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Date : 20060426

 

Dossier : IMM‑3462‑05

 

Référence : 2006 CF 521

 

 

ENTRE :

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

 

et

 

 

MEHRNAZ JOLINE CHOUBAK

(alias MEHRNAZ CHOOVAK)

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

1.         Introduction

[1]               Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 21 avril 2005, que la défenderesse, Mehrnaz Joline Choubak, était une réfugiée au sens de la Convention.

 

[2]               Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en concluant que la défenderesse n’était pas exclue en vertu de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention sur les réfugiés). Le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Commission selon laquelle la défenderesse a établi le bien‑fondé de sa crainte d’être persécutée en Iran du fait de ses opinions politiques présumées, de sa religion et de son appartenance à un groupe social.

 

[3]               C’est la seconde fois que la Cour est saisie d’une décision de la Commission concernant la demande d’asile de la défenderesse.

 

2.         Historique factuel

[4]               La défenderesse (maintenant connue sous le nom de Melisa Joline Choubak) est née le 11 juin 1982 à Téhéran, en Iran. Elle est citoyenne iranienne. Au mois de mars 1986, la défenderesse a accompagné sa mère en Allemagne et elle a obtenu l’asile sous la tutelle de sa tante et de son oncle, au moyen d’un jugement du tribunal local de la tutelle. En 1985, la tante et l’oncle avaient été acceptés en Allemagne à titre de réfugiés venant de l’Iran. La défenderesse a obtenu un permis spécial de résidence temporaire. Sa mère est retournée en Iran; elle rendait visite à la défenderesse une fois par année en Allemagne, lorsqu’on l’autorisait à quitter l’Iran. En 1998, la mère de la défenderesse s’est installée en Allemagne et elle est de nouveau devenue tutrice de la défenderesse.

 

[5]               En 1999, la défenderesse a demandé et obtenu un visa d’étudiant de l’ambassade du Canada, à Bonn, en Allemagne, afin d’étudier à Toronto. La défenderesse est arrivée au Canada le 15 septembre 1999. Cinq jours plus tard, elle a présenté une demande d’asile à titre de réfugié venant de l’Allemagne, laquelle était fondée sur sa race, sur sa nationalité et sur ses opinions politiques. Dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), la défenderesse a déclaré ne pas pouvoir retourner en Iran, mais elle n’a pas alors expressément fait d’allégation de persécution à l’égard de l’Iran. Toutefois, elle a modifié son FRP afin de présenter sa demande à l’égard de l’Iran avant sa seconde audience relative au statut de réfugié.

 

[6]               Au moment où la défenderesse est venue au Canada, elle était titulaire d’un document délivré par le gouvernement allemand appelé unbefristete Aufenhaltserlaubnis (un permis de résidence permanente). Un permis de résidence permanente avait d’abord été délivré à la défenderesse en 1994 et il avait été renouvelé à plusieurs reprises. Lorsque la défenderesse est venue au Canada, son permis allemand de résidence était valide jusqu’au 31 décembre 2000.

 

3.         Historique procédural

            A.        La première audience relative au statut de réfugié

[7]               Lors de la première audience visant à permettre de déterminer le statut de réfugié, le ministre est intervenu pour soutenir que la défenderesse devait être exclue de la protection accordée aux réfugiés, en vertu de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, pour le motif qu’elle était visée à la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

 

[8]               L’article 98 prévoit ce qui suit :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

[9]               La section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés est rédigée comme suit :

 

Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

 

 

 

[10]           Un tribunal composé de deux membres de ce qui était alors la Section du statut de réfugié (le premier tribunal) a entendu la demande de la défenderesse le 4 avril 2001. Le 31 mai 2001, il a rendu ses motifs par écrit au sujet de la question préliminaire de l’exclusion. Le premier tribunal a conclu que [traduction] « le permis de résidence temporaire en Allemagne était nul », étant donné qu’il était expiré au moment où l’audience relative au statut de réfugié avait été tenue, que la défenderesse n’avait plus le droit de retourner en Allemagne et que son statut de résidence en Allemagne avait été abandonné d’une façon permanente. Le tribunal a donc conclu que la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne s’appliquait pas à la défenderesse. Par une lettre datée du 7 juin 2001, le premier tribunal a également avisé la défenderesse qu’il avait conclu qu’elle craignait avec raison d’être persécutée si elle était renvoyée en Iran. Le tribunal a donc conclu que la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention.

 

            B.         Le contrôle judiciaire effectué par le juge Paul Rouleau

[11]           Le ministre a demandé le contrôle judiciaire de la décision du premier tribunal, en faisant valoir que le tribunal avait commis une erreur en concluant que la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne s’appliquait pas à la défenderesse et que celle‑ci risquait d’être persécutée si elle retournait en Iran. Le ministre a soutenu que la défenderesse avait laissé expirer son statut de résidence permanente en Allemagne et qu’elle ne pouvait donc pas se fonder sur son action volontaire pour éviter l’exclusion prévue par la section E de l’article premier de la Convention.

 

[12]           Dans une décision rendue le 17 mai 2002, le juge Paul Rouleau a conclu que le premier tribunal avait commis une erreur en concluant que la défenderesse n’avait pas le droit de retourner en Allemagne : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Choovak, 2002 CFPI 573. Le juge Rouleau a décidé que le moment auquel il convient de déterminer l’existence du droit de retourner dans un pays n’est pas la date de l’audience relative au statut de réfugié, mais la date de la demande d’admission au Canada. À l’appui de sa déclaration relative à la date pertinente, le juge Rouleau a cité l’arrêt Mahdi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1623 (QL), dans lequel la Cour d’appel fédérale a arrêté ce qui suit au paragraphe 12 :

[…] la question véritable que la Commission devait trancher dans cette affaire était la suivante : l’intimée était‑elle, lorsqu’elle a demandé son admission au Canada, une personne qui était encore reconnue par les autorités compétentes des États‑Unis comme un résident permanent de ce pays?

 

[13]           Quant à la question de savoir si la défenderesse était reconnue à titre de résidente permanente de l’Allemagne par les autorités compétentes en Allemagne au moment où elle avait été admise au Canada, la Cour a statué qu’elle était ainsi reconnue. Le juge Rouleau a conclu que le document de voyage gris (le unbefristete Aufenhaltserlaubnis) délivré à la défenderesse lui accordait le statut de résidente permanente en Allemagne, à condition d’être renouvelé tous les deux ans.

 

[14]           Le juge Rouleau a en outre conclu que le statut de la défenderesse satisfaisait aux critères adoptés par la Cour dans la décision Shamlou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1536 (1re inst.) (QL), lorsqu’il s’agissait de savoir si la défenderesse avait les « droits et obligations » attachés à la possession de la nationalité en Allemagne, de sorte qu’elle serait visée à la section E de l’article premier. Dans la décision Shamlou, la Cour avait accepté que les droits fondamentaux suivants étaient associés à la nationalité : le droit de retour, le droit de résider dans le pays pour une période indéfinie, le droit d’étudier, le droit de travailler, et l’accès aux services sociaux de base. Le juge Rouleau a conclu que, par son propre témoignage, la défenderesse avait établi qu’elle pouvait travailler et étudier en Allemagne; qu’elle avait droit à une modique allocation du gouvernement pour subvenir à ses besoins et qu’elle avait touché une telle allocation; qu’elle pouvait également quitter l’Allemagne et y retourner, comme elle l’avait déjà fait pour un voyage scolaire.

 

[15]           Par conséquent, le juge Rouleau a statué que le ministre avait avancé une preuve prima facie montrant que la section E de l’article premier s’appliquait à la défenderesse, et que la charge de la preuve était passée à la défenderesse, qui devait maintenant démontrer pourquoi, puisqu’elle avait laissé son statut de résidente permanente expirer, elle n’aurait pas pu présenter une nouvelle demande et obtenir un nouveau visa. En ce qui concerne cette charge, le juge Rouleau a conclu qu’eu égard à la preuve, la défenderesse n’avait pas réfuté la preuve prima facie selon laquelle elle avait le droit de retourner en Allemagne.

 

[16]           Le juge Rouleau a donc annulé la décision du premier tribunal à l’égard de la conclusion selon laquelle la section E de l’article premier ne s’appliquait pas. Il a également annulé la conclusion du premier tribunal suivant laquelle la défenderesse était un réfugié au sens de la Convention; il a dit que le tribunal avait commis une erreur en n’examinant pas les prétentions précises de la défenderesse visant l’Allemagne et en portant son attention sur « celles presque inexistantes et, au mieux, imprécises, qui se rapportaient à l’Iran ». Le juge Rouleau a renvoyé l’affaire à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué rende à nouveau une décision.

 

            C.        La seconde audience relative au statut de réfugié

[17]           Lors de la seconde audience relative au statut de réfugié, le demandeur n’est pas intervenu. Il s’est plutôt fondé sur des observations et sur des pièces antérieures ainsi que sur la décision du juge Rouleau. La seconde audience relative au statut de réfugié de la défenderesse a duré quatre jours : les 15 juillet et 16 octobre 2003 ainsi que le 19 février 2004 et le 17 mars 2005.

 

[18]           Le 21 avril 2005, la Commission a rendu ses motifs écrits; elle a décidé que la défenderesse n’était pas visée par la clause d’exclusion, à savoir la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, et elle a conclu que la défenderesse avait établi le bien‑fondé de sa crainte d’être persécutée en Iran.

 

            D.        Le présent contrôle judiciaire

[19]           Le ministre a demandé le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission au sujet de la section E de l’article premier. L’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée le 12 septembre 2005.

 

4.         La décision contestée

[20]           J’examinerai ci‑dessous uniquement les conclusions de la Commission relatives à l’exclusion de la défenderesse de la protection accordée aux réfugiés, en vertu de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, étant donné que c’est la seule question qui est soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire. Le ministre ne conteste pas la conclusion de la Commission selon laquelle la défenderesse a établi qu’elle craignait avec raison d’être persécutée en Iran. Je note également que, pendant la seconde audience, la défenderesse n’a pas donné suite aux allégations de persécution qu’elle avait faites contre l’Allemagne.

 

[21]           En appliquant la décision du juge Rouleau, la Commission a décidé que la date pertinente pour trancher la question de l’exclusion était le 15 septembre 1999 – soit le jour où la défenderesse était arrivée au Canada. Dans sa décision, la Commission a examiné la question de savoir si, selon le droit allemand, la défenderesse avait encore le statut de résidente en Allemagne à cette date. Plus précisément, la Commission a tenu compte de l’article 44 – [traduction] « Cessation de la résidence légale; maintien des restrictions » -- de la loi allemande intitulée [traduction] « Loi concernant l’entrée et le séjour des étrangers dans le territoire de la République fédérale » (la Loi sur les étrangers).

 

[22]           Dans sa décision, la Commission a cité le paragraphe 44(1) de la Loi sur les étrangers, qui disait ce qui suit :

[traduction]

44(1)      Sauf si le permis de séjour a expiré ou a été révoqué ou s’il existe des raisons de l’annuler, le permis viendra à échéance si l’étranger

1.                 est expulsé,

2.                 quitte le pays pour une raison qui n’est pas temporaire en soi,

3.                 a quitté le pays et n’est pas revenu dans les six mois, ou toute autre période plus longue fixée par les autorités compétentes.

La Commission s’intéressait plus précisément au paragraphe 44(1)2, en vertu duquel un permis de résidence expire si la personne quitte le pays « pour une raison qui n’est pas temporaire en soi ». La Commission a statué que cette disposition s’appliquait à la défenderesse, concluant que « la preuve établit que, au moment de son départ de l’Allemagne, la demandeure d’asile avait l’intention de demeurer en permanence au Canada ». La Commission a également retenu le témoignage de la défenderesse selon lequel, avant de venir au Canada, elle avait discuté avec sa mère, sa tante et son oncle en Allemagne, ainsi qu’avec son oncle au Canada, de son intention de solliciter la protection à titre de réfugié au Canada.

 

[23]           Par conséquent, la Commission a statué qu’une fois que la défenderesse avait quitté l’Allemagne pour venir au Canada, dans l’intention d’y rester en permanence, son permis allemand de résidence avait expiré et qu’elle avait renoncé à son droit de retourner en Allemagne ainsi qu’aux autres droits fondamentaux énumérés par la Cour dans la décision Shamlou, précitée. Plus précisément, le commissaire a dit ce qui suit :

J’estime que, en vertu du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers, le permis de séjour de la demandeure d’asile a expiré lorsqu’elle a décidé de quitter l’Allemagne avec l’intention de rester en permanence au Canada.

 

[24]           Étant donné que la Commission a conclu qu’au moment de son « admission » au Canada, la défenderesse n’était plus reconnue comme ayant les droits et obligations d’un citoyen allemand, la Commission a statué que la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne s’appliquait plus à elle. Aux pages 21 et 22 de la décision, la Commission a dit ce qui suit :

Le permis de séjour allemand de la demandeure d’asile a expiré le 15 septembre 1999, lorsqu’elle a quitté l’Allemagne pour le Canada dans l’intention d’y demeurer en permanence. Elle ne jouissait pas du droit automatique de rentrer dans ce pays une fois qu’elle l’avait quitté pour le Canada et, selon le droit allemand applicable et les communications avec des représentants allemands déposées en preuve en l’espèce, il est peu vraisemblable qu’elle aurait été en mesure d’obtenir de nouveau un permis de séjour allemand. C’est d’autant plus vrai, à mon avis, que la demandeure d’asile a demandé le statut de réfugié au Canada le 20 septembre 1999, donnant suite à l’intention qu’elle avait avant de quitter l’Allemagne.

 

Après son départ pour le Canada dans l’intention d’y demeurer en permanence, qui a donné lieu à l’expiration de son permis de séjour, elle a renoncé au droit de retourner en Allemagne et aux autres « droits fondamentaux » énoncés par les tribunaux dans l’affaire Shamlou. Selon le critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Mahdi, que j’adopte, lorsque la demandeure d’asile a présenté sa demande d’admission au Canada, les autorités compétentes de l’Allemagne ne lui reconnaissaient plus la qualité de résidente permanente.

 

La Commission a dit que pour arriver à sa décision, elle avait également tenu compte des raisons invoquées par la défenderesse pour expliquer son départ de l’Allemagne, à savoir qu’elle avait été victime d’actes de harcèlement et de railleries en raison de sa race et de sa nationalité, ce qui lui avait causé des problèmes psychologiques et médicaux.

 

[25]           La Commission a conclu que la section E de l’article premier ne s’appliquait pas à la défenderesse, mais elle a continué à examiner la question de savoir si la défenderesse pouvait satisfaire à l’obligation qui lui incombait de réfuter la conclusion prima facie selon laquelle la section E de l’article premier s’appliquait. La Commission a tenu compte de la preuve concernant la question de savoir si la défenderesse aurait pu présenter une nouvelle demande et obtenir un nouveau visa des autorités allemandes. La Commission a statué que la perte du statut de résidente permanente voulait dire que la défenderesse n’avait plus nécessairement le droit de retourner en Allemagne. La Commission a également conclu qu’il était peu vraisemblable que la défenderesse soit en mesure d’obtenir de nouveau un permis allemand de résidence. Après avoir examiné les dispositions de la Loi sur les étrangers – en particulier les articles 16 et 17 qui énoncent les critères applicables au statut de résident – la Commission a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, la défenderesse se verrait probablement refuser un permis de résidence.

 

[26]           Enfin, la Commission a dit que la défenderesse ne devait pas être pénalisée pour avoir décidé, dans les circonstances, de quitter en permanence l’Allemagne pour le Canada, et elle a ajouté ce qui suit : « Je ne perçois pas son comportement comme une "quête du meilleur pays d’asile." »

 

5.         Les points litigieux

[27]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, il s’agit uniquement de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la défenderesse n’était pas visée à la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés et, par conséquent, exclue de la qualité de réfugié en vertu de l’article 98 de la LIPR. Plus précisément, la Cour est saisie de la question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant qu’en vertu du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers, les « autorités compétentes » en Allemagne auraient considéré que la défenderesse avait perdu « les droits et les obligations qui sont liés à la possession de la nationalité [allemande] » lorsqu’elle a été admise au Canada, le 15 septembre 1999.

 

6.         La norme de contrôle

[28]           Le demandeur ne propose pas de norme de contrôle applicable à la décision de la Commission eu égard aux circonstances de l’affaire.

 

[29]           La défenderesse soutient qu’une décision rendue par la Commission sur une question de droit étranger constitue une conclusion de fait et que, cela étant, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de cette décision dans le cadre de l’examen. En ce qui concerne le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, la défenderesse fait valoir que la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. À l’appui de sa position, elle mentionne également l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, 2001 CAF 311, dans lequel la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit, au paragraphe 26 :

Le droit étranger est une question de fait qui doit être prouvée à la satisfaction du tribunal. Les conclusions judiciaires au sujet du droit étranger ont donc toujours été considérées en appel comme des questions de fait (Castel, Canadian Conflict of Laws 4e éd. 1997, à la page 155). De plus, il est de jurisprudence constante que notre Cour ne modifiera une conclusion de fait, y compris une conclusion de fait portant sur un témoignage d’expert, que si une erreur manifeste et dominante a été commise (voir, par exemple les arrêts N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247 et Stein c. Le « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802).

 

[30]           À mon avis, l’arrêt Saini, précité, ne dicte pas la norme de contrôle applicable aux circonstances de la présente affaire, en particulier parce que la Cour d’appel fédérale examinait une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale, et non une décision rendue par un tribunal administratif. Dans l’arrêt Saini, la Cour d’appel examinait les conclusions tirées par un juge de première instance et elle a appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen [2002] 2 R.C.S. 235. À mon avis, tel n’est pas le critère à appliquer à l’examen de décisions rendues par des tribunaux administratifs.

 

[31]           Pour établir la norme qu’il convient d’appliquer à l’examen de la décision rendue par la Commission en l’espèce, il faut appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle qui a d’abord été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et réaffirmé dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. Une telle approche comporte la prise en compte des quatre facteurs contextuels suivants aux fins de la détermination du degré de retenue à accorder à la Commission et de la norme correspondante à appliquer à l’examen de la décision de la Commission :

(1)        la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi;

(2)        l’expertise du tribunal;

(3)        l’objet de la loi et de la disposition particulière; et

(4)        la nature de la question.

 

[32]           J’examinerai ci‑dessous chacun des quatre facteurs à tour de rôle pour déterminer la norme qu’il convient d’appliquer à l’examen de la conclusion que la Commission a tirée au sujet du sens du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers et de son application aux circonstances de la présente affaire.

 

(1)                     La présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi

 

[33]           La LIPR ne renferme aucune clause privative et ne prévoit aucun droit d’appel. Toutefois, en vertu du paragraphe 72(1), une partie peut demander le contrôle judiciaire des décisions de la Commission devant la Cour fédérale; toutefois, une telle demande exige l’autorisation de la Cour. Malgré le droit restreint de contester les décisions de la Commission qui est accordé, je suis d’avis qu’eu égard à ce premier facteur, le législateur voulait que la Cour conserve sa compétence générale en matière de supervision.

 

(2)           L’expertise relative de la Commission

[34]           Il s’agit de savoir si la Commission possède une expertise particulière, comparativement à la Cour, pour déterminer le contenu du droit allemand pour ce qui est du statut de résident. Au paragraphe 33 de l’arrêt Pushpanathan, précité, la Cour suprême du Canada a dit que l’évaluation de l’expertise relative comporte trois dimensions :

            -           l’expertise de la Commission;

            -           la propre expertise de la Cour par rapport à celle de la Commission;

            -           la nature de la question précise dont la Commission était saisie par rapport à l’expertise de la Cour.

 

[35]           Dans l’arrêt Dr Q., précité, au paragraphe 28, la Cour suprême a en outre dit qu’« [u]n plus haut degré de déférence est dû uniquement lorsque l’organisme décisionnel possède, de quelque façon, une plus grande expertise que les cours et que la question visée relève de cette plus grande expertise ».

 

[36]           En l’espèce, la nature de la question précise que la Commission a tranchée se rapporte au sens du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers. La jurisprudence établit que la détermination du contenu du droit étranger est une question de fait : voir Saini, précité, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sharma, [1995] A.C.F. no 1151 (1re inst.) (QL). La jurisprudence a également établi que la Commission possède une expertise spéciale lorsqu’elle évalue la preuve et les faits : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL).

 

[37]           Toutefois, la décision que la Commission a rendue en l’espèce ne se rapporte pas au fondement, sur le plan de la preuve, de la demande d’asile de la défenderesse ou à une conclusion relative à la crédibilité de la défenderesse. Il est reconnu que pareilles conclusions de fait relèvent de l’expertise de la Commission. En l’espèce, la conclusion factuelle tirée par la Commission n’est pas liée à son expertise fondamentale. La décision en question se rapporte plutôt à la question de savoir si, compte tenu du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers, la défenderesse a perdu son statut de résidente en Allemagne, y compris son droit de retourner en Allemagne, à compter du moment où elle a décidé qu’elle voulait rester en permanence au Canada. En fin de compte, la décision de la Commission se rapporte à l’interprétation du droit allemand et à son effet sur la situation de la défenderesse. À mon avis, une telle conclusion ne relève pas de l’expertise de la Commission. Je conclus que la Cour est mieux placée pour décider si la preuve établit suffisamment le sens du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers. Quant à ce deuxième facteur, j’examinerais donc la décision de la Commission avec moins de retenue.

 

(3)           L’objet de la LIPR et les dispositions d’exclusion

[38]           La Cour suprême du Canada a statué que le degré de retenue dont il faut faire preuve face à une décision administrative dépend de la question de savoir si le rôle du décideur consiste à établir un équilibre entre divers intérêts opposés, ou à établir les droits et obligations d’une partie : voir Pushpanathan, précité, paragraphe 36. Il faut faire preuve d’un degré plus élevé de retenue à l’égard de la Commission lorsqu’elle assume le premier rôle.

 

[39]           Pour comprendre le rôle joué par la Commission en l’espèce, il faut tenir compte, d’une façon générale, de l’objet de la LIPR, et en particulier de la disposition d’exclusion. En ce qui concerne la protection accordée aux réfugiés, l’objet de la LIPR est d’offrir au Canada l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés : voir la LIPR, paragraphe 3(2). Toutefois, la LIPR impose également des restrictions au droit d’obtenir l’asile au Canada. Plus précisément, l’article 98 de la LIPR – la disposition d’exclusion – prévoit que la Commission ne peut pas accorder aux personnes qui sont visées par la définition de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés le statut de réfugiés au sens de la Convention. Cela étant, le rôle de la Commission consiste à décider si la défenderesse a droit à l’asile au Canada, plutôt qu’à soupeser des intérêts imbriqués. Dans l’ensemble, l’objet législatif de la LIPR donne à entendre qu’il faudrait faire preuve d’une moins grande retenue à l’égard de la décision de la Commission en ce qui concerne la conclusion suivant laquelle la défenderesse n’est pas visée à la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

 

4)            La nature de la question

[40]           En l’espèce, la question dont la Commission était saisie se rapporte au statut de résidente de la défenderesse en Allemagne au 15 septembre 1999 – soit la date à laquelle où elle a été admise au Canada. La Commission doit d’abord déterminer le sens du paragraphe 44(1) de la Loi sur les étrangers, et elle doit ensuite appliquer le droit, tel qu’il est établi, aux circonstances de l’affaire. Selon la jurisprudence, la détermination du contenu du droit étranger donne lieu à une conclusion de fait, alors que la détermination des modalités d’application du droit étranger est une question de droit : voir Sharma, précité, paragraphe 10. À mon avis, la nature de la question milite en faveur d’une moins grande retenue envers la décision de la Commission.

 

[41]           Compte tenu des facteurs contextuels susmentionnés et des circonstances de la présente espèce, je conclus que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission, à savoir que la défenderesse n’était pas exclue en vertu de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés de la protection accordée aux réfugiés au Canada, est la décision raisonnable simpliciter. Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, paragraphe 56, la Cour suprême du Canada a décrit comme suit la décision raisonnable :

Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion.

 

 

7.         Analyse

[42]           Je tiens au départ à confirmer que le litige ne porte pas sur la date d’application de l’exclusion prévue à la section E de l’article premier. Dans la décision Choovak, précitée, le juge Rouleau a établi que la date applicable était celle à laquelle la défenderesse avait été admise au Canada. Suivant la décision rendue par le juge Rouleau, la Commission a dit que la date pertinente lorsqu’il s’agit de décider si la défenderesse est exclue de la protection accordée aux réfugiés au Canada était le 15 septembre 1999. Les parties à la présente demande de contrôle judiciaire ne contestent pas cette conclusion.

 

[43]           En outre, il n’est pas contesté qu’au moment où elle est arrivée au Canada, la défenderesse était en possession d’un permis allemand de résidence permanente – un unbefristete Aufenhaltserlaubnis – en son nom, qui à première vue était valide jusqu’au 31 décembre 2000. Je note qu’avec son autorisation d’étudier au Canada, la défenderesse a utilisé ce permis de résidence pour venir au Canada. De plus, la défenderesse n’a pas contesté la conclusion du juge Rouleau selon laquelle le permis de résidence satisfaisait aux exigences énoncées dans la décision Shamlou, précitée, en conférant à la défenderesse les droits d’un citoyen allemand, y compris le droit de retourner en Allemagne.

 

[44]           Dans sa décision, la Commission a en fait conclu que le ministre ne pouvait plus établir prima facie que la défenderesse était exclue en vertu de la section E de l’article premier lorsqu’elle a été admise au Canada. En tirant cette conclusion, la Commission a adopté l’interprétation donnée par la défenderesse du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers. À la page 44 de la transcription de l’audience relative au statut de réfugié, le commissaire a décrit comme suit la façon dont il croyait comprendre la prétention de la défenderesse :

                                [traduction] Bon, d’accord. Par conséquent, si je comprends bien votre interprétation du [paragraphe 44(1)2], il s’agit de savoir quelle était la raison pour laquelle la personne a quitté le pays, indépendamment de la question de savoir si la raison a été communiquée aux autorités [allemandes]. Il s’agit donc d’examiner la meilleure preuve présentée pour essayer de savoir si la personne en question est partie pour une raison qui n’est pas temporaire en soi; si je conclus que telle était la raison pour laquelle elle est partie, et que la demande d’asile était simplement une façon de donner suite à son désir de partir pour – en permanence, ou pour une raison qui n’était pas temporaire en soi, son permis de séjour aurait par application de la loi expiré dès qu’elle a formé l’intention de partir pour une raison qui n’était pas temporaire.

 

[45]           La Commission s’est également fondée sur le témoignage de la défenderesse et sur les lettres échangées entre l’avocat de la défenderesse et les représentants du consulat allemand au Canada comme preuve du sens du paragraphe 44(1)2. La Commission a retenu cette preuve comme preuve suffisante selon laquelle, au regard du droit allemand, les autorités compétentes considéreraient que la défenderesse avait renoncé à son statut de résidente en Allemagne lorsqu’elle est arrivée au Canada, étant donné qu’elle avait l’intention de quitter l’Allemagne pour toujours.

 

[46]           La Cour doit décider s’il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer une telle conclusion. À mon avis, la décision de la Commission ne peut pas être maintenue. Eu égard aux circonstances de l’affaire, je conclus qu’il était déraisonnable pour la Commission de statuer que le sens du droit allemand est fonction du souhait subjectif de la défenderesse.

 

[47]           Contrairement aux autres conclusions de fait tirées par la Commission lorsqu’elle statue sur des demandes d’asile, le critère permettant d’établir le « fait » en l’espèce – à savoir le sens du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers – exige une preuve présentée par un expert au sujet de ce droit. Comme l’a fait remarquer Marvin Baer et al., dans Private International Law in Common Law Canada: Cases, Texts, and Materials (Toronto : Emond Montgomery Publications Ltd., 2003), page 519 :

[traduction] En common law, le droit étranger doit être établi en tant que question de fait au moyen de la preuve fournie par des personnes qui sont des experts en la matière. En l’absence d’une entente ou d’une autorisation accordée par la loi, on ne saurait se contenter de soumettre à la cour le texte des lois étrangères pertinentes (même s’il est authentifié), une décision judiciaire ou un ouvrage de doctrine. Les sources et références écrites sont normalement admissibles uniquement lorsqu’elles sont présentées à l’appui de la preuve fournie par des témoins experts, auquel cas [traduction] « les passages et renvois cités par ceux‑ci seront considérés comme faisant partie de leur témoignage ». (Voir Allen c. Hay (1922), 64 R.C.S. 76, pages 80 et 81).

 

[48]           J’ai examiné le dossier qui était devant la Commission et je conclus qu’il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de la conclusion que la Commission a tirée au sujet du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers. La Commission n’avait pas devant elle de preuve d’expert pour l’aider à interpréter le sens de la Loi sur les étrangers. De fait, elle n’avait même pas une version authentifiée des dispositions légales pertinentes. En effet, elle n’avait qu’une version anglaise du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers, et cette version n’était même pas certifiée comme étant une traduction exacte de l’original, qui était probablement rédigé en allemand. En outre, on ne peut présumer que les commentaires que les représentants du consulat allemand ont faits constituent une preuve fournie par des personnes qui sont des experts en droit allemand. De fait, rien n’indique quelles sont les qualifications des représentants du consulat leur permettant d’exprimer un avis juridique au sujet de l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 44(1) de la Loi sur les étrangers.

 

[49]           Même si je mettais de côté les réserves sérieuses que j’ai au sujet de la qualité de la preuve dont disposait la Commission, la preuve fournie n’étaye pas, à mon avis, la conclusion à laquelle la Commission est arrivée. Selon la disposition particulière à laquelle la Commission se réfère – le paragraphe 44(1)2) –, la résidence d’une personne en Allemagne expire si cette dernière quitte ce pays [traduction] « pour une raison qui n’est pas temporaire en soi » [inherently dans la version anglaise] [non souligné dans l’original]. La Commission semble avoir accepté que l’aspect entièrement subjectif de la décision de la défenderesse de quitter l’Allemagne et de ne pas y retourner suffit selon le droit allemand pour établir la perte du statut de résidente. La Commission a retenu l’argument de l’avocat de la défenderesse, à savoir qu’il n’était pas nécessaire, pour que le paragraphe 44(1)2 s’applique, que les autorités allemandes sachent que la défenderesse avait l’intention de quitter l’Allemagne en permanence. Il suffisait donc que la défenderesse croie que son départ [traduction] « [n’était] pas temporaire ». Une telle interprétation voudrait également dire que la défenderesse aurait pu retourner en Allemagne si la qualité de réfugié ne lui avait pas été reconnue au Canada, puisque les autorités allemandes n’auraient pas été au courant de son intention de quitter l’Allemagne en permanence.

 

[50]           Si un tel argument était retenu, cela reviendrait à reconnaître que le statut de résident permanent en Allemagne peut dépendre entièrement du point de vue subjectif de la personne concernée au moment où elle quitte le pays. Le manque d’élément objectif, lorsqu’il s’agit de déterminer la perte du statut de résident selon le droit allemand, rend un tel critère impraticable et, à mon avis, ouvre la porte à la quête du meilleur pays d’asile, soit la conséquence même que la section E de l’article premier de la Convention vise à éviter. En outre, compte tenu de la preuve dont disposait la Commission, on ne saurait raisonnablement reconnaître que telle est l’interprétation qu’il convient de donner au droit allemand. À mon avis, la preuve dont disposait la Commission étaye la conclusion suivant laquelle la défenderesse aurait pu retourner en Allemagne sans éprouver de problème au moment où elle a été admise au Canada, et que son statut de résidente en Allemagne n’était en péril qu’au moins six mois après qu’elle eut quitté l’Allemagne. De fait, la preuve présentée par le demandeur lui‑même donne à entendre que les autorités allemandes auraient laissé la défenderesse revenir.

 

[51]           Dans ses motifs, la Commission a cité une bonne partie de la preuve qui contredit sa conclusion, à savoir que les « autorités compétentes » en Allemagne auraient considéré que la défenderesse avait perdu son statut de résidente en Allemagne au moment où elle avait quitté ce pays pour venir au Canada. Plus précisément, la Commission mentionne les éléments de preuve suivants :

·         La défenderesse a témoigné s’être rendue au consulat allemand, à Toronto, en mars 2001, afin de s’informer de son statut en Allemagne. On l’a informée qu’étant donné qu’elle avait quitté l’Allemagne depuis plus de six mois, son permis de séjour était expiré et qu’elle devait demander un nouveau visa si elle avait l’intention de retourner en Allemagne.

·         Le 6 mars 2003, le conseil de la défenderesse a écrit au consulat de l’Allemagne pour s’informer du statut existant de la défenderesse. Le conseil ne nommait pas la défenderesse, mais il énonçait certains faits importants, et il disait notamment que la défenderesse avait résidé en Allemagne de 1986 à 1999; qu’elle avait quitté l’Allemagne en 1999 [traduction] « sans avoir l’intention d’y retourner et sans y être retournée », et qu’elle possédait une pièce d’identité – un unbefristet Aufenhaltserlaubnis – délivré en Allemagne, lequel était valide jusqu’au mois de décembre 2000, mais qui n’avait pas été renouvelé. Le conseil de la défenderesse a demandé, entre autres, si [traduction] « la personne en cause allait continuer à détenir son statut à son retour en Allemagne ». Le lendemain, S. Kohler, agent des visas au consulat de l’Allemagne, a répondu en déclarant que [traduction] « le statut de la personne n’existait plus, conformément au règlement allemand, après six mois ».

·         Le 21 mai 2003, Peter Ziegler, conseiller, Affaires culturelles et juridiques, à l’ambassade de l’Allemagne, à Ottawa, a écrit au conseil de la défenderesse en réponse aux renseignements que celui‑ci avait demandés au sujet du document de résidence allemand de la défenderesse, et déclaré ce qui suit :

[traduction] En vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur les étrangers allemande, le permis de séjour pour une période illimitée expire lorsque le résident s’absente de l’Allemagne pendant plus de six mois. La personne en cause n’aurait pas pu faire renouveler le document pendant son séjour au Canada, puisqu’il était encore valide. La seule démarche qu’elle aurait pu faire aurait été de retourner en Allemagne pour éviter qu’il s’écoule six mois.

 

 

[52]           La preuve susmentionnée n’est pas déterminante pour ce qui est du sens du paragraphe 44(1)2, mais elle indique que si la défenderesse était retournée en Allemagne dans les six mois suivant son arrivée au Canada, les autorités allemandes l’auraient probablement laissée entrer de nouveau au pays en se fondant sur son permis de résidence permanente. Par extension, il semble clair, à mon avis, que les « autorités compétentes » en Allemagne n’auraient pas considéré que le statut de résidente de la défenderesse était devenu périmé dès son départ de l’Allemagne.

 

[53]           La seule preuve qui étaye la conclusion de la Commission suivant laquelle c’était le souhait de la défenderesse qui déterminait subjectivement son statut de résidente en Allemagne au 15 septembre 1999 se trouve dans la réponse de Katrin Siegel, agente des visas au consulat allemand, à Toronto. L’avocat de la défenderesse a écrit à Mme Siegel le 19 février 2004 et lui a posé plusieurs questions, notamment : [traduction] « Le paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers prévoit que le permis de résidence expire si l’étranger "quitte le pays pour une raison qui n’est pas temporaire en soi". Cela veut‑il dire qu’en droit, le permis de résidence expire au moment où le titulaire quitte l’Allemagne s’il n’a pas l’intention d’y retourner, comme dans le cas que j’ai décrit? » [souligné dans l’original]. Dans une réponse rédigée à la main sur la lettre originale, Mme Siegel a dit ce qui suit : [traduction] « Lorsque vous partez et que vous n’avez pas l’intention de retourner, la réponse est oui » [souligné dans l’original]. Étant donné le caractère informel de la réponse, je ne trouve pas cet élément de preuve convaincant, et je ne le trouve pas non plus suffisant pour établir le sens du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers. Je note également que, dans sa décision, la Commission n’a pas cité le commentaire de Mme Siegel.

 

[54]           En résumé, je conclus qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve qui permettaient raisonnablement à la Commission de conclure que les autorités compétentes en Allemagne auraient considéré que la défenderesse ne possédait plus les droits et obligations des citoyens allemands au 15 septembre 1999. Par conséquent, je suis d’avis que la conclusion de la Commission est déraisonnable.

 

[55]           Dans ses motifs, la Commission s’est ensuite demandé si la défenderesse pouvait obtenir de nouveau son statut en Allemagne après avoir conclu qu’elle l’avait de fait perdu au moment où elle avait été admise au Canada. À mon avis, une telle analyse n’est pas pertinente pour ce qui est de la question déterminante. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, lorsqu’elle est arrivée au Canada, la défenderesse était en possession d’un permis de résidence permanente de l’Allemagne qui était valide jusqu’au 31 décembre 2000. En d’autres termes, à la date applicable aux fins de la détermination de l’exclusion, la défenderesse possédait un permis valide qui l’autorisait à résider en Allemagne, et notamment à y retourner.

 

8.         Conclusion

[56]           Je conclus que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en concluant que la défenderesse n’était pas visée à la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. J’annulerai la décision de la Commission. À mon avis, la seule conclusion qui puisse être tirée eu égard aux circonstances de l’affaire est qu’au moment où la défenderesse a été admise au Canada, les autorités compétentes en Allemagne auraient considéré qu’elle avait les droits et obligations d’un citoyen allemand, y compris le droit de retourner en Allemagne. À mon avis, ce résultat est inévitable. Conformément à l’article 98 de la LIPR, la défenderesse n’a pas qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

[57]           Eu égard aux circonstances de l’espèce, je ne renverrai pas l’affaire à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué rende à nouveau une décision. Je conclus que la question de la demande d’asile présentée par la défenderesse à l’égard de l’Iran est réglée parce que la défenderesse n’a pas qualité de réfugié au Canada puisqu’elle avait le statut de résidente en Allemagne au moment où elle a été admise au Canada. En outre, je conclus que la demande d’asile que la défenderesse a présentée par rapport à l’Allemagne n’est plus une question que la Commission doit trancher. Le premier tribunal n’a pas conclu que la défenderesse avait établi qu’elle craignait avec raison d’être persécutée en Allemagne. Même s’il n’a pas rejeté la demande de la défenderesse par rapport à l’Allemagne, le premier tribunal a en fin de compte uniquement conclu que la demande d’asile que la défenderesse avait présentée à l’égard de l’Iran avait été établie. Lors de la seconde audience relative au statut de réfugié, la défenderesse a essentiellement abandonné sa demande d’asile, pour ce qui est de l’Allemagne, en ne poursuivant pas l’affaire devant la Commission pendant le témoignage oral et dans les prétentions de son avocat. Par conséquent, je conclus qu’il ne servirait à rien de renvoyer la demande d’asile à la Commission, étant donné que la Commission et la Cour ont examiné cette demande à fond et qu’il a été décidé du résultat : voir Yassine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.) (QL).

 

[58]           Ceci dit, je me rends bien compte qu’étant donné le temps qui s’est écoulé, il est peu probable que la défenderesse ait maintenant le statut de résidente permanente en Allemagne. Sans trancher la question, disons que la preuve dont disposait la Commission indique que c’est probablement le cas. Quant au bien‑fondé de la demande, il a été conclu que la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention et, que si ce n’était de son exclusion en vertu de la section E de l’article premier, elle serait par définition une personne à protéger. Étant donné que la défenderesse n’a pas de statut en Allemagne, elle devrait être renvoyée en Iran. Eu égard aux circonstances, c’est peut‑être bien un cas dans lequel le ministre devrait exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l’article 25 de la LIPR. Quoi qu’il en soit, si la défenderesse présente une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), l’agent chargé de l’examen devrait avoir à l’esprit la conclusion antérieure de la Commission selon laquelle la défenderesse a établi qu’elle craignait avec raison d’être persécutée en Iran, et que cette conclusion n’a pas été contestée par le ministre. Je fais cette observation pour autant que, probablement, à l’heure actuelle, la défenderesse n’a pas de statut en Allemagne.

 

[59]           Les parties auront la possibilité de présenter des observations au sujet de la certification d’une question ou de questions de portée générale. Les parties disposeront d’un délai de dix jours à compter de la date des présents motifs pour soumettre une question ou des questions aux fins de la certification. Les parties disposeront d’un délai supplémentaire de cinq jours pour répondre à ces observations. Après avoir examiné les observations des parties, je me prononcerai sur la question de la certification des questions proposées, le cas échéant, et je rendrai une ordonnance rejetant la demande.

 

 

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 26 avril 2006

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3462‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   MCI

                                                                        c.

                                                                        MEHRNAZ JOLINE CHOUBAK

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 DÉCEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jamie Todd                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Matthew Moyal                                                POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Moyal et Moyal                                                POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

 

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