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Date : 20040119

Dossier : T-2006-99

Référence : 2004 CF 35

Ottawa (Ontario), le lundi 19 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                             CAMOPLAST INC.

                                                                                                                                   demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

SOUCY INTERNATIONAL INC.

et

KIMPEX INC.

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La présente demande en vertu des articles 3, 4, 51 et 151 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) vise à renverser la décision du protonotaire Morneau en date du 28 novembre 2003 accueillant la requête de la demanderesse/défenderesse reconventionnelle (Camoplast) pour l'émission d'une ordonnance de confidentialité, le tout avec frais. Dans cette décision, le protonotaire a conclu que les informations et documents à protéger sont de nature confidentielle et qu'un préjudice sérieux et important serait causé à la demanderesse si son principal compétiteur, les parties défenderesses, y avaient accès.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions présentées par Soucy et Kimpex sont les suivantes :

1.          Est-ce que le protonotaire Morneau a omis de considérer tous les facteurs pertinents et commis une erreur dans son application des principes de droit en ce qui a trait à l'ordonnance de confidentialité?

2.          Est-ce que le protonotaire Morneau a omis de considérer l'effet de l'ordonnance rendue par rapport aux droits fondamentaux de Soucy et Kimpex dont celui du droit à une défense pleine et entière et à un procès équitable?

3.          Est-ce que le protonotaire Morneau, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, a répondu à une question qui a une influence déterminante sur la solution des questions en litige?

[3]                Pour les motifs suivants, l'appel sera rejeté.


CONTEXTE FACTUEL

[4]                Camoplast poursuit Soucy International Inc. et Kimpex Inc. (Soucy et Kimpex) alléguant contrefaçon du brevet canadien portant le numéro 2,182,845 émis pour une invention intitulée     « Chenille de transmission de motoneige à sculpture atténuatrice de bruit » (le brevet).

[5]                Soucy et Kimpex ont produit une défense et se portent demanderesses reconventionnelles afin d'invalider le brevet pour des motifs d'insuffisance et d'ambiguïté du mémoire descriptif, de l'intitulé, d'anticipation et de preuve de l'invention revendiquée qui, suite a un jugement rendu par la Cour d'appel fédérale, a été modifiée pour inclure des allégations concernant le brevet Lecours numéro 2,143,802.

[6]                Le 19 novembre 2003, Camoplast a signifié un affidavit supplémentaire de documents, dans lequel deux séries de documents et informations ont été produites l'une se rapportant au développement de l'invention revendiquée dans le brevet et l'autre traitant de chenilles que Bombardier lui avaient commandées dans le cadre de ses activités de développement d'une chenille silencieuse.

DÉCISION CONTESTÉE

[7]                Le 28 novembre 2003, le protonotaire Morneau a rendu une décision accueillant la requête de Camoplast pour l'émission d'une ordonnance de confidentialité.

PRÉTENTIONS DE SOUCY ET KIMPEX


[8]                Selon Soucy et Kimpex, le protonotaire Morneau aurait omis de considérer tous les facteurs pertinents au débat et aurait commis une erreur dans son application des principes de droit en ce qui a trait à l'ordonnance de confidentialité. Plus particulièrement, il aurait omis de considérer l'effet de l'ordonnance rendue par rapport à leurs droits fondamentaux dont celui du droit à une défense pleine et entière et à un procès équitable.

[9]                De plus, toujours selon Soucy et Kimpex, le protonotaire aurait exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question qui a une influence déterminante sur la solution des questions en litige.

PRÉTENTIONS DE CAMOPLAST

[10]            L'ordonnance de confidentialité émise par le protonotaire Morneau vise des documents de nature confidentielle qui ont été créés, recueillis et protégés dans l'expectative raisonnable qu'ils resteraient confidentiels.

[11]            Les informations obtenues des clients de Camoplast, y compris la compagnie Bombardier, ou développées dans le cadre des activités de Camoplast à titre d'agent manufacturier pour ses clients, sont non seulement de nature confidentielle, mais elles sont également couvertes par des ententes de confidentialité implicites.

[12]            Les informations se rapportant aux activités de recherches et développement ayant menées à l'invention de la solution technique en matière de réduction de bruit sont le résultat d'années d'efforts en recherche et développement. Les solutions technologiques qui en ont résulté ou qui en résulteront à l'avenir confèrent à Camoplast un avantage compétitif important sur son marché et n'ont aucunement à être divulguées.

[13]            L'importance de préserver la confidentialité des documents et informations visées par l'ordonnance de confidentialité relève du besoin de Camoplast de protéger ses intérêts commerciaux ainsi que son droit d'obtenir des brevets sur les solutions techniques qu'elle est présentement en train de développer et, sans une ordonnance de confidentialité, il n'existe aucune autre option raisonnable. Une divulgation de l'information et des documents en cause constitue un préjudice sérieux aux intérêts commerciaux importants de Camoplast.

[14]            Soucy et Kimpex sont deux compagnies liées et sont les principaux compétiteurs de Camoplast.

[15]            Le témoignage de M. Courtemanche eu égard au caractère confidentiel des informations en cause est crédible, complet, précis et non-contredit.


[16]            La détermination des sources du bruit généré par une chenille de motoneige n'est pas d'un intérêt social aussi important que le respect des normes environnementales dont il a été question dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41,     [2002] 2 R.C.S. 522. Ici, il s'agit d'un litige entre deux parties privées où les informations visées par l'ordonnance de confidentialité n'étaient pas accessibles au public avant le début des procédures puisqu'il s'agit d'informations confidentielles.

[17]            Aucun des documents et informations visés par l'ordonnance de confidentialité ne se rapportent à la défense de Soucy et Kimpex dans le cadre de l'action en contrefaçon du brevet et donc il n'y a aucune incidence sur la possibilité pour Soucy et Kimpex de faire valoir une défense pleine et entière. De plus, l'ordonnance de confidentialité ne restreint aucunement un accès complet aux informations aux procureurs de Soucy et Kimpex et à leurs experts indépendants.

ANALYSE

[18]            Une analyse des faits révèle qu'il s'agit d'un cas de contrefaçon et d'invalidité alléguées à l'égard d'un brevet. L'ordonnance de confidentialité est compréhensive et s'applique à deux types de documents et informations, soit ceux échangés entre les parties et ceux qui seront présentés à la Cour. L'ordonnance de confidentialité du protonotaire consiste également à donner un accès complet aux informations aux procureurs de Soucy et Kimpex et à ses experts indépendants, mais seulement à ces personnes.    Je suis donc persuadé que le protonotaire Morneau a considéré tous les facteurs pertinents au litige en rendant son ordonnance.

[19]            Le paragraphe 51(1) des Règles prévoit qu'une ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête. La norme de révision des décisions d'un protonotaire a été établie comme suit par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.) :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants: 1) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou 2) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause. Dans ces deux cas, le juge doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

et tout récemment dans Merck & Co., Inc. et al. c. Apotex, 2003 CAF 488.

[20]            De plus, à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada au paragraphe 84 de ses motifs dans l'arrêt Sierra Club, supra, je conclus qu'en l'espèce il s'agit plus « d'un litige entre personnes privées à l'égard d'intérêts purement privés » . Je suis également satisfait que les effets bénéfiques de l'ordonnance de confidentialité accordés l'emportent sur ses effets préjudiciables surtout lorsqu'on considère que l'ordonnance prévoit que toute l'information soit divulguée aux représentants des parties.


[21]            Tel que décidé dans Bande de Sawridge c. Canada, 2001 CAF 338, [2002] 2 C.F. 346 (C.A.F.), à la page 354, la Cour n'intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé. Ayant révisé les faits présentés par les deux parties dans cette affaire, je ne suis pas persuadé que le protonotaire Morneau a commis une erreur flagrante. Les deux éléments du test de Sierra Club ayant été satisfaits, je suis d'avis que la décision rendue le 28 novembre 2003 présente une option raisonnable et assure l'équilibre entre les intérêts en jeu.

[22]            Je suis aussi rassuré que cet équilibre est maintenu car le protonotaire a même prévu à l'article 14 de son ordonnance que sur simple requête, les parties peuvent demander une modification à l'ordonnance de confidentialité et obtenir qu'une information qualifiée de confidentielle soit déclarée ne pas l'être.

[23]            Je considère aussi que la question ici n'est pas « vitale » à la détermination finale du litige entre les parties (Merck & Co., précité).

[24]            En l'absence d'une erreur manifestement déraisonnable dans cette décision, je n'ai pas l'intention d'intervenir.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

l'appel soit rejeté avec dépens contre les défenderesses.

                 « Michel Beaudry »                    

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

                                                                       DOSSIER :T-2006-99

INTITULÉ :                  CAMOPLAST INC.

                                                     c.

                           SOUCY INTERNATIONAL INC

                                                     et

                                          KIMPEX INC.

                                                     

                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 8 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DE :    LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :           LE 19 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Jean-Sébastien Brière    POUR LA DEMANDERESSE

Éric Ouimet

Pascal Côté       POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar             POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Brouillette, Charpentier, Fortin POUR LES DÉFENDERESSES

Montréal (Québec)


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