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Date: 19991021


Dossier: IMM-227-99



ENTRE:

     KATERINA IAKOUBOVA

     Demanderesse

     ET

     LE MINISTRE

     Défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE BLAIS




[1]          Il s"agit d"une demande d"autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut rendue le 15 décembre 1998, selon laquelle la demanderesse n"est pas une réfugiée au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]      La demanderesse est de nationalité assyrienne et de religion chrétienne. Elle vivait en Abkhazie, sur le territoire de la Géorgie. En 1994, la guerre éclata entre la Géorgie et l"Abkhazie, cette dernière voulant faire sécession.

[3]      En avril 1995, le frère de la demanderesse fut tué par trois musulmans fanatiques nationalistes au domicile familial alors qu"il essayait de protéger la demanderesse. Les parents auraient voulu porter une plainte auprès des autorités locales, mais le Ministère de l"intérieur ne leur aurait pas permis de le faire. La famille a déménagé, suite aux funérailles, car les insultes se poursuivaient.

[4]      En octobre 1996, des individus Abkhaziens se seraient présentés au domicile de la demanderesse en criant "Chrétiens allez-vous en d"ici" et "Mort aux chacals assyriens". Ils ont battu le père qui aurait été conduit à l"hôpital. Entre temps, la demanderesse et sa mère auraient cherché refuge chez des amis.

[5]      En 1997, la demanderesse quitta l"Abkhazie pour se réfugier en Russie, où elle demanda la citoyenneté russe. Les autorités lui ont refusé la demande en lui disant de quitter la Russie et de s"en aller vers le sud.

[6]      Après avoir été menacée par des jeunes portant des uniformes noirs avec l"emblème du svastika nazi, la demanderesse informa la police, mais cette dernière aurait répondu que les non-citoyens ne pouvaient pas être aidés.

[7]      Suite aux menaces du groupe nationaliste Omon qui la traitait de "peau noire" et autres épithètes de ce genre, la demanderesse quitta la Russie le 23 avril 1998, pour arriver au Canada le 28 avril 1998, où elle revendiqua le statut de réfugiée le jour même.

[8]      Elle allègue avoir une crainte de persécution à l"encontre de l"Abkhazie en raison de sa religion chrétienne et de sa nationalité assyrienne.

DÉCISION DU TRIBUNAL

[9]      Le tribunal a noté que la demanderesse avait une possibilité de refuge dans une autre partie du pays, notamment la Géorgie. Étant donné que la demanderesse n"avait pas refusé par écrit sa citoyenneté géorgienne à l"intérieur de trois mois de l"adoption de la Loi sur la citoyenneté , elle demeurait citoyenne géorgienne.

[10]      Le témoignage de la demanderesse est apparu crédible au tribunal. Ce dernier était convaincu que la violence envers la demanderesse provient du simple fait de sa nationalité assyrienne. Selon le "Human Rights Watch World Report (1998)", les problèmes en Abkhazie persistent et consistent principalement à la torture et à l"abus de la part de la police ainsi que les violations des droits de réfugiés et des personnes déplacées. Le tribunal a conclu que la crainte d"être persécuté est très localisée dans le territoire de l"Abkhazie.

[11]      Le tribunal a souligné qu"environ 40,000 réfugiés provenant du territoire de l"Abkhazie sont retournés en Géorgie. Il a conclu que ce n"est pas déraisonnable pour la demanderesse de déménager à l"extérieur de l"Abkhazie, ailleurs sur le territoire de la Géorgie. De plus, la Constitution géorgienne protège la liberté de religion.

LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[12]      La demanderesse argumente que le tribunal a erré en droit en concluant qu'elle avait une possibilité de refuge interne dans la mesure où:

     1.      Le témoignage de la demanderesse n"a pas établi l"existence d"une possibilité de refuge interne, vu qu"elle était ressortissante d"un état sécessionniste abkhaze en état de belligérance avec la Géorgie.
     2.      La preuve documentaire citée par le tribunal ne vient aucunement contredire le témoignage de la demanderesse, relatif à son statut juridique précaire en Géorgie et à l'absence de protection de la part des autorités géorgiennes. Les extraits du "Human Rights Watch Report (1998)" établissent que les autorités géorgiennes ont été responsables de nettoyages ethniques graves dans le cadre du conflit armée qui l'opposait à l'Abkhazie ce qui corrobore le témoignage de la demanderesse quant à la possibilité sérieuse de persécution qu'elle subirait du fait qu'elle provienne de l'Abkhazie et qu'elle ne soit pas de nationalité ethnique géorgienne.
     3.      Le certificat d'identité délivré par les autorités géorgiennes dans le territoire de la Fédération de la Russie ne vient aucunement contredire le témoignage de la demanderesse, relatif à son statut juridique précaire en Géorgie et à l'absence de protection de la part des autorités géorgiennes. La demanderesse argumente qu'elle ne bénéficie pas en théorie et en pratique de tous les attributs inhérents à la citoyenneté géorgienne, vu qu'elle ne pouvait obtenir en lieu et place du certificat d'identité, un passeport des autorités géorgiennes.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[13]      La Section du statut n'a pas erré en concluant que la demanderesse n'était pas une réfugiée puisqu'elle avait une possibilité de refuge interne dans la partie sud de la Géorgie. Cette conclusion est une conclusion de faits relevant de la compétence de la Section du statut.

[14]      La Section du statut a déterminé que le refuge interne était accessible à la demanderesse dans la mesure où tous les incidents à la base de sa crainte de persécution se seraient déroulés dans le territoire d'Abkhazie et que la preuve documentaire révèle que les réfugiés de cet endroit ont trouvé refuge ailleurs en Géorgie.

[15]      Le défendeur maintient qu'il incombe à la demanderesse de démontrer, par la prépondérance des probabilités, qu'elle courait un risque sérieux de persécution à l'endroit du refuge interne identifié et qu'il serait déraisonnable pour elle de s'y réfugier.

[16]      La demanderesse ne fait que prétendre que la Section du statut aurait omis de considérer que les gens provenant de l'Abkhazie ont des difficultés en Géorgie et ne sont pas les bienvenus, vu la situation existant entre ces deux territoires. Cependant, aucune preuve n'est avancée pour soutenir cette allégation. La demanderesse n'a pas rempli son fardeau de preuve.

QUESTION EN LITIGE

[17]      La Section du statut a-t-elle erré en droit en concluant que la demanderesse avait une possibilité de refuge interne?

ANALYSE

[18]      La Cour fédérale d"appel a indiqué dans l"arrêt Rasaratnam c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 F.C. 706, que le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays.

[19]      La Cour a ensuite établi les critères liés à l"évaluation de la possibilité de refuge interne:

     1.      La Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge.
     2.      La situation dans cette partie du pays doit être telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s'y réfugier.
     3.      La question de la possibilité de refuge interne doit être expressément soulevée lors de l'audience par l'agent d'audience ou par la Commission, et le demandeur doit avoir l'occasion d'y répondre en présentant une preuve et des moyens.

[20]      En l"espèce, la Section du statut a soulevé le fait que la demanderesse était citoyenne géorgienne et qu"elle pouvait se réfugier en territoire géorgien. Elle a examiné les preuves présentées et a conclu que la crainte de persécution était localisée en Abkhazie.

[21]      La Cour a précisé dans l"arrêt Thirunavukkarasu c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1994] 1 C.F. 589, à la page 595:

     Pour établir le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, le demandeur, comme je l'ai dit plus haut, doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans son pays. Si la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est soulevée, il doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans cette partie de son pays qui offre prétendument une possibilité de refuge.

[22]      La Section du statut a demandé à la demanderesse d"expliquer sa crainte en Géorgie.

[23]      En voici un extrait de la transcription relatif à cette question:

     PAR LE CONSEILLER
     Q : Donc je pense qu"il... qu"il reste pour moi à peu près une question. Si madame, vous devriez retourner en Géorgie, sur le territoire géorgien excluant l"Abkhazie, que... que craindriez-vous?
     R : j"ai peur pour moi.
     Q: Pourriez vous expliquer vos craintes?
     R : C"est parce que les Géorgiens, ils haïssent tous les gens qui demeurent sur les territoires d"Abkhazie. Je me suis sauvée d"Abkhazie parce que... parce qu"ils ont tué mon frère là-bas d"une part, ils ont battu mon frère presqu"à la mort. J"ai peur tout simplement d"aller là-bas. J"ai très... j"ai peur.
     Q: Ça va pour l"Abkhazie, on comprend très bien, mais maintenant concentrez-vous sur la Géorgie, le territoire qui n"est pas occupé par la... par le gouvernement abkhaze.

     PAR LE COMMISSAIRE

     Q: Tbilissi par exemple? Qu"est-ce que vous craindriez si vous irez à Tbilissi par exemple?
     R: Ça, ils vont savoir que je suis née en Abkhazie et que je suis également une Assyrienne. J"ai peur. Et ils vont me... je vais me retrouver en prison. J"ai peur de ça. J"ai tout simplement peur pour ma vie.
     [...]
     Q: Madame, est-ce que le Géorgien moyen peut vous prendre et vous mettre en prison?
     R: Oui, si tu rentres sur leur territoire, oui, comme je... je vais le faire. Vous savez ce qui s"est passé là-bas quand... Avant, il y avait beaucoup de gens qui ont dénoncé les autres. S"ils savaient, par exemple, que vous n"êtes pas Géorgien, ils ne... vous étiez dénoncés et ces gens-là se retrouvaient en prison dans mon pays. Donc les gens qui ont fui... les Grecs ont fui, les Juifs, ils ont partis, les Grecs ils sont partis en Grèce, les Juifs ils sont partis en Israël. Vous comprenez? Si j"avais un pays qui était à moi, je serai..
     Q: Mais
     R ... je serai partie en Assyrie.
     Q: ...mais Madame, où prenez-vous votre information? Parce que nous avons de l"information qui va dans le sens contraire de ce que vous nous dites.

[24]      Le témoignage de la demanderesse quant à sa crainte est demeuré vague, et elle n'a présenté aucune preuve tangible pour contredire la preuve documentaire présentée au tribunal.

[25]      La preuve devant la Section démontrait qu"environ 40,000 réfugiés provenant de l"Abkhazie sont retournés en Géorgie. La Section a aussi noté le fait que la Constitution du pays protégeait la liberté de religion.

[26]      La Section du statut a conclu, compte tenu de la preuve présentée, que la demanderesse n"a pas une crainte de persécution en Géorgie et qu"il n"était pas déraisonnable que la demanderesse s"y réfugie.

[27]      La demanderesse ne s"est pas déchargée de son fardeau.

[28]      Pour ces raisons la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[29]      Aucun des procureurs n'a soumis de question pour certification.



                             Pierre Blais                              Juge



OTTAWA, ONTARIO

Le 21 octobre 1999

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