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Date: 19980604

Dossier: T-1181-97

OTTAWA, ONTARIO, CE 4ièmeJOUR DE JUIN 1998.

Présent :        L'HONORABLE JUGE JOYAL

Entre :

                DENIS AMABLE, détenu, présentement incarcéréà l'établissement

                     de La Macaza situéau 321, chemin de l'Aéroport, La Macaza,

                                                  province de Québec J0T 1R0,

                                                                                                                                         requérant,

                                                                          - et -

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                                intimé.

                                                               ORDONNANCE

La requête en contrôle judiciaire, en l'instance, est rejetée.

L-Marcel Joyal

                                                                                                                                                           

Juge

Date: 19980604


Dossier: T-1181-97

Entre :

                DENIS AMABLE, détenu, présentement incarcéréà l'établissement

                     de La Macaza situéau 321, chemin de l'Aéroport, La Macaza,

                                                  province de Québec J0T 1R0,

                                                                                                                                         requérant,

                                                                          - et -

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                                intimé.

                                                     MOTIFS D'ORDONNANCE

L'HONORABLE JUGE JOYAL

[1]       Il s'agit d'une demande de révision judiciaire visant l'obtention d'un bref de certiorari à l'encontre d'une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, Section d'appel (la « Section d'appel » ), rendue le 2 mai 1997, le tout en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Le bref de certiorari vise à annuler la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la « Commission » ) refusant au requérant la libération conditionnelle totale et la semi-libertéen maison de transition.

Les faits:


[2]       Le requérant est âgéde 62 ans. Il est condamnépour la première fois en 1958 pour grossière indécence à l'encontre d'enfants âgés de 5 et 10 ans. En 1961, il est condamnéà deux ans de pénitencier, ainsi qu'à une détention préventive indéfinie, pour deux viols sur des enfants âgés de 8 et 10 ans. En 1983, le requérant se voit octroyer une libération conditionnelle. Toutefois, trois ans plus tard, il récidive et viole un adolescent de 13 ans. Il est condamnéà 9 ans de pénitencier.

[3]       Àcompter de 1993, le requérant bénéficie d'une semi-libertéà la maison de transition l'Intervalle et ce, jusqu'au 30 janvier 1995. Durant cette période, il suit des programmes spécifiques pour les déviants sexuels à l'Universitéde Montréal et participe à des travaux communautaires ainsi qu'à des activités sociales surveillées.

[4]       Le 30 janvier 1995, la Commission révoque la semi-libertédu requérant, s'appuyant sur le rapport de son médecin indiquant une réapparition de sa déviance sexuelle malgréles traitements suivis. Le requérant en appelle de cette décision auprès de la Section d'appel de la Commission, qui rejette l'appel le 27 juillet 1995.

[5]       Le 22 novembre 1995, le requérant est revu en audience devant la Commission et se voit refuser la semi-libertéà la maison de transition l'Intervalle. Le requérant en appelle de cette décision. La Section d'appel, en date du 8 mai 1996, confirme les conclusions de la section de première instance et rejette l'appel du requérant.


[6]       Le 17 octobre 1996, le requérant est revu en audience par la Commission et sa demande de semi-libertéest de nouveau refusée. Le requérant porte cette dernière décision en appel. Le 2 mai 1997, la Section d'appel rejette cet appel et confirme la décision de lui refuser une semi-liberté.

[7]       Le 4 juin 1997, le requérant dépose une requête afin d'obtenir un bref de certiorari annulant la décision rendue par le Section d'appel le 2 mai 1997.

La décision de la Section d'appel:

[8]       Après une étude de la décision de première instance, la Section d'appel estime que celle-ci n'est pas à l'encontre de l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés(la « Charte » ) puisque le traitement dont fait l'objet le requérant ne rencontre pas les qualificatifs d'une peine cruelle et inusité. La Section d'appel estime de plus que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit ni n'a pris de mesures hautement restrictives quant à l'évaluation du dossier du requérant. La Section d'appel distingue le présent cas de celui dans l'arrêt Le directeur de l'établissement Mountain c. Theodore Steele, [1990] 1 R.C.S. 1385. Et finalement, la Section d'appel conclut que la Commission a outrepassésa compétence en novembre 1995 en laissant sous-entendre que le requérant devrait se soumettre à un encadrement par médication s'il désire obtenir une semi-libertédans le futur. Toutefois, la Section d'appel estime qu'une telle garantie, même si elle avait étéaccordée, ne saurait lier la Commission lors d'examens ultérieurs.


Les questions en litige:

1.          La décision de la Section d'appel est-elle déraisonnable, abusive et arbitraire eu égard de la preuve déposée en l'instance?

2.          La décision de la Section d'appel contrevient-elle aux articles 7 et 12 de la Charte?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ne respectant les exigences des articles 101d) et 102 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition (la « Loi » )?

4.          La Section d'appel a-t-elle enfreint l'article 143 de la Loi?

Les arguments des parties:

(a)        La décision de la Section d'appel est-elle déraisonnable, abusive et arbitraire eu égard à la preuve déposée en l'instance?


[9]       L'avouée du requérant allègue que les décisions de la Commission et de la Section d'appel sont déraisonnables puisqu'elles écartent les avis et recommandations des divers intervenants et professionnels traitants inscrits au dossier. De plus, il est alléguéque la décision de la Commission en date du 17 octobre 1996 et celle de la Section d'appel en date du 2 mai 1997 sont abusives puisqu'elles sont les dernières d'une série de refus touchant la semi-libertédu requérant et découlant de la révocation de la semi-libertéde ce dernier en date du 22 novembre 1995. D'autre part, il est soumis que la décision du 17 octobre 1996 est abusive et arbitraire puisqu'elle ne tient pas compte du fait que le requérant a rempli l'exigence de castration chimique requise par la Commission en novembre 1995. La Commission aurait donc outrepassésa compétence par ses refus répétés d'accorder au requérant une semi-liberté.

[10]     Pour sa part, l'avouée de l'intiméallègue que la décision de la Section d'appel n'est pas déraisonnable puisque cette dernière a tenu compte de l'ensemble des éléments constituant le dossier lorsqu'elle a évaluéle risque de récidive du requérant. En vertu de l'article 107 de la Loi, la Commission n'est pas liée par les recommandations des divers intervenants au dossier et peut avoir une opinion indépendante quant au risque que peut constituer le requérant. L'avouée soutient que le requérant s'est prévalu de son droit d'appel lors des refus subséquents de la Commission et que le présent recours en révision judiciaire ne peut porter que sur la décision du 2 mai 1997. Cette dernière décision n'est pas abusive eu égard aux circonstances dans le présent dossier. L'intiméconclut que la Section d'appel n'a pas rendu une décision arbitraire puisqu'elle a examinétous les éléments au dossier avant de rendre la décision du 2 mai 1997, et qu'elle n'a pas commis d'excès de juridiction en confirmant le refus d'accorder une semi-libertéau requérant.

(b)        La décision de la Section d'appel contrevient-elle aux articles 7 et 12 de la Charte?


[11]     Le requérant soutient que les refus répétés de la Commission de lui accorder une semi-libertéafin de lui permettre d'accéder à des programmes de réinsertion sociale constituent une peine cruelle et inusitée. La durée excessive de l'incarcération du requérant (37 ans) est devenue disproportionnée et contrevient l'article 12 de la Charte. Il est aussi alléguéque les refus répétés de la Commission d'accorder au requérant une semi-libertéviolent les principes de justice fondamentale énoncés à l'article 7 de la Charte en ce que ces refus ne servent plus aucune fin dans la réhabilitation de ce dernier.

[12]     L'intiméallègue à son tour que la durée de la peine que purge le requérant n'est pas devenue, par le simple refus d'une semi-liberté, cruelle et inusitée.

(c)        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ne respectant pas les exigences des articles 101d) et 102 de la Loi?

[13]     Selon le requérant, la Commission n'a pas respectéles exigences des articles 101d) et 102 de la Loi en n'appliquant pas les mesures les moins restrictives lors de sa décision du 17 octobre 1996.

[14]     L'intimésoutient que, tel que le prévoit l'article 102 de la Loi, la Commission n'a pas étéconvaincue qu'une récidive du requérant, avant l'expiration légale de sa peine, ne présenterait pas un risque indu pour la société.

(d)        La Section d'appel a-t-elle enfreint l'article 143 de la Loi?

[15]     Le requérant allègue que la Commission n'a pas fourni au requérant une copie des cassettes de l'enregistrement de l'audience du 22 novembre 1995, contrairement aux dispositions de l'article 143(1) de la Loi.

Analyse:

[16]     Malgrétoute la sympathie que m'inspire la triste histoire du requérant, je ne vois aucune erreur de faits ou de droit pouvant justifier l'intervention de la Cour dans le présent dossier.

(a)        La décision de la Section d'appel est-elle déraisonnable, abusive et arbitraire eu égard à la preuve déposée en l'instance?

[17]     En matière de révision judiciaire, le fardeau de prouver que le tribunal administratif n'a pas respectél'équitéprocédurale ou a agi inéquitablement ou de façon déraisonnable, repose sur le requérant. Il n'est pas suffisant de démontrer que le tribunal a rendu une décision erronée, mais plutôt, le requérant doit établir que cette décision est déraisonnable, arbitraire ou capricieuse à sa face même.

[18]     En l'espèce, le requérant allègue que les décisions de la Commission et de la Section d'appel sont déraisonnables puisqu'elles ignorent les différents avis des intervenants et professionnels de la santéau dossier. Or, je ne puis souscrire à de telles affirmations.

[19]     Dans sa décision détaillée du 17 octobre 1996, la Commission s'attarde longuement aux rapports psychiatriques et psychologiques concernant le requérant. Elle mentionne que les spécialistes considèrent qu'il représente un risque assumable pour évoluer en sociétéet elle fait état des divers rapports des intervenants du milieu carcérale qui recommandent, eux-aussi, une semi-libertéafin d'aider le requérant à progresser vers la réinsertion sociale.


[20]     Toutefois, la Commission estime que malgréla bonne volontédu requérant, ce dernier est toujours aux prises avec une déviance sexuelle de type pédophilique. La preuve médicale tend à démontrer que le requérant, même après 10 mois de traitement pharmacologique, éprouve toujours de fortes pulsions sexuelles. De plus, la Commission souligne qu'il ne semble pas avoir la pleine compréhension des conséquences de ses gestes sur ses victimes. La Commission estime que le requérant doit entreprendre une démarche psychologique introspective s'il veut vraiment comprendre les causes et conséquences de sa déviance.

[21]     Àmon avis, la décision de la Commission et celle de la Section d'appel ne comportent aucune erreur permettant de conclure qu'elles sont déraisonnables, abusives ou capricieuses.

(b)        La décision de la Section d'appel contrevient-elle aux articles 7 et 12 de la Charte?


[22]     En ce qui a trait à l'article 7, la Cour suprême du Canada a établi que l'article 7 de la Charte, portant sur l'atteinte à la liberté, implique deux questions, soit: (1) y a-t-il eut privation de liberté, et dans l'affirmative; (2) cette privation est-elle suffisamment grave pour que la protection conférée par la Charte s'applique?[1] En l'espèce, le requérant ne s'est pas vu priver de liberté puisqu'il ne jouissait pas d'une libération conditionnelle ou de semi-liberté. Sa semi-liberté fût révoquée en janvier 1995 et le requérant en a appelé de cette décision. Les décisions sous étude n'ont fait que confirmer un état de fait déjà existant et n'ont en rien modifié la liberté du requérant. Donc, en l'instance, si l'on applique le test de la Cour suprême, il ne peut y avoir contravention à l'article 7 de la Charte.

[23]     Quant à l'article 12, l'analyse effectuée par la Section d'appel sur cette question, dans sa décision du 7 mai 1997, est juste, concise et judicieuse. En qualifiant une telle décision, on doit tenir compte que les membres en question sont des experts et que l'expertise qu'ils possèdent mérite beaucoup de respect. Je ne vois dans leur traitement de cette question des motifs suffisants pour justifier mon intervention.

(c)        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ne respectant les exigences des articles 101d) et 102 de la Loi?

[24]     Les articles 101 et 102 de la Loi imposent à la Commission la responsabilitéde porter jugement dans chaque dossier, jugement qui n'est pas toujours facile mais qui, je le répète, relève bien de la compétence de ses membres.

(d)        La Section d'appel a-t-elle enfreint l'article 143 de la Loi?

[25]     Àcet égard, il est clair que l'argument soumis ne fût pas poussébien loin et qu'il doit lui aussi être rejeté. Àtout événement, dans l'affaire Giroux c. Canada, [1994] F.C.J. no 1750, Madame le juge McGillis, après une longue analyse des dispositions pertinentes de la Loi, conclut en se référant à l'article 143(1):

Bien que la Commission ait décidé, par prudence, de toujours enregistrer ses procédures sur bande magnétique, le paragraphe 143(1) de la Loi ne l'y oblige pas. En fait, la seule obligation en vertu de la Loi est de "[tenir] un dossier des procédures" ou, suivant le texte anglais, "maintain a record of the proceeding". Àmon avis, le texte anglais et le texte français de la Loi n'obligent pas la Commission à fournir une transcription littérale de ses procédures.

Conclusion:

[26]     Il est clair, à mon avis, que la Commission était saisie d'un cas limite. Il était donc tout à fait raisonnable que l'avouée du requérant ait voulu soumettre le dossier au test d'un contrôle judiciaire. Comme je le disais plus tôt, le requérant, malgréles risques que la sociétélui attribue, attire beaucoup de sympathie. Autant les autorités le libèrent du contrôle carcéral, autant augmente le risque d'une récidive. Autant l'on maintient son incarcération, autant critique devient le problème de sa réinsertion dans le milieu communautaire. Voilà l'énigme que la Commission doit affronter dans les cas de sentence indéterminée.

[27]     Dans le dossier devant moi, je ne trouve suffisamment de motifs me permettant d'intervenir. La requête en contrôle judiciaire doit être rejetée.

[28]     La Cour se doit de souligner la contribution particulièrement professionnelle des avouées des parties au cours du débat et les remercier de leur excellente participation.


L-Marcel Joyal

                                                                                                           

J U G E

O T T A W A (Ontario)

le 4 juin 1998.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DE LA COUR:                        T-1181-97

INTITULÉ:DENIS AMABLE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE:             Montréal, Québec DATE DE L'AUDIENCE:       12 mai 1998 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE JOYAL EN DATE DU         4 juin 1998

COMPARUTIONS

Me Bertrane Royer                                                                POUR LE REQUÉRANT

Me Rosemarie Millar                                                             POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Bertrane Rover

Montréal (Québec)                                                                  POUR LE REQUÉRANT

George Thomson

Sous-procureur général du Canada                                     POUR L'INTIMÉ



     [1]       Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143 à la p. 148.


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