Aigle.

 

 

                VÉNÉRÉ PÈRE, – Soyons amis. Nous n’avons jamais versé le sang de l’homme blanc et avons toujours été en bons termes avec les Blancs, et nous voulons que les travailleurs, les charpentiers et les fermiers nous aident lorsque nous nous sédentariserons. Je voudrais que mon frère, Sweet Grass, obtienne tout ce qu’il demande. C’est tout.

 

 

 

 

 

3.  Le Petit Chasseur.

 

 

                Vous, mon frère, le grand chef de la rivière Rouge, traitez‑moi comme un frère, c’est‑à‑dire comme un grand chef.

 

 

 

 

 

4.  Kis‑ki‑on, ou Courte Queue.


 

Mon frère, les temps approchent, je regarde vers vous comme si je vous voyais; prenez‑moi en pitié, j’ai besoin d’aide pour cultiver la terre pour moi‑même et mes descendants. Venez nous voir.

 

 

(S‑4, Morris, pages 169‑171)

 

 

[101]       Dans son recueil sur les traités, Morris incluait une lettre, datée du 3 novembre 1871, adressée par le commissaire des Indiens Wemyss Simpson au Secrétaire d’État. Dans l’extrait, Simpson aborde la connaissance qu’ont les Indiens d’autres traités, tout en soulignant l’importance de conclure un traité afin de préserver la paix. Il écrivait ce qui suit :

 

[traduction] Je voudrais aussi appeler l’attention de Son Excellence sur l’état des affaires dans le pays indien de Saskatchewan. La nouvelle selon laquelle Sa Majesté traite avec les Indiens Chippaouais a déjà atteint les oreilles des tribus cries et pieds‑noirs. Dans le voisinage de Fort Edmonton, sur la Saskatchewan, la population de mineurs et autres Blancs est en forte croissance, et M. W.J. Christie, l’officier en charge du District de la Saskatchewan, est d’avis qu’un traité avec les Indiens de cette région, ou du moins une assurance durant l’année à venir qu’un traité sera prochainement conclu, est essentiel pour la paix de la région, sinon pour sa conservation effective.

 

(S‑4, page 168)

 

 

[102]       Le lieutenant‑gouverneur Morris partageait les mêmes inquiétudes à propos de la menace militaire potentielle que faisaient peser les Cris. Le 2 août 1873, il écrivait ce qui suit à Alexander Campbell, sous‑ministre de l’Intérieur :

[traduction]


Le nombre d’Indiens à l’ouest de Fort Ellice (endroit jusqu’où des traités ont été conclus avec les Indiens) est considérable. Je me suis renseigné auprès de personnes susceptibles de connaître ce nombre, par exemple l’évêque Granden, le père André, l’honorable Pascal Breland, l’honorable J. McKay et d’autres. Me fondant sur ces sources d’information, je crois que les nombres d’Indiens habitant le pays des Plaines sont les suivants : Pieds‑Noirs (une tribu très belliqueuse, bien armée et équipée de chevaux) : 7 000. Cris des Plaines (une autre tribu belliqueuse, pour l’heure en paix avec ses ennemis héréditaires, les Pieds‑Noirs) : 5 000. Assiniboines : 2 000. Total = 14 000.

 

 

Mais ces chiffres sont susceptibles de connaître une forte augmentation n’importe quand grâce aux membres de ces tribus, et à d’autres, tels les Sioux aux États‑Unis, qui traversent la frontière pour chasser.

 

 

Le nombre d’enfants dans les familles indiennes est faible, puisqu’il atteint probablement une moyenne de trois par famille, de telle sorte que, si des hostilités devaient éclater, je crois que les Indiens pourraient envoyer en campagne 5 000 guerriers à cheval, bien armés.

 

 

Les Américains sont obligés de maintenir une force importante dans l’État et les Territoires adjacents... Je crois que, en poursuivant une politique de conciliation, le Dominion pourrait obtenir que la paix soit préservée, grâce au maintien d’une force militaire de 500 hommes dans le Nord‑Ouest, outre la force policière proposée. Pour moi cela est une absolue nécessité. Déjà les tribus indiennes ont fait une estimation très basse du pouvoir militaire du Canada, et croient qu’environ 3 000 guerriers pourraient chasser les Canadiens du pays. S’il n’y avait aucune force ici, les résultats seraient désastreux et, à tout moment, les massacres, les pillages et les violences qui ont eu lieu au Minnesota pourraient se répéter ici.

 

 

(S‑3, documents complémentaires, volume II, onglet 54, pages 3‑6)

 

 

[103]       Campbell répondit le 6 août 1873 :

[traduction] J’étais moi‑même favorable à l’idée de négocier le traité cette année... parce que je croyais qu’il serait plus facile de nous entendre avec les Indiens maintenant et non plus tard, et aussi que cela serait un moyen de préserver la paix entre eux, mais sir John Macdonald et tous mes collègues étaient d’un avis contraire, estimant qu’il était inutile de conclure un traité si longtemps avant que nous ayons besoin de la terre.

 

 

(S‑3, documents complémentaires, volume II, onglet 55, pages 2‑3)

 

 

[104]       Morris continua de faire part de ses inquiétudes à Campbell. Il lui envoya le message suivant le 23 octobre 1873 :


 

[traduction] J’ai inclus copie d’une déclaration confidentielle, que m’a remise M. Bell, de la Commission géologique, à ma demande. Il est revenu récemment des Territoires et il me signale qu’un très mauvais sentiment existe parmi les Indiens, et aussi que les Métis du lac Qu’Appelle ont prétendu qu’il n’y a là aucun gouvernement visible, ni aucune politique, et qu’ils ne souhaitaient pas que des étrangers arrivent dans le pays. J’ai transmis au gouvernement, le 5 juin dernier, une lettre des Métis de cet endroit, présentée par un certain Fisher, ainsi que ma réponse. Fisher a alors déclaré qu’ils ne voulaient pas que des étrangers arrivent dans le pays; mais je lui ai dit que le pays était ouvert à tous, et qu’ils seraient traités justement. Me fondant sur plusieurs sources de renseignements, je suis conduit à craindre à cet endroit quelques mouvements qui pourraient être générateurs de troubles, et je pense que le gouvernement devrait reconsidérer sa décision sur l’idée de conclure un traité avec les Indiens dans la région, une idée que j’évoquais dans mon message du 26 juillet.

 

 

(S‑3, documents complémentaires, volume II, onglet 55, pages 1‑2)

 

 

[105]       Morris avait l’appui du gouvernement territorial, dont les membres décidèrent ce qui suit le 8 septembre 1873 :

 

[traduction]

Le Conseil du Nord‑Ouest est d’avis que, vu l’accroissement rapide de la colonisation dans les Territoires du Nord‑Ouest, ainsi que l’état actuel d’agitation des Indiens et leur inquiétude pour l’avenir, il est absolument nécessaire qu’un traité soit conclu avec les bandes d’Indiens vivant entre la frontière occidentale de la partie du Territoire dans laquelle le titre indien a déjà été éteint, et le Fort Carlton ou ses environs.

 

 

Le Conseil est d’avis que, si l’on reporte la négociation d’un traité de cette nature au‑delà de la date la plus proche possible durant l’année 1874, il en résultera des conséquences fâcheuses.

 

 

(S‑3, documents complémentaires, volume II, onglet 56, page 1000)

 

 

[106]       Le gouvernement canadien voulait un jour ou l’autre ouvrir l’Ouest à la colonisation, mais il n’était pas pressé de le faire. Comme l’a dit le professeur Ray, le Canada appliquait une « politique attentiste » en matière de développement (transcription, volume 23, page 3016). Les coûts du développement seraient importants. L’arpentage des terres, la construction de routes et de voies ferrées et les autres infrastructures nécessaires, sans oublier les traités et les frais s’y rapportant, étaient coûteux, et le gouvernement canadien avait des moyens financiers restreints. Ces activités de développement, ainsi que les traités qui les précéderaient, n’auraient donc lieu que si des pressions suffisantes venaient à les justifier. Et cela est attesté par la progression lente, quoique constante, vers l’Ouest, des traités numérotés.

 

Négociation des traités nos 1 à 5

 

[107]       En 1880, Morris publiait The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North‑West Territories; cet ouvrage renfermait les comptes rendus des négociations, les rapports officiels du gouvernement et les textes des traités et de leurs adhésions. Sa préface était rédigée ainsi :

 


[traduction] La question des relations du Dominion du Canada avec les Indiens du Nord‑Ouest est une question qui a une grande importance pratique. Le travail consistant à gagner leur amitié en concluant des traités d’alliance avec eux est maintenant achevé dans toute la région, depuis le lac Supérieur jusqu’aux contreforts des montagnes Rocheuses. Pour faciliter l’autre travail, tout aussi important – celui consistant à observer, dans leur intégrité, les obligations contenues dans ces traités, et à trouver le moyen par lequel la population indienne de la zone fertile pourrait être arrachée à la dure réalité qui s’abattra sur elle autrement, en raison de la destruction accélérée des bisons, jusqu’à maintenant la principale source alimentaire des Indiens des Plaines, et au fait que cette population pourrait être amenée à devenir, par la pratique d’activités agricoles et pastorales, une communauté autarcique – j’ai préparé ce recueil des traités conclus avec eux, où l’on trouvera aussi des renseignements, relatifs aux négociations, sur lesquels lesdits traités étaient fondés, dans l’espoir de contribuer ainsi à l’accomplissement d’un travail où j’ai joué un rôle considérable, celui d’obtenir par des traités la bienveillance des tribus indiennes, et celui de leur ouvrir, avec l’aide du Dominion, un avenir rempli de promesses, avec la diffusion d’un enseignement et les maints autres avantages de la vie civilisée.

 

 

(S‑4, préface)

 

 

[108]       Morris a tenu lieu de commissaire du gouvernement pour les Traités nos 3, 4, 5 et 6; il s’est également occupé des versions révisées des Traités nos 1 et 2 – la question des « promesses extérieures ». Il a aussi été lieutenant‑gouverneur du Manitoba et des Territoires du Nord‑Ouest.

 

 


[109]       Les Indiens furent des négociateurs tenaces; c’était leur avenir qui était en jeu. Au début des années 1870, le vent du changement soufflait partout dans l’Ouest. Les énormes troupeaux de bisons, si essentiels pour la culture et la survie des Indiens des Plaines, s’étaient considérablement rétrécis. L’effondrement de l’économie fondée sur la chasse au bison n’était plus simplement une possibilité appréhendée; il était imminent. Les colons et les arpenteurs, ces derniers s’affairant à préparer la voie pour le télégraphe et le chemin de fer, arrivaient de plus en plus nombreux, grâce en partie à la route Dawson. Cette voie, qu’il fallut trois ans pour construire, était pour l’époque une prouesse technique, mais elle est aussi le témoignage d’un travail colossal et éreintant. Elle fut construite à travers les forêts, les tourbières et les roches précambriennes qui forment aujourd’hui le nord de l’Ontario. La route Dawson commençait au débarcadère de Prince Arthur, à l’extrémité est du lac Supérieur, et se terminait au Fort Garry. Jusqu’à la construction du chemin de fer, elle fut une importante voie de circulation pour ceux qui se déplaçaient vers l’Ouest.

 

 

[110]       Les Indiens des Territoires du Nord‑Ouest avaient connaissance de ces changements et étaient impatients de se tailler une place dans le nouvel ordre économique. Comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs, les négociateurs indiens ont accordé beaucoup d’importance aux questions économiques et aux biens corporels durant les pourparlers relatifs aux traités.

 

 

[111]       Les Traités nos 1 et 2 sont pour l’essentiel identiques. Le premier fut conclu à Stone Fort (Lower Fort Garry), et le second fut signé à Manitoba Post, un fort de la CBH situé à l’extrémité nord du lac Manitoba. Les Indiens de la région s’étaient adressés au lieutenant‑gouverneur Adams Archibald durant l’automne de 1870 pour obtenir un traité. Au mois d’août de l’année suivante, les deux traités étaient conclus. Morris fit observer que les Indiens étaient :

 

[traduction] remplis d’inquiétude, en raison de l’afflux de nouveaux arrivants; ils niaient la validité du Traité Selkirk et avaient dans certains cas entravé les initiatives des colons et des arpenteurs.

 

 

(S‑4, pages 25‑26)

 

 

[112]       Ces traités prévoyaient notamment l’abandon du titre autochtone, la constitution de réserves, le maintien d’écoles dans les réserves, la chasse et la pêche sur les terres inoccupées, l’interdiction de la vente d’alcool, et le versement de rentes.

 

 

[113]       Une controverse a surgi plus tard à propos de ces traités, controverse qui portait sur ce qu’il était convenu d’appeler les « promesses extérieures ». Un mémoire, signé par les commissaires des traités et contenant leur interprétation des termes des traités, fut annexé au Traité n° 1. Toutefois, certaines promesses orales (qui figuraient aussi dans le mémoire) n’apparaissaient pas dans le texte des traités et n’ont donc pas été tenues. Il en résulta parmi les Indiens concernés une grande consternation et beaucoup de mécontentement. Finalement, le Conseil privé décida de considérer le mémoire comme partie intégrante des traités et d’en respecter les termes. De nouvelles sommes d’argent et de nouvelles quantités de vêtements furent aussi mises à disposition. Morris et le commissaire des Indiens, le lieutenant‑colonel Provencher, furent dépêchés en octobre 1875 auprès des bandes visées par les traités afin d’obtenir leur consentement aux versions révisées. Morris a eu cette réflexion à propos de cet épisode :

[traduction] L’expérience tirée de ce malentendu s’est cependant révélée avantageuse pour tous les traités, après les Traités nos 1 et 2, car le plus grand soin fut pris par la suite pour que toutes les promesses soient intégralement écrites dans les traités et pour que les traités soient expliqués minutieusement aux Indiens, afin qu’ils soient convaincus que les traités renfermaient la totalité de l’entente conclue entre eux et la Couronne.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

(S‑4, page 128)

 


 

[114]       Le Traité n° 3, appelé Traité de l’Angle nord‑ouest (du lac des Bois), englobait les lacs et forêts depuis le bassin de drainage du lac Supérieur jusqu’à l’angle nord‑ouest du lac des Bois, et depuis la frontière américaine jusqu’au plateau depuis lequel les ruisseaux s’écoulent dans la baie d’Hudson. Pour Morris, ce traité était nécessaire :

[traduction] afin que la voie appelée « route Dawson » [...] qui s’ouvrait alors à la circulation, « soit sûre pour les émigrants et la population du Dominion en général », et aussi afin que le gouvernement soit en mesure d’affecter à la colonisation toute portion de terre qui était susceptible d’amendement et d’occupation profitable.

 

 

(S‑4, page 44)

 

 

[115]       Les commissaires du gouvernement rencontrèrent en juillet 1871, au Fort Francis, les Indiens concernés. Ils leur expliquèrent l’intention du gouvernement d’obtenir une cession des droits territoriaux des Indiens; en échange, les Indiens recevraient des réserves et des rentes. Les Indiens prétendirent qu’ils avaient droit à une indemnité pour les matières premières qui avaient servi à construire la route Dawson, ainsi que pour les droits d’accès et l’utilisation du sol. Les commissaires, voulant régler la question, acceptèrent de leur payer une petite somme d’argent et de leur donner quelques provisions et vêtements. Aucun traité ne fut cependant conclu, et les parties s’entendirent pour se rencontrer l’été suivant. Les négociations furent de nouveau reportées jusqu’à l’automne de 1873.

 

 

[116]       Entre‑temps, Morris fut nommé commissaire des traités en 1873. Lui et les autres commissaires rencontrèrent les Indiens à l’angle nord‑ouest du lac des Bois en septembre 1873. Selon Morris, les négociations furent « longues et difficiles » (S‑4, page 45).

 

 

[117]       Dans son chapitre sur le Traité n° 3, Morris citait un article publié dans le journal « The Manitoban », en date du 18 octobre 1873. L’article renferme des propos tenus durant les négociations et consignés par un sténographe. Selon Morris, l’article donnait [traduction] « une idée fidèle de l’orientation des pourparlers, et un portrait frappant des modes de pensée des Indiens » (S‑4, page 52). L’extrait du Manitoban fait état des propos suivants, tenus par l’un des chefs le troisième jour des négociations, alors qu’il était question des ressources minières :

 

[traduction] LE CHEF – « Je vais exposer devant vous mes conditions, la décision de nos chefs; depuis le jour où nous sommes arrivés à une décision, vous l’avez repoussée. Je sens le bruissement de l’or sous mes pas; nous avons un riche pays; c’est le Grand Esprit qui nous l’a donné; l’endroit où nous nous trouvons est le bien des Indiens, il leur appartient. Si vous accédez à nos demandes, nous ne rebrousserons pas chemin sans avoir conclu le traité ».

 

 

(S‑4, page 62)

 

 

[118]       Plus loin, dans l’article du journal, apparaît cet échange entre Morris et un chef :

[traduction]

LE CHEF – « Si nous découvrions un métal présentant une utilité, pourrions‑nous avoir le privilège de lui attribuer notre propre prix? »

 

 


LE GOUVERNEUR – « Si d’importants minéraux sont découverts sur l’une de leurs réserves, les minéraux seront vendus pour leur avantage avec leur consentement, mais non s’ils sont découverts sur d’autres terres; pour les autres découvertes, l’Indien est évidemment comme n’importe qui d’autre. Il peut vendre son information s’il parvient à trouver un acheteur ».

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

(S‑4, page 70)

 

 

[119]       Morris avait aussi inclus ce dernier échange de propos dans son rapport officiel au gouvernement, en date du 14 octobre 1873 (S‑4, page 50).

 

 

[120]       Méditant sur la portée du Traité n° 3, Morris avait écrit :

[traduction]

Ce traité était d’une grande importance parce que non seulement il a tranquillisé les nombreux Indiens auxquels il s’appliquait, mais encore il a fini par façonner les termes de tous les traités, le numéro quatre, le numéro cinq, le numéro six et le numéro sept, qui ont depuis été conclus avec les Indiens des Territoires du Nord‑Ouest – lesquels eurent tôt fait d’apprendre les concessions qui avaient été accordées à la nation Ojibway.

 

 

(S‑4, page 45)

 

 

[121]       L’accord suivant, le Traité n° 4, est également appelé le Traité Qu’Appelle parce qu’il fut conclu aux lacs Qu’Appelle, dans ce qui est aujourd’hui la province de la Saskatchewan. Il a été signé en septembre 1874. Là encore, Morris agissait pour le gouvernement, en tant que commissaire du traité, aux côtés de l’honorable David Laird, ministre de l’Intérieur, et de W. J. Christie, qui avait alors pris sa retraite et quitté la CBH. Morris a décrit ainsi les négociations :


[traduction]

Les commissaires ont rencontré de grandes difficultés, en raison des exigences excessives des Indiens, ainsi que des jalousies existant entre les deux nations, les Cris et les Chippaouais, mais, à force de persévérance, de fermeté et de tact, ils ont réussi à surmonter les obstacles qu’ils devaient rencontrer, et finalement ont conclu un traité, selon lequel le titre indien était éteint sur une étendue de pays, qui recouvrait 75 000 milles carrés de territoire. Après un débat long et animé, les Indiens ont demandé de bénéficier des mêmes conditions que celles qui avaient été consenties aux Indiens du Traité numéro trois, le Traité de l’Angle Nord‑Ouest, mentionné auparavant. Les commissaires ont accédé à leur demande, et le traité a donc été signé.

 

 

(S‑4, pages 78‑79)

 

 

[122]       Le Traité n° 5, appelé Traité du lac Winnipeg, fut signé en septembre 1875 avec les Cris de Saulteaux et de Swampy. Ses conditions étaient pour ainsi dire identiques à celles des Traités nos 3 et 4. Morris et James McKay agissaient comme commissaires du traité. Ils parcoururent ce lac immense en utilisant le nouveau bateau à vapeur de la CHB, le Colville. Morris avait évoqué l’impulsion à l’origine de ce traité :

[traduction] Ce traité était devenu d’une urgente nécessité. Le lac est une étendue d’eau très importante et de grande valeur, d’une longueur d’environ trois cents milles. La rivière Rouge s’y jette, et la rivière Nelson y prend sa source pour se jeter dans la baie d’Hudson. La navigation à vapeur avait été établie avec succès par la Compagnie de la Baie d’Hudson sur le lac Winnipeg [...].

 

(S‑4, page 143)

 

 

 

[123]       Morris avait aussi remarqué la valeur potentielle du territoire :

[traduction] La côte est est bien inférieure à la côte ouest, autant que j’aie pu le constater, mais elle m’est apparue couverte d’épaisses forêts, et l’on semble dire que des minéraux ont été découverts à plusieurs endroits.

 


 

(S‑4, page 150)

 

ii.  La conclusion du Traité n° 6

 

[124]       Le Traité n° 6 fut signé en août et septembre 1876, au Fort Carlton et au Fort Pitt respectivement. James McKay et W.J. Christie agissaient comme commissaires du traité, aux côtés de Morris. Christie, comme je l’ai dit plus haut, avait été régisseur principal de la CBH dans le District de la Saskatchewan. Il était de sang mêlé et parlait le cri. Il avait aussi tenu lieu de commissaire pour le Traité des lacs Qu’Appelle. Au cours de sa vie, tant privée que publique, il avait noué des rapports étroits avec les populations autochtones. James McKay était un Métis de la rivière Rouge et il était ministre de l’Agriculture dans le gouvernement du Manitoba.

 

 

[125]       La Commission chargée du traité fut aidée par M. A.G. Jackes, secrétaire de la commission. Il a consigné un récit quotidien des négociations. Morris avait trouvé que c’était [traduction] « un compte rendu fidèle des pourparlers entre les commissaires et les Indiens » (S‑4, page 180; voir aussi la page 195).

 

 


[126]       Les archives documentaires du Traité n° 6 sont donc le compte rendu de Morris et la narration de Jackes, contenue dans le texte de Morris. Une autre source est l’ouvrage intitulé Buffalo Days and Nights, l’autobiographie de Peter Erasmus, racontée par Erasmus à Henry Thompson. Erasmus a vécu de 1833 à 1931. Il agissait comme interprète des Cris lors du Traité n° 6, après avoir été engagé par les chefs cris Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑a‑kup. Thompson s’était entretenu avec Erasmus deux fois, la première en 1920, puis plus tard en 1928, afin de dissiper des incertitudes présentes dans le manuscrit issu de l’entretien de 1920. Le manuscrit est devenu l’ouvrage intitulé Buffalo Days and Nights, rédigé à la première personne; en ce sens, il s’agit d’un récit oral, bien que figé dans une forme documentaire. L’introduction du livre, rédigée par l’historienne Irene Spry, précise que certains changements ont été apportés au livre, mais avec l’approbation de Thompson. Des notes de référence y ont été insérées afin d’expliquer les modifications importantes; les astérisques indiquent des changements mineurs (C‑7, introduction, page xii).

 

 

[127]       Le récit d’Erasmus n’est pas parfait. Certains passages sont presque identiques aux propos de Morris et de Jackes, ce qui donne à penser qu’il s’en est rapporté à eux pour se rafraîchir la mémoire. Pourtant, malgré ces faiblesses et peut‑être une tendance aux enjolivements, Erasmus rapporte le témoignage précieux d’un témoin direct des négociations du Fort Carlton et des délibérations du conseil cri, auxquelles il avait assisté.

 

 


[128]       Le révérend John McDougall, pasteur méthodiste, était présent aux négociations du Fort Pitt et il signa le traité en tant que témoin. Le révérend McDougall était aussi présent lors de l’adhésion au Traité n° 6, à Blackfoot Crossing. Le document d’adhésion indique qu’il a expliqué le traité aux Indiens; il l’a également signé en tant que témoin. Le révérend McDougall a consigné son récit des pourparlers du Fort Pitt dans son ouvrage intitulé Opening the Great West (C‑8).

 

 

[129]       Les autres sources permettant de reconstituer la conclusion du Traité n° 6 sont les traditions orales cries présentées durant le procès. L’aîné Jacob Bill a témoigné durant les séances de la Cour tenues dans la réserve de la nation crie de Samson en juin 2000. Son récit concernant le Traité n° 6 se rapporte au Fort Carlton, ou Pehonanihk, le « Lieu d’attente » (C‑1092, onglet 8, page 2433). L’aîné Pete Waskahat, du lac Frog, a fait un récit du traité, dont l’action se déroule au Fort Pitt, la « Petite maison » (C‑1092, onglet 4, pages 1735 et suivantes). D’autres histoires du genre racontées par l’aîné Waskahat et consignées sur bande magnétoscopique ont été produites comme preuve sous plusieurs cotes. J’en dirai davantage sur ces récits dans les présents motifs. L’aînée Margaret Quinney, du lac Frog, a elle aussi fait un récit du Traité n° 6 durant les séances de juin 2000. Un récit de 1974 fait par l’aînée Quinney, dans le cadre du Programme d’entretiens avec les aînés, pour la Recherche sur les droits ancestraux ou issus de traités, a également été examiné par M. von Gernet. Le dernier récit du Traité n° 6 vient d’une affaire jugée en 1935 par la Cour de l’Échiquier, Dreaver c. R. (C‑25).

 

Archives documentaires et comptes rendus de témoins directs

1.  Le prélude d’un traité

 

[130]       Dès 1871, les chefs cris, de ce qui allait devenir le territoire du Traité n° 6, avaient présenté au gouvernement une pétition en faveur d’un traité (ainsi que l’atteste la lettre de Christie du 13 avril 1871; S‑4, pages 169‑171). Le gouvernement n’était cependant pas pressé d’obtenir des cessions de titres fonciers avant que les terres ne soient requises pour la colonisation. Et les Indiens ont donc attendu, tandis que dans l’Est, les traités numérotés commençaient lentement de couvrir un territoire qui se rapprochait d’eux de plus en plus.

 

 

[131]       Après la conclusion du Traité n° 5 en 1875, le gouvernement porta finalement son regard vers le territoire du Traité n° 6. Afin de frayer la voie à des négociations, Morris pria le révérend George McDougall de parcourir le territoire afin d’expliquer les intentions du gouvernement. George McDougall, père du révérend John McDougall, était lui aussi pasteur méthodiste. Les McDougall avaient émigré de l’Ontario vers l’Ouest en 1862. Ils établirent d’abord une mission à Victoria, près d’Edmonton, en 1862, et une autre plus tard à Morley, en 1873. McDougall père périt en janvier 1876, après avoir un soir perdu son chemin dans les Prairies.

 

 


[132]       Selon Morris, le révérend McDougall portait une lettre du lieutenant‑gouverneur, où il était écrit que des commissaires rencontreraient les Indiens l’été suivant pour des pourparlers en vue d’un traité (S‑4, page 173). Le révérend McDougall rendit compte à Morris de ses voyages et des conseils auxquels il avait assisté. Le compte rendu, daté du 23 octobre 1875, est reproduit dans le texte de Morris. Le révérend McDougall y faisait observer qu’il avait été informé par les Indiens, près de Carlton, que les Cris et les Assiniboines des Plaines s’entendaient sur deux points :

 

[traduction] D’abord, ils ne recevraient pas de cadeaux du gouvernement jusqu’à ce que fût fixée une date précise pour le traité. Ensuite, même s’ils déploraient la nécessité de recourir à des mesures extrêmes, ils étaient néanmoins unanimes dans leur volonté de s’opposer à la percée de voies ou à la construction de routes à travers leur pays, jusqu’à la conclusion d’un compromis entre le gouvernement et eux‑mêmes.

 

 

(S‑4, page 173)

 

 

[133]       À quelque temps de là, le révérend McDougall rendit compte des sujets débattus par les Indiens, qu’ils songeaient à soumettre aux commissaires durant les pourparlers en vue d’un traité. Il exposa les choses en utilisant leurs propres mots, mais traduits en anglais :

 

[traduction] « Dites au Grand Chef que nous sommes contents qu’il soit interdit aux négociants d’apporter de l’alcool dans notre pays; quand nous voyons l’alcool, nous voulons le boire, et il nous détruit; quand nous ne le voyons pas, nous n’y pensons pas. Demandez pour nous une loi rigoureuse, qui interdit la libre utilisation du poison (strychnine). Ce poison a presque exterminé les animaux de notre pays et fait souvent de nous de mauvais amis pour nos voisins blancs. Nous voudrions aussi qu’une loi, également applicable aux Métis et aux Indiens, punisse toute personne qui incendie nos forêts ou nos plaines. Il y a quelques années, nous avions attribué un incendie de prairie à la malveillance d’un ennemi, et aujourd’hui tout le monde est imprudent dans l’utilisation du feu, et chaque année un grand nombre d’animaux et d’oiseaux qui nous sont précieux périssent à cause de lui. Nous voudrions aussi que nos charges de chef soient établies par le gouvernement. Depuis plusieurs années, chaque négociant ou presque établit son propre chef et le résultat, c’est que nous sommes dispersés en petits groupes et que nos meilleurs hommes ne sont plus respectés ».

 

 

(S‑4, pages 174‑175)

 

2.  Les négociations au Fort Carlton


 

[134]       Morris, McKay et leur groupe sont arrivés au Fort Carlton le 15 août 1876. La veille, ils avaient rencontré un messager cri à Dumont’s Crossing, sur la rivière Saskatchewan Sud. Le messager avait remis à Morris une « lettre de bienvenue au nom de sa nation » (S‑4, page 181). Selon Morris, la raison de cela, c’était que certains Saulteaux du lac Quill, dans le territoire du Traité n° 4, avaient proposé une union avec les Cris afin d’empêcher Morris de traverser la rivière et de pénétrer en « pays indien ». Les Cris avaient rejeté cette offre et fait bon accueil à Morris (S‑4, page 181).

 

 

[135]       Le matin du 15, Morris rencontrait son collègue commissaire James McKay au lac Duck, à environ 12 milles du Fort Carlton. Le chef Beardy, des Cris Willow, rencontra lui aussi Morris à cet endroit. Il voulait conclure le traité au lac Duck. Morris se rendit au campement de Beardy, mais refusa de substituer le lac Duck au Fort Carlton comme lieu de conclusion du traité. Le groupe s’est donc rendu au Fort Carlton, où il prit ses quartiers au fort de la CBH, lequel était sous le commandement du régisseur principal Lawrence Clarke. McKay ne profita pas de ces quartiers et campa à environ quatre milles de distance. Voici ce qu’écrivait Morris dans son rapport à propos de cet arrangement :

 

[traduction] Je dois reconnaître l’avantage que m’ont procuré les services de l’honorable James McKay, qui est allé bivouaquer près du campement indien. Il avait la possibilité de les rencontrer constamment et de se familiariser avec leurs manières de voir, grâce à la connaissance qu’il avait des dialectes indiens.

 

 

(S‑4, page 195)


 

[136]       Durant la soirée, les chefs cris Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑a‑kup rendirent visite à Morris. Erasmus était présent à cette rencontre, qu’il a décrite ainsi :

 

[traduction] Le gouverneur [Morris] s’est avancé et a serré la main aux chefs, en disant : « Je suis venu vers vous, chefs cris, pour conclure un traité avec vous en vue de la cession de vos droits territoriaux au gouvernement [...] ».

 

 

(C‑7, pages 237‑238)

 

 

[137]       Un débat sur les interprètes suivit. Morris dit qu’il était inutile pour les Indiens d’avoir engagé leur propre interprète puisque le gouvernement avait dépêché deux interprètes, Peter Ballenden et le révérend John McKay, frère du commissaire McKay. Erasmus a rapporté que Mista‑wa‑sis avait insisté pour que les Indiens puissent avoir leur propre interprète, ce à quoi Morris accéda (C‑7, page 238).

 

 

[138]       Le lendemain, les Cris demandèrent un report afin de pouvoir utiliser la journée pour conférer davantage entre eux. Morris accepta. Le 17, ils envoyèrent à Morris un message lui signalant qu’ils seraient prêts à commencer des pourparlers formels le lendemain.

 

 

[139]       Le matin du 18 août, un soldat de la Police à cheval du Nord‑Ouest escorta les commissaires du traité depuis le fort jusqu’au campement indien, où les pourparlers devaient avoir lieu. Voici comment Morris a décrit la scène dans son rapport :

 

[traduction] À mon arrivée, j’ai constaté que l’endroit avait été très judicieusement choisi, un endroit surélevé, avec une abondance d’arbres, de marais à foin et de petits lacs. Le lieu que les Indiens avaient réservé pour la tente de mon conseil surplombait le tout.

 

 

La vue était très belle : les collines et les arbres comme toile de fond, et, au premier plan, la prairie parsemée de bouquets d’arbres, les wigwams, au nombre de deux cents, étant dispersés en grappes ça et là.

 

 

(S‑4, page 182)

 

 

[140]       On hissa les couleurs de l’Union Jack, et les Cris entreprirent de s’assembler devant la tente du conseil. Ils procédèrent à la cérémonie du calumet, une pipe à long tuyau. Après la cérémonie du calumet, Morris ouvrit la séance par une adresse aux Indiens assemblés. Sa chronique renferme un résumé du discours; le récit de Jackes consigne ce qui semble être le texte du discours (S‑4, pages 183; 199‑202).

 

 

[141]       Le compte rendu donné par Erasmus pour cette première journée insiste davantage sur son propre rôle. Il a consigné ainsi le début du discours de Morris, le révérend McKay servant d’interprète :

 


[traduction] « Vous, nations des Cris », commença‑t‑il, « je suis ici pour une mission très importante, en tant que représentant de Sa Majesté la Reine, Notre Vénérée Mère, pour conclure en son nom un traité avec vous, par lequel vous céderez au gouvernement vos droits sur ces territoires du Nord ».

 

 

(C‑7, page 242)

 

 

[142]       Erasmus s’est exprimé ainsi sur la compétence des interprètes de la commission :

 

[traduction] Je savais que Peter Ballenden n’avait pas l’éducation ou l’expérience requises pour servir d’interprète, et sa voix ne portait pas assez pour qu’il puisse être entendu par toute cette imposante assemblée. Le révérend McKay avait appris la langue crie parmi les Swampy et les Saulteaux. Il y avait une similitude dans certains mots, et j’avais appris les deux langues, mais les Cris des Prairies ne comprenaient pas son parler cri. D’ailleurs, les Cris des Prairies considéraient les Swampy et les Saulteaux comme des races inférieures. Ils ne toléraient pas que l’on s’adressât à eux en Swampy ou en Saulteaux. Je savais que McKay n’était pas suffisamment versé dans la langue des Cris des Prairies pour s’en tenir, dans son travail d’interprétation, à leur propre langue.

 

 

(C‑7, page 241)

 

 

[143]       Finalement, on décida qu’Erasmus traduirait le discours de Morris. Selon Erasmus :

 

[traduction] Le gouverneur a parlé pendant environ une heure pour expliquer l’objet du traité et ses objectifs, et pour en décrire les termes en détail. Il s’est attardé en particulier sur l’argent que chaque personne obtiendrait.

 

 

(C‑7, page 243)

 

 

[144]       Les Cris ont demandé un ajournement après le discours afin de pouvoir se réunir en conseil. Ainsi se termina le premier jour des négociations du traité.

 

 

[145]       Ce soir‑là, selon Erasmus, il fut appelé dans les quartiers de Morris. Morris le félicita pour son travail d’interprétation accompli ce jour‑là et l’engagea officiellement pour le reste des pourparlers relatifs au traité (C‑7, pages 243‑244).

 

 

[146]       Le deuxième jour des négociations est raconté avec force détails dans le récit de Jackes. Une fois assemblés, les chefs cris furent présentés à Morris. Un messager des Indiens du lac Duck du chef Beardy arriva à ce moment‑là et demanda qu’on lui révèle les conditions du traité. Morris refusa, mais l’invita à rester pour qu’il entende les débats de la journée (S‑4, pages 203‑204).

 

 

[147]       Morris commença les pourparlers en exprimant son inquiétude pour l’avenir des Cris et en évoquant les conséquences de la rareté croissante du gros gibier dont ils dépendaient. Il leur parla des Indiens de l’Est, qui avaient réussi à se mettre à l’agriculture et à se sédentariser, mais il ajouta :

 

[traduction] Comprenez‑moi, je ne veux pas faire obstacle à vos activités de chasse et de pêche. Je veux que vous les pratiquiez partout dans le pays, comme vous l’avez fait jusqu’à maintenant; mais je voudrais que vos enfants soient capables de subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leurs descendants. Parfois, lorsque vous irez chasser, vous pourrez laisser vos femmes et vos enfants à la maison pour qu’ils s’occupent de vos jardins.


 

(S‑4, page 204)

 

 

[148]       Puis Morris aborda la question des réserves et la réalité des colons non autochtones qui s’installeraient prochainement dans le pays :

 

[traduction] Je suis heureux de savoir que certains d’entre vous ont déjà commencé de construire et de planter; et je voudrais, au nom de la Reine, donner à chaque bande qui le souhaite un lieu bien à elle; je voudrais agir dans cette affaire pendant qu’il en est encore temps. Le pays est vaste, et vous êtes dispersés, d’autres gens s’y installeront. Aujourd’hui, à moins que les endroits où vous voudriez vivre soient rapidement établis, des difficultés sont à prévoir. L’homme blanc pourrait venir s’installer à l’endroit même où vous voudriez être.

 

 

(S‑4, page 204)

 

 

[149]       Morris expliqua alors le mode de détermination de la taille et de l’endroit des réserves, ainsi que le processus de cession territoriale (S‑4, page 205).

 

 


[150]       Morris aborda ensuite la gestion d’écoles dans les réserves, l’interdiction de la vente ou de la consommation d’alcool dans les réserves et la distribution de divers instruments aratoires, d’équipements, de bétail et de semences. Il parla des chefs et des conseillers et du respect qu’ils méritaient. Morris déclara aussi que la Reine voulait que ses lois soient observées par tous, Autochtones ou non‑Autochtones (S‑4, page 206). Il évoqua aussi le massacre de Cypress Hills en 1873, lorsqu’un groupe d’Américains partis chasser le loup avait tué des Assiniboines qui bivouaquaient dans les collines. Morris parla alors de la présence de la Police à cheval du Nord‑Ouest, ainsi que de la sécurité et de la protection qu’elle apporterait. Il indiqua que les chefs et les conseillers recevraient des uniformes, des médailles et des banderoles en reconnaissance des charges occupées par eux (S‑4, page 207).

 

 

[151]       Des offices religieux eurent lieu le dimanche. Jackes a rapporté que, à la requête des Indiens, le révérend McKay avait célébré un office avec eux durant l’après‑midi, [traduction] « prêchant dans leur propre langue devant une assemblée de plus de deux cents Cris adultes » (S‑4, page 209). La poursuite des négociations fut reportée au mardi 22 août, afin que les Cris puissent se concerter.

 

 

[152]       Les Cris ont tenu leur conseil le lundi. Erasmus fut l’unique non‑Autochtone à y assister. Le compte rendu qu’il en fait dans Buffalo Days and Nights constitue l’unique preuve produite au procès à propos de cet événement (C‑7, pages 245‑251). Erasmus avait expliqué ainsi l’objet de sa présence au conseil des Cris :

 

[traduction]

J’ai été prié d’assister au conseil avec eux et je fus personnellement escorté à la réunion par Mista‑wa‑sis et son allié Star Blanket. Ils ont dit que je pourrais être prié d’expliquer les pourparlers, pour le cas où il y aurait malentendu sur mes interprétations des conditions du traité. « Il y en a beaucoup parmi nous qui essaient de confondre et de tromper les gens; c’est la raison pour laquelle j’ai pensé qu’il valait mieux leur donner beaucoup de temps pour leur travail de sape. Aujourd’hui, ils vont devoir sortir de l’ombre et seront forcés de montrer leurs intentions », a dit Big Child.

 


 

Les chefs se sont accordés pour dire qu’il valait mieux amener leurs propres gens à s’entendre avant de rencontrer le commissaire.

 

 

(C‑7, pages 245‑246)

 

 

[153]       Selon Erasmus, Poundmaker et le Blaireau conduisirent la faction opposée à la conclusion du traité. À mesure que la journée avançait, Erasmus perdit tout espoir d’arriver à un accord. Finalement, Mista‑wa‑sis se leva et s’adressa au conseil. Après avoir déploré la destruction des bisons et la disparition de leur ancien mode de vie, Mista‑wa‑sis tint les propos suivants :

[traduction]

« Je m’adresse directement à Poundmaker et au Blaireau ainsi qu’aux autres qui s’opposent à la signature de ce traité. Avez‑vous mieux à offrir à notre peuple? Encore une fois, pouvez‑vous proposer quelque chose qui puisse rendre toutes ces choses à notre peuple, demain et durant les années à venir?

 

 

« Je crois que Notre Vénérée Mère la Reine nous offre un mode de vie maintenant que les bisons ne sont plus. Les neiges n’auront pas blanchi nos têtes et nos tombes qu’ils auront déjà disparu ».

 

 

(C‑7, page 247)

 

 

[154]       Mista‑wa‑sis évoqua les difficultés que connaissaient les Pieds‑Noirs, en particulier les difficultés résultant des incursions des négociants américains (les « Grands Couteaux », ou « Longs Couteaux ») sur leur territoire :

[traduction]


« Ces négociants, qui n’étaient pas de notre terre, ont persuadé les tribus du sud, avec de belles paroles et des marchandises de mauvaise qualité, qu’il serait bon de disposer d’un endroit où vendre les produits de la chasse, les peaux et les cuirs. Les négociants sont venus construire des forteresses et, avec leurs longs fusils qui peuvent tuer à deux fois la distance de nos propres fusils, et avec les courts fusils qui peuvent semer la mort en six fois moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ils avaient les gens à leur merci. Le Pied‑Noir eut tôt fait de constater que les négociants n’avaient rien d’autre que du whisky à leur offrir pour leurs peaux. Oh, oui! Ils étaient généreux au premier abord avec leur mauvais whisky, mais pas pour longtemps. Les négociants exigeaient d’être payés et obtenaient des Pieds‑Noirs leurs chevaux, leurs peaux de bisons et tout ce qu’ils avaient à offrir.

 

 

« Ces négociants les prenaient pour des idiots, et c’est ce qu’ils étaient lorsqu’ils vendaient leur patrimoine pour plonger dans la ruine et la débauche. Certains des Pieds‑Noirs parmi les plus braves ont voulu se venger pour obtenir réparation, mais ils ont été abattus comme des chiens et traînés vers les Plaines sur des chevaux pour y pourrir ou y être dévorés par les loups ».

 

 

(C‑7, pages 247‑248)

 

 

[155]       Il évoqua les policiers à cheval du Nord‑Ouest, appelés « tuniques rouges », dépêchés pour expulser les marchands de whisky et protéger les Pieds‑Noirs. Il conseilla à l’assemblée de tirer parti de l’expérience des Indiens au sud de la frontière, où les guerres indiennes causaient d’importantes pertes de vies et finalement de territoire (C‑7, page 249).

 

 

[156]       Après que Mista‑wa‑sis se fut assis, Ah‑tuk‑a‑kup se leva et parla des ravages de la guerre avec les Pieds‑Noirs et de la dévastation provoquée par la variole. Il souscrivait aux propos de Mista‑wa‑sis sur la disparation imminente des bisons et évoqua la nécessité de se mettre à l’agriculture. Ah‑tuk‑a‑kup termina son discours par ces mots :

 


[traduction] « Pour ma part, je crois que Notre Mère la Reine nous offre un nouveau mode de vie, et j’ajoute foi aux choses que vous a racontées mon frère Mista‑wa‑sis. La terre nourricière nous a toujours donné beaucoup avec l’herbe qui nourrissait les bisons. Nous, Indiens, pouvons certainement apprendre les modes de vie qui ont rendu l’homme blanc fort et capable de vaincre toutes les grandes tribus des nations du sud. Les hommes blancs n’ont jamais eu les bisons, mais on me dit qu’ils ont des bovins par milliers, qui peuplent les prairies sur des milles et qui remplaceront les bisons dans le pays des Longs Couteaux et qui pourraient même se multiplier sur nos terres. Les hommes blancs disposent de milliers d’abris, contrairement à nous qui ne pouvons compter que sur nos dizaines de tipis. J’accepterai pour mon peuple la main que nous tend la Reine. J’ai parlé. »

 

 

(C‑7, page 250)

 

 

[157]       Erasmus écrivait que les conseillers de ces deux chefs avaient signifié, par des gestes, qu’ils acceptaient la position des chefs. Il écrivait aussi que la majorité avait également accepté leurs vues. Mista‑wa‑sis mit fin à la rencontre en assurant à tous qu’ils auraient la possibilité de poser des questions et que leur interprète noterait les choses qui, selon eux, devraient leur être accordées dans le traité (C‑7, page 250).

 

 

[158]       Le troisième jour des négociations du traité eut lieu le mardi 22 août. Morris ouvrit les pourparlers en demandant aux chefs d’exprimer leurs vues (S‑4, page 184). Poundmaker répondit. Il demanda l’aide du gouvernement lorsque les Indiens commenceraient de s’installer dans les réserves. Morris répondit que le gouvernement ne pourrait pas nourrir les Indiens, mais seulement les aider à se sédentariser (S‑4, pages 184‑185). Dans son rapport, Morris faisait observer que le Blaireau, Soh‑ah‑moos (Sak‑ah‑moos, chez Jackes, et Sakamoos, chez Erasmus) et plusieurs autres avaient appuyé la demande de Poundmaker (S‑4, pages 184‑185).

 

 

[159]       Morris leur répondit que le gouvernement avait envoyé de l’argent aux Indiens dont les cultures avaient été détruites par les sauterelles, alors même qu’une telle aide n’était pas promise dans leur traité (S‑4, page 211).

 

 

[160]       Le commissaire McKay s’adressa à l’assemblée suivante, en langue crie. Selon le récit de Jackes, Morris invita McKay à s’exprimer (S‑4, page 211). Jackes a rapporté ainsi le discours de McKay :

[traduction] « Mes amis, je voudrais vous expliquer clairement certaines choses que, semble‑t‑il, vous ne comprenez pas. Votre gouverneur vous a dit que nous ne sommes pas venus ici pour faire du troc ou du commerce avec vous à propos du territoire. Vous avez présenté des exigences au gouverneur et, d’après la manière dont vous les avez présentées, un homme blanc serait amené à croire que vous demandez des provisions quotidiennes, ainsi que des fournitures pour vos activités de chasse et pour vos excursions d’agrément. Les raisons que j’ai aujourd’hui de vous donner des explications reposent sur mon expérience passée des traités, car aussitôt que le gouverneur et les commissaires auront tourné les talons, voilà ce que diront certains d’entre vous : « telle ou telle chose nous a été promise et la promesse n’a pas été tenue; on ne peut pas se fier aux représentants de la Reine, car même lui ne dira pas la vérité », alors que c’est parmi vous que se trouvent ceux qui dénaturent les faits. Avant que nous levions la séance, tout ce que le gouverneur et les commissaires vous ont promis devra être compris et devra être couché par écrit, et j’espère que vous ne partirez pas avant d’avoir parfaitement compris le sens de chacun des mots qui sort de notre bouche. Nous ne sommes pas venus ici pour vous tromper, nous ne sommes pas venus ici pour vous voler, nous ne sommes pas venus ici pour vous enlever quelque chose qui vous appartient, et nous ne sommes pas ici pour faire la paix comme si vous étiez pour nous des Indiens hostiles, parce que vous êtes les enfants de Notre Vénérée Reine, comme nous le sommes, et il n’y a jamais rien eu d’autre que la paix entre nous. Ce que vous n’avez pas compris clairement, nous nous ferons un devoir de vous l’expliquer parfaitement ».

 

 

(S‑4, pages 211‑212)

 

 

[161]       Selon le récit de Jackes, Morris s’est exprimé immédiatement après McKay, en relatant une nouvelle histoire concernant l’aide apportée à la population de la rivière Rouge après une infestation de sauterelles. Il faisait observer que, dans ce cas, il n’y avait pas de traité; les gens étaient simplement les sujets de la Reine. Jackes précisait ensuite que le Blaireau avait répondu aux propos de McKay (S‑4, pages 212‑213). Le compte rendu de Morris est semblable à celui de Jackes, bien que beaucoup moins détaillé.

 

 

[162]       Erasmus a fait un autre portrait de la situation. Selon lui, le ton de McKay était arrogant, et McKay avait réprimandé les Cris pour leurs exigences outrancières; Erasmus faisait aussi observer qu’il y avait eu un murmure de désapprobation parmi les Indiens assemblés (C‑7, page 251). Selon Erasmus, après que McKay se fut assis, le Blaireau s’était levé d’un bond et l’avait sermonné :

[traduction] « Je n’ai pas dit que je voulais être nourri chaque jour. Vous, je le sais, vous comprenez notre langue, et pourtant vous déformez mes paroles pour qu’elles s’accordent avec votre manière de voir. Ce que j’ai dit, c’était que, lorsque nous nous sédentariserons et que nous travaillerons la terre, c’est alors que nous aurons besoin d’aide, car c’est le seul moyen qu’aura un Indien pauvre de se débrouiller ».

 

 

(C‑7, pages 251‑252)

 

 


[163]       Selon Jackes, le troisième jour des pourparlers prit fin après que Mista‑wa‑sis eut déclaré que les Indiens ne voulaient pas être nourris tous les jours, mais seulement lorsqu’ils commenceraient à pratiquer la culture, et dans les cas de famine ou de calamité. Ah‑tuk‑a‑kup réitéra cette demande, puis demanda un ajournement (S‑4, page 213). Morris a inséré dans son rapport une version semblable, encore que tronquée, faisant observer :

 

[traduction]

Toute la journée a été consacrée à cette discussion de la question alimentaire, et ce fut le moment décisif en ce qui concerne le traité.

 

 

Les Indiens étaient remplis d’inquiétude, comme ils l’avaient été depuis quelque temps déjà.

 

 

Ils voyaient leur unique moyen de survie, le bison, disparaître. Ils étaient impatients d’apprendre à subvenir à leurs besoins grâce à l’agriculture, mais se sentaient trop ignorants pour y parvenir, et ils redoutaient, durant la période de transition, d’être décimés par la maladie ou la famine – ils avaient déjà souffert terriblement des ravages causés par la rougeole, la scarlatine et la variole.

 

 

Il était impossible de les entendre sans intérêt, ils n’étaient pas exigeants, mais ils étaient très inquiets quant à leur avenir, et reconnaissants de voir que, selon les mots de l’un d’eux, « une nouvelle vie s’offrait à eux ».

 

 

(S‑4, page 185)

 

 

[164]       Le compte rendu fait par Erasmus pour nombre des discours du troisième jour est très semblable au récit de Jackes. Il en différait par sa description du discours de McKay; d’ailleurs, ses propos concernant la réaction irritée du Blaireau (qui disait que McKay avait délibérément déformé ses paroles) montrent que les Cris étaient attentifs à la manière dont leurs interventions étaient comprises et utilisées par les représentants du gouvernement.

 

 


[165]       Le dernier jour des pourparlers officiels fut le 23. Selon le récit de Jackes, Morris avait admonesté un Chippaouais, qui avait interrompu les délibérations. Morris avait dit que, si les Chippaouais voulaient conférer avec lui, il les écouterait après la conclusion des pourparlers relatifs au traité. Il avait observé que les bisons n’étaient pas loin et que les Cris étaient impatients d’aller chasser, puis il avait dit qu’il était prêt à les écouter (S‑4, page 214).

 

 

[166]       Erasmus a raconté qu’un homme appelé Teequaysay (Tee‑Tee‑Quay‑Say dans le récit de Jackes) s’était levé et s’était adressé ainsi aux Cris :

 

[traduction] « Écoutez, mes amis, vous tous qui êtes assis ici, soyez patients et écoutez ce que notre interprète a été prié de vous dire. Ce qu’il vous dira, ce sont les choses que nos chefs principaux et nos conseillers ont décidé de demander et qui d’après eux s’accordent avec nos intérêts. Il n’y aura plus de discussion, ni de questions posées au gouverneur ».

 

 

(C‑7, page 253)

 

 

[167]       Morris a rapporté que l’interprète, Erasmus, avait lu à haute voix les exigences des Cris (S‑4, page 185). Le récit de Jackes renferme aussi cette partie des délibérations (S‑4, pages 214‑215). Ces deux comptes rendus précisent les points et changements voulus par les Cris. Selon Erasmus, il avait expliqué aux commissaires que la liste avait été préparée par les principaux chefs et leurs conseillers et qu’elle ne contenait guère plus que ce qui avait été promis. Erasmus avait interprété la liste au bénéfice des Indiens assemblés, afin d’obtenir leur accord, puis l’avait remise à Morris (C‑7, page 253).

 


 

[168]       Le récit de Jackes offre le niveau le plus élevé de détail en ce qui concerne la réponse de Morris à la contre‑proposition des Cris. Morris avait répondu aux Cris en faisant observer qu’une partie de ce qu’ils demandaient était déjà promise, mais aussi, aspect plus important, en faisant trois concessions de taille. Il promettait mille dollars chaque printemps durant trois années à titre d’aide au passage à l’agriculture après sédentarisation dans les réserves. Il souscrivit à une clause relative à la famine, clause selon laquelle une aide serait apportée en période de famine générale ou d’épidémie. Morris souscrivit aussi à ce que l’on finit par appeler la clause du buffet à médicaments. Les autres concessions concernaient l’accroissement du nombre de divers instruments aratoires et de têtes de bétail à fournir en vertu du traité. Il rejetait la demande des Cris concernant les vivres à distribuer aux pauvres, aux aveugles et aux infirmes. Il rejetait aussi leur demande pour l’envoi de missionnaires et de pasteurs, affirmant que, même s’il était content de la requête, les Cris devaient se tourner vers les églises et diverses sociétés pour obtenir ces gens. S’agissant de la conscription militaire, il disait que les Indiens ne seraient pas tenus de combattre sauf s’ils le souhaitaient, mais que, si la Reine les invitait à combattre pour protéger leurs épouses et leurs enfants, il était sûr que c’est ce qu’ils feraient (S‑4, pages 217‑219).

 

 

[169]       Poundmaker et Joseph Thoma s’exprimèrent franchement après la réponse de Morris, tous deux s’opposant à ce qui était offert. Thoma disait qu’il s’exprimait au nom de Faisan Rouge, chef des Indiens de la rivière Battle. Certaines de ses remarques, consignées par Jackes, attestent une connaissance d’un traité antérieur, ainsi que de la question de la valeur des terres :


 

[traduction] Il est vrai que le gouverneur dit qu’il lui incombe à lui de faire droit aux requêtes supplémentaires des Indiens, mais qu’on le laisse réfléchir à la qualité de la terre à propos de laquelle il a déjà négocié. Il n’y a aucune terre agricole à l’angle nord‑ouest, et il s’en tient à ce qu’il a là‑bas. Ce que je veux, comme il l’a dit, c’est vingt‑cinq dollars pour chaque chef, et vingt dollars pour ses hommes principaux. Je ne veux pas garder les terres ni m’en défaire, mais j’ai fixé leur valeur. Je veux demander autant qu’il sera nécessaire pour que la population puisse se couvrir, ni plus ni moins. Je crois que ce qu’il a offert est trop peu. Quand vous avez parlé, vous avez mentionné les munitions; je n’ai pas entendu le mot fusil; il nous sera impossible de tuer quoi que ce soit simplement en mettant le feu aux poudres. Je veux un fusil pour chaque chef et chaque homme principal, et je veux dix milles autour de la réserve où je puisse m’installer. J’ai dit la valeur que j’accorde à ma terre.

 

 

(S‑4, page 220)

 

 

[170]       Morris rejeta les exigences additionnelles de Thoma et blâma Faisan Rouge d’être resté assis en silence auparavant quand Erasmus avait fait la lecture de la liste des exigences. Faisan Rouge se leva et répudia les observations de Thoma (S‑4, page 221). Erasmus a mentionné brièvement cet épisode (C‑7, page 253); Morris en a aussi fait état dans son rapport (S‑4, page 186).

 

 

[171]       Après cet incident, les principaux chefs cris signifièrent leur acceptation des conditions proposées. Morris prononça alors les paroles suivantes :

 

[traduction] Je demanderai à l’interprète de vous lire ce qui a été écrit et, avant de partir, j’en ferai laisser un exemplaire aux chefs principaux. Les paiements seront effectués demain, et les uniformes, les médailles et les banderoles seront également remis, outre des présents qui seront remis aux Indiens, composés de calicots, de chemises, de tabac, de pipes et autres articles.

 

 

(S‑4, pages 221‑222)


 

[172]       Erasmus a décrit ainsi le processus de modification, de lecture et de signature :

 

[traduction]

Le gouverneur a remercié les Indiens pour leur attention et leur coopération dans toutes les délibérations et a dit que les demandes additionnelles seraient écrites dans le traité pour tout ce à quoi il avait acquiescé. Ces dispositions spéciales furent ajoutées dans le projet de traité avant que commencent les signatures. Cinquante signatures ont été apposées à ce document historique et autres adhésions, suivant le même texte que celui qui avait été signé à Carlton. La lecture du traité prit beaucoup de temps et nécessita les services de tous les interprètes mais, cette fois, nul ne songea à critiquer les mots employés, ni la voix de Ballenden. La moitié des Indiens n’étaient pas concernés.

 

 

Mista‑wa‑sis m’avait tiré à l’écart et m’avait dit de surveiller attentivement le texte pour m’assurer qu’il contenait tout ce qui avait été promis. Toutefois, les autres chefs ont paru convaincus que le gouverneur tiendrait ses promesses à la lettre. J’ai pu assurer Mista‑wa‑sis que toutes les promesses faites avaient été insérées dans l’écrit. Il était satisfait et il fut le premier à signer le document.

 

 

(C‑7, pages 253‑254)

 

 

[173]       Les modifications apportées au Traité n° 6 sont apparentes sur le document. Les commissaires du traité étaient arrivés au Fort Carlton avec un traité déjà copié sur plusieurs feuilles de parchemin, ses modalités s’inspirant de celles des traités numérotés antérieurs, ou bien ils en avaient fait rédiger un avant de faire les concessions aux Cris. Après que les Cris se révélèrent être de formidables négociateurs, des modifications y furent apportées sur place; des ajouts furent insérés et des pages additionnelles furent ajoutées avant la page des signatures (voir S‑1).

 

 

[174]       Le matin du 24, Morris présenta aux chefs principaux leurs médailles, uniformes et banderoles. Christie remit les mêmes choses aux autres chefs et conseillers ce soir‑là. Les paiements au titre du traité débutèrent ce jour‑là et se terminèrent le 25. Erasmus aidait Christie dans cette tâche (C‑7, page 254). Erasmus a aussi raconté que Morris l’avait engagé comme interprète au Fort Pitt et l’avait rémunéré pour son travail au Fort Carlton (C‑7, page 255).

 

 

[175]       Dans le rapport de Morris, et dans le récit de Jackes, il est question d’une rencontre avec certains Indiens Saulteaux (Jackes les appelle Chippaouais). Voici ce que Morris écrivait :

 

[traduction] Outre ces Saulteaux, il y avait d’autres personnes présentes qui étaient opposées à leurs délibérations, et parmi elles Kis‑so‑way‑is, déjà mentionné, et Pecheeto, qui était le porte‑parole principal à Qu’Appelle, mais qui est maintenant un conseiller de la bande Fort Ellice.

 

 

(S‑4, page 187)

 

 

[176]       Il est évident qu’il y avait ceux qui s’opposaient à la conclusion d’un traité au Fort Carlton. La description que faisait Erasmus du conseil des Cris indiquait aussi que certaines factions parmi les Indiens y étaient opposées. Les discours prononcés par Poundmaker et Joseph Thoma le montrent également. Toutefois, ces voix ne gagnèrent pas la partie et, au Fort Carlton, les chefs cris signèrent le traité.

 

 

[177]       Le matin du 26, le camp des Cris fit une visite d’adieu à Morris, au fort. Les Indiens Willow envoyèrent un message le lendemain depuis le lac Duck, en réponse à un message que leur avait envoyé Morris. Dans son rapport, Morris écrivait qu’il n’était pas souhaitable que tant d’Indiens fussent exclus du traité (S‑4, page 187). Les Indiens Willow acceptèrent de rencontrer les commissaires au camp de McKay le 28 (S‑4, page 225).

 

 

[178]       Les deux parties se sont donc rencontrées. Le chef des Indiens Willow, Beardy, se déclara quelque peu chagriné par les conditions du traité et dit qu’il y avait insuffisance de certaines choses. Il parla de son inquiétude quant à l’avenir et demanda de l’aide. Il demanda aussi une tunique bleue au lieu d’une tunique rouge (S‑4, pages 226‑227).

 

 


[179]       Morris répondit en disant qu’il parlerait comme il avait parlé aux autres Indiens : le gouvernement ne les alimenterait pas quotidiennement, mais les Indiens Willow obtiendraient leur part des milliers de dollars de vivres une fois qu’ils se sédentariseraient dans les réserves et se mettraient à cultiver la terre. Morris expliqua aussi que le gouvernement leur apporterait une aide en période de famine nationale ou d’épidémie, et il évoqua de nouveau comme exemple l’invasion des sauterelles à la rivière Rouge. Il refusa d’accéder à la demande du chef Beardy qui voulait une tunique bleue. Morris reconnut que la préservation des bisons était importante et promit que le gouvernement territorial examinerait l’idée d’adopter une loi à ce sujet. Il termina en redisant ce qu’il avait dit au Fort Carlton, c’est‑à‑dire que le traité ne concernait que les Indiens, non les Métis (S‑4, pages 227‑228).

 

 

[180]       Dans son rapport de décembre 1876, Morris faisait les observations suivantes :

[traduction]

L’entêtement de ces Indiens à vouloir absolument contraindre les commissaires à se rendre au lac Duck s’expliquait en partie par la superstition, le chef Beardy ayant annoncé qu’il avait eu une vision, dans laquelle on lui avait fait savoir que le traité serait conclu à cet endroit.

 

 

C’était en partie aussi en raison de l’hostilité au traité, car ils avaient essayé de convaincre les Indiens de Carlton de ne conclure aucun traité et les avaient exhortés de ne pas vendre la terre, mais à la prêter durant quatre ans.

 

 

Le bon sens et l’intelligence des chefs principaux les ont conduits à rejeter leurs propositions, et les Indiens Willow, comme je l’ai rapporté, finirent par accepter le traité.

 

 

(S‑4, pages 188‑189)

 

 

[181]       Christie passa la journée du 29 août à apurer les comptes, à faire l’inventaire des vêtements et à se préparer au départ. Morris et Christie partirent pour le Fort Pitt le 31, McKay les ayant précédés en empruntant la rivière Battle (S‑4, page 189).

 


3.  Les négociations au Fort Pitt

 

[182]       Erasmus arriva au Fort Pitt avec son compagnon Petit Chasseur, avant la délégation gouvernementale (C‑7, page 258). John McDougall, accompagné de son frère cadet George, arriva lui aussi plusieurs jours avant les commissaires du traité :

 

[traduction]

De Victoria au Fort Pitt, George et moi avons fait un voyage rapide. Ici nous avons trouvé les Indiens s’assemblant en grand nombre depuis les prairies et les bois. Aucun événement du genre ne s’était jamais produit dans toute leur histoire et, partout dans les camps qui maintenant parsemaient les collines à l’arrière du fort, on se perdait en conjectures sur ce qui se préparait.

 

 

Nombre de mes vieux amis et anciennes connaissances sont venus me voir au fort et m’ont également invité dans leurs quartiers. J’ai continué de les assurer que les représentants de la Reine feraient ce qui était bon et juste. Je leur ai demandé d’attendre patiemment que les commissaires leur présentent les propositions du gouvernement.

 

 

Sweetgrass était le chef principal des Cris des Plaines, et le chef Pakan le chef principal des Cris des bois et semi‑bois. Il était tout à fait évident que les chefs ressentaient profondément la grandeur du moment. Il y avait quelques éléments rebelles parmi les tribus. Les hommes qui avaient vécu dans une liberté absolue ne souhaitaient aucun changement. La question était simplement de savoir quelle influence ils allaient pouvoir exercer parmi les sections quand telle ou telle affaire serait débattue. Ce furent donc des journées tendues.

 

 

(C‑8, pages 56‑57)

 

 


[183]       Jackes et Morris ont rapporté que la délégation gouvernementale était arrivée au fort le 5 septembre. Le colonel Jarvis et un détachement de la Police à cheval du Nord‑Ouest les avaient rencontrés à environ six milles du fort et les avaient escortés. Les Indiens, qui comptaient sur l’arrivée d’autres des leurs, demandèrent un ajournement jusqu’au 7 (S‑4, pages 228‑229). Jackes et Morris ont tous deux relaté une visite de bienvenue du chef Sweet Grass et de 30 de ses hommes le matin du 6 (S‑4, page 189 et pages 228‑229).

 

 

[184]       Dans son ouvrage Buffalo Days and Nights, Erasmus évoquait une rencontre qu’il avait eue avec les chefs cris, à leur demande, le 6 septembre :

 

[traduction]

J’ai été interrogé assez longuement sur l’attitude des tribus qui avaient signé le traité à Carlton, sur certains détails se rapportant aux concessions du traité et sur les modalités arrêtées, que j’avais fini par connaître par coeur. Je leur ai rapporté les propos échangés lors de la rencontre des chefs à Carlton, en mentionnant les objections soulevées par ceux qui s’opposaient à la signature, et leur ai parlé de la pétition qui avait été rédigée pour le commissaire, avec les points convenus et les points rejetés. Je leur ai mentionné les efforts faits par Poundmaker et le Blaireau pour bloquer ou mal interpréter les conditions du traité, et j’ai vu dans leur visage une expression de dégoût devant leur attitude. J’ai alors conclu mon propos par un compte rendu des deux discours faits par Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑a‑kup, discours qui avaient changé complètement l’opinion de l’assemblée, alors favorable à la signature.

 

 

Sweet Grass, qui était le chef le plus important parmi ceux qui étaient réunis en conseil, s’est levé pour parler à son peuple.

 

 

« Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑a‑kup, je le crois, sont beaucoup plus sages que moi; c’est pourquoi, s’ils ont accepté ce traité pour leur peuple après de nombreux jours de pourparlers et de réflexions, alors je suis disposé à l’accepter pour mon peuple ».

 

 

Le chef Seenum a alors pris sa place pour parler. « Vous avez tous interrogé Peter Erasmus sur les événements qui se sont déroulés à Carlton. Il est étranger à beaucoup d’entre vous, mais moi je le connais bien. Je respecte ses paroles et je crois en sa sincérité. Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑a‑kup ont tous deux envoyé leurs fils depuis Carlton jusqu’au lieu où il vit, et il est marié avec l’une de nos filles favorites. Il n’était pas chez lui, mais ils l’ont suivi jusque dans la prairie, où il chassait le bison avec nos gens. Petit Chasseur est un chef et revient avec un bon rapport sur le travail effectué par lui durant les pourparlers du traité. Il ne nous dirait rien qui ne fût pour notre bien. Par conséquent, puisque les autres chefs, qui sont en plus grand nombre que nous, ont trouvé que ce traité était bon, moi et mon homme principal le signerons pour notre peuple. J’ai parlé. »

 


 

Chacun des autres chefs, avec leurs conseillers, a exprimé son accord, chaque homme formulant en ses propres mots des idées qui s’accordaient avec l’acceptation générale des conditions du traité. Ils étaient tous disposés à signer le traité et il n’y a pas eu une seule voix discordante.

 

 

(C‑7, pages 258‑259)

 

 

[185]       Tout le monde entreprit de s’assembler devant la tente du conseil tard le matin du 7 septembre. Les négociations s’ouvrirent par des cérémonies. Morris prononça un discours d’ouverture. Il fit part de son inquiétude quant à leur bien‑être futur. Il parla des négociations du Fort Carlton et redit son inquiétude quant à l’avenir et sa tristesse devant la disparition des bisons. Il dit aussi que, malgré les difficultés qu’il avait eues avec le chef Beardy, il avait pu l’amener à conclure le traité. Morris parla de traités antérieurs. Il parla aussi du massacre de Cypress Hills de 1873 et de la protection maintenant assurée par la Police à cheval du Nord‑Ouest. Il rassura les Indiens en leur disant qu’ils ne seraient pas soumis à la conscription militaire (S‑4, pages 230‑234).

 

 

[186]       Morris termina son discours en disant qu’il espérait qu’ils étaient préparés à recevoir son message, ajoutant qu’il n’irait pas plus loin avant que ne s’expriment les chefs qui le souhaitaient. Sweet Grass se leva alors, prit Morris par la main et demanda d’entendre les conditions du traité, avant un ajournement qui leur permettrait de se réunir en conseil. Voici ce que Jackes a écrit :

[traduction] Le gouverneur a alors expliqué très soigneusement et distinctement les modalités et promesses du traité conclu à Carlton; ses propos furent reçus par les Indiens avec de fortes exclamations d’acquiescement.

 

 

(S‑4, page 235)


 

[187]       John McDougall assista à cette première journée de pourparlers. Il fit observer que les Blancs et les Indiens lui avaient demandé d’observer attentivement et de consigner tout ce qu’il verrait. Il a décrit ainsi les pourparlers d’ouverture :

[traduction] Les Indiens étaient très attentifs et, quand le commissionnaire principal eut fini de présenter ses propositions et de les expliquer en détail, Sweetgrass s’est mis debout et, en très peu de mots, a remercié le commissaire pour l’occasion. Il a dit aussi que lui‑même et ses compagnons, les chefs et les hommes principaux qui avaient écouté, se retireraient maintenant dans leurs quartiers pour conférer, avec le consentement de ces grands hommes qui représentaient le gouvernement. Il espérait que, le troisième jour qui suivrait, ils seraient prêts à se présenter devant les grands hommes avec leur réponse. À cela, le commissaire principal a répondu que c’était très raisonnable et qu’il espérerait les rencontrer dans l’amitié et dans la paix au moment proposé. Toute cette scène occupa une petite heure et cette assemblée singulière s’égailla.

 

 

(C‑8, page 58)

 

 

[188]       Le récit de McDougall diffère de celui de Morris quant à la durée de ces discours d’ouverture. McDougall dit qu’ils ont duré une petite heure, tandis que Morris, dans son rapport, dit qu’il lui fallut trois heures.

 

 


[189]       Le récit du Fort Pitt fait par Erasmus diffère quelque peu de ceux de Morris, Jackes et McDougall. Erasmus décrivait les cérémonies d’ouverture et faisait état du discours de Morris, mais sans entrer dans le détail. Son récit diverge ensuite car il se rappelait que le chef, l’Aigle (Ku‑ye‑win), avait répondu à Morris en pressant les gens de ne pas avoir peur de dire ce qu’ils pensaient sur toute chose qu’ils ne comprenaient pas ou souhaitaient connaître. Personne n’a parlé et alors, selon Erasmus, Sweet Grass prononça un discours par lequel il acceptait les termes du traité.

 

 

[190]       Après cela, Erasmus écrivait que le chef James Seenum avait demandé à Morris un important territoire pour tous les Cris qui ne souscrivaient pas au traité. Morris répondit qu’il ne pouvait pas accéder à une telle requête :

[traduction] « Il n’est pas dans mon pouvoir d’ajouter à ce traité des clauses dépassant les promesses qui vous y sont déjà faites, mais je présenterai votre requête devant la Chambre à Ottawa. Toutefois, je sais qu’elle ne sera pas acceptée. Comme vous l’avez dit, en ma qualité de chef, je porterai l’affaire à l’attention de mes supérieurs ».

 

 

(C‑7, pages 260‑261)

 

 

[191]       La chronologie présentée par Erasmus ne s’accorde pas avec celle de Morris, de Jackes ou de McDougall. Erasmus ne dit pas qu’il y a eu ajournement de l’assemblée pour permettre la réunion du conseil des Cris. Toutefois, il précise que les conditions du traité ont été lues et expliquées au peuple le 9 septembre et que les chefs ont donné leur accord et signé le traité ce jour‑là. Il écrit aussi qu’il n’y a eu aucune dissension comme cela avait été le cas au Fort Carlton (C‑7, page 261).

 

 

[192]       Morris écrivait dans son rapport que les Cris avaient demandé davantage de temps pour se réunir en conseil :


[traduction] Le 8, les Indiens ont demandé davantage de temps pour délibérer, ce qui leur fut accordé, parce que nous avions appris que certains d’entre eux souhaitaient présenter des exigences exorbitantes, et nous voulions qu’ils comprennent, par les voies qui nous permettaient d’accéder à eux, que ces exigences seraient sans suite.

 

 

(S‑4, page 190)

 

 

[193]       Dans son ouvrage intitulé Opening the Great West, le révérend McDougall racontait comment il avait été prié par le chef Sweet Grass d’assister au conseil des Cris, et ce qui s’en était suivi :

[traduction]

L’après‑midi suivant, un messager du chef principal Sweetgrass apporta une requête me priant de me présenter à l’endroit de leur conseil. Après m’être assuré que la requête était authentique, je montai la colline et j’y trouvai les Indiens assemblés. Une fois arrivé, je fus invité à m’asseoir près du chef principal. Sweetgrass me présenta comme un ancien ami et comme l’unique homme blanc qui selon lui avait un coeur d’Indien. Il avait connu mes parents, qui étaient sans aucun doute les vrais amis des peuples indiens. « De plus, ce jeune homme parle et comprend notre langue aussi bien que nous. Je l’ai envoyé chercher pour qu’il nous dise ce que signifient les propositions du traité, pour qu’il nous explique en détail ce qu’a dit le chef blanc, pour qu’il parcoure toutes ses promesses et qu’il les interprète pour nous, afin que moi‑même et vous‑mêmes, mon peuple, puissions véritablement comprendre ce qui nous a été dit aujourd’hui. Rappelez‑vous que ce jeune homme, que j’appelle mon petit‑fils, a toute ma confiance et que, lorsqu’il parle, je le crois toujours ». Puis se tournant vers moi, il dit : « Maintenant, John, mon petit‑fils, dis à ces chefs ce qu’a dit, selon toi, le chef blanc lorsque nous l’avons rencontré hier ».

 

 

« Avec grand soin et dans les moindres détails, je parcourus mes notes de la veille en les expliquant le mieux possible et en faisant en sorte que mon auditoire en comprenne le sens. Lorsque j’eus terminé mes explications, le chef s’approcha de moi encore une fois. « Je te remercie pour tes paroles », a‑t‑il dit. « Maintenant, je voudrais que tu ailles plus loin et que tu te mettes à notre place. Oublie que tu es un homme blanc et imagine que tu es maintenant l’un d’entre nous, et, dans cette perspective, dis‑nous franchement ce que nous devrions décider ».

 

 


Pendant quelques instants, je me sentis embarrassé. Puis, rassemblant mes forces, je remerciai d’abord le chef pour sa confiance, puis je parlai longuement de l’équité de la justice britannique et de la loyauté du gouvernement canadien. Je dis à ces chefs et à ces guerriers ce que j’avais vu parmi les Indiens de l’Est canadien. Là ils occupaient leurs réserves parmi les hommes blancs et vivaient en paix. Je prédis que les mêmes conditions finiraient par prévaloir dans ce pays. Je leur conseillai fortement de se présenter devant les commissaires le lendemain et de leur signifier leur acceptation des propositions qui leur avaient été faites. Quand j’eus terminé, je me retirai avec un sentiment de profonde satisfaction, constatant que, après 16 ans d’association et de relations avec ces tribus de l’Ouest, ils m’avaient jugé digne de toute leur confiance en décidant ces affaires d’une importance si vitale pour eux et pour leurs générations futures.

 

 

(C‑8, pages 58‑59)

 

 

[194]       Morris écrivait que les Indiens furent lents à s’assembler sous la tente du conseil le lendemain de leurs délibérations (S‑4, page 190). Voici les observations de Jackes :

[traduction] Le matin du 9, les Indiens furent lents à s’assembler, car ils souhaitaient régler toutes les difficultés et tous les malentendus entre eux avant de se rendre à la tente de négociation du traité, mais cela fut semble‑t‑il accompli vers onze heures du matin, quand le groupe tout entier s’approcha et prit place dans l’ordre...

 

 

(S‑4, page 235)

 

 

[195]       Une fois tout le monde assemblé, Morris demande aux Cris de lui donner leur réponse. Ainsi que l’indique Erasmus, l’Aigle se leva et encouragea les Cris à dire ce qu’ils pensaient. Nul ne réagit, et Morris leur demanda encore une fois de lui donner leur réponse (S‑4, pages 235‑236).

 

 

[196]       Le chef Sweet Grass se leva pour prendre la parole. Il accepta le traité et, selon l’observation de Jackes, [traduction] « Les Indiens ont acquiescé aux remarques du chef par de fortes exclamations » (S‑4, pages 236‑237). Morris répondit qu’il était heureux qu’ils acceptent l’offre, ajoutant :


[traduction] Je crois que nous avons fait aujourd’hui du bon travail; les années passeront, et nous avec elles, mais le travail que nous avons fait aujourd’hui subsistera comme les collines. Ce que nous avons dit et fait a été consigné et ne pourra pas être effacé, de sorte qu’il ne peut y avoir aucune erreur sur ce qui a été convenu. Je vais maintenant vous faire lire le traité intégralement et vous le faire expliquer, et, avant de partir, j’en laisserai un exemplaire à votre chef principal.

 

 

(S‑4, page 237)

 

 

[197]       Jackes concluait son compte rendu de cette journée de négociations du traité en relatant les propos tenus par plusieurs hommes cris (S‑4, pages 238‑239). Le récit du révérend McDougall à propos de cette journée est bref. Son compte rendu du discours prononcé par le chef Sweet Grass acceptant les conditions du traité est très semblable à celui de Jackes. Son compte rendu n’est donc peut‑être pas tout à fait impartial; il s’en est sans doute rapporté à Jackes quand il s’est mis à rédiger cette partie de ses mémoires, qui ont été écrits vers 1912.

 

 

[198]       Comme il est indiqué plus haut, Erasmus a mentionné la date du 9 septembre presque incidemment, faisant observer :

[traduction] Le 9 septembre, les conditions du traité ont été lues et expliquées à la population. Les chefs ont décidé de le signer, et le traité fut donc rapidement mené à terme, sans aucune des dissensions qui avaient surgi à Carlton. Le versement des sommes prévues par le traité et la remise des uniformes prirent la plus grande part de deux journées supplémentaires.

 

 

(C‑7, page 261)

 

 

[199]       Le lendemain était un dimanche. Le révérend McKay célébra l’office pour la police. Le révérend McDougall célébra l’office en cri, tandis que l’évêque Grandin et le révérend Scollen célébrèrent aussi des offices pour les Cris et les Chippéouayanes (S‑4, page 192).

 

 

[200]       Les paiements prévus par le traité, ainsi que la distribution de vivres, furent effectués par Christie le 11 septembre. Morris écrivait dans son rapport que le Grand Ours (appelé Gros Ours dans le récit de Jackes) lui avait rendu visite le 12 septembre. Il était parti chasser, mais, ayant eu vent des pourparlers relatifs au traité, les Cris et les Assiniboines l’avaient envoyé s’exprimer en leur nom. Morris a rapporté qu’il avait informé le Grand Ours de ce qui se passait au Fort Carlton et au Fort Pitt, et ils avaient décidé de se revoir le lendemain (S‑4, page 192).

 

 


[201]       Le matin du 13 septembre, le chef Sweet Grass et les autres chefs et hommes principaux sont arrivés au fort pour présenter leurs hommages et dire adieu aux commissaires. Jackes a consigné les observations qu’ils avaient faites à Morris. Gros Ours expliqua de nouveau qu’il se trouvait là au nom de plusieurs bandes qui étaient parties chasser dans les plaines. Sweet Grass et le chef de la nation du lac White Fish exhortèrent Gros Ours à consentir au traité et à prendre la main de Morris. Gros Ours leur dit d’arrêter, ajoutant qu’il n’avait jamais vu Morris auparavant, mais qu’il avait vu Christie de nombreuses fois. Gros Ours demanda que Morris lui épargne ce qu’il craignait le plus, une condamnation à la corde. Morris répondit que le meurtre était punissable de mort, sauf dans les cas de légitime défense. Gros Ours parla aussi de la protection des bisons. Morris dit à Gros Ours d’informer les autres, dans les Plaines, qu’ils pourraient adhérer au traité l’année suivante. Il demanda aussi à Gros Ours de leur dire ce qui suit :

[traduction] Je voudrais que vous compreniez parfaitement deux points, et que vous en informiez les autres. Le Conseil du Nord‑Ouest envisage d’adopter une loi protégeant les bisons et, quand il l’aura adoptée, il compte bien que les Indiens s’y soumettent. Le gouvernement n’interviendra pas dans la vie quotidienne de l’Indien, il ne le contraindra pas. Il l’aidera simplement à gagner sa vie dans les réserves, en lui donnant les moyens d’obtenir du sol sa nourriture. Le seul cas où une aide sera apportée sera celui où la Providence enverra la famine ou la peste sur tout le peuple indien visé dans le traité. Nous envisagions uniquement quelque chose d’imprévu, et non les durs hivers ou les difficultés des bandes isolées, et cela, vous comme moi l’avons bien compris.

 

 

(S‑4, page 241)

 

 

[202]       Morris dit alors adieu aux Indiens, ajoutant qu’il ne pensait pas les revoir et qu’un autre gouverneur allait le remplacer. Tous se serrèrent la main. Gros Ours dit qu’il ne signerait pas parce que son peuple n’était pas présent, mais qu’il viendrait l’année suivante. Le groupe s’égailla. Gros Ours retourna voir Morris au fort environ une heure plus tard et réitéra ses observations, en disant qu’il signerait le traité l’année suivante (S‑4, pages 239‑242).

 

 


[203]       Les commissaires du traité quittèrent le Fort Pitt le 13 septembre et arrivèrent à Battle River le 15. Il n’y avait pas d’Indiens à cet endroit, si ce n’est Faisan Rouge et sa bande, qui avaient conclu le traité au Fort Pitt. Le 16, les commissaires rencontrèrent Faisan Rouge, et ils discutèrent de l’endroit de la réserve de la bande. Morris les exhorta à choisir un endroit dès que possible, pour qu’ils puissent obtenir les instruments aratoires et les têtes de bétail promis dans le traité. Les commissaires quittèrent Battle River le 19 septembre, et Morris retourna au Fort Garry le 6 octobre (S‑4, pages 242‑244).

 

 

[204]       Le gouvernement réagit plutôt négativement à l’inclusion par Morris de la clause relative à la famine, ainsi qu’il ressort d’une lettre adressée à Morris par le ministère de l’Intérieur, en date du 1er mars 1877 :

 

[traduction]

Son Excellence [le gouverneur général] trouve que, sur certains aspects, en particulier la distribution d’instruments aratoires et la fourniture de semences, les conditions du traité sont plus onéreuses que celles de traités antérieurs; et il regrette en particulier de constater que les commissaires ont jugé nécessaire d’inclure dans le traité une disposition inédite obligeant le gouvernement à venir en aide aux Indiens compris dans le traité pour le cas où ils seraient frappés par la peste ou la famine. On ne saurait douter que cette clause, telle que la comprennent les Indiens, aura tendance à les prédisposer à l’oisiveté et à les rendre moins enclins à prendre les moyens requis pour subvenir eux‑mêmes à leurs besoins, qu’il s’agisse d’aliments ou de vêtements.

 

 

Il est à craindre aussi que la publication des dispositions à ce jour négociées de ce traité rende les Indiens insatisfaits des dispositions moins favorables qui leur ont été consenties et les rende encore plus exigeants dans les dispositions encore à négocier que cela n’aurait été le cas autrement.

 

 

Mais, bien que son Excellence ait eu l’impression que, pour les raisons susmentionnées, le traité donnait matière à opposition, elle a néanmoins jugé opportun de le ratifier, croyant que les inconvénients susceptibles de résulter d’un refus de ratification pourraient entraîner mécontentement et insatisfaction, ce qui en définitive se révélerait plus préjudiciable au pays que la ratification du traité.

 

 

(C‑303, onglet 41)

 


4. Blackfoot Crossing : L’adhésion de Bobtail

 

[205]       Le Traité n° 7 fut conclu le 22 septembre 1877, à Blackfoot Crossing, sur la rivière Bow, avec les Indiens Pieds‑Noirs, Blood, Piégans, Sarcis et Stonys. Morris n’y exerça pas la charge de commissaire du traité. La Loi sur les Territoires du Nord‑Ouest était entrée en vigueur après la signature du Traité n° 6. David Laird s’était rendu dans l’Ouest et était devenu lieutenant‑gouverneur et commissaire des Indiens des Territoires en novembre 1876. Le rôle de Morris dans les traités numérotés de l’Ouest, dont il avait été un si ardent défenseur, avait pris fin avec le Traité n° 6.

 

 

[206]       Morris a inclus dans son ouvrage sur les traités le compte rendu de Laird sur les événements de Blackfoot Crossing. L’extrait suivant du compte rendu de Laird parle de l’adhésion du chef cri Bobtail :

[traduction]

Durant la soirée de lundi, j’ai aussi reçu un message de Bobtail, un chef cri, qui, avec la majeure partie de la bande, était venu sur les lieux du traité. Il expliqua qu’il n’avait été reçu dans aucun traité. Il n’avait pas cependant assisté à la réunion ce jour‑là, parce qu’il n’était pas sûr que les commissaires accepteraient de le recevoir avec les Pieds‑Noirs. Je leur ai demandé, à lui et à sa bande, de rencontrer les commissaires séparément des autres Indiens le lendemain.

 

 


Le mardi, à deux heures, le chef cri et sa bande se sont assemblés pour le rendez‑vous. Les commissaires ont vérifié auprès de lui qu’il avait fréquenté durant quelque temps la région de l’amont de la rivière Bow et qu’il pouvait en toute justice prendre part au présent traité, mais il a exprimé le désir d’avoir sa réserve près du lac Pigeon, dans les limites du Traité numéro Six, et, d’après ce que nous avons cru percevoir dans les sentiments des Pieds‑Noirs à l’endroit des Cris, nous avons jugé prudent de les maintenir séparés autant que possible. Nous avons donc informé le chef qu’il serait tout à fait indiqué pour lui de donner son adhésion au traité de l’année passée et d’être payé annuellement, au nord de la rivière Red Deer, avec les autres chefs cris. Il y a consenti. Nous lui avons alors dit que nous ne pourrions pas le payer avant que ne soit réglée la question des Pieds‑Noirs, car autrement cela risquait de susciter une jalousie entre eux, mais que, entre‑temps, sa bande pouvait recevoir des rations. Il a dit que c’était parfait, qu’il attendrait que nous arrivions à une entente avec les Pieds‑Noirs, et il a accepté de venir signer son adhésion au Traité numéro Six dès que je serais disposé à le recevoir.

 

 

(S‑4, pages 256‑257)

 

 

[207]       L’adhésion de Bobtail fut considérée comme un acte qui engageait les nations de Samson et d’Ermineskin dans le Traité n° 6. De toute manière, il n’a été présenté au procès aucune preuve, pas même une suggestion, contestant ce scénario.

 

Traditions orales

1.  Les négociations au Fort Carlton

L’aîné Jacob Bill

 

[208]       La tradition orale de l’aîné Bill traite du niveau d’aptitude des Cris à engager les pourparlers :

[traduction]

Et donc ce traité : Les temps étaient difficiles pour le peuple cri quand le représentant de la Reine est venu les voir. Ils étaient dans l’incertitude et ne savaient trop quoi faire, mais ils tenaient des réunions. Ils n’ont pas donné tout de suite une réponse aux gens avec qui ils négociaient.

 

 

Finalement, ils ont décidé de ce qu’ils allaient faire. « Nous devons négocier avec celui‑ci. Il est inévitable qu’il nous faudra négocier avec celui‑ci. C’est la volonté du Créateur, et nous devons donc négocier avec lui ». C’est alors qu’ils ont décidé de négocier avec lui.

 

 

(C‑1092, onglet 8, page 2436)

 

 

[209]       Le récit qu’il fait du traité condense en une seule séance les journées qu’ont duré les négociations et les ajournements. Le récit de l’aîné Bill fait état d’un traducteur, mais il ne dit pas qu’Erasmus, ni même qui que ce soit, ait fait lecture d’une liste d’exigences cries portant sur des changements précis. Selon sa tradition orale, un homme cri anonyme s’adresse au représentant de la Reine :

[traduction]

« Vous ne pouvez pas m’acheter ma terre. Je ne peux pas vendre ma terre. Elle est belle. Elle est pure. Et vous la souillerez. Vous ne pouvez pas me l’acheter. C’est une terre magnifique car elle est pure ». Et le peuple cri lui a dit alors : « C’est une terre magnifique. Vous ne pourriez jamais finir de la payer si vous tentiez de me l’acheter. C’est une terre magnifique. Elle est belle. Si vous deviez mettre de l’argent depuis l’endroit d’où vous venez jusqu’à l’endroit où nous sommes, cela ne suffirait pas pour me payer. Vous voyez combien cette terre magnifique est révérée ». C’est ce que le peuple cri a dit.

 

 

« Vous allez tout anéantir. De quoi vais‑je vivre? Quel que soit ce dont je dépende pour vivre, vous allez tout détruire. Je n’aurai plus de quoi vivre ». C’est ce qu’ils lui ont dit.

 

 

(C‑1092, onglet 8, page 2437)

 

 

[210]       Selon la tradition orale, le représentant de la Reine a répondu :

[traduction]

« Ce que je vous demande, ce ne sont pas les choses dont vous dépendez pour vivre. Ces choses‑là vous appartiennent encore, et je n’ai pas l’intention de vous les enlever. Vous pouvez encore en vivre. Vous ne manquerez jamais de nourriture ». C’est ce qu’il a dit. « Je vous fournirai de quoi vivre; je vous donnerai de quoi manger. Vous ne manquerez jamais de nourriture ». C’est ce qu’il a dit, celui qui voyageait.

 

 

 * * *

 

 

Celui qui voyageait demanda : « Cette terre, c’est votre terre, je voudrais vous l’emprunter. Je voudrais ensemencer cette terre. Voilà comment je vais gagner ma vie. Je vais permettre à mon peuple de vivre de cette terre, pour qu’il puisse véritablement en vivre. Mais vous aussi serez en mesure d’en vivre ». C’est ce qu’il a dit. « Voici les choses que je voudrais : du bois, une terre que je puisse travailler, et des prairies pour que mes animaux puissent survivre. Voilà les choses que je voudrais négocier. C’est ce que je veux. Ce sont les choses que je veux négocier ». C’est ce qu’il a dit, celui qui voyageait.


 

« Les choses qui vous permettent de vivre, par exemple les animaux, les poissons et autres choses du genre, ce n’est pas ce que je veux. Ces choses sont à vous ». C’est ce qu’il leur a dit.

 

 

(C‑1092, onglet 8, page 2439).

 

 

[211]       Ainsi, selon la tradition orale de l’aîné Bill, les Cris rejetèrent dès le début des négociations du traité l’idée de céder leur terre, et le représentant de la Reine accepta leur idée selon laquelle la terre serait empruntée, et uniquement jusqu’à une certaine profondeur.

 

 

[212]       Le récit de l’aîné Bill porte ensuite sur les promesses particulières. On promettait aux Cris les moyens de construire des maisons, on leur promettait l’éducation, des écoles et des médicaments. On leur faisait aussi une promesse sans limite de durée, qui les laissait libres d’augmenter la taille de leurs réserves si le besoin s’en faisait sentir (C‑1092, onglet 8, pages 2440‑2441). Selon cette tradition orale, le représentant de la Reine promettait de leur donner des médailles et des cartes d’adhésion au traité, qu’ils présenteraient si jamais ils devaient se heurter à des difficultés à propos du traité (C‑1092, onglet 8, pages 2441‑2442). Des rentes étaient aussi promises, à raison de 12 $ par personne, les chefs et les conseillers recevant 25 $ et 15 $ respectivement. L’aîné Bill plaçait alors son propre commentaire dans le récit du traité. Il faisait observer que la personne qui lui avait fait ce récit lui avait dit que la somme de 12 $ avait été réduite, peut‑être en l’espace de deux ans, à 5 $ et que la différence de 7 $ avait probablement été mise de côté quelque part pour emploi futur (C‑1092, onglet 8, page 2442).


 

 

[213]       L’aîné Bill a relaté une seconde histoire relative au traité durant son témoignage, quand il fut prié par l’avocat de Samson de dire comment les Cris s’étaient préparés à la conclusion du traité. Selon ce récit, les Cris auraient aussi dit au représentant de la Couronne qu’ils se limiteraient à prêter la terre :

 

[traduction]

Après y avoir réfléchi, ils ont décidé de conclure le traité. Voilà comment ils s’y sont préparés. « Maintenant, s’agissant de la terre, je ne négocie rien avec vous pour ce qui se trouve dans le sous‑sol ». « C’est tout ce que je vous accorde », a dit celui qui m’a raconté cette histoire, en mettant ses mains comme ceci. « Je ne vous prête rien de ce qui se trouve dans le sous‑sol ».

 

 

Et il a alors répondu : « C’est vrai, je vais ensemencer cette terre car j’ai l’intention de la travailler. C’est tout », a‑t‑il répondu. C’est vraiment tout. Ils n’avaient rien négocié d’autre ensemble. Qu’est‑ce que cela représentait, je ne saurais le dire d’après leurs gestes. Voici les gestes qu’ils ont faits avec leurs mains. C’est tout ce qui fut prêté à celui qui était venu négocier.

 

 

(C‑1092, onglet 8, page 2444)

 

 

[214]       Le geste de la main qu’évoquait l’aîné Bill a été décrit par l’avocate de Samson, pour mémoire :

 

[traduction]

Mme KENNEDY: M. Bill met la main gauche sur la main droite, la main présente un angle de 45 degrés, le pouce pointé vers le haut, et les doigts sont écartés. La main droite, qui se trouve sous la main gauche, présente un angle d’environ 135 degrés, les quatre doigts sont écartés, et le pouce – puis‑je m’approcher, monsieur le juge?

 


 

Le pouce de la main droite est placé sous la paume de cette main.

 

 

Merci.

 

 

(C‑1092, onglet 8, page 2491)

 

 

[215]       Dans ce récit du traité, le représentant de la Reine promettait de donner aux Cris des hommes qui veilleraient à l’application du traité :

 

[traduction]

« Mes jeunes hommes, je vous les donnerai, et ils auront pour tâche de surveiller l’application du traité », voilà ce qu’il a dit.

 

 

« L’un d’eux sera un trésorier et je vous l’enverrai. Toutefois, si vous avez besoin de certaines choses, il vous appartiendra de le lui dire, et il les obtiendra pour vous.

 

 

« Un autre veillera à votre nourriture, et un autre encore s’occupera des semailles. Le responsable de la nourriture vous apportera des aliments; et, si vous allez travailler, si vous voulez ensemencer votre terre, celui‑là vous donnera toutes sortes de semences ou de graines, et il vous montrera comment ensemencer. Vous obtiendrez les graines avec lesquelles ensemencer ». C’est ce qu’il avait dit.

 

 

« Et comme j’ai dit, à propos de mes jeunes hommes, il y a le trésorier, il y a celui qui nourrira et il y a celui qui ensemencera; et il y a aussi la tunique rouge [simanakanis], je vous l’enverrai. Cette tunique rouge prendra soin de vous; elle vous soutiendra si quelque chose vous dérange ». C’est ce qu’il a dit également.

 

 

« Il y en a aussi un autre. Il est aussi l’un de mes jeunes hommes. C’est celui qui s’occupe de vos animaux », voilà ce qu’il a dit. Il a dû être – je ne sais trop comment on les appelle, peut‑être des gardiens [Okanawehicikewak], comme ceux qui travaillent dans la brousse. Il doit être de ce genre‑là, mais « il s’occupera de vos animaux ». C’est ce qu’il a dit.

 

 

« Ces jeunes hommes, qui sont à moi, sont aussi à vous. Ils vous appartiennent, vous ne leur appartenez pas. Quoi que vous leur disiez de faire, ils devront le faire. C’est ainsi que je vous les donne ». C’est ce qu’il a dit.

 

 

(C‑1092, onglet 8, pages 2444‑2446)

 


 

[216]       Selon ce récit du traité, on promettait aux Cris qu’ils pourraient continuer de chasser n’importe où, mais ils devaient respecter les biens des colons. On leur promettait aussi qu’ils pourraient pêcher n’importe où (C‑1092, onglet 8, page 2445).

 

 

[217]       On ne sait trop si ce second récit du traité est en réalité un récit autonome, ou bien s’il fait partie du premier récit. Aucune question n’a été posée sur sa provenance. Les avocats ont simplement demandé à l’aîné de dire comment les Cris s’étaient préparés pour la conclusion du traité (C‑1092, onglet 8, page 2443).

 

 

[218]       Qui plus est, on pourrait se demander d’où vient le premier récit du traité. Le témoignage direct de l’aîné Bill sur ce point se présente ainsi :

 

[traduction]

Ce chef qui était le premier chef de Big River, Sisiwayham était son nom, il était le premier chef à cet endroit, et il a pris part à la conclusion du traité.

 

 

Puis, il y avait deux autres hommes cris qui se trouvaient là. L’un d’eux était Kinomatayew. C’est de là que vient le récit, celui que je vais vous faire. C’est leur récit.

 

 

À l’époque, il y en avait un autre, qui s’appelait Pahpiween, et qui était lui aussi de Big River. Ces trois aînés que j’ai nommés, c’étaient les chefs de cette réserve. Voilà d’où vient le récit.

 

 


J’en nommerai un autre. Son nom était Masinastewakohp. Le vieil homme qui m’a raconté cette histoire était toujours avec cet homme. Ils étaient des amis proches. Masinastewakohp était un chef. Natokowapiskapo était de notre réserve. Il était conseiller, et il travaillait avec Masinastewakohp. C’est là qu’ils ont entendu ce récit, de ce vieil homme Pahpiween. C’est ainsi que le vieil homme leur a fait le récit de ce qui était arrivé. C’est ainsi que l’histoire se présente. Voilà comment le vieil homme a raconté l’histoire; c’est lui qui la leur a racontée.

 

 

Natokowapiskapo m’a raconté cette histoire quand j’étais chef. Comme j’étais chef, il voulait que je sache en quoi consistait le traité. Et il m’a donc raconté l’histoire de la bonne façon. « Voilà comment c’est arrivé. Voilà comment ils ont négocié quand ils ont conclu le traité et fait les promesses qu’il contient.

 

 

(C‑1092, onglet 8, pages 2435‑2436).

 

 

[219]       En contre‑interrogatoire, l’aîné Bill confirma que le récit du Traité n° 6 lui avait été fait par Natokowapiskapo, dont le nom anglais est Harry Harris, à l’époque où l’aîné Bill devint chef en 1970 (C‑1092, onglet 8, page 2493). L’aîné Bill a témoigné que Natokowapiskapo lui avait fait ce récit à plus d’une reprise (C‑1092, onglet 8, page 2494). Revenant à la question de la transmission du récit, l’aîné Bill a réitéré son témoignage antérieur. Je le répète ici pour éclaircir encore cet aspect :

 

[traduction]

Q. Et, M. Bill, l’un des individus qui a fait le récit du Traité n° 6 à Natokowapiskapo était Sisiwayham; est‑ce exact?

 

 

R. Il disait que Pahpiween [L’Homme qui rit] était celui qui justement lui avait fait ce récit. Mais Pahpiween [L’Homme qui rit] tenait ce récit de Sisiwayham [Il fait du bruit].

 

 

(C‑1092, onglet 8, page 2511)

 

 


[220]       Donc, pour résumer, l’histoire du Traité n° 6 racontée par l’aîné Bill avait pour origine Sisiwayham, qui aurait été présent lors de la signature du Traité n° 6; et d’ailleurs le récit a pour scène le Fort Carlton. L’appendice du livre de Morris contient le texte du Traité n° 6 ainsi que ses adhésions (S‑4, pages 351‑367). Aucune personne nommée Sisiwayham, ou portant un nom similaire, n’a apposé sa signature, que ce soit au Fort Carlton ou au Fort Pitt. Cependant, une personne nommée Sa‑Se‑Wa‑Hum a signé une adhésion le 3 septembre 1878 au nom de la tribu indienne des Cris des bois, à Carlton.

 

2.  Les négociations au Fort Pitt

L’aînée Margaret Quinney

 

[221]       L’aînée Margaret Quinney a témoigné les 13, 14, 15, 19 et 20 juin 2000, lors des séances tenues dans la réserve de la nation crie de Samson. Elle est née dans la réserve du lac Frog et elle est membre de cette Première nation. Elle a été présentée devant la Cour par Cherrilene Steinhauer, membre actuelle et ancienne chef de la nation crie du lac Saddle. Mme Steinhauer a dit qu’elle‑même et l’ensemble de la communauté crie considèrent Margaret Quinney comme une aînée (C‑1092, onglet 5, pages 1943‑1944).

 

 

[222]       L’aînée Quinney a fait à la Cour le récit de son grand‑père concernant la conclusion du Traité n° 6, au Fort Pitt. Le nom de son grand‑père était Papakachas (« Petit Estomac »), et son nom anglais était Simon Gadwa. L’aînée Quinney a déclaré que Papakachas lui avait dit qu’il était âgé d’environ 17 ans à l’époque du traité (C‑1092, onglet 6, page 2040).

 


 

[223]       L’aînée Quinney a témoigné que les Européens avaient cherché à acheter la terre longtemps avant la conclusion du Traité n° 6 :

[traduction]

Avant le traité, à l’époque où nos frères sont arrivés ici, comme mon grand‑père l’avait dit, ils convoitaient cette terre. Ils venaient de temps à autre, en déclarant vouloir acheter cette terre. Cependant, ces hommes au coeur vaillant ne voulaient pas la céder, en raison de l’estime considérable dans laquelle ils la tenaient. Ils avaient beaucoup de respect pour elle parce qu’elle était pour eux une bénédiction, à tel point qu’ils n’auraient jamais songé à la vendre.

 

 

Alors ces gens retournaient chez eux par‑delà l’océan et revenaient ici encore une fois. Une fois, quand ils sont revenus ici pour faire de nouveau leur demande, c’est alors qu’un homme au coeur vaillant a pris de la terre dans sa main et l’a élevée dans la paume de sa main.

 

 

                                                                   *  *  *

 

 

Puis il a dit : « Voyez‑vous ceci? Cette chose est divinement sacrée, au‑delà de l’intelligence humaine, elle est la bienveillance même à qui je dois la vie et à qui les animaux d’ici doivent la vie. Vous ne serez jamais en mesure de vous l’offrir, car elle est la source de tout ce qui croît ici. Elle est divinement sacrée au‑delà de l’intelligence humaine, et elle est la bienveillance même. Je ne serai jamais capable de vendre cette terre », c’est ce qu’il lui a dit. Alors ils sont retournés chez eux.

 

 

Puis, de nouveau, ils ont été informés que ces gens allaient encore une fois revenir. Ils venaient négocier un traité.

 

 

(C‑1092, onglet 6, pages 2040‑2042)

 

 

[224]       L’aînée Quinney a témoigné que Papakachas et le père de celui‑ci étaient allés au Fort Pitt pour assister aux pourparlers relatifs au traité. Ils s’étaient assis à environ trois pieds du commissaire, qui était assis avec les secrétaires, de part et d’autre, ainsi qu’avec l’interprète. Le père de Papakachas lui avait demandé d’écouter attentivement et de se souvenir de ce qu’il voyait (C‑1092, onglet 6, page 2044).


 

 

[225]       L’aînée Quinney a raconté à la Cour ce que Morris avait dit aux Cris assemblés :

 

[traduction]

« ... la Reine m’a envoyé ici pour négocier un traité avec vous. Je ne suis pas venu ici pour acheter la terre, mais pour négocier un traité. La Reine vous emprunte votre terre. Cela seulement...

 

 

                                                                   *  *  *

 

 

« Cela seulement, la couche arable de la terre que la Reine m’a envoyé emprunter pour que je puisse subvenir à mes besoins, à ceux de mes enfants et à ceux de mon bétail ».

 

 

(C‑1092, onglet 6, pages 2044‑2045)

 

 

[226]       L’aînée Quinney a fait un geste de la main lorsqu’elle a prononcé les mots de Morris à propos de la profondeur de terre qu’il voulait emprunter. L’interprète Ron Lameman a décrit ainsi son geste :

[traduction] INTERPRÈTE LAMEMAN : Et là, de nouveau, l’aînée a fait un geste avec les mains, l’une posée sur l’autre, le pouce posé sur la main du dessus et pointé vers le haut.

 

(C‑1092, onglet 6, pages 2044‑2045)

 

 


[227]       L’aînée a témoigné que Morris ne demandait que trois choses : la couche arable du sol, pour subvenir aux besoins de sa famille et de son bétail, des épinettes pour construire une maison, et du foin pour nourrir son bétail. En échange, la Reine donnerait aux Cris trois choses : une école sur leur terre, des médicaments gratuits et un entrepôt de vivres dans leur réserve (C‑1092, onglet 6, page 2045).

 

 

[228]       Selon le récit de l’aînée Quinney à propos du traité, Morris a ensuite parlé de réserves :

 

[traduction] « Puis, si vous êtes d’accord, vous prendrez votre terre où vous le voudrez, n’importe où. Nous y installerons des marques solides. Nous y mettrons des pieux en fer en quatre endroits, pour que jamais personne ne vous importune. Ce sera la loi, et vous pourrez donc vivre en paix comme auparavant. Nul ne sera autorisé à y mettre les pieds [...] ».

 

 

(C‑1092, onglet 6, pages 2045‑2046)

 

 

[229]       L’aînée Quinney a témoigné que Morris avait parlé des chefs et des conseillers :

 

[traduction]

« À l’intérieur de votre terre, vous choisirez un chef, et je lui donnerai un uniforme qui sera reconnu. Il sera décoré de galons rouges et de galons jaunes. À ce chef, je donnerai mes insignes, de telle sorte qu’il sera investi des attributions qui sont les miennes [...].

 

 

« Voilà comment le chef sera décoré sur votre terre. Aux conseillers également, nous donnerons des vêtements afin qu’ils brillent eux aussi. Nous donnerons au chef un cheval et un petit chariot pour qu’il puisse s’occuper de son peuple ».

 

 

(C‑1092, onglet 6, page 2046)

 

 

[230]       Selon le récit de l’aînée Quinney, Morris promettait de ne pas perturber le mode de vie des Cris :

 

[traduction] « Je ne suis pas venu ici pour déranger vos animaux, uniquement le mode de vie agricole. Vos animaux continueront de vous appartenir. Nous ne les dérangerons pas. Vous serez encore en mesure de chasser n’importe où. Vous recevrez des cartouches chaque année, et vous continuerez de pouvoir chasser n’importe où sur cette île. On ne vous dérangera jamais à ce sujet. Des filets de pêche vous seront donnés chaque année en tant que peuple cri, et vous pourrez pêcher n’importe où, sur n’importe quel lac. Le poisson reste votre bien ».

 

 

(C‑1092, onglet 6, pages 2046‑2047)

 

 

[231]       Selon le témoignage de l’aînée Quinney, on avait dit aux Cris qu’ils pourraient garder toute chose de valeur se trouvant sur leur terre. Morris avait aussi promis que lui et les Cris seraient chacun propriétaires de la moitié de la police. On avait promis aux Cris qu’ils ne paieraient toujours que la moitié du tarif, où qu’ils aillent. L’aînée a dit aussi que l’on avait promis aux Cris que les taxes foncières payées par les Blancs seraient données aux Cris, et que les Cris n’auraient jamais à payer de taxes foncières (C‑1092, onglet 6, page 2047).

 

 


[232]       L’aînée Quinney a dit qu’il avait fallu trois jours pour négocier le traité. Elle a témoigné que, après avoir entendu les promesses, les Cris avaient conféré entre eux, puis avaient décidé de serrer la main au représentant de la Reine et de signer le traité. Un aîné, cependant, ne s’est d’abord pas dérangé pour serrer la main à Morris. On l’appelait le Suisse. Il semblait peu enclin à croire les promesses, mais il serra finalement la main à Morris (C‑1092, onglet 6, page 2049).

 

 

[233]       Selon le récit fait par l’aînée Quinney, la cérémonie du calumet s’est déroulée après l’échange de poignées de mains :

[traduction]

C’est alors qu’ils procédèrent à la cérémonie du calumet. Et le représentant de la Reine a lui aussi fumé. Cela s’est passé alors qu’ils parlaient de la période durant laquelle ce traité serait appliqué. Comme je l’ai dit aujourd’hui à propos de l’être spirituel qui nous envoie sa lumière, le traité durera aussi longtemps que la rivière coulera et que l’herbe poussera.

 

 

Puis, ils se sont alors serré la main, après avoir prêté un serment solennel et sacré sur ce traité, affirmant sa nature sacrée, et l’assimilant aux êtres spirituels. Ils avaient fait un serment solennel, sacré. Voilà l’histoire que mon grand‑père m’avait racontée.

 

 

(C‑1092, onglet 6, pages 2049‑2050)

 

 

[234]       L’aînée Quinney a donné quelques indications additionnelles en réponse à d’autres questions posées lors de l’interrogatoire principal, à propos de l’intégralité de son récit concernant le traité :

[traduction]

Q. Y a‑t‑il quelque chose à ajouter pour terminer le récit?

 

 

R. Oui.

 

 

Q. Que faut‑il ajouter?

 

 


R. Ce que j’ai oublié d’ajouter, c’est ceci : « Il y aura toujours une école sur votre terre ». Mais la Reine avait dit aussi : « Mon enfant est intelligent, et votre enfant le sera aussi. Vous disposerez de serviteurs : un instructeur agricole, un agent des Indiens et une personne chargée de distribuer les vivres à la population. L’instructeur agricole vous enseignera comment cultiver. L’agent des Indiens sera là lorsque vous aurez besoin de quelque chose. Il est votre serviteur. L’administrateur des vivres veillera à ce que les gens mangent à leur faim. Vous recevrez du bétail chaque année. Du bon bétail. Du bétail à tête blanche ».

 

 

Voilà ce que j’ai oublié de mentionner hier. Je ne voulais pas l’omettre parce que, en tant qu’Indiens, nous utilisons ces choses. Chaque jour, nous voulons cette éducation. Cela, je ne l’ai pas inventé. Je ne dis que la vérité.

 

 

(C‑1092, onglet 6, pages 2097‑2098)

 

 

[235]       En contre‑interrogatoire, l’aînée Quinney a témoigné que, selon elle, son grand‑père avait dit qu’Erasmus était l’interprète au Fort Pitt et qu’il parlait bien le cri (C‑1092, onglet 6, page 2297). Elle a répété cela en réinterrogatoire et a ajouté quelques idées personnelles sur les compétences d’Erasmus (C‑1092, onglet 6, page 2287).

 

 

[236]       Le récit de l’aînée Quinney à propos du traité est le seul compte rendu présenté à la Cour qui place la cérémonie du calumet à la fin des négociations. D’après tous les autres récits, les pourparlers relatifs au traité avaient débuté par la cérémonie du calumet.

 

L’aîné Pete Waskahat

 


[237]       Pete Waskahat, de la nation crie du lac Frog, a témoigné lors des séances tenues dans la réserve de la nation crie de Samson, les 6, 7, 8, 9 et 12 juin 2000; il a été rappelé pour nouveau contre‑interrogatoire et a témoigné à Calgary en novembre 2001. Il a été présenté devant la Cour par Eric Tootoosis, de la réserve indienne de Poundmaker. M. Tootoosis a témoigné qu’il connaissait Pete Waskahat depuis environ 15 ans (C‑1092, onglet 3, pages 1614‑1615). Il a dit qu’il considère Pete Waskahat comme un aîné, en raison de son éducation, de sa loyauté passée envers les autres aînés, de son respect pour les manières indigènes, enfin de la manière dont il s’était comporté depuis qu’il avait été confirmé dans le rôle d’aîné. M. Tootoosis a témoigné que Pete Waskahat est reconnu au sein de la communauté crie tout entière comme un aîné (C‑1092, onglet 3, pages 1615‑1616).

 

 

[238]       L’aîné Waskahat est le dépositaire d’un récit particulier du Traité n° 6, et c’est ce récit qu’il a fait à la Cour durant les séances de juin 2000. Il a déclaré que c’est son grand‑père Mostos qui lui avait fait ce récit, lors d’une cérémonie du calumet. Selon l’aîné Waskahat, Mostos tenait ce récit d’un autre aîné du nom de Seekaskootch (C‑1092, onglet 4, page 173). Mostos et Seekaskootch avaient tous deux assisté aux négociations du traité du Fort Pitt.

 

 

[239]       Selon ce récit du traité, les Indiens avaient conféré entre eux et avaient été informés au préalable des pourparlers imminents relatifs au traité (C‑1092, onglet 4, page 1737). Les pourparlers s’étaient déroulés au Fort Pitt, et le régisseur du poste s’était préparé en confectionnant une estrade en bois, avec des chaises dans chaque coin et deux au milieu. Le représentant de la Reine, non désigné nommément dans le récit (mais il s’agissait probablement de Morris), était arrivé par bateau à vapeur. Les Indiens l’avaient rencontré à mi‑chemin entre la rivière et le poste de traite. Rien d’autre ne fut fait ce premier jour (C‑1092, onglet 4, pages 1738‑1739).

 


 

[240]       Le lendemain, selon le récit fait par l’aîné, tout le monde s’était assemblé :

 

[traduction] Ils se sont alors assemblés après l’aube, le lendemain. Les Indiens avaient déjà arrêté la manière dont ils allaient lui parler, et aussi la manière dont ils allaient considérer l’emprunt se rapportant à la terre qu’ils étaient venus emprunter.

 

 

(C‑1092, onglet 4, page 1739)

 

 

[241]       Le représentant de la Reine était monté sur l’estrade. Des secrétaires étaient assis aux quatre coins. Un interprète se trouvait aussi sur la scène. Morris, qui s’apprêtait à prendre la parole, en fut empêché par un homme cri. Celui‑ci disait : [traduction] « Je ne peux pas vous donner ma terre. Je ne peux pas vous donner ma terre. Si le Créateur m’a mis ici, c’est pour que cette terre soit mienne » (C‑1092, onglet 4, page 1740). Puis l’homme avait poursuivi ainsi :

 

[traduction] « De l’endroit où vous vivez, vous êtes parti. Même si vous posiez de l’argent depuis cet endroit jusqu’à l’endroit où vous vous tenez maintenant, vous ne seriez jamais en mesure d’acheter ma terre », a‑t‑il déclaré. « Cependant, si vous voulez me l’emprunter pour vivre en bon voisinage avec moi, alors j’y consentirai ».

 

 

(C‑1092, onglet 4, pages 1763‑1764)

 

 


[242]       Selon l’aîné Waskahat, le Cri avait indiqué à Morris leurs quatre protecteurs spirituels : le soleil, l’eau, la terre nourricière et tout ce qui croît sur la terre. Ces protecteurs garantiraient la pérennité du traité. Ils signifiaient aussi que les Cris ne pourraient jamais renoncer à leur terre (C‑1092, onglet 4, pages 1765‑1768). Après avoir énuméré et expliqué les protecteurs spirituels, l’homme cri avait dit :

[traduction]

« Vous êtes donc d’accord, mais comprenez que je ne vous donne pas cette terre, je ne vous la donne pas, j’accepte que vous puissiez vivre côte à côte avec moi sur cette terre. »

 

 

« Et vous ne changerez jamais non plus mon mode de vie. Mes croyances, mon indépendance, c’est moi qui en décide. Vous ne me direz pas comment vous me donnerez des choses. C’est moi qui vous le dirai... »

 

 

(C‑1092, onglet 4, pages 1767‑1768)

 

 

[243]       Selon le témoignage de l’aîné Waskahat, Morris avait donné son accord et avait dit qu’il se chargerait de subvenir aux besoins du peuple cri. Morris avait alors expliqué que, quand ses gens arriveraient, ils voudraient simplement une terre en suffisance qui leur permette de vivre, eux et les animaux qu’ils apporteraient. Il avait ajouté : [traduction] « Tout ce qui se trouve dans le sous‑sol est à vous. Ce n’est pas ce que je veux » (C‑1092, onglet 4, pages 1768‑1769). Ainsi, selon la tradition orale de l’aîné Waskahat, Morris disait qu’il ne revendiquait aucun droit sur le sous‑sol de la terre.

 

 


[244]       L’aîné Waskahat a dit à la Cour que Morris avait demandé aux Cris de le laisser utiliser quatre types d’arbres : le pin gris, l’épinette, le mélèze et le bouleau. Ces arbres serviraient à la construction de maisons, ainsi qu’à la fabrication de papier et d’outils (C‑1092, onglet 4, page 1769). Morris avait dit qu’il ne réclamait pas les animaux, les oiseaux ou les poissons; ces créatures demeureraient la possession des Cris, dont ils continueraient de disposer pour leur subsistance (C‑1092, onglet 4, page 1790).

 

 

[245]       Le lendemain, Sweet Grass, représenté comme aîné dans le récit du traité, s’était levé et avait demandé à Morris ce que faisaient les quatre secrétaires. Morris avait répondu qu’ils consignaient tout ce qui se disait. Quand Morris retournerait à l’endroit où vivait la Reine, les propos échangés seraient écrits sur un objet d’où ils ne s’effaceraient jamais; et cet objet serait suspendu à la tête du lit de la Reine pour qu’elle se souvienne chaque jour du peuple cri (C‑1092, onglet 4, page 1791).

 

 

[246]       Selon l’aîné Waskahat, Morris avait demandé aux Cris de lui dire ce qu’ils voulaient. Certains hommes voulaient préserver les moyens qu’ils employaient pour se guérir. Morris avait accepté, puis avait ajouté que les Cris pourraient aussi bénéficier gratuitement des remèdes de l’homme blanc :

[traduction]

« À l’endroit d’où je viens, il existe des remèdes efficaces que mes concitoyens ont fabriqués. Vous n’avez probablement pas la plupart de ces remèdes ici, mais, lorsque je les apporterai, ce sera comme s’ils étaient à vous.

 

 

« Ils vous seront donnés. Vous n’aurez pas à les payer. Votre terre vous rapportera éternellement. Elle vous rapportera parce que vous me l’avez prêtée. Vous en êtes les propriétaires, moi non... »

 

 

(C‑1092, onglet 4, page 1792)

 

 

[247]       Selon l’aîné Waskahat, Morris avait promis aux Cris qu’ils pourraient s’instruire comme l’homme blanc :

[traduction]

« Je profite de ma présence ici pour vous dire que, dans l’avenir peut‑être, lorsque beaucoup de mes concitoyens seront installés, il y aura alors ce que l’on appelle l’instruction. Tout comme vos gens reçoivent un enseignement, ainsi que vous me l’avez raconté, mes gens sont eux aussi instruits de ce qui les entoure.

 

 

« Peut‑être désirerez‑vous ou souhaiterez‑vous cela aussi dans l’avenir. Si vous le voulez, ce sera aussi quelque chose dont vous pourrez vous considérer propriétaires. Vous n’aurez jamais à payer l’enseignement que vous recevrez. Tant que ce traité durera, vous n’aurez jamais à payer votre instruction. »

 

 

(C‑1092, onglet 4, page 1793)

 

 

[248]       Selon le récit fait par l’aîné Waskahat à propos du traité, Morris avait promis que les Cris pourraient avoir une scierie s’ils le souhaitaient. Encore une fois, cela devait être considéré comme une rétribution pour la terre. Morris avait aussi promis un entrepôt de vivres à l’endroit où ils vivaient, assurant qu’il serait toujours rempli d’aliments (C‑1092, onglet 4, page 1794). Morris avait promis de leur affecter un agent des Indiens, ainsi que quelques hommes. Tous relèveraient des Cris (C‑1092, onglet 4, page 1795).

 

 

[249]       Selon l’aîné Waskahat, Morris était revenu sur le sujet de l’enseignement. Il avait promis que des écoles seraient construites dans leurs réserves, à titre de rétribution pour la terre. Selon l’aîné Waskahat, Morris s’était exprimé ainsi :

[traduction]


« À mesure que les écoles progresseront vers les niveaux supérieurs, et que vos enfants atteindront ces niveaux, et s’il n’est pas possible pour eux d’accomplir toute leur scolarité à l’intérieur de la réserve, et qu’ils doivent se rendre ailleurs pour s’instruire, et peut‑être très loin, alors le traité veillera encore à ce qu’ils reçoivent un enseignement.

 

 

« On s’occupera encore d’eux, et leur scolarité sera payée jusqu’à ce qu’ils atteignent le niveau le plus élevé possible d’instruction. Voilà comment on s’occupera de vos enfants... »

 

 

(C‑1092, onglet 4, page 1796)

 

 

[250]       Morris avait fait observer que les Indiens ne pourraient pas toujours vivre dans des tipis. S’ils voulaient des maisons comme celles de l’homme blanc, alors ces maisons seraient construites gratuitement. Il y aurait toujours de la nourriture pour le peuple cri; l’agent des Indiens la leur apporterait pour qu’ils ne souffrent pas de la faim. Morris avait aussi promis qu’une tunique rouge, ou policier, serait à leur disposition, afin d’aider le peuple cri à faire respecter le traité (C‑1092, onglet 4, pages 1796‑1797).

 

 

[251]       Après l’énumération des promesses, un aîné nommé Sasakawapisk (le « Suisse ») avait demandé à Morris comment il lui serait possible de s’occuper des Cris d’aussi loin. Morris avait répondu qu’il avait le bras long et qu’il lui serait possible d’atteindre les Cris et de s’occuper d’eux où qu’ils se trouveraient. Ils ne seraient jamais dans le besoin (C‑1092, onglet 4, pages 1797‑1798).

 

 

[252]       L’aîné Waskahat a fait un geste de la main durant son récit concernant le traité. Ce geste indiquait ce que Morris avait demandé à propos de l’utilisation de la terre. L’avocat de Samson a, pour mémoire, décrit ainsi le geste :

[traduction] « Le pouce de la main droite pointé vers le haut, et les doigts ramenés vers la paume, et le pouce de la main gauche touchant le dessous de la main droite, et les doigts de la main gauche ramenés vers la paume. »

 

 

(C‑1092, onglet 4, page 1812)

 

 

[253]       Durant son contre‑interrogatoire, l’aîné Waskahat a déclaré qu’il avait dix ans quand Mostos lui avait fait ce récit du traité (C‑1092, onglet 4, page 1924). Il a déclaré qu’il avait entendu d’autres aînés dire que le peuple cri avait connaissance d’autres traités conclus plus à l’Est (C‑1092, onglet 4, page 1934). L’aîné Waskahat a dit qu’il n’avait jamais rien entendu dire à propos du Fort Carlton (C‑1092, onglet 4, page 1935). Il a aussi déclaré que c’était la première fois qu’il avait fait ce récit en donnant autant de détails que ceux qu’il avait entendus de la bouche de Mostos (C‑1092, onglet 4, page 1938).

 

 

[254]       Le récit fait par l’aîné Waskahat à propos du traité se déroule au Fort Pitt. Je relève que, selon le texte du Traité n° 6 contenu dans l’appendice de l’ouvrage de Morris, un chef cri nommé See‑kahs‑kootch avait signé le Traité n° 6 au Fort Pitt le 9 septembre 1876 (S‑4, page 358). La source du récit était donc un témoin oculaire de la procédure.

 


E.  Les opinions d’experts : Contexte historique et signification du Traité n° 6, et autres questions

i.  Les commissaires du traité

 

[255]       Comme je l’ai dit précédemment, trois hommes représentaient le gouvernement canadien comme commissaires du traité pour les négociations du Traité n° 6 de 1876 : Alexander Morris, William J. Christie et James McKay.

 

 

[256]       Morris était le principal négociateur du gouvernement. À l’époque du Traité n° 6, il était lieutenant‑gouverneur du Manitoba, des Territoires du Nord‑Ouest et de Keewatin. Il avait aussi été nommé juge en chef de la Cour du banc de la Reine du Manitoba en juillet 1872. Morris était le négociateur en chef du gouvernement pour les Traités nos 3, 4 et 5, et il devait aussi donner suite aux « promesses extérieures » des Traités nos 1 et 2 et de leurs nouvelles versions. Le rôle de Morris dans les traités prit fin avec le Traité n° 6.

 

 


[257]       W. J. Christie a tenu lieu de commissaire pour les Traités nos 4 et 6. Il avait consacré sa vie professionnelle au métier de négociant auprès de la CBH, après avoir débuté comme apprenti greffier à la Maison de Rocky Mountain en 1843. Il s’était élevé au rang de régisseur en chef du District de la Saskatchewan, à la Maison d’Edmonton, poste qu’il a occupé de 1860 jusqu’à sa retraite en 1873. Il avait travaillé avec Morris comme commissaire durant les négociations du Traité n° 4.

 

 

[258]       Le troisième commissaire du Traité n° 6 était James McKay. C’était un Métis de la rivière Rouge, qui était ministre de l’Agriculture dans le gouvernement du Manitoba. McKay avait été un témoin et un traducteur des Traités nos 1, 2 et 3. Il avait aussi tenu lieu de commissaire du Traité n° 5, avec Morris.

 

 

[259]       Les trois commissaires représentant le Canada lors des négociations du Traité n° 6 avaient collectivement une expérience considérable du processus de négociation des traités. Deux d’entre eux avaient l’expérience de l’administration, et l’autre avait passé sa vie adulte à travailler comme négociant de la CBH dans l’Ouest. Deux des commissaires, Christie et McKay, parlaient le cri. Ils n’étaient donc pas étrangers aux conditions ayant cours dans l’Ouest, et ils connaissaient assez bien également les peuples autochtones.

 

 

[260]       Les commissaires avaient négocié le Traité n° 6 en gardant à l’esprit les objectifs et les intentions du gouvernement. J’examinerai maintenant les opinions d’experts sur ce sujet.

 

 

[261]       Le professeur Ray écrivait, dans le résumé introduisant son rapport, que les buts et les besoins du Canada avaient contribué à déterminer la date et la nature du Traité n° 6 (S‑3, page iii). Le Canada avait récemment acheté la Terre de Rupert et il lui tardait de liquider, par des traités, et le plus économiquement possible, le droit de propriété autochtone sur la terre. Le gouvernement souhaitait aussi éviter une guerre avec les Indiens des Plaines. Une guerre aurait été coûteuse sur les plans humain et financier; elle aurait également retardé l’installation des colons (voir aussi S‑3, pages 51‑62).

 

 

[262]       En contre‑interrogatoire, le professeur Ray a reconnu que l’objectif du Canada était d’éteindre le droit de propriété autochtone, afin de faciliter l’installation des colons et de favoriser le développement de l’agriculture et des mines (transcription, volume 24, pages 3201‑3202).

 

 

[263]       Bob Beal a indiqué, dans son rapport, que le Canada croyait qu’il était nécessaire d’obtenir une cession volontaire des droits fonciers des Indiens, en accord avec les règles exposées dans la Proclamation royale de 1763. De l’avis de M. Beal, le Canada n’était pas en position d’obtenir sans l’aval des Indiens le contrôle ou l’accès de l’Ouest (S‑17, page 26). M. Beal partage l’avis du professeur Ray selon lequel le gouvernement voulait s’éviter le risque et les frais d’une guerre avec les Indiens dans l’Ouest (S‑17, pages 29‑33). M. Beal a aussi déclaré dans son témoignage que l’objectif du Canada était d’ouvrir l’Ouest à la colonisation (transcription, volume 38, page 5540).

 


 

[264]       Dans son rapport, le professeur Sanders a énuméré ce qu’il décrivait comme des thèmes, tirés des comptes publics, dans les traités numérotés de l’Ouest conclus de 1867 jusqu’à la décennie 1920 (S‑49, page 14). Par les traités, le gouvernement voulait établir des relations pacifiques, ouvrir le territoire à la colonisation, préserver un régime restreint de droits autochtones, développer l’agriculture ou l’élevage chez les Indiens, mettre au point un système pédagogique, interdire l’alcool et organiser les tribus en bandes avec à leur tête des chefs reconnus par le gouvernement.

 

 

[265]       Pour M. Carl Beal, le gouvernement canadien voulait ouvrir les territoires de l’Ouest à la colonisation. Des traités étaient nécessaires si l’on voulait que diverses activités préalables à la colonisation, par exemple arpentages et relèvements géologiques, installation de lignes télégraphiques et construction de voies ferrées, puissent se dérouler paisiblement et sans entrave (transcription, volume 44, page 6435).

 

 


[266]       M. von Gernet a exprimé une opinion légèrement différente sur la menace militaire que posaient les Cris; selon lui, ils n’avaient pas les moyens de soutenir une guerre contre le Canada dans les années 1870. Durant son témoignage, M. von Gernet a déclaré qu’il ne croyait pas que, pour le gouvernement, la menace d’une guerre contre les Indiens fût l’une des raisons principales de la conclusion du Traité n° 6. À son avis, le gouvernement voulait plus vraisemblablement empêcher les frictions ou les hostilités entre les colons et les Autochtones (transcription, volume 168, page 23269). Pour M. von Gernet, la raison d’être de la conclusion de traités, s’agissant du gouvernement, tenait aux cessions territoriales ou aux actes de renonciation. Il a relevé que le texte de la clause de cession territoriale, dans le Traité n° 6, ressemble à celui de douzaines d’instruments antérieurs à la Confédération (C‑320, pages 26‑27).

 

 

[267]       Le professeur Ray écrivait que les fonctionnaires du Canada chargés des traités s’inspiraient de pratiques établies pour la conclusion des traités, utilisant comme source d’inspiration les accords Robinson et les Traités nos 1 à 3 (S‑3, page 93). Morris avait d’ailleurs explicitement fait état de cette même source d’inspiration au chapitre 12 de son ouvrage de 1880 (S‑4, pages 285‑292).

 

 

[268]       Le professeur Ray croit aussi que le gouvernement canadien avait nommé Christie commissaire des traités afin de ne pas rompre avec la tradition de la CBH, qui agissait comme représentant de facto de la Couronne dans l’Ouest (transcription, volume 23, pages 3111‑3112). C’était là en effet mettre à profit la connaissance qu’avaient les Cris de cette tradition, sans oublier leur longue expérience de la négociation de divers accords avec la CBH et, bien sûr, leur relation de longue date avec la CBH fondée sur le commerce des fourrures.

 

ii.  Les Cris

 

[269]       Dans son ouvrage, Morris qualifiait Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑uh‑kup de grands chefs des Cris au Fort Carlton, et Sweet Grass de chef principal des Cris des Plaines (S‑4, pages 176 et 179). La page des signatures du Traité n° 6, qui figure dans l’appendice de l’ouvrage de Morris, désigne Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑uh‑kup grands chefs des Indiens de Carlton; plusieurs autres chefs et leurs conseillers sont également reconnus tels dans le texte du traité et dans ses diverses adhésions. Le traité fut donc conclu avec les dirigeants cris. Mais quels étaient leurs desseins et leurs objectifs?

 

 

[270]       Selon le professeur Ray, les objectifs des Cris dans la conclusion de traités étaient largement déterminés par leurs besoins et soucis immédiats (S‑3, pages ii‑iii). La variole et autres épidémies avaient causé de grandes tribulations et de nombreux décès parmi les Cris. Durant la décennie 1870, les troupeaux de bisons étaient déjà fortement décimés, et l’effondrement de la chasse au bison, source de subsistance des Cris des Plaines, était imminent. Les Cris voulaient qu’on les aide à faire la transition vers l’agriculture, qu’ils voyaient comme leur principal moyen de survie. Ils étaient irrités de la vente de leurs terres, en 1870, par la CBH au Canada, et ennuyés également de voir des arpenteurs pénétrer sur leur territoire et y tracer des lignes pour les chemins de fer, les télégraphes et la frontière Canada‑États‑Unis. Mais c’est la disparition imminente du bison et l’évolution de leurs rapports avec la CBH qui conduisirent les Cris à la table de négociations (S‑3, page 93).

 

 


[271]       De l’avis du professeur Ray, les Cris avaient fait des Traités nos 1 à 5 leurs principaux points de référence; ils avaient pris connaissance de ces traités grâce à des informateurs autochtones, à des négociants blancs et à des négociateurs du gouvernement (S‑4, page iii). Le professeur Ray a aussi précisé que les Indiens avaient reçu des conseils de dirigeants et préposés de la CBH, ainsi que de missionnaires, qui tous pressentaient le renouveau économique qui s’annonçait (S‑3, page 64). Un aspect crucial de toutes les négociations de traités durant les années 1870 avait trait aux droits de subsistance, c’est‑à‑dire les droits de chasse, de piégeage et de pêche (S‑3, pages 64‑65). Les Cris voulaient préserver leur avenir selon des manières compatibles avec leurs traditions (transcription, volume 23, pages 3025‑3026).

 

 

[272]       Selon M. Beal, les Cris, comme le gouvernement canadien, voulaient que soit préservé l’ordre public; ils souhaitaient aussi la cessation du commerce du whisky (transcription, volume 38, page 5541). M. Beal voyait aussi la disparition imminente du bison comme l’une des raisons majeures pour lesquelles les Cris étaient disposés à conclure un traité (transcription, volume 38, page 5578).

 

 

[273]       Durant son témoignage, M. Beal a déclaré que les Cris pressentaient une intensification de la colonisation et qu’ils voulaient un traité avant que cela ne survienne (transcription, volume 38, pages 5529‑5530). Il a réitéré ce point quand il a dit que les Cris avaient vu qu’il était dans leur intérêt de ne pas autoriser des incursions dans leur territoire tant qu’ils n’auraient pas obtenu un arrangement (transcription, volume 38, page 5540).

 


 

[274]       M. Beal a dit que, lors du Traité n° 6, les Cris étaient informés du Traité n° 3 et, plus particulièrement, du Traité n° 4, grâce au système de communication des Cris (transcription, volume 39, pages 5823‑5824).

 

 

[275]       Durant son témoignage, M. Flanagan a dit que les Cris ne faisaient pas face à une situation totalement inédite au regard du Traité n° 6 (transcription, volume 152, page 21100). Selon M. Flanagan, les Cris avaient entendu parler de traités aux États‑Unis, ainsi que des Traités nos 1 à 5. À son avis, ils avaient une idée générale des enjeux : il y aurait des négociations, et des terres seraient mises de côté pour eux, ainsi que d’autres avantages, par exemple rentes et instruments aratoires.

 

 

[276]       Durant son témoignage, M. von Gernet a dit que les dirigeants cris avaient connaissance de traités antérieurs et que, dans une certaine mesure, ils avaient discuté de ces choses avec leurs populations (transcription, volume 138, page 23298). Il a indiqué aussi que les Cris étaient bien au fait de la question des promesses extérieures se rapportant aux Traités nos 1 et 2, un sujet qui selon lui était de notoriété (transcription, volume 138, pages 23299‑23300).

 


iii.  La clause de cession territoriale

 

[277]       L’une des questions les plus vivement débattues durant la phase un du procès est sans doute la manière dont il convient d’interpréter la clause de cession territoriale du Traité n° 6, ainsi formulée :

Les tribus des Sauvages Cris des Plaines et des Bois, et tous les autres Sauvages habitant le district ci‑après décrit et défini, par le présent cèdent, abandonnent, remettent et rendent au gouvernement de la Puissance du Canada pour Sa Majesté la Reine et ses Successeurs à toujours, tous droits, titres et privilèges quelconques, qu’ils peuvent avoir aux terres comprises dans les limites suivantes [...]

 

[...]

 

Et aussi tous les droits, titres et privilèges quelconques qu’ils peuvent avoir à toutes autres terres, partout où elles se trouveront, dans les Territoires du Nord‑Ouest, ou dans toute autre province ou partie des possessions de Sa Majesté, sises et situées dans les limites du Canada;

 

L’étendue de pays comprise dans les lignes ci‑dessus tracées, embrassant une superficie de cent vingt et un mille milles carrés, plus ou moins;

 

Pour par Sa Majesté la Reine et Ses Successeurs avoir et posséder ladite étendue de pays à toujours [...].

 

(S‑4, page 352)

 

 


[278]       Comme je l’ai indiqué plus haut dans les présents motifs, Samson a produit une preuve considérable sur la question de la cession territoriale. Plusieurs aînés ont rapporté à la Cour leurs traditions orales concernant le Traité n° 6. Samson a aussi appelé des témoins experts sur cet aspect, en particulier le professeur Ray, Bob Beal, le professeur Wolfart, le professeur Sanders et Mme Wheeler. J’analyserai et commenterai les récits oraux dans une section distincte. La Couronne s’est opposée dès le départ à la question de la cession territoriale; j’ai soumis l’objection à une période de réflexion et déclaré la preuve recevable. La Couronne a produit des témoignages sur cette question, par la bouche de ses experts, MM. Flanagan et von Gernet.

 

 

[279]       La thèse du professeur Ray concernant la question de la cession territoriale était la suivante : le thème, ou la teneur, du message de Morris aux Indiens durant les négociations du Traité n° 6 était qu’il voulait partager la terre avec les Indiens, sans rien enlever aux moyens de subsistance des Indiens. Ce que Morris avait à offrir était un présent, en sus de ce que les Indiens avaient déjà (transcription, volume 24, page 3208). Selon le professeur Ray, cela s’accordait avec la tradition des Autochtones, qui consistait pour eux à partager leur territoire avec d’autres à des fins précises. Il a signalé l’habitude qu’avait la CBH de négocier des droits d’accès avec les Indiens afin de pouvoir construire ses postes de traite en territoire indien. De l’avis du professeur Ray, les populations autochtones ne connaissaient pas la notion de propriété absolue (transcription, volume 23, pages 3039‑3048). Il a aussi fait état de l’exigence formulée par les Indiens durant les négociations du Traité n° 3, en vue d’obtenir une compensation pour la route Dawson (transcription, volume 23, pages 3049‑3054; volume 24, pages 3155‑3161).

 

 


[280]       Le professeur Ray a souligné dans son témoignage que les archives documentaires ne disent rien sur la clause de cession. D’après lui, les archives n’indiquent nulle part que cette clause ait jamais été traduite ou expliquée aux Cris lors du Traité n° 6; les pourparlers relatifs au traité avaient plutôt porté sur ce que les Cris allaient obtenir (transcription, volume 23, pages 3085‑3089; volume 24, pages 3162‑3166; volume 25, pages 3390‑3392). Il n’a pas admis l’idée selon laquelle, si la clause de cession n’a pas été débattue, c’était parce que, pour les deux parties, elle constituait l’objet du traité (transcription, volume 24, pages 3207‑3212).

 

 

[281]       Selon M. Beal, les questions territoriales sont fondamentales dans les relations établies par traité parce qu’une partie entreprend d’occuper la terre d’une autre partie et que les parties doivent donc en arriver à une certaine entente (transcription, volume 36, pages 5194‑5195). Il a partagé l’avis du professeur Ray selon lequel la documentation ne permettait pas d’affirmer que la question des droits territoriaux avait déjà été discutée; pour lui, ce silence des archives documentaires était total (transcription, volume 36, pages 5619‑5624; S‑17, rapport présenté en réfutation, pages 10‑15).

 

 

[282]       M. Beal a admis que les Cris avaient une idée de la notion de territoire dans la mesure où ils autorisaient autrui à s’y introduire, mais il n’était pas convaincu que leur connaissance de cette notion englobait l’idée de parcellisation de la terre à des fins de propriété (transcription, volume 40, pages 4930‑4940).

 

 


[283]       M. Beal a exprimé de sérieux doutes sur la fiabilité du récit de Peter Erasmus intitulé Buffalo Days and Nights (C‑7), et cela principalement parce que ce récit était le fait d’un sténographe et qu’il reposait sur deux entretiens accordés par Erasmus, entretiens espacés de huit ans, et conduits vers la fin de la vie d’Erasmus (transcription, volume 38, pages 5649‑5650). M. Beal a semblé se défier du sténographe Henry Thompson, qui pouvait avoir agi comme un filtre dans le travail d’enregistrement et de compte rendu à l’origine de l’ouvrage (transcription, volume 39, pages 5812‑5817). M. Beal ne doutait nullement qu’Erasmus fût un « bon traducteur », mais il se demandait si Erasmus était suffisamment proche de la culture crie (transcription, volume 39, pages 5812‑5817). Selon M. Beal, quand Erasmus rapportait que Morris avait dit qu’il était venu conclure un traité pour la cession des droits des Indiens sur le territoire, cela était « loin de prouver » que la clause de cession fut tant soit peu discutée (transcription, volume 40, pages 5943‑5949; C‑7, pages 237 et 242).

 

 

[284]       M. Beal n’a pas non plus été impressionné par le passage de l’ouvrage de Morris où l’on peut lire que le chef Beardy avait exhorté les Cris à ne prêter leur terre que pour une durée de quatre ans. Ce passage l’a simplement laissé « songeur » (transcription, volume 40, pages 5956‑5960; S‑4, 188‑189).

 

 

[285]       Le professeur Sanders a quant à lui considéré la clause de cession territoriale, voire le traité tout entier, comme une disposition prévoyant le partage de la terre. La terre n’était pas cédée totalement, puisque les Cris pouvaient continuer d’y pêcher et d’y chasser, sauf aux endroits où des colons pourraient s’établir (transcription, volume 62, pages 9078‑9082; S‑49, paragraphe 6.7).

 


 

[286]       Le professeur Little Bear a exprimé l’avis que la terre ne pouvait pas être vendue parce qu’elle fait partie intégrante du réseau relationnel, la Terre nourricière étant la source de toute vie. Par ailleurs, les animaux ont un droit sur la terre; elle ne pouvait donc pas être vendue sans qu’ils soient d’abord consultés (transcription, volume 131, pages 18469‑18473).

 

 

[287]       Le professeur Wolfart, le linguiste, est d’avis que le mot cri pour terre, askiy, à l’époque du Traité n° 6, voulait dire une terre au sens large et personnel (transcription, volume 73, pages 10645‑10646). Selon le professeur Wolfart, l’idée d’un territoire parfaitement circonscrit, c’est‑à‑dire délimité par une frontière, aurait été [traduction] « une totale aberration pour les locuteurs cris de 1876 » (transcription, volume 74, pages 10733‑10734). Si une notion crie de la terre existait, elle aurait été, selon le professeur Wolfart, définie en fonction de son centre, non en fonction de sa périphérie (transcription, volume 80, pages 11499‑11500).

 

 


[288]       Le professeur Wolfart a fait valoir que les efforts de traduction du Traité n° 6 avaient été « déplorables » et qu’il y avait eu rupture totale des communications entre les parties (transcription, volume 73, page 10557; volume 75, page 10848). Selon lui, les capacités d’Erasmus en tant que traducteur étaient plutôt minces et se situaient à l’extrémité inférieure de la gamme des registres; à son avis, il était très improbable qu’Erasmus ait pu maîtriser, peu ou prou, les registres supérieurs de l’anglais ou du cri, eu égard au texte de l’ouvrage Buffalo Days and Nights, à l’introduction d’Irene Spry et aux données biographiques sur Erasmus (transcription, volume 72, pages 10533‑10534; volume 76, page 1103; volume 77, page 1190).

 

 

[289]       Le professeur Wolfart a semblé abasourdi à l’idée que les commissaires des traités aient pu ne pas saisir l’importance de la cérémonie du calumet, qu’il a assimilée à l’arche d’alliance. Selon lui, le fait qu’ils n’aient pas saisi le sens de la cérémonie du calumet, lors du Traité n° 6, ainsi que l’attestent les récits de Morris et de Jackes, révèle une totale mésintelligence (transcription, volume 75, pages 10845‑10848).

 

 

[290]       Le professeur Wolfart a reconnu néanmoins qu’il y avait eu une certaine intelligence de part et d’autre sur une partie du traité (transcription, volume 76, page 11031).

 

 

[291]       Le professeur Wolfart a fondé nombre de ses conclusions relatives aux efforts de traduction du Traité n° 6 sur son examen de la traduction d’un récit cri du Traité n° 6, récit qui avait été fait par Jim Kâ‑Nîpitêhtêw (S‑68).

 

 


[292]       M. Flanagan a soutenu que les Cris avaient connaissance des Traités nos 1 à 5 lors du Traité n° 6 et qu’ils avaient donc une certaine compréhension de l’objectif du traité (C‑286, page 17). Selon lui, il est impossible de savoir exactement ce qu’on a dit aux Cris, et avec quels mots, mais il ressort clairement des écrits que le Traité n° 6 fut expliqué en détail et traduit plusieurs fois (transcription, volume 154, pages 21364‑21368). M. Flanagan a aussi fait observer que Morris avait précisé que, à la fin des négociations, le Traité n° 6 avait été lu à haute voix; à ce stade, les Cris devaient comprendre qu’ils cédaient leurs droits fonciers, en échange de certains avantages (transcription, volume 154, pages 21401‑21429).

 

 

[293]       M. Flanagan a trouvé difficile de croire que Morris ait demandé d’emprunter la terre uniquement à la profondeur d’un soc de charrue. Morris avait des directives précises et il savait que le gouvernement considérait les traités numérotés comme des instruments ayant tous le même objet (transcription, volume 152, pages 21188‑21189).

 

 

[294]       Pour la notion crie de la terre à l’époque du Traité n° 6, M. Flanagan a fait fond sur la référence de Morris au chef Beardy qui avait exhorté les Cris à ne prêter leur terre que pour une durée de quatre ans. Selon M. Flanagan, cela montre une compréhension de la distinction entre l’achat d’une terre et la vente d’une terre (transcription, volume 152, pages 21140‑21143).

 

 


[295]       M. Flanagan a également réagi au rapport du professeur Wolfart à propos de la clause de cession et des questions de traduction (C‑287). M. Flanagan a estimé que le professeur Wolfart devait être un perfectionniste pour avoir fixé des normes aussi élevées à l’égard de traductions qui eurent lieu sur le terrain en 1876. L’avis de M. Flanagan, c’est qu’Erasmus avait une aisance naturelle dans la langue crie et que son niveau assez élevé d’instruction de type classique l’avait aidé à comprendre la langue et les concepts des commissaires du traité (transcription, volume 152, pages 21102‑21103).

 

 

[296]       M. von Gernet a reconnu que le compte rendu de Morris mentionne à peine ce que les Cris allaient abandonner (transcription, volume 167, page 23117). Toutefois, pour M. von Gernet, la cession territoriale était axiomatique et non négociable, ce qui expliquerait pourquoi il en fut si peu question (transcription, volume 167, pages 23147‑23148). L’expérience qu’avait eue Morris des versions révisées des Traités nos 1 et 2 découlant des promesses extérieures montre qu’il était bien au fait de la nécessité de s’assurer que les Cris comprenaient le traité (transcription, volume 167, page 23191). La clause des droits de chasse et de pêche, dans le traité, montre clairement, selon M. von Gernet, qu’il allait y avoir des limites à l’utilisation de la terre par les Cris (transcription, volume 167, page 23193). M. von Gernet a exprimé l’avis que les Cris comprenaient qu’ils allaient céder la terre, mais cela ne faisait pas obstacle à leur idée du partage, en ce sens qu’ils allaient pouvoir continuer de pratiquer la chasse, la pêche et le piégeage (transcription, volume 172, pages 23951‑23971).

 


iv.  Les traditions orales

 

[297]       Mme Wheeler a témoigné pour Samson sur la question des traditions orales. Elle n’a analysé aucune des traditions orales présentées devant la Cour (transcription, volume 157, page 21836). La thèse exposée dans son rapport se trouve à la page 3. Elle est ainsi formulée :

 

[traduction] L’opinion qui suit pose en principe que les traditions orales que l’on trouve dans les sociétés de par le monde ont toujours été une difficulté pour les spécialistes contemporains parce que, à divers degrés, elles ne concordent pas avec les critères et les attentes de l’historiographie occidentale telle qu’elle a évoluée au cours du XIXe siècle. Les traditions orales indigènes sont complexes au point que les débats qui ont cours dans les écrits savants à propos de leur nature, de leurs qualités et de leur valeur potentielle n’ont jamais de fin.

 

(S‑217, page 3)

 

 

[298]       Mme Wheeler a procédé à un examen interdisciplinaire des écrits spécialisés. Sa conclusion est que les spécialistes reconnaissent que des récits autres que ceux qui sont plus familiers à l’Occident ont survécu et continuent d’exister. Elle est aussi arrivée à la conclusion que les spécialistes reconnaissent que l’on ne saurait comprendre les traditions de sociétés non occidentales en recourant à des normes établies en dehors du contexte culturel et de la tradition intellectuelle de ces sociétés (transcription, volume 126, page 1703).

 

 

[299]       Mme Wheeler a préféré utiliser l’expression [traduction] « histoire fondée sur les traditions orales », qu’elle définit comme l’histoire provenant de récits oraux d’événements d’un passé lointain, qui dépassent la mémoire de ceux qui les racontent (transcription, volume 126, pages 17740‑17741). À son avis, les récits oraux doivent être examinés au cas par cas. La tradition orale crie est comme une encyclopédie, qui réunit tout le savoir de la communauté en une grande diversité d’anecdotes. Les traditions orales servent à instruire, à divertir, à préserver la connaissance, à expliquer les systèmes du monde, à maintenir le chaînon entre le passé et le présent et à socialiser les individus (transcription, volume 127, pages 17780‑17781 et 17862‑17894; S‑217, pages 42‑53).

 

 

[300]       Mme Wheeler a expliqué qu’il existe dans la tradition orale crie de nombreux types de récits. L’un de ces types, les récits familiaux ou ensembles de récits familiaux, peut contenir la relation d’événements passés significatifs; nombre de ces récits deviennent les versions officiellement consacrées, et seuls des membres désignés de la famille ont le pouvoir de les relater (S‑217, page 51; transcription, volume 127, pages 17885‑17896). Le processus de consécration dépend du contexte communautaire et culturel. Souvent, c’est un processus informel revêtu de l’accord général de la communauté (transcription, volume 130, pages 18315‑18318).

 

 


[301]       Les récits officiels d’événements historiques significatifs sont conservés par des spécialistes, des gardiens de la mémoire, mandatés par la communauté ou par ses dirigeants pour protéger et préserver les souvenirs. Mme Wheeler a relevé que les récits propres au Traité n° 6 sont protégés par le cérémonial et les protocoles. Les gardiens de ces récits ont des apprentis à qui ils donnent leur enseignement durant des années. Très peu de gens sont considérés comme les gardiens ou historiens officiels du Traité n° 6 (S‑217, pages 51‑53).

 

 

[302]       Selon Mme Wheeler, l’erreur méthodologique principale commise par les historiens est celle qui consiste à traiter la tradition orale comme toute autre source documentaire (S‑217, pages 59‑60). Selon elle, une évaluation intégrale des récits formant la tradition orale ne saurait se faire sans une compréhension intime de leur nature et de leur contexte culturel, une compréhension idéalement acquise au cas par cas. Les méthodes employées pour l’évaluation de documents ne sont pas suffisamment rigoureuses pour les récits formant la tradition orale. Les communautés ont leurs propres spécialistes – en matière de culture et de tradition – lesquels ont une compréhension solide du processus d’évaluation des récits oraux (transcription, volume 128, pages 17938‑17944).

 

 


[303]       De l’avis de Mme Wheeler, quand on traite les récits formant la tradition orale comme des documents d’archives, quand on les passe au crible pour en extraire les faits, quand on en évacue l’aspect mythique et quand on tient absolument à faire entrer les récits dans le moule des normes occidentales, on obtient des récits qui sont dépouillés de leur intention initiale et de leur contexte culturel. Selon elle, la voix devient silencieuse et le récit meurt. Même s’il est enregistré, le récit d’une tradition orale ne peut être considéré comme un document, et cela parce que la voix sur la bande magnétique demeure perçue comme vivante; une fois couché sur papier, le récit devient un objet et semble inanimé. Les enregistrements audio ou sur bandes sont préférables aux transcriptions parce que le contexte oral est ainsi préservé (transcription, volume 128, pages 17945‑17958).

 

 

[304]       Mme Wheeler a expliqué que le présentisme est l’infusion d’intérêts actuels pouvant exercer une influence sur les récits d’événements historiques (transcription, volume 128, page 18017). L’effet de réaction est une forme de présentisme. Il consiste à faire entrer une information imprimée ou écrite externe dans des récits antérieurement oraux (S‑217, page 90; transcription, volume 128, pages 18033‑18035).

 

 

[305]       Mme Wheeler a expliqué que, si des variations peuvent surgir dans un récit, c’est parce que les narrateurs changent au fil du temps, mais le « coeur » du récit, lui, ne change jamais. Des variations peuvent également surgir chez ceux qui entendent le récit, ainsi que dans le milieu où le récit est fait. De nombreux aînés ne feront pas intégralement le récit propre à un traité en dehors de leur contexte culturel; par exemple, s’ils s’expriment dans une salle de classe, ils ne raconteront que les parties qu’ils jugeront pertinentes ou sans risque (transcription, volume 128, pages 18046‑18051; S‑217, pages 94‑103).

 

 


[306]       Mme Wheeler a également parlé de vérification. Pour elle, la vérification doit se faire dans le contexte des récits formant la tradition orale; on doit être conscient des freins et contrepoids internes présents dans le contexte culturel. La réputation du narrateur est toutefois primordiale. Les aînés sont tenus en haute estime et l’on s’en remet à leur bonne foi. Ils peuvent s’entraider pour s’assurer qu’un récit est présenté correctement. Tout manquement au protocole peut aussi entraîner des répercussions (transcription, volume 128, pages 18052‑18056).

 

 

[307]       Mme Wheeler a produit le témoignage suivant :

 

[traduction] Il est donc absolument essentiel de savoir qui est le narrateur; de connaître sa réputation dans la collectivité; de savoir comment il est considéré par les autres; de confronter son récit avec d’autres récits; de comparer les récits d’un narrateur à ceux d’un autre afin d’en isoler la substance, en comprenant ce que sont les protocoles. La méthode qui préside à la transmission d’un tel récit est d’une importance vitale.

 

(Transcription, volume 128, page 18055)

 

 

[308]       Mme Wheeler a parlé de la traduction lorsqu’il s’agit de transposer en forme écrite un récit oral. Les spécialistes doivent faire partie intégrante du travail de traduction, même s’ils ne parlent pas la langue indigène. On doit d’ailleurs aussi examiner les antécédents du traducteur. Il est également préférable d’avoir plus d’un traducteur pour qu’ils puissent discuter de leurs traductions et tenir lieu de contrepoids l’un par rapport à l’autre (transcription, volume 129, pages 18092‑18096).

 

 

[309]       Mme Wheeler a aussi examiné la question de la temporalité et la notion de temps (S‑217, pages 103‑112). Elle s’est ainsi exprimée :

 

[traduction]

Dans les récits formant la tradition orale crie, les analyses des causes et des effets sont la responsabilité des personnes qui écoutent, non celle des narrateurs, et les cadres temporels de telles analyses sont intégrés. Les récits cris s’attachent à un endroit, à des acteurs et à des événements. Il n’est pas essentiel, pour cette construction mentale, de faire état de dates précises.

 

Mais allons un peu plus loin : dans certains récits formant la tradition orale, on trouvera des interpolations interprétatives par lesquelles des narrateurs du XXe siècle tentent aujourd’hui d’ajouter, à titre anecdotique, certains éléments temporels. Mais cela n’était pas, dans le récit d’origine, une caractéristique vitale ou prédominante. Il s’agit surtout d’interpolations actuelles visant à répondre au besoin de références temporelles manifesté par la société en général.

 

(Transcription, volume 129, pages 18104‑18105)

 

 

[310]       Selon Mme Wheeler, les récits oraux peuvent contenir certaines distorsions temporelles : télescopage, raccourcissement ou aplatissement du temps, et épisodes imprécis; les récits oraux respectent rarement les notions classiques de temps. Toutefois, ces distorsions n’ont pas de conséquences fatales; elles compliquent simplement le travail d’interprétation (transcription, volume 129, pages 18106‑18108; S‑217, page 103).

 

 


[311]       De l’avis de Mme Wheeler, la notion crie du temps n’est ni linéaire ni cyclique; le temps se déroule plutôt d’une manière ininterrompue, rattachant le passé, le présent et l’avenir. Pour comprendre le temps dans l’univers cri, il faut avoir une connaissance intime du territoire et du milieu car le temps est souvent lié aux saisons et aux climats (transcription, volume 129, pages 18120‑18125).

 

 

[312]       Mme Wheeler a aussi parlé brièvement de la mémoire humaine. Elle a dit que, chez les Cris, les capacités de mémoire étaient nourries et acquises dès la première enfance (S‑217, page 115). Les événements commémoratifs et les procédés mnémoniques – tels le paysage, les aides visuelles ou la musique – contribuent également à favoriser les souvenirs et à renforcer la mémoire (transcription, volume 129, pages 18162‑18172; S‑217, pages 118‑121).

 

 

[313]       Mme Wheeler a critiqué M. von Gernet pour ce qu’elle a appelé son énorme saut méthodologique, au motif qu’il ne tenait pas compte du processus de création, de contexte et de traduction qui avait conduit aux transcriptions écrites des récits oraux (transcription, volume 157, page 21721).

 

 


[314]       Mme Wheeler a donné un exemple de ce que serait sa propre méthodologie pratique si elle avait affaire à un aspect donné d’un récit relatif à un traité. En tant que non‑initiée qui ne parle pas couramment la langue crie, elle s’en rapporterait à des intellectuels de la communauté afin de pouvoir poser des questions se rapportant au récit, définir sa provenance (ou ce qu’elle a appelé sa généalogie) et déterminer les freins et contrepoids internes de la culture. Elle a dit qu’il lui faudrait aussi obtenir une aide pour savoir comment entreprendre une telle analyse à l’intérieur de la culture. Les questions de traduction nécessiteraient également un examen. Mme Wheeler a déclaré que, pour déterminer les freins et contrepoids internes, il lui faudrait passer du temps dans la communauté afin de voir comment cette communauté détermine la validité et la vérification. Elle a reconnu qu’elle voudrait s’assurer de l’absence de toute partialité ou distorsion due au présentisme ou à la rétroaction. Des comparaisons pourraient être faites avec d’autres récits officiels, ainsi que des confrontations avec des écrits (transcription, volume 157, pages 21830‑21836).

 

 

[315]       Sur la question encore des freins et contrepoids, Mme Wheeler a dit qu’elle voudrait savoir comment les gens de la communauté mesurent la véracité, et connaître aussi leurs protocoles locaux de mise en question des interprétations (transcription, volume 157, page 21853).

 

 

[316]       La Cour a demandé à Mme Wheeler comment elle devrait s’y prendre pour évaluer la traduction d’une tradition orale transcrite. Mme Wheeler a répondu ainsi :

 

[traduction]

Une personne formée à la recherche dans les récits oraux pourra vous donner l’interprétation, la lecture contextuelle complète dont vous aurez besoin pour voir la transcription au‑delà de son sens littéral.

               


... la transcription est une représentation du récit intégral original et, pour en comprendre parfaitement le sens, c’est à ce récit que nous devons revenir. Et c’est là que les experts locaux, j’imagine, qui ne sont pas considérés par la Cour comme des experts – interviennent d’une manière décisive. C’est à eux que je m’adresse pour qu’ils m’aident à comprendre les transcriptions et les récits oraux qui ont été enregistrés. Les experts locaux sont donc les mieux placés pour exécuter cette tâche, parce qu’ils peuvent fournir le contexte dont j’ai besoin pour pouvoir lire ce document dans toutes ses dimensions.

 

(Transcription, volume 157, pages 21901‑21902)

 

 

 

[317]       M. von Gernet a témoigné pour la Couronne sur la question des traditions orales, ainsi qu’en rapport avec certaines traditions orales présentées à la Cour. Selon lui, il n’est pas incongru d’enregistrer des traditions orales et d’en faire des transcriptions, parce que c’est là l’unique moyen de les rendre comparables aux autres preuves, surtout si les traditions orales sont produites comme preuve d’événements passés. Il les a qualifiées de « documents oraux » (transcription, volume 166, pages 22915‑22918).

 

 

[318]       Selon M. von Gernet, la différence cruciale entre des traditions orales et des documents d’archives est l’« ancienneté ». Les traditions orales sont produites dans le présent, et leur ancienneté ne peut donc être présumée, mais doit être démontrée. Il y a une autre complication au chapitre de la subjectivité. La subjectivité d’un écrit se limite à son codage original et à son extraction ultérieure; toutefois, les traditions orales supposent de multiples codages et extractions, et cela laisse place à beaucoup plus de subjectivité (transcription, volume 166, pages 22918‑22919).

 

 

[319]       S’agissant de sa méthodologie, M. von Gernet a dit que d’autres versions d’une tradition orale données par le même informateur permettent le contrôle de l’uniformité interne et de la gamme des variations. Ces versions peuvent aussi être confrontées avec les traditions relatées par d’autres narrateurs à propos des mêmes événements historiques. L’étape finale consiste à rechercher une preuve autonome et à la confronter avec la tradition orale. Il a dit qu’il rechercherait aussi une preuve de rétroaction – influences subtiles de l’écrit – ainsi que de transfert d’attributs (transcription, volume 166, pages 22920‑22922; C‑320, pages 8‑11).

 

 

[320]       M. von Gernet a déclaré que des anthropologues peuvent étudier les traditions orales pour éclairer le système de croyances d’une culture. Toutefois, dans le cas présent, il les a considérées comme une preuve historique portant sur des événements passés réels, et non comme une preuve relative à une croyance dans ce passé (transcription, volume 169, pages 23525‑23528). Il n’a pas évalué ni commenté les récits cris, qu’il s’agisse de récits de création, de récits spirituels ou de récits relatifs aux lois cries (transcription, volume 169, pages 23528‑23540).

 

 

[321]       S’agissant du protocole, M. von Gernet a dit n’établir aucune association entre protocole et validation. Le protocole peut être le signe que celui qui relate la tradition orale relate quelque chose de sérieux et de sacré. Toutefois, à son avis, des croyances sincères peuvent néanmoins se révéler fausses, et aucun protocole quel qu’il soit ne pourra corriger cette fausseté (transcription, volume 171, pages 23873‑23879; C‑320, pages 17‑18).


 

 

[322]       M. von Gernet a évalué les traditions orales se rapportant au Traité n° 6 qui ont été présentées à la Cour durant les séances de juin 2000 (C‑320, pages 43‑58). Il a confronté la version de 2000 de l’aîné Waskahat avec plusieurs versions enregistrées antérieures faites en 1980, 1983, 1985 et 1991 au Maskwachees Cultural College. M. von Gernet a confronté la version de 2000 de l’aînée Quinney avec un entretien qu’elle avait accordé en 1974 dans le cadre du Programme d’entretiens avec les aînés, pour la Recherche sur les droits ancestraux ou issus de traités, et l’avait confrontée aussi avec un récit fait par l’aîné Thomas Quinney au lac Frog le 17 janvier 1973. Le récit de l’aîné Thomas Quinney provenait de la même source que la version de 1980 de l’aîné Waskahat et les versions de 1974 et 2000 de l’aînée Margaret Quinney. Finalement, M. von Gernet a analysé le récit de l’aîné Bill sans le confronter avec d’autres, puisqu’il n’existe pas d’autres versions autorisant une comparaison.

 

 

[323]       M. von Gernet a fait observer que, malgré certaines cohérences internes de taille dans les cinq récits enregistrés de l’aîné Waskahat – ce qu’il a appelé la tradition Waskahat – il y a aussi des modifications et des changements dans le texte. Plus précisément, M. von Gernet a noté le changement, entre 1980 et 2000, c’est‑à‑dire le remplacement des mots « acheter », « vendre » et « céder » la terre par les mots « emprunter » et « prêter » la terre. De l’avis de M. von Gernet, cela résulte probablement d’un raisonnement après coup qui a entraîné une reconstruction du passé.

 


 

[324]       S’agissant de l’aînée Quinney, M. von Gernet a relevé à la fois des similitudes et des changements dans ses deux versions enregistrées. Là encore, il y a le remplacement du verbe « acheter » par le verbe « emprunter » la terre; cependant, les deux versions ne parlent que de la couche arable. Fait intéressant à noter, dans la version de 2000, le commissaire dit expressément qu’il n’est pas venu acheter la terre. Les deux versions font état de trois choses au chapitre de la compensation. Dans la version de 1974, le commissaire demandait une terre, une pâture et des épinettes pour construire des maisons, en échange d’une école, d’un agent des Indiens et d’un buffet à médicaments. Dans la version de 2000, il demandait les mêmes trois choses et promettait de donner, en échange, une école, un buffet à médicaments et un entrepôt de vivres.

 

 

[325]       La version de 1973 de l’aîné Thomas Quinney, qui, l’a fait observer M. von Gernet, avait la même source que les récits de l’aînée Margaret Quinney et de l’aîné Waskahat (1980), parle d’acheter la terre et énumère les mêmes trois choses demandées.

 

 

[326]       Finalement, s’agissant de l’aîné Bill, M. von Gernet a conclu que sa tradition orale n’avait pu suivre la chaîne de transmission dont l’aîné avait témoigné. Par ailleurs, le récit a probablement pour contexte une adhésion au Traité n° 6 qui s’est déroulée environ deux ans après les négociations du Fort Carlton.

 


 

[327]       M. von Gernet a pris la peine de préciser qu’il ne mettait pas en doute l’honnêteté ou l’intégrité des aînés. Il prétend plutôt que les traditions orales peuvent contenir des croyances sincères soumises à des modifications involontaires et subtiles (C‑320, page 61).

 

 

[328]       M. von Gernet a aussi examiné les témoignages issus de l’interrogatoire préalable et du procès lui‑même dans l’affaire Dreaver de 1935 (C‑25). Les transcriptions contiennent les témoignages du chef George Dreaver et de John Smith, de la bande Mista‑wa‑sis, une bande du Traité n° 6 située en Saskatchewan. Les hommes étaient les descendants directs de deux signataires du Traité n° 6 et avaient aussi eux‑mêmes été présents durant les négociations du traité.

 

 

[329]       Dans son rapport, M. von Gernet a relevé que le chef Dreaver, témoin oculaire des négociations du traité et âgé d’environ 20 ans à l’époque, ne parlait nulle part de prêter ou d’emprunter la seule couche arable. Selon M. von Gernet, le témoignage du chef Dreaver montre qu’il voyait le Traité n° 6 comme un arrangement de contrepartie : en échange de la cession de leur terre, les Cris recevaient des choses telles que des soins médicaux et une école.

 

 


[330]       M. von Gernet a aussi étudié dans ce même précédent le témoignage de John Smith. Smith avait 16 ans à l’époque du Traité n° 6 et il a assisté aux négociations menées au Fort Carlton. Son père, le chef John Smith, avait signé le traité. Selon M. von Gernet, le témoignage de M. Smith dans l’affaire Dreaver faisait écho à celui du chef Dreaver, selon lequel les Cris obtiendraient des médicaments gratuits parce qu’ils donnaient leur terre à la Couronne.

 

v.  Les événements postérieurs au Traité n° 6

 

[331]       Samson a produit le témoignage de M. Bob Beal et de M. Carl Beal sur la question de la conduite de la Couronne après le Traité n° 6. Ils disent que la Couronne a manqué à ses obligations conventionnelles et agi d’une manière qui entraîna la famine, la pauvreté et d’autres conséquences sociales très fâcheuses.

 

 


[332]       M. Beal a déclaré que le gouvernement canadien ne s’était pas acquitté de ses responsabilités prévues par le traité. Il a cité un passage d’un article rédigé par Thomas White en 1879. White était député, ainsi que le rédacteur et l’éditeur de la Gazette de Montréal. Il avait rédigé une série d’articles, intitulés « Chronicles By the Way », où il décrivait sa visite dans le Nord‑Ouest. White avait rencontré les chefs cris Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑uh‑kup et pris au sérieux leur allégation d’absence de bonne foi du gouvernement dans l’accomplissement de ses obligations portant sur la fourniture d’instruments aratoires et de bétail (S‑17, rapport en réfutation, pages 34‑36, onglets 129‑130). White écrivait qu’il avait entendu des plaintes semblables d’Indiens à la Maison Cumberland (transcription, volume 38, pages 5668‑5672; volume 39, pages 5683‑5912). En contre‑interrogatoire, M. Beal a reconnu que ces articles ne parlaient pas de la région de Hobbema, et que l’un d’eux en particulier se rapportait au Traité n° 5 (transcription, volume 41, pages 6085‑6088; S‑17, rapport en réfutation, onglet 130). M. Beal a aussi reconnu que, plus loin dans leur lettre, Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑uh‑kup écrivaient qu’ils avaient reçu du gouvernement une bonne quantité de nourriture l’hiver précédent et qu’ils lui étaient reconnaissants (transcription, volume 41, pages 6088‑6090).

 

 

[333]       M. Beal a témoigné à propos du rapport annuel adressé au ministère de l’Intérieur pour 1879; à cette époque, Edgar Dewdney était commissaire aux Affaires indiennes. Dewdney semblait souscrire au reportage de White sur les plaintes formulées par Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑uh‑kup à propos de la mauvaise qualité du bétail fourni en vertu du traité. Dewdney promettait de remplacer le bétail (transcription, volume 39, pages 5712‑5715; S‑17, onglet 164, page 87). M. Beal a aussi admis, en contre‑interrogatoire, que Dewdney avait expédié des vivres destinés à venir en aide à 1300 Indiens indigents qu’il avait rencontrés à Blackfoot Crossing (transcription, volume 40, pages 6020‑6023; S‑17, onglet 162, pages 78 et 80).

 

 


[334]       M. Beal a évoqué aussi un éditorial de 1884 de Frank Oliver, à qui appartenait le Bulletin d’Edmonton. L’éditorial précisait que, même si les Indiens avaient de façon générale été bien traités, le gouvernement ne reconnaissait pas le caractère sacré d’une promesse ou celui des dispositions d’un traité (S‑17, rapport en réfutation, page 33; transcription, volume 39, pages 5717‑5718). M. Beal s’est référé à un autre éditorial, celui‑là rédigé par Patrick Gammie Laurie, propriétaire du Herald de la Saskatchewan, un journal publié sous sa direction. Laurie dénonçait la condition déplorable des Indiens; il invitait instamment les membres du Cabinet à visiter le Manitoba afin d’expliquer pourquoi les obligations prévues par le traité n’avaient pas été respectées (transcription, volume 39, pages 5719‑5720; S‑17, rapport en réfutation, pages 33‑34).

 

 

[335]       De l’avis de M. Beal, le gouvernement avait pris la décision de réduire la ration de vivres des populations autochtones. Cela s’expliquait sans doute par des raisons d’ordre humanitaire, en ce sens que le gouvernement ne voulait pas encourager la dépendance (S‑17, rapport en réfutation, page 19; transcription, volume 39, pages 5720‑5733).

 

 

[336]       M. Beal a reconnu qu’il y avait eu, au cours des années antérieures et postérieures au Traité n° 6, des difficultés d’infrastructure et de logistique dans le Nord‑Ouest, mais, selon lui, elles n’avaient pas été sérieuses. Son sentiment était que les équipes d’appui du chemin de fer, les responsables de l’arpentage et les communautés de colons pouvaient tous s’approvisionner. Selon M. Beal, il n’y avait en 1882 rien à redire à l’infrastructure des transports dans le Nord‑Ouest, y compris dans la région du Traité n° 6 (transcription, volume 39, pages 5741‑5742 et 5774‑5775).

 

 

[337]       M. Beal a critiqué le niveau de compétence de certains agents des Indiens, pensant que le gouvernement aurait pu s’appliquer davantage à les surveiller et à remplacer ceux qui n’étaient pas à la hauteur (transcription, volume 39, pages 5742‑5744; S‑17, rapport en réfutation, pages 39‑40).

 

 

[338]       M. Beal a aussi trouvé à redire à la qualité des vivres fournis aux Cris au cours des années qui suivirent le traité (transcription, volume 39, pages 5744‑5748; S‑17, rapport en réfutation, pages 36‑39).

 

 

[339]       M. Beal s’est référé à une lettre, datée du 7 janvier 1883, adressée à John A. Macdonald, qui était à l’époque ministre de l’Intérieur. La lettre était signée par les chefs Bobtail, Samson, Ermineskin et Woodpecker, ainsi que par quelques autres personnes. Ils disaient qu’ils avaient souffert d’indigence, de froid et de faim et qu’ils n’avaient reçu aucune aide. Ils arrivent à la conclusion que, s’il n’est pas tenu compte de leurs griefs, alors le Traité n° 6 était dénué de sens (transcription, volume 39, pages 5750‑5758).

 

 

[340]       M. Beal a témoigné que le mécontentement des Indiens à l’endroit du gouvernement dans l’application du traité ainsi que la famine qui avait résulté d’une violation du Traité n° 6 expliquaient en partie la participation des Indiens à la Rébellion du Nord‑Ouest en 1885 (transcription, volume 39, pages 5759‑5764; S‑17, pages 50‑53).


 

 

[341]       En contre‑interrogatoire, M. Beal a admis que tant le gouvernement que les Cris comptaient qu’il se produirait une transition graduelle vers l’agriculture (transcription, volume 40, page 6019). Il a aussi admis que, selon le Traité n° 6, des instruments aratoires et des têtes de bétail devaient être fournis dès l’installation dans les réserves (transcription, volume 40, page 6020).

 

 

[342]       En contre‑interrogatoire, on a fait observer à M. Beal qu’un article sur lequel il avait fait fond dans son rapport à propos de la sous‑alimentation dans la région de Hobbema parlait en réalité des Bloods, des Pieds‑Noirs et des Stoneys, mais non des Cris. Un second article qui concernait le chef Bobtail, de la région de Hobbema, n’indiquait nulle part que les Cris de cette région souffraient de la faim ou de sous‑alimentation (transcription, volume 40, pages 6034‑6037; S‑17, pages 47‑48; onglet 189).

 

 


[343]       M. Beal a aussi reconnu que l’on ne pouvait pas utiliser un exemple de famine ou de sous‑alimentation dans une région pour ensuite supposer que c’était la même chose dans une autre région (transcription, volume 40, pages 6037‑6038). Son rapport présenté en réfutation faisait état de plusieurs cas de famine ou de sous‑alimentation chez les Pieds‑Noirs en 1880; au lac Crooked, à l’est de Regina, en 1883; à Indian Head, en Saskatchewan, en 1884; et dans la région de Battleford, en Saskatchewan (transcription, volume 40, pages 6041‑6042; S‑17, rapport en réfutation, pages 16‑21; onglets 61 et 72; S‑17, rapport d’expert, onglet 190).

 

 

[344]       M. Carl Beal a rédigé un rapport et témoigné à propos d’événements postérieurs au Traité n° 6 ainsi qu’à propos du bilan du gouvernement dans l’accomplissement de ses obligations selon le traité. Il a commencé son témoignage en donnant le détail des diverses promesses de nature économique figurant dans le Traité n° 6 (transcription, volume 44, pages 6443‑6450; S‑31, pages 10‑11).

 

 

[345]       Selon M. Carl Beal, le gouvernement savait que les termes du Traité n° 6 étaient [traduction] « manifestement insuffisants pour des activités agricoles » (S‑31, page 9). Les Cris n’étaient pas très bien informés des conditions préalables au développement d’une base agricole et il leur fallait croire que ce que le gouvernement leur offrait était suffisant (transcription, volume 45, pages 6562‑6563).

 

 

[346]       M. Beal a déclaré que dès 1876 l’alerte avait été donnée dans les milieux gouvernementaux quant à l’étendue de la diminution du troupeau de bisons (transcription, volume 44, page 6454). Toutefois, il a aussi précisé que le gouvernement avait été pris au dépourvu par la rapidité de la disparition des bisons (transcription, volume 44, page 6452; S‑31, page 11).


 

 

[347]       De l’avis de M. Beal, les vivres fournis par le gouvernement étaient insuffisants. Il a parlé du rapport annuel de Dewdney pour 1880, où Dewdney faisait observer que, en raison de la sous‑alimentation, le besoin d’aide était constant (S‑31, page 13; onglet 15). Toutefois, la partie du rapport de Dewdney qui est reproduite dans le rapport de M. Beal parle des Pieds‑Noirs et des Assiniboines, non des Cris.

 

 

[348]       M. Beal s’est référé à une lettre, portant la date du 30 septembre 1880, rédigée par l’inspecteur Wadsworth, qui indiquait que les trois bandes de Peace Hills [traduction] « redoutaient énormément la souffrance et la famine, qui, ils le craignent, leur sont réservées l’hiver prochain » (S‑31, page 14; transcription, volume 44, pages 6476‑6482). Cependant, il n’a pas été établi que c’est ce qui advint.

 

 

[349]       M. Beal a aussi évoqué des articles du Bulletin de Frank Oliver, à Edmonton, sur la question de la famine et sur la misère dans laquelle vivaient les Indiens de la région d’Edmonton (S‑31, pages 15‑18; transcription, volume 44, pages 6485‑6507).

 

 

[350]       De l’avis de M. Beal, le gouvernement appliquait une politique de sous‑alimentation. L’objet de cette politique était de forcer les Indiens à s’établir dans des réserves et de dissuader de migrer d’une réserve à une autre ceux qui développaient un mouvement politique pour obtenir un territoire indien beaucoup plus vaste et faire réviser les conditions du traité (S‑31, page 18; transcription, volume 44, pages 6512‑6519).

 

 

[351]       Selon M. Beal, après la Rébellion du Nord‑Ouest de 1885, le gouvernement avait institué une politique de la carotte et du bâton. M. Beal s’est référé au rapport annuel de Dewdney pour 1885‑1886, qui faisait expressément état de l’attribution de récompenses aux Indiens fidèles et du non‑versement des rentes à ceux qui avaient participé à la Rébellion (S‑31, pages 18‑19; onglet 32; transcription, volume 45, pages 6519‑6525 et 6555‑6559).

 

 

[352]       M. Beal a aussi parlé du soutien du gouvernement au développement agricole, en particulier au regard de la fourniture d’outils, de matériel et de têtes de bétail. M. Beal s’est référé à l’édition du 3 février 1883 du Bulletin d’Edmonton, qui publiait une lettre ouverte à John A. Macdonald, exposant les griefs des Indiens de la région d’Edmonton (S‑31, pages 20‑22; onglet 39; transcription, volume 45, pages 6541‑6548).

 

 

[353]       De l’avis de M. Beal, la politique menée par le gouvernement durant les années postérieures au Traité n° 6 était fortement motivée par la volonté de réduire les dépenses consacrées aux vivres, à l’administration, aux équipements et au bétail (S‑31, pages 26‑29).

 

 

[354]       Durant son témoignage, M. Beal a aussi évoqué la manière dont le gouvernement administrait les réserves. Selon lui, les atermoiements du gouvernement – jusqu’en 1885 – dans l’arpentage de terres pour les réserves de Hobbema avaient semé la confusion parmi les Cris. Ces atermoiements avaient aussi mis un frein à leur esprit d’initiative en matière agricole (S‑31, pages 30‑31).

 

 

[355]       M. Beal a examiné les cessions territoriales et les fusions de bandes pour la période allant de 1904 à 1919. À son avis, les cessions territoriales ne se sont pas faites à l’avantage des Indiens, mais avaient plutôt pour objet d’obtenir un territoire à coloniser et de générer des recettes pouvant amortir les coûts de l’administration indienne (S‑31, pages 79‑114).

 

 


[356]       M. Beal a aussi parlé du Régime de culture intensive, appliqué au cours de la Première Guerre mondiale. Le Régime comportait trois volets : encourager les Indiens à accroître le rendement de leurs cultures; affermer des terres de réserve à des agriculteurs non autochtones à des fins de culture et de pâture; et établir des exploitations à culture intensive sur les terres indiennes (S‑31, pages 117‑136).

 

 

[357]       En contre‑interrogatoire, M. Beal a reconnu que le Régime de culture intensive avait été salutaire en ce sens qu’il avait permis le développement d’une capacité considérable, une demi‑douzaine d’exploitations à culture intensive, et avait aussi généré des recettes, grâce aux baux à ferme et à pâture, pour les réserves de Hobbema (transcription, volume 51, page 7581).

 

 

[358]       M. Beal a examiné les comptes en fiducie des bandes de Samson, d’Ermineskin, de Louis Bull et du lac Pigeon pour la période 1901‑1927. Il en a conclu que le gouvernement avait utilisé les recettes des bandes pour amortir les frais d’administration de l’Agence de Hobbema (S‑31, pages 119‑128).

 

 

[359]       M. Beal a aussi examiné les revenus des Indiens à l’Agence de Hobbema pour la période 1914‑1939. Il est arrivé à la conclusion que l’écart entre les revenus par habitant de tous les Albertains et ceux des Indiens de Hobbema était demeuré important. Il en a aussi conclu que cette période était une période de relative stagnation économique à l’Agence de Hobbema, une stagnation allégée quelque peu par l’inflation du temps de guerre et par la phase d’expansion des années 1920 (S‑31, pages 129‑136).


 

 

[360]       M. Flanagan a témoigné pour la Couronne à propos des événements postérieurs au traité et de la conduite du gouvernement (C‑286). À son avis, M. Carl Beal interprétait d’une manière libérale les obligations assumées dans le traité par gouvernement. Vu les expressions générales employées dans certaines des clauses du traité, par exemple les clauses relatives à la famine et au buffet à médicaments, il était inévitable que de larges pans de la politique gouvernementale interviennent dans l’accomplissement de telles obligations (transcription, volume 153, pages 21200‑21202; C‑286, pages 39‑41).

 

 

[361]       Dans son rapport, M. Flanagan passait brièvement en revue les secours dépêchés par le gouvernement durant la période de famine qui avait résulté de la disparition des troupeaux de bisons à partir de 1879. Selon M. Flanagan, des difficultés objectives entravaient l’acheminement des provisions. Le nombre de gens dans le besoin n’était pas très élevé, mais l’étendue du territoire, l’éparpillement de la population et l’absence d’infrastructures compliquaient la logistique (transcription, volume 153, pages 21217‑21224; C‑286, pages 50‑56).

 

 


[362]       De l’avis de M. Flanagan, le sentiment qui prévalait à la fin du XIXe siècle était le suivant : nourrir les populations sans que soit exigé d’elles un travail était une pratique dangereuse, et les rations ne devaient pas dépasser un minimum si l’on voulait préserver une incitation au travail. Simultanément, le gouvernement s’efforçait aussi d’économiser (transcription, volume 153, pages 21225‑21227).

 

 

[363]       Selon M. Flanagan, les données de l’Agence de Hobbema montrent que les Cris de cette région avaient réussi la transition vers leur nouveau mode de vie agricole (transcription, volume 153, pages 21230‑21236; C‑286, pages 59‑65 et 119‑121).

 

 

[364]       M. Flanagan a admis que M. Beal avait eu raison de faire observer, dans sa critique du gouvernement pour sa lenteur à faire arpenter les réserves, que le ministère avait sa propre équipe d’arpenteurs et qu’il aurait donc pu faire procéder aux arpentages avant l’intervention de l’Office fédéral d’arpentage. Toutefois, M. Flanagan a indiqué qu’il n’avait pas été possible néanmoins d’effectuer des arpentages plus tôt, et cela à cause des déplacements de populations et parce que la colonisation ne s’était achevée qu’en 1884 (transcription, volume 153, pages 21246‑21248).

 

 


[365]       S’agissant du développement agricole, M. Flanagan a admis avec M. Beal que le marché avait été peu actif avant 1895. Il a fait remarquer cependant que, jusqu’en 1891, date de l’achèvement de la voie ferrée reliant Edmonton et Calgary, les moyens de transport étaient restreints. Par ailleurs, la population du territoire était clairsemée. M. Flanagan voyait le système de permis (les Indiens devaient obtenir l’approbation de l’agent pour vendre leurs produits ou leur bétail) comme un système motivé par une croyance paternaliste selon laquelle les Indiens devaient être protégés contre les négociants malhonnêtes, et aussi comme une réaction aux plaintes d’agriculteurs non autochtones qui dénonçaient un subventionnement de la concurrence. Selon M. Flanagan, les régimes de laissez‑passer et de permis n’avaient pas eu pour effet de ralentir ou d’empêcher le développement de l’agriculture dans les réserves de Hobbema. Il a reconnu que, vu l’abandon de la politique, la critique de cette politique était sans doute justifiée (transcription, volume 153, pages 21256‑21260; C‑286, pages 85‑89 et 93‑94).

 

 

[366]       S’agissant des cessions territoriales de la période 1904‑1914, M. Flanagan a conclu que le gouvernement avait suivi la procédure prévue par la loi et n’avait jamais contraint les Indiens à vendre leur terre (transcription, volume 153, pages 21267‑21270; C‑286, pages 94‑108).

 

 

[367]       S’agissant de l’analyse économique de l’Agence de Hobbema par M. Beal, M. Flanagan a exprimé l’avis que des progrès notables avaient été accomplis dans les réserves et dans leur mise en valeur. Il a critiqué l’analyse des revenus par habitant faite par M. Beal, qui selon lui n’avait pas tenu compte des revenus « en nature » des Indiens installés dans les réserves – des choses telles que les avantages médicaux et les exonérations fiscales (transcription, volume 153, pages 21275‑21297; C‑286, pages 109‑116).

 

vi.  Le contact


 

[368]       Les témoignages de trois experts ont porté sur la question du contact : le professeur Ray, Mme Holmes et M. von Gernet.

 

 

[369]       Selon le résumé introduisant le rapport du professeur Ray, les nations autochtones de l’intérieur occidental avaient établi [traduction] « des relations durables avec les arrivants européens dès la deuxième moitié du XVIIe siècle, grâce au commerce des fourrures » (S‑3, pages ii, 3). Durant son témoignage, le professeur Ray a réparti le contact en trois phases : le pré‑contact, le proto‑contact et le contact. Durant la période du pré‑contact, la population autochtone ne sait rien des Européens, et elle n’est donc aucunement influencée par eux. Durant la période du proto‑contact, la population autochtone commence à en savoir davantage sur les Européens et entreprend de commercer avec eux par l’entremise d’intermédiaires autochtones ou de spécialistes du commerce. Au départ, le commerce des fourrures se faisait entre négociants autochtones et négociants européens, les négociants autochtones se procurant les fourrures auprès de leurs clients autochtones (transcription, volume 22, pages 2808‑2811).

 

 


[370]       De l’avis du professeur Ray, le premier contact entre les Cris et les Européens, en dehors du territoire cri, a eu lieu durant la période allant des années 1650 aux années 1680. Le contact à l’intérieur du territoire cri a eu lieu quand des postes de traite intérieurs furent établis par les Européens – expansion à la fois britannique et française – vers la fin du milieu du XVIIIe siècle (transcription, volume 22, pages 2811‑2813; pages 2855‑2857).

 

 

[371]       Mme Holmes a décrit la période du pré‑contact comme une période où la population autochtone fut mise en présence de biens matériels européens, grâce au commerce des fourrures, sans pour autant avoir un contact direct avec les Européens (mais, tout probablement, il a fallu que des Autochtones aient eu en face d’eux des Européens pour pouvoir obtenir les marchandises de traite européennes) (transcription, volume 27, pages 3736‑3737).

 

 

[372]       Mme Holmes fixe l’année du premier contact à 1690, lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson établit des postes de traite le long de la baie d’Hudson. Un contact significatif s’est accompli environ un siècle plus tard, quand la CBH et des négociants du Nord‑Ouest (venant de l’Est) construisirent des postes intérieurs le long de la rivière Saskatchewan. Ce contact a eu lieu, selon Mme Holmes, au cours de la période allant de la décennie 1770 à la décennie 1790 (transcription, volume 27, pages 3737‑3738).

 

 


[373]       Durant son témoignage, Mme Holmes a interprété un extrait d’un ouvrage de l’historien John Milloy, où il est mentionné qu’il utilisait l’année 1770 comme date du premier contact. Plus tard, en contre‑interrogatoire, Mme Holmes a admis qu’elle s’était méprise sur l’extrait en question : en réalité, Milloy disait que le premier contact avait eu lieu entre les Cris et les Européens en 1670 et que les Cris s’étaient installés dans les Plaines en 1770 (transcription, volume 27, pages 3739‑3740; volume 29, pages 4090‑4091; S‑12, onglet 18, page 118).

 

 

[374]       Selon Mme Holmes, un contact significatif suppose la présence d’Européens en grand nombre, avec leurs marchandises de traite, au point d’entraîner certaines répercussions et l’établissement de relations durables. Elle considérait que les produits européens n’avaient eu de réels effets sur les Cris que vers la fin du XVIIIe siècle. Elle a admis que les produits européens furent importants pour les Cris en tant que négociants, mais elle a réaffirmé qu’il n’y avait eu contact avec les Européens sur le territoire cri – le pays de la Saskatchewan — que vers les décennies 1770 à 1790 (transcription, volume 29, pages 4077‑4080; volume 31, page 4304).

 

 

[375]       Mme Holmes a refusé de dire ce qu’avait pu être l’influence des produits européens sur les Autochtones avant l’établissement d’un contact direct, car ce n’était pas là son objectif lorsqu’elle avait rédigé son rapport. Elle a précisé durant son témoignage qu’il existait une controverse considérable sur cette question ethnographique, mais elle n’est pas entrée dans le détail (transcription, volume 29, pages 4080‑4081; volume 30, page 4106).

 

 

[376]       S’agissant de Mandelbaum, Mme Holmes a dit que l’opinion de Mandelbaum, pour qui le premier contact s’était produit entre 1640 et 1690 et pour qui les lieux tribaux et la culture tribale s’étaient modifiés considérablement sous l’influence anglaise, n’était pas acceptée par tous les spécialistes, et elle a mentionné en particulier le professeur Ray. Mme Holmes a semblé rétracter quelque peu cette appréciation quand elle a dit que le désaccord se trouvait pour l’essentiel dans les sources primaires (transcription, volume 30, pages 4111‑4128; C‑15).

 

 


[377]       Selon M. von Gernet, les découvertes archéologiques montrent que les degrés de contact et d’influence européenne sur les sociétés autochtones ont été largement sous‑estimés dans les milieux spécialisés. Il a admis que le contact suppose plusieurs phases et qu’il ne s’agit pas simplement de l’arrivée des Européens ou de rencontres personnelles. Pour lui, la période proto‑historique était une période de transition, se situant entre la première attestation de l’influence européenne et la période marquant le début des traces écrites. En Alberta, selon M. von Gernet, la période proto‑historique a débuté vers la fin du XVIIe ou le début du XVIIIe siècle. Il a déclaré que, s’il devait donner son avis, alors il choisirait l’année 1670 comme date probable du contact, car cette année‑là marque l’arrivée des Européens et l’établissement de la CBH. Dès l’octroi d’une charte à la CBH en 1670, il y eut une considérable influence européenne sur les Cris, qui agissaient comme intermédiaires dans les échanges. M. von Gernet a déclaré qu’il n’existait dans son domaine d’intérêt aucune catégorie appelée « contact significatif »; néanmoins, il considère que le commerce des fourrures équivaut à un contact significatif (transcription, volume 166, pages 22994‑22999; volume 173, page 24170). Il a dit que, en tant qu’anthropologue, il préférerait avoir, pour le contact, un éventail de dates, mais il a réaffirmé que l’année 1670 constitue une date probable car elle marque le début d’un commerce intensif des fourrures (transcription, volume 173, pages 24164‑24182).

 

 

[378]       En contre‑interrogatoire, M. von Gernet a dit qu’il n’avait pu y avoir de contact entre les Cris des Plaines et les Européens en 1670 en Alberta, précisément parce qu’il n’y avait pas de Cris des Plaines en Alberta à l’époque (transcription, volume 173, pages 24168).

 

 

[379]       M. von Gernet s’est dit en désaccord avec l’affirmation de Mme Holmes, pour qui les dates probables du contact étaient la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe. D’après lui, aucun autre expert ne partageait l’avis de Mme Holmes sur ce point (transcription, volume 166, pages 23005‑23006).

 

vii.  Le territoire

 


[380]       Mme Holmes s’est exprimée en détail sur la question du territoire cri. Elle dit dans son rapport que, dès le milieu du XVIIIe siècle, et sans doute même bien avant, les Cris et les Assiniboines auraient habité la région se trouvant à 50 ou 60 milles au sud d’Edmonton – où sont situées les réserves de Samson, d’Ermineskin, de Louis Bull et de Montana (S‑12, page 72). Elle faisait fond sur l’analyse de Dale Russell, dans son ouvrage de 1991 intitulé Eighteenth‑Century Western Cree and their Neighbours, lequel quant à lui faisait fond sur le journal du négociant en fourrures de la CBH, Anthony Henday. Henday s’était rendu dans la région de la rivière Red Deer, depuis le poste de la CBH à York Factory, avec un groupe de Cris, en 1754‑1755, afin d’établir un contact avec d’autres groupements autochtones et ainsi nouer des liens commerciaux. Se fondant sur le journal de Henday, Russell concluait que, au milieu du XVIIIe siècle, les Cris menaient une vie paisible dans le centre de l’Alberta (transcription, volume 27, pages 3631‑3632).

 

 

[381]       L’écriture apparaissant dans le journal de Henday nous apprend ce qui suit :

 

[traduction]

Jeudi 26 décembre et vendredi 27 décembre. Ai tué 2 wapitis et 2 orignaux : j’ai posé un piège à loup. J’ai demandé aux Autochtones pourquoi ils ne posaient pas de pièges à loup; ils m’ont répondu que les Autochtones Archithinue [Pieds‑Noirs?] les tueraient s’ils posaient des pièges dans leur pays. Je leur ai alors demandé quand et où ils se procuraient des loups pour tenir jusqu’au printemps. Ils n’ont pas répondu, mais se sont mis à rire.

 

Samedi 28. Givre, neige et temps très froid : j’ai voyagé 5 milles N.E.b.N. Terrain plat, et bandes étroites de peupliers, d’aulnes et d’arbres. Ai attrapé un loup dans mon piège et en ai posé deux autres; les loups sont nombreux. Un Indien m’a dit que j’avais contrarié mes compagnons hier soir pour avoir parlé autant du piégeage, et il m’a conseillé de ne plus en rien dire, car ils allaient avoir plus de loups, de castors et autres des Archithinue au printemps qu’ils n’en auraient besoin.

 

(S‑12, rapport en contre‑réfutation, page 11; onglet 17, page 344; C‑322, page 5; onglet 4, page 344)

 

 

[382]       Mme Holmes a reconnu que cette mention du journal de Henday montre que les Pieds‑Noirs avaient autorisé la présence des Cris sur leur territoire, où voyageait Henday, mais elle considère que cela est un exemple de territoire partagé (transcription, volume 26, pages 3613‑3614).


 

 

[383]       Mme Holmes s’est également inspirée d’un article de 1987 de James Smith, intitulé « The Western Woods Cree: Anthropological Myth and Historical Reality » (insérer le numéro d’onglet, S‑12). Smith prétend que, d’après les données archéologiques, les Cris occupaient, avant le contact, le nord du Manitoba, la Saskatchewan et la région du Lac la Biche en Alberta (transcription, volume 27, pages 3631‑3632; S‑12, rapport en contre‑réfutation, page 4).

 

 

[384]       Dans son rapport présenté en contre‑réfutation, Mme Holmes réagissait au fait que M. von Gernet avait fait fond sur le document de 1986 de l’archéologue albertain Jack Brink, intitulé « Dog Days in Southern Alberta » (C‑16). Brink portait sur la carte la distribution des groupes autochtones dans les Plaines du Nord‑Ouest aux alentours de 1700 (C‑16, page 57). Il situe les Cris en Saskatchewan, non loin de l’actuelle ville de Prince Albert. Le territoire des Sarsis et des Pieds‑Noirs couvre la région située entre Edmonton et Red Deer, où se trouve actuellement la réserve de la nation crie de Samson.

 

 


[385]       Dans sa réponse, Mme Holmes a fait remarquer que l’objet de l’étude de Brink n’était pas de situer les Cris. Elle souligne les mises en garde insérées par Brink dans son ouvrage, ainsi que les difficultés propres aux cartes de répartition des tribus, méthode qui selon lui était un « scénario du meilleur ajustement ». Mme Holmes a aussi souligné l’observation de Brink selon laquelle l’application de la notion européenne de territoire était sans doute inopportune (S‑12, contre‑réfutation, pages 5‑7; C‑16, pages iii, 55 et 58‑60).

 

 

[386]       Durant son témoignage, Mme Holmes a fait fond sur les travaux du professeur Ray, de James Smith et de Jack Brink au soutien de son opinion selon laquelle les Cris habitaient dans le voisinage d’Edmonton durant les années 1750. Cependant, elle n’a pu trouver dans leurs travaux aucune indication confirmant sa position (transcription, volume 30, pages 4176‑4179).

 

 

[387]       Mme Holmes s’est fondée sur une carte figurant dans l’ouvrage de 1940, The Plains Cree, de l’anthropologue David Mandelbaum, pour conclure que les Cris occupaient le centre de l’Alberta en 1770 (C‑15, page 7). Elle s’est aussi fondée sur les journaux de négociants en fourrures et de dirigeants, qui affirmaient avoir vu des Cris à divers postes de traite à partir des années 1790 jusqu’aux années 1820.

 

 

[388]       Mme Holmes s’est aussi fondée, pour situer les Cris dans la région centrale de l’Alberta, sur des mentions du chef cri Maskepetoon, dans les journaux du missionnaire méthodiste Robert Rundle. Les premières mentions situent Maskepetoon en Alberta dans les années 1840 (S‑12, pages 73‑77; transcription, volume 27, pages 3651 et 3680; volume 30, pages 4248‑4249).

 


 

[389]       Le point principal de Mme Holmes à propos du territoire cri semble toutefois être que les Cris avaient occupé la région centrale de l’Alberta dès la décennie 1750, voire plus tôt.

 

 

[390]       Mme Holmes était le principal témoin expert de Samson sur la question du territoire, mais les professeurs Little Bear et Ray ont eux aussi exprimé des opinions sur le sujet.

 

 

[391]       Le professeur Little Bear a déclaré que les Pieds‑Noirs comprenaient la notion de territoire et la notion de domination d’un territoire (transcription, volume 132, pages 18577‑18578).

 

 

[392]       Le professeur Little Bear avait présenté à la Commission royale sur les peuples autochtones un mémoire intitulé « In a Nutshell: The Relationship of Aboriginal People to the Land and the Aboriginal Perspective on Aboriginal Title » (un extrait de ce mémoire figure sous la cote C‑225). Il a fait verser dans le dossier une partie de la section du mémoire décrivant la manière dont les Pieds‑Noirs voyaient leur territoire traditionnel :

 


[traduction] Le territoire traditionnel des Pieds‑Noirs s’étendait approximativement de l’actuelle rivière Saskatchewan Nord, au nord, dans l’actuelle Alberta, jusqu’à la rivière Yellowstone, au sud, dans l’actuel Montana, et de la ligne de partage continentale des montagnes Rocheuses, à l’ouest, jusqu’un peu à l’est de l’actuelle frontière Alberta‑Saskatchewan. Selon la légende des Pieds‑Noirs, c’est là que le Créateur a placé le peuple pied‑noir. La mémoire pied‑noir fait remonter l’occupation de ce territoire bien longtemps avant l’arrivée des Européens en Amérique. Les roues médicinales, les poteries rudimentaires, les pictoglyphes et les sauts de bison attestent cette mémoire. Les voisins cris à l’est appellent les Pieds‑Noirs les « Vieux », donnant à entendre qu’ils se trouvaient dans le pays avant même qu’eux, les Cris, ne se répandent dans les Plaines.

 

(Transcription, volume 132, pages 18578‑18579; C‑225, page 8).

 

 

 

[393]       Il a dit que les Pieds‑Noirs considéraient les Cris comme leurs voisins au nord et au nord‑est de ce territoire traditionnel (transcription, volume 132, page 18595).

 

 

[394]       Durant son témoignage, le professeur Little Bear a dit que, bien que les populations autochtones reconnussent que chaque groupe avait son propre territoire, les lisières de ces territoires n’étaient pas fixes, mais plutôt chevauchaient; il appelait les zones de chevauchement « régions communes » (transcription, volume 132, pages 18531‑18537; pages 18581‑18585).

 

 

[395]       Cette notion de territoires chevauchants n’était pas mentionnée dans le mémoire du professeur Little Bear présenté à la CRPA. Il a expliqué à la Cour qu’il avait rédigé son mémoire du strict point de vue des Pieds‑Noirs; si on lui avait demandé de le rédiger du point de vue des Pieds‑Noirs et des Cris, alors il aurait fait état de la notion de chevauchement (transcription, volume 132, pages 18601‑18604). J’observe cependant qu’il a bien précisé que la notion de chevauchement fait partie intégrante de la tradition orale et du mode de pensée des Pieds‑Noirs (transcription, volume 132, pages 18597‑18598).


 

 

[396]       Le professeur Ray a lui aussi témoigné à propos du territoire. Dans son rapport, il écrit qu’il n’est pas possible de déterminer précisément la date à laquelle les Cris sont arrivés dans la région du Traité n° 6; cependant, la preuve documentaire indique qu’ils ont occupé la plus grande part du centre et de l’est de la région avant le contact avec les Européens (S‑3, page 1). Son rapport reproduit une carte, dans la figure 1, qui illustre la répartition des Indiens faisant du commerce à York Factory de 1714 à 1717. La région située entre les bras de la rivière Saskatchewan Nord est désignée comme territoire des Bloods et des Pieds‑Noirs; le territoire des Cris est représenté par une frontière occidentale pénétrant très légèrement dans l’actuelle Alberta, mais entièrement au nord de la rivière Saskatchewan Nord. Un extrait de son ouvrage intitulé Indians in the Fur Trade renferme deux cartes montrant la répartition des Cris pour la période 1790‑1821 et la répartition des tribus pour 1821 (C‑9, pages 100‑101, figures 32 et 33). La première carte montre les Cris, dans ce qui est aujourd’hui la province de la Saskatchewan, occupant la rivière Saskatchewan Nord et le territoire s’étendant vers le nord. La frontière occidentale pénètre légèrement dans le nord‑est de l’Alberta, et la frontière orientale traverse le Manitoba. La seconde carte situe les Cris dans le centre de la Saskatchewan et le nord‑est de l’Alberta, et les Pieds‑Noirs dans le centre et le sud de l’Alberta.

 

 


[397]       Le professeur Ray s’est aussi référé au journal tenu par Henday durant ses voyages en 1754‑1755. Pour lui, l’accès des Cris au territoire pied‑noir procédait d’un partage de territoire, compte tenu de la relation économique symbiotique entre les deux nations (transcription, volume 22, pages 2847‑2850; volume 25, pages 3358‑3359).

 

 

[398]       La Couronne a prié M. von Gernet de s’exprimer sur la question du territoire cri. Selon M. von Gernet, les Cris ne sont pas une population indigène du centre de l’Alberta et ils ne s’y sont établis que « très longtemps » après le contact (C‑323, page 5; transcription, volume 166, page 23014). M. von Gernet croit que la présence crie dans le centre de l’Alberta fut le résultat de leur rôle d’intermédiaires dans le commerce des fourrures. Selon M. von Gernet, les données ethnohistoriques donnent à penser que le territoire situé entre Edmonton et Red Deer était un pays pied‑noir au milieu du XVIIIe siècle (C‑322, page 1).

 

 

[399]       M. von Gernet a donné le nom de trois spécialistes qui souscrivent à ce qu’il appelle l’opinion traditionnelle, celle selon laquelle la migration des Cris vers les régions plus à l’ouest de l’actuel Canada est un phénomène postérieur au contact avec les Européens, un phénomène lié à leur rôle dans le commerce des fourrures. M. Mandelbaum pose comme principe que les Cris n’ont pénétré l’Ouest que jusque dans la région située entre la baie d’Hudson et le lac Supérieur; le professeur Ray, dans l’édition de 1974 de son ouvrage intitulé Indians in the Fur Trade, considérait que la limite occidentale de la présence crie était le Manitoba; et, selon l’historien John Milloy, la présence crie à l’ouest ne dépassait pas la rivière Winnipeg (C‑322, page 4).

 


 

[400]       M. von Gernet a relevé que le professeur Ray avait modifié son opinion dans l’introduction de l’édition 1998 de son ouvrage. Dans la nouvelle introduction, le professeur Ray disait qu’il existe des traces archéologiques convaincantes attestant que les Cris étaient présents bien à l’ouest de la frontière provinciale Manitoba‑Saskatchewan, et cela longtemps avant la naissance d’un contact commercial indirect, et il affirmait que les Cris s’étaient probablement déplacés vers l’ouest à la faveur d’une série de vagues migratoires (C‑9, xxi‑xxii).

 

 

[401]       M. von Gernet a parlé de Smith et de Russell, qui contestent la manière traditionnelle de voir les limites occidentales de la présence crie; ils affirment que la présence crie à l’ouest atteignait l’Alberta à l’époque du contact avec les Européens, et même avant. Comme je l’ai indiqué plus haut, Mme Holmes s’est inspirée des travaux de ces deux spécialistes.

 

 

[402]       M. von Gernet a mis en doute la manière dont Russell interprète le journal de Henday, interprétation qui l’avait conduit à prétendre que les Cris étaient présents dans le centre de l’Alberta au milieu du XVIIIe siècle. De l’avis de M. von Gernet, le journal de Henday donne à entendre que les Cris qui voyageaient avec Henday savaient qu’ils étaient entrés dans le territoire d’un groupe voisin. Pour M. von Gernet, l’extrait susmentionné du journal montrait que, si les Cris hésitaient à poser des pièges à loup pour leurs peaux dans le territoire pied‑noir, c’était parce que cela pouvait compromettre leurs rapports commerciaux et leur rôle d’intermédiaires (C‑322, page 5).


 

 

[403]       M. von Gernet a aussi mis en doute la conclusion de Smith selon laquelle des traces archéologiques attestent que les Cris étaient, avant le contact avec les Européens, les habitants du Manitoba du Nord, de la Saskatchewan et de la région du Lac la Biche, en Alberta. M. von Gernet a reconnu que les traces archéologiques permettent de supposer une présence crie au Manitoba et en Saskatchewan avant le commerce des fourrures avec les Européens, mais, selon lui, cette présence n’avait pu s’étendre à l’Alberta (C‑322, page 6).

 

 

[404]       M. von Gernet s’est fondé sur les travaux de David Meyer, qui pour lui est une autorité dans l’archéologie des Cris. Dans son article de 1987 intitulé « Time‑Depth of the Western Woods Cree Occupation of Northern Ontario, Manitoba, and Saskatchewan », Meyer écrivait que l’on s’accordait en général à dire que les ancêtres cris avaient produit, avant le contact avec les Européens, des matériaux archéologiques proto‑historiques appelés Selkirk. Après avoir porté sur la carte la distribution des matériaux Selkirk dans l’Ouest canadien, Meyer constata qu’elle se comparait favorablement avec la région connue que les Cris des bois avaient occupée à l’ouest durant la période du premier contact, c’est‑à‑dire 1690‑1720 (C‑322, page 16, figure 1). Meyer concluait que la présence crie s’était étendue vers l’ouest jusqu’en Saskatchewan, des siècles avant le contact avec les Européens, mais il n’a pas trouvé de vestiges Selkirk en Alberta (C‑322, pages 8‑9).

 

 

[405]       Revenant à Smith, rappelons‑nous que, selon l’article de Smith de 1987, des matériaux culturels cris (les matériaux Selkirk) furent trouvés aussi loin à l’ouest que la région du Lac la Biche en Alberta. Selon M. von Gernet, Smith s’est appuyé sur Wright qui, lui, disait que la limite occidentale des vestiges Selkirk était Île‑à‑la‑Crosse, en Saskatchewan. Meyer cependant, après examen des matériaux du Lac la Biche, a conclu qu’il ne s’agissait pas de matériaux Selkirk (C‑322, page 9).

 

 

[406]       S’agissant du document de Brink, « Dog Days in Southern Alberta », et de sa carte montrant la répartition des tribus vers 1700, M. von Gernet a soutenu que les Cris n’étaient pas l’objet du travail de Brink – contrairement à ce qu’affirmait Mme Holmes – parce qu’ils n’étaient pas dans sa ligne de mire géographique et temporelle. Quant aux mises en garde de Brink, M. von Gernet a dit que l’incertitude est inhérente au travail de reconstruction de l’histoire autochtone et que cela ne devrait pas faire obstacle aux tentatives de porter sur une carte la répartition des populations et territoires autochtones (C‑322, pages 10‑11).

 

 

[407]       M. von Gernet s’est fondé aussi sur les cartes Magne (C‑322, pages 17‑20. Figures 2‑5; voir aussi C‑325, C‑326 et C‑327). Ces cartes sont le produit d’un travail topographique effectué par 25 chercheurs en Alberta et en Saskatchewan, à qui l’on avait envoyé des cartes en blanc afin qu’ils y indiquent la répartition des populations autochtones pour la période 1700‑1850 (transcription, volume 174, pages 24291‑24310; C‑322, pages 11‑12).


 

 

[408]       Selon M. von Gernet, les cartes montrent que la région où se trouve aujourd’hui la réserve de la nation crie de Samson était bien en dehors du territoire cri en 1700 et durant une période considérable par la suite. La limite occidentale du territoire cri, selon la carte de 1800 (figure 4), se trouve dans la partie nord‑est de l’Alberta.

 

 

[409]       M. von Gernet a aussi considéré le recours aux noms de lieux cris au moment d’établir la répartition des territoires. Selon M. von Gernet, les noms de lieux – ou toponymes – comptent parmi les indicateurs d’antiquité les moins précieux. Il a indiqué qu’il est d’usage pour les populations de baptiser des lieux quand elles migrent en dehors de territoires traditionnels, même en des temps récents. À son avis, les toponymes cris ne permettent pas de dire si la réserve de la nation crie de Samson et les terres environnantes faisaient partie du territoire cri lors du contact avec les Européens (C‑322, pages 12‑13).

 

viii.  Le commerce

 

[410]       Mme Holmes a témoigné à propos des activités commerciales outre‑frontières des Cris pour la période 1790‑1900, depuis le Lac des Bois à l’est jusqu’aux montagnes Rocheuses à l’ouest (S‑12, page i). Selon elle, le commerce faisait partie intégrante de la vie économique et politique des Cris des Plaines et des Cris de Samson (transcription, volume 28, pages 3831‑3832).


 

 

[411]       Pour les pratiques commerciales autochtones antérieures au « premier contact », Mme Holmes s’en est rapportée aux travaux de l’archéologue J.V. Wright dans l’Atlas historique du Canada : Des origines à 1800 (S‑12, onglet 3, planche 14). La carte de Wright donne, sur quelque 12 000 ans, un aperçu général du mouvement des marchandises de traite sur le continent nord‑américain. Selon Mme Holmes, la carte n’indique pas les découpages tribaux ou ethniques autochtones, se limitant à dire que des échanges avaient lieu entre locuteurs algonquins et locuteur sioux (transcription, volume 28, page 3842; volume 30, page 4251). Aucune définition de l’expression « premier contact », sur la carte, n’apparaissait non plus (transcription, volume 30, pages 4145‑4147 et 4153). Mme Holmes a aussi reconnu que c’était les marchandises, non les personnes, qui parcouraient les longues distances indiquées sur la carte (transcription, volume 30, pages 4149‑4150).

 

 

[412]       Selon Wright, la majeure partie des échanges concernait des marchandises périssables ou semi‑périssables; elles ont pour l’essentiel disparu des indices archéologiques. Les marchandises de traite qui ont subsisté, par exemple les marchandises confectionnées en pierre, en métal ou en coquillages, montrent qu’elles étaient souvent transportées à des centaines ou des milliers de kilomètres depuis leur lieu d’origine. Les marchandises de traite, en général des produits finis, étaient échangées entre peuples voisins à la faveur de leurs expéditions saisonnières de chasse et de pêche (S‑12, onglet 3).

 


 

[413]       Au cours de son témoignage, Mme Holmes a indiqué que les Cris faisaient le commerce des minéraux avant 1770. Elle s’est fondée sur l’Atlas historique, qui, a‑t‑elle dit, faisait état d’un commerce de minéraux dans la région générale des locuteurs algonquins (transcription, volume 30, page 4252). Mme Holmes s’est aussi fondée sur un ouvrage du négociant en fourrures Edwin Denig, qui avait écrit en 1855 Five Tribes of the Upper Missouri. Denig avait fait du commerce en territoire américain sur la rivière Missouri de 1830 à 1850. Il avait décrit le territoire cri et remarqué que certaines sources étaient [traduction] « imprégnées de substances salines et sulfureuses et une grande quantité de bon sel est extraite de certaines d’entre elles par les indigènes » (S‑12, page 67; onglet 146, pages 101 et 104). Mme Holmes a donc émis l’hypothèse que Denig avait conclu à l’existence d’un commerce du sel chez les Cris, et elle a expressément mentionné les minéraux dans une liste de marchandises de traite autochtones (transcription, volume 28, page 3922; volume 29, page 4056; et S‑12, page 164). En contre‑interrogatoire toutefois, Mme Holmes a admis que Denig n’avait pas dit que le sel était l’objet d’un commerce. Elle a d’ailleurs ajouté qu’elle n’avait connaissance d’aucun indice témoignant d’un commerce du sel ou d’autres minéraux (transcription, volume 30, pages 4252‑4255).

 

 


[414]       Mme Holmes a dit que les Cris avaient participé au réseau commercial Mandan‑Hidatsa depuis la période antérieure au contact avec les Européens, et jusqu’en 1818. Le réseau Mandan‑Hidatsa était un groupe autochtone doté d’un important centre de traite qui se trouvait à la confluence de la rivière Missouri et de la rivière Knife. Ce centre de traite avait existé depuis la période antérieure au contact jusqu’à la décennie 1830 (transcription, volume 28, pages 3857‑3859). Mme Holmes a pris note des travaux de l’historien John Milloy, qui faisait observer que les chevaux étaient la marchandise la plus importante du commerce autochtone et qu’ils avaient à l’origine été acquis des Espagnols au sud (S‑12, page ii). Selon Mme Holmes, l’ethnologue John Ewers avait relevé que les Cris se procuraient des chevaux dans les villages du réseau Mandan‑Hidatsa, en échange de marchandises de traite européennes, dont les Cris faisaient l’acquisition grâce à leur rôle d’intermédiaires dans le commerce des fourrures avec les Européens (transcription, volume 28, pages 3861‑3862).

 

 

[415]       Mme Holmes s’est fondée sur les journaux et observations de négociants en fourrures et d’explorateurs pour exposer ses conclusions sur la nature du commerce aux premiers temps du contact et durant la période antérieure au contact. Ainsi, elle s’est référée à Alexander Henry l’aîné et à ses descriptions, en 1775, du commerce du riz au Lac des Bois (S‑12, page 5). Mme Holmes a aussi évoqué les descriptions qu’avait données La Vérendrye du commerce des chevaux dans les villages du réseau Mandan‑Hidatsa en 1741, activité à laquelle ses hommes participaient aussi (S‑12, pages 6‑7). Elle s’est fondée aussi sur le journal d’Anthony Henday, qui montre que les Cris agissaient comme intermédiaires dans le commerce des fourrures en 1754 (transcription, volume 28, page 3871).

 

 

[416]       Selon Mme Holmes, les Cris et les Assiniboines dominaient le commerce intérieur. Ils échangeaient avec les gens des Plaines les marchandises acquises à York Factory, le poste de la CBH sur la baie d’Hudson (S‑12, page 12). Les Cris avaient déplacé leur centre d’intérêt vers le commerce des approvisionnements durant les décennies 1770‑1790, après que les Européens eurent établi des postes intérieurs dans le pays de la Saskatchewan (transcription, volume 30, page 4155).

 

 

[417]       Mme Holmes a aussi abordé la question des mouvements et échanges outre‑frontières. Se fondant sur le journal du négociant Henry Kelsey, elle a dit que les Cris de la région du Lac des Bois s’étaient rendus dans les villages Mandan‑Hidatsa en 1690 pour commercer (S‑12, page 6). En contre‑interrogatoire, elle n’a pas pu dire si ces populations étaient des ancêtres des Cris des Plaines (transcription, volume 29, pages 4068‑4074). Et, par ailleurs, ce commerce englobait les marchandises européennes (S‑12, page 6, contre‑réfutation, page 12).

 

 

[418]       Mme Holmes s’est fondée sur une inscription de 1833 dans le Edmonton Post Journal pour rattacher les Cris, qui faisaient du commerce dans le voisinage de la Maison d’Edmonton, à des voyages effectués vers les villages Mandan‑Hidatsa dans un dessein commercial (transcription, volume 28, pages 3916‑3917; S‑12, page 65; S‑12, onglet 251). L’inscription toutefois parle d’un important groupe de Cris qui se sont rendus auprès des Mandans pour laver un outrage fait l’année antérieure.

 


 

[419]       Mme Holmes a produit plusieurs références historiques relatives au chef cri Maskepetoon pour appuyer son affirmation selon laquelle il avait participé à des déplacements et échanges outre‑frontières (S‑12, pages 69‑83; rapport en contre‑réfutation, pages 8‑10). La plupart des références sont avares de détails. La preuve touchant la visite de Maskepetoon à Washington D.C. ne parle pas d’échanges. Une mention de Maskepetoon s’adonnant au commerce vient de l’expédition Palliser et précise qu’il était venu commercer avec James McKay aux lacs Qu’Appelle, en Saskatchewan, en septembre 1857 (S‑12, page 80; transcription, volume 28, pages 3934‑3936). Dans une autre référence, Denig décrivait Maskepetoon en des termes peu flatteurs et disait qu’il était méprisé par les négociants (S‑12, onglet 22, page 88).

 

 

[420]       Mme Holmes a aussi produit un témoignage sur les usages et mouvements commerciaux postérieurs au Traité n° 6. Selon elle, Erasmus avait été engagé par le gouvernement pour convaincre les populations autochtones de la région d’Edmonton, qui s’étaient installées au sud de la frontière, de retourner vers le Nord et de se fixer dans des réserves (transcription, volume 29, pages 4004‑4005). En contre‑interrogatoire, elle a admis qu’elle avait mal lu les documents et qu’Erasmus avait été chargé de déménager les populations autochtones depuis la région voisine de Fort Walsh, à Cypress Hills, dans l’actuelle Saskatchewan, jusqu’à leurs réserves (transcription, volume 30, pages 4257‑4264).

 

 

[421]       Dans son rapport, Mme Holmes écrivait que, en 1881 et 1882, un important campement de Cris, dont des membres de la région d’Edmonton et de Bear Hills, s’était assemblé sur la rivière Missouri, où les Cris chassaient et faisaient du commerce (S‑12, page 123). Elle s’est fondée sur une lettre en date du 14 décembre 1881, adressée par l’agent des Indiens Denny, du Fort Walsh, au commissaire des Indiens Dewdney, lettre qui décrivait ce campement. Toutefois, il semble que c’était Gros Ours et ses gens qui étaient cantonnés sur la rivière Missouri. La référence aux Cris de la région de la Maison d’Edmonton indique qu’ils étaient cantonnés autour du Fort Walsh; toutefois, la lettre mentionne que, lorsque leurs provisions s’épuisaient, ils traversaient la frontière en quête de bisons et de whisky (S‑12, onglet 466). La lettre ne parle nullement d’un commerce outre‑frontières.

 

 

[422]       Le rapport de Mme Holmes contient une section relative aux expulsions de Cris (S‑12, pages 148‑156). Les références se rapportent toutefois à Gros Ours et à ses gens, non à des membres de Samson.

 

 


[423]       M. von Gernet a lui aussi témoigné à propos des pratiques commerciales des Cris (C‑323). Dans son rapport d’expert, il écrit qu’il ne fait aucun doute que les Cris ont toujours fait du commerce entre eux, ainsi qu’avec d’autres groupes. À son avis, le commerce est le propre de l’homme et tous les groupements humains font du commerce sous une forme ou une autre. La question concerne le degré du commerce et le rôle qu’il a joué dans la culture d’une société (C‑323, pages 9‑10). Les anthropologues répondent à cette question en recourant à des comparaisons (transcription, volume 166, pages 23016‑23017 et volume 174, pages 24363‑24364).

 

 

[424]       Selon M. von Gernet, il y avait deux adaptations culturelles distinctes dans les Plaines : les horticulteurs riverains du Missouri et de ses affluents, et les chasseurs‑cueilleurs nomades, qui vivaient surtout de chasse (C‑323, pages 11‑12). Les Mandan‑Hidatsa étaient un exemple de la première de ces adaptations culturelles. Ils menaient une vie semi‑sédentaire et se livraient à l’horticulture, produisant haricots, maïs et courges. Les excédents étaient entreposés pour consommation future et vendus, selon un système commercial perfectionné, à leurs voisins ne pratiquant pas l’agriculture (transcription, volume 174, page 24382).

 

 

[425]       M. von Gernet a admis que, dès la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, les chasseurs assiniboines et cris apportaient viandes et peaux pour les vendre dans les centres de traite Mandan‑Hidatsa (transcription, volume 174, page 24366). Il a aussi indiqué qu’il existe des références éparses selon lesquelles les Cris de l’Alberta, qui avaient à l’époque adopté le cheval, se déplaçaient vers le sud au XIXe siècle, vers les Dakotas; cependant, il n’a pu dire si c’était là une pratique régulière (transcription, volume 174, pages 24378‑24379). De l’avis de M. von Gernet, les Cris n’étaient pas tributaires des Mandans pour leur survie; les expéditions commerciales étaient moins importantes pour les Cris qu’elles ne l’étaient pour les Mandans (transcription, volume 174, pages 24382‑24384).


 

 

[426]       Selon M. von Gernet, la planche 14 de l’Atlas historique du Canada, sur laquelle se fondait Mme Holmes, ne prouve pas que les Cris des Plaines s’adonnaient au commerce avant le contact avec les Européens. La carte ne donne pas d’identification ethnique ou culturelle, ni n’indique quelles marchandises, le cas échéant, originaires de l’Alberta, étaient vendues ailleurs; elle donne cependant à entendre que des groupes de l’Alberta recevaient des matériaux tels que l’obsidienne et la silice. Selon M. von Gernet, cette carte n’autorise que les conclusions suivantes : il existait un commerce avant le contact, et les matières premières ou produits finis parcouraient de longues distances (C‑323, pages 10‑11; transcription, volume 166, pages 23019‑23020).

 

 

[427]       M. von Gernet a exprimé l’avis que ce qui distinguait les Cris dans leurs usages commerciaux, c’était leur rôle d’intermédiaires dans le commerce des fourrures avec les Européens; cependant, il n’a pu faire remonter ce rôle à une période antérieure au contact (transcription, volume 174, page 24368). Selon lui, les Cris étaient notoirement connus comme intermédiaires au milieu du XVIIIe siècle, et le commerce était important pour eux à cette époque (transcription, volume 174, pages 24376‑24377).

 

 


[428]       Selon M. von Gernet, il n’existe aucune preuve ou indice attestant que les Cris faisaient le commerce des minéraux. Ils ne faisaient pas l’extraction et le commerce de ressources souterraines comme le pétrole ou le gaz; M. von Gernet n’a pu non plus trouver d’indice attestant qu’ils faisaient le commerce du sel (transcription, volume 166, page 23019; C‑323, page 13).

 

F.  Autres témoignages : Les aînés et les témoins ordinaires

i.  Le territoire

 

[429]       Harvey Buffalo a témoigné à propos du territoire cri. Il est arrivé à la conclusion que les Cris avaient toujours vécu dans la région centrale de l’Alberta, depuis le milieu de la décennie 1750. M. Buffalo a fondé son opinion sur des vidéocassettes d’aînés faites au MCC, sur les récits de son arrière‑grand‑mère Mary Buffalo, ainsi que sur sa propre lecture de documents d’archives et de livres d’histoire (transcription, volume 109, pages 15276‑15283). Selon M. Buffalo, les aînés disaient que les Cris de Samson avaient vécu dans les régions du lac Buffalo, de Camrose, du lac Pigeon et du lac Gull. Je relève cependant que les vidéocassettes en question n’ont jamais été identifiées ni produites comme pièces.

 

 

[430]       M. Buffalo a préparé et déposé un volume de documents historiques se rapportant au chef cri Maskepetoon (S‑174). Les portions se rapportant à Maskepetoon, pour l’essentiel, sont postérieures aux années 1830. En contre‑interrogatoire, M. Buffalo a reconnu que, selon certaines des références historiques, Maskepetoon fut tué en 1869 dans le territoire pied‑noir, qui comprenait la rivière Red Deer (S‑174, onglet 55, page 115).

 


 

[431]       M. Buffalo s’est fondé sur son examen des listes de personnes ayant droit aux rentes en vertu des traités, pour dire que Kanatakasu, ou Samson, avait succédé à Maskepetoon comme chef du groupe maintenant appelé les Cris de Samson (transcription, volume 112, page 15608). Il a présenté un volume, qu’il avait préparé, de références historiques se rapportant à Samson (S‑177). Les mentions selon lesquelles Samson était présent dans la région centrale de l’Alberta ne sont pas antérieures à 1844.

 

 


[432]       Bruce Cutknife a témoigné à propos de deux cartes qu’il avait préparées, et qui indiquent des toponymes cris pour la région Maskwachees, ou Bear Hills, et la région centre‑sud de l’Alberta (S‑138 et S‑139). Ses principales sources pour les toponymes étaient feu l’aîné Louis Sunchild, de la réserve Sunchild, et feu Jackson Roan (transcription, volume 103, page 14555). M. Cutknife s’est aussi fondé sur un ouvrage intitulé The Name Places of Alberta (transcription, volume 103, page 14557). La majorité des toponymes qui apparaissent sur les cartes de M. Cutknife viennent d’éléments syllabiques cris écrits par l’aîné Sunchild (transcription, volume 103, page 14558). M. Cutknife a dit qu’il avait également eu des discussions sur ces noms cris avec d’autres membres de la nation de Samson, certains aujourd’hui décédés. Il a désigné en particulier son oncle Dolphus Buffalo et sa tante Alice Northwest. D’autres sources sont des membres d’autres Premières nations qu’il a visitées, les vidéocassettes d’aînés faites au MCC et les conversations engagées durant ou après les séances d’enregistrement, ainsi que le discours prononcé par un aîné devant des étudiants du MCC (transcription, volume 103, pages 14559‑14560; volume 105, pages 14712‑14713; volume 107, pages 14985‑14990 et 15003‑15004).

 

 

[433]       M. Cutknife a dit que l’objet des cartes n’était pas nécessairement de délimiter le territoire cri, mais plutôt d’indiquer des toponymes cris (transcription, volume 103, pages 14563‑14564). Or il a témoigné que la région, sur la carte portant la cote S‑139, faisait partie de ce que la nation de Samson considère comme son territoire (transcription, volume 103, page 14556). Cependant, M. Cutknife a aussi témoigné qu’il lui était impossible de dire que les Cris utilisaient cette région à l’exclusion de toutes les autres. Il a dit que les Cris partageaient ce territoire avec d’autres depuis la Création, en temps de paix comme en temps de conflit (transcription, volume 108, pages 15188‑15189). M. Cutknife a déclaré avoir entendu dire que les Pieds‑Noirs vivaient autrefois là où sont les Cris aujourd’hui. Il a aussi reconnu que certains endroits ne portent tout simplement pas de noms cris et que les noms signifient souvent la même chose dans les langues d’autres Premières nations et dans celle des Cris (transcription, volume 108, pages 15174 et 15188‑15189). Il a d’ailleurs indiqué que Ponoka, qui se trouve juste au sud de la réserve de la nation crie de Samson, est un nom pied‑noir qui signifie « wapiti » (transcription, volume 107, page 15016).

 

 


[434]       S’agissant des considérations temporelles, M. Cutknife a dit que les noms cris de la carte S‑139 étaient antérieurs à l’arrivée des Européens (transcription, volume 106, page 14850). Cependant, dans un témoignage ultérieur, M. Cutknife a dit qu’« un grand nombre » des noms étaient antérieurs à l’arrivée des Européens; d’autres noms étaient évidemment d’une époque postérieure, par exemple ceux des emplacements des postes de traite (transcription, volume 107, page 15036).

 

 

[435]       M. Cutknife a témoigné que, en ce qui concernait l’occupation crie du lac Pigeon, il avait entendu des aînés employer les mots cris kayas, qui signifie « il y a longtemps », et metino kayas, qui signifie « il y a très très longtemps ». La première expression pourrait signifier « il y a 100 ans », tandis que la seconde pourrait vouloir dire « il y a plusieurs siècles » (transcription, volume 108, pages 15131‑15134). Plus tard dans son témoignage, après la pause du matin, M. Cutknife a dit que des aînés employaient le mot cri kiyahte pour dire depuis combien de temps les ancêtres de Samson occupaient la région représentée sur la carte S‑138. Kiyahte est un autre mot pour l’expression « il y a longtemps » et peut aussi être traduit par « il en a toujours été ainsi ». Selon M. Cutknife, cela voulait dire bien avant l’arrivée des Européens. Il a indiqué que ces mots cris ont été employés par les aînés pour la majorité des régions indiquées sur la carte S‑139 (transcription, volume 108, pages 15160‑15162).

 

 


[436]       D’une manière un peu confuse, M. Cutknife a témoigné, en contre‑interrogatoire, qu’il n’existait pas un grand nombre de récits, à propos du lac Pigeon, pour lesquels les aînés diraient « il y a longtemps » ou « il y a très longtemps ». Les aînés diraient plutôt simplement que la région a été occupée « durant très longtemps ». Il a dit que les aînés n’employaient pas de mots indiquant que la région avait toujours été utilisée par leurs ancêtres (transcription, volume 108, page 15173). Il a aussi admis qu’il avait débattu la question de la terminologie temporelle avec l’avocat de Samson au cours de la pause du matin (transcription, volume 108, pages 15170‑15171).

 

 

[437]       Les aînées de Samson, Pearl Crier et Monica Soosay, se sont également exprimées sur la vie avant le Traité n° 6, et sur le territoire que leurs ancêtres occupaient.

 

 

[438]       L’aînée Crier a témoigné que ses sources d’information étaient son beau‑père Johnny Crier, et Maria Saddleback. La source de M. Crier, quant à elle, était son père Macoskis, qui vivait au temps de Kanatakasu. Les sources de Mme Saddleback étaient des aînés anonymes (transcription, volume 86, pages 12182‑12185).

 

 

[439]       L’aînée Crier a témoigné que le mode de vie antérieur au Traité n° 6 consistait principalement à chasser et à cueillir des baies. Elle a dit que le lac Buffalo, les rivières Saskatchewan Nord et Sud et la rivière Red Deer étaient les régions où se déroulaient la chasse et la cueillette des baies (transcription, volume 86, pages 12185‑12186).

 

 

[440]       L’aînée Soosay a rapporté à la Cour l’information qu’elle avait reçue de sa grand‑mère Mary Simon et de son beau‑père Sam Saddleback. La grand‑mère de l’aînée Soosay lui avait dit que les Cris cueillaient des baies et chassaient le gibier au lac Buffalo, posaient des pièges et chassaient au lac Pine et visitaient également le lac Pigeon. Sa grand‑mère lui avait dit qu’ils se déplaçaient aussi loin vers l’est que la région de Eagle Hills et Red Pheasant, et aussi loin vers l’ouest que les montagnes. L’aînée Soosay ne savait pas jusqu’où vers le nord les Cris se déplaçaient, mais elle a dit qu’ils se rendaient à un endroit où croissaient certains arbres dont les Cris utilisaient la sève pour faire du sucre. L’aînée Soosay a témoigné que sa grand‑mère lui avait dit que les Cris se rendaient au sud de la rivière Saskatchewan; elle a aussi mentionné une « grosse rivière », appelée en cri Mississippi ou Ka‑misak‑sipi. La grand‑mère de l’aînée lui avait aussi parlé de déplacements vers le sud et de rencontres avec Crow, Gros Ventre et des gens qui vivaient dans des gîtes en terre, les Mandans. La grand‑mère de l’aînée Soosay lui avait dit que, au temps de son père et de son grand‑père, les Cris allaient jusqu’au bord de l’océan, dont le nom en cri est kihcikamiy. Sa grand‑mère lui avait aussi parlé de la rivière Battle, de la rivière Red Deer, de la rivière Lying Man, de la rivière Milk, de la rivière Elbow et de la rivière Ghost (transcription, volume 88, pages 12337‑12343).

 

 

[441]       L’aînée Soosay ne savait pas quand sa grand‑mère était née, mais elle a dit que Mary Simon avait 12 ans à l’époque de la Rébellion de 1885 et qu’elle était décédée en 1954 (transcription, volume 88, page 12358).

 


 

[442]       Sam Saddleback, le beau‑père de l’aînée Soosay, lui avait raconté que les Cris utilisaient un saut de bison. L’aînée Soosay a dit que le saut de bison se trouve près du lac Buffalo, au sud d’Alix et près de Bashaw. Elle a dit aussi que les Pieds‑Noirs avaient sans doute utilisé eux aussi le saut de bison (transcription, volume 88, pages 12327‑12328, 12360).

 

ii.  Le commerce

 

[443]       La plupart des témoignages concernant les activités commerciales et les usages commerciaux des Cris ont été produits par les témoins experts. Aucune tradition orale n’a été présentée à la Cour sur cet aspect. Le volume de M. Buffalo sur les références historiques à Maskepetoon (S‑174) renferme toutefois deux références à Maskepetoon et au commerce.

 

 

[444]       La première référence se trouve dans l’onglet 1, un extrait du Dictionnaire biographique du Canada, volume IX (1861‑1870). L’extrait donne un bref aperçu biographique de Maskepetoon. Maskepetoon était aussi appelé Bras cassé ou Bras tordu, et la date de naissance qu’on lui attribue est « probablement en 1807 dans la région de la rivière Saskatchewan », et son décès aurait eu lieu en 1869 dans « un camp de Pieds‑Noirs du centre de l’Alberta ». La référence au commerce se trouve dans le troisième paragraphe de l’extrait, où l’on peut lire ce qui suit :


Vers la fin de 1831, au cours d’un voyage de traite au fort Union, sur la rivière Missouri, Maskepetoon fut invité à se joindre aux chefs des Assiniboines, des Saulteaux et des Sioux pour aller à Washington, D.C., y rencontrer le président, Andrew Jackson, qui souhaitait établir des relations harmonieuses avec les tribus de l’Ouest et voulait étalement les impressionner par la puissance de son gouvernement.

 

(S‑174, onglet 1, page 537)

 

 

[445]       L’autre référence à Maskepetoon et au commerce se trouve dans l’onglet 4, qui renferme un extrait de l’ouvrage intitulé Indian Life on the Upper Missouri, de John Ewers. Il y est question d’un homme appelé « Yeux des deux côtés », que les négociants connaissaient plutôt sous le nom de Bras cassé (S‑174, onglet 4, page 79).

 

iii.  Les événements postérieurs au Traité n° 6

 

[446]       Samson a produit des témoignages sur les événements et la vie après le traité, par la bouche de témoins ordinaires, Barb Louis et Arrol Crier, ainsi que par celle des aînés Solomon Stone et Monica Soosay.

 

 

[447]       Mme Louis a rapporté à la Cour une tradition orale qu’elle avait entendue à maintes reprises de la bouche de son père et de son grand‑père paternel. Quand l’agent des Indiens avait fait son apparition, les gens de Samson avaient faim, et il avait donc tué des vaches pour qu’ils les mangent. Certains des gens de Samson avaient été malades et d’autres étaient morts parce qu’ils n’étaient pas accoutumés à ce genre de nourriture (transcription, volume 66, pages 9588‑9591 et 9717‑9719).


 

 

[448]       Mme Louis a raconté à la Cour que son grand‑père lui avait parlé à plusieurs reprises de l’obligation pour lui d’obtenir un permis pour quitter la réserve. Elle a témoigné que son père et son grand‑père parlaient de l’obligation pour eux d’obtenir des permis pour vendre des vaches ou des grains (transcription, volume 66, pages 9717‑9720).

 

 

[449]       M. Crier a dit à la Cour que les gens devaient avoir l’autorisation de l’agent pour quitter la réserve ou vendre des choses, par exemple leur foin. Il a mentionné que les gens souffraient de la faim parce qu’ils avaient perdu leur mode de vie traditionnel. M. Crier a également dit à la Cour que les cérémonies religieuses cries étaient interdites et que l’on raconte qu’un officier de la Police à cheval du Nord‑Ouest avait abattu une cabane consacrée à la cérémonie de la danse du Soleil, en disant à la population que cette pratique était incongrue. M. Crier a dit que son père lui avait raconté qu’ils ne pouvaient pas parler le cri au pensionnat et qu’ils étaient punis lorsqu’ils le faisaient (transcription, volume 138, pages 18961‑18962).

 

 


[450]       L’aîné Solomon Stone, de la Première nation Mosquito en Saskatchewan, a témoigné durant les séances de la Cour tenues dans la réserve de la nation crie de Samson, en juin 2000 (C‑1092, onglet 12). Il a été présenté par le chef Ben Weeni, de la réserve Sweet Grass. Le chef Weeni a témoigné qu’il considérait l’aîné Stone, lequel est Assiniboine, comme un aîné traditionnel (C‑1092, onglet 11, pages 2517‑2520).

 

 

[451]       L’aîné Stone a témoigné que sa grand‑mère avait commencé de lui faire des récits lorsqu’il avait entre 8 et 10 ans et qu’elle avait continué de le faire jusqu’à ses 18 ans (C‑1092, onglet 12, pages 2606‑2607).

 

 

[452]       L’aîné Stone a témoigné que sa grand‑mère lui avait raconté une histoire portant sur des événements postérieurs au traité. Elle avait 13 ans à l’époque des événements relatés dans l’histoire (C‑1092, onglet 12, page 2607). Son oncle était un homme appelé Kahpinawayt (« Perd ses cheveux »). Il avait une fille malade, mais l’agent responsable des vivres lui avait refusé une quelconque nourriture. Sa fille était décédée durant la nuit. Plus tard, du tabac avait été apporté de Batoche pour que les gens se révoltent et fassent la guerre aux Blancs. Le chef avait rassemblé les hommes afin de décider quoi faire. Kahpinawayt avait été autorisé à régler la question de l’agent responsable des vivres.

 

 


[453]       Kahpinawayt avait pris un fusil chargé et s’était enveloppé d’une couverture de laine. Il s’était rendu à l’entrepôt des vivres, à l’aube, et avait abattu l’agent alors qu’il revenait de la grange avec deux seaux de lait frais. L’agent avait été traîné jusqu’au lac, puis laissé à ses cochons pour être dévoré. Les hommes avaient saccagé l’entrepôt de vivres.

 

 

[454]       Par la suite, ils avaient déplacé leur campement vers la rivière Battle. Ils avaient creusé des tranchées et s’étaient battus avec les Blancs. À l’issue du combat, ils étaient retournés chez eux. Kahpinawayt et un autre homme avaient été arrêtés et pendus en public. La police avait confisqué tous les fusils des Indiens, de telle sorte qu’ils continuèrent de chasser avec des arcs et des flèches. Au printemps, ils avaient reçu des vivres, mais avaient jeté le lard (C‑1092, onglet 12, pages 2616‑2628).

 

 

[455]       L’aînée Monica Soosay a également fait un récit de la Rébellion, qui lui avait été fait par sa grand‑mère, Mary Simon. La grand‑mère de l’aînée Soosay et les siens avaient fui au sud de la frontière, après que l’agent des Indiens fut tué parce qu’il les affamait. Un homme de Stoney avait tiré sur l’agent, un certain Thomas Quinn. Gros Ours, qui était le grand‑père de Mary Simon, avait dit à ses gens de fuir vers le Sud. Ils s’étaient rendus au Montana et, quand finalement ils revinrent au Canada, ils avaient appelé leur réserve Montana (transcription, volume 88, pages 12350‑12357).

 


G.  Conclusions

i.  Traité n° 6 : Traditions orales et archives documentaires

 

[456]       L’arrêt Delgamuukw de la Cour suprême du Canada ne dit pas qu’il faut admettre toute preuve prenant la forme d’une tradition orale ou de récits oraux; il n’établit pas non plus le poids qui doit être accordé à telle preuve par un juge de première instance. L’arrêt parle simplement du « poids qui convient ». Cela n’équivaut pas à un poids égal, interprétation que semblent préconiser les demandeurs. Dans l’arrêt Mitchell, précité, la juge en chef McLachlin a jugé que l’expression « poids qui convient » signifiait que la preuve par tradition orale est fondée à un « traitement égal et approprié ». Elle ne doit être ni sous‑évaluée, ni artificiellement contrainte d’avoir un poids supérieur à celui qu’elle peut raisonnablement justifier.

 

 

[457]       La juge en chef disait aussi, au paragraphe 33 de l’arrêt Mitchell, qu’il est nécessaire de s’enquérir de la connaissance qu’a un témoin de l’histoire du peuple en cause, et de sa capacité de témoigner de cette histoire. Cette enquête est requise pour la question de la recevabilité de la preuve et, si la preuve est jugée recevable, pour la question du poids à lui accorder.

 

 


[458]       En l’espèce, des traditions orales ont été présentées au procès à propos des négociations du Traité n° 6 conduites au Fort Carlton et au Fort Pitt. La présentation de cette preuve avait pour objet d’exposer le point de vue autochtone sur ces événements historiques. Pour l’appréciation de cette preuve, je préfère l’approche préconisée par M. von Gernet à celle de Mme Wheeler. En réponse à une question de la Cour sur la manière dont la Cour devrait évaluer une tradition orale réduite à une transcription, Mme Wheeler a répondu que la Cour devrait obtenir l’assistance d’« experts locaux » pour une bonne lecture contextuelle (transcription, volume 157, pages 21901‑21902). L’approche de Mme Wheeler convient sans doute aux spécialistes, mais elle n’est tout simplement pas pratique ni réaliste pour un juge de première instance. La Cour ne saurait entreprendre par elle‑même une mission d’enquête sur la preuve produite au procès. La Cour doit s’en rapporter aux parties pour la preuve, ainsi qu’à l’assistance d’experts. Et, bien que Mme Wheeler ait donné des indications intéressantes sur la nature des traditions orales et des récits oraux, elle n’a pas présenté à la Cour une analyse des traditions orales exposées durant le procès.

 

 

[459]       Dans son rapport d’expert, M. von Gernet résumait ainsi son approche :

 

[traduction]


Selon moi, la meilleure approche consiste à reconnaître la légitimité de l’image de soi puis à admettre qu’il faut respecter les croyances des gens au sujet de leur passé et accorder à ces croyances une vraie valeur historique. En même temps, cette approche suppose qu’il existe un vrai passé qui ne dépende pas de la croyance actuelle donnée à ce passé, et que des renseignements précieux sur ce passé peuvent être obtenus de diverses sources, y compris les récits oraux et les traditions orales. Elle reconnaît que les chercheurs non autochtones comme les chercheurs autochtones peuvent être partiaux, qu’on peut inventer diverses versions du passé ou les utiliser à des fins politiques, et qu’un récit totalement exempt d’impressions ou de préjugés est un idéal impossible. Toutefois, elle postule que le passé impose ses propres limites à la façon dont les interprètes modernes peuvent le manipuler à diverses fins. Bien qu’on ne puisse ressusciter le passé dans son intégralité, ceci doit demeurer l’objectif. Sans qu’on puisse lui donner le statut privilégié d’une « vérité » universelle, cette reconstitution aura l’avantage d’être rigoureuse. L’approche en cause rejette l’idée à la mode qui veut que, comme les documents oraux autochtones ne sont pas d’origine occidentale, on ne peut les évaluer avec les méthodes occidentales et donc qu’ils échappent au genre d’examen auquel on soumet les autres formes de preuve. En définitive, cette perspective illustre la croyance de l’anthropologue fort respecté Bruce Trigger : on ne rachètera pas les erreurs du passé en abandonnant toute norme scientifique dans l’étude historique des relations entre les Autochtones et les non‑Autochtones.

 

Ceux qui récupèrent les récits oraux et les traditions orales autochtones pour les présenter comme preuve d’événements passés doivent franchir au moins un obstacle de taille – comment convaincre un sceptique que des documents créés dans le présent contiennent des renseignements exacts au sujet du passé.

 

(C‑320, page 6)

 

Il est clair que pour beaucoup d’Autochtones, la préservation de l’histoire n’implique pas seulement la transmission orale de l’information d’une personne à une autre, mais aussi un processus qui consiste à fixer les récits oraux par écrit afin de pouvoir les utiliser pour promouvoir d’autres visions du passé dans le discours politique contemporain et dans les prétoires de la nation. Une fois que les traditions sont transformées en documents écrits, il n’existe aucune raison impérieuse pour laquelle elles ne devraient pas être soumises au genre d’examen qui est utilisé couramment dans l’étude de tout autre document écrit.

 

(C‑320, page 21)

 

 

[460]       Je relève que l’approche de M. von Gernet concernant la preuve sous forme de traditions orales et de récits oraux a été entérinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Benoit c. Canada, [2003] A.C.F. n° 923, aux paragraphes 111 à 113.

 

 


[461]       Les traditions orales présentées durant le procès tranchent sur celle qui fut présentée dans l’affaire Delgamuukw. Dans cette affaire, les récits oraux des peuples Gitskan et Wet’suwet’en, récits appelés adaawk et kungax respectivement, ont été considérés comme [traduction] « la litanie, la narration ou l’histoire “officielle” et sacrée, selon le cas, des règles de droit, des traditions et des faits historiques les plus importants d’une maison, ainsi que de son territoire traditionnel ». Des gens nommés à cette fin étaient autorisés à répéter ces récits lors de certains événements communautaires, au cours desquels d’autres pouvaient élever des objections devant les erreurs commises dans les narrations, garantissant ainsi une certaine authenticité.

 

 

[462]       Le récit oral présenté dans l’affaire Delgamuukw semble être beaucoup plus formel et strict que celui qui l’a été dans la présente affaire. Un protocole a été employé dans la présente instance, qui comprenait l’offrande de tabac aux aînés. J’admets que l’emploi d’un protocole montre que l’aîné relatait quelque chose de sérieux et de sacré; toutefois, je partage l’avis de M. von Gernet pour qui le protocole n’est pas comme tel le gage d’une validation.

 

 

[463]       Passant aux traditions orales, j’aborderai d’abord la tradition orale de l’aîné Bill concernant les négociations du Traité n° 6 au Fort Carlton. L’aîné Bill a témoigné que, quand il est devenu chef, la tradition orale du Traité n° 6 lui fut relatée par Natokowapiskapo, ou Harry Harris. Natokowapiskapo avait entendu le récit de la bouche de Pahpiween, lequel, quant à lui, l’avait entendu de la bouche du témoin direct du traité, Sisiwayham, le premier chef de Big River. L’aîné Bill désigne aussi Kinomatayew, un autre homme qui accompagnait Sisiwayham à l’époque du traité (C‑1092, onglet 8, pages 2435‑2436; 2493‑2496; et 2510‑2512).

 

 

[464]       M. von Gernet a examiné cette chaîne de transmission (C‑320, pages 55‑58). Une liste de personnes ayant droit aux rentes prévues par le traité, liste remontant à 1878, confirme qu’il y avait un chef appelé « Say‑se‑wa‑him »; les listes ultérieures donnent à entendre qu’il s’agissait là d’Indiens du lac Pelican, payés à Big River. Say‑se‑wa‑him n’avait bénéficié d’aucune rente en 1879, ce qui montre qu’il était décédé peu après septembre 1878. Le chef de tribu « Ken‑e‑mo‑ta‑yo » l’a remplacé comme chef vers 1880. Vers 1918, « Pah‑pee‑wee‑in » était inscrit sur la liste comme chef. Selon le fichier des membres du Registre des Indiens du MAINC pour la bande de Big River, un certain « Pahweein » serait né en 1874 et décédé en 1961.

 

 

[465]       Pahpiween avait quatre ou cinq ans au décès de Sisiwayham. Il est impossible qu’il ait été, à un si jeune âge, le dépositaire du récit oral de Sisiwayham. Par conséquent, la chaîne de transmission ne saurait être celle dont a témoigné l’aîné Bill.

 

 

[466]       À propos toujours de la provenance, la reproduction du texte du Traité n° 6, y compris ses diverses adhésions, dans un appendice du texte de Morris, montre qu’un certain « Sa‑se‑wa‑hum » et un certain « Kene‑mo‑tay » ont signé une adhésion des Cris des Bois à Carlton le 3 septembre 1878 (S‑4, pages 364‑365). Aucun chef ou conseiller portant les mêmes noms ou des noms similaires n’a signé le Traité n° 6 au Fort Carlton le 23 août 1876 (S‑4, pages 356‑358).

 

 

[467]       Le témoin direct initial de la tradition orale de l’aîné Bill n’était donc sans doute pas présent lors des premières négociations du traité. Toutefois, même s’il était présent tout en décidant de ne signer le traité que deux ans plus tard, ou, subsidiairement, si le contexte du récit est l’adhésion de 1878, alors la chaîne de transmission devient tout de suite suspecte; il n’est pas vraisemblable qu’un enfant de quatre ou cinq ans ait pu être le dépositaire suivant du récit, contrairement au témoignage de l’aîné Bill. Je ne puis donc accorder aucun poids à ce témoignage, parce que sa fiabilité est trop incertaine.

 

 

[468]       Si je fais erreur en ne tenant pas compte de la tradition orale de l’aîné Bill au motif que la chaîne de transmission est suspecte, alors je suis d’avis que son contenu est en partie invraisemblable. Selon la tradition orale, les Cris avaient rejeté la cession territoriale dès le début des pourparlers, et le représentant de la Reine avait pris acte de cette position, acceptant d’emprunter la terre jusqu’à une certaine profondeur. Ce revirement contraste vivement avec le mandat et l’objectif des commissaires du traité, qui devaient obtenir une cession territoriale. La tradition orale de l’aîné Bill renferme aussi une promesse de durée illimitée selon laquelle les Cris pourraient unilatéralement accroître la taille de leurs réserves si le besoin s’en faisait un jour sentir.

 

 


[469]       Les archives documentaires ne font pas état de promesses portant sur un droit d’accroître la taille des réserves d’une manière unilatérale ou illimitée. Je reconnais que les réserves, leur taille et le processus d’arpentage furent débattus durant les négociations. Un discours prononcé par Poundmaker, et reproduit dans le récit d’Erasmus, atteste une compréhension, du moins de la part de Poundmaker, de la question des réserves :

 

[traduction] Poundmaker, qui n’était pas chef à l’époque, mais simplement un brave, parla franchement, disant : « Le gouverneur mentionne l’étendue de territoire qui nous sera donnée. Il dit qu’il nous donnera 640 acres, un mille carré pour chaque famille ». Et d’une voix forte, il prononça ces mots : « C’est notre terre! Ce n’est pas une pièce de pemmican à découper pour qu’elle nous soit rendue en petits morceaux. Elle est à nous et nous prendrons ce que nous voudrons. »

 

 

(C‑7, page 244)

 

 

[470]       La tradition orale de l’aîné Bill renferme aussi la promesse que les Cris se verront accorder des hommes pour qu’ils s’occupent de leur argent, de leur nourriture, de leurs semences et de leur bétail. D’après moi, ces promesses, tout comme la promesse que les Cris pourraient unilatéralement accroître la taille de leurs réserves, ne sont pas vraisemblables, et elles ne s’accordent pas non plus avec le texte du Traité n° 6.

 

 


[471]       Je passe maintenant à la tradition orale des négociations du Traité n° 6 au Fort Pitt, présentée par l’aînée Quinney. Selon le témoignage de l’aînée Quinney, la tradition orale lui fut transmise par son grand‑père, Papakachas, ou Simon Gadwa. Elle a témoigné que son grand‑père lui avait dit qu’il était âgé d’environ 17 ans à l’époque du traité, et qu’il y avait assisté avec son père à lui. Selon la recherche de M. von Gernet, une liste de 1947 énumérant les personnes ayant droit aux rentes prévues par le traité indique que Simon Gadwa était âgé de 82 ans cette année‑là; une autre liste semblable de 1948 indique qu’il était âgé de 83 ans, mais également qu’il était décédé en 1947. M. von Gernet a aussi trouvé un acte de décès attestant que Simon Gadwa est décédé en 1947, à l’âge de 82 ans (C‑320, page 52; documents complémentaires, volume B, onglet 32).

 

 

[472]       Le grand‑père de l’aînée Quinney, source de sa tradition orale, ne pouvait donc pas avoir 17 ans à l’époque du traité, mais plutôt 11 ans.

 

 

[473]       Selon le rapport de M. von Gernet, un entretien a eu lieu avec l’aînée Quinney le 18 février 1974 chez Charlie Blackman, à Legoff, en Alberta, dans le cadre du Programme d’entretiens avec les aînés, au titre de la Recherche sur les droits ancestraux ou issus de traités (C‑320, pages 51‑52; documents complémentaires, volume C, onglet 58). Au cours de cet entretien de 1974, l’aînée Quinney disait qu’elle tenait son récit de son grand‑père, Simon Gadwa. Il lui avait dit que l’« homme du gouvernement » s’était présenté aux négociations du traité pour « acheter seulement trois choses » : la terre jusqu’à une profondeur d’un pied; l’herbe pour le bétail; et les épinettes pour la construction de maisons. En échange, les Cris allaient recevoir une école dans la réserve, un agent des Indiens et un buffet à médicaments. De plus, si de l’or venait à être découvert sur leurs terres, alors ils vivraient comme des coqs en pâte. Les promesses avaient été couchées sur le papier.

 

 

[474]       Comme on l’a dit plus haut, l’aînée Quinney a témoigné au procès et a fait le récit du Traité n° 6 qu’elle tenait de son grand‑père. Toutefois, selon cette version, le commissaire du traité dit, au tout début des négociations, qu’il n’est pas venu acheter la terre, mais plutôt l’emprunter, et uniquement jusqu’à une certaine profondeur. Il voulait aussi emprunter des épinettes pour construire des maisons, et du foin pour nourrir son bétail. En échange, les Cris recevraient une école, des médicaments gratuits ainsi qu’un entrepôt de vivres dans leur réserve.

 

 

[475]       Les versions de 1974 et 2000 font état des mêmes trois compensations. La profondeur de la terre demandée est la même, mais le mot décrivant la nature de l’opération n’est plus « acheter » mais « emprunter ». C’est là une différence de taille. D’ailleurs, durant son témoignage devant la Cour, l’aînée Quinney raconte que le représentant de la Reine avait dit expressément qu’il n’était pas venu acheter la terre, mais plutôt l’emprunter, ce qui atteste une compréhension de la différence entre ces deux notions.

 

 

[476]       Durant son témoignage, l’aînée Quinney a nié s’être jamais trouvée dans la maison de Charlie Blackman durant les années 1970. Elle a nié avoir jamais entendu un homme du nom de Fred Horse parler du Traité n° 6. L’aînée Quinney ne se souvenait pas d’avoir été mêlée à la Recherche sur les droits ancestraux ou issus de traités, mais elle se rappelait avoir été interrogée par deux femmes, qui avaient consigné son récit relatif au traité (C‑1092, onglet 6, pages 2185‑2191 et 2204‑2205).


 

 

[477]       Dans les documents complémentaires annexés à son rapport d’expert, M. von Gernet a inclus un document se rapportant à l’entretien accordé par l’aînée Quinney le 18 février 1974 (C‑320, documents complémentaires, volume C, onglet 58). Selon le document, l’endroit de l’entretien était le domicile de Charlie Blackman, à Legoff, en Alberta. Dans la section intitulée « Points saillants », il est indiqué que l’aînée Quinney a tenu les propos suivants :

 

[traduction] Mon grand‑père nous parlait souvent de l’époque des traités. Et j’ai écouté ces récits avec suffisamment d’attention pour me souvenir de ce qu’il disait. Ce que Fred Horse vient de dire est tout à fait vrai. Je n’essaierai pas de répéter exactement ce que Fred Horse vous a dit.

 

 

[478]       Puis, dans le même document, l’aînée Quinney, reprenant le récit qu’elle tient de son grand‑père, emploie le mot « acheter » à propos de la terre, de la pâture et des épinettes.

 

 


[479]       Pour autant que l’aînée Quinney ait nié avoir jamais entendu Fred Horse parler du Traité n° 6, l’extrait susmentionné montre qu’elle l’a bien entendu en parler. Un document semblable où est consigné l’entretien de Fred Horse montre que cet entretien eut lieu le même jour que celui de l’aînée Quinney et qu’il s’est lui aussi déroulé chez Charlie Blackman. La section [traduction] « Points saillants » renferme son récit relatif au traité. Fait intéressant à noter, dans la version de M. Horse, le rituel du calumet s’était déroulé à la fin des négociations du traité, comme dans la tradition orale de l’aînée Quinney. M. Horse raconte aussi que la terre fut achetée, mais uniquement jusqu’à une certaine profondeur, ainsi que la pâture et le bois (C‑320, documents complémentaires, volume B, onglet 39).

 

 

[480]       M. von Gernet a aussi joint à son rapport un document se rapportant à un entretien du 17 janvier 1973 accordé par un homme du nom de Thomas Quinney, de Frog Lake, en Alberta (C‑320, documents complémentaires, volume C, onglet 60). Dans la section « Points saillants », le récit de M. Quinney concernant le Traité n° 6 vient de la même source, Simon Gadwa (Simon Jodwa, dans le document). Selon cette version, le commissaire dit qu’il est venu acheter la terre, mais jusqu’à une profondeur de six pouces. Les deux autres éléments demandés sont du bois pour les maisons et du foin pour le bétail.

 

 

[481]       Il est heureux que la version de 1974 de l’aînée Quinney puisse servir à des fins de comparaison. Les trois compensations demeurent essentiellement les mêmes, mais la différence frappante est le remplacement du verbe « acheter » par le verbe « emprunter ». Ce changement ne saurait être passé sous silence ni simplement balayé, étant donné qu’il est au coeur même des arrangements conclus entre les parties au Traité n° 6. Il m’est impossible d’accorder la moindre valeur à l’emploi qu’elle a fait du mot « emprunter » durant son témoignage devant la Cour.

 

 

[482]       Certains éléments de son récit s’accordent avec les archives documentaires – les négociations se sont déroulées sur une période de trois jours; les Cris se sont réunis pour discuter des promesses; et les promesses concernaient les écoles, le buffet à médicaments, les fournitures en munitions et en filets, et les droits de chasse et de pêche. Toutefois, les promesses qu’aurait faites Morris concernant les voyages à demi‑tarif, le droit de propriété sur la moitié de la police, et la remise aux Cris des taxes foncières payées par les Blancs, n’apparaissent ni dans le texte du Traité n° 6, ni dans aucune des dépositions des témoins directs, à savoir Morris, Jackes, Erasmus ou McDougall. Vu l’expérience qu’avait Morris des promesses extérieures et des révisions ultérieures des Traités nos 1 et 2 en 1875, et compte tenu de ses observations sur cette expérience (S‑4, page 128), il est improbable qu’il ait fait de telles promesses, et déraisonnable de présumer qu’il ait pu les faire. S’il les avait faites, il aurait très largement dépassé l’étendue de son mandat.

 

 

[483]       L’aîné Waskahat a rapporté à la Cour une tradition orale du Traité n° 6 à l’égard des négociations du Fort Pitt. M. von Gernet a aussi analysé plusieurs versions antérieures de récits faits par l’aîné Waskahat en 1980, 1983, 1985 et 1991 (C‑320, pages 44‑51).

 

 


[484]       Dans la version de 1980, l’aîné Waskahat dit que la source du récit est la suivante : [traduction] « C’est un petit garçon » (Kanapesowit), le fils de Papacachas, qui avait assisté aux négociations d’Edmonton alors qu’il était jeune garçon. Le représentant de la Reine dit qu’il est venu acheter la couche arable de la terre; tout ce que la terre renferme de précieux et qui se trouve sous cette couche arable appartiendra aux Indiens. Il voulait aussi acheter quatre espèces d’arbres. Les Indiens ne seraient pas tenus de payer des taxes foncières, et l’autonomie gouvernementale leur était promise. L’agent des Indiens construirait une maison dans la réserve, et cette maison serait remplie de nourriture qui serait distribuée gratuitement. L’agent devait également construire des écoles pour que les enfants puissent accéder au niveau de scolarité le plus élevé sans devoir quitter la réserve. Il était promis aux Indiens qu’ils pourraient continuer d’utiliser leurs propres procédés médicaux et d’observer leurs croyances religieuses.

 

 

[485]       Dans la version de 1983, l’aîné Waskahat dit que l’action se déroule à Edmonton. La source du récit n’est pas tout à fait claire, mais il y est fait mention d’un vieil homme du nom de Mostos. La terre n’est demandée que jusqu’à la profondeur de sa couche arable; toutefois, le mot employé est maintenant « emprunter ».

 

 

[486]       La version de 1985 emploie quant à elle le verbe « partager » pour décrire les arrangements fonciers. L’un des négociateurs cris dit d’ailleurs expressément qu’il ne peut pas donner sa terre au commissaire, mais uniquement la partager dans le cadre d’une association.

 

 


[487]       L’aîné Waskahat dit que la source de sa version de 1991 est Mostos, qui était âgé d’environ 18 ans à l’époque du traité. Le récit a pour cadre le Fort Pitt. Sweet Grass dit au représentant de la Reine qu’il est disposé à partager sa terre, mais qu’il ne peut pas la lui donner. Le représentant de la Reine apprend qu’il devra payer la terre pour toujours. Il accepte de partager la terre. Encore une fois, la terre ne sera partagée que jusqu’à la profondeur de sa couche arable.

 

 

[488]       Durant son témoignage devant la Cour en juin 2000, l’aîné Waskahat a dit que sa source était Mostos, ajoutant que Mostos tenait le récit de Seekaskootch. Selon cette tradition orale, un homme cri dit expressément au commissaire que la terre ne peut pas être achetée, mais uniquement empruntée.

 

 

[489]       Je relève que, durant son témoignage en juin 2000, l’aîné Waskahat reconnaissait qu’il avait entendu des récits autres que celui qu’il tenait de Mostos, mais qu’il ne pouvait pas se rappeler les noms des autres aînés qui avaient donné ces versions (C‑1092, onglet 4, pages 1931‑1932).

 

 


[490]       S’agissant de l’origine de la tradition orale de juin 2000 de l’aîné Waskahat, l’aîné Waskahat a témoigné qu’il tenait le récit de Mostos, lequel était allé au Fort Pitt. Mostos, qui était très jeune à l’époque, s’était assis très à l’écart des débats effectifs. Plusieurs années plus tard, Seekaskootch, le chef d’Onion Lake, lui avait fait le récit du traité et avait éclairci des choses que Mostos n’avaient pas entendues durant les pourparlers relatifs au traité (C‑1091, onglet 5, pages 18815‑18816; onglet 6, pages 18899‑18901). L’aîné Waskahat a témoigné que Mostos ne lui avait fait ce récit particulier qu’une seule fois, quand l’aîné Waskahat était âgé de 11 ans (C‑1091, onglet 6, page 18902‑18904).

 

 

[491]       D’emblée, il appert d’un examen des divers récits faits par l’aîné Waskahat que les mots se rapportant à l’opération foncière ont subi une transformation appréciable, puisqu’il ne s’agissait plus d’acheter et de vendre, mais plutôt de partager, d’emprunter et de prêter. La tradition est constante toutefois, puisque l’opération foncière ne concernait que la couche arable de la terre, les Cris conservant le sous‑sol.

 

 

[492]       L’aîné Waskahat a dit qu’il avait fait le récit de Kanapesowit en 1980 parce que c’était un récit instructif pour les jeunes gens (C‑1091, onglet 2, pages 18658‑18659; onglet 5, pages 18818‑18820). Or, d’après ce récit, la terre fut achetée par le représentant de la Reine. Si l’aîné voulait instruire, et peut‑être éduquer, les jeunes gens, il est curieux qu’il leur ait raconté une tradition orale donnant du déroulement de l’opération foncière une idée totalement différente de la tradition orale qu’il a rapportée à la Cour.

 

 


[493]       L’aîné Waskahat a témoigné que les traditions orales peuvent varier d’un narrateur à un autre. Il a dit que, dans de nombreux cas, la personne qui transmettait le récit ne le comprenait pas totalement (C‑1091, onglet 4, pages 18749‑18750). Il a dit aussi que c’est au narrateur qu’il appartient de décider si le récit devrait être transmis tel qu’il a été entendu, ou s’il devrait être modifié (C‑1091, onglet 5, page 18822). L’aîné Waskahat a dit que c’est la manière dont il voit l’auditoire qui détermine la manière dont il fera un récit; dans la plupart des cas, il ne fait jamais le récit dans son intégralité (C‑1091, onglet 5, pages 18822‑18823).

 

 

[494]       S’agissant de la tradition orale que l’aîné Waskahat a rapportée à la Cour, les Cris avaient délibéré entre eux avant le début des négociations relatives au traité. Cela s’accorde avec le compte rendu d’Erasmus examiné plus haut. Les archives documentaires produites au procès n’indiquaient nulle part que les commissaires du traité étaient arrivés au Fort Pitt par bateau à vapeur, contrairement à ce que donnait à entendre la tradition orale de l’aîné Waskahat. Toutefois, Morris et les autres commissaires du traité avaient utilisé un bateau à vapeur, le Colville de la CBH, en septembre 1875, pour traverser le lac Winnipeg en vue des négociations relatives au Traité n° 5. Il pourrait s’agir là d’un cas d’enrichissement mutuel, phénomène par lequel un détail provenant d’un autre récit ou d’une autre tradition, et portant sur un tout autre ensemble d’événements, finit par faire partie intégrante de la tradition orale. Cependant, ce qui importe le plus, en dehors des détails insignifiants, est le point de savoir si la tradition orale s’accorde avec d’autres éléments autonomes et si elle est vraisemblable dans le contexte historique général.

 

 


[495]       Selon le récit de l’aîné Waskahat, Morris s’était laissé dire au tout début des pourparlers que les Cris ne pouvaient pas lui donner leur terre. Morris aurait pris acte de cette position et n’aurait demandé que la couche arable. Je relève que cet aspect de la tradition orale de l’aîné Waskahat, tout en s’accordant avec les traditions orales des aînés Quinney et Bill, ne cadre absolument pas avec le texte du Traité n° 6, avec les comptes rendus de témoins directs, à savoir Morris, Jackes, Erasmus et McDougall, ni avec l’objectif du gouvernement lorsqu’il avait conclu les traités numérotés de l’Ouest.

 

 

[496]       Le deuxième jour des pourparlers, selon la tradition orale de l’aîné Waskahat, Morris avait demandé aux Cris de lui dire ce qu’ils voulaient; ils lui avaient répondu qu’ils voulaient des médicaments gratuits. Morris avait déjà accepté cela au Fort Carlton, où il avait consenti plusieurs concessions importantes en réponse à l’âpre position de négociation adoptée par les Cris. Le résultat avait été l’insertion de la clause du buffet à médicaments. Elle avait été portée à la connaissance des Cris au Fort Pitt, grâce à Erasmus, à McDougall, à l’explication des conditions du traité le 7 septembre, ainsi que grâce à des informateurs indiens et aux communications informelles. Il semble s’agir ici d’un cas de transfert d’attributs – c’est‑à‑dire qu’un événement qui s’est produit au Fort Carlton est devenu partie intégrante d’une tradition orale se rapportant aux négociations d’un traité au Fort Pitt.

 

 


[497]       De la même façon, l’instruction des enfants avait été débattue plus tôt au Fort Carlton, et une clause promettant la construction d’écoles dans les réserves était déjà insérée dans le Traité n° 6. Le compte rendu, par l’aîné Waskahat, de l’offre de Morris, c’est‑à‑dire l’ajout des niveaux scolaires restants et l’envoi des élèves en dehors des réserves pour un enseignement postscolaire, semble se rapporter davantage au présent qu’au passé. Quelle que soit la manière dont cette promesse ou clause a été par la suite interprétée, le débat à l’époque du traité avait une portée beaucoup plus étroite et s’était focalisé sur la construction d’écoles dans les réserves.

 

 

[498]       Par ailleurs, le récit de l’aîné Waskahat fait état d’une promesse selon laquelle un entrepôt de vivres rempli de nourriture serait conservé dans les réserves. Cela ne s’accorde tout simplement pas avec les comptes rendus de Morris ou de Jackes sur ce point. Selon ces comptes rendus, Morris avait dit plusieurs fois aux Indiens que le gouvernement ne les alimenterait pas tous les jours. Il avait accepté au Fort Carlton la clause relative à la famine, mais avait expliqué que c’était uniquement pour les périodes de peste ou de disette générale, en des circonstances extraordinaires. D’ailleurs, rappelons‑nous qu’Erasmus disait que le Blaireau avait admonesté le commissaire McKay parce qu’il avait déformé ses propos en présumant qu’il demandait d’être alimenté tous les jours, ce qui n’était pas le cas (C‑7, pages 251‑252). Selon Jackes, le troisième jour des pourparlers tenus au Fort Carlton, Mista‑wa‑sis et Ah‑tuk‑a‑kup avaient dit qu’ils ne voulaient pas être nourris chaque jour; ils voulaient une aide seulement quand ils commenceraient de labourer le sol, et en cas de famine ou de calamité (S‑4, page 213). Morris avait aussi indiqué cela dans son rapport (S‑4, page 185).

 

 

[499]       Eu égard aux propos de l’aîné Waskahat, pour qui une tradition orale peut être racontée différemment selon la manière dont le narrateur voit son auditoire, et compte tenu de l’évolution des mots employés pour l’opération foncière, le verbe « acheter » étant remplacé par les verbes « partager » et « emprunter », je ne puis accorder beaucoup de poids, et même aucun, au récit fait à la Cour par l’aîné Waskahat. Je suis très troublé d’apprendre qu’il module son récit, ou sa version, selon l’auditoire. Par ailleurs, il a témoigné qu’il ne fait jamais un récit dans son intégralité; or, il a aussi témoigné qu’il racontait la tradition orale telle qu’elle lui avait été racontée (C‑1091, onglet 6, page 18882).

 

 

[500]       Un autre compte rendu de la tradition orale a été présenté à la Cour grâce au témoignage du linguiste, le professeur Wolfart. Il a analysé un récit fait par Jim Kâ‑Nîpitêhtêw. On ne sait pas si le récit concerne le Fort Pitt ou le Fort Carlton ou s’il fusionne les comptes rendus des deux séances. On dispose de fort peu de renseignements sur l’origine du récit. Par conséquent, il m’est impossible d’accorder beaucoup de poids à ce compte rendu.

 

 

[501]       Le professeur Wolfart a témoigné durant une période d’environ 11 jours. Lorsque j’ai lu son témoignage la première fois, j’ai eu l’impression qu’il était, pour l’essentiel, sinon dans sa totalité, tout à fait hors de propos, mais naturellement il fallait que la Cour sache que le professeur Wolfart était linguiste depuis 35 ans.

 


 

[502]       Je n’ai pas compté le nombre de fois que le professeur Wolfart a dit cela à la Cour. Je suis sûr qu’il l’a dit au moins cinq fois. Pourquoi était‑il nécessaire au professeur Wolfart d’insister autant sur ce fait, je n’en sais rien.

 

 

[503]       De la même façon, je suis totalement perplexe devant environ 90 p. 100 de son témoignage. Je défie quiconque de lire le témoignage du professeur Wolfart et de retenir plus de 10 p. 100 de propos utiles dans ce qu’il a dit.

 

 

[504]       Un exemple (et il y en a beaucoup lorsqu’on lit le témoignage du professeur Wolfart) de la verbosité de ses réponses : quand, à la page 10479, une question relativement simple est posée au professeur Wolfart, il lui a fallu huit pages dactylographiées pour y répondre, de la page 10479 à la page 10487.

 

 

[505]       J’ai aussi du mal à accepter le témoignage du professeur Wolfart relatif à la traduction, en cri, de termes anglais du traité. À la page 10557, le professeur Wolfart dit, entre autres choses :

 

[traduction] J’ai manifestement empiété sur cet ensemble de termes très techniques en présumant que quelques‑uns ont sans doute pu se présenter, même dans l’interprétation déplorable qui, je le maintiens, a été employée à l’époque de la conclusion du Traité n° 6.


 

 

 

[506]       Il est intéressant de noter que, selon le professeur Wolfart, l’« interprétation », et j’ajouterais la traduction, était déplorable dans la mesure où elle s’applique à ce qui fut dit aux Indiens du Traité n° 6, et cela compte tenu de ce qui, d’après lui, est requis dans l’interprétation des mots du traité.

 

 

[507]       Il n’a évidemment pas la moindre idée de ce que Peter Erasmus a pu dire aux Indiens cris présents lors de la signature du traité. Il est évident que le professeur Wolfart ignore quels mots cris furent employés par Peter Erasmus pour expliquer aux Indiens cris que, en échange de nourriture, de médicaments, de têtes de bétail et de ressources, il leur faudrait abandonner certaines choses.

 

 

[508]       Quand le professeur Wolfart me dit que les Indiens ne pouvaient absolument pas comprendre qu’ils devaient abandonner certaines choses, c’est‑à‑dire céder leur terre, mais qu’ils pouvaient facilement comprendre qu’ils allaient recevoir de la nourriture, des médicaments, du bétail et des ressources, alors je me trouve devant un total mystère.

 

 


[509]       Passant aux pièces documentaires ou aux comptes rendus des témoins directs, je suis d’avis que ceux de Morris et Jackes représentent des chroniques fiables des négociations du Traité n° 6. Je reconnais qu’aucun des deux n’était une partie désintéressée ou impartiale; Morris et Jackes avaient d’ailleurs agi au nom du gouvernement canadien durant les délibérations relatives au traité. Toutefois, je n’ai devant moi aucun indice susceptible d’altérer ou de mettre en doute l’objectivité fondamentale de leurs comptes rendus respectifs. Jackes a écrit son compte rendu pour qu’il constitue un témoignage des délibérations. Morris a écrit à la fois un rapport officiel et un ouvrage, qui comprenait son rapport et rendait public pour la première fois le récit de Jackes. Vu le caractère officiel, et plus tard public, de ces comptes rendus, et vu l’examen auquel ils allaient en conséquence être soumis, je suis d’avis que cela ne peut qu’accroître leur fiabilité et donc le poids que la Cour peut leur accorder.

 

 

[510]       Contrairement aux traditions orales présentées dans la présente affaire, les comptes rendus de Morris et de Jackes ont été rédigés dans le passé, à l’époque des événements qu’ils rapportent. Leur caractère passé n’a donc pas à être démontré, et les récits sont à l’abri des distorsions d’aujourd’hui.

 

 


[511]       Le compte rendu d’Erasmus, Buffalo Days and Nights, est un récit oral, en ce sens que l’ouvrage renferme ses souvenirs d’événements passés auxquels il fut mêlé. Le compte rendu d’Erasmus a été consigné par le journaliste Henry Thompson, mais je ne partage nullement le malaise vague et mal défini de M. Bob Beal à propos des présumés desseins de Thompson. Erasmus a pu être enclin à l’autovalorisation, ainsi qu’à un certain degré d’arrogance et de fanfaronnade, mais néanmoins il donne de précieux détails et indications sur les négociations du traité, en particulier sur le conseil des Cris. Je suis d’avis que, compte tenu de son bagage, de son éducation et des circonstances du moment, Erasmus était plus qu’un traducteur capable et compétent. Contrairement au professeur Wolfart, je ne crois pas que le travail de traduction effectué par Erasmus ait été « déplorable ». S’il avait fallu respecter les normes élevées du professeur Wolfart, il aurait été presque impossible de conclure le moindre traité. Certaines parties du compte rendu d’Erasmus font sans doute appel au récit de Jackes et donc ne sont peut‑être pas totalement objectives, mais, selon moi, le compte rendu d’Erasmus constitue une chronique digne de foi des pourparlers relatifs au traité.

 

 

[512]       De la même façon, je suis d’avis que le compte rendu de McDougall, Opening the Great West, constitue une chronique digne de foi des pourparlers ayant eu lieu au Fort Pitt. McDougall était certainement un partisan et un défenseur de la conclusion du traité parce qu’il trouvait que cela était conforme aux intérêts des Cris. McDougall était marié à une femme à demi‑crie et parlait lui‑même le cri, s’étant installé dans l’Ouest en 1862 avec sa famille. Sans doute ne parlait‑il pas couramment le cri, mais il est établi qu’il connaissait bien la culture et le mode de vie des Cris et qu’il s’y était bien adapté.

 

 


[513]       Il est clair que le révérend McDougall comprenait ce qui était demandé aux Cris, c’est‑à‑dire la cession de leurs droits fonciers en échange de certaines promesses du gouvernement. Sa remarque selon laquelle il s’était référé à des notes qu’il avait consignées durant le discours de Morris à propos de ce qu’étaient les conditions du traité ne fait qu’accroître la crédibilité des explications qu’il avait données à son auditoire cri. Sa position favorable au traité ne diminue en rien son rôle ni sa capacité à expliquer au conseil des Cris les conséquences du traité. Au reste, les observations de McDougall à la fin de son ouvrage montrent qu’il comprenait ce que le traité signifiait sur le plan de la relation des parties à la terre :

[traduction] Les Indiens ont réservé certaines zones selon le pourcentage d’une section de bonne terre pour chaque groupe de cinq personnes. Ils devaient choisir ces réserves, et le gouvernement devait les faire arpenter et en préserver l’intégrité pour les Indiens, tant que l’herbe y pousserait et que les rivières y couleraient. Le mot cri Iskoman signifie « ce qui est retenu », et il équivaut au mot anglo‑saxon « réserve ». Une zone immense qui englobe aujourd’hui de très grandes portions des meilleures régions de la Saskatchewan et de l’Alberta est donc passée par traité aux mains du gouvernement canadien, et le droit territorial autochtone et de longue date concédé sur cette zone a été donné à notre gouvernement, avec le plein consentement des tribus qui s’y trouvaient – à l’exception des réserves susmentionnées.

 

 

(C‑8, page 60)

 

 


[514]       À mon avis, l’objet du Traité n° 6, en ce qui concerne le gouvernement canadien, était d’obtenir la cession du titre autochtone sur une vaste étendue de terre, afin de l’affecter à la colonisation et au développement. Le traité était aussi un instrument de paix et d’amitié, en ce sens qu’il forgeait une alliance entre la population autochtone de cette région et le gouvernement canadien. Du point de vue du gouvernement, la cession territoriale était donc absolument non négociable – contrairement à d’autres sections du traité, par exemple celles qui concernaient l’argent, les instruments aratoires et le bétail. Les quantités de telles ressources pouvaient être revues et accrues, tandis que la clause de cession territoriale n’était pas modifiable. À mon avis, les chefs cris en étaient conscients et ont accepté qu’elle figure dans le traité, ce qui explique l’absence de longs débats sur le sujet. Les pourparlers relatifs au traité portaient sur ce que les Cris allaient recevoir, non sur ce qu’ils cédaient. Il est établi que les Cris avaient connaissance de traités antérieurs conclus dans l’Est. Le chef Sweet Grass avait, par l’entremise de William Christie, envoyé une lettre au gouvernement où il demandait un traité conclu en 1871. Durant les négociations du Traité n° 6, les Cris avaient reçu les avis et conseils de gens tels qu’Erasmus et McDougall, qui comprenaient l’objet du Traité n° 6 et n’avaient aucune raison d’édulcorer, ou de représenter sous un faux jour, la clause de cession territoriale.

 

 

[515]       Durant les pourparlers relatifs au traité, Morris avait assuré les Cris qu’ils pourraient conserver leur mode de vie traditionnel. Il avait aussi pourtant atténué ces propos en y ajoutant l’avertissement explicite d’un changement avec l’arrivée imminente de colons. Morris avait déclaré on ne peut plus clairement que, même si les Cris pouvaient continuer de chasser et pêcher comme auparavant, cette possibilité ne concernerait que la terre qui n’était pas destinée à la colonisation. Toutefois, il avait aussi dit clairement que les réserves seraient mises de côté pour l’avantage des Cris et que nul ne pourrait leur enlever leurs habitations. Par ailleurs, s’ils souhaitaient vendre, en totalité ou en partie, leurs réserves, cela ne pourrait être fait que par la Reine, avec leur consentement; le produit serait également conservé par la Reine et « mis de côté pour fructifier ».

 

 

[516]       Pour leur part, les chefs cris étaient préoccupés par la sécurité économique de leur peuple. Les troupeaux de bisons, qui naguère recouvraient les Grandes Plaines, connaissaient un rapide déclin. Les chefs étaient conscients de ce fait, ainsi que d’autres crises, telles les épidémies, qui avaient causé de grandes tribulations. Ils étaient résolus à protéger leur peuple contre la famine et la maladie, et c’est ce qui explique pourquoi les pourparlers relatifs au traité s’étaient concentrés sur ce que les Cris allaient recevoir.

 

 

[517]       S’agissant de la profondeur de la terre qui était cédée, je suis d’avis que, malgré la constance des traditions orales sur ce point, en tout cas depuis la décennie 1970, il n’est tout simplement pas vraisemblable que cet aspect ait pu être considéré comme partie intégrante du traité. La clause de cession territoriale, dans le Traité n° 6, ne dit rien de cette prétendue restriction. D’ailleurs, je ne puis admettre que Morris ait proposé une telle chose ou l’ait ratifiée. Son expérience antérieure des traités et de leur objet milite contre une telle idée. Plus précisément, rappelons‑nous que, durant les négociations du Traité de l’Angle nord‑ouest [du Lac des Bois], un chef anonyme avait demandé à Morris ce qu’il en était des droits miniers. Morris avait répondu que les minéraux découverts dans les réserves seraient vendus avec le consentement des Indiens et pour leur bénéfice; toutefois, s’agissant des découvertes minières hors réserve, les Indiens seraient libres comme quiconque de vendre cette information.

 

 

[518]       Je crois donc impossible d’imaginer que Morris ait pu faire machine arrière en ce qui concerne le Traité n° 6 et soustraire les droits souterrains à la cession territoriale. Ce qui est plus probable, c’est l’idée que la couche arable soit apparue au cours des dernières décennies comme un genre d’ornement à l’intérieur de ces traditions orales. Le thème de la couche arable constitue sans doute une reconstruction contemporaine de ce que les générations actuelles souhaitaient qu’il fût arrivé ou pensaient qu’il aurait dû arriver, en 1876.

 

 

[519]       Les demandeurs s’appuient aussi sur un passage d’un texte de 1936 de l’historien George Stanley, intitulé The Birth of Western Canada: A History of the Riel Rebellions (S‑289), pour prétendre que la terre ne fut jamais cédée par les Cris. Selon M. Stanley, l’idée qui avait cours parmi les Autochtones était que l’« homme blanc » n’était venu que pour emprunter la terre, non pour l’acheter. Au soutien de son opinion, M. Stanley se référait à un passage d’un discours prononcé en 1884. Dans une note complémentaire en bas de page, M. Stanley écrivait :

[traduction] Ces mots faisaient évidemment partie d’un discours prononcé lors d’un conseil indien à Carlton en août 1884 (cf. supra page 290). Le texte du discours est écrit sur un papier grossier et ne donne aucune indication sur l’auteur. Ce pourrait bien être le travail d’un Métis puisqu’on le trouve parmi les papiers de Riel dans les documents confidentiels du ministère de la Justice se rapportant au procès de Louis Riel, A.N.C.

 

(S‑289, page 438, note 25)

 

 


[520]       Une copie du document original contenant le discours, avec une transcription annexe, fut ultérieurement produite au procès (S‑338). Au vu du document, il est impossible de savoir qui a consigné le discours, où et quand. Je relève que le document renferme une contradiction en ce qui a trait à la question de la cession territoriale. Selon l’orateur, Morris avait dit expressément qu’il était impossible d’acheter le pays; Morris aurait plutôt dit qu’ils étaient venus emprunter le pays et le conserver pour les Indiens. Plus loin cependant, l’orateur décrit le traité comme [traduction] « un accord en échange de nos terres, selon lequel nous obtiendrons ce que le gouvernement nous a promis et que nous avions demandé » (S‑338, page 2).

 

 

[521]       Puis le document continue ainsi :

 

[traduction] après qu’ils se sont rendus à Ottawa, ils ont envoyé une autre copie imprimée [du traité]. Nous avons constaté que la moitié des points positifs avaient été enlevés et que nombre des points négatifs y étaient demeurés. Voilà ce que l’Indien sait du traité.

 

(S‑338, transcription, page 2)

 

 

[522]       Cette affirmation rappelle les propos de Thomas Cardinal, témoin des demandeurs. Selon M. Cardinal, le texte original du Traité n° 6 était écrit sur une peau d’orignal et :

 

[traduction]

R. Ils ont rapporté cette peau à Ottawa à trois reprises, trois fois différentes, et ont modifié le texte des traités. Et chaque fois qu’ils sont revenus, ils ont dit : Oh, nous n’avons pas dit ceci, nous n’avons pas dit cela, nous n’avons pas promis ceci, vous savez.

 

(Transcription, volume 96, page 13513)


 

[523]       Je n’admets pas ce témoignage. Absolument rien ne permet d’affirmer que le texte du Traité n° 6 fut emporté à Ottawa, modifié ou remanié de quelque manière, au préjudice de l’intérêt des Cris, pour ensuite être renvoyé aux Cris. Cette idée vient peut‑être de ce que le texte original effectif du Traité n° 6 contient des modifications, des suppressions et des interlignages qui ont été apportés sur le terrain.

 

 

[524]       Revenons maintenant au discours de 1884. Ce discours désigne plusieurs autres personnes dont les propos sont également rapportés : les chefs John Smith et James Smith, et trois conseillers. Le groupe prétend parler aussi pour d’autres chefs en exprimant leur avis selon lequel la terre avait été simplement empruntée (S‑338, transcription, page 1).

 

 

[525]       Cependant, une lettre écrite par l’officier Joseph MacDermot, en date du 10 août 1884, donne une indication autre (C‑1106, onglet 8). La lettre de l’officier MacDermot fait le point sur un conseil des Indiens, à partir de renseignements qu’il avait reçus d’une source. D’après la lettre, 11 chefs et 14 « hommes principaux » s’étaient réunis durant plusieurs jours. Après la réunion, John Smith et James Smith s’étaient rencontrés, avec trois hommes principaux. L’officier MacDermot expose l’essentiel de leurs échanges. C’est là que naît l’idée selon laquelle Morris avait déclaré n’être venu que pour emprunter la terre.

 


 

[526]       À mon avis, le discours de 1884 a été fidèlement rapporté par l’officier MacDermot : une réunion entre les deux chefs et les trois conseillers. L’idée qui émane de ce discours, et selon laquelle la terre avait été empruntée, ne saurait être attribuée aux autres chefs du Traité n° 6 présents au conseil. Sur ce point, M. Stanley a accordé beaucoup trop d’importance au document renfermant le discours de 1884. Ce discours ne saurait justifier son affirmation selon laquelle [traduction] « l’idée qui avait cours parmi les Indiens était que l’homme blanc était venu “emprunter” leur terre, et non l’acheter » (S‑289, page 275).

 

 

[527]       M. Stanley évoquait aussi une lettre écrite à Louis Riel le 13 mars 1885 par Antoine Lose Brave (S‑289, page 276). Une copie de la lettre originale, avec transcription annexe, a elle aussi été produite au procès (S‑339). Le texte de la lettre est plutôt déroutant, et l’intention de l’auteur est donc parfois obscure. M. Brave écrivait notamment :

 

[traduction] Nous avons envoyé à chacun de vous tous nos réflexions qui tiendront lieu de point de départ; par notre possession de ce grand pays, un nouveau monde sera donné à nos colons blancs.

 

(S‑339, transcription, page 1)

 

 


[528]       Est‑ce à dire que l’on comprenait que la possession du pays avait été transférée, ou donnée, aux Blancs? Plus loin, la lettre semble indiquer que de nombreux chefs avaient répondu par la négative à l’auteur de la lettre qui leur demandait [traduction] « s’ils avaient vendu leur terre à l’homme blanc » (S‑339, transcription, page 1). En effet, selon la lettre, [traduction] « ils ont tous répondu non, et nous‑mêmes n’avons pas même entendu dire que nos parents disparus, ni nos ancêtres, avaient vendu notre terre à l’homme blanc » (S‑339, transcription, page 1).

 

 

[529]       À mon avis, M. Stanley s’est fourvoyé en attachant une telle importance à cette lettre. Je ne lui accorde quant à moi aucun poids dans la réponse à la question de la cession territoriale. La lettre nie l’existence même d’un quelconque marché se rapportant à la terre. C’est là cependant prendre le contre‑pied du texte du Traité n° 6, des comptes rendus de Morris, de Jackes, d’Erasmus et de McDougall, ainsi que des récits oraux cris présentés au procès. Les récits oraux nient que les Cris aient abandonné leur terre et que la terre fût empruntée uniquement jusqu’à la profondeur d’un soc de charrue, mais ils reconnaissent néanmoins qu’un arrangement fut conclu à propos de la terre durant les pourparlers relatifs au traité.

 

 

[530]       Revenant encore une fois à ce que M. Stanley décrivait comme le discours de 1884, je suis d’avis que ce document devrait plus justement être qualifié de compte rendu d’une conversation entre les chefs John Smith et James Smith et les trois conseillers désignés, avant leur rencontre avec Louis Riel.

 

 

[531]       Après ce conseil des Indiens d’août 1884, l’inspecteur Wadsworth avait visité le district d’Edmonton. Il avait présenté, par lettre datée du 11 septembre 1884, un rapport sur son inspection au commissaire des Indiens Dewdney (S‑182A). À cette époque, Wadsworth avait rencontré la bande de Samson. Son rapport n’indique nulle part que la bande de Samson avait refusé d’honorer ou avait mis en doute la cession territoriale.

 

 

[532]       Le commissaire adjoint des Indiens, Hayter Reed, fut dépêché auprès de ceux qui avaient assisté au conseil d’août 1884, afin d’entendre leurs doléances à propos du traité. On voulait par là réagir directement à un rapport de l’agent auxiliaire Andsell Macrae à propos d’une rencontre qu’il avait eue avec les Cris pour entendre leurs griefs concernant le respect (ou le non‑respect), par la Couronne, des promesses figurant dans le traité (S‑337). Le rapport de Macrae montre que les Cris savaient que le traité renfermait certaines promesses faites par la Couronne en échange de la terre (S‑337, page 3). Le rapport ultérieur de Hayter Reed, daté du 23 janvier 1885, avait jugé valides certaines des plaintes (C‑1106, onglet 10). Ce rapport n’indique nulle part que les Cris pensaient, ni même prétendaient, que la Couronne avait simplement emprunté la terre.

 

 


[533]       L’un de ceux qui étaient présents au conseil de 1884 était Gros Ours, selon les archives sur lesquelles s’appuyait M. Stanley (S‑338). Le rapport de Macrae mentionne que Gros Ours comptait parmi ceux qui lui avaient exposé d’importants griefs (S‑337). Rappelons‑nous que Gros Ours avait au départ refusé la conclusion d’un traité; il l’avait finalement signé, mais il est impossible de dire qu’il n’avait pas connaissance de la partie du Traité n° 6 portant sur la cession. La biographie de Gros Ours, par Hugh Dempsey, éloquemment intitulée Big Bear: The End of Freedom, renferme des propos attribués à Gros Ours, prononcés lors d’une rencontre avec l’agent des Indiens, Rae, en 1883 :

 

[traduction] Bien avant l’arrivée des visages pâles, ce vaste territoire était le terrain de chasse de mon peuple... Ce territoire était alors le terrain de chasse des Cris des Plaines et des Cris des Bois, mes ancêtres. Il fourmillait alors de bisons, et nous étions heureux. Ce territoire généreux, qui s’étendait des collines Cumberland jusqu’aux montagnes Rocheuses, et vers le nord jusqu’au Grand Lac Vert, la rivière des Castors et les rives du Lac la Biche, et vers le sud et l’ouest jusqu’au soleil couchant... est aujourd’hui la terre de l’homme blanc – la terre de l’étranger. Notre gros gibier n’est plus. Vous êtes maintenant propriétaires de nos millions d’acres – en vertu des dispositions du traité – aussi longtemps que l’herbe poussera dans les prairies ou que l’eau coulera dans nos rivières... Nous n’avons pas de nourriture. Nous ne vivons pas comme l’homme blanc, et nous ne sommes pas non plus comme les Indiens qui vivent de poisson et de gibier à plume. Certes, on nous a promis de grandes choses, mais elles semblent bien loin et il nous est impossible d’attendre.

 

(C‑220, page 115)

 

 


[534]       À d’autres occasions, des lettres furent écrites au nom d’Indiens visés par le traité, ou des procès‑verbaux furent établis, à propos de rencontres destinées à régler les griefs relatifs au traité, mais la cession territoriale n’y est nulle part désavouée ou contestée. Je ne me propose pas d’examiner dans le détail le comportement de la Couronne en me demandant si elle a rempli ses promesses au cours des premières années ayant suivi la signature du Traité n° 6. À l’évidence, la légitimité de certains griefs fut reconnue par les représentants du gouvernement. Sur ce point, je relève que le commissaire adjoint des Indiens, Hayter Reed, avait accepté la plainte relative à la qualité du bétail livré en application du traité; finalement, le bétail « sauvage et inutile » avait été remplacé (C‑1106, onglet 9). Également, à cette époque, une plainte portant sur l’absence d’un buffet à médicaments à Carlton avait aussi été admise.

 

 

[535]       J’observe que, en 1883, le Bulletin d’Edmonton avait publié une lettre adressée au ministre de l’Intérieur par plusieurs Indiens visés par le Traité n° 6, notamment le chef Samson (S‑31, documents complémentaires, onglet 39). Deux des témoins experts, M. Flanagan et M. Bob Beal, ont soutenu que la lettre avait été écrite par une personne qui connaissait bien les griefs des signataires et qui était compatissante quant à de tels griefs, et ils ont donné à entendre que le révérend Constantine Scollen en était probablement l’auteur. Le révérend Scollen avait signé le Traité n° 6 en tant que témoin, au Fort Pitt et lors de l’adhésion ultérieure de Bobtail (S‑4, pages 360 et 362). La lettre apparaissant dans le Bulletin donne le détail de nombreuses plaintes relatives au traité. Toutefois, elle ne dit pas, ni ne permet de conclure, que la cession territoriale fut comprise de façon erronée, contestée ou désavouée.

 

 


[536]       Le révérend Scollen avait, le 13 avril 1879, adressé une lettre au major Irvine, de la Police à cheval du Nord‑Ouest (S‑296). Il y écrivait que les Pieds‑Noirs n’avaient pas bien compris le Traité n° 7, qui avait été signé à l’automne de 1877, et qu’il avait également signé à titre de témoin. Le révérend Scollen avait été présent au cours des négociations du Traité n° 6 menées au Fort Pitt, et lors de l’adhésion de Bobtail. Si en 1879 le révérend Scollen affirmait que les Pieds‑Noirs ne comprenaient pas pleinement les conséquences du Traité n° 7, alors j’estime raisonnable de conclure qu’il n’aurait pas hésité à faire de même pour les Cris du Traité n° 6, s’il avait pensé qu’ils se méprenaient sur la nature de la clause de cession territoriale.

 

 

[537]       Par conséquent, je rejette l’argument des demandeurs qui affirment que la clause de cession territoriale n’était pas comprise des dirigeants cris à l’époque du Traité n° 6 et qu’ils n’y ont jamais souscrit. Après examen de la preuve que j’ai devant moi, je suis d’avis que la clause de cession territoriale fut expliquée aux signataires cris du Traité n° 6 et qu’ils la comprenaient.

 

ii.  Les événements postérieurs au Traité n° 6

 

[538]       La déclaration modifiée de Samson (n° 4) renferme les allégations suivantes concernant le comportement des parties après le traité :

 

[traduction]

7F. La Couronne a constamment manqué à ses promesses et engagements prévus par le traité, accentuant ainsi les difficultés économiques que connaissaient les ancêtres des demandeurs, surtout au cours des premières années de la relation établie en conséquence du Traité n° 6, mais les ancêtres des demandeurs et les demandeurs devaient, eux, rester attachés à leurs engagements, entraînant ainsi pour la Couronne un avantage économique appréciable.

 

66. De plus, les défendeurs ont illégalement refusé aux demandeurs, et n’ont pas accompli leurs obligations d’apporter aux demandeurs, les avantages, programmes et services, ainsi que les deniers requis pour les avantages, programmes et services, auxquels les demandeurs étaient fondés et sont encore fondés, au titre de droits issus de traités ou autrement, y compris les droits issus de traités, les avantages, les programmes et les services se rapportant au logement, à l’infrastructure des réserves, à l’éducation, à la santé, à la voirie, au développement économique et social, aux immobilisations, à l’administration des bandes ainsi qu’au fonctionnement et à l’entretien. Les demandeurs ont donc été illégalement privés de leurs droits issus de traités, et d’autres droits, en ce qui a trait à ces avantages, programmes et services.

 


66D. Les demandeurs s’en rapportent à l’intégralité du Traité n° 6, conclu entre la Couronne, en tant que protecteur et fiduciaire, et les ancêtres des demandeurs, en tant que protégés et bénéficiaires, notamment à l’expression du souhait de Sa Majesté :

 

[...] d’ouvrir à la colonisation, à l’immigration et à telles autres fins que Sa Majesté pourra trouver convenables, une étendue de pays [...] et d’obtenir à cet égard le consentement de Ses sujets sauvages habitant ledit pays, et de faire un Traité et de s’arranger avec eux, de manière que la paix et la bonne harmonie puissent exister entre eux et Sa Majesté, et qu’ils puissent connaître et savoir avec certitude quels octrois ils peuvent espérer et recevoir de la générosité et de la bienveillance de Sa Majesté.

 

Et, plus particulièrement, ils s’en remettent aux engagements explicites suivants de Sa Majesté, dans le Traité n° 6 :

 

(i) « [...] maintenir des écoles pour l’instruction des Sauvages dans les réserves par le présent constituées, selon que la chose pourra paraître désirable à son gouvernement de la Puissance du Canada, dans tous les cas où les Sauvages des réserves le demanderont [...] »

 

(ii) « [...] de mettre à part des réserves propres à la culture de la terre, [...] et d’autres réserves pour l’avantage desdits Sauvages, lesquelles seront administrées et gérées pour eux par le gouvernement de Sa Majesté pour la puissance du Canada [...] »

 

(iii) « [...] qu’il sera tenu un buffet à médicaments au domicile de tout agent des Sauvages pour l’usage et l’avantage des Sauvages, à la discrétion de tel agent ».

 

(iv) « [...] que dans le cas où par la suite les Sauvages compris dans ce traité seraient visités par la peste ou par une disette générale, la Reine, lorsqu’elle aura reçu un certificat en bonne et due forme de Son agent ou de Ses agents pour les affaires des Indiens accordera tous et tels secours que Son surintendant en chef des Affaires des Sauvages croira nécessaires et suffisants pour les soulager du fléau qui aura fendu sur eux [...] »

 

(v) « [...] que telles parties des réserves ci‑dessus indiquées qui pourront de temps à autre être requises pour des travaux ou des édifices publics de quelque nature que ce soit, pourront être prises dans ce but par le gouvernement de Sa Majesté de la Puissance du Canada, et il sera accordé une indemnité convenable en compensation des améliorations qui y auront été faites [...] ».

 

 

[539]       Samson prétend que la Couronne a rompu certaines promesses comprises dans le traité en ce qui a trait à la fourniture de vivres en période de famine, au soutien du développement agricole, à l’administration des terres des Indiens et à la défense du mode de vie des Cris. Samson s’en rapporte pour l’essentiel aux témoignages de Bob Beal et de Carl Beal pour appuyer ces prétentions. La Couronne, quant à elle, s’en remet à M. Flanagan pour réfuter ces témoignages.


 

 

[540]       J’observe que le redressement sollicité dans la déclaration de Samson ne fait état d’aucune réclamation fondée sur un présumé comportement postérieur au traité. Il n’est pas réclamé de rentes impayées résultant du traité, et il n’est pas fait non plus une réclamation pour la présumée négligence de la Couronne à respecter certaines obligations portant sur la mise à disposition d’instruments, d’outils, de bétail ou d’un enseignement agricole. Samson ne demande aucune réparation concernant des cessions territoriales postérieures au traité; Samson invoque d’ailleurs la Cession de 1946 comme l’une des sources de l’obligation fiduciaire de la Couronne dans la présente affaire. Samson ne demande aucune réparation pour la famine dont avaient souffert les ancêtres de Samson ou d’autres Premières nations du Traité n° 6. Et, finalement, il n’y a aucune réclamation au titre de la Rébellion du Nord‑Ouest de 1885 ni au titre des agissements ultérieurs de la Couronne. La preuve produite au procès a montré d’ailleurs que les membres de Samson avaient refusé de prendre les armes ou de participer d’une autre manière à l’insurrection.

 

 

[541]       Une bonne part de cette preuve, voire la quasi‑totalité, n’intéresse nullement les réclamations qui doivent être tranchées dans la présente affaire. J’ai assuré à maintes reprises les avocats que ma fonction n’était pas celle d’une commission royale, mais ils n’en ont pas moins poussé leurs arguments comme s’il s’agissait d’une telle tribune. Par conséquent, je n’entends pas examiner davantage cette preuve.

 


iii.  Le contact

 

[542]       Trois experts ont témoigné à propos du contact : le professeur Ray, Mme Holmes et M. von Gernet. Il n’a pas été présenté de traditions orales se rapportant à la période effective du contact.

 

 

[543]       Dans l’arrêt Van der Peet, aux paragraphes 60 et 61, la Cour suprême du Canada a clairement reconnu comme assise, dans l’examen des revendications de droits ancestraux, la date du contact entre la société aborigène et la société européenne :

 

La période que doit prendre en considération le tribunal pour décider si le droit revendiqué satisfait au critère de la partie intégrante de la culture distinctive de la collectivité autochtone qui revendique le droit en cause est la période qui a précédé le contact entre les sociétés autochtones et européennes. Comme c’est le fait que des sociétés autochtones distinctives vivaient sur le territoire avant l’arrivée des Européens qui est le fondement des droits ancestraux protégés par le par. 35(1), c’est à cette période antérieure au contact que les tribunaux doivent s’attacher dans l’identification des droits ancestraux.

 

Le fait que la doctrine des droits ancestraux sert à concilier la souveraineté de Sa Majesté avec l’existence de sociétés autochtones préexistantes n’y change rien. Bien que ce soit avec la souveraineté de Sa Majesté que les sociétés autochtones préexistantes sont conciliées, c’est à l’examen de ces sociétés préexistantes que doivent s’attacher les tribunaux dans la définition des droits ancestraux. Ce n’est pas le fait que des sociétés autochtones existaient avant l’affirmation de la souveraineté par Sa Majesté qui est pertinente mais le fait qu’elles existaient avant l’arrivée des Européens en Amérique du Nord. En conséquence, la période pertinente est celle qui a précédé l’arrivée des Européens, et non celle qui a précédé l’affirmation par Sa Majesté de sa souveraineté.

 

 

 

[544]       Le critère de l’arrêt Van der Peet fut confirmé par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Mitchell, au paragraphe 12 :

12            Dans les arrêts charnières R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, et Delgamuukw, précité, notre Cour confirme ces principes et énonce le critère permettant d’établir l’existence d’un droit ancestral. Comme le par. 35(1) vise à concilier l’occupation antérieure de l’Amérique du Nord par des sociétés autochtones avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne, le critère d’existence d’un droit ancestral est axé sur les caractéristiques déterminantes qui font partie intégrante de ces sociétés. Au strict essentiel, le demandeur autochtone doit établir l’existence d’une pratique, tradition ou coutume moderne qui a un degré raisonnable de continuité avec les pratiques, traditions ou coutumes qui existaient avant le contact avec les Européens. La pratique, coutume ou tradition doit avoir « fait... partie intégrante de la culture distinctive » autochtone, au sens où elle doit avoir distingué ou caractérisé leur culture traditionnelle et avoir été au coeur de leur identité. Elle doit être une « caractéristique déterminante » de la société autochtone, de sorte que la culture en cause serait « fondamentalement modifiée » sans elle. Il doit s’agir d’une caractéristique qui a une « importance fondamentale » dans la culture du peuple autochtone, qui « véritablement faisait de la société ce qu’elle était » (Van der Peet, précité, par. 54‑59; souligné dans l’original). Cela exclut les pratiques, les traditions et les coutumes qui sont seulement marginales ou d’importance secondaire pour l’identité culturelle de la société autochtone, et met l’accent sur les pratiques, les traditions et les coutumes qui sont nécessaires à la vie, à la culture et à l’identité de la société autochtone en question.

 

 

[545]       Les demandeurs affirment que la Cour suprême a abandonné la notion de contact dans l’arrêt R. c. Powley, [2003] 2 R.C.S. 207. D’après eux, l’époque pertinente est le moment de « la mainmise effective des Européens sur le territoire ». Ils se fondent sur les paragraphes 16 et 17 de l’arrêt Powley, ainsi rédigés :

Dans cet arrêt, l’accent mis sur l’occupation antérieure du territoire comme principale justification de la protection spéciale accordée aux droits ancestraux a amené les juges de la majorité à adopter un critère fondé sur l’antériorité du contact avec les Européens pour identifier les coutumes, pratiques ou traditions faisant partie intégrante d’une culture autochtone donnée et bénéficiant, de ce fait, de la protection de la Constitution. Cependant, les juges majoritaires ont reconnu que ce critère pourrait se révéler inadéquat pour reconnaître les coutumes, pratiques ou traditions métisses ayant droit à la même protection, puisque, par définition, les cultures métisses sont postérieures au contact avec les Européens. Pour cette raison, le juge en chef Lamer a expressément indiqué que la question de la définition des droits ancestraux des Métis devrait être réglée à l’occasion d’un autre pourvoi. Voici ce qu’il a dit à cet égard, au par. 67 :

 


[L]’histoire des Métis et les raisons qui sous‑tendent leur inclusion pour qu’ils bénéficient de la protection accordée par l’art. 35 diffèrent considérablement de celles qui concernent les autres peuples autochtones du Canada. Comme telle, la manière dont les droits ancestraux des autres peuples autochtones sont définis n’est pas nécessairement déterminante en ce qui concerne la manière dont sont définis ceux des Métis. Lorsque notre Cour sera saisie d’une revendication présentée par des Métis en vertu de l’art. 35, elle sera alors à même, grâce aux arguments des avocats, du contexte factuel et du fait que la revendication touche spécifiquement les Métis, d’examiner la question des objets qui sous‑tendent la protection accordée par l’art. 35 aux droits ancestraux des Métis et de déterminer le genre de revendications qui relèvent du par. 35(1) dans les cas où les demandeurs sont des Métis. Le fait que, en ce qui concerne d’autres peuples autochtones, l’art. 35 protège leurs coutumes, pratiques et traditions qui existaient avant le contact avec les Européens n’est pas nécessairement pertinent pour ce qui est de la réponse qui sera donnée à cette question.

 

Comme il a été indiqué plus tôt, l’inclusion des Métis à l’art. 35 ne saurait évidemment pas être expliquée par le fait qu’ils auraient occupé le territoire canadien avant le contact avec les Européens. L’objet de l’art. 35 en ce qui concerne les Métis n’est donc pas le même qu’en ce qui concerne les Indiens et les Inuits. Le trait important qui caractérise les Métis du point de vue constitutionnel est leur statut spécial en tant que peuples ayant vu le jour entre le premier contact des Indiens avec les Européens et la mainmise effective de ces derniers sur le territoire. L’inclusion des Métis à l’art. 35 représente l’engagement du Canada à reconnaître et à valoriser les cultures métisses distinctives, cultures qui se sont développées dans des régions n’étant pas encore ouvertes à la colonisation et qui, comme l’ont reconnu les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1982, ne peuvent survivre que si les Métis bénéficient de la même protection que les autres communautés autochtones.

 

 

 

[546]       Il m’est malheureusement impossible de souscrire à la manière dont les demandeurs interprètent l’arrêt Powley. Leur position n’est pas appuyée par les paragraphes qu’ils citent, et elle ne l’est pas non plus par un quelconque autre passage de l’arrêt Powley. Au contraire, la Cour suprême confirmait encore une fois le critère de l’arrêt Van der Peet, et le recours au contact comme époque pertinente permettant de définir les droits ancestraux. La Cour suprême limitait expressément la modification du critère Van der Peet à la définition des droits ancestraux des Métis.

 


 

[547]       Le contact fait donc partie intégrante du critère juridique de la définition des droits ancestraux.

 

 

[548]       Je passe maintenant aux experts. Selon le professeur Ray, le premier contact s’est produit entre les Cris et les Européens à l’extérieur du territoire cri durant les décennies 1650 à 1680. D’après son témoignage, les nations autochtones de l’intérieur occidental avaient établi des « relations durables » avec les Européens dès la seconde moitié du XVIIe siècle, grâce au commerce des fourrures (S‑3, page ii). Le contact durant cette époque concernait de petits groupes de Cris se rendant à York Factory, peu après la fondation du poste de traite de la CBH en 1670; ces Cris en rapportaient des marchandises qu’ils échangeaient auprès d’autres Cris. Le contact à l’intérieur du territoire cri s’est produit après que les postes de traite intérieurs furent construits durant la période de l’expansion britannique et française, durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Je relève que le professeur Ray a aussi témoigné que des changements peuvent survenir dans les pratiques autochtones en raison de l’influence européenne, mais avant une réelle mise en présence.

 

 


[549]       Mme Holmes s’est exprimée sur la notion de contact, qu’elle a subdivisée pour y introduire la notion de « contact significatif ». Il y avait contact significatif lorsque les Européens s’introduisaient effectivement sur le territoire d’un groupe autochtone donné et y établissaient des relations durables. Dans la mesure où les Européens restaient dans leurs postes de traite – par exemple les Britanniques dans la baie d’Hudson – et y accueillaient des groupes de négociants cris, mais refusaient de se rendre en territoire cri et d’y établir des relations durables, alors il n’y avait aucun contact significatif, même si les Cris rapportaient sur leur territoire de pleins bateaux de marchandises européennes et les diffusaient en les revendant ou en les échangeant. Mme Holmes n’a pu nommer aucun chercheur souscrivant à cette notion de contact. À son avis, la date la plus ancienne possible du contact est 1690; mais, s’agissant des gens qui vivaient à l’intérieur du pays de la Saskatchewan, il n’y a eu contact significatif qu’à partir de la période allant de 1770 à 1790, époque durant laquelle furent établis les postes intérieurs.

 

 

[550]       De l’avis de M. von Gernet, la culture crie fut influencée dans une certaine mesure par la présence européenne en Amérique du Nord bien avant l’établissement de la CBH sur les rives de la baie d’Hudson en 1670. Toutefois, il considère que l’année 1670 est l’année probable du contact car elle marque la date à laquelle la CBH a établi son poste à York Factory. Selon M. von Gernet, rares étaient les Cris qui n’étaient pas en 1700 concernés par la présence européenne.

 

 

[551]       Avec l’arrivée de la Compagnie de la Baie d’Hudson, était apparu le commerce des fourrures, qui lui‑même avait donné lieu au commerce des marchandises européennes. Cette évolution eut un effet considérable sur les Cris des Plaines. M. von Gernet s’est exprimé ainsi sur ce point :

 


[traduction] ... le commerce des fourrures est un contact significatif. Cela ne fait aucun doute. Le contact significatif ne requiert pas un contact personnel constant, parce que, maintes et maintes fois, nous avons vu partout dans le pays que le commerce des fourrures et la présence d’épidémies ont eu un effet considérable sur les populations autochtones, sur les déplacements de populations, sur le passage des activités de chasse et de cueillette à des activités commerciales, sur la manière dont ils s’organisaient, enfin sur les endroits où ils se rendaient. C’est là un contact significatif.

 

(Transcription, volume 166, pages 22998‑22999)

 

 

 

[552]       La preuve montre que les Cris reconnurent les occasions que leur offrait le commerce des fourrures et qu’ils s’érigèrent rapidement en intermédiaires. L’historien David Mandelbaum a décrit ainsi l’effet sur les Cris de l’établissement du commerce des fourrures avec les Européens :

 

[traduction]

L’arrivée de la Compagnie de la Baie d’Hudson a marqué l’ouverture d’une nouvelle ère dans le destin des tribus. Ne dépendant plus d’intermédiaires, les Cris avaient désormais un accès direct et facile aux postes de traite. Le premier navire ravitailleur anglais est arrivé dans la baie d’Hudson en 1668. Deux ans plus tard, des postes étaient établis à l’embouchure des rivières Nelson, Moose et Albany, et les Cris affluèrent pour commercer.

 

La culture tribale et le milieu tribal se modifièrent considérablement sous l’influence des Anglais. La culture changea naturellement avec l’arrivée de marchandises européennes et avec l’évolution des métiers, qui, au gré des saisons, passaient de la cueillette au trappage. Quant au milieu, il s’élargit parce que les négociants envoyaient les aborigènes toujours plus loin dans l’arrière‑pays pour qu’ils recueillent les fourrures auprès des diverses tribus et posent des pièges en territoire vierge.

 

(pages 20‑21)

 

 

[553]       Mandelbaum faisait observer que les Cris s’adaptèrent d’emblée aux armes et aux objets façonnés européens et que le voyage au poste de traite était devenu une part essentielle de leur circuit annuel (page 21).


 

 

[554]       Selon le juge en chef Lamer, le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 a pour objet de concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de la Couronne. Les droits ancestraux découlent de l’occupation antérieure de ce territoire par les populations autochtones, qui avaient également des organisations sociales antérieures et des cultures distinctives antérieures (voir l’arrêt Van der Peet, aux paragraphes 30, 31 et 74). Par la notion de contact – et non de quelque autre point de référence, par exemple la date de la mainmise effective des Européens sur le territoire – les droits ancestraux sont élargis de manière à protéger les pratiques, coutumes et traditions qui sont réellement ancestrales. Ainsi que le faisait observer le juge en chef Lamer dans l’arrêt Delgamuukw, au paragraphe 144, les pratiques, coutumes et traditions qui ont pris naissance uniquement sous l’effet des influences européennes ne satisfont pas à la norme établie pour la reconnaissance de droits ancestraux.

 

 

[555]       Par conséquent, j’accepte l’année 1670 comme l’année du contact aux fins du critère de l’arrêt Van der Peet. Naturellement, je ne présume pas que les pratiques, coutumes et traditions des Cris se sont alors modifiées immédiatement. Toutefois, l’année 1670 marque le début d’une transformation culturelle qui a vu les Cris se consacrer au commerce européen des fourrures dès l’arrivée de la Compagnie de la Baie d’Hudson et l’établissement de son poste à York Factory.

 

iv.  Le territoire


 

[556]       En 1876, année où fut conclu le Traité n° 6, les ancêtres des demandeurs vivaient dans la région des Maskwachees, ou Bear Hills, où leur réserve se trouve actuellement, et ils utilisaient le lac Pigeon pour bivouaquer et pêcher. Aucune des parties n’a semblé contester ce fait. Or, les demandeurs ont quand même produit une preuve considérable portant sur la nature et l’étendue du territoire des Cris des Plaines bien avant l’époque du Traité n° 6.

 

 

[557]       La Couronne a admis que la nation de Samson est le propriétaire véritable de la réserve de Samson et de son droit dans la réserve du lac Pigeon, laquelle est partagée avec les nations Ermineskin, Louis Bull et Montana, en fonction de la taille de leurs populations respectives. Dans sa plaidoirie, Samson dit que, en conséquence des aveux de la Couronne, il n’est pas impératif pour la Cour de se prononcer sur les droits ancestraux à l’intérieur des réserves, et que les présumés droits ancestraux de Samson à l’extérieur des réserves ne sont pas non plus en cause à ce stade de l’instance. Plus loin dans son argumentation, la nation de Samson affirme qu’elle a prouvé le titre aborigène, en même temps que d’autres nations autochtones, sur d’importantes portions de la région visée par le Traité n° 6; là encore cependant, Samson dit qu’il n’est pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur la question à ce stade.

 

 

[558]       Je ne partage pas cet avis. Eu égard au temps consacré à la question du territoire cri, et vu la preuve produite par les témoins experts et les témoins ordinaires, des conclusions s’imposent.


 

 

[559]       Samson a produit les dépositions de témoins experts et de témoins ordinaires, ces derniers comprenant deux aînées. Les aînées Pearl Crier et Monica Soosay se sont exprimées sur le mode de vie de leurs ancêtres cris, et sur les lieux où ils chassaient, pêchaient et bivouaquaient. Je suis d’avis que les traditions orales rapportées par ces aînées sont tout à fait recevables selon les principes exposés par la juge en chef dans l’arrêt Mitchell, précité. Les deux témoins sont des aînées cries, et elles ont pu nommer les sources de leur information, sources qui sont depuis longtemps décédées.

 

 

[560]       La difficulté que perçoit la Cour à propos de ces traditions orales, cependant, concerne les périodes auxquelles elles se rapportent. L’aînée Crier n’a été interrogée que sur « le mode de vie antérieur au traité » (transcription, volume 86, pages 12183‑12184; 12185‑12186). L’une des sources de l’aînée Crier était son beau‑père, Johnny Crier. L’aînée Crier a dit que la source de Johnny Crier était le père de celui‑ci, Macoskis, qui vivait à la même époque que Kanatakasu, ou Samson. Cette information précède donc sans doute le Traité n° 6, mais il est impossible de savoir de combien de temps. C’est tout simplement bien trop vague et il serait impossible de dire si l’information se rapportant aux divers lacs et rivières qui étaient fréquentés pour la chasse et la cueillette de baies peut être ramenée jusqu’avant l’époque de Macoskis.

 

 

[561]       La source de l’aînée Soosay pour certaines de ses traditions orales fut sa grand‑mère, Mary Simon. L’aînée Soosay a témoigné que sa grand‑mère est décédée en 1954 et qu’elle était âgée de 12 ans à l’époque de la Rébellion du Nord‑Ouest en 1885; Mary Simon est donc née en 1873 environ. L’aînée Soosay a été priée de répondre à des questions sur le « temps jadis », l’« époque des Cris d’autrefois » et les « temps anciens » (transcription, volume 88, pages 12338‑12341). On lui a aussi demandé de parler des « gens de la génération du père et du grand‑père [de Mary Simon] et des générations précédentes » (transcription, volume 88, page 12343). Lorsqu’elle parlait de l’endroit où se rendaient les Cris, notamment au sud de la frontière, il est évident que l’aînée Soosay parlait des voyages de sa grand‑mère. Sa réponse désignant Morley et la rivière Ghost fut la seule se rapportant expressément à l’époque de la génération du père et du grand‑père de Mary Simon, et des générations antérieures. Le reste de ses réponses semble se rapporter à l’époque de sa grand‑mère, une époque postérieure au Traité n° 6, et semble concerner les gens de Gros Ours, non ceux de Samson.

 

 

[562]       Par conséquent, il m’est impossible d’accorder beaucoup de poids aux témoignages de l’aînée Crier et de l’aînée Soosay sur la question du territoire cri. Leurs témoignages donnent à entendre que les ancêtres de Samson vivaient dans la région centrale de l’Alberta, mais ils sont trop vagues quant au cadre temporel, ou bien touchent de près à l’époque du Traité n° 6.

 

 

[563]       Je passe maintenant aux témoignages des témoins ordinaires de Samson sur cet aspect. M. Buffalo a présenté ce qui équivaut au témoignage d’opinion d’un non‑expert. Il s’est livré à une recherche historique et archivistique pour la nation crie de Samson, ainsi que comme passe‑temps personnel, mais il n’a pas la formation ni les compétences d’un historien.

 

 

[564]       Je reconnais que la Cour suprême a jugé que, dans certains cas, les témoins ordinaires peuvent être autorisés à produire un témoignage d’opinion : Graat c. R., [1982] 2 R.C.S. 819, aux pages 835‑838. À la page 837, le juge Dickson écrivait :

Je considère l’extrait suivant de Cross comme l’énoncé exact du droit relatif aux affaires où le témoignage d’opinion d’un non‑expert est recevable :

 

[traduction] Lorsque, selon l’expression d’un juge américain, les faits qui ont produit une impression sur le témoin sont trop fugaces pour qu’il s’en rappelle ou trop compliqués pour qu’il les énonce un par un, le témoin peut faire état de son opinion ou de son impression. Il était dans une situation plus favorable que le jury pour y arriver et il lui est impossible de faire saisir au jury les prémisses sur lesquelles il s’appuie :

 

« A moins que les opinions, les estimations et les conclusions auxquelles on arrive inconsciemment, dans la vie de tous les jours, par suite de ce qu’on perçoit par nos sens soient considérées, en droit de la preuve, comme de simples énoncés de faits, les témoins seront incapables de communiquer au juge une impression exacte des circonstances qu’ils veulent relater. »

 

Il n’y a pas d’énumération exhaustive des affaires pour lesquelles un témoignage d’opinion de non‑expert est recevable. Les exemples caractéristiques sont ceux qui concernent l’âge, la vitesse, la température, l’écriture et de façon générale l’identité [à la p. 448].

 

Un témoin ordinaire peut donc produire un témoignage d’opinion, mais uniquement dans la mesure où il lui permet d’exprimer plus fidèlement les faits qu’il a constatés.


 

[565]       Le témoignage de M. Buffalo n’est pas fondé sur le constat qu’il a fait d’événements ou de faits. On pourrait prétendre qu’il a simplement – et en toute neutralité – présenté à la Cour des extraits de textes savants et de documents historiques, ainsi que des renseignements fondés sur des conversations avec des aînés cris. Toutefois, M. Buffalo l’a fait avec, à l’esprit, une thèse – une opinion – particulière quant à la nature du territoire cri, c’est‑à‑dire l’idée selon laquelle les Cris ont toujours occupé la région centrale de l’Alberta. Samson a fait témoigner trois experts sur la question du territoire cri. C’est un sujet qui requiert formation et spécialisation. M. Buffalo n’avait pas au procès la qualité d’expert. Son témoignage équivaut à un témoignage d’opinion et il n’est donc pas recevable. Si je me fourvoie ici, et si son opinion de non‑expert est recevable, alors je suis d’avis que je ne peux lui accorder aucun poids, pour les motifs exposés ci‑après.

 

 

[566]       M. Buffalo a dit que les aînés avec qui il s’était entretenu au MCC pour le programme d’enregistrements magnétoscopiques de cet organisme avaient donné des renseignements qui l’avaient conduit à croire que les Cris de Samson avaient toujours vécu dans la région centrale de l’Alberta. Comme je l’ai indiqué plus haut, les bandes magnétoscopiques en cause n’ont pas été identifiées, et elles n’ont pas non plus été traduites pour la Cour, ni cotées comme pièces en bonne et due forme. Quand la Cour lui a demandé d’en dire davantage sur les sources de tels renseignements et sur la période à laquelle ils se rapportaient, M. Buffalo a répondu d’une manière plutôt vague, semblant ne plus vouloir s’en rapporter autant aux enregistrements des aînés :

 


[traduction]

Q. M. O’REILLY : M. Buffalo, à propos des récits relatifs à la chasse au bison dans la région du lac Buffalo et celle de la rivière Battle, quelles personnes vous ont fait ces récits sur la chasse pratiquée par les membres de la nation crie de Samson?

 

R. Les aînés avec lesquels nous avions conversé ont dit que nous vivions dans ces régions, c’est‑à‑dire la région du lac Buffalo et aussi la région Camrose, et la région du lac Pigeon, et la région du lac Gull; pour ces régions, ce fait est certain.

 

LA COUR : Et vous ont‑ils fait des récits sur la chasse? À quelle période se rapportaient‑ils? À quelle année? Était‑ce récemment, ou – je veux dire, quelle année pour la chasse? Et les récits que l’on vous a faits, proviennent‑ils des bandes magnétoscopiques, ou les tenez‑vous plutôt de ces aînés, quels qu’ils puissent être?

 

R. Les récits n’étaient pas nécessairement des entretiens, mais nous savions tous que nous vivions dans la région du lac Buffalo. Et c’était là la dernière concentration de gibier, et il y a encore abondance d’animaux dans cette région.

 

Et tous les livres d’histoire portant sur ces localités renferment exactement le récit de la chasse au bison pratiquée par des groupes de Métis vivants dans trois régions autour du lac, des Métis qui étaient des chasseurs de bison et qui partaient de Winnipeg, et qui vivaient et hivernaient dans les endroits autour du lac Buffalo.

 

(Transcription, volume 109, pages 15277‑15278)

 

 

 

[567]       Puis M. Buffalo a expliqué qu’une autre source était son arrière‑grand‑mère, Mary Buffalo. Toutefois, il a dit qu’il était « très jeune » à l’époque et qu’elle parlait la langue crie dans un registre que lui ne pouvait pas comprendre. Par ailleurs, elle n’a jamais précisé dans quelle région ils chassaient ni durant quelle période, si ce n’est pour dire « à l’Est » et « durant les années 1800 » et « à la fin des années 1800 ». Interrogé davantage, M. Buffalo a reconnu que son arrière‑grand‑mère lui avait fait des récits qui étaient postérieurs au Traité n° 6 (transcription, volume 109, pages 15279‑15280). Il a d’ailleurs admis qu’il n’était pas en mesure de préciser une quelconque période antérieure à 1882 en ce qui concernait la chasse et le territoire (transcription, volume 109, page 15283).


 

 

[568]       Il m’est impossible d’accorder une quelconque valeur au témoignage de M. Buffalo en ce qui concerne les traditions orales ou les renseignements qu’il tient des aînés. Ce témoignage est tout simplement beaucoup trop vague, et il n’est donc pas digne de foi. On pourrait conclure, au mieux, que, à une certaine époque, les ancêtres de Samson sont venus vivre dans les régions dont M. Buffalo a fait état.

 

 

[569]       M. Buffalo s’est aussi fondé sur des documents historiques et des textes savants pour affirmer que les ancêtres des Cris de Samson vivaient dans la région centrale de l’Alberta à une époque qui remonte au milieu de la décennie 1750. M. Buffalo a préparé et produit un volume de documents se rapportant au chef cri Maskepetoon, le prédécesseur du chef Samson (S‑174). Divers documents du volume font état de la présence de Maskepetoon en des endroits de la région centrale de l’Alberta. L’onglet 1 du document S‑174 renferme un extrait du Dictionnaire biographique du Canada, volume IX (1861‑1870). La note biographique concernant Maskepetoon, rédigée par Hugh Dempsey, précise qu’il est né probablement en 1807 dans la région de la rivière Saskatchewan et qu’il est décédé en 1869 dans un camp de Pieds‑Noirs du centre de l’Alberta. La plupart des inscriptions concernant Maskepetoon sont postérieures à la décennie 1830.

 

 

[570]       En contre‑interrogatoire, M. Buffalo a volontiers reconnu qu’il n’avait jamais vu les actes de baptême de 1865 de Maskepetoon et de son épouse. Le registre méthodiste wesleyen des baptêmes, conservé dans les archives du musée Glenbow, indique que Maskepetoon fut baptisé sous le nom d’Abraham, et son épouse sous le nom de Sarah, lorsqu’ils étaient âgés respectivement de 58 et 55 ans (C‑193, nos 71 et 72). Leur domicile inscrit est Victoria, qui, M. Buffalo l’a admis, se trouve près du lac Whitefish, au nord‑est d’Edmonton (transcription, volume 118, pages 16309‑16313).

 

 

[571]       En ce qui concerne le décès de Maskepetoon, la notice biographique susmentionnée précise qu’il a été tué dans un camp de Pieds‑Noirs du centre de l’Alberta. Un extrait du texte de l’historien John Milloy, The Plains Cree: Trade, Diplomacy and War, 1790‑1870, nous apprend que le territoire pied‑noir, à l’époque du décès de Maskepetoon, comprenait la rivière Red Deer (S‑174, onglet 55, page 115).

 

 

[572]       Selon les documents, Maskepetoon a vécu et voyagé dans la région centrale de l’Alberta, mais les documents ne confirment pas l’idée de M. Buffalo selon laquelle les Cris avaient vécu dans cette région depuis le milieu du XVIIIe siècle. Au contraire, ils donnent à entendre que la région centrale de l’Alberta était un territoire pied‑noir et qu’il est demeuré tel au moins jusqu’à l’époque du décès de Maskepetoon.

 


 

[573]       Outre ces faiblesses, je trouve pour le moins boiteuse la méthodologie de M. Buffalo. Il a témoigné qu’il a toujours conservé des dossiers sur Maskepetoon et Samson parce qu’il avait le sentiment qu’il s’agissait là de documents importants. Il a présenté les dossiers à l’avocat des demandeurs, qui l’a aidé à les organiser. La plupart des ouvrages où étaient puisés les extraits venaient des archives de la nation crie de Samson; certains extraits venaient d’ouvrages du cabinet de l’avocat des demandeurs. Toutefois, la difficulté que me cause la méthodologie de M. Buffalo a trait à la manière dont il a choisi les extraits. M. Buffalo a dit qu’il avait simplement marqué tout ce qui se rapportait à Maskepetoon, à Samson ou au peuple cri. Il s’y est pris en se référant à l’index et à la table des matières, puis en parcourant l’ouvrage. M. Buffalo n’a jamais lu l’intégralité des ouvrages, mais simplement les parties qui concernaient son domaine d’intérêt (transcription, volume 118, pages 16257‑16260; 16271‑16275). C’est là une méthode de recherche qui pourrait convenir à ses fins personnelles, mais il est impossible à la Cour de s’y fier.

 

 


[574]       Un autre témoin ordinaire de Samson sur la question du territoire cri a été M. Cutknife. Comme je l’ai dit plus haut, il s’est exprimé sur deux cartes qu’il avait préparées, et qui indiquaient les toponymes cris de divers endroits du centre et du sud de l’Alberta (S‑138 et S‑139). Certaines des sources de ses renseignements étaient des bandes magnétoscopiques et des conversations qu’il avait eues avec des aînés, dont certains sont maintenant décédés. D’autres sources étaient des membres de Samson et des membres d’autres communautés cries. Abstraction faite de l’argument selon lequel une bonne partie de ce témoignage a valeur de ouï‑dire et de conjectures et qu’il ne peut être validement admis comme preuve d’une tradition orale, l’existence de toponymes cris ne saurait en soi attester ni l’étendue du territoire ni la période durant laquelle il a été occupé.

 

 

[575]       Samson a aussi produit des témoins experts sur la question du territoire : Mme Holmes, le professeur Ray et le professeur Little Bear. Les témoignages d’expert de la Couronne ont été le fait de M. von Gernet.

 

 


[576]       L’idée maîtresse de l’opinion de Mme Holmes – et, bien qu’elle ait souvent affirmé qu’elle n’exprimait pas d’opinions, mais plutôt présentait une recherche théorique, et cela d’une manière neutre, je considère que ses rapports et ses témoignages expriment ses opinions – est que, depuis au moins les années 1750, on avait toujours vu les Cris vivre dans la région se situant à 50 ou 60 milles au sud d’Edmonton. Pour dire que les Cris occupaient la région centrale de l’Alberta dans les années 1750, voire plus tôt, Mme Holmes s’est largement inspirée de l’interprétation, par Dale Russell, du journal d’Anthony Henday, négociant en fourrures de la CBH. Henday s’était rendu à l’intérieur des terres, depuis York Factory, en 1754 et 1755, avec un groupe de Cris. Cette mention qui apparaît dans le journal, et dont j’ai fait état plus haut dans les présents motifs, évoque les Cris hivernant dans de petits camps de la région centrale de l’Alberta, ou pays « Archithinue ». La mention est sans équivoque sur ce point : il s’agit manifestement du territoire Archithinue. Archithinue a été accepté par les spécialistes comme un mot signifiant tout probablement pied‑noir. J’admets que les Cris bivouaquaient certainement à cet endroit, comme l’écrivait Henday, mais ils ne le faisaient qu’avec le bon plaisir des Pieds‑Noirs. Les compagnons cris de Henday lui avaient d’ailleurs dit qu’ils seraient tués s’ils posaient des pièges à loup dans le territoire pied‑noir. Les Cris ne sauraient être qualifiés d’occupants de ce territoire, d’après le journal de Henday; ils n’étaient que des visiteurs.

 

 

[577]       Mme Holmes s’est aussi fondée sur un article de 1987 de James Smith, « The Western Woods Cree: Anthropological Myth and Historical Reality » (S‑12, onglet 32). Selon Smith, les traces archéologiques – des matériaux culturels cris appelés matériaux Selkirk – confirment que les Cris étaient, avant le contact avec les Européens, les occupants du Manitoba du Nord, de la Saskatchewan et de la région du Lac la Biche, en Alberta. Vu l’étendue de sa formation et de son expérience, je préfère l’analyse que fait M. von Gernet des travaux de Smith, plutôt que celle qu’en fait Mme Holmes. Smith s’en est rapporté à J.V. Wright, qui affirmait que la limite occidentale des vestiges Selkirk était Île‑à‑la‑Crosse, en Saskatchewan. Selon M. von Gernet, l’archéologue David Meyer a examiné les matériaux du Lac la Biche et a conclu qu’il ne s’agissait pas de vestiges Selkirk. L’affirmation selon laquelle les Cris occupaient un territoire plus à l’ouest que la Saskatchewan n’est donc pas étayée par l’article de Smith. Je reconnais qu’il y a eu une présence crie au Manitoba et en Saskatchewan avant le contact, mais je ne reconnais pas que leur territoire englobait la région centrale de l’Alberta dans les années 1750.

 

 

[578]       Le professeur Ray a lui aussi témoigné à propos du territoire cri. Se fondant sur le journal de Henday, il a dit que les Cris « partageaient » le territoire pied‑noir, compte tenu des relations économiques symbiotiques des deux nations dans le commerce européen des fourrures. Les Cris tenaient lieu d’intermédiaires, échangeant des marchandises européennes avec les Pieds‑Noirs contre des fourrures. Je reconnais que cela semble participer de leur relation, pour autant du moins que soit concerné le commerce européen des fourrures; cependant, je suis en désaccord avec le professeur Ray lorsqu’il affirme que les Cris partageaient le territoire pied‑noir, donnant parallèlement à entendre qu’il s’agissait donc d’un territoire cri. Je me réfère à mes observations antérieures sur le journal de Henday : à l’époque, les Cris étaient des visiteurs en pays pied‑noir.

 

 

[579]       L’ouvrage du professeur Ray, Indians in the Fur Trade, contient deux cartes illustrant la répartition des Cris pour la période de 1790 à 1821 et pour l’année 1821. La première carte situe les Cris dans ce qui est aujourd’hui la province de la Saskatchewan, puisqu’ils occupaient la rivière Saskatchewan Nord et le territoire de cette région jusqu’au nord. Leur frontière occidentale empiète légèrement sur le nord‑est de l’Alberta; la frontière orientale empiète largement sur le Manitoba. La deuxième carte, qui concerne l’année 1821, situe les Cris dans la région centrale de la Saskatchewan; les Pieds‑Noirs y occupent le centre et le sud de l’Alberta (C‑9, pages 100‑101). Cela s’accorde avec les indices archéologiques sur lesquels s’est appuyé M. von Gernet, notamment les cartes Magne, qui sont le résultat du consensus de spécialistes et qui indiquent les répartitions autochtones pour les années 1700, 1750, 1800 et 1850 (C‑322, pages 17‑20, figures 2‑5).

 


 

[580]       Le témoignage du professeur Little Bear n’a pas aidé la Cour à déterminer l’étendue du territoire cri. Il a décrit le territoire pied‑noir traditionnel comme un territoire s’étendant de la rivière Saskatchewan Nord, en Alberta, vers le Sud jusqu’à la rivière Yellowstone, dans le Montana, et de la ligne de partage continentale, dans les Rocheuses, jusqu’à l’actuelle frontière Alberta-Saskatchewan, à l’Est. Cette description figurait dans le mémoire qu’il avait présenté à la CRPA (C‑225, page 8). Il a également témoigné que les Pieds‑Noirs considéraient les Cris comme leurs voisins au nord et au nord‑est de ce territoire traditionnel. Durant son témoignage, il a parlé de la notion de régions chevauchantes ou communes, que l’on trouve aux lisières des territoires de divers groupes. Cette notion ne figurait pas dans son mémoire présenté à la CRPA. Quoi qu’il en soit, selon le témoignage qu’il a donné de la perspective pied‑noir, la région centrale de l’Alberta se trouvait au coeur du territoire pied‑noir, ce qui s’accorde avec l’opinion des spécialistes sur la question.

 

 


[581]       J’admets que les frontières territoriales constituaient des démarcations quelque peu insaisissables, et non des démarcations claires et nettes. Néanmoins, les groupes autochtones comprenaient certainement la notion de territoire et exerçaient un contrôle sur ce territoire, autorisant à l’occasion l’accès à d’autres groupes, à des fins précises, – n’en déplaise au professeur Wolfart, pour qui les Cris ne comprenaient pas la notion de territoire. J’admets, comme je l’ai dit plus haut, que les Cris occupaient le Manitoba et la Saskatchewan avant le contact avec les Européens. Je souscris également à l’avis de M. von Gernet selon lequel les Cris n’étaient pas originaires de la région centrale de l’Alberta et n’ont été présents à cet endroit qu’après le contact avec les Européens, principalement à la faveur de leur rôle dans le commerce européen des fourrures.

 

v.  Le commerce

 

[582]       Les témoignages concernant les pratiques commerciales autochtones avant le contact avec les Européens ont été présentés, pour l’essentiel, par Mme Holmes et M. von Gernet. Les traditions orales et les renseignements d’aînés à propos du mode de vie cri avant le Traité n° 6 brossaient, quant aux Cris des Plaines, un tableau qui en faisait des chasseurs et des cueilleurs. L’unique témoignage de non‑expert sur la question est venu du volume de M. Buffalo sur les références historiques à Maskepetoon (S‑174). La notice biographique de Maskepetoon précise que, en 1831, lors d’une expédition commerciale vers Fort Union, sur la rivière Missouri, il avait été invité à accompagner trois autres chefs à Washington, D.C., afin d’y rencontrer le président Jackson (S‑174, onglet 1, page 537). La seconde référence se trouve dans un extrait de l’ouvrage de John Ewers, intitulé Life on the Upper Missouri (S‑174, onglet 4, page 79). Ewers écrivait que Maskepetoon était mieux connu des négociants sous le nom de « Bras cassé », un nom que lui avait valu sa bravoure sur le champ de bataille.

 

 


[583]       Ces références ne sont d’aucune utilité pour la Cour parce qu’elles sont à l’évidence postérieures au contact avec les Européens, étant donné que Maskepetoon a vécu de 1807 à 1869. Par ailleurs, elles sont extrêmement vagues; les pratiques commerciales n’y sont nullement détaillées. Au reste, les références ne concernent que Maskepetoon, et non les Cris en tant que négociants au sens large.

 

 

[584]       Le rapport de Mme Holmes portait sur les pratiques commerciales cries à partir de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle, depuis le Lac des Bois à l’Est jusqu’aux montagnes Rocheuses à l’Ouest (S‑12). Elle a témoigné que, à son avis, le commerce faisait partie intégrante de la vie économique et politique des Cris des Plaines et des Cris de Samson.

 

 

[585]       Mme Holmes s’est fondée sur une carte, établie par l’archéologue J.V. Wright, et tirée de l’Atlas historique du Canada (S‑12, onglet 3, planche 14). La carte donne un aperçu général du mouvement des marchandises de traite sur le continent nord‑américain, jusqu’à 10 000 ans avant Jésus‑Christ. Aucun découpage tribal ou ethnique aborigène n’y est indiqué, si ce n’est la mention selon laquelle il existait un commerce entre locuteurs algonquins et locuteurs sioux. La carte ne donne aucune définition de son expression « premier contact ». Mme Holmes n’a pas été en mesure d’interpréter cette expression.

 

 


[586]       Je ne puis accorder beaucoup de valeur à cette carte en tant que preuve des pratiques commerciales cries antérieures au contact, et cela pour plusieurs raisons. Comme je l’ai dit, la carte ne précise pas de quels groupes autochtones il s’agissait. Elle ne montre que le mouvement des marchandises de traite; elle ne peut pas représenter les distances parcourues par tel ou tel groupe autochtone à des fins commerciales. La carte de Wright illustre le mouvement des marchandises de traite dans ce qui est aujourd’hui le Canada, mais elle n’indique pas de marchandises de traite originaires de l’Alberta. Naturellement, il faudrait aussi pour cela présumer que les Cris vivaient dans la région centrale de l’Alberta avant le contact, ce que je ne reconnais pas.

 

 

[587]       Mme Holmes a indiqué que les Cris faisaient le commerce des minéraux avant 1770. Elle s’est appuyée sur la carte de Wright, qui parle d’un commerce, notamment celui de l’obsidienne et de la silice. Mme Holmes s’est aussi fondée sur l’ouvrage du négociant en fourrures Edwin Denig, Five Tribes of the Upper Missouri. Denig y décrivait le territoire cri et y faisait observer que certaines sources étaient [traduction] « imprégnées de substances salines et sulfureuses et une grande quantité de bon sel est extraite de certaines d’entre elles par les indigènes » (S‑12, page 67; onglet 67, pages 101 et 104). Mme Holmes a émis l’hypothèse que Denig avait conclu à l’existence d’un commerce du sel chez les Cris; elle a expressément mentionné les minéraux dans une liste de marchandises de traite autochtones. En contre‑interrogatoire, cependant, Mme Holmes a admis que Denig n’avait pas dit que le sel était l’objet d’un commerce. Elle a dit qu’elle n’avait connaissance d’aucun indice témoignant d’un commerce du sel ou d’autres minéraux chez les Cris.

 

 


[588]       La preuve n’établit pas que les Cris s’adonnaient, avant le contact avec les Européens, à un quelconque commerce des minéraux, et certainement pas au commerce du pétrole et du gaz. Je reconnais qu’ils se livraient à des activités commerciales. Sans aucun doute, les archives documentaires attestent la poursuite d’activités commerciales chez les Cris après le contact. Les journaux et les observations de négociants en fourrures et d’explorateurs montrent que les Cris faisaient du commerce dans les lieux de traite Mandan‑Hidatsa. Je partage l’avis de M. von Gernet pour qui les Cris ne dépendaient pas de ces expéditions commerciales chez les Mandans pour leur survie; au contraire, leurs activités de chasse et de cueillette comblaient amplement leurs besoins.

 

 

[589]       Il est établi que les Cris et les Assiniboines finirent par dominer les échanges intérieurs dans le commerce européen des fourrures, qui par nécessité constituait une activité postérieure au contact. Les Cris se procuraient les marchandises européennes auprès de la York Factory, le poste de la CBH sur la baie d’Hudson, puis se rendaient à l’intérieur des terres pour les échanger contre les fourrures d’autres populations autochtones. Mme Holmes comme M. von Gernet ont semblé s’accorder sur ce point, et la preuve confirme sans aucun doute cette manière de voir.

 

 


[590]       À partir de la décennie 1770, les Européens se mirent à établir des postes intérieurs dans le pays de la Saskatchewan. Les Cris réagirent à cela en réduisant leur rôle d’intermédiaires pour s’adonner au commerce du ravitaillement, et en devenant des chasseurs commerciaux. Les Cris étaient connus pour le rôle qu’il jouait dans ce système commercial, un rôle que l’on pourrait d’ailleurs à juste titre qualifier de pratique ancestrale propre aux Cris des Plaines, mais cela reste une activité postérieure au contact. Il n’est pas possible de recourir à cette pratique ancestrale postérieure au contact et de la projeter en des temps antérieurs au contact, et cela parce que le commerce européen des fourrures requiert un contact et a pris naissance après le contact.

 

 

[591]       Mme Holmes a témoigné à propos des pratiques commerciales outre‑frontières. Les Cris faisaient des expéditions commerciales outre‑frontières vers des endroits tels que les lieux de traite Mandan‑Hidatsa, et il est fait état de telles expéditions dans des archives documentaires postérieures au contact. On pourrait même raisonnablement supposer qu’il y eut de telles expéditions avant même que les Européens arrivent sur les lieux pour consigner leurs observations. Cependant, aucune preuve n’a été présentée à la Cour, qu’il s’agisse de traces archéologiques ou de traditions orales, qui lui permettrait de conclure à l’existence d’un commerce outre‑frontières d’une ampleur telle qu’il constituait une caractéristique propre aux Cris. Les références à Maskepetoon, et en particulier à son voyage à Washington, D.C., ne sont pas l’indice d’un commerce outre‑frontières organisé; elles ne prouvent pas non plus que lui‑même ou ses gens s’étaient illustrés comme négociants. D’ailleurs, pour Denig, Maskepetoon était [traduction] « généralement méprisé par les négociants » (S‑12, onglet 22, page 88). Maskepetoon semble s’être illustré par ses talents d’hôte, de diplomate et de pacificateur.

 

 


[592]       Mme Holmes a aussi témoigné à propos des mouvements outre‑frontières postérieurs au Traité n° 6. Toutefois, aucun de ses témoignages n’a permis d’établir que les Cris de Samson se rendaient au sud de la frontière pour faire le commerce de quoi que ce soit. Elle a évoqué un important groupe de Cris, comptant des membres de la région d’Edmonton et de Bear Hills, qui bivouaquaient sur la rivière Missouri et commerçaient avec des négociants locaux en 1881 et 1882. Elle s’est fondée sur une lettre de l’agent des Indiens Denny, au Fort Walsh, adressée au commissaire des Indiens Dewdney. Cependant, après examen de la lettre, on constate que c’est Gros Ours et ses gens qui bivouaquaient sur la rivière Missouri; les Cris de la région de la Maison d’Edmonton avaient leur campement autour du Fort Walsh, du côté canadien de la frontière. Certes, la lettre mentionnait aussi que, quand leurs vivres s’épuisaient, ils traversaient la frontière en quête de bisons et de whisky; cependant, la lettre n’apporte aucunement la preuve d’un commerce outre‑frontières (S‑12, onglet 466).

 

 


[593]       À mon avis, la preuve ne suffisait pas à établir que, avant le contact, le commerce d’une marchandise en particulier, sans parler du commerce en général, constituait une pratique propre aux Cris. Sans aucun doute s’adonnaient‑ils au commerce, mais aucune preuve – par exemple des traces archéologiques – n’a été produite, qui puisse conduire la Cour à conclure comme le voudraient les demandeurs, c’est‑à‑dire à conclure que le commerce était une caractéristique distinctive de la société crie. La preuve semble désigner plutôt la culture Mandan‑Hidatsa comme celle où le commerce formait un élément constituant et distinctif. Il est établi que le commerce n’est devenu un usage propre aux Cris que lorsqu’ils finirent par dominer le commerce européen des fourrures, d’abord comme intermédiaires, et plus tard comme chasseurs commerciaux et approvisionneurs. Il est établi que les Cris furent prompts à exercer ce rôle et qu’ils exploitèrent habilement leur position dans le nouvel ordre économique qui suivit l’arrivée des Européens et le développement du commerce des fourrures. Or, il s’agissait là nécessairement d’une activité postérieure au contact, qu’il est impossible de projeter en arrière, vers des temps antérieurs au contact, et cela parce qu’il n’y avait alors aucun commerce européen des fourrures dont les Cris eussent pu tirer parti. Finalement, je réitère mes propos antérieurs selon lesquels la preuve n’a tout simplement pas été faite que les Cris faisaient le commerce des minéraux, notamment du sel, du pétrole ou du gaz, ni de rien d’analogue.

 

III.  Phase deux : Administration de l’argent des Indiens

 

A.  Points litigieux

 

[594]       Dans le livre XII de leurs conclusions écrites, les demandeurs font observer que certains des points litigieux initiaux sont devenus théoriques au vu de certains aveux de la Couronne. Samson affirme que, puisque la Couronne a reconnu que les demandeurs sont les propriétaires véritables de la réserve de Samson, de leur intérêt dans la réserve du lac Pigeon, et du pétrole, du gaz et autres minéraux que recèlent ces réserves, il ne peut plus être contesté que l’argent des redevances appartient à Samson. Ainsi, selon les demandeurs, ils n’ont pas à prouver l’existence d’un droit ancestral à ces sommes, ni à prouver que les réserves de Samson et du lac Pigeon font partie de leurs terres traditionnelles.

 

 

[595]       Les pages qui suivent reprennent les points non résolus tels que Samson les voit, et dont quelques‑uns ont déjà été reproduits dans la phase un des présents motifs :

 

[traduction]

A. Droits ancestraux

 

134. La nation crie de Samson a‑t‑elle un droit existant ancestral (ou inhérent) à l’autodétermination?

 

135. Un droit existant ancestral ou inhérent à l’autodétermination donne‑t‑il à la nation crie de Samson la mainmise sur les sommes en fiducie de telle sorte que la nation crie de Samson puisse prendre en charge la fiducie à la place de la Couronne en ce qui a trait aux sommes en fiducie de la nation crie de Samson?

 

136. La nation crie de Samson existait‑elle comme composante distincte de la nation crie des Plaines avant le Traité n° 6?

 

137. Le territoire traditionnel de la nation crie des Plaines englobait‑il la région du Traité n° 6, et la Couronne est‑elle empêchée par le Traité n° 6 de contester ce fait?

 

B. Droits issus de traités

 

138. Le Traité n° 6 est‑il un traité d’alliance et de partenariat?

 

139. La tradition orale de la nation crie des Plaines en ce qui a trait aux négociations ayant entouré le Traité n° 6 aura‑t‑elle un poids égal à celui des récits du lieutenant‑gouverneur Morris et du secrétaire Jackes?

 

140. L’intention des parties au Traité n° 6 était‑elle de préserver et protéger les terres des réserves et les intérêts dans ces réserves, pour l’avantage exclusif des Indiens parties au Traité pour lesquels les réserves avaient été mises de côté?

 

141. Les obligations fiduciaires de la Couronne découlaient‑elles d’une fiducie historique?

 

142. Le Traité n° 6 est‑il la source d’obligations fiduciaires de la Couronne?

 

143. La Couronne a‑t‑elle contrevenu au Traité n° 6 peu de temps après sa conclusion?

 

144. La conduite de la Couronne au regard du Traité n° 6 a‑t‑elle une incidence sur les obligations conventionnelles de la Couronne?

 

145. Quelles sont la nature et l’étendue des obligations conventionnelles de la Couronne au regard des redevances?

 

146. Les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens portent‑ils atteinte aux droits de Samson issus de traités?

 

147. La Couronne peut‑elle justifier l’atteinte aux droits des demandeurs Samson issus des traités en ce qui a trait aux redevances des demandeurs Samson?

 

C.            Obligations fiduciaires de la Couronne (et droits bénéficiaires fiduciaires)

 

148. La Couronne est‑elle un fiduciaire des redevances de Samson?

 


a) en vertu de la relation historique entre la Couronne et les Autochtones;

 

b) en vertu du cadre constitutionnel et de l’évolution constitutionnelle du Canada;

 

c) en vertu du Traité n° 6;

 

d) en vertu de la Cession de 1946;

 

e) en vertu de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes;

 

f) en vertu de la Loi sur les Indiens;

 

g) en vertu du régime général spécial à l’égard du pétrole et du gaz des réserves;

 

h) en vertu de la common law;

 

i) en vertu des déclarations et agissements de la Couronne?

 

 

149. Quels sont la nature, l’étendue et l’effet

 

a) des obligations tutélaires de la Couronne,

 

b) des obligations fiduciaires de la Couronne?

 

150. Quelles sont la nature et l’étendue véritables des obligations de la Couronne envers les demandeurs Samson pour ce qui est du contrôle, de la gestion et de l’administration des fonds en fiducie et des redevances des demandeurs Samson?

 

151. De quelle manière la Loi sur les Indiens et la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes s’appliquent‑elles aux devoirs et obligations de la Couronne?

 

152. La Couronne avait‑elle l’obligation d’agir dans l’intérêt exclusif de Samson pour ce qui est du contrôle, de la gestion et de l’administration des fonds en fiducie?

 

153. La Couronne a‑t‑elle emprunté en toute légalité les fonds en fiducie de Samson?

 

154. Quelle était la norme de prudence applicable à la Couronne en tant que fiduciaire ou confidé de l’argent de Samson?

 

155. La Couronne avait‑elle l’obligation de ne pas empiéter sur le capital?

 

156. La Couronne avait‑elle le pouvoir d’investir les redevances de Samson dans des titres?

 

157. La Couronne a‑t‑elle agi prudemment dans la « gestion » des deniers de Samson?

 

158. Plus précisément, s’agissant de la gestion prudente des deniers de Samson :

 

a) Quelle était la stratégie prudente d’investissement en ce qui a trait aux fonds en fiducie?

 

b) Une stratégie d’investissement à long terme, par exemple un portefeuille diversifié ou un portefeuille d’obligations échelonnées, était‑elle requise pour les fonds en fiducie?


c) En quoi est‑il pertinent de savoir que les deniers étaient pour l’avantage des générations actuelles et futures, que Samson avait d’importants besoins annuels et que l’on prévoyait et espérait que d’importantes redevances seraient reçues d’une ressource non renouvelable?

 

159. La méthode du taux d’intérêt sur l’argent des Indiens était‑elle prudente compte tenu des circonstances?

 

160. La Couronne avait‑elle l’obligation de revoir périodiquement le rendement des deniers de Samson?

 

161. La Couronne a‑t‑elle bénéficié ou tiré avantage du contrôle, de la gestion et de l’administration des fonds en fiducie?

 

162. Plus précisément, la Couronne a‑t‑elle tiré un bénéfice en empruntant les fonds en fiducie et en versant à Samson des intérêts inférieurs à ceux qu’elle aurait payés à un prêteur indépendant pour un prêt de semblable durée?

 

163. La Couronne a‑t‑elle tiré un avantage en payant à Samson un taux d’intérêt variable, se dispensant ainsi de s’engager dans les taux d’intérêt élevés qui existaient durant les années 1980, période au cours de laquelle la majeure partie des fonds en fiducie ont été reçus par la Couronne?

 

164. En quoi est‑il pertinent de savoir que la Couronne prévoyait une décrue des taux d’intérêt élevés de la décennie 1980 et que, conformément à cette prévision, elle gérait sa propre dette en minimisant le montant de la dette à long terme qu’elle émettait?

 

165. La Couronne est‑elle à l’origine de son propre conflit d’intérêts en ne s’occupant pas des redevances de Samson comme d’un bien en fiducie?

 

166. La Couronne a‑t‑elle contrevenu à la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes dans sa manière de s’occuper des redevances de Samson?

 

167. La Couronne a‑t‑elle manqué à ses obligations de fiduciaire et de confidé envers Samson en ne recommandant pas ou ne prenant pas de mesures qui eussent permis un taux d’intérêt ou de rendement plus élevé que le taux prévu par les décrets de 1969 et 1981?

 

168. La Couronne a‑t‑elle manqué à ses obligations envers Samson en ne soustrayant pas la nation crie de Samson et les fonds en fiducie de Samson ainsi que les intérêts de la réserve de Samson, aux dispositions des articles 61 et 68 de la Loi sur les Indiens, au moyen de l’article 4 de la Loi sur les Indiens?

 

169. La nation crie de Samson a‑t‑elle été traitée injustement parce que la Couronne lui a payé des intérêts inférieurs à ceux qu’elle a payés pour son emprunt interne le plus important, le CPRFP?

 

170. Quelle conséquence découle du fait que l’emprunt CPRFP et l’emprunt Samson étaient tous deux par nature des emprunts à long terme, mais que l’emprunt CPRFP bénéficiait d’un taux d’intérêt fondé sur des rendements qui étaient valables pour 20 ans alors que le taux d’intérêt versé sur les deniers de Samson changeait tous les 90 jours?

 

171. La Couronne a‑t‑elle manqué à son obligation de fiduciaire ou de confidé envers les générations futures en permettant que soit réduite la valeur réelle du capital des fonds en fiducie?

 

172. Plus précisément, le système de la Loi sur les Indiens consistant à inscrire les intérêts au crédit du compte de revenu était‑il un système qui garantissait l’érosion du capital en termes réels?

 


173. Les retraits du compte de capital de Samson étaient‑ils validement approuvés par le ministre, compte tenu de ses obligations envers les générations actuelles et futures de Samson?

 

174. La Couronne a‑t‑elle négligé de rendre compte adéquatement des redevances de Samson?

 

175. La Couronne a‑t‑elle manqué à son obligation envers les demandeurs Samson parce qu’elle ne leur a pas divulgué des avis juridiques se rapportant à leurs deniers?

 

176. La Couronne a‑t‑elle manqué à son obligation envers les demandeurs Samson quant aux deniers parce qu’elle a adopté et appliqué une politique consistant à rédiger des avis juridiques particulièrement favorables à la position de la Couronne?

 

177. La conduite de la Couronne dans la présente instance a‑t‑elle été marquée par un conflit d’intérêts, des procédés peu scrupuleux ou une fraude selon l’equity de la part de la Couronne envers les demandeurs Samson?

 

178. La Couronne a‑t‑elle validement appliqué le décret de 1981, par lequel elle payait des intérêts selon un taux variable qui changeait tous les 90 jours, ou aurait‑elle dû fictivement bloquer les rendements élevés à long terme qui existaient durant la décennie 1980, compte tenu en particulier des prévisions de replis de tels rendements?

 

179. Quelles sont la nature et l’étendue des pertes et dommages causés aux demandeurs Samson par suite des manquements commis par la Couronne?

 

180. La nation crie de Samson a‑t‑elle un droit constitutionnel à la propriété et au contrôle des fonds en fiducie ou des redevances, que ce soit en vertu :

 

a) de l’autodétermination;

 

b) de droits issus de traités;

 

c) de droits ancestraux;

 

d) d’autres instruments, par exemple la Charte ou la Cession?

 

 

181. Les demandeurs Samson sont‑ils fondés au transfert immédiat du contrôle, de la gestion et de l’administration des fonds en fiducie, par injonction ou autrement, en raison :

 

a) du droit de propriété véritable de Samson;

 

b) de l’abus de confiance de la Couronne;

 

c) des abus de pouvoir de la Couronne;

 

d) de l’inconstitutionnalité des articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens;

 

e) de la Cession ou d’une autre manière?

 

182. La Couronne peut‑elle transférer les fonds en fiducie ou les redevances à la bande indienne de Samson en application de la Loi sur la gestion des finances publiques ou de la Loi sur les Indiens (par exemple article 4 de la Loi sur les Indiens et articles 64 et 65 de la Loi sur les Indiens)?

 


183. La rétention continue des deniers par la Couronne est‑elle une discrimination injustifiée et illégale exercée au mépris d’un droit fondamental des demandeurs Samson (et les dispositions des articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens constituent‑elles une telle discrimination injustifiée et illégale)?

 

184. La Couronne a‑t‑elle manqué à son obligation de fiduciaire ou de confidé en refusant de transférer les fonds en fiducie ou les redevances au contrôle de la bande et nation indienne de Samson (en fidéicommis pour les membres actuels et futurs de la bande de Samson)?

 

185. Quel est le statut fiscal des sommes du compte de capital tant qu’elles sont sous la garde de la Couronne, et dans l’éventualité de leur remise aux demandeurs Samson?

 

D.            Questions constitutionnelles

 

186. Les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens sont‑ils constitutionnellement inapplicables à la nation crie de Samson, aux intérêts de Samson dans les terres de la réserve et aux deniers de Samson?

 

187. Les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens portent‑ils atteinte au droit ancestral de Samson à l’autodétermination?

 

188. Le régime appliqué à l’argent des Indiens et la rétention des deniers de Samson par la Couronne vont‑ils à l’encontre des droits à l’égalité garantis à Samson par l’article 15 de la Charte?

 

189. Les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens vont‑ils à l’encontre des droits bénéficiaires fiduciaires et des droits issus de traités de Samson, droits qui lui sont garantis sur le plan constitutionnel?

 

190. L’article 17 de la Loi sur les Indiens est‑il constitutionnellement applicable aux demandeurs Samson?

 

(Conclusions écrites de Samson, livre XII, onglet 4, pages 33‑40)

 

 

[596]       Les pages qui suivent exposent les points qui, selon la Couronne, doivent être décidés par la Cour dans cette phase du procès :

 

[traduction]

a) En termes généraux, comment doit être qualifiée la relation entre la Couronne et les demandeurs en ce qui a trait à leurs deniers? Plus précisément, existe‑t‑il des différences notables entre cette relation et celle qui rattache en droit privé ordinaire un fiduciaire et un bénéficiaire? Selon la Couronne, il y a des différences notables. La Couronne est un fiduciaire de l’argent des Indiens, mais les seules conditions de cette fiducie sont celles qui sont exposées dans la loi applicable. Les autres obligations de la Couronne à l’égard de l’argent des Indiens ne peuvent être que des obligations fiduciaires ou des obligations légales implicites – non des obligations de droit privé en matière de fiducies.

 


b) Les objectifs fixés par les bandes, le degré de la planification à long terme dans laquelle elles se sont engagées, et le schéma de leurs dépenses, sont‑ils notablement différents des objectifs propres aux fonds de pensions ou de dotation en général, ou propres au CPRFP en particulier? Selon la Couronne, la réponse est affirmative.

 

c) Si l’on combine la Loi sur les Indiens et la Loi sur la gestion des finances publiques (et aussi, depuis 1977 la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes) :

 

(i) La Couronne doit‑elle déposer l’argent des Indiens au Trésor plutôt que l’investir sur les marchés du secteur privé? Selon la Couronne, la réponse est affirmative.

 

(ii) La Couronne doit‑elle accorder le même taux d’intérêt à toutes les bandes indiennes? Selon la Couronne, la réponse est affirmative.

 

(iii) La Couronne a‑t‑elle l’obligation ou le droit de procéder à un transfert inconditionnel des centaines de millions de dollars du compte de capital de Samson, sur demande du conseil de bande, ou une nouvelle loi est‑elle requise à cette fin? À tout le moins, la Couronne a‑t‑elle le droit d’imposer certaines conditions, par exemple l’établissement d’un plan d’investissement à long terme, l’attestation du soutien général des membres de la bande et une décharge totale de responsabilité à l’égard de la gestion future des sommes ou à l’égard du taux de rendement obtenu sur telles sommes? Selon la Couronne, la législation actuelle n’autorise pas un transfert inconditionnel, et la Couronne a le droit, et elle est même tenue, d’imposer un certain nombre de conditions prudentielles avant de procéder à un tel transfert.

 

 

d) Les lois régissant la manière dont la Couronne gère l’argent des Indiens contreviennent‑elles à un droit ancestral ou issu de traités des demandeurs, ou contreviennent‑elles d’une autre manière à la Constitution? Plus précisément :

 

(i) Les demandeurs ont‑ils établi que le Traité n° 6 renferme des dispositions leur garantissant le droit de gérer d’importantes sommes d’argent? Selon la Couronne, la réponse est négative.

 

(ii) Les demandeurs ont‑ils établi l’existence d’une pratique ancestrale antérieure au contact avec les Européens impliquant la gestion d’importantes sommes d’argent, ou analogue à telle gestion, et pouvant être définie d’une manière suffisamment étroite pour justifier une protection en tant que droit ancestral selon l’article 35 de la Constitution? Selon la Couronne, la réponse est négative.

 

(iii) Le régime législatif régissant le traitement de l’argent des Indiens va‑t‑il à l’encontre du droit à l’égalité devant la loi, un droit garanti par l’article 15 de la Charte? Selon la Couronne, la réponse est négative.

 

(iv) La violation de droits constitutionnellement protégés des demandeurs est‑elle une violation justifiable eu égard à l’ensemble des circonstances? Selon la Couronne, la réponse est affirmative.

 

En bref, la Couronne dit que la loi régissant la gestion par la Couronne de l’argent des Indiens est constitutionnelle. Elle ne contrevient à aucun droit ancestral ou issu de traités des demandeurs et, subsidiairement, elle constitue une atteinte justifiable compte tenu des circonstances.

 


e) La nation de Samson a‑t‑elle droit, sur tel ou tel fondement, à un transfert inconditionnel des centaines de millions de dollars de son compte de capital, ou un tel transfert devrait‑il être subordonné à l’établissement d’un plan d’investissement à long terme, à l’attestation du soutien général des membres de la bande et à une décharge certaine de toute responsabilité de la Couronne? Selon la Couronne, quelle que soit la décision relative à la constitutionnalité de la loi régissant la manière dont elle gère l’argent des Indiens, aucun transfert inconditionnel de sommes d’argent aussi importantes n’est justifié.

 

f) Le Parlement du Canada a‑t‑il une obligation fiduciaire envers les demandeurs en ce qui a trait à l’adoption d’une loi régissant l’argent des Indiens? Selon la Couronne, la réponse est négative.

 

g) Le gouverneur en conseil a‑t‑il une obligation fiduciaire envers les demandeurs lorsqu’il établit le taux d’intérêt qui sera payé sur l’argent des Indiens, en application du paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens? Selon la Couronne, la réponse est négative.

 

h) L’établissement du taux d’intérêt par le gouverneur en conseil est‑il subordonné à une ou plusieurs normes pouvant résulter du paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, par exemple l’obligation d’agir de bonne foi, l’obligation de tenir compte de l’intérêt des Indiens, l’obligation d’établir un taux qui n’ait pas pour résultat de profiter à la Couronne, ou l’obligation d’établir un taux qui soit raisonnable compte tenu de toutes les circonstances? Dans l’affirmative, la Couronne a‑t‑elle observé de telles normes implicites? La Couronne ne reconnaît pas que de telles normes puissent être présumées dans la loi, mais elle dit que, si elles doivent l’être, alors elle les a toutes observées.

 

i) Lorsqu’il fixe en vertu du paragraphe 61(2) le taux d’intérêt qui sera versé sur l’argent des Indiens, le gouverneur en conseil est‑il fondé à tenir compte de ce qui suit :

 

(i) Le fait que le taux s’applique à toutes les bandes indiennes partout dans le pays?

 

(ii) Le fait que l’argent des Indiens n’est pas destiné à demeurer dans le Trésor pour telle ou telle période de temps?

 

(iii) Le fait que des taux plus élevés profitent aux bandes indiennes, mais entraînent une hausse des coûts d’emprunt pour le Canada?

 

Selon la Couronne, le gouverneur en conseil est fondé à tenir compte de toutes ces choses.

 

 

j) La formule du taux d’intérêt payé sur l’argent des Indiens est‑elle une formule raisonnable compte tenu de toutes les circonstances qui l’entourent, en particulier les suivantes :

 

(i) elle comprend une prime de risque de par l’emploi d’un taux obligataire à long terme;

 

(ii) simultanément, elle ne comporte pour les bandes aucun risque d’un effritement du principal;

 

(iii) le taux obligataire à long terme est en général le taux le plus élevé payé par la Couronne pour le financement de ses besoins d’emprunt;

 

(iv) la formule s’applique à toutes les bandes indiennes partout dans le pays;

 

(v) l’argent des Indiens n’est pas destiné à demeurer dans le Trésor pour telle ou telle période, mais au contraire peut être retiré n’importe quand sur demande des bandes et avec l’approbation du ministre;

 

(vi) la Couronne s’est mise à la disposition des bandes pour établir de nouveaux mécanismes par lesquels les bandes elles‑mêmes puissent obtenir des taux de rendement plus élevés en assumant un risque plus élevé avec leur argent?

 


Selon la Couronne, il s’agit là d’une formule raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

 

 

k) À tel ou tel moment, la perspective d’une décrue des taux d’intérêt était‑elle certaine au point qu’il était déraisonnable pour la Couronne de ne pas avoir pris de mesures de blocage des taux courants pour l’argent des Indiens, eu égard notamment aux risques rivaux entraînés par une telle action, au fait que l’argent des Indiens n’était pas bloqué dans le Trésor pour une période quelconque et à la volonté des bandes de l’en retirer éventuellement. Selon la Couronne, cela n’était pas déraisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances.

 

l) Si la Couronne avait un quelconque pouvoir de faire des investissements avec l’argent des Indiens :

 

(i) Le conservatisme inhérent à la formule de l’argent des Indiens était‑il néanmoins justifié pour les demandeurs vu leur niveau de planification à long terme, leurs objectifs, leur tolérance au risque et leur manière de dépenser? Selon la Couronne, la réponse est affirmative.

 

(ii) La Couronne était‑elle fondée à respecter les décisions de dépense prises par les bandes, étant donné que ces bandes, et les groupements autochtones en général, exigent que la Couronne respecte davantage leurs décisions et exigent des pouvoirs accrus d’autodétermination? Selon la Couronne, la réponse est affirmative, et la Couronne ajoute qu’elle n’avait pas l’obligation d’imposer aux demandeurs une politique restrictive de dépense, contraire à leurs voeux.

 

m) Si l’argent des Indiens n’avait pas été déposé au Trésor, comment la Couronne aurait‑elle fait face à ses coûts additionnels d’emprunt, et cela aurait‑il inévitablement entraîné un coût supérieur pour la Couronne? Selon la Couronne, aucun accroissement des coûts n’était inévitable, parce qu’elle aurait pu remplacer l’argent des Indiens en émettant de nouveaux bons du Trésor, pour un coût inférieur. La Couronne dit aussi que c’est en réalité ce qu’elle aurait fait et que ses coûts généraux de gestion de la dette auraient également été inférieurs selon tout autre scénario.

 

(Conclusions écrites de la Couronne, Phase relative à l’argent des Indiens, volume 1, onglet 1, pages 26‑30)

 

B. Témoins

 

i.  Témoins experts

1. Pour les demandeurs

Allen Lambert

 

[597]       M. Lambert, ancien président et premier dirigeant de la Banque Toronto‑Dominion, a présenté un rapport d’expert (SE‑351), un rapport en réfutation (SE‑354) et un rapport en contre‑réfutation (SE‑355). La carrière de M. Lambert dans le secteur bancaire et financier du Canada s’étend sur quelque soixante‑dix ans, puisqu’il a débuté à Victoria en 1927 (SE‑348). M. Lambert avait au procès la qualité de [traduction] « spécialiste du secteur bancaire canadien, de la gestion financière et de la gestion de patrimoine en général, notamment la gestion de fonds d’investissements et de fonds en fiducie et les services financiers canadiens, outre une expérience considérable de la politique monétaire » (SE‑347).

 

Donald McDougall

 

[598]       M. McDougall, directeur de l’analyse des investissements modèles des Services globaux de la RBC, a présenté un rapport d’expert (SE‑375), un rapport en contre‑réfutation (SE‑377) et deux autres rapports actualisant au 31 décembre 2001 (SE‑378) et au 30 juin 2002 (SE‑379) les données sur la performance d’investissements. Selon sa notice biographique, avant de se joindre aux Services globaux de la RBC en 2000, M. McDougall a passé 14 ans auprès de SEI Investments (SE‑374). Chez SEI, il était chargé des services consultatifs fournis aux auteurs de plans, avec spécialisation particulière dans la planification des politiques, la structure des investissements et l’analyse de la performance d’investissements. Au procès, M. McDougall avait la qualité de [traduction] « expert conseil en investissements, spécialisé dans la mesure de la performance des investissements » (SE‑373).

 


Stephen Jarislowsky

 

[599]       M. Jarislowsky, président et directeur du cabinet Jarislowsky Fraser Limited, a présenté un rapport d’expert intitulé « Rendements des redevances de la nation crie de Samson et investissements prudents » (S‑398), un rapport en réfutation (S‑400) et un rapport en contre‑réfutation (S‑401). M. Jarislowsky a obtenu un M.B.A. de l’Université Harvard en 1949 (S‑388). Au procès, il avait la qualité de [traduction] « conseiller professionnel en investissements justifiant de quelque 47 années d’expérience et d’une spécialisation dans la planification des investissements, les stratégies d’investissement et la gestion de portefeuilles, et spécialisation particulière dans la planification et la gestion de portefeuilles d’investissement pour les régimes de pension, les dotations, les fondations, les particuliers fortunés et les fonds en fiducie qui au fil des ans ont atteint des milliards de dollars et qui aujourd’hui dépassent largement la somme de 30 milliards de dollars » (S‑387).

 

M. Thomas Wilson

 


[600]       M. Wilson, professeur d’économie à l’Université de Toronto, a présenté un rapport d’expert intitulé « Inflation, taux d’intérêt et position budgétaire du gouvernement du Canada, 1975‑1999 » (S‑411), ainsi qu’un rapport en contre‑réfutation (S‑412). M. Wilson a obtenu un doctorat et une maîtrise en économie de l’Université Harvard en 1959 et 1961 respectivement. Depuis 2001, il détient le titre de professeur émérite. Sa notice biographique fait état de nombreuses publications et documents de travail; elle donne aussi le détail de ses travaux de consultation et de recherche, notamment dans les domaines de la prévision économique et de l’analyse de la politique budgétaire (S‑408). M. Wilson avait au procès la qualité de [traduction] « économiste justifiant d’une expertise particulière en matière de politique budgétaire et monétaire des administrations publiques, ainsi qu’en matière d’inflation, de taux d’intérêt, de gestion de la dette publique et de prévisions économiques » (S‑409).

 

Ronald Parks

 

[601]       M. Parks est expert‑comptable auprès du cabinet Kroll Lindquist Avey. Il a présenté un rapport d’expert intitulé « Comptabilité des fiducies et normes de présentation de l’information » (SE‑424) et un rapport en contre‑réfutation (SE‑425). M. Parks est un spécialiste reconnu de la juricomptabilité. Il travaille dans ce domaine depuis 1987 (SE‑416). Au procès, M. Parks avait la qualité de [traduction] « expert comptable qui est un spécialiste reconnu de la juricomptabilité, ainsi qu’un spécialiste des normes comptables et de la juricomptabilité. Il a une connaissance approfondie des principes comptables généralement reconnus ainsi que des normes, pratiques et objectifs en matière de comptabilité et de présentation de l’information, y compris la comptabilité des fiducies et la présentation de l’information » (SE‑423).

 

Alan Marchment

 


[602]       M. Marchment a travaillé durant plus de quarante ans comme dirigeant ou administrateur de diverses sociétés, diverses institutions et divers fonds. Il a remis à la Cour un rapport d’expert (SE‑457), un rapport en réfutation (SE‑458) et un rapport en contre‑réfutation (SE‑459). Sa notice biographique révèle que son expérience professionnelle comprend la gestion directe de fonds et les conseils en matière de politique d’investissement en sa qualité de membre de comités d’investissement agissant pour des particuliers et des sociétés (SE–455). Au procès, M. Marchment avait la qualité de [traduction] « expert‑comptable ayant une connaissance approfondie des fiducies, de la gestion d’investissements, du secteur bancaire, des finances et de la gestion de patrimoine en général. Il a une connaissance intime de la gestion des fonds en fiducie, des fonds de pension et des fonds de dotation, surtout en ce qui a trait aux pratiques et normes de l’industrie des fiducies, par exemple les pratiques et normes qui concernent la ségrégation, les emprunts, la gestion, l’investissement et le suivi des fonds en fiducie et celles qui concernent la formulation de politiques, procédures, stratégies et objectifs d’investissement » (SE‑454).

 

Alan Hockin

 


[603]       M. Hockin, ancien sous‑ministre adjoint des Finances et ancien vice‑président exécutif de la Banque Toronto‑Dominion, a remis à la Cour un rapport d’expert (SE‑470), un rapport en réfutation (SE‑471) et un rapport en contre‑réfutation (SE‑472). D’après sa notice biographique, il justifie de nombreuses années d’expérience au sein de conseils ou comités d’investissement de diverses institutions (SE‑468). Au procès, M. Hockin avait la qualité de [traduction] « spécialiste du secteur bancaire canadien et international, de la gestion financière et de la gestion de patrimoine, y compris de la surveillance de fonds d’investissement et de fonds en fiducie. Il est également un spécialiste de la gestion des comités d’investissement ainsi que des normes et pratiques des conseils et comités d’investissement, sans oublier l’établissement de politiques d’investissement et le suivi de la performance » (SE‑467).

 

Tony Williams

 

[604]       M. Williams est actuaire auprès du cabinet Buck Consultants. Il a présenté un rapport d’expert (SE‑477), un rapport en réfutation (SE‑479), deux rapports en contre‑réfutation (SE‑480 et SE‑481) et un rapport complémentaire actualisant ses données au 30 juin 2002 (SE‑484). Sa notice biographique précise qu’il est devenu actuaire à part entière en 1985 et qu’il est membre agréé de la Société des actuaires et membre agréé de l’Institut canadien des actuaires (SE‑474). Il est membre de l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite, de l’Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux, et du Comité des pratiques d’investissement de l’Institut canadien des actuaires. Au procès, M. Williams avait la qualité de [traduction] « actuaire spécialisé dans l’application des mathématiques, de la statistique, des probabilités et des théories du risque aux problèmes financiers, et spécialisé notamment dans le développement de modèles permettant d’évaluer les conséquences financières d’événements futurs incertains. Il est aussi conseiller en investissements se spécialisant dans la gestion d’investissements, la politique d’investissement, la répartition d’actifs, le choix de gestionnaires financiers, le suivi de la performance d’investissements et la prévision de l’actif et du passif des fonds de pension, avec aussi une connaissance particulière de la gestion et de l’analyse des fonds de pension et autres fonds importants du secteur privé et du secteur public » (SE‑475).

 


Arthur Drache

 

[605]       M. Drache, avocat fiscaliste, a remis à la Cour un rapport d’expert (S‑505). Sa notice biographique nous apprend qu’il a de nombreuses publications à son actif dans le domaine de la fiscalité, surtout en ce qui touche les arts et les organismes de charité (SE‑496). Auparavant, M. Drache a enseigné à l’Université Queen (de 1969 à 1973, de 1984 à 1988, en 2000 et en 2002) et à l’Université d’Ottawa (de 1974 à 1981). Au procès, M. Drache avait la qualité de [traduction] « spécialiste des domaines de la fiscalité, de la planification fiscale et du traitement fiscal des organismes de bienfaisance et organismes sans but lucratif, avec spécialisation particulière dans l’emploi des fiducies comme instruments de planification fiscale. M. Drache justifie aussi d’une expertise particulière en sa qualité de professeur, d’auteur et de praticien en ces matières » (SE‑495).

 

Laurier Perreault

 


[606]       M. Perreault, actuaire et analyste financier agréé, a présenté un rapport d’expert (S‑511), un rapport en contre‑réfutation (SE‑512) ainsi qu’un rapport complémentaire actualisant ses résultats au 30 septembre 2002 (S‑513). Sa notice biographique nous apprend que son travail de consultant se rapporte à la gestion d’actifs et aux engagements des régimes de pensions, ainsi qu’à l’établissement de structures d’investissement, au suivi et à la sélection de gestionnaires financiers (SE‑510). Au procès, M. Perreault avait la qualité de [traduction] « actuaire spécialisé dans l’application des mathématiques, de la statistique, des probabilités et des théories du risque aux problèmes financiers, sans oublier une connaissance approfondie du développement de modèles permettant d’évaluer les conséquences financières d’événements futurs incertains. Il est également un analyste financier agréé exerçant les fonctions d’un conseiller en placements qui se spécialise dans la gestion d’investissements, la politique d’investissement, la répartition d’actifs, la sélection de gestionnaires financiers, le suivi de la performance d’investissements et la prévision de l’actif et du passif de fonds de pension, avec spécialisation particulière dans la gestion et l’analyse de fonds de pension et autres fonds importants du secteur public et du secteur privé » (SE‑509).

 

Laurence Booth

 

[607]       M. Booth est professeur de finances à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto. Il a présenté un rapport en réfutation (SE‑548) et un rapport en contre‑réfutation (SE‑549). Il a obtenu une maîtrise et un doctorat en administration des affaires à l’Université d’Indiana en 1976 et 1978 respectivement. Sa notice biographique nous apprend que son principal domaine d’enseignement porte sur le financement des entreprises, sur les plans interne et international (SE‑546). La recherche de M. Booth porte sur le coût du capital, le financement des entreprises selon une perspective empirique, enfin la théorie du marché des capitaux. Sa notice biographique renferme aussi une longue liste de publications. M. Booth avait au procès la qualité de [traduction] « professeur de finances, spécialisé dans les marchés financiers, la théorie du marché des capitaux et l’application de cette théorie, y compris les domaines suivants : gestion d’investissements, politique d’investissement, stratégie d’investissement, construction d’un portefeuille d’investissements et répartition d’actifs » (SE‑545).

 


Derek Malcolm

 

[608]       M. Malcolm, expert comptable, a présenté un rapport d’expert intitulé « Erreurs de calcul des intérêts ‑ Compte de capital du lac Pigeon » (SE‑625), ainsi qu’un rapport en contre‑réfutation intitulé « Compte de capital du lac Pigeon ‑ Point de vue comptable » (SE‑626). Sa notice biographique nous apprend que ses domaines d’intérêt portent exclusivement sur la juricomptabilité depuis 1994, et que, en 2000, il est devenu spécialiste désigné (SE‑623). Au procès, M. Malcolm avait la qualité de [traduction] « expert‑comptable qui est un spécialiste désigné de la juricomptabilité, avec une connaissance particulière des principes comptables généralement reconnus » (SE‑624).

 

2. Pour les défendeurs

Robert Bertram

 


[609]       M. Bertram, vice‑président exécutif du Conseil du régime de retraite des enseignantes et enseignants de l’Ontario, a présenté un rapport d’expert (C‑896), un rapport en réfutation (C‑897) et un rapport en contre‑réfutation (C‑898). Sa notice biographique nous apprend qu’il est un spécialiste de la gestion des investissements justifiant d’une expérience dans tous les aspects de la gestion des investissements des fonds de pension, et qu’il a été administrateur de diverses sociétés privées (C‑894). Pour l’heure, M. Bertram est chargé de tous les aspects du programme d’investissement du régime de retraite des enseignants de l’Ontario, lequel détient des actifs de l’ordre de 68 milliards de dollars. Au procès, M. Bertram avait la qualité de [traduction] « analyste financier agréé et spécialiste de la conception, de l’analyse et de la gestion de portefeuilles d’investissement. Il a une expérience considérable de divers types d’actifs. Sa spécialisation englobe la stratégie d’investissement, la politique d’investissement, l’évaluation des investissements et la gestion des risques, de même que la construction de portefeuilles d’investissement en fonction des flux de trésorerie escomptés » (C‑895).

 

Keith Ambachtsheer

 

[610]       M. Ambachtsheer, président du cabinet KPA Advisory Services Ltd., a présenté à la Cour un rapport d’expert (C‑910), un rapport en réfutation (C‑911) et un rapport en contre‑réfutation (C‑912). Sa notice biographique nous apprend qu’il a obtenu une maîtrise en économie à l’Université Western en 1967 (C‑905). Il est aussi cofondateur et associé du cabinet Cost Effectiveness Measurement. Au procès, il avait la qualité de [traduction] « spécialiste des domaines suivants se rapportant à des fonds de grande taille, notamment fonds de pension et dotations : dimensions structurelles et organisationnelles de l’investissement institutionnel; questions financières entourant la gestion de fonds; politique et stratégie d’investissement; [et] mesure des coûts de la performance et de la gestion d’investissements _ (C‑909).

 

Gordon King

 


[611]       M. King, un économiste, a présenté à la Cour un rapport d’expert (C‑987), un rapport en réfutation (C‑988) et un rapport en contre‑réfutation (C‑989). Sa notice biographique nous apprend qu’il a obtenu une maîtrise en économie de Cambridge en 1966 (C‑987; appendice A). De 1970 à 1980, il a occupé divers postes au Service des études monétaires et financières de la Banque du Canada. Après cela, il est passé au ministère des Finances, où il a été directeur de la Section des marchés de capitaux, puis directeur général de la Direction générale de la politique du secteur financier. De 1992 jusqu’à sa retraite en 1995, M. King fut conseiller et directeur de projet lors de l’examen entrepris par le ministère pour l’assurance‑dépôts. Au procès, M. King avait la qualité de [traduction] « économiste spécialisé dans les domaines suivants : gestion de la dette, et plus particulièrement gestion de la dette publique, et utilisation à cette fin de sources de financement à la fois externes et internes; politiques budgétaire et monétaire et opérations budgétaires du gouvernement; [et] institutions financières et marchés financiers » (C‑986).

 

Stewart Scalf

 

[612]       M. Scalf, expert‑comptable et expert en évaluation d’entreprises, a présenté à la Cour un rapport en réfutation des calculs effectués par M. T. Williams et M. Perreault (C‑998), ainsi qu’un sommaire de calculs financiers, qui modifiait certains des calculs figurant dans son rapport initial (C‑999). Sa notice biographique nous apprend qu’il s’occupe d’évaluations d’entreprises, de financement ainsi que de fusions et d’acquisitions, et qu’il rédige des rapports d’expert pour utilisation dans des procès (C‑994 et S‑995). Au procès, M. Scalf avait la qualité de [traduction] « expert‑comptable et expert en évaluation d’entreprises, avec spécialisation dans les domaines suivants : recouvrements, évaluations et analyses quantitatives et qualitatives de données financières, et application de modèles financiers à ces fins _ (C‑997).


 

John Williams

 

[613]       M. Williams, expert‑comptable et expert en évaluation d’entreprises, a présenté un rapport en réfutation intitulé « Rapport sur la comptabilité des fiducies et les normes de présentation de l’information » (C‑1008). Sa notice biographique expose en détail son expérience de la comptabilité et de la vérification, de la conduite d’enquêtes pour des entreprises privées et publiques, et pour divers niveaux de gouvernement, ainsi que de la gestion d’affaires contentieuses, dans lesquelles il a effectué des évaluations de préjudices économiques, des évaluations d’entreprises et des évaluations de sinistres (C‑1003). Au procès, M. Williams avait la qualité de [traduction] « expert‑comptable qui est un spécialiste désigné de la juricomptabilité, et expert en évaluation d’entreprises, justifiant d’une connaissance des normes comptables et de la juricomptabilité, en particulier des principes comptables généralement reconnus _ (C‑1004).

 

ii.  Témoins ordinaires

1. Pour les demandeurs

Clifford Potts

 

[614]       M. Potts est membre de la nation crie de Samson. Il a travaillé comme administrateur de la bande d’octobre 1985 à mai 1991. Il a été élu conseiller de la bande durant deux mandats, de 1991 à 1996. Depuis cette époque, et en tout cas jusqu’à la date de son témoignage en octobre 2003, il travaille en sous‑traitance pour la nation crie de Samson comme coordonnateur para‑juridique.


 

Robert Roddick, c.r.

 

[615]       M. Roddick est un avocat exerçant le droit en Alberta, où il est membre du Barreau depuis 1968. M. Roddick a été conseiller juridique de la nation crie de Samson durant la décennie 1970 et partie de la décennie 1980. Il est ensuite devenu le premier président de la Société fiduciaire de Peace Hills, après sa création en novembre 1980.

 

Owen Jackson

 

[616]       M. Jackson, un expert‑comptable, vérifie les comptes de l’organisation des Quatre Nations et ceux de la nation crie de Samson depuis 1988 et 1993 respectivement.

 

2. Pour les défendeurs

Dennis Wallace

 


[617]       M. Wallace s’est joint au MAINC en 1975. En 1978, il était gestionnaire de district à Kenora, en Ontario. En 1981, il a travaillé durant un an au projet d’amélioration de la gestion du ministère. Il s’est ensuite installé à Toronto, où il est devenu directeur des Opérations, poste qu’il a occupé durant quatre ans. De 1985 à 1988, il a été directeur général au sein du ministère, à Edmonton. Au cours des dix années suivantes, M. Wallace a poursuivi sa carrière au sein de la fonction publique fédérale, mais il travaillait en dehors du MAINC. En 1998, il est revenu au MAINC en tant que sous‑ministre associé à Ottawa, où il est resté jusqu’en septembre 2001. M. Wallace a mis fin à sa carrière de fonctionnaire en 2003.

 

Donald Goodwin

 

[618]       M. Goodwin a occupé divers postes au sein de l’administration fédérale depuis 1967, jusqu’à sa retraite en 1992, et il a travaillé pour le MAINC de 1980 à 1992 (C‑830). Il a été sous‑ministre adjoint, Affaires indiennes et inuits, de 1980 à 1985. Au cours des six années suivantes, il a été sous‑ministre adjoint, Terres, Revenu et Fiducies. Durant sa dernière année, M. Goodwin a travaillé comme conseiller spécial du sous‑ministre pour des solutions de remplacement à la Loi sur les Indiens.

 

C.        Contexte

 

[619]       Comme je l’ai dit précédemment dans les présents motifs, une cession de minéraux fut signée au nom des demandeurs le 30 mai 1946. Elle est ainsi rédigée :

 

[traduction]


PAR LES PRÉSENTES, SACHEZ QUE NOUS, le chef soussigné et les conseillers soussignés de la bande indienne de Samson, qui habitons notre réserve 137 et 138A, dans la province de l’Alberta, et le Dominion du Canada, et qui agissons au nom du peuple tout entier de ladite bande, en conseil assemblés, cédons, aliénons, abandonnons, transférons et livrons à notre Souverain le Roi, et à ses successeurs, à jamais, TOUTES les terres censées receler du sel, du pétrole, du gaz naturel, du charbon, de l’or, de l’argent, du cuivre, du fer et autres minéraux, sous la surface de la zone comprise à l’intérieur des frontières de la réserve de Samson n° 137... ainsi que le bois sur pied contenu à l’intérieur des frontières de toute concession minière établie ou donnée à bail conformément au Règlement, selon que cela sera nécessaire pour le développement et la bonne exploitation de tels gisements miniers, sous réserve du paiement des droits de coupe s’y appliquant; il est entendu toutefois que le titulaire enregistré d’une concession minière pourra, sans devoir payer de droits, couper, écimer ou abattre des arbres croissant sur la concession minière, et dont l’enlèvement est nécessaire pour la bonne exploitation de la concession.

 

POUR par Sa Majesté le Roi et ses successeurs avoir et posséder ladite étendue de pays, à toujours, en fiducie pour que soit concédé, à l’égard de telle étendue, le droit de prospecter, d’extraire, de recouvrer et d’enlever les minéraux qui s’y trouvent, aux personnes et selon les conditions que le gouvernement de la Puissance du Canada pourra juger les mieux à même de contribuer à notre bien‑être et à celui de notre peuple; et à la condition complémentaire que les sommes reçues du produit des permis, soit 10 ¢ l’acre, soient payées immédiatement selon une distribution individuelle.

 

ET NOUS, ledit chef et lesdits conseillers de ladite bande indienne de Samson, au nom de notre peuple et en notre nom, ratifions et confirmons, et promettons de ratifier et de confirmer, tout ce que ledit gouvernement pourra faire, ou faire faire légalement, pour la gestion et l’exploitation de ladite terre, et pour l’aliénation et la vente des minéraux qui s’y trouvent.

 

(S‑343 et S‑344, paragraphe 43)

 

 

[620]       La Couronne a utilisé une formule imprimée type comme document de cession. À la seconde page de la cession, un paragraphe a été rayé et paraphé dans la marge de gauche par l’agent des Indiens de Hobbema, W.P.B. Pugh, puis remplacé par ce qui suit :

 

[traduction] et à la condition supplémentaire que les sommes reçues du produit des permis, soit 10 ¢ l’acre, soient payées immédiatement selon une distribution individuelle.

 

 

[621]       La portion qui était rayée était ainsi formulée :

 

[traduction] et à la condition supplémentaire que toutes les sommes reçues et auxquelles nous sommes fondés en droit et conformément à la cession, soient placées pour notre compte et que des intérêts sur ces sommes nous soient payés de la manière habituelle.

 


 

[622]       Par le décret C.P. 2662‑1946, en date du 28 juin 1946, la Couronne acceptait la cession de telle sorte que les intérêts miniers et les droits miniers correspondants pouvaient être donnés à bail pour l’avantage des nations de Samson, d’Ermineskin, de Montana et de Louis Bull (S‑343 et S‑344, paragraphe 46; voir aussi SEC‑427, classeur 3, onglet 5, document 80).

 

 

[623]       En 1952, des quantités marchandes de réserves pétrolières et gazières furent découvertes sous la surface de la réserve du lac Pigeon – gisement appelé bassin Bonnie Glen D3A – et la production débuta la même année (S‑343 et S‑344, paragraphes 51 et 54; S‑52, page 3).

 

 

[624]       La Couronne rédigea et conclut des baux avec des compagnies pétrolières et gazières pour les droits de prospection et d’extraction. Depuis cette époque, d’importantes redevances ont été payées à la Couronne pour le compte de Samson (S‑343 et S‑344, paragraphes 47‑48 et 57).

 

 

[625]       La Couronne considère les redevances de Samson comme des « fonds publics » conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11 et, dès leur réception par le receveur général, elles sont déposées au Trésor (S‑343 et S‑344, paragraphe 65).

 

 

[626]       La Couronne conserve des comptes publics, qui sont publiés chaque année dans une série de volumes appelés « Comptes publics du Canada ». Ils renferment les états financiers vérifiés du gouvernement fédéral. À l’intérieur de ces comptes, et aux fins de ses états financiers annuels, la Couronne conserve des « comptes à fins déterminées », sur lesquels elle présente des rapports. Les comptes à fins déterminées sont le compte du Régime de pensions du Canada, le compte de pensions de retraite de la fonction publique fédérale (CPRFP) et les comptes en fiducie (S‑343 et S‑344, paragraphes 66‑68).

 

 

[627]       La Couronne considère comme « sommes d’argent du compte de capital » les recettes tirées des ressources non renouvelables des réserves indiennes, et comme « sommes d’argent du compte de revenu » les recettes tirées des ressources renouvelables. La Couronne considère comme une ressource non renouvelable la production pétrolière et gazière des réserves indiennes (S‑343 et S‑344, paragraphes 71‑73).

 

 

[628]       La Couronne désigne les redevances des demandeurs par la mention « Fonds des bandes indiennes – Comptes de capital », et elle désigne les intérêts qu’elle paie sur les comptes de capital et de revenu par la mention « Fonds des bandes indiennes – Comptes de revenu » (S‑343 et S‑344, paragraphe 74).

 

 

[629]       La Couronne inscrit au passif, dans les comptes publics du Canada, les comptes de capital et de revenu. Elle considère le solde de ces comptes comme un passif dans les comptes à fins déterminées, et il n’y a pas d’actif correspondant. La Couronne considère les intérêts qu’elle inscrit au crédit des comptes de capital et de revenu comme des intérêts sur la dette publique (S‑343 et S‑344, paragraphes 83 et 84).

 

 

[630]       Le système employé par la Couronne pour calculer les intérêts payés sur les comptes de capital et de revenu peut être résumé ainsi :

 

[traduction]

a) De la Confédération au 31 décembre 1882, le taux d’intérêt annuel était fixé à 5 p. 100.

 

b) Du 1er janvier 1883 au 30 juin 1892, le taux d’intérêt annuel était fixé à 4 p. 100.

 

c) Du 1er juillet 1892 au 31 décembre 1897, le taux d’intérêt annuel était fixé à 3,5 p. 100.

 

d) Du 1er janvier 1898 au 31 mars 1917, le taux d’intérêt annuel était fixé à 3 p. 100.

 

e) Du 1er avril 1917 au 31 mars 1969, le taux d’intérêt annuel était fixé à 5 p. 100.

 

f) Depuis le 1er avril 1969, le taux d’intérêt est fixé en fonction des rendements moyens des obligations du gouvernement du Canada à échéance d’au moins 10 ans. Cette méthode est employée dans le décret de 1969 (C.P. 1969‑1934) et dans le décret de 1981 (C.P. 1981‑3/255).

 

g) Dans le décret de 1969, le taux d’intérêt annuel était fixé en fonction de la moyenne mensuelle des rendements des obligations du gouvernement du Canada. Dans le décret de 1981, il devait l’être en fonction de la moyenne trimestrielle de tels rendements.

 

h) De 1969 à 1980, les méthodes de calcul des intérêts ont varié. Durant la période allant du 1er avril 1969 au 31 mars 1974, les intérêts étaient calculés et imputés par la Couronne d’après le solde d’ouverture des comptes de Samson au 1er avril de chaque année.

 


i) Du 1er avril 1974 au 31 mars 1980, les intérêts étaient imputés à l’avance, au début de chaque exercice, puis rajustés à la fin de chaque exercice. On procédait au rajustement en comparant l’avance aux intérêts « courus » durant l’exercice. Les intérêts imputés à l’avance étaient calculés sur le solde au 1er avril, à l’aide d’un taux d’intérêt « préétabli ». Les intérêts « courus » étaient calculés comme suit. On établissait la moyenne annuelle des soldes de fin de mois, d’où l’on déduisait alors l’« avance » d’intérêts. Le taux d’intérêt annuel effectif moyen était alors appliqué, et cela donnait les intérêts « courus » pour l’année. L’« avance » d’intérêts était alors déduite des intérêts « courus » pour l’année et l’on arrivait au rajustement final d’intérêts, lequel était consigné à la fin de l’exercice. Ce rajustement pouvait être positif ou négatif.

 

j) Depuis le 1er avril 1980, les intérêts sont calculés sur la moyenne trimestrielle des soldes de fins de mois, puis imputés chaque semestre.

 

k) Dans le décret de 1981, il a été mis fin à la pratique consistant à imputer les intérêts à l’avance.

 

(S‑343 et S‑344, paragraphe 85)

 

 

[631]       Le premier des décrets susmentionnés, le décret C.P. 1969‑1934, a pris effet le 1er avril 1969. Son appendice renferme ce qui suit :

 

[traduction] Des intérêts seront payés sur les fonds des bandes indiennes détenus au Trésor qui représentent les rentes capitalisées à la date de la Confédération et le produit de la vente d’actifs indiens depuis cette date, conformément au paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, selon un taux égal à la moyenne mensuelle des rendements des obligations du gouvernement du Canada, publiés chaque mercredi dans le rapport statistique hebdomadaire de la Banque du Canada, qui présentent des échéances d’au moins 10 ans, et le taux à retenir pour calculer et imputer les intérêts sur le solde d’ouverture au 1er avril de chaque année conformément à la délibération n° 678135 du Conseil du Trésor en date du 29 mars 1968 sera la moyenne mensuelle du mois précédent, outre un rajustement qui tiendra compte de la mesure dans laquelle les taux auront varié au cours de l’année antérieure par rapport au taux établi au début de cette année‑là.

 

(SEC‑427, classeur 7, onglet 36, document 286)

 

 

[632]       Le deuxième décret, le décret C.P. 1981‑3/255, qui porte la date du 29 janvier 1981, prévoit ce qui suit :

 

Sur avis conforme du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et du Conseil du Trésor, et en vertu du paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, il plaît à son Excellence le Gouverneur général en conseil d’abroger le décret C.P. 1969‑1934 du 8 octobre 1969 et de fixer, à compter du 1er avril 1980, le taux des intérêts alloués sur les deniers des revenus et du capital des fonds des bandes indiennes détenus au Fonds de revenu consolidé, à un chiffre égal à la moyenne trimestrielle des rendements du marché des bons du gouvernement du Canada, publiés chaque mercredi dans le rapport statistique hebdomadaire de la Banque du Canada, qui viennent à échéance à dix ans et plus.

 

(SEC‑427, classeur 18, onglet 3, document 602)

 

 

D. La demande de transfert

 

[633]       Le redressement sollicité par les demandeurs comporte notamment ce qui suit, d’après leur déclaration modifiée (n° 4) :

 

[traduction]

2. Un jugement déclarant que la défenderesse, Sa Majesté, est en situation de conflit d’intérêts, qu’elle a illégalement tiré avantage des sommes qui lui avaient été confiées et qu’elle est sur‑le‑champ destituée de sa charge de fiduciaire des sommes appartenant aux demandeurs.

 

6. Un jugement déclarant que les sommes en fiducie confiées aux défendeurs pour la bande demanderesse doivent être transférées sans délai sous la propriété, la gestion et le contrôle de la bande demanderesse.

 

7. Une injonction obligeant les ministres défendeurs à payer et à transférer immédiatement à la bande demanderesse lesdites sommes en fiducie d’un montant d’environ 400 millions de dollars.

 

8. Subsidiairement, la nomination de la Peace Hills Trust Company à titre de fiduciaire des sommes appartenant aux demandeurs et actuellement confiées à Sa Majesté.

 


 

[634]       Dans une ordonnance datée du 27 janvier 2005 ([2005] A.C.F. n° 156, 2005 CF 136), j’écrivais ce qui suit :

 

1. La nation crie de Samson signe une convention de fiducie contenant des dispositions satisfaisantes pour la Cour, conformément aux motifs accompagnant la présente ordonnance.

 

2. La nation crie de Samson exonère la Couronne de toute responsabilité future concernant les deniers (actuels ou futurs) versés aux comptes de capital ou pour leur dépôt en garde, leur gestion, la conservation du capital et le taux de rendement, une fois que les fonds sont transférés à la fiducie convenue, une telle exonération étant applicable et demeurant valide sans égard au fait que des articles de la Loi sur les Indiens soient subséquemment déclarés inconstitutionnels.

 

3. La nation crie de Samson tient un référendum sur le transfert et l’exonération de responsabilité parmi les membres de la bande admissibles à voter, en utilisant une procédure satisfaisante pour la Cour et conformément aux conditions exposées dans les motifs accompagnant la présente ordonnance, une majorité régulière de 50 p. cent plus un des votants constituant un résultat obligatoire.

 

4. Le chef et le conseil de la nation crie de Samson présentent au ministre des Affaires indiennes et du Nord une résolution du conseil de bande contenant tous les éléments qui précèdent et demandant le transfert des deniers versés aux comptes de capital, à l’exception d’une somme de 3 millions de dollars qui devra être retenue afin de résoudre toute question non réglée.

 

5. Sur réception par le ministre de cette résolution du conseil de bande, et vu l’indication selon laquelle le ministre a, par l’intermédiaire de ses avocats, confirmé à la Cour et à Samson qu’il autorisera le transfert des deniers actuels versés aux comptes de capital en fonction de la présente ordonnance, la Cour déclare que le transfert, et les transferts de deniers futurs versés aux comptes de capital, sont au profit de la nation crie de Samson et que le ministre des Affaires indiennes et du Nord possède le pouvoir d’autoriser de tels transferts, conformément à l’alinéa 64(1)k) de la Loi sur les Indiens. La Cour déclare également qu’il est de toute façon opportun et indiqué que le ministre effectue ce transfert, et les transferts futurs des nouveaux deniers reçus et versés aux comptes de capital, même si cet alinéa ou d’autres dispositions de la Loi sur les Indiens sont subséquemment déclarés inconstitutionnels.

 

6. Les futurs deniers versés aux comptes de capital de la Couronne au profit de Samson seront transférés à la fiducie, conformément aux arrangements qui seront convenus entre Samson et la Couronne ou, à défaut d’une telle entente, qui seront déterminés par la Cour.

 

 

 

[635]       Qu’il suffise de dire que, lorsque j’ai rendu cette ordonnance, j’étais – et demeure – d’avis que la nation crie de Samson a la capacité de gérer et contrôler adéquatement son compte de capital. Dans l’ordonnance, la Cour ne se prononçait pas sur les contestations constitutionnelles élevées par Samson à l’encontre des dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’argent des Indiens, ni sur leurs droits inhérents ou sur leurs droits issus de traités. Le paragraphe 10 des motifs est ainsi rédigé :

 

Je souligne qu’en exposant ces conditions pour le transfert, la Cour ne se prononce d’aucune façon sur les contestations et les arguments d’ordre constitutionnel de Samson concernant la Loi sur les Indiens, ses droits inhérents ou ses droits issus de traités. Cela sera abordé dans le jugement final de la Cour concernant les première et deuxième phases du présent procès.

 

 

 

[636]       Cela reste vrai et, dans les motifs qui suivent, j’examine les contestations constitutionnelles des demandeurs Samson ainsi que les droits ancestraux, inhérents ou issus de traités, qu’ils revendiquent.

 

[637]        

 

E. Cadre législatif

 

[638]       J’exposerai maintenant les diverses dispositions de la Loi sur les Indiens, de la Loi sur la gestion des finances publiques et de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, ainsi que les décrets se rapportant au régime de l’argent des Indiens.

 

 

[639]       Les articles 61 à 69 de la Loi sur les Indiens sont groupés sous la rubrique « Administration de l’argent des Indiens ». Dans le paragraphe 2(1) de la Loi, l’expression « argent des Indiens » est ainsi définie : « les sommes d’argent perçues, reçues ou détenues par Sa Majesté à l’usage et au profit des Indiens ou des bandes ». L’article 61 prévoit ce qui suit :

 

61. (1) L’argent des Indiens est détenu pour usage et profit – L’argent des Indiens ne peut être dépensé qu’au bénéfice des Indiens ou des bandes à l’usage et au profit communs desquels il est reçu ou détenu, et, sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des clauses de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si les fins auxquelles l’argent des Indiens est employé ou doit l’être, est à l’usage et au profit de la bande.

 

(2) Intérêts – Les intérêts sur l’argent des Indiens détenu au Trésor sont alloués au taux que fixe le gouverneur en conseil.

 

 

 

[640]       L’article 62 répartit l’argent des Indiens en capital et en revenu :

 

62. Capital et revenu – L’argent des Indiens qui provient de la vente de terres cédées ou de biens de capital d’une bande est réputé appartenir au compte en capital de la bande; les autres sommes d’argent des Indiens sont réputées appartenir au compte de revenu de la bande.

 

 


 

[641]       L’article 64 régit les dépenses de sommes d’argent au compte en capital :

 

64. (1) Dépense de sommes d’argent au compte en capital avec consentement – Avec le consentement du conseil d’une bande, le ministre peut autoriser et prescrire la dépense de sommes d’argent au compte en capital de la bande :

 

a) pour distribuer per capita aux membres de la bande un montant maximal de cinquante pour cent des sommes d’argent au compte en capital de la bande, provenant de la vente de terres cédées;

 

b) pour construire et entretenir des routes, ponts, fossés et cours d’eau dans des réserves ou sur des terres cédées;

 

c) pour construire et entretenir des clôtures de délimitation extérieure sur les réserves;

 

d) pour acheter des terrains que la bande emploiera comme réserve ou comme addition à une réserve;

 

e) pour acheter pour la bande les droits d’un membre de la bande sur des terrains sur une réserve;

 

f) pour acheter des animaux, des instruments ou de l’outillage de ferme ou des machines pour la bande;

 

g) pour établir et entretenir dans une réserve ou à l’égard d’une réserve les améliorations ou ouvrages permanents qui, de l’avis du ministre, seront d’une valeur permanente pour la bande ou constitueront un placement en capital;

 

h) pour consentir aux membres de la bande, en vue de favoriser son bien‑être, des prêts n’excédant pas la moitié de la valeur globale des éléments suivants :

 

(i) les biens meubles appartenant à l’emprunteur,

(ii) la terre concernant laquelle il détient ou a le droit de recevoir un certificat de possession,

 

et percevoir des intérêts et recevoir des gages à cet égard;

 

i) pour subvenir aux frais nécessairement accessoires à la gestion de terres situées sur une réserve, de terres cédées et de tout bien appartenant à la bande;

 

j) pour construire des maisons destinées aux membres de la bande, pour consentir des prêts aux membres de la bande aux fins de construction, avec ou sans garantie, et pour prévoir la garantie des prêts consentis aux membres de la bande en vue de la construction;

 


k) pour toute autre fin qui, d’après le ministre, est à l’avantage de la bande.

 

 

 

[642]       Les articles 66 et 69 se rapportent aux dépenses de sommes d’argent du compte de revenu :

 

66. (1) Dépense de sommes d’argent du compte de revenu avec le consentement de la bande – Avec le consentement du conseil d’une bande, le ministre peut autoriser et ordonner la dépense de sommes d’argent du compte de revenu à toute fin qui, d’après lui, favorisera le progrès général et le bien‑être de la bande ou d’un de ses membres.

 

69. (1) Administration des sommes d’argent du compte de revenu par la bande – Le gouverneur en conseil peut, par décret, permettre à une bande de contrôler, administrer et dépenser la totalité ou une partie de l’argent de son compte de revenu; il peut aussi modifier ou révoquer un tel décret.

 

(2) Règlements – Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements pour donner effet au paragraphe (1) et y déclarer dans quelle mesure la présente loi et la Loi sur la gestion des finances publiques ne s’appliquent pas à une bande visée par un décret pris sous le régime du paragraphe (1).

 

 

 

[643]       Aucun article semblable à l’article 69 n’autorise une bande à contrôler, administrer et dépenser l’argent de son compte en capital.

 

 

[644]       La Loi sur la gestion des finances publiques définit ainsi, en son article 2, l’expression « fonds publics » :

 

« fonds publics » : Fonds appartenant au Canada, perçus ou reçus par le receveur général ou un autre fonctionnaire public agissant en sa qualité officielle ou toute autre personne autorisée à en percevoir ou recevoir. La présente définition vise notamment :

 


d) les fonds perçus ou reçus par un fonctionnaire public sous le régime d’un traité, d’une loi, d’une fiducie, d’un contrat ou d’un engagement et affectés à une fin particulière précisée dans l’acte en question ou conformément à celui‑ci.

 

 

 

[645]       L’article 17 de cette même Loi prévoit que les fonds publics sont déposés au crédit du receveur général. L’article 2 définit ainsi le Trésor : « le total des fonds publics en dépôt au crédit du receveur général ». Ainsi, si l’argent des Indiens est considéré comme partie des fonds publics – ce point sera débattu plus tard – il doit être déposé au Trésor et par la suite produire des intérêts conformément au paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens.

 

 

[646]       S’agissant de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, L.R.C. 1985, ch. I‑7, la disposition importante, en ce qui nous concerne, est le paragraphe 4(1), qui régit les redevances :

4. (1) Nonobstant les modalités d’une concession, d’un bail, d’un permis, d’une licence ou d’un autre acte d’aliénation, les dispositions d’un règlement sur le pétrole ou sur le gaz ou les modalités d’un accord sur les redevances applicables au pétrole ou au gaz, qu’ils soient ou non survenus avant le 20 décembre 1974, mais sous réserve du paragraphe (2), le pétrole et le gaz tirés des terres indiennes après le 22 avril 1977 sont assujettis au paiement à Sa Majesté du chef du Canada, en fiducie pour les bandes indiennes concernées, des redevances réglementaires.

 

 


[647]       La Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes fut sanctionnée le 20 décembre 1974. Auparavant, la production pétrolière et gazière des terres indiennes était régie par des règlements pris en vertu de la Loi sur les Indiens, règlements qui étaient semblables aux règlements de l’Alberta concernant la prospection, le forage et la production. Les règlements prévoyaient un faible taux de redevances et des baux à long terme d’une durée allant de 10 à 21 ans. La crise pétrolière de 1973 révéla les limites d’un tel régime et la nécessité d’une nouvelle loi (S‑621, onglet 15; Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, Deuxième lecture au Sénat, 4 décembre 1974, page 337).

 

 

[648]       Le paragraphe 61(2), comme on l’a vu, prévoit que le gouverneur en conseil fixe le taux d’intérêt à payer sur l’argent des Indiens détenu au Trésor. Depuis la date de la Cession de 1946 jusqu’au 31 mars 1969, le taux d’intérêt était fixé à 5 p. 100. Depuis 1969, la Couronne paie les intérêts conformément à une formule établie dans deux décrets, pris en 1969 et 1981. Le premier de ces décrets, le décret C.P. 1969‑1934, a pris effet le 1er avril 1969; son appendice est ainsi formulé :

 

[traduction] Des intérêts seront payés sur les fonds des bandes indiennes détenus au Trésor qui représentent les rentes capitalisées à la date de la Confédération et le produit de la vente d’actifs indiens depuis cette date, conformément au paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, selon un taux égal à la moyenne mensuelle des rendements des obligations du gouvernement du Canada, publiés chaque mercredi dans le rapport statistique hebdomadaire de la Banque du Canada, qui présentent des échéances d’au moins 10 ans, et le taux à retenir pour calculer et imputer les intérêts sur le solde d’ouverture au 1er avril de chaque année conformément à la délibération n° 678135 du Conseil du Trésor en date du 29 mars 1968 sera la moyenne mensuelle du mois précédent, outre un rajustement qui tiendra compte de la mesure dans laquelle les taux auront varié au cours de l’année antérieure par rapport au taux établi au début de cette année‑là.

 

(SEC‑427, classeur 7, onglet 36, document 286)

 

 

[649]       Le second décret, le décret C.P. 1981‑3/255, a été pris en janvier 1981. Il prévoit ce qui suit :

 


Sur avis conforme du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et du Conseil du Trésor, et en vertu du paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, il plaît à son Excellence le Gouverneur général en conseil d’abroger le décret C.P. 1969‑1934 du 8 octobre 1969 et de fixer, à compter du 1er avril 1980, le taux des intérêts alloués sur les deniers des revenus et du capital des fonds des bandes indiennes détenus au Fonds de revenu consolidé, à un chiffre égal à la moyenne trimestrielle des rendements du marché des bons du gouvernement du Canada, publiés chaque mercredi dans le rapport statistique hebdomadaire de la Banque du Canada, qui viennent à échéance à dix ans et plus.

 

(SEC‑427, classeur 18, onglet 3, document 602)

 

 

[650]       Les décrets de 1969 et 1981 sont très semblables; ils se différencient par la manière dont les intérêts sont calculés. En 1969, on employait les moyennes mensuelles des rendements de certaines obligations du gouvernement du Canada, tandis que, en 1981, on employait les moyennes trimestrielles. Le taux d’intérêt est un taux à court terme, c’est‑à‑dire qu’il varie et qu’il est sujet à modification – en 1981 – tous les 90 jours, mais le taux est néanmoins fondé sur le rendement des obligations à long terme.

 

 

[651]       La Couronne considère tous les comptes des bandes indiennes de la même manière, c’est‑à‑dire qu’ils sont tous, quels que soient leurs soldes, soumis à la même méthode de calcul des taux d’intérêt.

 

 


[652]       Avant de poursuivre, je crois utile de passer brièvement en revue l’historique du régime de l’argent des Indiens tel qu’il apparaît dans la Loi sur les Indiens. Dans une lettre adressée au sous‑ministre des Finances en date du 28 août 1969, le sous‑ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, J.A. MacDonald, donne un aperçu général des taux d’intérêt payés par le passé sur l’argent des Indiens. La lettre, qui préconise une augmentation du taux d’intérêt payé sur l’argent des Indiens, renferme notamment ce qui suit :

[traduction]

Le fonds a débuté avec la colonisation du Haut‑Canada et la cession, à des fins de vente, de terres indiennes sises dans cette province. Les deniers furent d’abord détenus par le receveur général, pour investissement dans des titres d’entreprises, des obligations municipales, etc. Durant l’année 1859, par décret daté du 25 août, le gouvernement prit en charge ces investissements, lesquels à l’époque produisaient un rendement uniforme de 6 p. 100.

 

Par décret daté du 24 septembre 1861, le taux de 6 p. 100 était garanti sur la portion du fonds déjà investie, et le taux de 5 p. 100 sur les nouveaux crédits. Le paiement d’intérêts au taux de 5 p. 100 s’est poursuivi jusqu’en 1883, année où il fut ramené à 4 p. 100. Il n’y a eu aucune réduction semblable pour la portion sur laquelle était payé le taux de 6 p. 100, et aucune réduction n’a été apportée non plus au taux payé sur les rentes capitalisées se chiffrant à 620 400,10 $.

 

En 1892, le taux de 4 p. 100 fut ramené à 3,5 p. 100 et, en 1898, de nouveau ramené à 3 p. 100. Ces réductions s’expliquaient par la chute constante de la valeur de l’argent, et par les diminutions qui en résultaient périodiquement pour le taux d’intérêt payé aux déposants sur les comptes d’épargne des banques. Au 1er avril 1917, toutefois, en raison d’une progression générale du taux d’intérêt au Canada, le taux payé fut augmenté pour passer à 5 p. 100, et ce taux est encore en vigueur aujourd’hui.

 

(S‑820)

 

 

[653]       S’agissant du décret du 25 août 1859, un document signé par John A. Macdonald le même jour atteste l’inquiétude du gouvernement à l’égard du système, lequel à l’époque concernait des investissements effectifs. La lettre de Macdonald renferme notamment ce qui suit :

 

[traduction]


En ce qui concerne les Indiens, dont le gouvernement s’est constitué le tuteur, il semblerait souhaitable de garantir les fonds afin de faire obstacle à la possibilité de tout défaut dans le paiement des sommes annuelles requises pour les Indiens, car un tel défaut serait certainement imputé à un abus de confiance de la part du gouvernement et ne pourrait pas être expliqué à la satisfaction des tribus. Le maintien en place de l’actuel système d’investissements pourrait aussi avoir pour résultat qu’une tribu constatera le paiement régulier de ses intérêts annuels, tandis que d’autres éprouveront une déconvenue. Si un tel événement devait survenir, le Parlement jugerait probablement nécessaire de compenser les pertes de la fiducie, et il serait donc plus prudent de transférer au Fonds consolidé les sommes portées au crédit de la fiducie, et d’imputer les intérêts annuels au débit du Fonds consolidé selon l’échelle qui pourra sembler adéquate au législateur.

 

Les encaissements futurs reçus au nom des Indiens pourraient être conservés à leur crédit auprès du receveur général – la fiducie recevant un intérêt de six pour cent sur tels encaissements, jusqu’à ce que le législateur se prononce sur la question générale.

 

(SEC‑427, classeur 1, onglet 20, document 20, pages 1‑2)

 

 

[654]       D’où la pratique, encore suivie aujourd’hui, consistant à déposer l’argent des Indiens au Trésor et à lui appliquer un taux d’intérêt, plutôt qu’à l’employer à l’achat de titres négociables. Toutefois, à une époque, la Loi donnait à la Couronne le pouvoir d’acheter des investissements effectifs avec l’argent des Indiens. La Loi sur les Indiens, L.R.C. 1927, ch. 98, prévoyait ce qui suit :

 

92. À l’exception de la somme, n’excédant pas cinquante pour cent du produit d’une terre, de bois de construction ou d’autres biens qu’il est convenu, lors de la rétrocession, de verser aux membres de la bande y intéressée, le gouverneur en son conseil peut, sous réserve des dispositions de la présente Partie, prescrire comment, de quelle manière et par qui les deniers provenant de l’aliénation ou de la vente de terres indiennes, ou de biens tenus ou à tenir en fiducie pour les Indiens, ou de bois de construction sur les terres ou dans les réserves indiennes, ou provenant de toute autre source au bénéfice des Indiens, doivent être placés à toute époque, et il peut prescrire le mode de versement ou de secours auxquels les Indiens ont droit.

 

 

 

[655]       Cette disposition conférant le pouvoir légal d’investir l’argent des Indiens fut abrogée avec l’adoption de la Loi de 1951, la Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29. Cette Loi, en ce qui concerne le régime de l’argent des Indiens, est demeurée essentiellement la même depuis 1951.

 

F. Obligations et devoirs de la Couronne

 

[656]       La Couronne admet qu’elle détient l’argent des Indiens à titre de fiduciaire (Conclusions écrites de la Couronne, Phase relative à l’administration de l’argent des Indiens, volume 1, onglet 2, page 1). Toutefois, la Couronne fait valoir que la loi précise ses obligations et ses devoirs, et elle prétend que, en tout état de cause, sa conduite ne devrait pas être jugée selon la norme applicable à un fiduciaire au sens du droit privé.

 

 


[657]       Les demandeurs disent que la Couronne est bien un fiduciaire au sens strict et ils invitent la Cour à rendre la Couronne responsable de ses manquements dans la gestion active de leur patrimoine, comme si elle avait été un fiduciaire au sens du droit privé. Selon les demandeurs, ces manquements ont fait que leur patrimoine a produit un rendement inférieur à la norme. Les demandeurs disent que, subsidiairement, si la Couronne n’était pas autorisée à investir effectivement leur argent, alors le taux de rendement aurait dû pouvoir se comparer à celui qu’auraient pu produire des investissements sur le marché. Les demandeurs disent que la Couronne aurait pu s’y prendre en rattachant la formule du taux d’intérêt à un portefeuille de référence ou à des indices boursiers de divers types. Nombre de témoignages d’expert ont été présentés à la Cour sur les genres d’investissements effectifs ou fictifs que, selon les demandeurs, la Couronne aurait dû effectuer avec leur argent.

 

 

[658]       J’admets que la Couronne est un fiduciaire en ce qui concerne l’argent des Indiens qui est en cause dans la présente action, et que cet argent représente des sommes en fiducie. Même si la Couronne n’avait pas admis l’évidence, j’aurais de toute façon conclu à son statut de fiduciaire.

 

 

[659]       La Loi sur les Indiens définit ainsi l’expression « argent des Indiens », en son paragraphe 2(1) :

 

« argent des Indiens » Les sommes d’argent perçues, reçues ou détenues par Sa Majesté à l’usage et au profit des Indiens ou des bandes.

 

 

[660]       La Loi sur la gestion des finances publiques définit ainsi l’expression « fonds publics », en son article 2 :

 

« fonds publics » Fonds appartenant au Canada, perçus ou reçus par le receveur général ou un autre fonctionnaire public agissant en sa qualité officielle ou toute autre personne autorisée à en percevoir ou recevoir. La présente définition vise notamment :

 

a) les recettes de l’État;

 

b) les emprunts effectués par le Canada ou les produits de l’émission ou de la vente de titres;

 


c) les fonds perçus ou reçus pour le compte du Canada ou en son nom;

 

d) les fonds perçus ou reçus par un fonctionnaire public sous le régime d’un traité, d’une loi, d’une fiducie, d’un contrat ou d’un engagement et affectés à une fin particulière précisée dans l’acte en question ou conformément à celui‑ci.

 

 

 

[661]       À première vue, la définition de « fonds publics » semble exclure l’argent des Indiens, en raison des mots « appartenant au Canada ». On ne saurait soutenir que l’argent des Indiens qui est en cause ici appartient à la Couronne. La Couronne n’a manifestement aucun intérêt à titre bénéficiaire dans cet argent. Toutefois, l’emploi du mot « notamment » a pour effet d’élargir le champ de la définition.

 

 

[662]       Sur ce point encore, je prends note de la décision Callie c. Canada, [1991] 2 C.F. 379, qui concernait un recours collectif en dommages‑intérêts pour manquement de la Couronne à ses obligations fiduciaires dans sa gestion de pensions de retraite d’anciens combattants, de 1946 à 1986. Le ministère des Affaires des anciens combattants avait déposé les sommes au crédit du receveur général. Le demandeur faisait valoir que les pensions de retraite n’étaient pas des fonds publics au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques et qu’elles n’étaient donc pas soumises à cette Loi. Examinant la portée de la définition de « fonds publics », le juge Joyal a estimé qu’une interprétation libérale de cette disposition s’imposait, étant donné la présence du mot « notamment » ou « comprend ». Ce mot élargit la portée des mots qui le précèdent. Je souscris aux propos qu’il tient, à la page 397, et je les fais miens :


Ainsi qu’on l’a souligné dans l’arrêt Nova, précité, on emploie l’expression « comprend » dans une définition afin d’élargir ou d’étendre le sens ordinaire du terme que l’on définit. C’est précisément ce que fait l’alinéa 2d) de la Loi sur la gestion des finances publiques en l’espèce. L’expression « fonds publics » a été élargie pour englober des sommes d’argent qui ne feraient autrement pas partie du sens courant ou ordinaire de cette expression.

 

 

[663]       Je relève aussi que le paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens dit que l’argent des Indiens est détenu au Trésor. Telles sommes ne seraient pas détenues au Trésor si le législateur n’avait pas voulu par ailleurs qu’elles soient considérées comme des fonds publics. Par conséquent, l’argent des Indiens constitue des fonds publics aux fins de la Loi sur la gestion des finances publiques, et il doit être déposé au Trésor, conformément au paragraphe 17(1) de cette Loi. Toutefois, je relève aussi que, même si l’argent des Indiens est considéré comme partie des fonds publics, il ne s’ensuit pas qu’il perd son caractère de fonds en fiducie.

 

 


[664]       Mon opinion selon laquelle la Couronne est un fiduciaire de l’argent des Indiens s’appuie également sur le raisonnement adopté par le juge Dickson dans l’arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335. L’arrêt Guerin est une décision qui fait date, la Cour suprême ayant jugé que la Couronne était responsable d’un manquement à ses obligations fiduciaires envers une bande indienne parce qu’elle avait aliéné une partie de la réserve de la bande à des conditions moins favorables que celles qu’avait approuvées la bande. La Cour avait catégoriquement rejeté l’ancienne idée, selon elle inapplicable, d’une fiducie politique non exécutoire devant les tribunaux. Au lieu de cela, la Couronne était assujettie à une obligation fiduciaire, que les tribunaux pouvaient surveiller et faire appliquer. Le juge Dickson écrivait, à la page 376, que l’origine de cette obligation participe de l’idée selon laquelle l’intérêt autochtone sur une terre est inaliénable, sauf cession en faveur de la Couronne :

Le rapport fiduciaire entre Sa Majesté et les Indiens découle du concept du titre aborigène, autochtone ou indien. Cependant, le fait que les bandes indiennes possèdent un certain droit sur des terres n’engendre pas en soi un rapport fiduciaire entre les Indiens et Sa Majesté. Pour conclure que Sa Majesté est fiduciaire, il faut aussi que le droit des Indiens sur les terres soit inaliénable, sauf dans le cas d’une cession à Sa Majesté.

 

Il est interdit à une bande indienne de céder son droit directement à un tiers. La vente ou la location de terres ne peut avoir lieu qu’à la suite d’une cession et c’est alors Sa Majesté qui agit au nom de la bande. C’est dans la Proclamation royale de 1763 que Sa Majesté a pour la première fois endossé cette responsabilité qui lui est encore reconnue dans les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux cessions. L’exigence d’une cession et la responsabilité qui en découle ont pour effet d’imposer à Sa Majesté une obligation de fiduciaire distincte envers les Indiens.

 

 

 

[665]       Puis le juge Dickson écrivait, à la page 383, que l’obligation essentielle de la Couronne était d’empêcher l’exploitation :

 

c) L’obligation de fiduciaire de Sa Majesté

 

Le concept de l’obligation de fiduciaire est issu depuis bien longtemps de la notion de l’abus de confiance, l’un des premiers chefs de compétence de la Chancery. Dans le présent pourvoi, l’importance de ce concept repose sur l’exigence qu’il y ait eu _ cession _ pour que des terres indiennes puissent être aliénées.

 


La Proclamation royale de 1763 prévoyait qu’aucun particulier ne pouvait acheter aux Indiens des terres qu’elle réservait à ces derniers et, de plus, que tout achat devait être effectué par et au nom de Sa Majesté au cours d’une assemblée publique des Indiens convoquée par le gouverneur ou le commandant en chef de la colonie dans laquelle se trouvaient les terres en question. Comme le fait remarquer lord Watson, à la p. 54 de l’arrêt St. Catherine’s Milling, précité, cette politique concernant la vente ou le transfert du droit que possèdent les Indiens sur leurs terres a été maintenue de façon non interrompue par la Couronne britannique, par les gouvernements des colonies à partir du moment où ceux‑ci sont devenus responsables de l’administration des affaires indiennes et, après 1867, par le gouvernement fédéral du Canada. Les lois fédérales successives qui ont précédé l’actuelle Loi sur les Indiens prévoyaient toutes l’inaliénabilité générale des terres des réserves indiennes, sauf dans le cas d’une cession à Sa Majesté. Les dispositions pertinentes de la Loi actuelle sont les art. 37 à 41.

 

Cette exigence d’une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. Cet objet ressort nettement de la Proclamation royale elle‑même qui porte, au début de la disposition qui fait de Sa Majesté un intermédiaire, « qu’il s’est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages au préjudice de Nos intérêts et au grand mécontentement de ces derniers [...] ».

 

 

 

[666]       À la page 385 de l’arrêt Guerin, le juge Dickson avait qualifié avec à propos la relation de relation sui generis, une relation de nature fiduciaire, mais ce n’était pas une fiducie au sens strict, dans la mesure où elle portait sur un bien‑fonds.

 

 

[667]       Le juge Wilson, s’exprimant pour les juges minoritaires dans l’arrêt Guerin, écrivait, à la page 355, que l’obligation fiduciaire de la Couronne, une obligation au sens large, celle de détenir la terre de la réserve à l’usage et au profit de la bande, était devenue, après la cession, une obligation fiduciaire explicite à fin déterminée. Le juge Dickson a toutefois refusé de considérer dans cette affaire les obligations de la Couronne comme des obligations fiduciaires. Il écrivait, à la page 388 :

 


Je suis d’accord avec le juge Le Dain pour dire qu’avant une cession, Sa Majesté ne possède pas les terres en fiducie pour les Indiens. Je suis également d’accord pour dire qu’au moment de la cession l’obligation de Sa Majesté ne se cristallise pas d’une manière ou d’une autre en fiducie explicite ou implicite. Le droit des fiducies constitue un domaine juridique très perfectionné et spécialisé. Pour qu’il y ait fiducie explicite, il faut un disposant, un bénéficiaire, une masse fiduciaire, des mots portant disposition, certitude quant à l’objet et certitude quant à l’obligation. Ces éléments ne sont pas tous présents en l’espèce. En fait, il n’y a même pas de masse fiduciaire. Il ressort clairement de l’arrêt Smith, précité, qu’à la suite d’une cession inconditionnelle il y a disparition du droit des Indiens sur le bien‑fonds. Aucun droit de propriété pouvant constituer l’objet de la fiducie n’est transféré, de sorte que, même s’il est possible d’établir l’existence des autres indices d’une fiducie explicite ou implicite, on ne satisfait pas à l’exigence fondamentale d’une disposition de biens. Par conséquent, bien que la nature du titre indien ainsi que le pouvoir discrétionnaire conféré à Sa Majesté suffisent pour donner naissance à une obligation de fiduciaire, la cession ne crée ni une fiducie explicite ni une fiducie implicite.

 

 

[668]       En l’espèce, la Couronne détient l’argent des Indiens, conformément au paragraphe 61(1) de la Loi sur les Indiens, à l’usage et au profit des Indiens ou des bandes; les fonds ne peuvent être dépensés qu’à leur « profit ». À tout le moins, cela donne lieu à une obligation fiduciaire. Toutefois, à mon avis, en ce qui concerne l’argent des Indiens, il existe une masse fiduciaire, ou un objet fiduciaire. L’argent des Indiens vient de la cession d’un intérêt foncier, en l’occurrence par l’effet de la Cession de 1946. Dans l’arrêt Guerin, dès la cession du territoire, le droit de la bande sur le territoire avait disparu; il ne restait plus rien qui pût constituer la masse fiduciaire. Ici au contraire, la cession de l’intérêt foncier des demandeurs débouche sur les redevances, lesquelles forment la masse fiduciaire.

 

 

[669]       Quant à la source de cette fiducie, je ne partage pas l’avis des demandeurs pour qui la fiducie découle soit de la relation historique entre la Couronne et le peuple autochtone, soit du Traité n° 6. À mon avis, le traité n’est d’aucune aide en la matière. Il ne concerne pas la manière dont l’argent des Indiens sera détenu et géré. L’unique portion du traité qui pourrait peut‑être intéresser cet aspect – et au mieux il s’agit d’un lien très ténu – est la clause qui concerne la création de la réserve. Cette portion du Traité n° 6 est ainsi formulée :

 


Et Sa Majesté la Reine par le présent convient et s’oblige de mettre à part des réserves propres à la culture de la terre, tout en ayant égard aux terres présentement cultivées par lesdits Sauvages, et d’autres réserves pour l’avantage desdits Sauvages, lesquelles seront administrées et gérées pour eux par le gouvernement de Sa Majesté pour la Puissance du Canada, pourvu que toutes telles réserves ne devront pas excéder en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou une telle proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites, en la manière suivante, savoir :

 

Que le surintendant en chef des affaires des Sauvages devra députer et envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner les réserves pour chaque bande, après s’être consulté avec les Sauvages de telle bande quant au site que l’on pourra trouver le plus convenable pour eux;

 

Pourvu, néanmoins, que Sa Majesté se réserve le droit de régler avec tous les colons établis dans les limites de toute terre réservée pour une bande de la manière qu’elle trouvera convenable, et aussi que lesdites réserves de terre ou tout droit en icelles pourront être vendues et adjugées par le gouvernement de Sa Majesté pour le bénéfice et avantage desdits Sauvages, qui y auront droit, après qu’on aura au préalable obtenu leur consentement; et dans le but de faire voir la satisfaction que Sa Majesté éprouve à la vue du comportement et de la bonne conduite de ses Sauvages, elle leur accorde par le présent, en agissant par l’intermédiaire de ses commissaires, un présent de douze piastres pour chaque homme, femme et enfant appartenant aux bandes ici représentées, en satisfaction de toutes réclamations ci‑devant existantes.

 

(S‑4, pages 352‑353; non souligné dans l’original)

 

 

[670]       Morris avait aussi fait quelques observations aux Cris, durant les négociations du traité, sur cette question de la vente de réserves ou de parties de réserves. Le secrétaire de la Commission, Jackes, avait consigné les observations de Morris :

 

[traduction]

« Il y a une chose que je voudrais dire à propos des réserves. La terre dont je parle est beaucoup plus étendue que ce que vous serez jamais en mesure de cultiver, et il se pourrait que vous voudriez faire comme ont fait vos frères, à l’endroit d’où je viens.

 

Lorsqu’ils ont constaté qu’ils avaient trop de terre, ils ont demandé à la Reine de la vendre pour eux; ils en ont conservé autant qu’ils le voulaient, et le prix auquel le reste fut vendu fut mis de côté pour qu’il fructifie, et de nombreuses bandes tirent aujourd’hui un revenu annuel de la terre.

 


Mais, comprenez‑moi bien, après que la réserve sera mise de côté, elle ne pourra pas être vendue si ce n’est avec le consentement de la Reine et des Indiens; tant que les Indiens le voudront, la réserve sera mise à leur disposition; nul ne pourra leur enlever leurs habitations. »

 

(S‑4, page 205)

 

 

[671]       À mon avis, il est impossible de s’en remettre à la clause des réserves du Traité n° 6 et aux observations de Morris comme source de la fiducie. À l’époque, l’argent des Indiens qui est l’objet de la présente action n’existait pas. L’argent des Indiens a pris naissance après la signature du document de 1946 attestant la cession des minéraux. Les mots figurant dans ce document suffisent à établir une fiducie; il y a certitude d’intention, certitude de matière et certitude d’objet. L’accord envisage expressément une fiducie; la matière, ce sont les redevances, et l’objet, ou le bénéficiaire, ce sont manifestement les demandeurs.

 

 

[672]       Ayant examiné le statut de la Couronne, qui est celui de fiduciaire de l’argent des Indiens, j’examinerai maintenant la nature de ses obligations en tant que telles.

 

 


[673]       Nombre des obligations auxquelles est astreint un fiduciaire sont semblables à celles d’un confidé. Le fiduciaire ne peut pas recueillir un bénéfice de la garde qu’il exerce sur les biens en fiducie, ni ne peut utiliser les biens à mauvais escient. Le fiduciaire a une obligation de loyauté et de bonne foi envers le bénéficiaire. Le fiduciaire a aussi l’obligation d’être équitable entre les divers bénéficiaires. Toutefois, contrairement à un confidé, un fiduciaire a l’obligation formelle d’investir la masse – ou, autrement dit, de la rendre productive – lorsque la masse est un bien consomptible, par exemple lorsqu’il s’agit d’argent. La masse fiduciaire ne peut pas être laissée en friche. Il y a obligation d’investir.

 

 

[674]       La norme de prudence applicable à un fiduciaire chargé d’administrer une fiducie a été exposée par le juge Dickson dans l’arrêt Fales et al. c. Canada Permanent Trust Company, [1977] 2 R.C.S. 302, à la page 315 :

 

Traditionnellement, le soin et la diligence que l’on exige d’un fiduciaire dans l’administration d’une fiducie sont ceux qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires (Learoyd c. Whiteley (1887), 12 App. Cas. 727, à la page 733; Underhill’s Law of Trusts and Trustees, 12e éd., art. 49; Restatement of the Law on Trusts, 2e éd., par. 174) et, traditionnellement, le critère a été appliqué aussi bien aux fiduciaires professionnels qu’aux non professionnels. Il s’agit d’un critère objectif et d’application générale, quoique parfois rigoureux.

 

 

[675]       La norme de soin, quant à l’obligation d’investir, est donc le soin et l’habileté raisonnables d’un bon père de famille.

 

 


[676]       Les demandeurs disent que la Couronne n’a pas rempli son obligation d’investir et qu’elle aurait dû placer leur argent dans des investissements effectifs sur le marché ou lier le taux d’intérêt à des indices de référence ou des indices boursiers. Selon les demandeurs, la Couronne avait le pouvoir légal de prendre de telles mesures, en vertu de l’une ou de l’ensemble des dispositions suivantes : l’article 4 de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, l’article 4 de la Loi sur les Indiens, l’alinéa 64(1)k) de la Loi sur les Indiens ou l’article 18 de la Loi sur la gestion des finances publiques. J’examinerai successivement chacune de ces dispositions et j’expliquerai pourquoi selon moi aucune d’entre elles ne constitue le fondement législatif que les demandeurs voudraient y voir.

 

 

[677]       L’article 4 de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes prévoit uniquement que les redevances sont payées à la Couronne « en fiducie ». Il ne renferme pas d’autres indications ou directives sur la manière dont telles redevances doivent être gérées. D’ailleurs, l’objet de la Loi intéresse davantage la gestion des ressources pétrolières et gazières des terres indiennes pour des activités commerciales d’extraction et d’exploitation. Il m’est impossible de dire, comme le voudraient les demandeurs, que les mots « en fiducie », dans l’article 4, ont pour effet de modifier totalement la manière dont l’argent des Indiens doit être géré par la Couronne. À mon avis, ces mots visent à confirmer et à expliciter ce qui, jusqu’à l’entrée en vigueur de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, était implicite.

 

 


[678]       Sur ce point, je me réfère aux procès‑verbaux du 14 novembre 1974 du Comité permanent des affaires indiennes et du développement du Nord canadien, à propos du projet de loi C‑15, qui fut finalement adopté sous le titre Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. Je rapporte les propos suivants, échangés durant un débat sur l’ajout des mots « en fiducie » au texte de loi :

 

Mlle MacDonald (Kingston et les îles) : Oui, monsieur le président, cet amendement est proposé afin de clarifier la situation, car, si je comprends bien, la plupart des redevances sont versées à une caisse de la bande. Néanmoins, s’il y avait un délai de temps à autre de n’importe quel genre de paiement, on a cru à la lumière d’un témoignage présenté par la Fraternité nationale des Indiens et les communications d’autres bandes, qu’il devrait y avoir une vérification des argents fiduciaires aux bandes indiennes par Sa Majesté du chef du Canada.

 

La présidente : Madame Campagnolo.

 

Mme Campagnolo : Monsieur le président, je ne suis pas en désaccord avec l’amendement proposé par M. Schellenberger et Mlle MacDonald. Dans un langage courant, j’appellerais ceci un amendement de paternité, et je suis complètement d’accord avec lui.

 

*  *  *

 

M. Leseaux : Je l’ai vu pour la première fois et je n’y vois aucun problème. Les terres sont rendues : il semble très clair qu’en rendant ces terres elles sont en fiducie. Un bail ou un permis fourni à une compagnie pétrolière est aussi en fiducie. Afin d’expliciter cette chose, on n’aurait aucune inquiétude par rapport à cette addition.

 

(S‑621, onglet 9, page 7:18; voir aussi S‑621, onglet 13, page 1810)

 

 

[679]       Le témoin des demandeurs, M. Roddick, qui était l’avocat de Samson depuis plusieurs années, a reconnu que les mots « en fiducie » avaient été ajoutés parce qu’on avait le sentiment que le texte manquait de précision sur la destination des deniers. Durant les débats, on avait proposé que le revenu tiré des ressources soit plus largement partagé – sans doute, j’imagine, avec d’autres Premières nations. M. Roddick s’est exprimé ainsi :

 

[traduction]


Il y a eu de nombreuses audiences. Des propositions ont été faites. Il était clair que les Premières nations productrices, dont la nation de Samson, voulaient que la loi soit sans équivoque, c’est‑à‑dire que les redevances profitent à la Première nation où avait lieu la production. Ces mots, à mon avis, réglaient parfaitement cet aspect.

 

Je présumerais donc, sans l’avoir jamais expressément vérifié auprès de la nation de Samson, qu’elle était en faveur de cette solution.

 

(Transcription, volume 273, pages 15‑16; voir aussi transcription, volume 271, pages 165‑166, et transcription, volume 278, pages 121‑122)

 

 

[680]       Je ne partage donc pas l’avis des demandeurs selon lequel l’article 4 de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes instituait d’une certaine manière un régime entièrement neuf pour l’argent des Indiens. Cette disposition confirme simplement que les redevances doivent être conservées en fiducie et elle ne donne aucune autre directive sur la manière dont cela doit se faire.

 

 

[681]       Les demandeurs s’en rapportent aussi à l’article 4 de la Loi sur les Indiens. Ils disent que cette disposition aurait pu s’appliquer à eux de manière à rendre inapplicables les articles de la Loi qui empêchent le ministre d’investir l’argent des Indiens à titre de dépense. Le paragraphe 4(2) prévoit ce qui suit :

 

4. (2) Le gouverneur en conseil peut, par proclamation, déclarer que la présente loi, ou toute partie de celle‑ci, sauf les articles 5 à 14.3 et 37 à 41, ne s’applique pas :

 

a) à des Indiens ou à un groupe ou une bande d’Indiens;

 

b) à une réserve ou à des terres cédées, ou à une partie y afférente.

 

Il peut en outre, par proclamation, révoquer toute semblable déclaration.

 

 

[682]       Le MAINC avait songé à recourir à cette disposition pour soustraire le compte en capital des bandes aux rigueurs de l’article 64 de la Loi sur les Indiens, mais avait conclu que ce n’était pas une solution viable. Plus précisément, je prends note d’un rapport du MAINC de 1977, où l’on concluait que l’emploi de l’article 4 de la Loi sur les Indiens pour déclarer l’article 64 inapplicable aurait eu pour effet d’éliminer tout pouvoir pour quiconque de dépenser l’argent du compte en capital, et cet argent aurait fini dans une sorte de vide (SEC‑427, classeur 12, onglet 17, document 462; voir aussi SEC‑427, classeur 12, onglet 15, document 460).

 

 

[683]       Je me réfère aussi à une lettre portant la date du 28 juillet 1982, rédigée par le très honorable Jean Chrétien quand il était ministre de la Justice. La lettre renferme notamment ce qui suit :

 

[traduction] Nous ne sommes pas disposés à recommander au ministre des Affaires indiennes, comme solution possible du problème, que le paragraphe 4(2) de la Loi sur les Indiens soit employé pour que soit déclaré inapplicable à certaines bandes l’ensemble des dispositions de l’article 64, à l’exception de son alinéa k). Je ne suis pas convaincu qu’une déclaration selon le paragraphe 4(2) permettrait d’atteindre l’objet visé, mais, en tout état de cause, si l’alinéa k) de l’article 64 doit être vu comme une disposition de même nature (ejusdem generis) que les alinéas précédents, il serait à mon avis fautif de recourir au paragraphe 4(2) pour se soustraire à l’intention du législateur. Si au contraire le champ de l’alinéa k) n’est pas limité par les alinéas précédents, alors une déclaration selon le paragraphe 4(2) est inutile.

 

(SEC‑428, classeur 12, onglet 29, document 529)

 

 


[684]       M. Goodwin, témoin de la Couronne, a lui aussi confirmé que le MAINC n’était pas disposé à emprunter la voie d’une déclaration selon l’article 4, solution que le MAINC jugeait impraticable. M. Goodwin a témoigné que l’avis qu’il avait toujours reçu du ministère de la Justice était qu’il n’était pas possible de recourir au paragraphe 4(2) de la Loi sur les Indiens pour obtenir que soient autorisés des investissements (transcription, volume 300, page 79). M. Goodwin a aussi déclaré ce qui suit :

 

[traduction] Et si je me rappelle bien, M. Fennell avait avancé le même argument en faveur de l’article 64 – je veux dire du paragraphe 4(2), et on lui avait renvoyé le même argument juridique que celui dont il est question ici, l’argument selon lequel, en l’absence de dispositions légales habilitant le ministre à faire certaines choses, si l’on enlève cette disposition, on aboutira à un vide juridique, et il ne serait tout simplement pas praticable d’utiliser de cette façon l’article 64.

 

(Transcription, volume 311, pages 153‑154)

 

 

[685]       M. Roddick, témoin de Samson, a lui aussi témoigné à propos du recours possible au paragraphe 4(2) de la Loi sur les Indiens :

 

[traduction] C’est l’une des choses qui ont été examinées. L’un des problèmes qui se posait était que, si l’on prenait la portion applicable de la loi et si l’on décidait qu’elle ne s’appliquerait plus, alors comment allait‑on se débrouiller? La question a été examinée, mais en définitive le ministère a décidé que ce n’était pas comme cela qu’il entendait régler la question. Et c’est comme ce qui arrive souvent, de nombreuses solutions sont examinées, et celle‑ci en est une qui fut abandonnée en route. Mais la solution a été envisagée. Elle a été évoquée, puis examinée. Si je me souviens bien, c’est le Canada qui était arrivé à la conclusion que cela ne pourrait pas marcher, et les choses en sont restées là.

 

(Transcription, volume 275, pages 33‑34)

 

 

[686]       M. Roddick a plus tard admis que le paragraphe 4(2) n’était pas une solution viable quand il a confirmé qu’il ne voyait pas comment cette disposition aurait pu accomplir ce qu’ils essayaient de faire (transcription, volume 276, pages 134‑136).

 


 

[687]       Si le paragraphe 4(2) de la Loi sur les Indiens était employé comme le préconisent les demandeurs, le résultat n’aurait fait qu’aggraver la situation. Il n’y aurait plus de fondement législatif permettant de prélever sur le Trésor des sommes d’argent du compte en capital des bandes, ce qui à l’évidence serait dans tous les cas une situation inacceptable.

 

 

[688]       Les demandeurs disent aussi que des investissements auraient pu se faire, avec un rendement plus élevé, au moyen de l’alinéa 64(1)k) de la Loi sur les Indiens, ainsi rédigé :

 

64. (1) Dépense de sommes d’argent du compte en capital avec consentement – Avec le consentement du conseil d’une bande, le ministre peut autoriser et prescrire la dépense de sommes d’argent du compte en capital de la bande :

 

k) pour toute autre fin qui, d’après le ministre, est à l’avantage de la bande.

 

 

[689]       Comme pour le paragraphe 4(2) de la Loi sur les Indiens, la Couronne a obtenu des avis juridiques quant à la possibilité de recourir à cette disposition pour autoriser des investissements. Je note en particulier l’avis rédigé par M. Paul Ollivier, en date du 30 août 1982, sur l’interprétation à donner de l’alinéa 64(1)k). Jusqu’à cette date, le MAINC s’en était tenu à une vue étroite de l’applicabilité de l’alinéa k) – de par la règle d’interprétation ejusdem generis, l’alinéa k) était considéré comme une disposition se rapportant à des objets de même nature que les alinéas précédents. M. Ollivier ne souscrivait pas à cette interprétation restrictive :

 


[traduction]

Une telle interprétation est compréhensible compte tenu de la portée très étroite des alinéas précédents, mais je ne vois néanmoins dans ces autres alinéas aucune communauté de genre ayant nécessairement pour effet de limiter la généralité du texte de l’alinéa k).

À mon avis, le ministre peut, sans risque de responsabilité, autoriser une dépense à toute fin qui, selon ce qu’il croit honnêtement et de bonne foi, s’accorde avec l’usage et le profit d’une bande. Naturellement, l’objet de la dépense qu’il est prié d’approuver doit être suffisamment défini pour qu’il soit en mesure de dire si elle est conforme à l’intérêt de la bande. Selon moi, un objet vaguement formulé, par exemple « pour favoriser le développement économique », ne répond pas à cette condition. En outre, même si la loi n’exige sans doute rien d’autre que l’obligation pour le ministre d’agir de bonne foi, j’ai la certitude que l’esprit de la loi fait qu’il devra exercer ses pouvoirs avec prudence de manière à accroître, et non à compromettre, le capital de la bande.

 

Une question cruciale est celle de savoir si le ministre doit personnellement approuver la moindre dépense de sommes d’argent du compte en capital d’une bande.

 

En premier lieu, je ne vois pas pourquoi le ministre ne pourrait pas approuver une catégorie de dépenses – ou un plan d’investissement – qu’il jugerait conforme à l’intérêt de la bande. Un tel plan pourrait indiquer les types de dépenses projetées (titres de sociétés, immeubles, obligations d’État, etc.), les sommes pouvant être consacrées à chaque type, et autres directives financières.

 

(SEC‑427, classeur 22, onglet 35, document 703, pages 2‑3)

 

 

[690]       M. Ollivier exprimait ensuite l’avis qu’il serait opportun pour le ministre de déléguer à un mandataire, par exemple à une institution financière, la gestion quotidienne de telles dépenses, dans le cadre d’un plan approuvé. M. Ollivier réitérait aussi l’opinion de la Couronne selon laquelle le ministre n’est pas un fiduciaire au sens du droit privé. Il concluait sa lettre ainsi :

 

[traduction]

L’interprétation de l’alinéa 64(1)k) donnée dans cette lettre va bien au‑delà de la stricte interprétation à laquelle on obéissait jusqu’à présent, mais elle continuera sans aucun doute de requérir de la part du gouvernement un degré plus étroit de surveillance des dépenses de sommes d’argent du compte en capital que ce que les bandes indiennes pourraient juger nécessaire. On pourrait donc devoir envisager d’apporter des modifications à la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes ou à la Loi sur les Indiens elle‑même.

 


Les bandes telles que la bande de Samson doivent accepter le fait que, selon la Loi actuelle, le ministre doit conserver le contrôle ultime de la gestion des sommes d’argent du compte en capital d’une bande. Toutefois, sous réserve du contrôle prépondérant du ministre, il est certainement conforme à l’intérêt des bandes qu’elles participent aussi pleinement que l’autorise la Loi actuelle à l’administration des sommes détenues pour leur usage et leur profit.

 

Finalement, je proposerais que tout régime impliquant une part appréciable du capital d’une bande soit approuvé par les membres de la bande ainsi que par le conseil de la bande.

 

Si le régime se heurte à une sérieuse contestation fondée sur des arguments juridiques, alors on pourrait songer à renvoyer l’affaire à la Cour fédérale en application de l’article 17 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

(SEC‑427, classeur 22, onglet 35, document 703, page 5)

 

 

[691]       Je prends note, en l’approuvant, de l’interprétation souple proposée par M. Ollivier pour l’alinéa 64(1)k), mais j’observe aussi qu’il a fait une mise en garde contre tout transfert pur et simple d’une part « appréciable » de l’argent d’une bande et que, selon lui, certaines conditions devraient être remplies avant que le ministre donne une telle autorisation.

 

 

[692]       Selon moi, la Couronne ne pouvait pas autoriser un transfert pur et simple de l’argent des demandeurs, que ce soit au conseil de la bande ou à un fiduciaire professionnel, à des fins d’investissement. Des conditions telles que l’assentiment des membres de la bande et la mise en place d’un plan d’investissement seraient nécessaires avant que le ministre, à titre de fiduciaire, ne soit en mesure de décider si une telle dépense est ou non bénéfique pour la bande et conforme à ses intérêts.

 

 

[693]       Finalement, les demandeurs affirment que la Couronne aurait pu investir leur argent en recourant à la Loi sur la gestion des finances publiques. L’article 18 de cette Loi prévoit ce qui suit :

 

18. (1) Au présent article, « valeurs » s’entend des titres émis ou garantis par le Canada, ainsi que de ceux qui sont mentionnés dans la définition de « valeurs » ou « titres » à l’article 2.

 

(2) Le ministre peut, lorsqu’il le juge opportun pour la bonne gestion des fonds publics ou de la dette publique, acheter, acquérir et détenir des valeurs et les payer sur le Trésor.

 

(3) Le ministre peut vendre les valeurs ainsi achetées, acquises ou détenues; le produit de la vente est déposé au crédit du receveur général.

 

(4) Au cours d’un exercice, les bénéfices nets qui résultent de l’achat, de la détention ou de la vente de valeurs sous le régime du présent article sont ajoutés aux recettes de cet exercice; les pertes nettes, durant la même période, qui résultent des mêmes opérations sont imputées à un crédit voté par le Parlement à cette fin.

 

 

[694]       Une lecture même superficielle de cette disposition montre qu’elle ne saurait tout simplement s’appliquer à l’argent des Indiens. Si l’argent des Indiens était investi conformément à cette disposition, alors c’est la Couronne qui réaliserait des gains ou des pertes, non les demandeurs.

 

 

[695]       Ces quatre solutions n’étaient tout simplement pas des solutions viables, sauf à assujettir à certaines conditions une dépense faite au titre de l’alinéa 64(1)k) comme le proposait M. Ollivier. D’ailleurs, ces conditions, ainsi que d’autres, constituent le fondement de l’ordonnance que j’ai rendue le 27 janvier 2005 et qui autorisait l’exécution d’un tel transfert.

 

 

[696]       Je suis d’avis que la législation confirme les obligations de la Couronne en tant que fiduciaire de l’argent des Indiens. Il ne fait aucun doute que les redevances doivent être détenues « en fiducie ». L’expression apparaît dans la Cession de 1946 et plus tard dans l’article 4 de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. Cette dernière loi a été adoptée en 1974 et des redevances avaient été perçues par la Couronne bien avant cette date, mais la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes avait pour origine la crise pétrolière mondiale de 1973. L’article 4 et les mots « en fiducie » confirmaient simplement un état de fait et ne modifiaient nullement la manière dont les fonds devaient être détenus et gérés.

 

 

[697]       L’article 4 de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes confirme la fiducie, mais le fait de qualifier l’argent des Indiens de fonds publics au sens de l’article 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques signifie que l’argent des Indiens doit être déposé au Trésor conformément à l’article 17. Le paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens prévoit que des intérêts doivent être payés sur l’argent des Indiens selon un taux fixé par le gouverneur en conseil. Le paiement d’intérêts n’est pas facultatif : la Couronne doit payer des intérêts. Toutefois, la Couronne a aussi le pouvoir de fixer comme elle l’entend le taux d’intérêt.

 

 


[698]       Je suis également d’avis qu’il n’existe aucune disposition légale autorisant le ministre à acheter des investissements avec l’argent des Indiens au lieu de verser des intérêts sur cet argent. Il faut se rappeler que, lorsque la Loi sur les Indiens fut modifiée en 1951, le pouvoir d’investir, prévu par l’article 92, avait été expressément abrogé.

 

 

[699]       Je suis d’avis que, en payant des intérêts sur l’argent des Indiens conformément au paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, le ministre s’est acquitté de son obligation, en tant que fiduciaire, d’investir la masse fiduciaire. Lorsqu’il fixe un taux d’intérêt – ou lorsqu’il investit – le fiduciaire n’a pas pour obligation de maximiser les profits. Si tel était le cas, alors tout fiduciaire qui ne réussit pas à obtenir le rendement le plus élevé possible sur les biens qui lui sont confiés pourrait être accusé d’abus de confiance. La norme qui s’applique à l’obligation d’investir est plutôt celle de la diligence raisonnable. Le fiduciaire doit évidemment agir avec prudence. S’agissant de l’argent des Indiens, le taux d’intérêt est lié aux obligations à long terme du gouvernement du Canada. L’argent n’est pas destiné à demeurer dans le Trésor pour une période déterminée, il peut en être retiré, sous réserve des paramètres établis par l’article 64 de la Loi sur les Indiens. Je suis d’avis que le taux d’intérêt répond à la norme de diligence raisonnable qui sert à juger la conduite d’un fiduciaire.

 

 


[700]       Les demandeurs prétendent aussi que la Couronne a manqué à son obligation, en tant que fiduciaire, de ne pas amalgamer leur argent avec le sien en déposant l’argent des Indiens dans le Trésor. J’ai déjà exprimé l’avis que la Couronne peut s’en rapporter à la loi pour l’accomplissement de ses obligations de fiduciaire. La loi requiert que l’argent des Indiens soit déposé au Trésor. D’une certaine manière, l’argent des Indiens et l’argent de la Couronne sont amalgamés, mais la Couronne conserve des registres de l’argent des Indiens. Comme je l’ai indiqué plus haut dans les présents motifs, la Couronne rend compte des redevances sous la rubrique « Fonds des bandes indiennes – Comptes de capital ». La Couronne rend compte, sous la rubrique « Fonds des bandes indiennes – Comptes de revenu », des intérêts qu’elle paie sur les comptes de capital et de revenu (S‑343 et S‑344, paragraphe 74). L’obligation de conserver séparément les biens fiduciaires a pour objet la protection des biens – sans doute contre le détournement et la concussion – et la préservation de leur identité. En l’espèce, le fiduciaire est la Couronne et il est impossible de l’assimiler à un fiduciaire ordinaire. L’argent des demandeurs est déposé au Trésor; toutefois, il en est rendu compte séparément et il est comptabilité séparément. Il n’est pas à craindre qu’il devienne inaccessible ou que la Couronne ne soit pas en mesure de le débourser. Par conséquent, j’arrive à la conclusion que la Couronne n’a pas manqué à ses obligations en déposant l’argent des Indiens au Trésor.

 

 

[701]       Comme je suis arrivé à la conclusion que la Couronne peut – et même doit – s’en rapporter à la loi, qui précise et confirme les obligations de la Couronne en tant que fiduciaire, il ne m’est pas nécessaire d’examiner ou de commenter les nombreux témoignages d’expert qui m’ont été présentés concernant les normes et pratiques des fiduciaires professionnels.

 

G. Allégation d’enrichissement sans cause

 

[702]       Les demandeurs disent que la Couronne était en situation de conflit d’intérêts parce que, en déposant au Trésor l’argent de leurs redevances, en réalité elle le leur empruntait. En sa qualité de confidé ou de fiduciaire, de dire Samson, la Couronne a manqué à ses obligations correspondantes et bénéficié de cet arrangement, et il en a résulté un enrichissement sans cause. Par ailleurs, de dire Samson, l’emploi par la Couronne de l’argent des redevances n’était pas requis ni autorisé par les lois applicables, mais était au contraire expressément prohibé.

 

 

[703]       Selon Samson, la Loi sur la gestion des finances publiques n’obligeait pas la Couronne à déposer les redevances au Trésor. Au contraire, en tant que fiduciaire ou confidé, la Couronne avait l’obligation de conserver les redevances séparément de ses propres recettes générales, ainsi que l’obligation complémentaire de s’assurer que les redevances n’étaient ni détournées ni dépensées. De l’avis de Samson, la Loi sur la gestion des finances publiques est un texte général, applicable à tous les « fonds publics » appartenant au gouvernement du Canada.

 

 

[704]       Selon Samson, la définition de « fonds publics », dans l’article 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques, ne s’applique pas à l’« argent des Indiens » au motif que l’argent des Indiens n’est pas de l’argent « appartenant au Canada » selon ce que prévoit la définition. Partant, l’argent des Indiens ne peut pas être assujetti à l’obligation, énoncée dans l’article 17 de cette Loi, selon laquelle les fonds publics doivent être déposés au crédit du receveur général (c’est‑à‑dire au Trésor).

 


 

[705]       Samson s’appuie sur le paragraphe 4(1) de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, une disposition qui, bien que reproduite ailleurs dans les présents motifs, mérite de l’être encore une fois ici, pour des raisons de clarté :

4. (1) Nonobstant les modalités d’une concession, d’un bail, d’un permis, d’une licence ou d’un autre acte d’aliénation, les dispositions d’un règlement sur le pétrole ou sur le gaz ou les modalités d’un accord sur les redevances applicables au pétrole ou au gaz, qu’ils soient ou non survenus avant le 20 décembre 1974, mais sous réserve du paragraphe (2), le pétrole et le gaz tirés des terres indiennes après le 22 avril 1977 sont assujettis au paiement à Sa Majesté du chef du Canada, en fiducie pour les bandes indiennes concernées, des redevances réglementaires.

 

 

 

[706]       La fiducie instituée par cette disposition, de dire Samson, impose à la Couronne l’obligation de ne pas amalgamer ces redevances avec ses propres recettes générales, et elle interdit même à la Couronne d’emprunter ces redevances pour son propre usage. Le paragraphe 4(1) de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes l’emporte donc sur l’obligation plus générale, énoncée dans la Loi sur la gestion des finances publiques, de déposer les « fonds publics » au Trésor.

 

 

[707]       Samson soutient aussi qu’aucune disposition de la Loi sur les Indiens n’impose le dépôt de l’« argent des Indiens » au Trésor et que l’argent des Indiens doit être conservé séparément des emprunts :

 

2. (1) Définitions – Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 


« argent des Indiens » Les sommes d’argent perçues, reçues ou détenues par Sa Majesté à l’usage et au profit des Indiens ou des bandes.

 

 

 

[708]       La première mention du Trésor, dans la Loi sur les Indiens, apparaît dans le paragraphe 61(2) :

 

61. (2) Intérêts – Les intérêts sur l’argent des Indiens détenu au Trésor sont alloués au taux que fixe le gouverneur en conseil.

 

 

 

[709]       Selon Samson, cela ne veut pas dire que l’argent des Indiens doit être versé au Trésor.

 

 

[710]       Samson prétend aussi que le fait pour la Couronne d’emprunter l’argent des Indiens ne constitue pas une dépense au sens du paragraphe 61(1) de la Loi sur les Indiens, qui prévoit ce qui suit :

 

61. (1) L’argent des Indiens ne peut être dépensé qu’au bénéfice des Indiens ou des bandes à l’usage et au profit communs desquels il est reçu ou détenu, et, sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des clauses de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si les fins auxquelles l’argent des Indiens est employé ou doit l’être, est à l’usage et au profit de la bande.

 

 

 

[711]       La Couronne dit que la définition de « fonds publics », dans l’article 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques, englobe bel et bien l’« argent des Indiens » :

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« fonds publics » Fonds appartenant au Canada, perçus ou reçus par le receveur général ou un autre fonctionnaire public agissant en sa qualité officielle ou toute autre personne autorisée à en percevoir ou recevoir. La présente définition vise notamment :

 

d) les fonds perçus ou reçus par un fonctionnaire public sous le régime d’un traité, d’une loi, d’une fiducie, d’un contrat ou d’un engagement et affectés à une fin particulière précisée dans l’acte en question ou conformément à celui‑ci.

 

 

 

[712]       Selon la Couronne, puisque l’argent des Indiens entre dans la définition de « fonds publics », alors, en application du paragraphe 17(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, cet argent « est déposé au crédit du receveur général ». Cela signifie que l’argent des redevances doit être déposé au Trésor et que, en application du paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, des intérêts doivent être payés sur cet argent.

 

 

[713]       La Couronne dit que, si le paragraphe 61(2) et les décrets pris conformément à cette disposition sont jugés valides, alors l’allégation d’enrichissement sans cause qui est faite par les demandeurs se heurte à un obstacle insurmontable.

 

 

[714]       Dans un arrêt récent de la Cour suprême, Garland c. Consumers’ Gas Co., [2004] 1 R.C.S. 629, le juge Iacobucci écrivait ce qui suit, au paragraphe 30 :

 

En général, le critère applicable en matière d’enrichissement sans cause est bien établi au Canada. La cause d’action comporte trois éléments : (1) l’enrichissement du défendeur, (2) l’appauvrissement correspondant du demandeur et (3) l’absence de motif juridique justifiant l’enrichissement (Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, page 848; Peel (Municipalité régionale) c. Canada, [1992] 3 R.C.S. 762, page 784).

 

 

 

[715]       Puisque, selon moi, la Couronne est un fiduciaire pour l’argent des Indiens et qu’elle peut s’en rapporter aux dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’administration de l’argent des Indiens pour l’accomplissement de ses obligations de fiduciaire, je dois en conclure que l’allégation d’enrichissement sans cause est sans fondement. La Couronne a payé les intérêts qu’elle devait payer et les demandeurs n’ont donc subi aucun appauvrissement selon les paramètres du régime législatif existant. Au reste, le paragraphe 61(2) a valeur de motif juridique. Toutefois, pour le cas où j’aurais tort de dire que la Couronne peut s’en rapporter à la loi, j’examinerai brièvement les trois éléments nécessaires pour qu’il y ait enrichissement sans cause.

 

 

[716]       S’agissant du premier élément, l’enrichissement, les demandeurs disent que, parce que leur argent a été déposé au Trésor durant de longues périodes et parce que la Couronne n’a pas bloqué les taux d’intérêt, la Couronne a par là bénéficié d’un enrichissement en ce sens qu’elle a mieux rémunéré d’autres emprunts à long terme que l’argent des Indiens.


 

 

[717]       L’affirmation des demandeurs selon laquelle la Couronne a bénéficié de cet avantage ne vaut que dans la mesure où, la Couronne n’ayant pas eu à sa disposition l’argent des Indiens, elle l’aurait remplacé par des emprunts à long terme (c’est‑à‑dire des obligations) et à taux fixes. Les experts des demandeurs qui ont examiné cette question se sont demandé ce qu’il en aurait coûté à la Couronne pour remplacer l’argent des Indiens par un emprunt contracté auprès d’un unique investisseur à long terme. Ils ne l’ont pas examinée en se limitant à se demander ce que la Couronne aurait fait.

 

 

[718]       L’expert de Samson, M. Hockin, un ancien sous‑ministre adjoint des Finances, a témoigné que la Couronne aurait remplacé l’argent des Indiens par des obligations à échéance d’au moins dix ans (transcription, volume 203, pages 28814‑28815). Je relève cependant que son énoncé de qualifications ne faisait nulle part état d’une expérience de la gestion ou de la stratégie de la dette publique, et j’hésite un peu à accorder de la valeur à son opinion sur cet aspect particulier (SE‑467).

 

 


[719]       Un autre expert de Samson, M. Lambert, s’est dit convaincu que la Couronne a manifestement tiré un avantage du mode de gestion de l’argent des Indiens (transcription, volume 181, page 25416; SE‑351, page 12). Selon lui, la Couronne aurait remplacé l’argent des Indiens par un emprunt à long terme, mais il a reconnu que l’expert de la Couronne, M. King, était mieux placé que lui pour expliquer la stratégie d’endettement du gouvernement fédéral, étant donné que M. King était habilité à s’exprimer en tant qu’économiste spécialisé dans la stratégie de gestion de la dette publique (transcription, volume 181, pages 25418‑25419; C‑986).

 

 

[720]       M. Tony Williams, un actuaire qui a témoigné pour les demandeurs, a examiné la question en posant pour hypothèse que la Couronne aurait obtenu un financement extérieur du même encours que celui de l’argent des Indiens, et de la même façon – la Couronne aurait été un emprunteur indépendant non lié et ayant un horizon à long terme. Il s’est dit en désaccord avec l’approche de M. King, qui se demandait plutôt ce que la Couronne aurait fait (transcription, volume 216, page 31014). Cependant, M. Williams a admis que, si la Couronne n’avait pas eu à sa disposition l’argent des Indiens, elle n’aurait pas été obligée de le remplacer intégralement par un seul prêteur indépendant. Il a aussi admis que les bons du Trésor – emprunts à court terme – auraient été une solution pour la Couronne dans de telles circonstances (transcription, volume 216, pages 31016‑31017).

 

 


[721]       Un autre des experts des demandeurs, M. Perreault, a admis que, si la Couronne devait remplacer l’argent des Indiens par une autre forme d’emprunt, la Couronne ne serait pas contrainte de recourir exclusivement à des obligations à long terme. M. Perreault a aussi reconnu que, si la Couronne avait recouru intégralement à des bons du Trésor, elle aurait épargné plus de 100 millions de dollars (transcription, volume 232, pages 33639‑33670). Toutefois, il n’a pas effectué de tels calculs car il n’avait pas pour mandat d’évaluer ce qu’il en aurait coûté à la Couronne pour remplacer l’argent des Indiens par d’autres formes d’emprunt (transcription, volume 232, pages 33638‑33639).

 

 

[722]       L’expert de la Couronne en la matière était M. King. Comme je l’ai dit précédemment dans les présents motifs, dans la section décrivant le profil des témoins, M. King est un économiste qui a occupé divers postes à la Banque du Canada et au ministère des Finances (C‑987, appendice A). Il était habilité à s’exprimer en tant que spécialiste de la gestion de la dette publique et de l’emploi de sources externes et internes de financement (C‑986). Je préfère son témoignage sur la question à ceux des experts des demandeurs.

 

 

[723]       M. King a dit que la stratégie de la dette publique au début des années 80 était fondée sur un rapport cible entre dette fixe et dette flottante et que le rapport avait été fixé à 50/50 (transcription, volume 335, pages 92‑95). Le rapport cible supposait un arbitrage entre dette à court terme et dette à long terme afin de stabiliser le service de la dette publique et de réaliser des épargnes d’intérêts (transcription, volume 335, pages 106‑109; transcription, volume 348, pages 157‑159). À son avis, si la Couronne n’avait pas eu à sa disposition l’argent des Indiens – si l’argent des Indiens n’avait jamais existé – la Couronne aurait employé une stratégie de financement par bons du Trésor, qui présente l’avantage d’abaisser le coût à long terme du financement (C‑987, page 7).

 

 

[724]       M. King a envisagé une seconde stratégie possible. Selon lui, vu la taille relativement modeste de l’argent des Indiens par rapport aux emprunts globaux de la Couronne, l’absence de l’argent des Indiens aurait simplement été considérée comme un accroissement des sommes qui devaient être empruntées, et il aurait été remplacé par des bons du Trésor combinés à une quantité cible d’obligations à long terme. Selon les calculs de M. King, il en aurait encore résulté un coût moindre que ce que la Couronne avait effectivement payé sur l’argent des Indiens entre l’exercice 1971‑1972 et l’exercice 1999‑2000 (C‑987, page 7; transcription, volume 336, pages 115‑116).

 

 

[725]       À mon avis, la manière dont il faut voir cette question consiste à se demander ce que la Couronne aurait fait si elle n’avait pas eu à sa disposition l’argent des Indiens. Supposons que l’argent des Indiens n’ait tout simplement jamais existé. Je ne puis accepter l’approche adoptée par les experts des demandeurs, qui ont calculé les coûts d’un emprunt en présumant qu’il y avait un unique emprunteur et que son horizon est un horizon à long terme. Il ressort clairement des témoignages, non seulement celui de M. King, mais aussi ceux de quelques‑uns des experts des demandeurs, que, en l’absence de l’argent des Indiens, la Couronne aurait recouru à des emprunts à court terme plus économiques. Si l’argent des Indiens a pu demeurer en dépôt durant une longue période, ce n’était pas en raison d’une règle juridique impérative. Il n’a jamais été dit que l’argent devait rester dans le Trésor pour une quelconque période, il pouvait toujours en être retiré, sous réserve de l’article 64 de la Loi sur les Indiens.

 

 

[726]       La Cour suprême a examiné, dans l’arrêt Peel (Municipalité régionale) c. Canada, [1992] 3 R.C.S. 762, le volet « avantages » du critère de l’enrichissement sans cause. La juge McLachlin écrivait, à la page 790 :

 

Jusqu’à présent, la jurisprudence a reconnu deux types d’avantages. La situation la plus commune est celle dans laquelle un avantage positif est conféré au défendeur, par exemple, sous la forme du paiement d’une somme d’argent. L’avantage peut toutefois être « négatif » en ce sens qu’il épargne au défendeur une dépense à laquelle il aurait été tenu, c’est‑à‑dire, lorsqu’il se voit décharger d’une obligation légale.

 

 

 

[727]       On ne saurait certes pas prétendre, dans la présente affaire, que les demandeurs ont épargné à la Couronne une dépense qu’elle était tenue d’engager. La Couronne n’avait aucune obligation – légale ou autre – de payer à quelqu’un d’autre, en l’absence de l’argent des Indiens, un taux d’intérêt plus élevé que celui qu’elle payait sur l’argent des Indiens.

 

 


[728]       S’agissant de savoir s’il y avait un avantage positif, en ce sens que les demandeurs conféraient à la Couronne un avantage parce que leurs redevances étaient déposées au Trésor et qu’ensuite la Couronne empruntait ces sommes, la preuve montre qu’une telle opération n’équivalait pas à un avantage. À première vue, il pourrait sembler qu’il y avait un avantage parce que l’argent des demandeurs était perçu, détenu et emprunté par la Couronne. Toutefois, quand on considère ce que la Couronne aurait fait si elle n’avait pas eu cet argent à sa disposition, on constate que la Couronne aurait pu obtenir un financement additionnel en émettant des instruments à court terme. Ce type d’emprunt aurait permis à la Couronne de réduire ses coûts, alors que, avec l’argent des Indiens déposé au Trésor, la Couronne se trouvait finalement à payer davantage l’emploi qu’elle en faisait.

 

 

[729]       Il ne peut pas y avoir d’appauvrissement correspondant parce que, selon moi, la Couronne en tant que fiduciaire peut s’appuyer sur le paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens et sur les décrets établissant la manière de fixer les taux d’intérêt.

 

 

[730]       Finalement, il y a la question du motif juridique. Dans l’arrêt Garland, la Cour suprême du Canada écrivait ce qui suit, au paragraphe 49 :

 

Les dispositions légales forment une catégorie bien établie de motifs juridiques. Dans l’arrêt Rathwell, précité, le juge Dickson a donné comme exemples de motifs juridiques « un contrat ou une disposition légale » (p. 455). Dans le Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445 (« Renvoi relatif à la TPS » ), le juge en chef Lamer a conclu qu’une loi valide est un motif juridique qui empêche le recouvrement pour enrichissement sans cause. Cette conclusion a été confirmée dans l’arrêt Peter, précité, p. 1018. Tout récemment, dans l’arrêt Mack c. Canada (Attorney General) (2002), 60 O.R. (3d) 737, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que la loi obligeant les immigrants chinois à acquitter un droit d’entrée au pays constituait un motif juridique qui empêchait de recouvrer ce droit au moyen d’une action pour enrichissement sans cause. Dans le principal ouvrage canadien en la matière, The Law of Restitution, op. cit., p. 46, McCamus et Maddaugh analysent l’expression « disposition légale » tirée de l’arrêt Rathwell, précité :

 

[traduction] ... il va peut‑être de soi que, dans tous les cas où la loi prescrit l’enrichissement du défendeur au détriment du demandeur, il n’y a pas d’enrichissement sans cause.

 

Il semble donc clair qu’une loi valide peut constituer un motif juridique qui empêche le recouvrement par voie de restitution.

 


 

[731]       Ainsi, même si je me fourvoie sur l’élément « enrichissement » et sur l’élément « appauvrissement », l’enrichissement sans cause allégué par les demandeurs demeure un argument irrecevable parce qu’une loi valide oblige la Couronne à déposer l’argent des Indiens au Trésor et à payer des intérêts sur cet argent, conformément aux décrets.

 

H.  Questions constitutionnelles et autonomie gouvernementale

 

[732]       Samson dit que les articles 17 et 61 à 68 de la Loi sur les Indiens sont constitutionnellement inapplicables à elle, ainsi qu’à ses réserves, ses ressources et son argent. Samson fait valoir que les dispositions de la Loi sur les Indiens sont, sur le plan constitutionnel, incompatibles avec son droit à l’autonomie gouvernementale et à l’autodétermination. La déclaration modifiée de Samson (n° 4) renferme ce qui suit :

 

[traduction]

7. Conformément au Traité n° 6, la demanderesse, la nation indienne de Samson, a conservé ses droits comme nation, qui comprennent notamment son droit à l’autodétermination, dont le droit de déterminer sa propre composition, lesquels droits sont reconnus, confirmés et protégés sur le plan constitutionnel par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

7B. La nation crie de Samson possédait et continue de posséder des droits et pouvoirs ancestraux ou inhérents en ce qui a trait à la gouvernance, à l’appartenance, à la fiscalité, au commerce et à la gestion de ses ressources et revenus. Ces droits et pouvoirs inhérents ont été confirmés par le Traité n° 6, par la Proclamation royale de 1763, par les traités conclus avec la Compagnie de la Baie d’Hudson et par divers instruments constitutionnels.

 


63. Par ailleurs, les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens violent, contredisent et enfreignent la Loi constitutionnelle de 1982, en particulier ses articles 15, 25 et 35, et il est opportun que les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens soient déclarés invalides, inconstitutionnels, nuls et sans effet en ce qui concerne les demandeurs et les sommes confiées pour eux à la défenderesse, Sa Majesté, ou, subsidiairement, qu’ils soient déclarés inapplicables sur le plan constitutionnel aux demandeurs et à leurs deniers, ou déclarés subordonnés aux droits ancestraux ou issus de traités des demandeurs.

 

66L. Par ailleurs, et outre les obligations en equity de Sa Majesté et les droits correspondants des demandeurs, qui doivent être examinés d’une manière juste et impartiale, et outre la responsabilité constitutionnelle conférée à Sa Majesté par le paragraphe 91‑24 de la Loi constitutionnelle de 1867, les demandeurs invoquent les droits à l’égalité devant la loi qui leur sont garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, et ils invoquent les articles 35 et 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 ainsi que la common law.

 

70. Par ailleurs, il est opportun de déclarer inconstitutionnel, illégal, nul et sans effet l’article 17 de la Loi sur les Indiens.

 

71. L’article 17 de la Loi sur les Indiens viole le droit des demandeurs à l’autodétermination, leur droit de détenir, gérer, contrôler et administrer leurs propres avoirs et leurs droits ancestraux ou issus de traités.

 

72. L’article 17 de la Loi sur les Indiens viole, contredit et enfreint la Loi constitutionnelle de 1982, en particulier ses articles 15, 25 et 35.

 

 

 


[733]       Pour résumer donc, la nation de Samson prétend qu’elle a des droits ancestraux ou issus de traités au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le droit à l’autonomie gouvernementale ou à l’autodétermination est le droit ancestral ou issu de traités que revendique Samson. Par ailleurs, selon Samson, ce droit est un droit inhérent et, en tant que tel, il entre lui aussi dans le champ du paragraphe 35(1). Se fondant sur ce droit à l’autonomie gouvernementale, et alléguant qu’il s’agit là d’un droit inhérent, ancestral et issu de traités, la nation de Samson dit qu’elle a le droit de gérer et contrôler ses affaires intérieures, ses terres, ses ressources et son argent. Elle dit que les articles 17 et 61 à 68 de la Loi sur les Indiens font obstacle à ce droit à l’autonomie gouvernementale, et elle voudrait donc que la Cour déclare que ces articles empiètent sur son droit constitutionnel à l’autonomie gouvernementale et qu’ils sont donc inapplicables à la nation de Samson.

 

 

[734]       Plus haut dans les présents motifs, j’examinais les propos de la juge en chef, dans l’arrêt Mitchell, aux paragraphes 12 à 15, sur les conditions à remplir pour établir un droit ancestral. Dans cet arrêt, la juge McLachlin soulignait la nécessité de qualifier d’abord le droit revendiqué, avant qu’on puisse se demander si le droit ancestral a ou non été établi.

 

 

[735]       Comme je l’ai dit, la nation de Samson dit que les articles 17 et 61 à 68 de la Loi sur les Indiens sont constitutionnellement inapplicables parce qu’ils portent atteinte au droit de Samson à l’autonomie gouvernementale. Dans l’arrêt R. c. Van der Peet, le juge en chef Lamer réaffirmait le rejet, par la Cour, de l’idée selon laquelle les revendications de droits ancestraux peuvent être tranchées d’une manière générale. Il écrivait ce qui suit, au paragraphe 69 :

 


Le tribunal saisi d’une revendication fondée sur l’existence d’un droit ancestral doit s’attacher spécifiquement à l’examen des coutumes, pratiques et traditions du groupe autochtone qui revendique ce droit. Dans Kruger, précité, notre Cour a rejeté l’idée que les revendications de droits ancestraux pouvaient être tranchées de manière générale. Cette position est bien fondée. L’existence d’un droit ancestral dépend entièrement des coutumes, pratiques et traditions de la collectivité autochtone qui revendique le droit. Comme il a été dit plus tôt, même si les droits ancestraux sont des droits constitutionnels, cela n’enlève rien au fait capital que les intérêts que les droits ancestraux sont censés protéger se rapportent à l’histoire spécifique du groupe qui revendique le droit. Les droits ancestraux n’ont pas un caractère général et universel. Leur portée et leur contenu doivent être déterminés au cas par cas. Le fait qu’un groupe autochtone possède le droit ancestral de faire une chose donnée ne permet pas, à lui seul, d’établir qu’une autre collectivité autochtone a le même droit. L’existence du droit en question dépendra de la situation spécifique de chaque collectivité autochtone.

 

[Souligné dans l’original.]

 

 

 

[736]       Dans l’arrêt R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821, les appelants affirmaient que le paragraphe 35(1) reconnaît et confirme le droit des Premières nations de Shawanaga et d’Eagle Lake d’organiser des loteries dans leurs réserves. La Cour suprême s’était exprimée ainsi, au paragraphe 24 :

 

La revendication des appelants comporte l’affirmation que le par. 35(1) englobe le droit à l’autonomie gouvernementale, et que ce droit comprend le droit de réglementer les activités de jeux de hasard dans la réserve. À supposer, sans toutefois en décider, que le par. 35(1) vise les revendications du droit à l’autonomie gouvernementale, la norme juridique pertinente n’en demeure pas moins celle établie dans Van der Peet, précité. À supposer que les revendications du droit à l’autonomie gouvernementale autochtone sont visées par le par. 35(1), ces revendications doivent être examinées à la lumière des objets sous‑jacents de cette disposition et, par conséquent, être appréciées au regard du critère tiré de l’analyse de ces objets. Il s’agit du critère établi dans Van der Peet, précité. Dans la mesure où elles peuvent être présentées en vertu du par. 35(1), les revendications d’autonomie gouvernementale ne diffèrent pas des autres prétentions à la jouissance de droits ancestraux, et elles doivent, de ce fait, être appréciées au regard de la même norme.

 

 

 

[737]       Après examen du critère de l’arrêt Van der Peet applicable aux droits ancestraux, la Cour est arrivée à la conclusion que la prétention des appelants pouvait validement être assimilée à l’affirmation selon laquelle le paragraphe 35(1) reconnaît et confirme leur droit d’organiser et de réglementer des paris à enjeux élevés dans leurs réserves. Puis la Cour écrivait, au paragraphe 27 :


 

Les appelants eux‑mêmes demandent à notre Cour de caractériser leur revendication de [TRADUCTION] « droit général de gérer l’utilisation des terres de leurs réserves ». Caractériser ainsi la revendication des appelants aurait pour effet d’assujettir l’examen de la Cour à un degré excessif de généralité. Les droits ancestraux, y compris toute revendication du droit à l’autonomie gouvernementale, doivent être examinés à la lumière des circonstances propres à chaque affaire et, plus particulièrement, à la lumière de l’histoire et de la culture particulières du groupe autochtone qui revendique le droit. Les facteurs énoncés dans Van der Peet, et appliqués plus tôt en l’espèce, permettent à la Cour d’examiner la revendication des appelants suivant le degré de spécificité approprié, ce que ne permettrait pas la caractérisation proposée par les appelants.

 

 

 

[738]       Plus loin, au paragraphe 29, le juge en chef Lamer écrivait :

 

Je ferais remarquer que ni l’un ni l’autre des juges qui ont entendu les procès en l’espèce ne se sont appuyés sur des conclusions de fait concernant l’importance des jeux de hasard pour les Ojibways. Toutefois, après examen de la preuve, je souscris à la conclusion tirée par le juge Osborne lorsqu’il a déclaré, premièrement, à la p. 400, qu’« aucun élément de preuve ne permet de conclure que les jeux de hasard en général et les jeux de hasard à gros enjeux comme ceux en cause ici faisaient partie de la culture et des traditions historiques des premières nations, ou qu’ils constituaient un aspect de l’utilisation qu’elles faisaient de leur territoire » et, deuxièmement, à la p. 400, qu’« il n’y a aucune preuve que les jeux de hasard sur les terres des réserves en général aient jamais été l’objet d’une réglementation autochtone ». Je suis également en accord avec l’observation suivante, faite par le juge Flaherty de la Cour provinciale, dans le cadre du procès Gardner : [TRADUCTION] ... les loteries commerciales telles que les bingos sont des phénomènes du XXe siècle, et rien de tel n’existait chez les peuples autochtones ni ne faisait partie des moyens traditionnels de socialisation et de subsistance de ces sociétés.

 

 

 


[739]       Dans l’arrêt Delgamuukw, rendu en 1997, très peu de temps après l’arrêt Pamajewon, la Cour suprême avait affaire à une revendication affirmant le droit constitutionnel à l’autonomie gouvernementale. Cependant, la Cour ordonna un nouveau procès et s’abstint d’examiner le fond de cette revendication. Elle écrivait, au paragraphe 170, que ce n’était pas là un cas qui se prête à la formulation de principes juridiques devant guider l’instruction d’autres affaires, et elle relevait brièvement aussi que l’arrêt Pamajewon contenait une mise en garde contre la formulation, en des termes par trop généraux, des revendications d’autonomie gouvernementale. La Cour écrivait ce qui suit, aux paragraphes 170 et 171 :

 

Devant les juridictions inférieures, on s’est longuement attardé à la question de savoir si le par. 35(1) peut protéger le droit à l’autonomie gouvernementale et, dans l’affirmative, quels sont les contours de ce droit. En raison des erreurs de fait commises par le juge de première instance, et de la nécessité de tenir un nouveau procès qui en a découlé, il est impossible pour notre Cour de décider si le bien‑fondé de la revendication de l’autonomie gouvernementale a été établi. De plus, il ne s’agit pas d’un cas qui se prête à la formulation par la Cour des principes juridiques devant guider l’instruction d’autres affaires. Les parties semblent avoir reconnu ce point, peut‑être implicitement, en accordant beaucoup moins d’importance en appel aux arguments relatifs à l’autonomie gouvernementale. L’arrêt Pamajewon de notre Cour est une raison pour laquelle une moins grande importance a été attachée au droit à l’autonomie gouvernementale en appel. Dans cet arrêt, j’ai conclu que les droits relatifs à l’autonomie gouvernementale, s’ils existent, ne peuvent pas être exprimés en termes excessivement généraux. Au moment du procès, les appelants n’avaient évidemment pas pris connaissance de mon jugement dans cet arrêt rendu ultérieurement. Il n’est donc pas étonnant, comme l’admet explicitement l’avocat des Wet’suwet’en, que les appelants aient plaidé le droit à l’autonomie gouvernementale en termes très généraux et, par conséquent, d’une manière incompatible avec le par. 35(1).

 

Le caractère général de la revendication présentée au procès a également fait en sorte que les parties n’ont pas abordé bon nombre des difficiles questions conceptuelles que soulève la reconnaissance de l’autonomie gouvernementale des autochtones. Le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui consacre 304 pages à cette question, donne une bonne idée de sa complexité. Ce rapport présente divers modèles d’autonomie gouvernementale, tous différents les uns des autres, notamment en ce qui concerne le territoire, la citoyenneté, la compétence et l’organisation gouvernementale interne...

 

 

 

[740]       Aux prises avec une preuve insuffisamment détaillée, la Cour a refusé de « s’avancer sur ce terrain ».

 

 

[741]       La nation de Samson fait valoir que la Cour suprême a posé les bases du droit à l’autodétermination dans son arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075. Samson affirme aussi que, en reconnaissant le caractère commun ou collectif des droits ancestraux sur la terre et les ressources, la Cour suprême du Canada reconnaissait également le pouvoir décisionnel, le pouvoir de réglementation et même le pouvoir de gouvernance de la communauté sur les activités concernées. À mon avis cependant, l’arrêt Sparrow et autres précédents marquants portant sur les droits ancestraux ou issus de traités, par exemple l’arrêt R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393, et l’arrêt R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013, ne disent pas que la Cour suprême a conclu à l’existence d’un droit général à l’autonomie gouvernementale. D’ailleurs, ainsi que l’atteste la jurisprudence citée plus haut, la Cour a expressément jugé qu’un tel droit ne saurait être revendiqué d’une manière globale, mais doit plutôt être défini dans sa spécificité. Sans une telle spécificité, tout droit collectif pourrait être revendiqué sur la base du droit à l’autonomie gouvernementale.

 

 


[742]       Pour récapituler donc, les droits ancestraux ne sont pas généraux et universels. Ils visent à protéger les intérêts qui se rapportent à l’histoire propre du groupe qui revendique le droit. Le droit revendiqué doit reposer sur des pratiques, coutumes ou traditions ancestrales précises qui existaient avant le contact avec les Européens. Par ailleurs, la pratique, coutume ou tradition doit avoir fait partie intégrante de la culture particulière du groupe concerné, c’est‑à‑dire qu’elle distinguait ou caractérisait leur culture traditionnelle et résidait au coeur de l’identité du groupe. Il importe également de souligner que les droits ancestraux ne sont pas gelés dans la forme qu’ils avaient avant le contact; toutefois, il faut montrer que le droit revendiqué se rattache directement à la pratique, coutume ou tradition antérieure au contact.

 

 

[743]       Le droit revendiqué par la nation de Samson doit en premier lieu être caractérisé, ou défini. Le premier des trois facteurs principaux exposés dans l’arrêt Van der Peet, au paragraphe 53, est la nature des actes qui, selon la demanderesse, ont été accomplis conformément à un droit ancestral. En l’espèce, ce facteur ne conduit nulle part. La nation de Samson n’a accompli aucun acte conformément à un droit ancestral, mais souhaite plutôt accomplir quelque chose.

 

 

[744]       Le facteur suivant concerne la nature de la décision ou action publique qui censément porte atteinte au droit revendiqué. S’agissant de ce facteur, Samson a contesté la validité des articles 17 et 61 à 68 de la Loi sur les Indiens. L’article 17 traite de la création de nouvelles bandes, et les articles 61 à 68 sont les dispositions qui traitent de l’argent des Indiens.

 

 


[745]       Je relève que, dans la déclaration modifiée (n° 4) de Samson, l’un des redressements sollicités est une injonction ordonnant à la Couronne de transférer à Samson l’administration et le contrôle de toutes les nappes de pétrole et de gaz et de toutes les concessions pétrolières et gazières se trouvant dans la réserve d’origine de Samson. Samson voudrait aussi que le contrôle et l’administration de toutes les nappes de pétrole et de gaz et de toutes les concessions pétrolières et gazières de la réserve du lac Pigeon soient transférés à l’Administration des Quatre Nations.

 

 

[746]       Je relève aussi que Samson ne conteste pas la constitutionnalité de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, ni celle de son règlement d’application. Dans son avis de questions constitutionnelles, en date du 25 mai 2000, Samson semble s’appuyer sur ces textes quand elle invoque la prépondérance des lois fédérales sur certaines lois provinciales. Si je m’en tiens à cela, je dois en déduire que Samson reconnaît la validité des textes qui autorisent la Couronne à gérer ses intérêts dans ses ressources pétrolières et gazières. La contestation de la validité des dispositions de la Loi sur les Indiens porte sur le contrôle et la gestion du produit de la disposition de ses intérêts pétroliers et gaziers.

 

 

[747]       Le troisième facteur exposé dans l’arrêt Van der Peet concerne les traditions et pratiques ancestrales invoquées au soutien de l’existence du droit concerné.

 

 


[748]       Plus haut dans les présents motifs, après avoir examiné les témoignages d’expert, je suis arrivé à la conclusion que la date probable du contact avec les Européens était l’année 1670. Cette date marque le début d’une transformation culturelle qui a vu les Cris s’adonner progressivement au commerce européen des fourrures dès l’avènement de la Compagnie de la Baie d’Hudson et l’établissement de son poste de traite à York Factory.

 

 

[749]       J’observe qu’il n’a été produit au procès aucun témoignage faisant remonter à cette date probable du contact l’entité particulière connue aujourd’hui sous le nom de nation crie de Samson. Durant la première phase du procès, des témoignages ont été produits à propos du chef, Kanatakasu, ou Samson comme on l’appelait aussi, qui avait fait adhérer au Traité n° 6 la tribu Samson (S‑177). Des témoignages ont aussi été produits à propos du prédécesseur de Kanatakasu, Maskepetoon, qui s’était illustré plus tard comme diplomate et pacificateur (S‑174). Toutefois, aux fins de la présente analyse, le groupement autochtone qu’il convient de considérer comme l’ancêtre de l’actuelle nation crie de Samson, est le groupement des Cris des Plaines.

 

 

[750]       Les témoignages produits durant le procès ont établi que les Cris des Plaines étaient des chasseurs‑cueilleurs. Leurs déplacements sur le territoire étaient dictés par les saisons. Les Cris des Plaines assuraient leur subsistance en pêchant et en chassant, ainsi qu’en récoltant des plantes pour en extraire les racines et les baies. Le bison était sans doute la ressource la plus importante des Cris des Plaines, car ils en tiraient leur nourriture, leurs abris, leurs vêtements, leurs outils et leurs instruments. La disparition ultérieure du bison fut, comme nous l’avons vu, tout simplement un désastre.


 

 

[751]       Comme je l’ai indiqué plus haut dans les présents motifs, la naissance du commerce européen des fourrures fut pour les Cris des Plaines un événement décisif. J’admets qu’il est établi que les Cris s’adonnaient à des activités commerciales avant le contact, mais rien ne prouve que ce commerce antérieur au contact fut – d’une manière générale ou pour une marchandise en particulier – une activité notoire des Cris ni une pratique propre aux Cris. Les témoignages montrent à mon avis que le commerce n’est devenu une pratique distinctive des Cris que lorsqu’ils finirent par dominer le commerce européen des fourrures, d’abord comme intermédiaires, et plus tard comme chasseurs professionnels et approvisionneurs. Cependant, il s’agit là d’une activité postérieure au contact. La preuve ne renferme rien qui m’autorise à faire remonter cette activité aux temps antérieurs au contact. Avant le contact, il n’existait aucun commerce avec les Européens. Par ailleurs, les témoignages n’ont pas permis d’établir que les Cris dominaient avant le contact un autre réseau commercial autochtone. Les Cris s’adonnaient certes à des activités commerciales; mais ce n’était pas une caractéristique distinctive de la culture des Cris des Plaines – du moins jusqu’à l’avènement du commerce européen des fourrures.

 

 


[752]       Si cependant le droit concerné ne procède pas d’activités commerciales effectives, mais plutôt de la gestion et du contrôle des fruits de ce commerce – c’est‑à‑dire de l’argent – alors il n’est pas établi non plus qu’il s’agissait là d’un attribut distinctif des Cris des Plaines. L’aînée Amelia Potts a même témoigné que l’argent n’était pas une notion ou chose dont les Cris étaient familiers. L’aînée Potts a rapporté à la Cour un récit que sa grand‑mère lui avait fait et qui remonte à l’époque du traité :

 

[traduction]

Ils se sont alors réunis à North Battleford. Les hommes blancs s’étaient assis là. Il y avait à côté d’eux une mystérieuse boîte en métal. Toutes les familles s’étaient mises en ligne. Le Métis se tenait à l’avant, demandant combien de personnes il y avait dans chacune. Il distribuait des morceaux de papier.

 

Lorsque nous [la grand‑mère de l’aînée Potts] sommes rentrés chez nous, nous voyions ces papiers partout. C’était de l’argent. Du « papier bleu », comme ils l’appelaient. Nous nous bornions à le regarder. Il fut donné aux enfants comme jouet car il n’avait aucune utilité. Nous n’en connaissions pas l’utilité, mais on nous avait dit comment l’utiliser. « Vous devez avoir ces papiers pour commercer avec l’homme blanc, c’est ce qu’on nous a indiqué », a‑t‑elle dit. Pour tout ce que l’homme blanc apporte ici, vous devez avoir de l’argent.

 

Personne n’en pensait rien, de cet argent. Partout les enfants s’en servaient comme d’un jouet. Ils l’enfilaient sur des brindilles. Ils couraient et le faisaient flotter au vent. Ils plantaient les brindilles sur des taupinières, pour jouer. Le papier‑monnaie flottait au vent et se répandait partout où nous vivions. On n’en pensait rien.

 

(C‑1092, onglet 10, pages 2653‑2654)

 

 

[753]       L’aînée Potts fut priée d’en dire davantage sur le mode de vie des Cris avant l’arrivée de l’« homme blanc ». Elle a dit à la Cour : [traduction] « L’argent est inutile pour acheter de la nourriture, c’est ce que ma grand‑mère disait » (C‑1092, onglet 10, page 2580). Puis l’aînée a raconté ce qu’elle avait dit aux élèves du Maskwachees Cultural College, où elle enseignait :

 

[traduction] Voilà les récits que je leur ai faits à propos du mode de vie autochtone, des récits que ma grand‑mère m’avait auparavant faits à moi. Il n’y avait aucun Blanc ici à l’époque. La manière dont une personne autochtone détenait le privilège d’être sur cette terre était la manière dont elle avait vécu. Elle n’avait pas besoin de la notion de l’argent parce qu’elle était entourée de tout ce que la nature lui offrait pour survivre. Sa nourriture, ses médicaments, et toute l’eau fraîche et pure qu’elle voulait. Voilà ce que me disait ma grand‑mère.

 

(C‑1092, onglet 10, pages 2584‑2585)


 

[754]       Une autre aînée, Justine Simon, a parlé de l’argent au cours d’un entretien pour quelque chose que l’on appelait [traduction] « À l’écoute des aînés ». Les propos qui suivent viennent d’une transcription traduite de l’entretien :

 

[traduction]

Que vous disaient vos parents ou vos grands‑parents sur la vie dans la réserve peu après le traité?

 

« Peu de choses, je me souviens que ma grand‑mère parlait du temps où étaient arrivés les soldats blancs. C’est tout ce dont elle parlait et, quand les gens ont obtenu l’argent prévu par le traité, ils ne savaient pas ce que c’était. Je crois que les enfants s’en servaient comme d’un jouet. Ils ne savaient pas ce que c’était jusqu’à ce que quelqu’un le leur explique, et je les entendais dire chaque année que, lorsqu’ils allaient recevoir l’argent, ils iraient camper, faire la fête, danser, acheter de la nourriture et cuisiner en plein air.

 

(C‑90, page 3)

 

 

[755]       L’aînée Simon a témoigné durant la première phase du procès. Elle a reconnu que le document C‑90 reproduisait les propos qu’elle avait tenus durant l’entretien pour les enfants de l’école d’Ermineskin (transcription, volume 87, pages 12279‑12280).

 

 

[756]       L’aîné Thomas Cardinal a rapporté à la Cour ce que sa grand‑mère lui avait dit à propos du Traité n° 6. Voici son témoignage :

 

[traduction]

Ma grand‑mère m’a fait de nombreux récits sur les événements qui se sont produits avant les traités et à la signature des traités. Elle me disait qu’on ne connaissait pas alors la valeur de l’argent. Les Indiens ne connaissaient pas la valeur de l’argent.


 

On leur a donné 5 $ chacun, mais, avant la signature du traité, il n’a pas été rendu compte des numéros de traités ni des noms des endroits où cela a eu lieu. Les enfants s’amusaient à l’extérieur avec ces billets de 5 $. Ils ne savaient pas. Ils pensaient que c’était un jouet. On voyait des billets de 5 $ s’envoler partout. Ils jouaient avec ces billets parce qu’ils n’en connaissaient pas la valeur.

 

(Transcription, volume 96, page 13517)

 

 

[757]       Je remarque cependant que certains des témoignages antérieurs de M. Cardinal ce même jour semblaient indiquer une connaissance de l’argent lors du Traité n° 6, quand il a déclaré :

 

[traduction] La valeur de la terre était considérable. Certains aînés s’étaient levés et avaient dit : « Ma terre n’est pas à vendre. Vous n’avez pas assez d’argent pour en couvrir le territoire avec des dollars. C’est pourquoi il m’est impossible de vous la vendre, mais je vivrai en harmonie avec vous.

 

(Transcription, volume 96, page 13502)

 

 

[758]       Dans Buffalo Days and Nights, Peter Erasmus avait relaté un événement qui s’était produit peu après la signature du traité au Fort Carlton, et il faisait des préparatifs pour se rendre au Fort Pitt avec son ami Hunter :

 

[traduction]

Un Indien m’a arrêté alors que je faisais le tour des magasins des négociants et m’avait offert d’acheter Whitey, mon cheval de traque au bison. « J’en veux cent dollars, sans la selle ni la bride », ai‑je répondu.

 


Il a accepté immédiatement et m’a tendu une liasse de billets pour que je vérifie si le compte y était. J’ai demandé à Hunter de vérifier le comptage, car il avait été instruit sur l’emploi de l’argent. L’animal valait bien le prix demandé, mais, si je rapporte cet incident, c’est pour montrer combien il était facile à l’époque d’escroquer les Indiens.

 

(C‑7, page 256)

 

 

[759]       À mon avis, il est établi que les Cris ne savaient pas ce qu’était l’argent – et par là je veux dire qu’ils ne savaient pas ce qu’était la notion de l’argent, et pas seulement de sa manifestation physique, c’est‑à‑dire le papier monnaie et les pièces – et que l’argent est une chose à laquelle ils ont été initiés après le contact. Certes, au gré des activités commerciales, ils ont dû s’adonner à un genre de troc; cependant, je n’ai pas l’impression que, avant le contact, ils avaient quelque chose qui ressemblait plus ou moins à de l’argent. Même à l’époque du Traité n° 6, l’argent leur était encore jusqu’à un certain point peu familier. La preuve n’atteste pas de pratiques ou traditions ancestrales pouvant appuyer le droit revendiqué de Samson de détenir, gérer, contrôler et administrer son argent.

 

 

[760]       Un autre fondement du droit que revendique Samson à l’autonomie gouvernementale est le Traité n° 6. Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme non seulement les droits ancestraux, mais aussi les droits issus de traités.

 

 

[761]       Le texte du Traité n° 6 prévoit notamment ce qui suit :

 


Et Sa Majesté la Reine par le présent convient et s’oblige de mettre à part des réserves propres à la culture de la terre, tout en ayant égard aux terres présentement cultivées par lesdits Sauvages, et d’autres réserves pour l’avantage desdits Sauvages, lesquelles seront administrées et gérées pour eux par le gouvernement de Sa Majesté pour la Puissance du Canada, pourvu que toutes telles réserves ne devront pas excéder en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou une telle proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites, en la manière suivante, savoir :

 

Que le surintendant en chef des affaires des Sauvages devra députer et envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner les réserves pour chaque bande, après s’être consulté avec les Sauvages de telle bande quant au site que l’on pourra trouver le plus convenable pour eux;

 

Pourvu, néanmoins, que Sa Majesté se réserve le droit de régler avec tous les colons établis dans les limites de toute terre réservée pour une bande de la manière qu’elle trouvera convenable, et aussi que lesdites réserves de terre ou tout droit en icelles pourront être vendues et adjugées par le gouvernement de Sa Majesté pour le bénéfice et avantage desdits Sauvages, qui y auront droit, après qu’on aura au préalable obtenu leur consentement; et dans le but de faire voir la satisfaction que Sa Majesté éprouve à la vue du comportement et de la bonne conduite de ses Sauvages, elle leur accorde par le présent, en agissant par l’intermédiaire de ses commissaires, un présent de douze piastres pour chaque homme, femme et enfant appartenant aux bandes ici représentées, en satisfaction de toutes réclamations ci‑devant existantes.

 

(S‑4, pages 352‑353; non souligné dans l’original)

 

 

[762]       Il ressort nettement du texte que la Couronne devait administrer et gérer les réserves indiennes. Toutefois, il faut s’en rapporter aussi aux observations faites par Morris durant les négociations du traité. Dans le texte de Morris, le secrétaire de la Commission, Jackes, avait consigné les observations de Morris se rapportant à la possibilité de vendre les réserves. Selon Jackes, Morris avait déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

« Il y a une chose que je voudrais dire à propos des réserves. La terre dont je parle est beaucoup plus étendue que ce que vous serez jamais en mesure de cultiver, et il se pourrait que vous voudriez faire comme ont fait vos frères, à l’endroit d’où je viens.

 


Lorsqu’ils ont constaté qu’ils avaient trop de terre, ils ont demandé à la Reine de la vendre pour eux; ils en ont conservé autant qu’ils le voulaient, et le prix auquel le reste fut vendu fut mis de côté pour qu’il fructifie, et de nombreuses bandes tirent aujourd’hui un revenu annuel de la terre.

 

Mais, comprenez‑moi bien, après que la réserve sera mise de côté, elle ne pourra pas être vendue si ce n’est avec le consentement de la Reine et des Indiens; tant que les Indiens le voudront, la réserve sera mise à leur disposition; nul ne pourra leur enlever leurs habitations. »

 

(S‑4, page 205)

 

 

[763]       Je reviens encore une fois aux propos tenus par la juge McLachlin, aux paragraphes 82 et 83, dans l’arrêt Marshall, où elle exposait une démarche en deux étapes pour l’interprétation des traités :

 

Dans un premier temps, il convient d’examiner le texte de la clause litigieuse pour en déterminer le sens apparent, dans la mesure où il peut être dégagé, en soulignant toute ambiguïté et tout malentendu manifestes pouvant résulter de différences linguistiques et culturelles. Cet examen conduira à une ou à plusieurs interprétations possibles de la clause. Comme il a été souligné dans Badger, précité, au par. 76, « la portée des droits issus de traités est fonction de leur libellé ». À cette étape, l’objectif est d’élaborer, pour l’analyse du contexte historique, un cadre préliminaire ‑‑ mais pas nécessairement définitif ‑‑ qui tienne compte d’un double impératif, celui d’éviter une interprétation trop restrictive et celui de donner effet aux principes d’interprétation.

 

Dans un deuxième temps, le ou les sens dégagés du texte du droit issu de traité doivent être examinés sur la toile de fond historique et culturelle du traité. Il est possible que l’examen de l’arrière‑plan historique fasse ressortir des ambiguïtés latentes ou d’autres interprétations que la première lecture n’a pas permis de déceler. Confronté à une éventuelle gamme d’interprétations, le tribunal doit s’appuyer sur le contexte historique pour déterminer laquelle traduit le mieux l’intention commune des parties. Pour faire cette détermination, le tribunal doit choisir, « parmi les interprétations de l’intention commune qui s’offrent à [lui], celle qui concilie le mieux » les intérêts des parties : Sioui, précité, à la p. 1069.

 

 

 


[764]       Les observations de Morris, consignées par Jackes, rendent compte de la politique de longue date de la Couronne, qui remontait à la Proclamation royale de 1763, politique selon laquelle seule la Couronne pouvait acheter des terres indiennes ou en prendre possession. Cette responsabilité passa aux gouvernements coloniaux en même temps que l’administration des affaires indiennes. Après la Confédération en 1867, le gouvernement fédéral du Canada assuma cette responsabilité spéciale. Dans l’arrêt Guerin, le juge Dickson écrivait ce qui suit, à la page 383 :

 

Cette exigence d’une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. Cet objet ressort nettement de la Proclamation royale elle‑même qui porte, au début de la disposition qui fait de Sa Majesté un intermédiaire, « qu’il s’est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages au préjudice de Nos intérêts et au grand mécontentement de ces derniers... » En confirmant dans la Loi sur les Indiens cette responsabilité historique de Sa Majesté de représenter les Indiens afin de protéger leurs droits dans les opérations avec des tiers, le Parlement a conféré à Sa Majesté le pouvoir discrétionnaire de décider elle‑même ce qui est vraiment le plus avantageux pour les Indiens. Tel est l’effet du par. 18(1) de la Loi.

 

 

[765]       Il m’est impossible de voir, dans le texte du Traité n° 6 ou dans les négociations et le contexte historique du traité, quoi que ce soit qui atteste une quelconque entente selon laquelle les bandes allaient administrer et gérer elles‑mêmes leurs terres et leurs ressources. Bien au contraire, il est clair que ce serait là une responsabilité de la Couronne, qui remonte à la Proclamation royale de 1763. Ni les dispositions écrites du Traité n° 6 ni les négociations du traité ne permettent d’affirmer que les Cris conservaient pour eux‑mêmes le droit de vendre, de donner à bail ou d’aliéner de quelque autre manière leurs intérêts dans leurs réserves. À mon avis, les chefs cris qui ont signé le Traité n° 6 savaient que, de la sorte, ils se placeraient sous la protection de la Couronne en échange de certains avantages précis.

 


 

[766]       J’arrive à la conclusion que la nation de Samson n’a pas établi un droit, ancestral ou issu de traités, de détenir, gérer, contrôler et administrer ses propres terres et ressources ni les sommes en découlant.

 

 

[767]       Je me propose maintenant d’examiner la contestation de Samson à l’encontre de l’article 17 de la Loi sur les Indiens. Cet article, qui figure dans la section intitulée « Nouvelles bandes », prévoit ce qui suit :

 

17. (1) Constitution de nouvelles bandes par le ministre – Le ministre peut, lorsqu’il l’estime à propos :

 

a) fusionner les bandes qui, par un vote majoritaire de leurs électeurs, demandent la fusion;

 

b) constituer de nouvelles bandes et établir à leur égard des listes de bande à partir des listes de bande existantes, ou du registre des Indiens, s’il lui en est fait la demande par des personnes proposant la constitution de nouvelles bandes.

 

(2) Division des réserves et des fonds – Si, conformément au paragraphe (1), une nouvelle bande a été constituée à même une bande existante ou une partie de cette dernière, la fraction des terres de réserve et des fonds de la bande existante que le ministre détermine est détenue à l’usage et au profit de la nouvelle bande.

 

(3) Aucune protestation – Aucune protestation ne peut être formulée en vertu de l’article 14.2 à l’égard d’un retranchement d’une liste de bande ou d’une addition à celle‑ci qui découle de l’exercice par le ministre de l’un de ses pouvoirs prévus au paragraphe (1).

 

 

 

[768]       Dans leur déclaration modifiée (n° 4), ainsi que je l’ai mentionné plus haut, les demandeurs allèguent notamment ce qui suit :


 

[traduction]

70. Par ailleurs, il est opportun de déclarer inconstitutionnel, illégal, nul et sans effet l’article 17 de la Loi sur les Indiens.

 

71. L’article 17 de la Loi sur les Indiens viole le droit des demandeurs à l’autodétermination, leur droit de détenir, gérer, contrôler et administrer leurs propres avoirs et leurs droits ancestraux ou issus de traités.

 

72. L’article 17 de la Loi sur les Indiens viole, contredit et enfreint la Loi constitutionnelle de 1982, en particulier ses articles 15, 25 et 35.

 

 

 

[769]       Durant tout le procès – environ 370 jours – il n’a été présenté aucune preuve qui puisse même de loin se rattacher à l’article 17 de la Loi sur les Indiens. Eu égard aux circonstances de la présente affaire, l’article 17 ne s’applique absolument pas aux demandeurs. Il n’a été produit aucun témoignage attestant que le ministre ait été invité à fusionner la bande de Samson avec une autre bande ou à constituer une nouvelle bande fondée sur la liste de bande de la nation de Samson.

 

 

[770]       Je ne puis faire mieux que de citer les propos du juge Cory dans l’arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux pages 361‑362, où il écrivait :

 

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte. ... Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.

 

 


 

[771]       Je ne m’étendrai donc pas davantage sur l’article 17.

 

 

[772]       Pour conclure, je suis d’avis que la nation de Samson n’a pas de droits ancestraux ou issus de traités en ce qui a trait à l’argent des Indiens. Toutefois, pour le cas où une juridiction supérieure exprimerait un avis contraire, j’aborderai la question de l’atteinte et celle de la justification.

 

 

[773]       Je commencerai cette analyse en faisant observer que les droits constitutionnels ne sont pas nécessairement aptes à être exercés d’une manière absolue et que des limites – ou atteintes – peuvent être légalement justifiées. Dans l’arrêt Sparrow, aux pages 1109 et 1110, le juge en chef Dickson écrivait ce qui suit :

 

Le paragraphe en question [le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982] ne contient aucune disposition explicite autorisant notre Cour ou n’importe quel autre tribunal à apprécier la légitimité d’une mesure législative gouvernementale qui restreint des droits ancestraux. Nous estimons pourtant que l’expression « reconnaissance et confirmation » comporte les rapports de fiduciaire déjà mentionnés et implique ainsi une certaine restriction à l’exercice du pouvoir souverain. Les droits qui sont reconnus et confirmés ne sont pas absolus. Les pouvoirs législatifs fédéraux subsistent, y compris évidemment le droit de légiférer relativement aux Indiens en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, ces pouvoirs doivent maintenant être rapprochés du par. 35(1). En d’autres termes, le pouvoir fédéral doit être concilié avec l’obligation fédérale et la meilleure façon d’y parvenir est d’exiger la justification de tout règlement gouvernemental qui porte atteinte à des droits ancestraux. Une telle vérification est conforme au principe d’interprétation libérale énoncé dans l’arrêt Nowegijick, précité, et avec l’idée que la Couronne doit être tenue au respect d’une norme élevée -- celle d’agir honorablement -- dans ses rapports avec les peuples autochtones du Canada, comme le laisse entendre l’arrêt Guerin c. La Reine, précité.

 


Nous nous référons à « Understanding Aboriginal Rights », précité, du professeur Slattery pour ce qui est d’envisager un processus de justification au par. 35(1). Le professeur Slattery souligne, à la page 782, qu’un processus de justification s’impose à titre de compromis entre une caractérisation _ composite _ des droits ancestraux qui ferait entrer dans la définition de ceux‑ci les règlements antérieurs et une caractérisation qui garantirait les droits ancestraux sous leur forme initiale sans aucune restriction apportée par des règlements ultérieurs. Nous sommes d’accord avec lui pour dire que ces deux positions extrêmes doivent être rejetées au profit d’un système de justification.

 

Il semble se dégager du par. 35(1) que, si la réglementation des droits ancestraux n’est pas exclue, une telle réglementation doit être adoptée conformément à un objectif régulier. Notre histoire démontre, trop bien malheureusement, que les peuples autochtones du Canada ont raison de s’inquiéter au sujet d’objectifs gouvernementaux qui, bien que neutres en apparence, menacent en réalité l’existence de certains de leurs droits et intérêts. En accordant aux droits ancestraux le statut et la priorité propres aux droits constitutionnels, le Parlement et les provinces ont sanctionné les contestations d’objectifs de principe socio‑économiques énoncés dans des textes législatifs, dans la mesure où ceux‑ci portent atteinte à des droits ancestraux. Ce régime constitutionnel comporte implicitement une obligation de la part du législateur de satisfaire au critère de la justification. La façon de réaliser un objectif législatif doit préserver l’honneur de Sa Majesté et doit être conforme aux rapports contemporains uniques, fondés sur l’histoire et les politiques, qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada. La mesure dans laquelle une loi ou un règlement a un effet sur un droit ancestral existant doit être examinée soigneusement de manière à assurer la reconnaissance et la confirmation de ce droit.

 

La reconnaissance constitutionnelle exprimée dans la disposition en cause permet donc, dans une certaine mesure, de contrôler la conduite du gouvernement et de limiter fortement le pouvoir du législateur. Bien qu’elle ne constitue pas une promesse d’immunité contre la réglementation gouvernementale dans une société qui, au XXe siècle, devient de plus en plus complexe et interdépendante et où il est nécessaire de protéger et de gérer les ressources épuisables, cette reconnaissance représente un engagement important de la part de la Couronne. Le gouvernement se voit imposer l’obligation de justifier toute mesure législative qui a un effet préjudiciable sur un droit ancestral protégé par le par. 35(1).

 

 

 


[774]       Le juge en chef poursuivait en énonçant, à la page 1112, les questions auxquelles il fallait répondre pour savoir s’il y avait eu atteinte à première vue. D’abord, la restriction est‑elle déraisonnable? Deuxièmement, le règlement est‑il indûment rigoureux? Troisièmement, le règlement refuse‑t‑il aux titulaires du droit le recours à leur moyen préféré de l’exercer? Le juge en chef écrivait ensuite que c’est au particulier ou au groupe qui conteste la mesure législative qu’il incombe de prouver qu’il y a eu atteinte à première vue. Ainsi, en ce qui nous concerne, c’est sur la nation de Samson que repose ce fardeau.

 

 

[775]       À mon avis, si les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’administration de l’argent des Indiens constituent une restriction, elles ne sont pas déraisonnables. Selon les termes du Traité n° 6, la nation de Samson s’est placée sous la protection de la Couronne. Il n’est peut‑être pas de mise d’affirmer cela aujourd’hui, mais c’est bel et bien l’effet du traité. Certes, on peut considérer le traité comme un instrument formant ou affermissant une alliance ou un partenariat, mais il voulait dire aussi que les ancêtres de Samson avaient décidé de laisser la Couronne s’occuper de leurs intérêts. En échange, Samson obtenait certains avantages, précisés dans le traité. La politique de la Couronne, qui remonte à plusieurs siècles sous certains aspects, et les lois qui en ont découlé, se devaient de respecter et de protéger les intérêts des Indiens. Ce n’est sans doute pas toujours ainsi que les choses se sont passées dans la réalité, mais c’est la politique avouée de la Couronne, et elle a depuis été consacrée dans la jurisprudence. La relation entre la Couronne et les peuples autochtones est ancienne et difficile à saisir. C’est aussi une chose qui évolue. Les idées de tutelle et d’assimilation ont été abandonnées en faveur d’un pouvoir décisionnel accru et d’une autonomisation renforcée. Toutefois, à mon avis, les dispositions relatives à l’argent des Indiens n’en demeurent pas moins raisonnables.

 

 

[776]       Puisque la Couronne a assumé la tâche de s’interposer entre les intérêts autochtones et les tiers, elle a l’obligation d’énoncer des règles régissant la manière dont cela se passera. S’agissant de l’argent des Indiens, la Couronne s’est engagée, par la Cession de 1946, à préserver les intérêts de la nation de Samson. Les dispositions de la Loi sur les Indiens se rapportant à l’argent des Indiens ont été adoptées à cette fin. Le paragraphe 61(1) prévoit que la Couronne détient l’argent des Indiens à « l’usage et au profit » des Indiens ou des bandes au nom desquelles il est détenu. La Couronne doit payer des intérêts sur cet argent, en application du paragraphe 61(2); cette disposition est impérative. Les dépenses de sommes d’argent du compte en capital, qui sont régies par l’article 64, ne peuvent être autorisées et prescrites par le ministre qu’avec l’assentiment du conseil de bande, et pour certains objets énumérés, dont le dernier est l’alinéa k), qui est un genre de clause fourre‑tout. Mais l’idée de l’article 64 est que les dépenses doivent être faites pour l’avantage de la bande. La Couronne a conservé pour elle‑même le pouvoir de décider où réside l’intérêt de la bande, mais cela va au coeur de la relation des parties, une relation profonde, historique et de nature sui generis. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu dans ses rapports avec les peuples autochtones, et ce « précepte essentiel » domine et régit l’exercice de ce pouvoir.

 

 


[777]       La deuxième question posée dans l’arrêt Sparrow concerne la rigueur indue. Le règlement est‑il indûment rigoureux? À mon avis, la réponse est négative. Les témoignages ont clairement établi que la nation de Samson a été en mesure d’accéder à son compte en capital, d’y faire des prélèvements et d’en employer les fonds. Owen Jackson, un expert comptable qui vérifie les comptes de Samson depuis 1993, a témoigné au nom de Samson et présenté à la Cour un document intitulé « Sommaire financier de la nation crie de Samson pour la période 1971‑2002 » (S‑523). Ce sommaire indique les sommes et variétés de recettes et de dépenses faites par Samson au cours de cette période de 31 ans. Les chiffres sont impressionnants et montrent que, bien que Samson ait connu des difficultés dans ses dépenses durant plusieurs années, son avoir s’est accru et continu de s’accroître.

 

 

[778]       La troisième question est celle de savoir si le règlement refuse aux titulaires du droit leurs moyens préférés de l’exercer. Malheureusement, bien que plusieurs des experts se soient exprimés sur la manière dont un fiduciaire professionnel gérerait les fonds, il n’a pas été établi comment Samson préférait que les fonds soient gérés, au‑delà des limites de la présente instance, où elle s’en rapporte aux experts pour dire ce que la Couronne aurait dû faire. Mais la preuve a largement montré que Samson avait des objectifs contradictoires au fil des ans à propos de ce qu’elle voulait faire avec son argent et de la manière dont elle souhaitait qu’il soit géré.

 

 

[779]       Je reviens à l’arrêt Sparrow. La Cour suprême a jugé dans cet arrêt que, si l’on conclut à l’existence d’une atteinte à première vue – atteinte que, en l’espèce, je n’ai pas constatée – alors l’analyse passe à la question de la justification. À la page 1113, le juge en chef Dickson écrivait :

 


Si on conclut à l’existence d’une atteinte à première vue, l’analyse porte ensuite sur la question de la justification. C’est là le critère qui touche la question de savoir ce qui constitue une réglementation légitime d’un droit ancestral garanti par la Constitution. L’analyse de la justification se déroulerait comme suit. En premier lieu, il faut se demander s’il existe un objectif législatif régulier. À ce stade, la cour se demanderait si l’objectif visé par le Parlement en autorisant le ministère à adopter des règlements en matière de pêche est régulier. Serait également examiné l’objectif poursuivi par le ministère en adoptant le règlement en cause. L’objectif de préserver, par la conservation et la gestion d’une ressource naturelle par exemple, des droits visés au par. 35(1) serait régulier. Seraient également réguliers des objectifs visant apparemment à empêcher l’exercice de droits visés au par. 35(1) lorsque cet exercice nuirait à l’ensemble de la population ou aux peuples autochtones eux‑mêmes, ou d’autres objectifs jugés impérieux et réels.

 

 

 

[780]       Si l’on conclut à l’existence d’un objectif législatif régulier, alors on passe au second volet de l’analyse de la justification. À la page 1114, le juge en chef poursuivait ainsi :

 

Ici, nous nous référons au principe directeur d’interprétation qui découle des arrêts Taylor and Williams et Guerin, précités. C’est‑à‑dire, l’honneur de Sa Majesté est en jeu lorsqu’Elle transige avec les peuples autochtones. Les rapports spéciaux de fiduciaire et la responsabilité du gouvernement envers les autochtones doivent être le premier facteur à examiner en déterminant si la mesure législative ou l’action en cause est justifiable.

 

 

 

[781]       Je relève que la Cour suprême a plus tard entériné ce critère dans l’arrêt R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, page 555, un précédent également appelé l’arrêt Marshall (2).

 

 


[782]       En ce qui concerne la Loi sur les Indiens, l’objectif de ce texte est la protection des intérêts des Indiens. Comme je l’ai dit précédemment, cette conclusion découle du rôle historique de la Couronne, un rôle par lequel elle s’engageait à protéger et à garantir les intérêts des peuples autochtones contre l’exploitation. Dans la section 5 du second volume des mémoires de la Couronne renfermant ses conclusions sur la phase relative à l’argent des Indiens, la Couronne passait en revue les consultations et discussions, ainsi que diverses mesures avortées, qui eurent lieu au cours des dernières décennies et qui concernaient la manière dont les demandeurs pouvaient assumer, en dehors des dispositions de la Loi sur les Indiens, la responsabilité de la gestion de leurs deniers. Je ne me propose pas de revoir cette preuve ici. Qu’il suffise de dire que beaucoup de travail et d’effort y a été consacré, mais qu’il n’en a rien résulté dans la modification du statu quo. Entre‑temps, l’argent de la nation de Samson est demeuré en dépôt au Trésor, et la Couronne verse des intérêts sur cet argent. Par conséquent, je suis d’avis que, s’il y a atteinte, cette atteinte est totalement justifiée.

 

 

[783]       Je passe maintenant à l’article 15 de la Charte, invoqué par Samson, sous la rubrique « Droits à l’égalité ». Cet article prévoit ce qui suit :

 

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

 

 


[784]       Dans la décision Nechako Lakes School District No. 91 c. Patrick, [2002] B.C.J. No. 37, la Cour suprême de Colombie‑Britannique a eu l’occasion d’examiner l’applicabilité de l’article 15 de la Charte aux bandes indiennes. Le district scolaire demandeur réclamait aux bandes défenderesses le paiement des redevances scolaires qu’elles lui devaient; les bandes ont déposé une demande reconventionnelle dans laquelle, notamment, elles alléguaient une discrimination contraire au paragraphe 15(1) de la Charte. Le juge Garson, après avoir analysé la nature juridique d’une bande indienne, aux paragraphes 103 à 111, a conclu que les bandes ne sont pas des particuliers aux fins de la Charte. Il a donc refusé d’examiner au fond l’argument fondé sur la discrimination :

 

[traduction]

_103_____La Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, en son paragraphe 2(1), définit ainsi le mot « bande » :

 

 

 

 

« bande » Groupe d’Indiens, selon le cas :

 

 

 

 

 

a)

 

 

 

à l’usage et au profit communs desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951,

 

 

 

 

b)

 

 

 

à l’usage et au profit communs desquels Sa Majesté détient des sommes d’argent;

 

 

 

 

c)

 

 

 

que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l’application de la présente loi.

 

 

 

_104_____ Selon le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, le « conseil de la bande » est le conseil établi conformément à l’article 74 de la Loi sur les Indiens, qui prévoit qu’un conseil de bande « sera constitué au moyen d’élections tenues selon la présente loi ».

 

_105_____ Dans son texte intitulé Native Law (Toronto: Carswell, 1994), J. Woodward écrit, à la page 398 : [traduction] « la bande, en tant qu’entité durable ayant son propre gouvernement, est un genre unique d’entité juridique en droit canadien ».

 

_106_____ Dans la décision William c. Lake Babine Indian Band (1999), 30 C.P.C. (4th) 156 (C.S. C.‑B.), le juge Taylor devait définir la bonne méthode de signification d’un bref et d’une déclaration à une bande indienne et au conseil de cette bande. Il a jugé qu’une bande indienne était davantage assimilable à un syndicat qu’à une société commerciale parce qu’elle exerce une fonction représentative au nom de ses membres.

 


_107_____ Dans la décision Bande indienne de Montana c. Canada, [1998] 2 C.F. 3 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 20, la juge Reed écrivait que « les bandes et les conseils de bandes ne sont pas des personnes morales; ils ne sont pas non plus des personnes physiques aux yeux de la loi ». Elle faisait observer ensuite que les bandes indiennes ont été décrites comme des « associations sans personnalité morale de nature unique, parce qu’elles sont créées par la loi et non par la volonté de leurs membres », ajoutant que, selon d’autres commentateurs, « les droits et les obligations de la bande sont tout à fait distincts des droits et obligations cumulatifs des membres de la bande... [e]n droit, la bande constitue en elle‑même une catégorie ».

 

_108_____ La juge Reed faisait observer que, dans la décision Clow Darling Ltd. c. Big Trout Lake Band (1989), 70 O.R. (2d) 56 (C. dist. Ont.), le tribunal avait écrit : « un conseil de bande a, au même titre qu’une personne morale, le pouvoir d’agir et de contracter des obligations distinctes de celles de ses membres ». Elle a cité un jugement de la Cour suprême de Colombie‑Britannique, Joe c. Findlay (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 166, où la Cour écrivait : [traduction] « le présent conseil de bande est élu par ses membres pour exercer des droits et accomplir des obligations provenant ou non de la loi ».

 

_109_____ S’agissant des recours collectifs introduits en application de la Charte, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a nié récemment l’intérêt pour agir à deux syndicats qui avaient introduit une procédure pour violation de l’alinéa 2d) de la Charte (qui débute par le mot « chacun ») et avaient sollicité une réparation en application du paragraphe 24(1), non en leur propre nom, mais en tant que mandataires de leurs membres (C.L.A.C. c. B.C. Transportation Financing (2001), 91 B.C.L.R. (3d) 197).

 

_110_____ Les accords locaux d’éducation qui sont contestés ne sont pas des accords entre particuliers. À mon avis, une bande est un organe représentatif, et aussi un organe directeur, mais une bande n’agit pas au nom de chacun des enfants indiens, comme l’ont prétendu les bandes. Une bande n’est pas un « être humain ». Les accords locaux d’éducation sont des accords entre niveaux de gouvernement ou organes directeurs. Les accords locaux d’éducation prévoient un mode de financement entre niveaux de gouvernement, et ils permettent aux bandes d’avoir leur mot à dire dans la qualité et la nature de l’éducation de leurs enfants. En aucun cas le père ou la mère d’un enfant n’est tenu, selon un accord local d’éducation, de payer à titre individuel la scolarité de son enfant, en contravention du School Act. La bande ou le conseil de bande, en tant que partie à un accord local d’éducation, agit en tant qu’organe directeur ou représentatif. En cette qualité, il assume « des droits et obligations qui sont distincts de ceux de ses membres ».

 

_111_____ Il s’ensuit que les bandes et les conseils de bande ne sont pas des particuliers, et par conséquent le paragraphe 15(1) de la Charte ne s’applique pas à eux dans le cas présent.

 

 

 

[785]       Je souscris à l’analyse et à la conclusion du juge Garson et je les fais miennes aux fins de la présente affaire. L’article 15 de la Charte ne vient pas en aide à la nation de Samson dans le cas présent. Il ne m’est donc pas nécessaire d’examiner davantage l’argument de la discrimination.

 

 

[786]       Avant d’aller plus loin, je voudrais ajouter quelques observations sur la question de l’autonomie gouvernementale.


 

 

[787]       Durant le procès, Samson a produit une preuve abondante destinée à établir son organisation sociale, sa culture, sa langue, sa spiritualité, ses lois, ses coutumes, ses traditions et ses institutions. Samson dit que cette preuve répond à la condition juridique que doit remplir un peuple pour revendiquer avec succès le droit à l’autonomie gouvernementale : un droit qui existait bien avant l’arrivée des Européens sur ce continent, qui s’est poursuivi après le contact, qui a été reconnu et préservé par le Traité n° 6, qui est reconnu en common law et en droit international, enfin qui est confirmé et protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Samson dit que son droit à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral, un droit issu de traités et un droit inhérent. Samson rattache ce droit particulier à sa prétention au transfert de son argent, mais Samson semble également invoquer ce droit selon une perspective générale ou globale.

 

 

[788]       En ce qui concerne la demande de transfert, et comme je l’ai déjà précisé, la Cour a ordonné à la Couronne, le 27 janvier 2005, de transférer à Samson toutes les sommes d’argent du compte en capital de Samson, sous réserve de certaines conditions.

 

 


[789]       La Couronne, pour sa part, tente de montrer qu’elle a toujours été disposée à négocier la question de l’autonomie gouvernementale (Conclusions écrites de la Couronne, Phase relative à l’argent des Indiens, volume 2, section 5). Selon la Couronne, elle n’a jamais songé à effectuer des investissements avec l’argent des demandeurs, préférant plutôt adopter une politique de nature à encourager une autonomie gouvernementale accrue chez les Premières nations.

 

 

[790]       La Couronne énumère plusieurs aspects de cette politique. D’abord, la Couronne respecterait les décisions des Premières nations, pour autant que cela soit possible dans les limites des lois existantes. Deuxièmement, la Couronne encouragerait et aiderait les Premières nations à exercer un contrôle accru sur leurs propres affaires, encore une fois dans les limites des lois existantes. Troisièmement, la Couronne affirme qu’elle était disposée à élaborer de nouvelles lois ou d’autres mécanismes propres à favoriser un contrôle accru des Premières nations sur leur argent. Quatrièmement, la Couronne n’adopterait pas unilatéralement de nouvelles lois, mais ne le ferait qu’après consultation des Premières nations concernées, et avec leur assentiment. La Couronne n’adopterait unilatéralement de nouvelles lois que dans le cas des « droits fondamentaux de la personne », expression qui, me semble‑t‑il, renvoie au projet de loi C‑31, qui fut sanctionné le 28 juin 1985 et qui modifiait la Loi sur les Indiens en ce qui avait trait au droit à l’inscription sur les listes de bande. Ce texte a donné lieu à un certain nombre de litiges tortueux.

 

 


[791]       Après examen de la preuve présentée à la Cour sur cette question importante, je ne puis que m’émerveiller devant les multiples études, exposés, projets, rapports, examens et mesures qui ont émané au fil des ans de divers comités, de divers groupes et de diverses personnes intéressées. La liste qui suit n’offre qu’un avant‑goût de tous ces efforts : le Livre blanc de 1969 (C‑686); la réponse des Autochtones contenue dans leur Livre rouge, intitulé Citizens Plus (SEC‑428, classeur 3, onglet 20, document 95); les exposés et lettres de l’Association des Indiens de l’Alberta au ministre du MAINC (C‑572; C‑689); le rapport de 1983 au Comité spécial multipartite de la Chambre des communes sur l’autonomie gouvernementale des Indiens, composé de représentants de tous les partis, un rapport communément appelé Rapport Penner (S‑94); le projet de loi C‑52, Loi sur l’autonomie gouvernementale des bandes indiennes, qui découlait du Rapport Penner (SEC‑428, classeur 16, onglet 29, document 626); le Rapport Dion de 1984 (C‑692); les initiatives communautaires d’autonomie gouvernementale du milieu des années 80; l’Examen des terres, recettes et fiducies (TRF) effectué par le MAINC à la fin des années 80 (C‑840); le Rapport Hall (SEC‑427, classeur 38, onglet 6, document 1021); et, plus récemment, la Loi sur la gestion des terres des Premières nations et la Loi sur la gestion de l’argent des Premières nations (ce dernier texte n’a pas été adopté). Naturellement, il ne s’agit pas là d’une liste limitative. Je relève aussi que rares sont les cas où des accords d’autonomie gouvernementale ont été négociés avec succès avec des Premières nations.

 

 


[792]       Durant la première phase du procès, les demandeurs ont appelé trois anciens ministres du MAINC à témoigner. Ils ont aussi appelé à témoigner l’ancien premier ministre, le très honorable Jean Chrétien, qui fut lui aussi autrefois ministre du MAINC. Ces témoins ont tous semblé reconnaître que la Loi sur les Indiens présente des lacunes et qu’elle doit être soit modifiée, soit abrogée purement et simplement. M. Crombie, qui fut ministre de septembre 1984 à juin 1986, a indiqué que la Loi n’avait aucun défenseur. Il l’a qualifiée de texte oppressif, d’entrave paralysante et de « survivance coloniale » (transcription, volume 89, pages 12499‑12500). M. Munro, qui fut ministre du MAINC de 1980 à 1984, a qualifié la Loi sur les Indiens de texte « abominable » et « archaïque » (transcription, volume 92, page 12959). M. Allmand, qui fut ministre du MAINC de 1976 à 1977, et qui était également membre du Comité Penner, a dit que la Loi est un texte paternaliste et que, parce qu’elle fut imposée unilatéralement aux peuples autochtones, elle constituait un « abus de pouvoir » (transcription, volume 97, page 13618). Le très honorable Jean Chrétien a témoigné que, après les consultations relatives à la Loi sur les Indiens, menées en 1968, il avait proposé l’abrogation intégrale de cette Loi. Les peuples autochtones toutefois ne voulaient pas d’une telle abrogation, et il n’avait donc pas insisté (transcription, volume 296, pages 38 et 50). L’ancien premier ministre souscrivait encore à une déclaration qu’il avait faite en novembre 1968 à Kelowna, en Colombie‑Britannique, en marge de réunions consultatives concernant la Loi sur les Indiens, lorsqu’il avait dit que la Loi constituait une source d’embarras (transcription, volume 296, pages 40‑41; S‑848, onglet 9, page 61).

 

 


[793]       Ce que j’ai trouvé très révélateur dans les témoignages de l’ancien premier ministre et des anciens ministres du MAINC, ce sont leurs propos sur la quasi‑impossibilité d’apporter à la Loi sur les Indiens les changements souhaités depuis si longtemps par les peuples autochtones et par la Couronne elle‑même. La politique de la Couronne, qui remonte à plusieurs décennies, a toujours été favorable à un accroissement du pouvoir décisionnel des Premières nations. La terminologie a pu évoluer au fil des ans, passant de la dévolution au droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, mais le résultat recherché reste essentiellement le même. Et pourtant, il n’en reste pas moins cruellement insaisissable.

 

 

[794]       Un important document qui mérite un examen est le _ Guide de la politique fédérale : l’autonomie gouvernementale des Autochtones _, un document dont le sous‑titre est : _ L’approche du gouvernement du Canada concernant la mise en oeuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie _ (S‑214). Ce guide a été publié en 1995. Le message introductif des ministres renferme notamment ce qui suit :

La reconnaissance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale en vertu de l’article 35 de la Constitution canadienne a été la pierre angulaire de la politique de notre gouvernement sur les Autochtones depuis notre élection en 1993. [...]

 

[...]

 

L’objectif du gouvernement fédéral est clair. Des changements substantiels doivent être apportés afin d’assurer aux peuples autochtones un plus grand contrôle de leur vie. Le mécanisme le plus juste, le plus raisonnable et le plus pratique pour y arriver consiste en la conclusion d’ententes négociées.

 

 

 

[795]       Puis on peut lire ce qui suit, dans le guide, sous la Partie 1 : Cadre politique

 

Le gouvernement du Canada reconnaît que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral existant au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. De même, il reconnaît que ce droit inhérent peut découler de traités ainsi que des rapports qu’entretient la Couronne avec les Premières nations visées par un traité. La reconnaissance du droit inhérent repose sur le fait que les peuples autochtones du Canada ont le droit de se gouverner, c’est‑à‑dire de prendre eux‑mêmes les décisions touchant les affaires internes de leurs collectivités, les aspects qui font partie intégrante de leurs cultures, de leur identité, de leurs traditions, de leurs langues et de leurs institutions et, enfin, les rapports spéciaux qu’ils entretiennent avec leur terre et leurs ressources.


Le gouvernement reconnaît d’une part qu’il pourrait être possible de s’adresser aux tribunaux pour faire respecter le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et que, d’autre part, il existe des points de vue divergents quant à la nature, à la portée et au contenu de ce droit. Toutefois, le recours aux tribunaux relativement à la question du droit inhérent serait long et coûteux et aurait tendance à engendrer des conflits. De plus, les tribunaux ne donneraient aux parties concernées que des indications générales et leur laisseraient le soin d’établir elles‑mêmes le détail des mesures à prendre.

 

Pour ces raisons, le gouvernement est convaincu que le recours aux tribunaux ne doit être qu’une solution de dernière instance. La tenue de négociations entre les gouvernements et les peuples autochtones est de toute évidence la façon préférée, c’est‑à‑dire la plus pratique et la plus efficace d’assurer l’application du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale.

 

(S‑214, page 3)

 

 

[796]       Depuis 1995, la Couronne admet donc expressément, dans sa politique, que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et protège le droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale. Toutefois, cette reconnaissance n’a pas été suivie d’une reconnaissance et d’une explication par les tribunaux.

 

 

[797]       Dans la présente affaire, j’ai entendu de nombreux témoignages sur la genèse, l’historique et l’organisation de la nation crie de Samson, ainsi que sur l’entité globale représentée par les Cris des Plaines. En dépit de la durée de ce litige et de la quantité considérable de documents et de témoignages présentés à la Cour durant le procès, je ne suis tout simplement pas disposé à dire que Samson a le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et que ce droit est confirmé et protégé par l’article 35 de la Constitution.

 


 

[798]       Je m’en rapporte à la preuve et à ce que j’ai dit sur la constitutionnalité de la Loi sur les Indiens et des divers articles de cette Loi qui intéressent la présente affaire. Je suis également d’avis que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils ont le droit ancestral, inhérent ou issu de traités de gérer et contrôler leurs affaires intérieures, leurs terres, leurs ressources et leur argent. La mise en oeuvre d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale requiert de difficiles négociations sur le champ des pouvoirs et sur les domaines de compétence. Je suis tout à fait conscient de l’énormité des efforts requis, pas simplement de la part de la Couronne, mais également de la part des Premières nations. Mon incertitude, toutefois, concerne la nation crie de Samson et sa revendication d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. J’encourage fortement les deux parties à négocier, de bonne foi et sans ménager leurs efforts, un accord global d’autonomie gouvernementale, si c’est là ce que souhaite la nation de Samson. L’objectif est de faire du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale une réalité pratique. Cela ne peut se faire que par la négociation, non par la confrontation. Le transfert de sommes d’argent du compte en capital, pour autant que les conditions de l’ordonnance de transfert soient respectées, constituera un énorme pas en avant pour la nation crie de Samson dans sa marche vers l’autonomie gouvernementale. J’invite les parties à profiter de cette dynamique.

 

I.  Dépens

 


[799]       L’article 400 des Règles des Cours fédérales donne à la Cour le pouvoir d’adjuger les dépens. L’exercice de ce pouvoir est laissé entièrement à l’appréciation de la Cour. Les deux parties ont obtenu gain de cause dans la présente affaire. Samson a réussi à obtenir le transfert de ses fonds par la Couronne, dans la mesure où les conditions d’un tel transfert ont été fixées par ordonnance de la Cour. La Couronne a elle aussi obtenu gain de cause, en ce sens qu’elle n’a pas été rendue responsable de la manière dont elle a géré l’argent des Indiens. Par conséquent, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et j’arrive à la conclusion que chacune des parties supportera ses propres dépens.

 

J.  Dispositif

 

[800]       Pour les motifs susmentionnés, l’action introduite contre la Couronne est rejetée. Par ailleurs, puisque la responsabilité de la Couronne n’est pas engagée, il ne m’est pas nécessaire d’examiner les arguments se rapportant à la prescription.

 

     « Max M. Teitelbaum »

     Juge

 

CALGARY (Alberta)

le 30 novembre 2005

 

 

 

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑2022‑89

 

INTITULÉ :                                       LE CHEF VICTOR BUFFALO ET AUTRES c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE                   CALGARY (ALBERTA)/NATION CRIE DE SAMSON, HOBBEMA (ALBERTA)

 


DATES DE L’AUDIENCE : 2000 : MAI : du 1er au 4; du 8 au 10; JUIN : du 5 au 9; du 12 au 15; du 19 au 23; OCTOBRE : du 3 au 6; du 11 au 13; du 16 au 18; les 30 et 31; NOVEMBRE : le 1er; du 7 au 9; du 13 au 16; du 27 au 30; DÉCEMBRE : du 4 au 7; du 11 au 13; 2001 : JANVIER : du 8 au 11; du 15 au 17; du 22 au 25; MARS : le 12; les 14 et 15; du 19 au 22; du 26 au 29; AVRIL : du 2 au 5; du 17 au 19; le 30; MAI : les 1er et 2; du 14 au 17; du 23 au 25; JUIN : du 4 au 7; du 11 au 14; du 18 au 21; SEPTEMBRE : du 4 au 7; du 10 au 12; OCTOBRE : du 1er au 4, du 9 au 12; du 15 au 18; du 29 au 31; NOVEMBRE : le 1er; du 5 au 8; du 12 au 15; du 27 au 29; DÉCEMBRE : le 3, les 5 et 6; les 10 et 11; 2002 : JANVIER : les 7 et 8; MAI : du 6 au 9; du 13 au 15; du 21 au 24; JUIN : du 3 au 5; du 11 au 14; les 19 et 20; JUILLET : le 16; AOÛT : du 26 au 30; SEPTEMBRE : du 10 au 13; du 17 au 20; le 30; OCTOBRE : du 1er au 3; du 7 au 9; du 15 au 17; les 28 et 29; NOVEMBRE : du 12 au 15; du 18 au 21; du 25 au 28; DÉCEMBRE : du 2 au 5; le 9; 2003 : JANVIER : du 13 au 16; le 20; les 22 et 23; du 27 au 30; FÉVRIER : du 18 au 21; du 24 au 27; AVRIL : le 7; les 22 et 23; les 29 et 30; MAI : les 1er et 2; du 12 au 16; du 20 au 23; du 26 au 28; JUIN : du 9 au 13; du 16 au 20; SEPTEMBRE : les 3 et 4; le 9; le 24; OCTOBRE : du 15 au 17; du 20 au 22; du 27 au 30; NOVEMBRE : du 3 au 5; du 10 au 12; du 26 au 28; DÉCEMBRE : du 1er au 4; 2004 : JANVIER : du 12 au 15; du 19 au 22; du 26 au 29; FÉVRIER : le 19; du 23 au 25; MARS : du 24 au 26; du 29 au 31; AVRIL : les 1er et 2; du 13 au 16; du 19 au 22; le 26; du 28 au 30; MAI : du 10 au 14; du 17 au 21; du 25 au 27; JUIN : du 6 au 8; les 10 et 11; du 22 au 25; JUILLET : du 5 au 9; du 13 au 16; les 19 et 20; NOVEMBRE : le 30; DÉCEMBRE : du 1er au 3; du 6 au 10; du 13 au 17; les 20 et 21; 2005 : JANVIER : les 20 et 21; MAI : le 26

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      le 30 novembre 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

James O’Reilly

Hélèn Sioui Trudel

 

Edward H. Molstad, c.r.,

Marco S. Poretti,

Priscilla Kennedy

Terry Davis

Nathan Whitling

David Sharko

Rayana Allen

 

Peter W. Hutchins

Cristina A. Scattolin

Robert Freedman

Anjali Choksi

 

Owen Young

 

L. Douglas Rae

W. Tibor Osvath

 

Carolyn M. Buffalo                                                       POUR LES DEMANDEURS

 

Alan D. Macleod

Clarke Hunter

Mary Comeau

Brenda Armitage

Wendy McCallum

Tom Valentine

James Bazant

Ray Chartier


Robert Stack                                                                POUR LES DÉFENDEURS

 

Terry P. Glancy                                                            POUR LES INTERVENANTS

 

Robert J. Normey

S.H. Stan Rutwind

Beverley Bauer, c.r.,                                                     POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

O’REILLY & ASSOCIÉS

Montréal (Québec)

 

PARLEE MCLAWS LLP

Edmonton (Alberta)

 

HUTCHINS GRANT & ASSOCIÉS

Montréal (Québec)

 

MACINTOSH YOUNG

Toronto (Ontario)

 

RAE AND COMPANY

Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS

 

ROYAL MCCRUM DUCKETT & GLANCY

Edmonton (Alberta)                                                      POUR LES INTERVENANTS

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DE L’ALBERTA,

DIVISION DU DROIT CONSTITUTIONNEL

ET DU DROIT DES AUTOCHTONES                      POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL

Edmonton (Alberta)                                                     DE L’ALBERTA

 

MACLEOD DIXON LLP

Calgary (Alberta)                                                          POUR LES DÉFENDEURS


Date : 20051130

 

Dossier : T‑2022‑89

 

 

Calgary (Alberta), le 30 novembre 2005

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

ENTRE :

 

LE CHEF VICTOR BUFFALO, en son propre nom et au nom de

tous les autres membres de la nation et bande indienne de Samson,

       et LA NATION ET BANDE INDIENNE DE SAMSON,

 

                                                                                        demandeurs

                                                     et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE

    DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

                       ET LE MINISTRE DES FINANCES

 

                                                                                          défendeurs

                                                     et

 

 

LE CHEF JEROME MORIN, en son propre nom ainsi qu’au nom de tous les

MEMBRES DE LA BANDE DES INDIENS ENOCH ET

DES RÉSIDENTS DE LA RÉSERVE N° 135 DE STONY PLAIN

 

 

                                                                                       intervenants

                                                     et

 

 

                        EMILY STOYKA et SARA SCHUG

 

                                                                                     intervenantes

 

 

                                                     

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