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Date : 20000412


Dossier : IMM-1711-00



ENTRE :


SHOUKAT MAHMOOD SAHI

alias AJMAL KHAN



demandeur


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE REED


[1]      Les présents motifs ont trait à une ordonnance, rendue le 6 avril 2000, dans laquelle la Cour refusait de surseoir à l"exécution d"une mesure d"exclusion.

[2]      Le demandeur cherche à obtenir qu"il soit sursis à l"exécution de la mesure d"exclusion qui a été prise contre lui le premier avril 2000 jusqu"à ce que soit tranchée sa demande d"autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à l"égard de la décision par laquelle cette mesure a été prise. Il soutient que la mesure d"exclusion n"est pas valable au motif que : 1) l"agent d"immigration supérieur l"a signée après que le demandeur a dit qu"il avait l"intention de revendiquer le statut de réfugié; 2) il y eu violation de la justice naturelle étant donné que le demandeur n"a pas eu l"occasion de demander à son avocat d"assister à l"entrevue; 3) la nature de ce qui pouvait résulter de l"entrevue avec l"agent d"immigration supérieur (l"exclusion du Canada) n"a pas été expliquée au demandeur avant l"entrevue.

[3]      Le demandeur est arrivé à l"aéroport international de Vancouver le premier avril 2000. Il avait en sa possession un passeport au nom de Ajmal Khan et il a prétendu qu"il était cet individu, un citoyen de Malaisie. Après avoir été interrogé par un agent de douane et d"immigration à l"étape de ce que l"on appelle l"examen primaire, le demandeur a eu une entrevue avec un agent d"immigration, Mathew Barrington, à l"étape de ce que l"on appelle le deuxième interrogatoire. Le passeport que le demandeur avait en sa possession paraissait frauduleux. Le demandeur a affirmé tout au long de l"entrevue qu"il était Ajmal Khan, qu"il venait au Canada en tant que visiteur, et qu"il ne craignait pas de retourner en Malaisie.

[4]      Le demandeur a par la suite eu une entrevue avec un agent d"immigration supérieur, Ralph Brosinki, qui a cherché à vérifier les renseignements que le demandeur avait fournis à M. Barrington, à une étape que l"avocat du demandeur a appelée le " troisième interrogatoire ". Le demandeur a maintenu qu"il était Ajmal Khan, un citoyen de Malaisie, et qu"il venait au Canada pour y faire une courte visite. L"agent d"immigration supérieur a conclu, sur la base d"un rapport de la G.R.C., que le passeport du demandeur était frauduleux. L"agent d"immigration supérieur a ensuite signé la mesure d"exclusion et invité le demandeur à la signer lui aussi, ce qu"il a refusé de faire. L"agent a écrit sur la ligne destinée à recevoir la signature que le demandeur avait " refusé de signer ". L"agent a ensuite dit au demandeur qu"il était exclu du Canada.

[5]      Le demandeur a alors dit à l"agent qu"il n"était pas originaire de Malaisie mais plutôt du Pakistan et qu"il ne voulait pas quitter le Canada. Il a révélé sa véritable identité et dit qu"il avait l"intention de revendiquer le statut de réfugié au motif qu"il appartenait à la Ligue musulmane, qui regroupait les partisans de l"ancien régime Sharif, qui avait jadis régné sur le Pakistan. Il a fait valoir qu"il serait persécuté s"il retournait au Pakistan en raison de ses affiliations (opinions) politiques.

[6]      Il ne fait aucun doute, à mon avis, que l"agent d"immigration supérieur a signé la mesure d"exclusion avant que le demandeur ne lui révèle sa véritable identité et que celui-ci mentionne qu"il souhaitait revendiquer le statut de réfugié. L"agent a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, et il n"y a pas de raison de mettre en doute sa version des événements. L"agent a corrigé une erreur typographique dans son " rapport sur les faits principaux fondé sur l"article 20 ", ajoutant un élément négatif à une phrase. Il ne fait aucun doute selon moi qu"il ne s"agissait pas d"une tentative de dissimulation de sa part; j"estime qu"il s"agissait plutôt d"une correction typographique de bonne foi. La syntaxe de la phrase non corrigée étaye une telle conclusion.

[7]      Voici les critères qu"on doit remplir pour justifier l"octroi d"un sursis : l"existence d"une question grave à trancher; le préjudice irréparable qui sera causé si le sursis n"est pas accordé; le fait que la prépondérance des inconvénients est favorable à l"octroi d"un sursis.

[8]      Comme je l"ai déjà souligné, la mesure a été signée avant que le demandeur ne mentionne son intention de revendiquer le statut de réfugié. La présente affaire ne soulève pas de question grave à trancher pour ce qui est de cette affirmation de fait. En outre, je ne considère pas que la question du droit à un avocat soulève une question grave. Il ressort clairement de la jurisprudence à laquelle l"avocate du défendeur a renvoyé qu"une telle question n"existe pas. L"avocat du demandeur a cherché à établir une distinction entre cette jurisprudence et la présente affaire au motif que l"entrevue que l"agent d"immigration supérieur a menée était une entrevue de " troisième étape " et non une entrevue de " deuxième étape " (cette question sera abordée plus loin). L"aspect de l"argument de l"avocat du demandeur qui m"a le plus donné à réfléchir est le fait qu"il incombe aux agents d"immigration supérieurs une obligation d"informer les personnes interrogées, avant le début de l"entrevue, que la délivrance d"une mesure d"exclusion peut résulter de celle-ci. Le demandeur en l"espèce a révélé ses véritables identité et intentions après que la mesure d"exclusion a été signée, au moment où on lui a dit que la conséquence de son acte était son exclusion du Canada.

[9]      L"avocat du demandeur fait valoir que le refus de permettre à un demandeur de revendiquer le statut de réfugié dans les circonstances de la présente affaire constitue un résultat bizarre, étant donné que si son client avait détruit les documents de voyage frauduleux en cours de route ou admis qu"ils étaient faux à son arrivée, et s"il avait revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée au Canada, sans jamais prétendre qu"il était quelqu"un qu"il n"était pas en réalité, il aurait eu le droit de présenter une telle revendication. Un passeur qui avait fait le nécessaire en vue de permettre au demandeur de se rendre au Canada avait conseillé à ce dernier de quitter l"aéroport avant de revendiquer le statut de réfugié. L"avocat soutient qu"il ressort de la démarche que la Cour suprême du Canada a récemment adoptée dans l"arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que l"obligation d"agir équitablement que l"on doit respecter à l"égard du demandeur à l"étape du " troisième interrogatoire " est plus importante que ce que l"on avait cru.

[10]      Monsieur le juge Pinard a traité de la question d"une entrevue de deuxième étape dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1998), 44 Imm. L.R. (2d) 129. Il a écrit :

... en réalité, c'est le manque de franchise de la requérante qui lui a fait perdre le droit de revendiquer le statut de réfugié (voir, par exemple, les arrêts Mbulu c. Canada (M.C.I.) (1995), 94 F.T.R. 81, et Nayci c. Canada (M.C.I.) (1995), 105 F.T.R. 122). Dans les circonstances de la présente affaire, je suis donc d'avis qu'il n'était pas nécessaire, au nom de l'équité, d'aviser la requérante de la nature et des conséquences du deuxième interrogatoire. En réalité, la requérante aurait dû savoir qu'elle risquait de ne pas être autorisée à entrer au Canada.

[11]      La Cour d"appel fédérale a traité, dans son arrêt Raman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (A-30-97, 4 juin 1999), d"un cas similaire à la présente affaire en ce que l"omission du demandeur de revendiquer le statut de réfugié dès son arrivée au pays avait résulté d"une fausse information qui lui avait été fournie. La Cour a écrit :

Bien que l'on puisse soutenir que l'appelant a été mal informé concernant le moment le plus approprié pour revendiquer le statut de réfugié, je ne vois pas comment cela peut le décharger de son obligation de dire la vérité quand il se présente à la frontière d'un pays. Un agent principal n'a aucunement l'obligation de reconsidérer les déclarations de personnes qui refusent de se prévaloir de la possibilité de revendiquer le statut de réfugié.
. . .
En l'espèce, on a demandé à l'appelant s'il souhaitait revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, et il a décliné cette offre. ... le refus conscient et volontaire de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention doit être suffisant pour décharger l'agent principal de ses obligations au niveau constitutionnel. Il est de droit constant que les principes de justice fondamentale dictent des procédures différentes selon les circonstances. ... Toute personne autre qu'un citoyen canadien, toutefois, doit avoir le droit de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. Si une personne revendique à bon droit un tel statut au moment opportun, la Charte lui offre des protections procédurales importantes, mais, en l'espèce, cette revendication n'a pas été faite.

[12]      Dans l"arrêt Dehghani c. Canada (Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, M. le juge Iacobucci, s"exprimant au nom de la Cour, a traité d"une question qui diffère de celle que soulève la présente affaire, mais il a fait des remarques très pertinentes sur la nature des interrogatoires aux points d"entrée :

Les gens s'attendent à subir un interrogatoire concernant leur admission au Canada, et ce, tant dans un contexte d'immigration que dans un contexte de douane. À cause de ces intérêts et de ces attentes, l'interrogatoire d'une personne aux fins de son admission doit être analysé différemment de l'interrogatoire d'une personne qui se trouve au Canada.
. . .
Comme le juge Mahoney l'a fait remarquer au nom de la Cour d'appel fédérale à la majorité, il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce que le processus de sélection applicable à toutes les personnes qui cherchent à entrer au Canada se déroule à l'étape de l'examen primaire. Dans le cas des personnes qui sont incapables de produire immédiatement des documents indiquant qu'elles ont le droit d'entrer au pays, le processus de sélection prend plus de temps et un renvoi à un examen secondaire est donc nécessaire. Le caractère de l'examen ne change toutefois pas simplement parce qu'il est nécessaire, pour des raisons de temps et d'espace, de le poursuivre plus tard dans une autre partie de la section de traitement. L'examen continue de faire partie systématiquement du processus général de sélection des personnes qui cherchent à entrer au Canada.

[13]      Je n"ai pas été convaincue qu"il existe une quelconque différence entre la nature de l"interrogatoire à l"étape que l"avocat appelle le " troisième interrogatoire " et celle du deuxième interrogatoire. Il s"agit simplement du prolongement du processus de présélection des personnes qui cherchent à entrer au Canada. Cela ne soulève pas à mon avis de question grave selon laquelle les règles de l"équité confère à la personne visée le droit d"être représentée par un avocat à l"étape du troisième interrogatoire. La jurisprudence s"applique aux circonstances de la présente affaire. En outre, je ne saurais accepter l"argument selon lequel l"arrêt Baker modifie la jurisprudence pour ce qui est de l"obligation qui incombe à un agent d"immigration supérieur à l"égard d"une personne dans la position du demandeur. Cet arrêt traitait de la norme de contrôle qu"il convient d"appliquer à une décision d"ordre humanitaire, de l"omission, de la part du décideur, de tenir compte d"éléments de preuve, et de ce qui constitue les motifs de la décision. À mon avis, cet arrêt ne peut étayer une conclusion selon laquelle il existe un droit à l"avocat dans les circonstances de la présente affaire.

[14]      En ce qui concerne l"argument selon lequel l"agent d"immigration supérieur avait l"obligation d"aviser le demandeur des conséquences éventuelles de l"entrevue avant le début de cette dernière, j"ai conclu, après avoir réfléchi à la question, que le demandeur ne peut tout simplement pas faire valoir cet argument en l"espèce. Je fais remarquer que M. le juge Iacobucci renvoie, dans l"arrêt Dehghani , au fait que " [l]es gens s'attendent à subir un interrogatoire concernant leur admission au Canada, et ce, tant dans un contexte d'immigration que dans un contexte de douane ". Monsieur le juge Pinard a dit, dans Chen : " En réalité, la requérante aurait dû savoir qu'elle risquait de ne pas être autorisée à entrer au Canada ". L"affidavit que le demandeur a produit pour étayer la présente requête ne contient aucune déclaration selon laquelle il ignorait les conséquences éventuelles de l"entrevue, soit qu"elle pouvait donner lieu à un refus de lui permettre d"entrer au Canada.

[15]      Pour ces motifs, je ne saurais conclure que le demandeur a soulevé une question grave qui doit être tranchée.

[16]      J"aborde maintenant la preuve concernant le préjudice irréparable. Je crois comprendre que le demandeur sera renvoyé en Nouvelle-Zélande et que la responsabilité de le ramener là-bas incombera à la compagnie aérienne qui l"a amené au Canada. L"avocat du demandeur se demande cependant si son client sera en mesure d"entrer en Nouvelle-Zélande vu qu"il est un citoyen du Pakistan et non de ce pays. Le demandeur a séjourné en Nouvelle-Zélande pendant deux mois avant de venir au Canada; avant cela, il avait fait un bref séjour en Indonésie. L"avocat du demandeur soutient qu"en droit international, le seul pays qui sera obligé d"accepter son client est le Pakistan, et qu"il est probable que la Nouvelle-Zélande et la Malaisie refuse de le laisser entrer. En conséquence, soutient-il, le demandeur ne pourra aller nulle part ou encore il sera renvoyé au Pakistan, où, selon ce dernier, il sera persécuté.

[17]      L"avocat renvoie à l"arrêt Suresh c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (A-415-99, 23 juillet 1999) de la Cour d"appel. Selon lui, il ressort de cet arrêt qu"un préjudice irréparable sera causé non seulement lorsque le renvoi du demandeur du Canada fera courir à ce dernier un danger physique, mais également lorsque la demande de contrôle judiciaire deviendrait sans objet du fait du renvoi du demandeur. J"interprète cet arrêt de façon plus étroite. Je crois comprendre que le second type de préjudice irréparable sera causé lorsque le demandeur ne pourra se prévaloir des droits que fait naître une décision favorable à l"égard de la demande de contrôle judiciaire. Dans l"arrêt Suresh , la Cour a estimé qu"il n"était pas probable que le demandeur puisse revenir au Canada après avoir été renvoyé au Sri Lanka, même s"il avait gain de cause en Cour d"appel fédérale :

" ... une décision favorable à M. Suresh quant à la contestation constitutionnelle serait une fausse victoire puisqu'il est peu probable que les autorités sri-lankaises le mettraient en liberté et, partant, il ne serait pas en mesure de profiter des fruits de sa victoire, c'est-à-dire, fort probablement, le droit de demeurer au Canada ... ".

[18]      Cependant, le seul élément de preuve qui m"a été soumis concernant le pays vers lequel le demandeur sera renvoyé est la déclaration dans laquelle il dit qu"il serait renvoyé à Honolulu (il était venu au Canada en provenance de Nouvelle-Zélande, en passant par Honolulu). Aucun élément de preuve n"étaye la supposition sur son éventuelle destination.

[19]      Le demandeur n"a pas établi que la présente affaire soulève une question litigieuse grave qui doit être tranchée, et toute allégation de préjudice irréparable est, au mieux, de nature spéculative. En conséquence, j"ai refusé de surseoir à l"exécution de la mesure d"exclusion.


" B. Reed "

                                             juge     


Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 12 avril 2000










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE L"IMMIGRATION


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-1711-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Shoukat Mahmood Sahi

                         c.

                         MCI


LIEU DE L"AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L"AUDIENCE :              6 avril 2000

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :                  12 avril 2000



ONT COMPARU :             

M. William MacIntosh              Pour le demandeur

Mme Pauline Anthoine              Pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

William Macintosh Associates

Barristers & Solicitors

Surrey (C.-B.)                      Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          Pour le défendeur

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