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Date : 20021008

Dossier : T-66-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1097

ENTRE :

                                                                 LINDA HIEBERT

                                                                                                                                                     requérante

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                            intimé

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                  Dans l'instance à laquelle la présente requête se rapporte, on demande de savoir si l'article 3.3 de la Loi sur les douanes (la Loi) peut servir de fondement pour un recours contre une confiscation présumée. Cet article porte sur la renonciation aux pénalités et aux intérêts par le ministre. Ainsi, la question est de savoir si la somme demandée par voie de confiscation présumée, soit le double des droits et taxes qui auraient dû être payés, constitue une pénalité au sens de l'article 3.3 ou tout simplement une autre forme de cotisation.

[2]                  Par la présente requête, l'intimé demande la prorogation, à compter la date d'échéance du dépôt, soit le 11 mars 2002, du délai pour le dépôt d'un affidavit. La requête en prorogation a été déposée le 6 juin 2002, soit 86 jours après la date à laquelle l'affidavit aurait dû être déposé.

[3]                  La présente requête a commencé plutôt mal, car l'intimé, dans la requête elle-même, a énoncé un critère à quatre volets qu'il fallait satisfaire : l'existence d'un préjudice, l'intention continue de faire valoir l'affaire, le bien-fondé de l'affaire et une explication raisonnable du retard, mais n'a pas remis un exemplaire de l'affidavit en question. Le critère qu'il convient d'appliquer en matière de prorogation consiste à soupeser les raisons du retard par rapport à la valeur intrinsèque de l'affidavit. J'ai eu l'avantage de prendre connaissance d'observations écrites complémentaires ainsi que d'un exemplaire d'un affidavit que l'intimé désire déposer, soit celui de M. Harvey Beaulac, souscrit le 17 juillet 2002.

EXAMEN

[4]                  L'autorisation de déposer un affidavit en retard est régie par le principe que deux éléments doivent être examinés et appréciés l'un par rapport à l'autre. Ces éléments sont les raisons du retard et la valeur intrinsèque de l'affidavit, ce dernier élément nécessitant l'examen de la pertinence de l'affidavit, de sa recevabilité et de son utilité éventuelle pour la Cour. Ce critère est énoncé dans plusieurs arrêts, mais je n'en mentionnerai que deux. Dans Canadian Parks and Wilderness Society c. Banff National Park (1994), 77 F.T.R. 218 (C.F. 1re inst.) le juge MacKay a déclaré :


[13] Dans l'arrêt Munsingwear Inc. c. Prouvost S.A., [1992] 2 C.F. 541; 141 N.R. 241 (C.A.F.), le juge Décary, qui parlait au nom de la Cour d'appel, a traité des critères applicables à la production tardive d'affidavits en vertu de la règle 704(8) dans un appel formé contre une décision rendue par le registraire des marques de commerce sous le régime de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, où par l'application de la règle 704 il y a un délai limité pour la production d'une preuve additionnelle. Même si tel n'est pas le cas en l'espèce, à mon avis les critères employés dans cette affaire sont applicables à la présente espèce, où la Cour est saisie d'une demande de production de documents une fois expiré le délai qu'elle a fixé par ordonnance. Selon ces critères, la Cour doit examiner les raisons du retard de même que la valeur intrinsèque des affidavits, c'est-à-dire leur pertinence, leur recevabilité et leur utilité éventuelle pour la Cour.

Je mentionne également Maxim's Ltd. c. Maxim's Bakery Ltd. (1990), 37 F.T.R. 199 (C.F. 1re inst.), un arrêt rendu par le juge Strayer (tel était alors son titre) :

[3]         Il ressort nettement de la jurisprudence que, lorsque la Cour étudie une demande prorogation de délai, en conformité avec la règle 704(8), elle doit tenir compte à la fois des raisons invoquées pour justifier le retard et de la valeur intrinsèque des affidavits (c.-à-d., de leur pertinence, de leur recevabilité, de leur utilité éventuelle pour la Cour). Le tribunal a déclaré dans certains précédents qu'il fallait apprécier ensemble les deux facteurs. Estimant qu'il s'agit de la méthode qui convient en l'espèce, je conclus qu'elle signifie qu'il faut peser l'importance du retard par rapport à la valeur possible des affidavits et que l'un de ces deux facteurs peut l'emporter sur l'autre. Je crois qu'en l'espèce, si on applique cette méthode, le retard et l'absence de justification de celui-ci l'emportent sur la valeur éventuelle de ces affidavits.

[5]                 Ces arrêts établissent le principe selon lequel je dois examiner les raisons du retard et apprécier l'importance du retard par rapport à la valeur intrinsèque de l'affidavit, en tenant compte de sa pertinence, de sa recevabilité et de son utilité éventuelle pour la Cour. Je passe maintenant à l'affidavit.


Valeur intrinsèque de l'affidavit

[6]                  L'affidavit souscrit par Beaulac commence en répétant l'information et en mentionnant les documents que la requérante a déjà énoncés et versés au dossier. Vient ensuite une justification inutile de la raison pour laquelle l'intimé, en prenant la décision objet de l'appel, n'a traité que du montant en capital de la cotisation, omettant d'aborder la question de la renonciation aux intérêts. L'affidavit comportait également un commentaire apparemment gratuit à propos des éléments qui pourraient justifier l'annulation des intérêts ou la renonciation aux intérêts et un commentaire dénué de sens, à la lumière de la décision rendue, que les faits ne justifiaient pas la renonciation aux intérêts. L'affidavit conclut en mentionnant les pratiques antérieures de la requérante, qui pourraient donner le contexte; toutefois, ce même contexte, en termes honnêtes et francs, est énoncé dans l'affidavit de la requérante à l'appui de la demande de contrôle judiciaire.

[7]                  La valeur intrinsèque de l'affidavit, en tenant compte de sa pertinence, de sa recevabilité et de son utilité éventuelle pour la Cour, est tout au plus minime.

Raisons du retard

[8]                  Dans la présente instance, le délai dont il faut tenir compte, sans compter le délai accordé par les Règles de la Cour fédérale pour le dépôt des affidavits, est de 86 jours.

[9]                  Les raisons avancées pour le retard sont quelque peu obscures. L'intimé reconnaît que la requérante, Linda Hiebert, a demandé une réduction du montant demandé et la renonciation aux intérêts et à la pénalité, en vertu de l'article 3.3 de la Loi et que le ministre a rejeté cette demande par lettre en date du 13 décembre 2001. Dans cette lettre, le ministre a fait valoir qu'une cotisation de confiscation compensatoire n'est pas une pénalité et que par conséquent la requérante pourrait ne pas bénéficier de l'article 3.3 de la Loi, qui porte uniquement sur les pénalités ou les intérêts payables. Toutefois, la preuve par affidavit produite par l'intimé, expliquant la raison du retard, est que ce n'est qu'après avoir parlé à un avocat au cabinet d'avocats retenu par la requérante que l'avocat de l'intimé a pu apprécier à sa juste valeur la nature de la demande, et que cette conversation a eu lieu le 11 mars 2002, date à laquelle l'affidavit de l'intimé aurait dû être déposé. En revanche, il ressort clairement de la décision de l'intimé, qui a donné lieu au présent contrôle judiciaire, que l'intimé savait, tout au moins aussi tôt que le 13 décembre 2001, que la question était de savoir si la cotisation était une pénalité et que ce n'est que si elle était une pénalité que le recours pouvait être accordé à l'égard du montant en capital au titre de l'article 3.3 de la Loi. C'était manifestement là le point de vue de l'intimé énoncé dans la lettre du 13 décembre 2001. Cette question est également énoncée de manière raisonnablement claire dans l'avis de demande à l'origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

[10]            Je ferais remarquer ici que l'avocat de l'intimé a bien noté, dans la conversation du 11 mars 2002 qu'il a eue avec un avocat dans le cabinet d'avocats retenu par la requérante, qu'une demande serait présentée en vue de proroger le délai de dépôt de l'affidavit.


[11]            Parmi les raisons de retard, il y a également le fait que l'avocat de l'intimé se trouve à Winnipeg, alors que le client et les intervenants se trouvent à Ottawa et que la question en litige est nouvelle.

[12]            Avant d'examiner les raisons du retard, je mentionnerai la décision rendue par la juge Reed dans l'affaire Chin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration) (1993), 69 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.) aux pages 79 et 80. Dans cette décision, la juge Reed a expliqué que dans sa façon de traiter les requêtes visant à obtenir une prorogation de délai, elle prenait d'abord pour hypothèse que les délais prescrits doivent en principe être respectés, chacun devant s'y conformer, les prorogations n'étant pas accordées de façon automatique, à moins que les règles ne le prévoient. Elle cherche ensuite une explication au retard qui serait indépendant de la volonté de l'avocat, car prendre toute autre décision léserait les avocats qui « remuent ciel et terre » pour respecter les délais, à leur propre détriment.


[13]            Bien que la question ayant trait à la portée de l'article 3.3 de la Loi puisse ne pas avoir été examinée auparavant, il est malhonnête de prétendre, comme l'a fait l'intimé. que la question ne ressortait pas clairement de la demande de contrôle judiciaire. Le montant en jeu n'est pas un petit montant. Il aurait dû susciter une réponse beaucoup plus opportune qu'une requête en prorogation de délai déposée 86 jours après la date d'échéance de l'affidavit. De surcroît, encore que l'affidavit ne contienne rien de nouveau ni ne contienne aucun renseignement qui n'existait pas dans le délai de dépôt de l'affidavit, l'affidavit a été souscrit seulement 128 jours après le moment où il aurait dû être déposé.

[14]            Dans ensemble, les motifs à l'appui du retard sont faibles. Il est vrai que l'importance du retard est un facteur, il ne s'agit cependant pas d'un facteur important, c'est plutôt le comportement général de l'intimé, qui a entraîné le retard, qui laisse à désirer.

CONCLUSION

[15]            Une combinaison de manque de pertinence, de recevabilité douteuse et d'absence d'une grande utilité éventuelle pour la Cour a donné lieu à un affidavit qui est, tout au mieux, d'une valeur intrinsèque minimale. Les raisons justifiant le retard sont faibles.

[16]            Compte tenu de la gravité du retard, de la faiblesse des raisons de ce dernier ainsi que de la valeur intrinsèque minimale de l'affidavit, la requête en prorogation du délai pour le dépôt de l'affidavit est rejetée. La requérante paiera les dépens à l'issue de la présente instance.

                                                                                                                                 « John A. Hargrave »     

                                                                                                                                                  Protonotaire           

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 8 octobre 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                           T-66-02

INTITULÉ :                                        Linda Hiebert c. Procureur général du Canada

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                       Le 8 octobre 2002

OBSERVATIONS ÉCRITES:   

Barbara M. Shields                                                                         POUR LA REQUÉRANTE

Jeffrey D. Pniowsky                                                                        POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aikins, MacAulay & Thorvaldson         POUR LA REQUÉRANTE

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

Morris A. Rosenberg                                                                      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)

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